Louis BAUMARD

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du
en
n
UN GUIDE INITIATTIQ
QUE
PO
OUR LES CANDIDA
ATS AU VOYAGE
Louis BAUMARD
Illustrations de François Denis
« En voyage, vous perdez vos convictions
aussi facilement que vos lunettes,
mais il est plus difficile de les remplacer. »
Aldous Huxley
Gagner de l’or et/ou des connaissances
1
ommair
mm r
SOMMAIRE
CChapitre 1
.............................................................................. 6
Ga
Gagner
G
de l’or
et/ou des connaissances
et
Magellan, Portugais renié par les siens .................................. 8
Ma
De Britanniques amateurs de doublons espagnols :
Des
Drake, Anson, Dampier ....................................................... 10
Dra
Chapitre 4
............................................................................ 64
Chapitre 7
......................................................................... 114
Apprendre la mer en circumnaviguant
Quand les journalistes racontent…
Chapitre 11 .......................................................................... 158
Un “ chez-soi ” qui flotte
Jeanne-d’Arc : « Engagez-vous dans la Marine
1948-1950 : Jacques Chegaray,
Le World of ResidenSea, premier du genre ........................ 160
pour voyager… » ................................................................. 66
portraitiste de la France coloniale ...................................... 116
Utopia : investisseurs de tous les pays… ........................... 162
« Elcano » : à chacun son héros .......................................... 68
2007 : Thalassa illustre la globalisation des échanges ........ 120
« Yachts d’exploration » pour individualistes discrets ......... 164
Le Sagrès ou comment entretenir la saudade ...................... 70
Des « trawlers » qui ne vont pas à la pêche ....................... 166
D’autres navires, d’autres élèves… ...................................... 72
Des Britanniques curieux de sciences : Cook, Darwin .......... 12
1711-1840
: le tour (du monde) des Français ..................... 14
17
171
D’autres
découvreurs venus d’ailleurs .................................. 20
Da
D’a
Chapitre 2
............................................................................ 22
Rêver les pieds sur mer
Rê
Chapitre 5
............................................................................ 76
Défendre ses idées et des intérêts
La Grande Flotte blanche :
diplomatie musclée autour du monde .................................. 78
Polonez ou la diplomatie par vents calmes ........................... 82
Immatriculé « EUR » : Traité-de-Rome pousse l’Europe
Joshua Slocum qui a montré le cap ..................................... 24
Jos
Alain Gerbault, héros, yachtman, croisé ............................... 28
Ala
Chapitre 8
.......................................................................... 124
Quand les passagers écrivent…
2000 : Michel Goeldlin « vaut » 143 tonnes de coprah ...... 130
2003 : Emmelene Landon écrit et peint dans « la cabine
de Suez » .......................................................................... 132
Jacques-Yves Le Toumelin : « Mon bateau et moi… » .......... 34
Jac
pour s’amuser ..................................................................... 88
Sir Francis Chichester, héros national .................................. 36
Global Mariner : la cause du peuple (maritime) ................... 90
Pour Bernard Moitessier, Papeete vaut mieux que Plymouth .... 42
Pou
L’Ady Gil, heure de gloire et dernière heure simultanées ...... 92
d’autres qui ne cherchent pas à être connus ... 46
Et beaucoup
b
Tournée rock’n’roll sur le Sedov ........................................... 94
CChapitre 3
............................................................................ 54
Co
Courses
au large
Conquérants de l’inutile ” ?
“C
Une représentation particulière du voyage maritime ............. 56
Un
............................................................................ 96
Quand les écrivains embarquent…
1926 : Aldous Huxley, intellectuel intraitable ........................ 98
La Boudeuse, de campagnes scientifiques en campagnes
de financement ................................................................. 172
Stad Amsterdam sur les traces de Darwin (2009-2010) ..... 176
Chapitre 9
.......................................................................... 134
Embarquer du fret
Une priorité : les marchandises ......................................... 136
un moteur ? David Scott Cowper ! ............................ 52
Et avec
a
Chapitre 6
Alcyone : le tour le plus long .............................................. 170
Glory-of-the-Sea en passant par les pôles (2009-2010) ...... 174
Antoine du pacifisme au Pacifique ..................................... 86
Peace Boat/Pisu Boto : la croisière n’est pas là
Vers une union sacrée
des marins et des chercheurs
1870 : Train tournera trois fois ........................................... 126
loin de Bruxelles ................................................................. 84
Louis Bernicot, l’homme tranquille ...................................... 32
Lou
Chapitre 12 .......................................................................... 168
Chapitre 10 .......................................................................... 146
Embarquer autour du monde
aujourd’hui
Türanor PlanetSolar, premier solaire autour du monde
(2011-2012) ..................................................................... 178
Chapitre 13 .......................................................................... 180
En guise de conclusion,
les conseils d’un ancien
Index des navires cités ...................................................... 185
Des pistes pour embarquer à son tour
1936 : Cocteau, double inattendu de Phileas Fogg ............ 102
1979 : Gavin Young à la recherche du « passé visitable » .... 106
Sur un paquebot : la croisière ultime ................................. 148
Des livres .......................................................................... 188
1988 : Michael Palin : « Je repartirais bien faire un tour » ..... 110
Passager sur un navire de charge ...................................... 152
Des sites internet .............................................................. 190
Terre
mer ?
“ Le désir universel
Tour de la
ou tour de la
”
es voiliers à l’étrave effilée mais aussi de
lières. On parle d’expéditions nautiques - et ce jusqu’à au-
cile en passant d’une mer à l’autre, en sautant d’un navire à
révéler vain aux yeux d’une opinion publique de plus en plus
lourds porte-conteneurs franchissant de
jourd’hui - sans que cela ait un caractère militaire. La science
l’autre. Le journaliste lui répond : « Pour voir le monde, pour
raisonnable et blasée. Faire le tour de la France à bicyclette,
justesse les écluses du canal de Panamá,
et la découverte ont aussi leur mot à dire accompagnées, c’est
rencontrer des gens différents de mes compatriotes, pour
à pied et en kayak, en suivant rigoureusement les frontières,
des marins qui ne pensent qu’à l’or et aux
un aspect encore peu connu de la navigation au long cours,
rencontrer des gens comme toi. » D’autres enfin, qui ne sont
à un mètre près, comme l’a fait Lionel Daudet en 2011-2012,
épices et des tour-istes – c’est le cas de le
par la diplomatie et l’espionnage. Au XXe siècle, des solitaires
pas davantage marins, embarquent comme passagers. Ils
pourrait être à l’avenir le nouveau type d’exploit à battre.
dire – en quête de dépaysement. Au fil des siècles, la moti-
prennent le relais des États mais sans les mêmes arrière-pen-
partagent avec le romancier Graham Greene « le désir univer-
On notera aussi que personne ou presque n’est intéressé
vation de ceux qui tournent autour du monde sur un navire
sées. Et quels solitaires ! Fous de mer, de solitude, de décou-
sel d’en avoir un petit peu plus avant d’être vaincu par l’âge et
par la route des pôles, parfaitement imprévisible pour
a bien changé.
vertes sur des voiliers qu’ils ont parfois construits eux-même.
l’absolue certitude de la mort ». Olivier de Kersauson, marin,
cause de météo ou d’autorisations administratives don-
Il est frappant de constater que les pays qui ont les premiers
Leur espèce s’est éteinte. Elle est remplacée par des navires
dit à peu près la même chose dans son livre Ocean Song :
nées chichement. C’est, enfin, pour ceux qui peuvent se
envoyé des expéditions maritimes sur les sept mers, l’Es-
de course dont le seul objectif est de battre un record tant
« Ne pas quitter ce monde sans lui avoir rendu la politesse »,
payer le passage sur un paquebot, faire revivre les mythes.
pagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la France, ont aussi été
l’idée de tour du monde, encore plus aujourd’hui qu’au temps
avant d’ajouter joliment : « Un tour du monde, c’est un cours
On navigue aujourd’hui grâce à Cunard, Hapag Lloyd et
les premiers à projeter l’influence de l’Europe hors de ses fron-
de La Pérouse, consiste à marquer les esprits. Une circumna-
magistral de géographie… Partir d’un point pour y revenir. Il y
Fred Olsen « sur les traces de Magellan », « dans le sillage
tières naturelles. Comme le furent en d’autres temps la route
vigation comme le kilomètre, est aujourd’hui devenu une me-
a quelque chose de parfait, d’achevé, de rond. »
de Darwin » et, inévitablement, « dans les pas de Phileas
du cuivre des Phéniciens vers l’Europe du Nord ou la route de
sure de distance et un test pour les hommes et le matériel…
Naviguer autour du monde ou « partir loin » ? Promouvoir
Fogg », sans parler de « la route des clippers ». Le texte qui
la soie vers l’Asie, les Européens ont donné l’élan, siècle après
Initiatique, un tour du monde l’est à plus forte raison pour
une banque auprès des albatros (idée dérisoire et finalement
suit n’a pas de prétention à l’exhaustivité, au recensement
siècle. Du moins, on peut le penser. Leurs navires, ceux qui
un apprenti marin. Les nations qui en ont encore les moyens
sympathique), apprendre le métier de marin, battre un record
systématique, loin s’en faut. Les sous-marins circumnaviga-
n’ont pas fait naufrage, ont été les premiers jalons de la colo-
organisent ce voyage d’une vie pour leurs futurs officiers. Ins-
de vitesse, gagner de l’argent, contribuer à une meilleure
teurs sont volontairement omis et nous les laissons dans les
nisation et de la mondialisation des échanges. Et puis, beau-
pirés par les marins humanistes du XVIIIe siècle et par le mau-
connaissance de la biodiversité. C’est tout cela en même
secrets de leurs profondeurs.
coup plus tard, est venue l’idée de l’exploit nautique et sportif.
vais état de la planète, des scientifiques remettent sacs et mi-
temps ou successivement. C’est accomplir le plus long voyage
Ce livre tente simplement de rappeler qui s’est engagé dans
Au départ, il y a quelques siècles de cela, l’esprit des marins
croscopes à bord et se rendent dans les lieux les plus isolés.
sans repasser au même endroit. Dans les années quatre-
l’aventure, puisque dans tous les cas c’est une aventure,
et de leurs commanditaires s’échauffe à l’idée de l’or et des
Ne pas oublier les écrivains et journalistes, pas forcément des
vingt, l’Australien Jon Sanders accomplit trois tours du monde
pourquoi et comment. Il est dédié à ceux qui ont très envie
épices. Puis c’est l’établissement des cartes, parfois leurs
marins, mais des curieux qui veulent eux aussi expérimenter
d’affilée en solitaire et sans escale. Son exploit était tellement
d’embarquer et qui vont le faire ! Une famille sur son voilier
vols, et une découverte de plus en plus lointaine. Découverte
ce voyage, tel le Britannique Gavin Young. Un jour, un matelot
énorme que personne ne s’y est intéressé. Il faut croire que
ou un passager sur un porte-conteneurs larguent peut-être
et colonisation signifient échanges et lignes maritimes régu-
baloutche lui demande pourquoi il accomplit ce voyage diffi-
ce qui était exceptionnel dans le passé pourrait à l’avenir se
l’amarre en ce moment. Bon vent.
D
4
d’en avoir un peu plus…
Autour du monde en 80 navires
5
CHAPITRE 1
Gagner de l’or
et/ou des connaissances
Le marin qui aurait pu se targuer
successeurs vont s’engouffrer dans le
d’être le premier à tourner autour du
Ilmonde
semble
quepas
l’inventeur
du tour
nebien
connut
cette gloire.
Pacifique et le mouvement ne s’arrêtera
souvent
pressés
et partent
d’ouest
plus jusqu’à
l’ouverture
dutous
canal
de
du
monde meurt
en littérature,
Verne,il y
Magellan
en routeJules
en 1521,
se
soit
inspiré
des
voyages,
bien
réels,
a presque cinq siècles. Il a, au sens
doit
appareiller
pourque
un tour
du mondea
Panamá.
Le détroit
le Portugais
avec
à
son
bord
un
passager
prestifranchi avec tant de difficultés
est au-
du
premier
tour-du-mondiste
propre,
montré
une direction assumé,
qui n’a
l’Américain
Francissuivie,
Train. soit
Par
plus jamaisGeorge
cessé d’être
gieux,
Blaise
Cendrars.
éclate
jourd’hui
emprunté
parLa
desguerre
passagers
le
1er septembre.
tourpaquebots
du monde
curieux
embarquésPas
surdedes
la
suite, le héros
Phileas
directement,
soitvernien
par le cap
Horn.Fogg
Ses
a donné des idées aux journalistes et
pour
l’écrivain voyageur. Rêvons de ce
confortables.
que ce voyage et ce voyageur auraient
écrivains. Comme Phileas Fogg, ils sont
pu produire…
Magellan,
espérance du détroit enfin découvert, la famine dans le Pa-
Quant au royaume d’Espagne, il veut cacher les lourdes dis-
cifique, les traîtrises des populations insulaires, l’immense
sensions qui ont opposé le Portugais à ses capitaines espa-
Portugais renié par les siens
fatigue des survivants lorsqu’ils remontent l’Atlantique en
gnols. C’est Juan Sebastian de Elcano (1476-1526), ultime
craignant l’ennemi portugais. Aussi longtemps qu’il est à
capitaine de la Victoria qui hérite de la gloire. Les rancunes
la tête de l’expédition, le commandant portugais insufflera
ont la vie dure. Aujourd’hui encore, le nom de Magellan n’est
le courage, donnera l’exemple, se rationnera comme les
pas aussi célébré au Portugal que ne l’est celui de cet autre
autres.
Portugais, Vasco de Gama (1469-1524) qui découvrit la
On sait désormais pourquoi Magellan a obtenu du roi d’Es-
Le 6 septembre 1522, les rescapés touchent enfin l’Es-
route de l’Inde par le cap de Bonne Espérance. Sabrosa, une
pagne Carlos I, futur Charles Quint, la direction d’une flotte
pagne là où ils l’avaient quittée. Leurs commanditaires
petite commune du nord du Portugal assure que le naviga-
de cinq navires qui le conduirait par l’ouest vers « les Iles
sont ravis. La cargaison de vingt-six tonnes d’épices qui
teur est né dans ses murs mais la plaque de bronze qui orne
aux Epices ». Parce qu’il lui a assuré qu’il connaissait un
rentabilise la traversée, plus personne ne l’attendait. Le
sa maison natale présumée a été offerte par le Chili. Alors
passage alors qu’il n’en était rien. Il bluffait. Sujet et soldat
roi d’Espagne jubile. Il a joué un bon tour à son parent
que les Espagnols ont donné à l’un de leurs voiliers-écoles le
portugais, Ferñao de Magalhais (1480-1521) comme il
portugais et la gloire de la découverte retombe sur ses
nom de Juan Sebastian de Elcano, on cherchera en vain un
s’appelle alors avait été mortellement vexé par le peu de
marins. D’autres se satisfont des progrès scientifiques
navire portugais portant le nom de Magalhais.
reconnaissance du roi Manoel du Portugal pour ses faits
fondamentaux réalisés. La terre devient
d’armes en Orient et son manque d’intérêt pour son projet
un domaine désormais relativement bien
de découverte d’une nouvelle route vers les Moluques. Il
délimité, des relevés de côtes ont été
n’hésite donc pas à trahir son serment de fidélité au roi
faits même si le détroit de Magellan est
portugais pour réaliser son obsession. Son obsession pour
difficile à pratiquer. L’écrivain du bord,
le passage du sud est née dans l’observation des cartes et
Pigafetta, a été le premier à transcrire
les archives, dans des discussions avec Ruy Faleiro, ami,
chez les Patagons et dans le Pacifique
associé et astronome fumeux. Les Espagnols, eux, vont
des parlers étranges. C’est lui qui, à la
y croire.
fin du voyage, remarque la perte d’une
Magellan signera désormais Maghellanes, à l’espagnole,
dès qu’il convainc définitivement Charles Quint de l’inté-
À l’origine de l’expédition,
une blessure d’amour-propre. (DR)
8
Autour du monde en 80 navires
■
journée lorsque l’on tourne autour du
monde par l’ouest.
rêt du projet. Son expédition quitte Séville le 20 sep-
Le grand perdant de l’affaire s’appelle
tembre 1519 avec cinq navires et 265 hommes.
Magellan. Pour le Portugal, c’est un re-
Hormis la désertion du San Antonio, la seule
négat. Pour les Espagnols, il est mort, tué
Victoria reverra Séville avec 18 hommes
lors d’un combat inutile dans une petite
affamés à bord et sans Magellan. Le
île de l’actuel archipel des Philippines. Il
voyage va faire s’alterner les calmes plats,
l’ignorera toujours, mais sa femme et ses
les grands froids, la mutinerie, une dé-
enfants sont morts pendant son absence.
capitation de capitaine félon, la grande
Son testament ne sera en rien honoré.
Le détroit vu par le Flamand Joss de Hont en 1606. (DR)
Gagner de l’or et/ou des connaissances
9
pulations indienne et créole contre leurs maîtres espagnols.
ouest. Ensuite, il se rend vers les Indes occidentales, regagne
Il attaque un autre galion de Manille, le Nuestra Senora de
l’Amérique du Nord, s’embarque sur un autre navire pour la
Covadonga. Il n’appartient pas au genre « pirate » représenté
Guinée, passe au service des Hollandais à Sumatra et rentre
par Drake. Il écrit un livre où il note tout ce qui l’étonne.
en Angleterre en 1691, treize ans et quelques blessures
Exemple au large de Macao : « Un matin brûmeux, on vit
après l’avoir quittée. Son second voyage est plus officiel, com-
qu’on était entouré par au moins cinq mille petits sampans,
mandité par l’amirauté. Il doit explorer les parages des ac-
sur chacun desquels quatre ou cinq petits hommes à grands
tuelles Nouvelle-Guinée et Nouvelle-Bretagne. Ce qu’il fera en
chapeaux pêchaient à la ligne. On essaya de demander
deux ans seulement, mais en perdant une nouvelle fois son
Qui d’autres que des marins anglais pouvaient se lancer
la route à suivre pour aller à Macao à ceux qui flottaient à
navire. Lors de son troisième voyage autour du monde (1708-
avec rage sur les traces des Espagnols ? Le premier s’ap-
toucher la coque du navire, mais rien ne put leur faire lever
1711), il est réduit au rôle de pilote. Son navire s’empare de
pelle Drake. La passion de Francis Drake (1540-1595) ne
la tête. »
nouveau d’un galion espagnol trans-Pacifique.
le porte pas vers la cartographie, mais vers l’ouverture de
Anson tente aussi d’améliorer les conditions de navigation
D’autres Anglais vont visiter le monde d’une manière plus
coffres de doublons espagnols, de ceux que l’on trouve sur
(instruments de mesure, protection des coques). Enfin, il
pacifique.
le galion1 de Manille qui va des Philippines, colonie espa-
voit plus loin que le bout de ses canons lorsqu’il écrit : « De
gnole, à Panamá d’où le trésor traverse l’Atlantique. C’est
pareilles relations [de voyage] quand elles sont fidèlement
donc sur la côte ouest de l’Amérique que Drake se rend en
faites, peuvent puissamment contribuer à l’avancement
1577 à bord du Pelican. Une fois sa mission remplie, ses
de la navigation et du commerce, et par
propres coffres pleins, il sait qu’il est attendu par les Espa-
cela même au bien de la Nation car toute
gnols dans l’Atlantique. Il prend logiquement la direction
description exacte de côtes étrangères et
de l’ouest, via le Pacifique. Son tour du monde, achevé en
de Païs peu connus, servira à l’une ou à
1580, le premier réalisé par un Britannique, n’aura pas été
l’autre de ces importantes fins, à propor-
prémédité, mais le simple résultat d’une tactique. De retour
tion des richesses, des besoins, ou des
dans son pays, celui que l’historien britannique John Sug-
productions de ces Païs. » Rentré en An-
den qualifie d’ « arriviste sans vergogne » (pour d’autres,
gleterre, il rentre aussi dans le rang et de-
c’est un « individualiste entreprenant »), va connaître un
vient amiral de la flotte en fin de carrière.
accueil triomphal et fonder l’idée que l’océan appartient à
William Dampier (1652-1715) va battre
celui qui a le plus de canons et sait le mieux s’en servir.
un premier record du monde puisqu’il ac-
George Anson (1697-1762) entame sa carrière un peu plus
complit trois circumnavigations dont une,
tard que Drake mais suit son exemple. Il quitte son pays en
sur le Roebuck, sera un vrai voyage scien-
1739 avec une escadre de six navires, mais il ne lui en reste
tifique. Dampier est du genre systéma-
que trois une fois le Horn franchi et un seul, le Centurion,
tique. Lors de son premier voyage, il pille
lorsqu’il revient à Portsmouth en 1744, cinq ans plus tard.
les comptoirs espagnols sur la côte est de
Qu’a-t-il fait entre-temps ? Des broutilles. Il soulève les po-
l’Amérique du Sud, puis ceux de la côte
Des Britanniques amateurs de doublons espagnols :
Drake, Anson, Dampier
De haut en bas :
Drake, Anson, Dampier. (DR)
10
Autour du monde en 80 navires
■
1 Galion : de la mi-XVIe à la mi-XVIIe siècle, navire de haut-bord, de charge ou de guerre
qui succède aux caravelles et aux caraques.
Dampier : deux récits pour trois voyages. (DR)
Gagner de l’or et/ou des connaissances
11
Des Britanniques curieux de sciences :
Cook, Darwin
De haut en bas :
James Cook, Charles Darwin et le Beagle. (DR)
12
Autour du monde en 80 navires
de nouvelles terres, bien sûr, mais aussi l’amélioration des
seur2, littéralement mort d’ennui et de dépression lors d’une
techniques de navigation avec des montres plus précises, un
précédente expédition scientifique dans les environs de la
intérêt pour les moeurs et les langues des peuples rencontrés,
Terre de Feu sur le même navire. Le commandant Fitzroy
la lutte contre les maladies à bord notamment par la consom-
a eu une brillante idée. Le voyage est prévu pour deux ans
mation d’agrumes et l’exercice physique, un intérêt pas dénué
mais, lui et son passager ne le savent pas encore, il va du-
d’arrière-pensées économiques pour les végétaux collectionnés
rer cinq ans. Il faut croire que la coopération entre les deux
tout au long du trajet. On verra plus loin que Cook sert de
hommes est bonne puisque Darwin va passer la plus grande
James Cook (1728-1779) est le tout premier marin qui mène
modèle à ses successeurs. « Si nous remplissons les vues du
partie de son temps à terre, observant, mesurant, collectant
un véritable voyage d’exploration autour de la planète. Lorsqu’il
ministre, affirme La Pérouse une vingtaine d’années plus tard,
des spécimens, écrivant régulièrement aux scientifiques de
lance sa première expédition en 1768 à bord de l’Endeavour,
il est certain que ce voyage pourra être cité dans la postérité et
son pays, écrivant aussi pour lui-même. Il passe de la géo-
la guerre a cessé avec la France et l’Espagne. Pour les Espa-
nos noms surnager dans l’espace des siècles après ceux de
logie aux fossiles, des fossiles aux animaux. Il démarre ses
gnols, Drake n’est plus qu’un mauvais souvenir. En un peu
Cook et Magellan. » Comme Magellan, Cook n’est pas le plus
observations dès les îles du Cap-Vert, les poursuit en Terre de
moins de trois ans, ajoutant encablures sur encablures, Cook
violent des découvreurs, bien au contraire, mais il se fera tuer
Feu, séjourne aux Galapagos, étudie les rats-kangourous et
va faire progresser grandement la connaissance du Pacifique.
dans un combat qui aurait pu être évité. Comme Magellan,
les ornithorynques en Australie. Il n’oublie pas les hommes,
Il séjourne à Tahiti où les scientifiques embarqués pourront
Cook ne laissera aucune descendance.
qu’il s’agisse des Maoris ou des aborigènes d’Australie. Il
observer le transit de Vénus, l’un des objectifs du voyage.
Tout le monde se souvient de la Bounty, gabare 1 à
observe les Fuégiens qui n’ont jamais quitté la Terre de Feu
L’expédition découvre ensuite plusieurs îles polynésiennes, re-
l’équipage mutiné au coeur du Pacifique. C’est un élève de
et compare leur comportement à celui des Fuégiens qui ont
connaît les côtes de Nouvelle-Zélande, explore la côte orientale
Cook, William Bligh, qui la commandait et William Bligh a
vécu en Angleterre et que le Beagle ramène chez eux. Le
de l’Australie. Lors de son deuxième voyage entamé en 1772,
pour mission fin 1787 de charger à Tahiti des arbres à pain
nombre et l’étrangeté des animaux qu’il observe l’amènent
il descend jusqu’à la banquise, région encore très mal connue,
à destination des Antilles britanniques où les fruits de ces
à réfléchir à l’origine des espèces et échafauder une théorie
avec deux navires, Resolution et Adventure. Ayant dépassé le
arbres seront consommés par les esclaves des plantations.
de l’évolution qu’il va consolider tout au long de sa vie. Son
70° de latitude sud, il constate que ce nouveau continent est
Pour cause de mutinerie, cette mission autour du monde ne
unique voyage sur le Beagle et les observations qu’il tire de sa
vide de toute humanité puis, remontant vers le nord, re-dé-
se fait pas. Mais elle se fera finalement en 1792 sur la route
circumnavigation lui suffiront pour alimenter ses théories et
couvre les Marquises, découvre les Nouvelles-Hébrides et la
prévue en 1787. Sans incident, sinon que les esclaves n’ac-
ses doutes sur l’immuabilité des espèces. Le premier résultat
Nouvelle Calédonie avant de rentrer en Angleterre en 1775.
cepteront jamais de manger les fruits de l’arbre à pain…
du voyage du Beagle est l’accueil triomphal fait à Darwin et
Après s’être rendu très au sud, il lui reste à découvrir le nord et
Personne ne se souvient du capitaine Robert Fitzroy (1805-
Fitzroy lorsqu’ils rentrent à Falmouth le 2 octobre 1836.
particulièrement le fameux – parce qu’introuvable - passage du
1865), commandant du Beagle, mais tout le monde a en-
Les Français ne vont pas faire preuve d’une même préco-
Nord-Ouest, le pendant septentrional du cap Horn. Il repart en
tendu parler de son plus célèbre passager, Charles Darwin
cité à découvrir la planète mer.
1776 à bord de Resolution accompagnée du Discovery. Cette
(1809-1882). À vrai dire, le naturaliste n’est pas encore cé-
fois, c’est au 70° de latitude nord qu’il s’attaque. En vain.
lèbre le 27 décembre 1831 lorsqu’il embarque sur le Bea-
Lors de son retour, il est tué sur l’une des îles Hawaï par les
gle. D’ailleurs, il n’est même pas naturaliste, il est étudiant
indigènes. L’apport de Cook et de ceux qui l’ont accompagné
en théologie. Le capitaine Fitzroy a embarqué un passager
touche un très grand nombre de domaines : la reconnaissance
cultivé pour tenter d’échapper au destin de son prédéces-
■
1 Gabare : navire de charge, lent, mais doté d’un volume de cales important, similaire
aux flûtes.
2 Pringle Stokes, chargé d’une mission hydrographique, est sans doute dépassé par sa
tâche. Il déprime, s’enferme deux semaines dans sa cabine et finit par se tirer une balle
dans la tête. Il est enterré à Port-Famine.
Gagner de l’or et/ou des connaissances
13
1711-1840 :
mains et nullement encore pervertis par la société ». Pour la
pour maintenir des prix élevés (en brûlant les surplus de
le tour (du monde) des Français
petite histoire, Philibert Commerson a embarqué avec lui sa
marchandises…).
compagne, Jeanne Barret (1740-1807), déguisée en valet.
Après une dernière escale à Port-Louis (actuelle île Mau-
Elle sera la première française à effectuer une circumnavi-
rice) et au Cap, les deux navires rejoignent la France où
gation.
ils touchent Saint-Malo le 16 mars 1769 après deux ans et
L’expédition de Bougainville s’appuie sur la frégate1 La Bou-
“ Déjà des perspectives
de commerce
avec la Chine…
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Autour du monde en 80 navires
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quatre mois de voyage. Si le bilan humain est positif (seule-
Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) est considéré
deuse et sur la flûte L’Etoile. Elle quitte Nantes le 15 no-
ment sept morts pour 220 marins, alors que les stocks de
comme le premier circumnavigateur français. À tort. Il a
vembre 1766 et espionne un peu au Brésil avant de fran-
vivres étaient insuffisants), le bilan économique l’est moins.
été précédé entre 1711 et 1719 par des commerçants ma-
chir le détroit de Magellan. Là, Bougainville se rend compte
Aucun continent austral n’a été découvert, les escales ont
louins. Comme on le verra plus loin, ils ont franchi le cap
que les récits de Pigafetta (voir plus haut) sur la taille des
été tellement courtes qu’elles n’ont pas permis de recon-
Horn pour s’intéresser de plus près aux produits chinois et
Patagons sont pure invention. Naviguant dans le Pacifique,
naître la véritable valeur des terres touchées et de la Chine,
rentrer par l’ouest. Il est d’ailleurs intéressant de constater
l’expédition - pour cause de vents contraires - ne peut
il n’est plus question… Bougainville, par contre, a fait ce
qu’en 1763, quarante ans après le voyage de ces Bretons
suivre les instructions lui demandant d’atteindre le 40° de
qui ne lui était pas demandé : étudier et décrire les popula-
en Chine, ce sont de nouveau des armateurs malouins,
latitude Sud. Elle remonte vers le nord-ouest et stationne à
tions rencontrées, préparer le terrain pour ses successeurs.
qui aideront Bougainville à fonder une éphémère colonie
Tahiti que Bougainville baptise Nouvelle-Cythère. Lyrisme et
Son récit, une fois imprimé, connaît un énorme succès pu-
aux îles Malouines/Malvinas et aujourd’hui Falklands. Il
enthousiasme sont au rendez-vous, de la cale à la dunette.
blic. Aujourd’hui, l’état d’esprit de Bougainville, ami des Lu-
faut attendre 1766 pour qu’un roi de France fournisse à un
Un peu plus tard, il apprendra d’un Tahitien, embarqué
mières, n’est pas mort. Un chef d’expédition contemporain,
navigateur les moyens qui lui permettront de se rendre vers
volontairement à son bord, l’usage des sacrifices humains.
Patrice Franceschi, revendique en tout cas son héritage et
l’Empire du Milieu et de reconnaître, au nom de la France,
Suivent des escales aux Samoa, la reconnaissance des îles
son approche du monde. Plus concrètement, il a donné à
« quelque île à portée de côte de Chine qui puisse servir
Aoba (îles des Lépreux) et un naufrage évité de justesse sur
ses navires successifs le nom de La Boudeuse.
d’entrepôt à la Compagnie des Indes pour un commerce
la grande barrière de Corail. Faisant route au nord, il dé-
Alors que Bougainville a pris lui-même l’initiative de son
avec la Chine ». Il est aussi question de découvrir « des
couvre les îles Salomon et se livre à une bataille navale qu’il
voyage financé par des négociants, c’est Louis XVI qui choisit
métaux riches et les épiceries ».
remporte. Dans l’une des pirogues prises aux « Indiens »,
le comte de La Pérouse (1741-1788) pour mener à bien une
Bougainville n’est pas seulement un marin, c’est un in-
l’équipage découvre une mâchoire d’homme à demi grillée.
expédition visant à réussir là où James Cook a échoué, soit la
tellectuel inspiré par les philosophes de son temps. Lors-
Aux Moluques, il constate les rivalités commerciales entre
découverte du passage du Nord-Ouest et, bien sûr, l’ouverture
qu’il atteint Tahiti, il est subjugué par l’accueil qu’il reçoit,
Anglais et Hollandais, déjà, alors que lui-même est bien
de nouvelles routes dûment enregistrées dans les livres de
conforme au mythe du « bon sauvage » développé par
reçu par ces derniers. Le monopole des Hollandais sur
bord et aussi la création de comptoirs commerciaux. Il n’est
Jean-Jacques Rousseau. Un peu plus loin, et c’est bien
certaines épices est sur le déclin. Les Anglais ont réussi à
désormais plus question de Chine. Sans que cela soit claire-
dommage, il ne pourra que constater - avec regret - l’agres-
se procurer des plants et à les ramener dans leurs propres
ment dit, c’est aussi une façon de compléter le travail de Bou-
sivité des tribus de la Nouvelle-Bretagne. Commerson, l’un
colonies. Les Français y parviendront eux aussi par la suite.
gainville et peut-être de dépasser celui de Cook. Est-ce l’esprit
des savants qui l’accompagnent, est décrit par l’historien
L’expédition fera encore escale à Batavia (aujourd’hui Ja-
contemporain Étienne Taillemitte comme un « Rousseauiste
karta) où les Français observent l’immense talent des Hol-
fanatique », partant à la recherche « d’hommes bons, hu-
landais dans le commerce et leurs méthodes originales
1 Frégate : navire de moyen tonnage, rapide, à un pont.
2 Flûte : navire de charge proche des gabares.
Gagner de l’or et/ou des connaissances
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