du en n UN GUIDE INITIATTIQ QUE PO OUR LES CANDIDA ATS AU VOYAGE Louis BAUMARD Illustrations de François Denis « En voyage, vous perdez vos convictions aussi facilement que vos lunettes, mais il est plus difficile de les remplacer. » Aldous Huxley Gagner de l’or et/ou des connaissances 1 ommair mm r SOMMAIRE CChapitre 1 .............................................................................. 6 Ga Gagner G de l’or et/ou des connaissances et Magellan, Portugais renié par les siens .................................. 8 Ma De Britanniques amateurs de doublons espagnols : Des Drake, Anson, Dampier ....................................................... 10 Dra Chapitre 4 ............................................................................ 64 Chapitre 7 ......................................................................... 114 Apprendre la mer en circumnaviguant Quand les journalistes racontent… Chapitre 11 .......................................................................... 158 Un “ chez-soi ” qui flotte Jeanne-d’Arc : « Engagez-vous dans la Marine 1948-1950 : Jacques Chegaray, Le World of ResidenSea, premier du genre ........................ 160 pour voyager… » ................................................................. 66 portraitiste de la France coloniale ...................................... 116 Utopia : investisseurs de tous les pays… ........................... 162 « Elcano » : à chacun son héros .......................................... 68 2007 : Thalassa illustre la globalisation des échanges ........ 120 « Yachts d’exploration » pour individualistes discrets ......... 164 Le Sagrès ou comment entretenir la saudade ...................... 70 Des « trawlers » qui ne vont pas à la pêche ....................... 166 D’autres navires, d’autres élèves… ...................................... 72 Des Britanniques curieux de sciences : Cook, Darwin .......... 12 1711-1840 : le tour (du monde) des Français ..................... 14 17 171 D’autres découvreurs venus d’ailleurs .................................. 20 Da D’a Chapitre 2 ............................................................................ 22 Rêver les pieds sur mer Rê Chapitre 5 ............................................................................ 76 Défendre ses idées et des intérêts La Grande Flotte blanche : diplomatie musclée autour du monde .................................. 78 Polonez ou la diplomatie par vents calmes ........................... 82 Immatriculé « EUR » : Traité-de-Rome pousse l’Europe Joshua Slocum qui a montré le cap ..................................... 24 Jos Alain Gerbault, héros, yachtman, croisé ............................... 28 Ala Chapitre 8 .......................................................................... 124 Quand les passagers écrivent… 2000 : Michel Goeldlin « vaut » 143 tonnes de coprah ...... 130 2003 : Emmelene Landon écrit et peint dans « la cabine de Suez » .......................................................................... 132 Jacques-Yves Le Toumelin : « Mon bateau et moi… » .......... 34 Jac pour s’amuser ..................................................................... 88 Sir Francis Chichester, héros national .................................. 36 Global Mariner : la cause du peuple (maritime) ................... 90 Pour Bernard Moitessier, Papeete vaut mieux que Plymouth .... 42 Pou L’Ady Gil, heure de gloire et dernière heure simultanées ...... 92 d’autres qui ne cherchent pas à être connus ... 46 Et beaucoup b Tournée rock’n’roll sur le Sedov ........................................... 94 CChapitre 3 ............................................................................ 54 Co Courses au large Conquérants de l’inutile ” ? “C Une représentation particulière du voyage maritime ............. 56 Un ............................................................................ 96 Quand les écrivains embarquent… 1926 : Aldous Huxley, intellectuel intraitable ........................ 98 La Boudeuse, de campagnes scientifiques en campagnes de financement ................................................................. 172 Stad Amsterdam sur les traces de Darwin (2009-2010) ..... 176 Chapitre 9 .......................................................................... 134 Embarquer du fret Une priorité : les marchandises ......................................... 136 un moteur ? David Scott Cowper ! ............................ 52 Et avec a Chapitre 6 Alcyone : le tour le plus long .............................................. 170 Glory-of-the-Sea en passant par les pôles (2009-2010) ...... 174 Antoine du pacifisme au Pacifique ..................................... 86 Peace Boat/Pisu Boto : la croisière n’est pas là Vers une union sacrée des marins et des chercheurs 1870 : Train tournera trois fois ........................................... 126 loin de Bruxelles ................................................................. 84 Louis Bernicot, l’homme tranquille ...................................... 32 Lou Chapitre 12 .......................................................................... 168 Chapitre 10 .......................................................................... 146 Embarquer autour du monde aujourd’hui Türanor PlanetSolar, premier solaire autour du monde (2011-2012) ..................................................................... 178 Chapitre 13 .......................................................................... 180 En guise de conclusion, les conseils d’un ancien Index des navires cités ...................................................... 185 Des pistes pour embarquer à son tour 1936 : Cocteau, double inattendu de Phileas Fogg ............ 102 1979 : Gavin Young à la recherche du « passé visitable » .... 106 Sur un paquebot : la croisière ultime ................................. 148 Des livres .......................................................................... 188 1988 : Michael Palin : « Je repartirais bien faire un tour » ..... 110 Passager sur un navire de charge ...................................... 152 Des sites internet .............................................................. 190 Terre mer ? “ Le désir universel Tour de la ou tour de la ” es voiliers à l’étrave effilée mais aussi de lières. On parle d’expéditions nautiques - et ce jusqu’à au- cile en passant d’une mer à l’autre, en sautant d’un navire à révéler vain aux yeux d’une opinion publique de plus en plus lourds porte-conteneurs franchissant de jourd’hui - sans que cela ait un caractère militaire. La science l’autre. Le journaliste lui répond : « Pour voir le monde, pour raisonnable et blasée. Faire le tour de la France à bicyclette, justesse les écluses du canal de Panamá, et la découverte ont aussi leur mot à dire accompagnées, c’est rencontrer des gens différents de mes compatriotes, pour à pied et en kayak, en suivant rigoureusement les frontières, des marins qui ne pensent qu’à l’or et aux un aspect encore peu connu de la navigation au long cours, rencontrer des gens comme toi. » D’autres enfin, qui ne sont à un mètre près, comme l’a fait Lionel Daudet en 2011-2012, épices et des tour-istes – c’est le cas de le par la diplomatie et l’espionnage. Au XXe siècle, des solitaires pas davantage marins, embarquent comme passagers. Ils pourrait être à l’avenir le nouveau type d’exploit à battre. dire – en quête de dépaysement. Au fil des siècles, la moti- prennent le relais des États mais sans les mêmes arrière-pen- partagent avec le romancier Graham Greene « le désir univer- On notera aussi que personne ou presque n’est intéressé vation de ceux qui tournent autour du monde sur un navire sées. Et quels solitaires ! Fous de mer, de solitude, de décou- sel d’en avoir un petit peu plus avant d’être vaincu par l’âge et par la route des pôles, parfaitement imprévisible pour a bien changé. vertes sur des voiliers qu’ils ont parfois construits eux-même. l’absolue certitude de la mort ». Olivier de Kersauson, marin, cause de météo ou d’autorisations administratives don- Il est frappant de constater que les pays qui ont les premiers Leur espèce s’est éteinte. Elle est remplacée par des navires dit à peu près la même chose dans son livre Ocean Song : nées chichement. C’est, enfin, pour ceux qui peuvent se envoyé des expéditions maritimes sur les sept mers, l’Es- de course dont le seul objectif est de battre un record tant « Ne pas quitter ce monde sans lui avoir rendu la politesse », payer le passage sur un paquebot, faire revivre les mythes. pagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la France, ont aussi été l’idée de tour du monde, encore plus aujourd’hui qu’au temps avant d’ajouter joliment : « Un tour du monde, c’est un cours On navigue aujourd’hui grâce à Cunard, Hapag Lloyd et les premiers à projeter l’influence de l’Europe hors de ses fron- de La Pérouse, consiste à marquer les esprits. Une circumna- magistral de géographie… Partir d’un point pour y revenir. Il y Fred Olsen « sur les traces de Magellan », « dans le sillage tières naturelles. Comme le furent en d’autres temps la route vigation comme le kilomètre, est aujourd’hui devenu une me- a quelque chose de parfait, d’achevé, de rond. » de Darwin » et, inévitablement, « dans les pas de Phileas du cuivre des Phéniciens vers l’Europe du Nord ou la route de sure de distance et un test pour les hommes et le matériel… Naviguer autour du monde ou « partir loin » ? Promouvoir Fogg », sans parler de « la route des clippers ». Le texte qui la soie vers l’Asie, les Européens ont donné l’élan, siècle après Initiatique, un tour du monde l’est à plus forte raison pour une banque auprès des albatros (idée dérisoire et finalement suit n’a pas de prétention à l’exhaustivité, au recensement siècle. Du moins, on peut le penser. Leurs navires, ceux qui un apprenti marin. Les nations qui en ont encore les moyens sympathique), apprendre le métier de marin, battre un record systématique, loin s’en faut. Les sous-marins circumnaviga- n’ont pas fait naufrage, ont été les premiers jalons de la colo- organisent ce voyage d’une vie pour leurs futurs officiers. Ins- de vitesse, gagner de l’argent, contribuer à une meilleure teurs sont volontairement omis et nous les laissons dans les nisation et de la mondialisation des échanges. Et puis, beau- pirés par les marins humanistes du XVIIIe siècle et par le mau- connaissance de la biodiversité. C’est tout cela en même secrets de leurs profondeurs. coup plus tard, est venue l’idée de l’exploit nautique et sportif. vais état de la planète, des scientifiques remettent sacs et mi- temps ou successivement. C’est accomplir le plus long voyage Ce livre tente simplement de rappeler qui s’est engagé dans Au départ, il y a quelques siècles de cela, l’esprit des marins croscopes à bord et se rendent dans les lieux les plus isolés. sans repasser au même endroit. Dans les années quatre- l’aventure, puisque dans tous les cas c’est une aventure, et de leurs commanditaires s’échauffe à l’idée de l’or et des Ne pas oublier les écrivains et journalistes, pas forcément des vingt, l’Australien Jon Sanders accomplit trois tours du monde pourquoi et comment. Il est dédié à ceux qui ont très envie épices. Puis c’est l’établissement des cartes, parfois leurs marins, mais des curieux qui veulent eux aussi expérimenter d’affilée en solitaire et sans escale. Son exploit était tellement d’embarquer et qui vont le faire ! Une famille sur son voilier vols, et une découverte de plus en plus lointaine. Découverte ce voyage, tel le Britannique Gavin Young. Un jour, un matelot énorme que personne ne s’y est intéressé. Il faut croire que ou un passager sur un porte-conteneurs larguent peut-être et colonisation signifient échanges et lignes maritimes régu- baloutche lui demande pourquoi il accomplit ce voyage diffi- ce qui était exceptionnel dans le passé pourrait à l’avenir se l’amarre en ce moment. Bon vent. D 4 d’en avoir un peu plus… Autour du monde en 80 navires 5 CHAPITRE 1 Gagner de l’or et/ou des connaissances Le marin qui aurait pu se targuer successeurs vont s’engouffrer dans le d’être le premier à tourner autour du Ilmonde semble quepas l’inventeur du tour nebien connut cette gloire. Pacifique et le mouvement ne s’arrêtera souvent pressés et partent d’ouest plus jusqu’à l’ouverture dutous canal de du monde meurt en littérature, Verne,il y Magellan en routeJules en 1521, se soit inspiré des voyages, bien réels, a presque cinq siècles. Il a, au sens doit appareiller pourque un tour du mondea Panamá. Le détroit le Portugais avec à son bord un passager prestifranchi avec tant de difficultés est au- du premier tour-du-mondiste propre, montré une direction assumé, qui n’a l’Américain Francissuivie, Train. soit Par plus jamaisGeorge cessé d’être gieux, Blaise Cendrars. éclate jourd’hui emprunté parLa desguerre passagers le 1er septembre. tourpaquebots du monde curieux embarquésPas surdedes la suite, le héros Phileas directement, soitvernien par le cap Horn.Fogg Ses a donné des idées aux journalistes et pour l’écrivain voyageur. Rêvons de ce confortables. que ce voyage et ce voyageur auraient écrivains. Comme Phileas Fogg, ils sont pu produire… Magellan, espérance du détroit enfin découvert, la famine dans le Pa- Quant au royaume d’Espagne, il veut cacher les lourdes dis- cifique, les traîtrises des populations insulaires, l’immense sensions qui ont opposé le Portugais à ses capitaines espa- Portugais renié par les siens fatigue des survivants lorsqu’ils remontent l’Atlantique en gnols. C’est Juan Sebastian de Elcano (1476-1526), ultime craignant l’ennemi portugais. Aussi longtemps qu’il est à capitaine de la Victoria qui hérite de la gloire. Les rancunes la tête de l’expédition, le commandant portugais insufflera ont la vie dure. Aujourd’hui encore, le nom de Magellan n’est le courage, donnera l’exemple, se rationnera comme les pas aussi célébré au Portugal que ne l’est celui de cet autre autres. Portugais, Vasco de Gama (1469-1524) qui découvrit la On sait désormais pourquoi Magellan a obtenu du roi d’Es- Le 6 septembre 1522, les rescapés touchent enfin l’Es- route de l’Inde par le cap de Bonne Espérance. Sabrosa, une pagne Carlos I, futur Charles Quint, la direction d’une flotte pagne là où ils l’avaient quittée. Leurs commanditaires petite commune du nord du Portugal assure que le naviga- de cinq navires qui le conduirait par l’ouest vers « les Iles sont ravis. La cargaison de vingt-six tonnes d’épices qui teur est né dans ses murs mais la plaque de bronze qui orne aux Epices ». Parce qu’il lui a assuré qu’il connaissait un rentabilise la traversée, plus personne ne l’attendait. Le sa maison natale présumée a été offerte par le Chili. Alors passage alors qu’il n’en était rien. Il bluffait. Sujet et soldat roi d’Espagne jubile. Il a joué un bon tour à son parent que les Espagnols ont donné à l’un de leurs voiliers-écoles le portugais, Ferñao de Magalhais (1480-1521) comme il portugais et la gloire de la découverte retombe sur ses nom de Juan Sebastian de Elcano, on cherchera en vain un s’appelle alors avait été mortellement vexé par le peu de marins. D’autres se satisfont des progrès scientifiques navire portugais portant le nom de Magalhais. reconnaissance du roi Manoel du Portugal pour ses faits fondamentaux réalisés. La terre devient d’armes en Orient et son manque d’intérêt pour son projet un domaine désormais relativement bien de découverte d’une nouvelle route vers les Moluques. Il délimité, des relevés de côtes ont été n’hésite donc pas à trahir son serment de fidélité au roi faits même si le détroit de Magellan est portugais pour réaliser son obsession. Son obsession pour difficile à pratiquer. L’écrivain du bord, le passage du sud est née dans l’observation des cartes et Pigafetta, a été le premier à transcrire les archives, dans des discussions avec Ruy Faleiro, ami, chez les Patagons et dans le Pacifique associé et astronome fumeux. Les Espagnols, eux, vont des parlers étranges. C’est lui qui, à la y croire. fin du voyage, remarque la perte d’une Magellan signera désormais Maghellanes, à l’espagnole, dès qu’il convainc définitivement Charles Quint de l’inté- À l’origine de l’expédition, une blessure d’amour-propre. (DR) 8 Autour du monde en 80 navires ■ journée lorsque l’on tourne autour du monde par l’ouest. rêt du projet. Son expédition quitte Séville le 20 sep- Le grand perdant de l’affaire s’appelle tembre 1519 avec cinq navires et 265 hommes. Magellan. Pour le Portugal, c’est un re- Hormis la désertion du San Antonio, la seule négat. Pour les Espagnols, il est mort, tué Victoria reverra Séville avec 18 hommes lors d’un combat inutile dans une petite affamés à bord et sans Magellan. Le île de l’actuel archipel des Philippines. Il voyage va faire s’alterner les calmes plats, l’ignorera toujours, mais sa femme et ses les grands froids, la mutinerie, une dé- enfants sont morts pendant son absence. capitation de capitaine félon, la grande Son testament ne sera en rien honoré. Le détroit vu par le Flamand Joss de Hont en 1606. (DR) Gagner de l’or et/ou des connaissances 9 pulations indienne et créole contre leurs maîtres espagnols. ouest. Ensuite, il se rend vers les Indes occidentales, regagne Il attaque un autre galion de Manille, le Nuestra Senora de l’Amérique du Nord, s’embarque sur un autre navire pour la Covadonga. Il n’appartient pas au genre « pirate » représenté Guinée, passe au service des Hollandais à Sumatra et rentre par Drake. Il écrit un livre où il note tout ce qui l’étonne. en Angleterre en 1691, treize ans et quelques blessures Exemple au large de Macao : « Un matin brûmeux, on vit après l’avoir quittée. Son second voyage est plus officiel, com- qu’on était entouré par au moins cinq mille petits sampans, mandité par l’amirauté. Il doit explorer les parages des ac- sur chacun desquels quatre ou cinq petits hommes à grands tuelles Nouvelle-Guinée et Nouvelle-Bretagne. Ce qu’il fera en chapeaux pêchaient à la ligne. On essaya de demander deux ans seulement, mais en perdant une nouvelle fois son Qui d’autres que des marins anglais pouvaient se lancer la route à suivre pour aller à Macao à ceux qui flottaient à navire. Lors de son troisième voyage autour du monde (1708- avec rage sur les traces des Espagnols ? Le premier s’ap- toucher la coque du navire, mais rien ne put leur faire lever 1711), il est réduit au rôle de pilote. Son navire s’empare de pelle Drake. La passion de Francis Drake (1540-1595) ne la tête. » nouveau d’un galion espagnol trans-Pacifique. le porte pas vers la cartographie, mais vers l’ouverture de Anson tente aussi d’améliorer les conditions de navigation D’autres Anglais vont visiter le monde d’une manière plus coffres de doublons espagnols, de ceux que l’on trouve sur (instruments de mesure, protection des coques). Enfin, il pacifique. le galion1 de Manille qui va des Philippines, colonie espa- voit plus loin que le bout de ses canons lorsqu’il écrit : « De gnole, à Panamá d’où le trésor traverse l’Atlantique. C’est pareilles relations [de voyage] quand elles sont fidèlement donc sur la côte ouest de l’Amérique que Drake se rend en faites, peuvent puissamment contribuer à l’avancement 1577 à bord du Pelican. Une fois sa mission remplie, ses de la navigation et du commerce, et par propres coffres pleins, il sait qu’il est attendu par les Espa- cela même au bien de la Nation car toute gnols dans l’Atlantique. Il prend logiquement la direction description exacte de côtes étrangères et de l’ouest, via le Pacifique. Son tour du monde, achevé en de Païs peu connus, servira à l’une ou à 1580, le premier réalisé par un Britannique, n’aura pas été l’autre de ces importantes fins, à propor- prémédité, mais le simple résultat d’une tactique. De retour tion des richesses, des besoins, ou des dans son pays, celui que l’historien britannique John Sug- productions de ces Païs. » Rentré en An- den qualifie d’ « arriviste sans vergogne » (pour d’autres, gleterre, il rentre aussi dans le rang et de- c’est un « individualiste entreprenant »), va connaître un vient amiral de la flotte en fin de carrière. accueil triomphal et fonder l’idée que l’océan appartient à William Dampier (1652-1715) va battre celui qui a le plus de canons et sait le mieux s’en servir. un premier record du monde puisqu’il ac- George Anson (1697-1762) entame sa carrière un peu plus complit trois circumnavigations dont une, tard que Drake mais suit son exemple. Il quitte son pays en sur le Roebuck, sera un vrai voyage scien- 1739 avec une escadre de six navires, mais il ne lui en reste tifique. Dampier est du genre systéma- que trois une fois le Horn franchi et un seul, le Centurion, tique. Lors de son premier voyage, il pille lorsqu’il revient à Portsmouth en 1744, cinq ans plus tard. les comptoirs espagnols sur la côte est de Qu’a-t-il fait entre-temps ? Des broutilles. Il soulève les po- l’Amérique du Sud, puis ceux de la côte Des Britanniques amateurs de doublons espagnols : Drake, Anson, Dampier De haut en bas : Drake, Anson, Dampier. (DR) 10 Autour du monde en 80 navires ■ 1 Galion : de la mi-XVIe à la mi-XVIIe siècle, navire de haut-bord, de charge ou de guerre qui succède aux caravelles et aux caraques. Dampier : deux récits pour trois voyages. (DR) Gagner de l’or et/ou des connaissances 11 Des Britanniques curieux de sciences : Cook, Darwin De haut en bas : James Cook, Charles Darwin et le Beagle. (DR) 12 Autour du monde en 80 navires de nouvelles terres, bien sûr, mais aussi l’amélioration des seur2, littéralement mort d’ennui et de dépression lors d’une techniques de navigation avec des montres plus précises, un précédente expédition scientifique dans les environs de la intérêt pour les moeurs et les langues des peuples rencontrés, Terre de Feu sur le même navire. Le commandant Fitzroy la lutte contre les maladies à bord notamment par la consom- a eu une brillante idée. Le voyage est prévu pour deux ans mation d’agrumes et l’exercice physique, un intérêt pas dénué mais, lui et son passager ne le savent pas encore, il va du- d’arrière-pensées économiques pour les végétaux collectionnés rer cinq ans. Il faut croire que la coopération entre les deux tout au long du trajet. On verra plus loin que Cook sert de hommes est bonne puisque Darwin va passer la plus grande James Cook (1728-1779) est le tout premier marin qui mène modèle à ses successeurs. « Si nous remplissons les vues du partie de son temps à terre, observant, mesurant, collectant un véritable voyage d’exploration autour de la planète. Lorsqu’il ministre, affirme La Pérouse une vingtaine d’années plus tard, des spécimens, écrivant régulièrement aux scientifiques de lance sa première expédition en 1768 à bord de l’Endeavour, il est certain que ce voyage pourra être cité dans la postérité et son pays, écrivant aussi pour lui-même. Il passe de la géo- la guerre a cessé avec la France et l’Espagne. Pour les Espa- nos noms surnager dans l’espace des siècles après ceux de logie aux fossiles, des fossiles aux animaux. Il démarre ses gnols, Drake n’est plus qu’un mauvais souvenir. En un peu Cook et Magellan. » Comme Magellan, Cook n’est pas le plus observations dès les îles du Cap-Vert, les poursuit en Terre de moins de trois ans, ajoutant encablures sur encablures, Cook violent des découvreurs, bien au contraire, mais il se fera tuer Feu, séjourne aux Galapagos, étudie les rats-kangourous et va faire progresser grandement la connaissance du Pacifique. dans un combat qui aurait pu être évité. Comme Magellan, les ornithorynques en Australie. Il n’oublie pas les hommes, Il séjourne à Tahiti où les scientifiques embarqués pourront Cook ne laissera aucune descendance. qu’il s’agisse des Maoris ou des aborigènes d’Australie. Il observer le transit de Vénus, l’un des objectifs du voyage. Tout le monde se souvient de la Bounty, gabare 1 à observe les Fuégiens qui n’ont jamais quitté la Terre de Feu L’expédition découvre ensuite plusieurs îles polynésiennes, re- l’équipage mutiné au coeur du Pacifique. C’est un élève de et compare leur comportement à celui des Fuégiens qui ont connaît les côtes de Nouvelle-Zélande, explore la côte orientale Cook, William Bligh, qui la commandait et William Bligh a vécu en Angleterre et que le Beagle ramène chez eux. Le de l’Australie. Lors de son deuxième voyage entamé en 1772, pour mission fin 1787 de charger à Tahiti des arbres à pain nombre et l’étrangeté des animaux qu’il observe l’amènent il descend jusqu’à la banquise, région encore très mal connue, à destination des Antilles britanniques où les fruits de ces à réfléchir à l’origine des espèces et échafauder une théorie avec deux navires, Resolution et Adventure. Ayant dépassé le arbres seront consommés par les esclaves des plantations. de l’évolution qu’il va consolider tout au long de sa vie. Son 70° de latitude sud, il constate que ce nouveau continent est Pour cause de mutinerie, cette mission autour du monde ne unique voyage sur le Beagle et les observations qu’il tire de sa vide de toute humanité puis, remontant vers le nord, re-dé- se fait pas. Mais elle se fera finalement en 1792 sur la route circumnavigation lui suffiront pour alimenter ses théories et couvre les Marquises, découvre les Nouvelles-Hébrides et la prévue en 1787. Sans incident, sinon que les esclaves n’ac- ses doutes sur l’immuabilité des espèces. Le premier résultat Nouvelle Calédonie avant de rentrer en Angleterre en 1775. cepteront jamais de manger les fruits de l’arbre à pain… du voyage du Beagle est l’accueil triomphal fait à Darwin et Après s’être rendu très au sud, il lui reste à découvrir le nord et Personne ne se souvient du capitaine Robert Fitzroy (1805- Fitzroy lorsqu’ils rentrent à Falmouth le 2 octobre 1836. particulièrement le fameux – parce qu’introuvable - passage du 1865), commandant du Beagle, mais tout le monde a en- Les Français ne vont pas faire preuve d’une même préco- Nord-Ouest, le pendant septentrional du cap Horn. Il repart en tendu parler de son plus célèbre passager, Charles Darwin cité à découvrir la planète mer. 1776 à bord de Resolution accompagnée du Discovery. Cette (1809-1882). À vrai dire, le naturaliste n’est pas encore cé- fois, c’est au 70° de latitude nord qu’il s’attaque. En vain. lèbre le 27 décembre 1831 lorsqu’il embarque sur le Bea- Lors de son retour, il est tué sur l’une des îles Hawaï par les gle. D’ailleurs, il n’est même pas naturaliste, il est étudiant indigènes. L’apport de Cook et de ceux qui l’ont accompagné en théologie. Le capitaine Fitzroy a embarqué un passager touche un très grand nombre de domaines : la reconnaissance cultivé pour tenter d’échapper au destin de son prédéces- ■ 1 Gabare : navire de charge, lent, mais doté d’un volume de cales important, similaire aux flûtes. 2 Pringle Stokes, chargé d’une mission hydrographique, est sans doute dépassé par sa tâche. Il déprime, s’enferme deux semaines dans sa cabine et finit par se tirer une balle dans la tête. Il est enterré à Port-Famine. Gagner de l’or et/ou des connaissances 13 1711-1840 : mains et nullement encore pervertis par la société ». Pour la pour maintenir des prix élevés (en brûlant les surplus de le tour (du monde) des Français petite histoire, Philibert Commerson a embarqué avec lui sa marchandises…). compagne, Jeanne Barret (1740-1807), déguisée en valet. Après une dernière escale à Port-Louis (actuelle île Mau- Elle sera la première française à effectuer une circumnavi- rice) et au Cap, les deux navires rejoignent la France où gation. ils touchent Saint-Malo le 16 mars 1769 après deux ans et L’expédition de Bougainville s’appuie sur la frégate1 La Bou- “ Déjà des perspectives de commerce avec la Chine… 14 Autour du monde en 80 navires ” 2 quatre mois de voyage. Si le bilan humain est positif (seule- Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) est considéré deuse et sur la flûte L’Etoile. Elle quitte Nantes le 15 no- ment sept morts pour 220 marins, alors que les stocks de comme le premier circumnavigateur français. À tort. Il a vembre 1766 et espionne un peu au Brésil avant de fran- vivres étaient insuffisants), le bilan économique l’est moins. été précédé entre 1711 et 1719 par des commerçants ma- chir le détroit de Magellan. Là, Bougainville se rend compte Aucun continent austral n’a été découvert, les escales ont louins. Comme on le verra plus loin, ils ont franchi le cap que les récits de Pigafetta (voir plus haut) sur la taille des été tellement courtes qu’elles n’ont pas permis de recon- Horn pour s’intéresser de plus près aux produits chinois et Patagons sont pure invention. Naviguant dans le Pacifique, naître la véritable valeur des terres touchées et de la Chine, rentrer par l’ouest. Il est d’ailleurs intéressant de constater l’expédition - pour cause de vents contraires - ne peut il n’est plus question… Bougainville, par contre, a fait ce qu’en 1763, quarante ans après le voyage de ces Bretons suivre les instructions lui demandant d’atteindre le 40° de qui ne lui était pas demandé : étudier et décrire les popula- en Chine, ce sont de nouveau des armateurs malouins, latitude Sud. Elle remonte vers le nord-ouest et stationne à tions rencontrées, préparer le terrain pour ses successeurs. qui aideront Bougainville à fonder une éphémère colonie Tahiti que Bougainville baptise Nouvelle-Cythère. Lyrisme et Son récit, une fois imprimé, connaît un énorme succès pu- aux îles Malouines/Malvinas et aujourd’hui Falklands. Il enthousiasme sont au rendez-vous, de la cale à la dunette. blic. Aujourd’hui, l’état d’esprit de Bougainville, ami des Lu- faut attendre 1766 pour qu’un roi de France fournisse à un Un peu plus tard, il apprendra d’un Tahitien, embarqué mières, n’est pas mort. Un chef d’expédition contemporain, navigateur les moyens qui lui permettront de se rendre vers volontairement à son bord, l’usage des sacrifices humains. Patrice Franceschi, revendique en tout cas son héritage et l’Empire du Milieu et de reconnaître, au nom de la France, Suivent des escales aux Samoa, la reconnaissance des îles son approche du monde. Plus concrètement, il a donné à « quelque île à portée de côte de Chine qui puisse servir Aoba (îles des Lépreux) et un naufrage évité de justesse sur ses navires successifs le nom de La Boudeuse. d’entrepôt à la Compagnie des Indes pour un commerce la grande barrière de Corail. Faisant route au nord, il dé- Alors que Bougainville a pris lui-même l’initiative de son avec la Chine ». Il est aussi question de découvrir « des couvre les îles Salomon et se livre à une bataille navale qu’il voyage financé par des négociants, c’est Louis XVI qui choisit métaux riches et les épiceries ». remporte. Dans l’une des pirogues prises aux « Indiens », le comte de La Pérouse (1741-1788) pour mener à bien une Bougainville n’est pas seulement un marin, c’est un in- l’équipage découvre une mâchoire d’homme à demi grillée. expédition visant à réussir là où James Cook a échoué, soit la tellectuel inspiré par les philosophes de son temps. Lors- Aux Moluques, il constate les rivalités commerciales entre découverte du passage du Nord-Ouest et, bien sûr, l’ouverture qu’il atteint Tahiti, il est subjugué par l’accueil qu’il reçoit, Anglais et Hollandais, déjà, alors que lui-même est bien de nouvelles routes dûment enregistrées dans les livres de conforme au mythe du « bon sauvage » développé par reçu par ces derniers. Le monopole des Hollandais sur bord et aussi la création de comptoirs commerciaux. Il n’est Jean-Jacques Rousseau. Un peu plus loin, et c’est bien certaines épices est sur le déclin. Les Anglais ont réussi à désormais plus question de Chine. Sans que cela soit claire- dommage, il ne pourra que constater - avec regret - l’agres- se procurer des plants et à les ramener dans leurs propres ment dit, c’est aussi une façon de compléter le travail de Bou- sivité des tribus de la Nouvelle-Bretagne. Commerson, l’un colonies. Les Français y parviendront eux aussi par la suite. gainville et peut-être de dépasser celui de Cook. Est-ce l’esprit des savants qui l’accompagnent, est décrit par l’historien L’expédition fera encore escale à Batavia (aujourd’hui Ja- contemporain Étienne Taillemitte comme un « Rousseauiste karta) où les Français observent l’immense talent des Hol- fanatique », partant à la recherche « d’hommes bons, hu- landais dans le commerce et leurs méthodes originales 1 Frégate : navire de moyen tonnage, rapide, à un pont. 2 Flûte : navire de charge proche des gabares. Gagner de l’or et/ou des connaissances 15