Synthèse
Troubles anxieux chez le sujet âgé :
aspects cliniques et thérapeutiques
Anxiety disorders in the elderly:
clinical and therapeutic aspects
JACQUELINE RANGARAJ
1
ANTOINE PELISSOLO
2
1
Centre hospitalier Henri Ey,
28800 Bonneval
2
Service de psychiatrie
adulte et CNRS UMR 7593,
Groupe hospitalier Pitié-
Salpêtrière,
APHP, Paris
Tirésàpart:
A. Pelissolo
Résumé. Les troubles anxieux des sujets âgés n’ont pas fait, jusqu’à présent, l’objet de
beaucoup de travaux spécifiques. Des taux de prévalence plus faibles que dans la popula-
tion générale sont habituellement observés, mais la fréquence du trouble anxieux généra-
lisé et de l’agoraphobie est néanmoins élevée. La sémiologie de ces états anxieux est
souvent dominée par des symptômes et des plaintes somatiques et certaines thématiques
semblent concerner plus spécialement les sujets âgés : peur de la mort et de la maladie,
phobies dans les déplacements du fait de la peur de tomber et des agressions. Des
stratégies thérapeutiques, en grande partie identiques à ce qu’elles sont dans les autres
tranches d’âge (médicaments anxiolytiques et antidépresseurs, thérapies comportementa-
les et cognitives), doivent être proposées, même si certains aménagements de doses ou de
méthodes peuvent être nécessaires. Une attention toute particulière doit être portée sur les
risques de dépendance aux benzodiazépines, molécules largement utilisées chez les sujets
âgés. Au total, l’anxiété, chez les sujets âgés, présente des particularités cliniques et
thérapeutiques qui nécessitent une approche particulière et qui justifieraient le développe-
ment de travaux de recherche cliniques et thérapeutiques en nombre plus important pour
aboutir à des recommandations plus étayées.
Mots clés : anxiété, obsession, panique, phobie, sujet âgé
Abstract. Few studies have been specifically devoted to anxiety disorders in the elderly.
Nevertheless, various factors can expose this population to relevant levels of anxiety:
development of somatic disorders, bereavements, isolation, changes of life, use of anxioge-
nic drugs, etc. Prevalence rates weaker than in the general population are usually found, but
with high rates, however, for generalized anxiety disorder and agoraphobia. The clinical
aspect of these anxious states is often dominated by somatic symptoms and complaints,
and some topics seem of special concern: fear of death and disease, displacement phobias
related to the fear of falling or being attacked. Some consequences should be particularly
watched over (diverse somatic affections, depression, dementia, and even suicidal tenden-
cies), which justify an accurate clinical evaluation. Treatment must often be multidiscipli-
nary involving medical but also psychological, and institutional aspects. The therapeutic
strategies are largely identical to what they are in the other groups of age. Anxiolytic drugs
and antidepressants, cognitive-behavioral therapies can be proposed, even if some adapta-
tion of drug posology or methods of non pharmacological interventions should be needed.
Particular attention should be paid to the risk of benzodiazepine dependence, drugs which
are widely used by elderly subjects. As a conclusion, anxiety disorders in the elderly
present clinical and therapeutic particularities, which require a special approach and the
development of specific epidemiological, physiopathologic and therapeutic researches.
Key words:anxiety, elderly, obsession, panic, phobia
Les troubles anxieux font l’objet de descriptions
cliniques spécifiques dans les classifications
psychiatriques depuis 1980, c’est-à-dire depuis
la parution du DSM-III dans lequel les catégories anté-
rieures et souvent floues (névroses, anxio-dépression,
« anxiété sous toutes ses formes ») ont été remplacées
par des définitions et des critères nettement plus pré-
cis. De nombreux travaux épidémiologiques, cliniques,
biologiques et thérapeutiques ont ainsi été développés
depuis 25 ans pour des pathologies qui sont les plus
fréquentes des troubles psychiatriques. L’anxiété des
sujets âgés, en revanche, n’a pas fait l’objet de beau-
coup de travaux ni de réflexions. Une vulnérabilité par-
ticulière de cette population aux troubles anxieux peut
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pourtant s’expliquer par différents facteurs, dont
notamment :
le processus de vieillissement associé à la survenue
d’affections somatiques avec déclin de l’autonomie et
possible déficit de l’estime de soi ;
les ruptures affectives successives (deuils, sépara-
tions) avec l’angoissante probabilité de se retrouver
seul, sans support social ou au contraire le difficile face
à face conjugal qui ne paraît plus négociable ;
les changements de vie choisis ou imposés (maison
de retraite, institutionnalisation) associés à des pertes
de repères socio-culturels et à une disparition des ren-
forcements sociaux et hédoniques ;
la survenue de problèmes financiers souvent moins
bien assumés par un déficit d’adaptation.
À l’ensemble de ces facteurs, il faut ajouter la
consommation de certains médicaments qui peuvent
s’avérer anxiogènes (hormones thyroïdiennes, théo-
phylline, digitaline, etc.).
Peu étudiés et souvent négligés, les troubles
anxieux des sujets âgés nécessitent une approche spé-
cifique aux plans clinique et thérapeutique.
Données épidémiologiques
Les études épidémiologiques sur les pathologies
anxieuses après 65 ans sont rares. Elles montrent une
prévalence globale d’environ2à10%,taux inférieur à
celui observé chez les sujets plus jeunes. La répartition
des troubles est hétérogène avec une fréquence impor-
tante du trouble anxieux généralisé (TAG), de1à7%,
et des phobies, de3à10%,tout particulièrement de
l’agoraphobie et des phobies spécifiques [1-6]. La pré-
valence des troubles panique et obsessionnel-
compulsif semble, en revanche, plus faible que dans
les autres tranches d’âge (moins de 1 %). Aucune étude
n’a été réalisée sur la prévalence de l’état de stress
post-traumatique, alors que l’on sait que des troubles
agoraphobiques de novo surviennent souvent après un
traumatisme [7]. Le ratio femme-homme varie de 2/1 à
4/1 selon les études. Il semble que le statut socio-
économique n’ait pas d’influence majeure [2]. Cepen-
dant, l’étude d’Eaton et al. [8] a montré une prévalence
plus élevée des troubles phobiques chez les patients
âgés ayant un statut socio-économique faible. L’impact
du statut marital reste inconnu à ce jour. On peut
conclure de ces données certainement insuffisantes,
que l’épidémiologie des troubles anxieux chez les
sujets âgés n’est pas superposable à ce qui est observé
dans les autres tranches d’âge. Il faut d’ailleurs signaler
que certaines études ont trouvé des niveaux élevés de
« troubles anxieux non spécifiés », c’est-à-dire qui ne
correspondent pas aux catégories des classifications
syndromiques [9]. Cela inciterait à penser qu’une clini-
que, voire une nosographie spécifique aux sujets âgés,
pourrait être utile.
La comorbidité psychiatrique la plus fréquemment
associée est sans nul doute le syndrome dépressif, et
on peut signaler la fréquence élevée des formes de
mélancolie anxieuse dans les populations âgées. Un
syndrome dépressif est observé chez 39 % des sujets
âgés présentant des troubles phobiques et 60 % de
ceux présentant un TAG [10]. Les patients présentant
une maladie organique chronique sont particulière-
ment à risque de développer des troubles anxieux. Aux
États-Unis, le National center for health statistics indi-
quait en 1987 que 80 % des sujets âgés étaient concer-
nés. Starkstein et al. [11] ont montré que 12,6 % des
patients âgés ont développé un TAG associé à un syn-
drome dépressif dans le décours d’un accident vascu-
laire cérébral (AVC). Burvill et al. [12] ont ainsi décrit,
quatre mois après la survenue d’un AVC, la persistance
de troubles anxieux chez 19 % des sujets âgés. L’étude
de Wands et al. [13] a révélé que 38 % des patients
atteints de démence à un stade débutant présentaient
des troubles anxieux.
On observe une prévalence accrue de prescriptions
de psychotropes, particulièrement de benzodiazépines,
dans cette population. En effet, 13 à 22 % des sujets
âgés de plus de 65 ans consommeraient des benzodia-
zépines [14, 15]. En règle générale, l’usage à long terme
est plus fréquent que chez les sujets plus jeunes. En
dehors des problèmes de santé publique et socio-
économiques soulevés par ces observations, les fac-
teurs expliquant de tels niveaux de consommation chez
les sujets âgés sont mal cernés, notamment parce que
les études épidémiologiques ne confirment pas l’exis-
tence d’une surmorbidité évidente dans cette tranche
d’âge au plan psychopathologique. Cela confirme la
nécessité d’approfondir les connaissances dans ce
domaine, en réalisant des études pharmaco-
épidémiologiques spécifiques.
Expression clinique de l’anxiété
chez le sujet âgé
Des symptômes somatiques surtout
Chez la personne âgée, le tableau clinique de
l’anxiété peut être habituel associant un sentiment de
malaise et d’insécurité à des symptômes neurovégéta-
tifs bien connus tels que dyspnée, sensation d’oppres-
sion thoracique, tachycardie, sudation excessive,
tremblements, sensations vertigineuses, tendance lipo-
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thymique, etc. Mais la symptomatologie anxieuse est
souvent atypique : elle peut s’exprimer surtout, voire
exclusivement, sur le versant somatique. Le processus
de vieillissement et les pathologies somatiques asso-
ciées entraînent une modification profonde de la per-
ception de soi qui peut expliquer le recours aux plain-
tes somatiques qui dominent souvent le tableau
clinique.
Il faut également souligner le fait que l’anxiété peut
aussi traduire la survenue ou l’aggravation d’un trou-
ble organique, peut être associée à un trouble psychia-
trique, à un abus ou un sevrage de substances ou être
d’origine iatrogène.
Les différents syndromes anxieux
En considérant les catégories syndromiques sépa-
rément, on peut tout d’abord noter que le trouble pani-
que, rare chez le sujet âgé, est marqué par une sympto-
matologie atténuée, associée surtout à des conduites
d’évitement et des symptômes somatiques. En
l’absence de traitement, le trouble peut évoluer vers
l’agoraphobie dont le diagnostic est beaucoup plus fré-
quent dans cette tranche d’âge : persistance d’un trou-
ble phobique ancien alors que les attaques de panique
ne sont plus elles-mêmes actives ou apparition tardive
en rapport avec des traumatismes ou le vieillissement
physiologique. L’agoraphobie peut se manifester plus
spécifiquement chez ces sujets par la peur de faire une
chute ou tout autre malaise pressenti dans un endroit
public ou éloigné du domicile. Cette peur irraisonnée,
excessive et permanente, qui n’est pas systématique-
ment liée à un antécédent de chute accidentelle, peut
entraîner un confinement au domicile avec un périmè-
tre de sécurité limité à un espace entre le lit et un
fauteuil. Le patient développe une véritable phobie de
la marche qui suscite souvent de la part de l’entourage
une réaction d’hyperprotection. La prise en charge est
urgente car le patient s’expose à une invalidité motrice
durable par désapprentissage de la marche.
Le trouble anxieux généralisé, dont la prévalence
est élevée, peut se présenter de novo, à la suite d’un
AVC par exemple, ou être ancien et s’aggraver. Ce trou-
ble est surtout caractérisé par la présence d’inquiétu-
des et de soucis excessifs, continus et difficiles voire
impossibles à contrôler [16]. L’angoisse augmente, est
diffuse, se généralise à tous les aspects de la vie quoti-
dienne présente et future. Les plaintes somatiques sont
importantes de même que les troubles du sommeil.
L’évaluation des fonctions cognitives est le plus sou-
vent normale. Cette souffrance est source d’épuise-
ment pour le patient et l’entourage. Il faut systémati-
quement rechercher un trouble dépressif associé ou
débutant.
Les troubles phobiques sont également très fré-
quents et atteindraient, selon l’étude américaine ECA,
5 % des sujets âgés de plus de 65 ans. L’anxiété sociale
peut se développer, suite à la survenue d’une affection
organique comme la maladie de Parkinson, ou décom-
penser suite au décès d’un conjoint investi comme
personne contra-phobique souvent pendant plusieurs
décennies. La peur de manger (appareils dentaires) ou
d’écrire (tremblements) en public peut également
induire une phobie sociale particulière qui peut ensuite
se généraliser à d’autres situations sociales. Les pho-
bies spécifiques peuvent prendre une forme focalisée,
comme par exemple la phobie de l’agression.
Chez une personne âgée ayant des antécédents de
troubles obsessionnels-compulsifs (TOC), les idées
obsédantes et les rituels (ou compulsions) ont ten-
dance à s’appauvrir. La frontière entre idées obsédan-
tes et délirantes est plus floue ; la reconnaissance du
caractère absurde est moins systématique. La vigilance
est de rigueur car des recrudescences anxieuses ou des
décompensations thymiques peuvent toujours surve-
nir. Par ailleurs, les idées obsédantes s’expriment fré-
quemment lors d’une dépression, un syndrome hypo-
condriaque ou une maladie somatique chronique
associée. La survenue tardive, de novo, par exemple
après 70 ans, d’un TOC plus ou moins typique est pos-
sible dans le cadre d’un début de détérioration ou en
cas d’atteinte lésionnelle des noyaux gris centraux.
L’âge pourrait être un facteur de risque pour le
développement d’un état de stress post-traumatique,
même si ce point reste largement inexploré à l’heure
actuelle. Divers événements peuvent donner lieu à ce
trouble anxieux traumatique grave ou du moins à des
troubles de l’adaptation avec anxiété : décès, accident,
agression, catastrophe naturelle, mais également
modifications brutales de mode de vie tels que démé-
nagement, arrêt de la vie active et retraite, etc. Le
tableau clinique, plus ou moins sévère, et parfois très à
distance du traumatisme, semble être surtout dominé
par les réactions neurovégétatives plutôt que par le
syndrome spécifique de répétition. La recherche d’un
syndrome dépressif ou de conduites addictives (alcool,
médicaments) doit être systématique comme chez les
sujets jeunes.
Comorbidités somatiques
La survenue de troubles anxieux au cours d’une
pathologie somatique, douloureuse et/ou invalidante,
est très fréquente. Les maladies neurologiques telles
que la sclérose en plaques, les démences à un stade
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débutant, la maladie de Parkinson et les AVC sont fré-
quemment associées à une symptomatologie anxieuse
marquée, dépassant la seule appréhension liée à la
maladie et au handicap. En retour, l’anxiété peut altérer
certaines fonctions cognitives, attentionnelles et mné-
siques, ce qui peut aggraver les symptômes d’une
démence débutante. Des difficultés particulières de dia-
gnostic différentiel peuvent se poser devant des symp-
tômes cardiovasculaires (angor, infarctus du myo-
carde, tachycardie paroxystique) ou respiratoires
(embolie, bronchopneumopathie, hypoxie) qui parta-
gent des signes cliniques communs avec les attaques
de panique ou l’anxiété généralisée. Les maladies
endocriniennes telles que hyperthyroïdie, dysparathy-
roïdie, hypoglycémie, diabète, maladie de Cushing
génèrent également des symptômes anxieux ou
d’allure anxieuse.
Le tableau anxieux peut aussi être d’origine iatro-
gène (corticoïdes, antidépresseurs, inhibiteurs calci-
ques...) ou être induit par une substance psychoactive
(abus ou sevrage aux benzodiazépines ou à l’alcool).
L’intrication entre anxiété et abus d’alcool est toujours
complexe à analyser, les deux phénomènes s’auto-
renforçant et la réalité des consommations étant sou-
vent difficile à établir. Le dépistage des complications
somatiques et fonctionnelles des phases d’alcoolisa-
tion est essentiel, au travers des bilans biologiques, du
repérage de chutes à répétition sans autre cause
retrouvée et de divers signes fonctionnels (vertiges,
douleurs, troubles digestifs, etc.).
Autres dimensions psychopathologiques
Il n’est pas toujours aisé de faire la part des choses
entre dépression et anxiété chez les sujets âgés car la
symptomatologie dépressive peut être atténuée. Les
symptômes gravitent autour des plaintes somatiques,
des anticipations anxieuses diverses, de l’asthénie,
alors qu’un certain émoussement affectif remplace la
tristesse de l’humeur. Le vieillissement est un facteur de
risque majeur pour le suicide, surtout chez un homme
isolé affectivement et socialement. Il est donc essentiel
de rechercher systématiquement un syndrome dépres-
sif chez une personne âgée anxieuse, et inversement,
car la comorbidité est élevée et les traitements peuvent
être différenciés. En cas de doute diagnostique, le
recours aux antidépresseurs est préférable.
L’hypocondrie, qui appartient à la nosographie des
troubles somatoformes, se caractérise par l’anxiété de
contracter ou d’être atteint d’une maladie organique,
exprimée de façon répétitive et insistante malgré la
négativité des résultats des examens qui ne rassurent
pas le patient. Les sujets âgés présentant des difficultés
à verbaliser leur mal-être et leur angoisse peuvent
l’exprimer au travers de plaintes somatiques centrées
surtout sur la sphère digestive (troubles du transit, dou-
leurs abdominales, phobie de la déglutition, etc.). De
véritables « fixations » hypocondriaques se rencon-
trent très fréquemment chez les sujets âgés anxieux
et/ou dépressifs. Le rôle des soignants est alors de
prendre en compte, à la fois, l’inquiétude quant à l’état
de santé (rassurer, sans renforcer pour autant les rumi-
nations anxieuses par des examens complémentaires
répétitifs) et les syndromes dépressifs ou anxieux
éventuellement sous-jacents.
Des syndromes spécifiques identifiés chez les sujets
âgés pourraient traduire une dimension anxieuse asso-
ciée à un syndrome détérioratif : il s’agit du syndrome
de Godot et du syndrome de Diogène. Le syndrome de
Godot désigne un patient généralement atteint de la
maladie d’Alzheimer, qui suit l’aidant en permanence,
exprimant ainsi une forme d’angoisse de séparation
(même si elle est très particulière par rapport à l’anxiété
de séparation « névrotique » rencontrée chez l’enfant
voire l’adulte). Le syndrome de Diogène a été décrit par
Clark et al. [17] pour caractériser des personnes âgées
qui présentent une négligence extrême de l’hygiène cor-
porelle et du lieu de vie ainsi qu’une syllogomanie (accu-
mulation d’objets hétéroclites tels que journaux, détri-
tus, excréments...). Ces sujets qui ne présentent pas de
troubles cognitifs, dénient la situation et vivent toute
proposition d’aide comme intrusive. L’histoire person-
nelle de ces personnes retrouve une succession de
deuils et de pertes. Selon Clark et al. [17], le syndrome
de Diogène correspondrait à une réaction anxieuse spé-
cifique aux difficultés de séparation et de perte. Le com-
portement « d’entassement » traduirait une incapacité à
faire un travail de deuil et de séparation.
D’autres manifestations des démences débutantes
ou plus évoluées ont à voir avec l’anxiété, notamment
des symptômes d’hostilité envers l’entourage et les
soignants, souvent sous-tendues par des éléments per-
sécutifs. Des thèmes récurrents et peu justifiés de
menaces, de jalousie (notamment vis-à-vis des biens
de la personne et d’un héritage potentiel), d’intrusion
au domicile, ou de délaissement par la famille entre-
tiennent des réactions parfois très démonstratives
d’agressivité ou de repli sur soi.
Liens entre personnalité
et réactions anxieuses
Chez les sujets adultes, les troubles anxieux sont
souvent associés à des traits de personnalité plus ou
moins marqués : tendances à l’inhibition, tempérament
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inquiet, timidité, sensibilité au stress, etc. En général,
ces traits persistent dans le temps, avec même une
possibilité d’exacerbation avec l’avancée en âge.
Lorsqu’ils sont très prononcés, ils rendent les patients
vulnérables à des événements de vie ou à des incidents
de santé ou d’autre nature, pouvant engendrer de réel-
les « décompensations » anxieuses ou dépressives.
Celles-ci peuvent se traduire par des réactions très
spectaculaires d’inhibition et de retrait quasi complet,
avec notamment des réductions voire des refus ali-
mentaires inquiétants. Traditionnellement, l’évolution
des traits anxieux antérieurs peut aussi se faire vers
des syndromes caractériels (agressivité, revendication,
irascibilité, jalousie, égocentrisme, etc.) difficiles à
accepter par l’entourage.
Complications
Le trouble anxieux isolé est rare chez les sujets
âgés. Le fait qu’il soit intriqué à d’autres troubles
anxieux ou thymiques et s’exprime surtout par des
plaintes somatoformes, explique qu’il soit habituelle-
ment non diagnostiqué ou traité de façon inadéquate.
La surmortalité associée aux troubles anxieux peut
avoir une origine organique (HTA, troubles du rythme,
asthme, ulcère duodénal...). On sait, par exemple, que
le risque de décès d’étiologie cardiovasculaire est deux
fois plus élevé chez les hommes présentant un trouble
panique [18].
La surmortalité est aussi en relation directe avec
l’abus d’alcool à visée anxiolytique, fréquemment
associé à l’abus des psychotropes. Les études cliniques
concernant les habitudes de consommation d’alcool
dans les populations gériatriques sont cependant très
rares [19]. Le risque suicidaire doit être aussi systéma-
tiquement évoqué et évalué, qu’il se situe dans un
contexte de syndrome dépressif, de mélancolie
anxieuse, de syndrome psychotique avec anxiété enva-
hissante, ou chez un sujet à risque de raptus anxieux
dans un contexte de détérioration.
Évaluation
Dans tous les cas, l’évaluation d’un patient âgé est
nécessairement globale, que l’on soit dans un contexte
aigu ou chronique. L’entretien permet de caractériser
les plaintes et symptômes somatiques, d’évaluer les
manifestations psychopathologiques associées, de
connaître les antécédents médico-chirurgicaux et les
traitements pris par le sujet (ordonnances et automédi-
cation). Il évalue également la personnalité du patient,
les habitudes de vie, les conditions de logement, la
qualité de l’entourage et les aides éventuelles. L’exis-
tence d’un stress ou d’une modification récente des
conditions de vie est à prendre en considération. Toute
plainte nouvelle ou inhabituelle peut être l’occasion
d’identifier une symptomatologie anxieuse passée jus-
que là inaperçue. De même, le refus de sortir, d’avoir
des contacts sociaux ou même de marcher doivent atti-
rer l’attention sur un possible trouble phobique ou une
anxiété généralisée sous-jacents. Ils ne doivent pas être
banalisés et entérinés par l’entourage au risque de voir
s’installer des conduites d’évitement parfois définitives.
L’examen clinique permet d’évaluer l’état nutrition-
nel, d’hydratation et les fonctions sensorielles (notam-
ment la vision et l’audition). Des examens complémen-
taires sont nécessaires lorsqu’une organicité est
suspectée. L’utilisation d’échelles d’évaluation peut
être contributive pour compléter le diagnostic en quan-
tifiant certaines dimensions ou sous-dimensions des
troubles. L’anxiété générale est bien évaluée par
l’échelle HAD (Hospital anxiety and depression scale)
qui présente l’avantage de ne pas être trop biaisée par
des symptômes somatiques pouvant exister par
ailleurs. Son utilisation est simple car elle comporte
seulement 14 items et ses scores sont très bien validés,
notamment chez les sujets âgés. Des questionnaires de
dépistage de l’anxiété spécifiquement adaptés aux
sujets âgés ont été développés, comme le Short
anxiety screening test (SAST) de Sinoff et al. [20]
(tableau 1).
Prise en charge
La prise en charge, qui fait suite à l’évaluation clini-
que, doit être multidisciplinaire, préventive et curative.
Chez une personne âgée, l’anxiété est rarement un
symptôme isolé. Elle permet d’alerter les praticiens
(médecins généralistes, spécialistes) et les interve-
nants du champ médico-social (kinésithérapeute –
nutritionniste – infirmier – psychothérapeute – assistant
social, etc.) et de faciliter une prise en charge spécifi-
que des troubles somatiques et psychiques associés
aux troubles anxieux. En particulier, l’évaluation cogni-
tive d’une personne de plus de 60 ans présentant un
épisode anxio-dépressif peut être très utile, car se pose
la question d’une démence débutante. Une fois le dia-
gnostic de trouble anxieux confirmé et les éventuelles
comorbidités prises en charge, le traitement spécifique
comporte deux volets complémentaires, comme dans
l’anxiété de l’adulte plus jeune : une approche psycho-
logique et psychothérapeutique et, éventuellement,
une approche pharmacologique.
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