actualité, info avancée thérapeutique Nouvelles lumières sur l’étiologie possiblement virale de la myasthénie auto-immune Depuis qu’elles ont été décrites, étiquetées et répertoriées les maladies auto-immunes constituent un mystère physiopathologique. Et les explications disponibles pouvant être aujourd’hui fournies aux personnes chez lesquelles elles ont été diagnostiquées ne sont pas de nature à les rassurer. Pour quelles raisons premières un organisme est-il le terrain d’un conflit (les métaphores guerrières demeurent d’actualité) entre son système immunitaire et certaines des cellules qui le constituent ? Pourquoi cette brutale erreur dans la reconnaissance de son soi ? Et comment accepter au long cours l’idée qu’une fraction de son corps soit devenue étrangère à ce même corps. Il y a là une forme biologique de schizophrénie cellulaire qui ne manque pas de troubler, déranger, irriter. C’est aussi une situation bien connue de tous ceux qui ont à prendre en charge des patients 162 74_77.indd 1 souffrant de ces pathologies. Et c’est à cette énigme que c’est attaqué un groupe international de chercheurs réunis au sein du projet FIGHT-MG («Combattre la Myasthénie Grave»), financé par la Commission européenne.a Ils apportent aujourd’hui la preuve du concept qu’une molécule «mimant un virus» peut déclencher une réponse immunitaire inappropriée dégradant des fonctions musculaires. Ces résultats originaux viennent d’être publiés dans la revue Annals of Neurology.1 Dirigés par Sonia Berrih-Aknin et Rozen Le Panse, ces chercheurs démontrent que des molécules mimant une infection virale sont capables d’induire, chez la souris, une myasthénie auto-immune. Ils précisent que, jusqu’à présent, ceci n’avait jamais été démontré. Cette preuve de concept établit donc qu’une infection virale pourrait entraîner une inflamma- tion du thymus et conduire au développement d’une myasthénie auto-immune. Pour fondamentale et sans doute bien en amont d’une application thérapeutique qu’elle soit, cette approche ne peut manquer d’être signalée. La myasthénie est une maladie auto-immune rare de la jonction neuromusculaire. Sa prévalence est généralement estimée à environ 1/5000. «Elle se caractérise par une faiblesse musculaire avec fatigabilité, fluctuante mais non douloureuse, impliquant des groupes de muscles spécifiques, résume le site Orphanet (www.orpha.net/consor/ cgi-bin/index.php?lng=FR). La présentation la plus classique est une faiblesse oculaire, avec ptose asymétrique et diplopie binoculaire. L’évolution est variable et la plupart des patients se présentant initialement avec une faiblesse oculaire développent une faiblesse bulbaire ou des membres durant les trois années suivant l’apparition du premier symptôme. Cette maladie résulte d’une réaction immune à médiation humorale dépendant des cellules T, dirigée contre la plaque motrice de la membrane post-synaptique.» En pratique, chez les patients présentant une faiblesse musculaire avec fatigabilité, le diagnostic de myasthénie est confirmé par différentes méthodes spécialisées, de nom- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 16 janvier 2013 14.01.13 11:52 ©istockphoto.com/Jana Blašková CC BY Yair Haklai breuses entités pathologiques devant par ailleurs être écartées (syndromes myasthéniques congénitaux, botulisme, intoxication aux organophosphorés, les anomalies mitochondriales, syndrome de Guillain Barré, sclérose latérale amyotrophique, etc.). Le traitement peut comprendre un traitement symptomatique par des anticholinestéra- siques et une modulation de la réponse immune par l’administration de corticoïdes, d’azathioprine, de ciclosporine et de mycophénolate mofétil. En cas de crises myasthéniques et de périodes d’exacerbation, une amélioration rapide mais temporaire peut être obtenue par la plasmaphérèse ou l’injection d’immunoglobulines par voie intraveineuse. «Le pronostic est actuellement favorable, avec un taux de mortalité inférieur à 5% et une espérance de vie quasi normale, grâce à l’amélioration des tests diagnostiques, à l’immunothérapie et aux soins intensifs» résume Orphanet. Pourquoi cette production d’auto-anticorps circulants qui bloquent les récepteurs de l’acétylcholine (RACh) ? Aujourd’hui, la myasthénie est présentée comme une maladie multifactorielle dans laquelle des facteurs environnementaux semblent jouer un rôle important. Les infections virales sont suspectées mais comment prouver le rôle pathogène d’un virus dans le déclenchement d’un processus pathologique quand le diagnostic est fait, comme ici, des mois, voire des années après l’amorce de ce même processus ? Dans le cadre du projet européen FIGHT-MG, les auteurs de la publication de la revue Annals of Neurology sont parvenus à décrypter ce déclenchement en utilisant une molécule mimant l’ARN double brin viral – le Poly(I:C). Ils se sont centrés sur le thymus qui, comme on sait, est le lieu de maturation des lymphocytes T, acteurs centraux des réponses immunitaires. Ils ont ainsi mis en évidence in vitro que le Poly(I:C) était capable d’induire spécifiquement une surexpression de RACh par les cellules épithéliales thymiques. Et ce en activant trois protéines : le récepteur «tolllike» 3 (TLR3), la protéine kinase R (PKR) et l’interféronbêta (IFN-b) ; cette dernière entraînant une inflammation au niveau du thymus. Ces chercheurs ont en parallèle analysé des thymus pathologiques des malades atteints de myasthénie. Ils y ont observé une surexpression de ces trois protéines, surexpression caractéristique d’une infection virale. Enfin, ils sont parvenus à identifier les mêmes changements moléculaires dans le thymus de souris, et ce à la suite de l’injection de Poly(I:C). Après une période d’injection prolongée, ils ont aussi observé chez ces souris la prolifération de cellules B antiRACh, la présence d’auto-anticorps bloquant les récepteurs RACh et des signes cliniques synonymes de faiblesse musculaire comme dans la myasthénie. «Au total, ces résultats originaux montrent que des molécules mimant une infection virale sont capables d’induire une myasthénie chez la souris, ce qui jusqu’à présent n’avait jamais été démontré, résume-t-on auprès de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Les prochaines étapes de cette recherche consisteront à déterminer de quel virus exogène il pourrait s’agir ou s’il s’agit d’une activation anormale d’une réponse antivirale par des molécules endogènes.» Jean-Yves Nau [email protected] a Le projet FIGHT-MG (www.fight-mg.eu/) cherche à déterminer les facteurs de risque génétiques et environnementaux associés à la survenue de la maladie et à son évolution. Le projet s’attache à identifier également les molécules immunologiques clés associées à son apparition, à étudier les mécanismes pathogènes à la jonction neuromusculaire, à établir de nouveaux tests de diagnostic, ainsi que de nouvelles thérapies (thérapies cellulaires, thérapies immunorégulatrices, immuno-absorption des autoanticorps pathogènes et autres thérapies pharmacologiques). FIGHT-MG a démarré en décembre 2009 et durera quatre ans, avec un budget total d’environ 6 millions d’euros de l’Union européenne. Ce projet implique douze partenaires, basés en France, Grèce, Israël, Italie, Norvège, Allemagne et Suisse (Université de Bâle). Bibliographie 1 Cufi P, Dragin N, Weiss JM, et al. Implication of dsRNA signaling in the etiology of autoimmune myasthenia gravis. Ann Neurol 2012 ; epub ahead of print. Les auteurs travaillent au sein de l’unité Cnrs et Inserm «Thérapie des maladies du muscle strié», groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris), de l’Université de Maastricht (School of Mental Health and Neuroscience, Faculty of Health, Medicine and Life Sciences) Pays-Bas, ainsi que du Département de chirurgie cardiaque des cardiopathies (Hôpital Marie Lannelongue, Le Plessis Robinson, France). Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 16 janvier 2013 74_77.indd 2 163 14.01.13 11:52