Dossier pédagogique La Nuit juste avant les forêts

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
28_LaNuitjusteavantlesforets©Pascal VictorArctComArt
La Nuit juste avant les forêts
de Bernard-Marie Koltès
mise en scène Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
les mardi 24 et mercredi 25 janvier 2012
Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, professeur du service éducatif :
[email protected],
Contacts relations publiques :
Margot Linard : [email protected]
Jérôme Pique : [email protected]
texte Bernard-Marie Koltès
mise en scène Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
costumes Caroline de Vivaise
lumière Bertrand Couderc
son Fabrice Naud
coiffure Mélanie Pereira
régie générale Gilbert Morel
avec
Romain Duris
Production Comédie de Valence, Centre Dramatique National de Drôme-Ardèche
Coproduction Centre Nationale de Création et de Diffusion Culturelles de
Châteauvallon dans le cadre d’une résidence de création / Maison de la Culture de
Nevers et de la Nièvre
Création dans le cadre de « Le Louvre invite Patrice Chéreau, les visages et les
corps », (2 novembre 2010 – 31 janvier 2011)
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La Nuit juste avant les forêts
dossier pédagogique
sommaire
LE PROJET ARTISTIQUE
Note d’intention
page 4
Photographies des répétitions
page 5
LA NUIT JUSTE AVANT LES FORETS de Bernard-Marie Koltès
Bernard-Marie Koltès Repères biographiques
page 8
Extraits de Théâtre aujourd’hui n° 5 : Koltès, Combats avec la scène
page 10
Extrait d’entretiens d’hommes de théâtre ayant travaillé avec Koltès
page 10
Le début de la reconnaissance
page 13
Koltès et Chéreau
page 14
Extrait de la pièce
page 15
Histoire des arts : Basquiat
page 16
ECHOS DANS LA PRESSE (INTERNET)
page 16
L’EQUIPE ARTISTIQUE
page 19
Bibliographie, Filmographie, Sitographie
page 22
« Un homme tente de retenir par tous les mots qu'il peut trouver un inconnu qu'il a
abordé au coin d'une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une
banlieue où il pleut, où l'on est étranger, où l'on ne travaille plus ; un monde
nocturne qu'il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l'amour
comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant
peut-être, silencieux, immobile. »
Bernard-Marie Koltès
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LE PROJET ARTISTIQUE
Note d’intention
Lorsque Bernard-Marie Koltès est venu me voir la toute première fois, en décembre 1979, il avait
apporté avec lui deux textes : La Nuit juste avant les forêts et Combat de nègre et de chien. Je n’ai
pas compris le premier et je me suis concentré sur le second que j’ai eu envie de monter. Là non plus
sans tout à fait comprendre, mais il y avait dans ce second texte des situations, des personnages,
une langue, il ne se présentait pas, contrairement au premier, sous la forme intimidante d’une grande
phrase unique de vingt-cinq pages qui ne me donnait aucune porte pour y entrer, pas une fenêtre,
pas un soupirail pour regarder à l’intérieur.
Aujourd’hui, avec Thierry Thieû Niang et Romain Duris, nous travaillons ce texte. J’ouvre la première
édition parue quelques années plus tard aux Éditions de Minuit, sur la page de garde, une dédicace
de Bernard à laquelle je n’avais pas prêté attention :
« À Patrice,
mes premières mille et une nuits,
Bernard. »
Relisant le beau livre de Brigitte Salino, je découvre une autre phrase de Bernard, dans une lettre à
Yves Ferry, le créateur du rôle : « Ce que je vois, c'est un véritable emballement dans la tête, à toute
vitesse, jusqu'à ce que « mort s'ensuive ».
Pour cet homme qui nous parle, la mort est au bout du chemin, sous les apparences de ces
« loubards sapés » qui ont fini par lui casser la gueule ; que pour la retarder, cette mort, il lui faut
raconter, raconter encore et encore à ce garçon auquel il s’adresse, ajouter une histoire après l’autre,
« le retenir par tous les mots qu'il peut trouver » dit ailleurs Koltès, conte après conte, mille et une
fois, dans une rhapsodie vertigineuse. « Il lui parle de tout et de l'amour comme on ne peut jamais en
parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile. » Et que cet
homme, là, qui parle si obsessionnellement à cet enfant à peine entrevu, parviendrait ainsi à retarder
sa mort, qu’il ait enfin pu lui prendre le bras, avant que la fureur des coups reçus ne le fasse basculer
de l’autre côté, et puis, toujours, « la pluie la pluie la pluie ? »
Patrice Chéreau – Mai 2010
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Photographies des répétitions
1_LaNuitjusteavantlesforets©Pascal VictorArctComArt
18_LaNuitjusteavantlesforets©Pascal VictorArctComArt
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39_LaNuitjusteavantlesforets©Pascal VictorArctComArt
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LA NUIT JUSTE AVANT LES FORETS,
de Bernard-Marie Koltès
Bernard-Marie Koltès Repères biographiques
1948. 9 avril : naissance à Metz. « La belle province », dira Koltès.
1958. Durant la guerre d'Algérie, il est élève-pensionnaire à l'école Saint-Clément de Metz. Son père,
officier, est absent. Le Général Massu devient, en 1960, gouverneur de Metz. « Mon collège était en
plein au milieu du quartier arabe. Comme à l'époque on faisait sauter les cafés arabes, le quartier
était fliqué jusqu'à l'os. »
1968. Premier séjour à New York. « J'ai voyagé... Tout ce que j'ai accumulé [c'est] entre 18 et 25
ans. »
1969. À 20 ans, il fuit sa ville natale, et l'ennui, pour Strasbourg. Là, il assiste à une représentation de
Médée de Sénèque mis en scène par Jorge Lavelli avec Maria Casarès. « Un coup de foudre ! Avec
Casarès... S'il y avait pas eu ça, j'aurais jamais fait de théâtre. »
1970-1973. Écrit et monte ses premières pièces : Les Amertumes (d'après Enfance de Gorki), La
Marche (d'après Le Cantique des cantiques), Procès Ivre (d'après Crime et châtiment de
Dostoïevski) ; ainsi que L'Héritage et Récits morts. Parallèlement, il fonde sa troupe de théâtre (le
Théâtre du Quai) et devient étudiant à l'école du Théâtre national de Strasbourg que dirige Hubert
Gignoux.
1973-1974. Après un voyage en URSS, il s'inscrit au parti communiste et suit les cours de l'école du
PCF. II se désengagera en 1979.
1974. II commence un roman, La Fuite à cheval très loin dans la ville. Métaphore pour évoquer la
drogue comme fuite.
1975. Tentative de suicide. Drogue. Désintoxication. Koltès s'installe à Paris.
1977. Création à Lyon de Sallinger dans une mise en scène de Bruno Boëglin. Création de La Nuit
juste avant les forêts au festival d'Avignon (off) dans une mise en scène de l'auteur, avec Yves Ferry.
Moment charnière. Reniement de ses textes précédents. « Les anciennes pièces, je ne les aime plus,
je n'ai plus envie de les voir monter. »
8
1978-1979. Voyage en Amérique latine, puis au Nigéria et l'année suivante au Mali et en Côte
d'Ivoire.
1979. Rencontre le metteur en scène Patrice Chéreau dont il a admiré (en 1976) La Dispute. Il
souhaite que celui-ci monte ses pièces. À partir de 1983, Chéreau créera au théâtre NanterreAmandiers la plupart de ses textes.
1981. La Comédie-Française commande une pièce à Koltès (qui deviendra Quai Ouest). Mise en
scène de La Nuit à la Comédie-Française (Petit-Odéon) par Jean-Luc Boutté avec Richard Fontana.
1983. Le théâtre Nanterre-Amandiers, dirigé par Patrice Chéreau, inaugure sa première saison par la
création de Combat de nègre et de chien (avec Michel Piccoli et Philippe Léotard). Quai Ouest suivra
en 1986 (avec Maria Casarès, Jean-Marc Thibault, Jean-Paul Roussillon, Catherine Hiegel, Isaach de
Bankolé...).
1985. Écriture d'un scénario (encore inédit) : Nickel Stuff, inspiré par John Travolta.
1987. Dans la solitude des champs de coton est créée par Patrice Chéreau (initialement avec Laurent
Malet et Isaach De Bankolé, puis reprise fin 1987-début 1988 avec Laurent Malet et Patrice Chéreau
dans le rôle du Dealer). Une nouvelle création (troisième version) sera donnée en 1995-1996 avec
Pascal Greggory et Patrice Chéreau à la Manufacture des OEillets.
1988. Après avoir traduit le Conte d'hiver de Shakespeare, Koltès écrit Le Retour au désert, pièce
créée aussitôt par Patrice Chéreau au théâtre du Rond-Point à Paris (avec Jacqueline Maillan et
Michel Piccoli). Succès considérable. Koltès achève Roberto Zucco. La pièce sera créée en 1990 par
Peter Stein à la Schaubühne de Berlin. Lors de la création française, en 1991, au Théâtre national
populaire de Villeurbanne, une polémique naîtra. La pièce, mise en scène par Bruno Boëglin, sera
interdite à Chambéry (le vrai Roberto Succo ayant, en avril 1987, tué un agent de police originaire de
cette ville). « C'est une histoire sublime. Sublime. Et c'est un tueur... Quand on me dira que je fais
l'éloge du meurtrier, ou des choses comme ça... Parce qu'on va me le dire ! Moi je dis que c'est un
tueur... exemplaire ! »
1989. Au retour d'un dernier voyage au Mexique et au Guatemala, il rentre à l'hôpital Laennec (5
avril). Il meurt à Paris dix jours plus tard des suites du sida (15 avril). À quarante et un ans. Il est
enterré au cimetière Montmartre. « On meurt et on vit seul. C'est une banalité... Je trouve que [la vie]
est une petite chose minuscule... [C]'est la chose la plus futile ! »
(Cette chronologie publiée dans le Magazine littéraire n°395, février 2001, a été rédigée avec l'aide
d'Anne-Françoise Benhamou, Yan Ciret, Cyril Desclés, François Koltès et Rostom Mesli.)
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Extraits de Théâtre aujourd’hui n° 5 : Koltès, Combats avec la scène
Extraits d’entretiens d’hommes de théâtre ayant travaillé avec Koltès
Koltès, Combats avec la scène comporte des entretiens avec la plupart des metteurs en scène et
acteurs qui se sont confrontés aux premières créations de l’œuvre de Koltès.
L’entretien avec Heiner Müller est extrait du numéro spécial d’Alternatives Théâtrales consacré à
Koltès en 1995.
(cf. : http://remue.net/spip.php?article935)
Pour moi ce qu’il y a d’énorme, c’est ce mélange de Rimbaud et de Faulkner. Les personnages sont
construits et développés entièrement à partir du langage. En même temps on trouve dans ces textes
une structure moliéresque. Cette structure moliéresque, cette structure d’aria apparaît le plus
nettement dans Le retour au désert. Ce qui a sans doute aussi à voir avec le sujet : la famille
française dans laquelle soudain quelque chose d’étrange fait irruption. Ce que fait Koltès, c’est
quelque chose de très rare dans l’écriture dramatique récente. Les pièces des autres auteurs n’ont
souvent qu’une structure d’intrigue et l’intrigue est ennuyeuse au théâtre. Il faut plutôt rendre obscure
ou faire sauter cette structure d’intrigue. Chez Koltès par contre il y a une structure d’aria. Cela veut
dire que l’auteur est plus ou moins directement présent dans ses textes, dans ses personnages. Je
trouve ça très important, parce qu’en ce moment la tendance générale est l’extinction de l’auteur,
l’expulsion de l’auteur du texte et aussi du théâtre. C’est ça qui m’a intéressé chez Koltès. Et là, je
n’étais pas exempt de jalousie, parce que ça a l’air tellement non-construit. On est en présence de
passages fluides d’un niveau de perception à un autre. Ces passages sont absolument fluides et on
ne peut pas les situer à des points précis. Et je trouve ça extraordinaire. Ainsi le tout a aussi quelque
chose de lyrique, quelque chose d’un poème, mais c’est un courant de conscience. Ce ne sont pas
des plaques qui sont placées l’une à côté de l’autre. Ce courant de conscience représente la force de
ces textes : Koltès fait avec le langage ce que le cinéma fait avec l’image.
Heiner Müller, écrivain (a traduit Quai Ouest en 1986).
Progressivement, le décor s’est épuré : nous avons enlevé tous les éléments nous paraissant trop
limités, trop contingents. Finalement, l’idée centrale est apparue : suggérer un univers dans lequel le
sol, dans son ambiguïté et son ambivalence, prenait une grande importance, l’architecture étant
constituée quasi exclusivement par les corps.
Les personnages de Quai Ouest sont des êtres solitaires, au bord de la schizophrénie parfois ; leurs
textes, des monologues, de longs récitatifs... Tels des astres, tous circulent dans un espace vide, se
rapprochent, s’éloignent les uns des autres, mus par toutes sortes de tropismes. Au-delà du concret
de la parole, très matérialisée, l’univers mental de la pièce est traversé par l’abstraction, une forme de
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spiritualité. Tous ces personnages vivent à la fois sur un plan virtuel et en prise étonnante avec le
réel.
A mes yeux, la grande particularité de l’écriture de Koltès réside dans cette étrange articulation entre
l’élévation d’une certaine spiritualité et le choix d’un concret difficile à vivre.
Daniel Jeanneteau, scénographe de Quai Ouest, mise en scène de Michel Froehly,
Théâtre de la Cité Internationale, 1994.
« Le soleil monte dans le ciel à toute vitesse. »
C’est vraiment un mouvement et pas seulement une montée de lumière en intensité. Il faudrait voir la
lumière bouger, les ombres qui se déplacent et qui tournent. Montrer des mouvements des ombres.
L’ombre bouge, bien sûr, quand un personnage se déplace, mais l’ombre peut aussi bouger autour
d’un personnage. Faire bouger l’ombre, c’est donner la sensation physique du temps qui s’écoule.
Dans la lumière rouge foncé du soir. »
Le texte donne des indications de coloration. Prévoir de grandes sources diffuses amenant des
couleurs très vives, rouge saignant, bleu profond. Comme des couches successives de couleurs.
Amener des taches de couleur, comme on peint un tableau. Que l’ombre ne soit pas vraiment noire.
Colorer les ombres. Des ombres avec des reflets violets gagnent en profondeur et en puissance.
L’ombre n’est pas une absence de lumière, mais un rapport de lumières.
Daniel Delannoy, lumières pour Quai Ouest, mise en scène de Patrice Chéreau, Amandiers,
1986.
J’ai commencé par lire Dans la Solitude des Champs de coton. J’étais fasciné par le caractère
énigmatique de cette pièce. Comme son opacité me résistait, j’ai eu envie de lire le texte à voix haute
à des amis. Cette volonté de faire entendre traduit une particularité de l’écriture koltésienne : la
langue et son énigme sont d’une telle force qu’il n’est pas possible de s’y confronter seul. Il est des
mots qui ne peuvent être entendus que s’ils sont proférés et donnés en partage. De la même façon,
la tradition africaine de l’oralité suppose que certaines paroles soient porteuses d’une charge
émotive, invisible, obscure, au point qu’elles doivent passer par la bouche de quelqu’un d’autre pour
que chacun en mesure le poids véritable.
Nous avons repéré les endroits du corps d’où les mots partent, trouvent leur impulsion, à la manière
des sportifs qui se mettent à courir et découvrent, dans l’effort de la course, le meilleur moyen
d’utiliser chaque partie de leur corps. Nous avons aussi inventé une forme de concentration physique
pour tenir, sur la longueur, le rythme de la langue.
A Grenoble, en plaçant la représentation dans le virage d’un parking souterrain, j’ai resserré les
marges de circulation des acteurs et j’ai réduit tous les artifices. J’avais installé les spectateurs à un
seul endroit, dans la courbe du tournant, et ce dispositif, complété par le jeu des éclairages, donnait
une grande liberté pour les entrées et les sorties des comédiens. Dans ce lieu de passage, les
11
personnages se rencontraient, passaient de la lumière à l’ombre pour retrouver une autre lumière.
Les acteurs étaient ainsi à la limite de disparaître, donnaient un sentiment de décalage, de fragilité,
loin de l’acquis de la représentation. Ce choix faisait naître l’impression que le spectacle allait
s’arrêter, les événements se passer ailleurs, comme toujours dans le théâtre de Koltès.
Moïse Touré, mise en scène de Dans la Solitude des champs de coton, Grenoble, 1993.
Roberto Zucco n’est pas un cas à part. Il est seulement celui à qui revient le rôle de porter au grand
jour la folie meurtrière que chacun de nous porte en soi. Non seulement il est le bras armé des
protagonistes de la pièce mais l’image du fantôme de l’assassin que, spectateur, je porte en moi. Il
est notre assassin, celui qui pressent l’indicible, celui qui, transparent, fouille au fond des âmes. Bien
entendu, ce rôle-là est impossible. Celui qui est revenu de l’enfer de la prison pour révéler nos peurs
ancestrales, celui qui a voulu voler au-dessus de la banalité de notre piètre condition humaine ne
pourra que trouver la mort dans son ultime envol, Icare ou la chute des anges.
D’une certaine façon, on pourrait aussi dire que Roberto Zucco est déjà mort lorsque la pièce
commence. D’ailleurs la première scène ne fait-elle pas penser à la scène des fossoyeurs dans
Hamlet ? Roberto Zucco revient de l’au-delà. Pour lui, la mort est banale, il vit dedans. C’est une
puissance de l’au-delà et, lorsque tel ou tel est tenté par l’ultime voyage, Roberto Zucco l’aidera à
faire le pas, c’est le passeur. C’est aussi le passeur de Koltès lui-même vers l’au-delà...
Jean-Louis Martinelli, mise en scène de Roberto Zucco, TNS, 1995.
Ce qui se passe, dans la matière même du texte koltésien vu au microscope, c’est un incessant
phénomène explosif, d’ordre poétique, par lequel l’action progresse indépendamment de toute
causalité. C’est dans l’agencement d’une réplique à l’autre, et des phrases et des mots à l’intérieur
d’une même réplique, que se découvre, fond et forme ne faisant qu’un, un jeu tout à fait singulier des
passions et des idées, des pulsions fugitives et des grands thèmes universels, à partir duquel une
histoire se raconte, des personnages se constituent, des espaces se délimitent et se croisent, des
passés et des avenirs entrent en collision ou fusionnent. Une durée se catalyse à partir du passage
des instants disséminés. Un présent s’impose, fait de toutes les situations humaines et de tous les
mouvements de l’âme. C’est le présent théâtral même, c’est le théâtre.
Comment la représentation peut-elle laisser entendre et voir davantage qu’une faible proportion des
richesses vives que l’écriture recèle, elle qui est tenue d’avancer, et de faire avancer le spectateur
sans ralenti ni retour en arrière ? La densité du texte est à la fois le stimulant et l’obstacle. Plus elle
est forte, plus le metteur en scène doit choisir et omettre, espérant néanmoins que quelque chose de
ce qui n’est pas mis en avant sera capté de façon diffuse et entrera dans l’incontrôlable effet
d’ensemble.
Michel Vinaver, écrivain.
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Le début de la reconnaissance
Nous sommes en 1977 : cela fait maintenant sept ans que Koltès écrit pour le théâtre. Il est l’auteur
de huit pièces et d’un roman : aucun de ses textes n’a été publié. Pourtant il s’entête à nouveau, et
lui à qui on a tant reproché son goût pour les monologues persiste et signe avec le long texte à la
première personne intitulé La Nuit juste avant les forêts : une seule phrase, sans point, courant sur
soixante pages ! Cette pièce magnifique ne trouve ni éditeur ni producteur. Heureusement Jean-Paul
Wenzel (auteur et metteur en scène, troisième homme de théâtre, après Boëglin et Gignoux, à avoir
reconnu dès la première lecture le grand talent de Koltès) décide d’apporter son aide au projet, avec
les moyens modestes dont dispose sa compagnie, le Théâtre Quotidien – ce qui permet à Koltès et à
Yves Ferry de créer la pièce au Festival Off d’Avignon. Comme au temps de Strasbourg, l’auteur a
signé la mise en scène, absolument épurée. Et sa première vraie rencontre avec le public a lieu : les
spectateurs viennent chaque soir plus nombreux, le spectacle est un des succès du Off, la presse
nationale, pour la première fois, s’intéresse à Koltès. Gilles Sandier, remarquable critique de
l’époque, écrira un article enthousiaste et d’une rare perspicacité : « Assis à une table de café, un
garçon de vingt-cinq ans, avec du feu dans son corps tout en nerfs […] tente de retenir, en usant de
tous les mots dont il dispose, un inconnu – un enfant peut-être – qu’il a abordé dans la rue, un soir où
il était seul, seul à en mourir. Il parle, il parle aussi frénétiquement qu’il ferait l’amour, il dit son
univers : ces banlieues où il pleut, où l’on traîne sans travailler et où pourtant l’usine guette […] ces
rues où l’on cherche un être ou une chambre pour une nuit, pour un fragment de nuit, où l’on fait
l’amour sur un pont avec une fille qu’on ne reverra plus et qui est belle comme un mythe, où l’on se
cogne à des loubards partant à la chasse aux ratons, aux pédés, bref un univers nocturne où il est
étranger – un métèque en somme – et qu’il fuit en se cognant partout, dans sa difficulté d’être et sa
fureur de vivre. Ce texte d’un lyrisme sauvage et familier […] ce texte superbe dans son refus de
toute littérature, de toute rhétorique et pourtant très écrit mais d’une écriture qui appelle la parole, ce
texte qui est un appel, un cri de tendresse, Yves Ferry le profère avec une justesse ardente […] une
sorte de frénésie pudique qui fait qu’on le reçoit en plein cœur »1. Le succès du spectacle le conduira
à une tournée un peu partout en France, cette fois dans le circuit « institutionnel » du théâtre, et à une
reprise à Paris dans la petite salle du TEP. Ce n’est pas la gloire mais très certainement le début
d’une reconnaissance de Koltès par le milieu du théâtre professionnel. En 1981, alors qu’Yves Ferry,
n’a pas cessé de tourner le spectacle en l’absence de Koltès, qui voyage beaucoup ces années-là,
La Nuit juste avant les forêts sera jouée au Petit Odéon – voué alors à la découverte des auteurs
contemporains – dans une mise en scène de Jean-Luc Boutté (sociétaire de la Comédie-Française) –
avec Richard Fontana : première et modeste consécration publique de l’importance d’une écriture.
Mais, à cette époque, Koltès a déjà terminé Combat de nègre et de chiens, qu’il a rédigée lors d’un
séjour au Guatemala. Sitôt écrite, la pièce a paru en 1979 dans la collection « Tapuscrits » de Théâtre
Ouvert (suivie d’ailleurs de La Nuit juste avant les forêts). Elle a immédiatement fait l’objet de
1
In Politique-Hebdo, n°38, 10 avril 1978.
13
multiples demandes. Mais Koltès a finalement choisi d’en différer la création : car dès 1981 Patrice
Chéreau s’est engagé à monter la pièce.
Si Combat est la première œuvre de Koltès à susciter le désir de metteurs en scène – et non des
moindres ! -, c’est pourtant La Nuit juste avant les forêts qui apparaît rétrospectivement comme le
moment charnière dans la reconnaissance de l’auteur. Pourquoi ce texte a-t-il réussi là où les
prédécesseurs avaient échoué ? Plus profondément, pourquoi est-ce avec cette pièce que Koltès a
eu le sentiment de trouver sa manière, au point de renier tout ce qu’il avait écrit avant ? Est-ce dû à la
beauté de sa rythmique obsédante mais jamais lassante, comme celle du reggae qu’il aimait tant ? A
la musicalité si particulière que confère à La Nuit l’usage intensif de la répétition, le retour affirmé des
leitmotive ? Est-ce parce que Koltès tente de s’y faire entendre aussi désespérément que son
personnage ? Est-ce parce que le destin du locuteur concentre les thèmes les plus chers à son
auteur : la solitude, la quête de soi, le rêve d’une vie meilleure, l’exclusion, la difficulté à exprimer une
demande et l’impossibilité de se soustraire au désir ? Est-ce parce qu’il y a radicalisé jusqu’à l’épure,
étendu à une pièce à une pièce entière, une situation de parole qu’il affectionne depuis toujours et à
laquelle il ne cessera de revenir ? Car La Nuit n’est pas un monologue – discours que le personnage
tiendrait à lui-même ou qu’il adresserait au public – mais, selon, une figure typiquement koltésienne,
un soliloque, c’est-à-dire un face-à-face où un seul des interlocuteurs parle tandis que l’autre se tait.
De pièce en pièce ce déséquilibre fondamental du dialogue pourra recevoir diverses justifications –
adresse à un personnage évanoui, endormi ou feignant de l’être, enfermé dans une pièce attenante,
délibérément mutique – ou le plus souvent, comme dans La Nuit, être livré sans explication.
Koltès et Chéreau
C’est aussi dans La Nuit juste avant les forêts que Koltès atteint, pour la première fois sur toute la
durée d’une pièce, cet équilibre singulier entre langue parlée et langue écrite qui sera désormais le
sceau reconnaissable entre tous de son écriture. Cette langue fut la première chose qui retint
l’attention de Patrice Chéreau lorsqu’il découvrit Combat de nègre, le déclic qui détermina son
compagnonnage avec Koltès. De 1983 à 1988, il mit en scène quatre de ses pièces ; et s’il lui avait
imposé une attente de plusieurs années pour la première, il monta les trois suivantes (Quai Ouest,
Dans la solitude des champs de coton, Le Retour du désert) au fur et à mesure que Koltès les
écrivait, […].
14
Extrait de la pièce Début
« Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai
vu, il pleut, cela ne met pas à son avantage
quand il pleut sur les cheveux et les fringues,
mais quand même j’ai osé, et maintenant
qu’on est là, que je ne veux pas me regarder, il
faudrait que je me sèche, retourner là en bas
me remettre en état – les cheveux tout au
moins pour ne pas être malade, or je suis
descendu tout à l’heure, voir s’il était possible
de se remettre en état, mais en bas sont les
cons, qui stationnent : tout le temps de se
sécher les cheveux, ils ne bougent pas, ils
restent en attroupement, ils guettent dans le
dos, et je suis remonté – juste le temps de
pisser – avec mes fringues mouillées, je
resterai comme cela, jusqu’à
être dans une chambre : dès qu’on sera
hôtels cent mille glaces vous regardent, dont il
installé quelque part, je m’enlèverai tout, c’est
faut se garder — car je vis à l’hôtel depuis
pour cela que je cherche une chambre, car
presque toujours, je dis : chez moi par
chez moi impossible, je ne peux pas y rentrer
habitude, mais c’est l’hôtel, sauf ce soir où ce
– pas pour toute la nuit cependant –, c’est
n’est pas possible, sinon c’est bien là qu’est
pour cela que toi, lorsque tu tournais, là-bas,
chez moi, et si je rentre dans une chambre
le coin de la rue, que je t’ai vu, j’ai couru, je
d’hôtel, c’est une si ancienne habitude, qu’en
pensais : rien de plus facile à trouver qu’une
trois minutes j’en fais vraiment un chez-moi,
chambre pour une nuit, une partie de la nuit, si
par de petits riens, qui font comme si j’y avais
on le veut vraiment, si l’on ose demander,
vécu toujours, qui en font ma chambre
malgré les fringues et les cheveux mouillés,
habituelle,
malgré la pluie qui ôte les moyens si je me
habitudes, toutes glaces cachées et trois fois
regarde dans une glace – mais même si on ne
rien, à tel point que, s’il prenait à quelqu’un de
le veut pas, il est difficile de ne pas se
me faire vivre tout à coup dans une chambre
regarder, tant par ici il y a de miroirs, dans les
de maison, qu’on me donne un appartement
cafés, les hôtels, qu’il faut mettre derrière soi,
arrangé
comme maintenant qu’on est là, où c’est toi
appartements où il y a des familles, j’en ferais,
qu’ils regardent, moi, je les mets dans le dos,
en y entrant, une chambre d’hôtel, rien que d’y
toujours, même chez moi, et pourtant c’en est
vivre, moi, à cause de l’habitude – »
plein comme partout ici, jusque dans les
où
je
comme
vis,
on
avec
veut,
toutes
comme
mes
les
B.-M. Koltès, La Nuit juste avant les forêts,
© 1988 by LES EDITIONS DE MINUIT
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HISTOIRE DES ARTS
Basquiat
Jean-Michel
Basquiat
(1960-1988),
artiste
américain, mort lui aussi prématurément.
Son style est qualifié de nerveux, énergique et
violent. Ses œuvres montrent divers motifs
récurrents : squelettes et masques exprimant
son obsession de la mort, éléments urbains
tels que voitures, immeubles, jeux d’enfants,
graffitis…
Jean-Michel Basquiat, Autoportrait, New York.
ECHOS DANS LA PRESSE (INTERNET)
« La Nuit juste avant les forets »
Romain Duris – Patrice Chéreau – Critique
En 1977, Bernard-Marie Koltès écrit La nuit juste avant les forêts, un monologue d’une phrase
clamée par un homme dont la mort est au bout du chemin. 34 ans après, Patrice Chéreau et
Thierry Thieû Niang adaptent ce texte qui n’a pas pris une ride mais souffre de quelques
répétitions. Romain Duris, pour qui c’est une première sur les planches, y passe son brevet
haut la main. Etonnant.
Avec la carte blanche proposée par Le Louvre à Patrice Chéreau, le metteur en scène français est
récemment allé sous tous les fronts : conférences, rétrospectives, expositions, mises en scène…
Depuis le 2 novembre dernier, c’est un festival Chéreau qui nous est offert. Intitulé par lui-même Les
visages et les corps, jamais une manifestation n’aura aussi bien porté son nom. Car Chéreau est
avant tout un homme qui aime sentir ses acteurs et les emmène dans un voyage au plus profond de
leurs sentiments. Il en résulte chaque fois des spectacles intenses et profonds où l’homme est
souvent réduit à un état animal. Il est alors question de dépendance et de survie jusqu’à ce que mort
s’en suive. C’est d’ailleurs le point commun de ses récentes mises en scène que deux grands
théâtres parisiens ont programmées : Rêve d’automne de Jon Fosse au Théâtre de la Ville et La nuit
juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès au Théâtre de l’Atelier. Deux textes puissants et
contemporains qui, s’ils ne créent pas l’unanimité, ont le mérite de déranger et de bousculer.
Chéreau x 2
Châteauvallon, Valence, Nevers, le Louvre et maintenant le Théâtre de l’Atelier à Paris. Depuis juin
2010, Patrice Chéreau et Romain Duris se sont retrouvés après leur collaboration sur le
film Persécution pour travailler sur La nuit juste avant les forêts de Koltès, un monologue qui semble
avoir été écrit pour eux. Sur le papier, tous les éléments sont réunis pour rendre cette pièce
détestable et si parisienne : un acteur « bankable » utilisé à contre-emploi, un texte dense sur les
horreurs du monde, un théâtre dans un quartier branché et un décor dépoussiéré de tout objet
encombrant. Pourtant, la sauce prend rapidement et n’énerve aucunement à la différence de Rêve
d’Automne qui pouvait agacer par ses silences et ses dialogues en monosyllabes. Cette dernière
pièce de Jon Fosse peut opérer cependant chez le spectateur quelques bouffées émotionnelles
grâce à la justesse de ses acteurs (Valéria Bruni-Tedeschi étant tout à fait audible et Bull Ogier
parfaite), un décor froid, imposant, ainsi qu’un jeu de mime sensoriel très opératique. Le
rapprochement avec La nuit juste avant les forêts est d’autant plus facile à faire puisque dans les
deux pièces, il est question de rencontres, de mort, de cimetière, de Sans Domicile Fixe et de
chassés-croisés. Le texte de Koltès y est à ce titre parsemé et il est parfois difficile de garder
pendant 1h30 toute son attention mais le jeu et la voix inhabituelle de Romain Duris sont vaillamment
là pour nous rappeler à l’ordre.
Chéreau – Duris
Tout commence en dehors de la salle de théâtre. Avant même d’entrer dans l’enceinte du lieu, vous
êtes déjà dans la pièce. Votre déambulation dans le métro et dans la rue nocturne annonce autant de
décors imaginaires que vous allez re-créer dans votre esprit tout au long de ce monologue. La preuve
en est la présence de Romain Duris qui vous attend déjà sur son lit d’hôpital, semi-conscient, avant
que les lumières ne s’éteignent. Vous entrez alors dans un voyage initiatique qui pourrait faire écho à
celui d’Henri dans L’homme blessé, l’un des premiers films de Patrice Chéreau avec Jean-Hugues
Anglade. On savait déjà ce film plus ou moins autobiographique. La pièce l’est-elle aussi pour
Chéreau ? On se le demande plusieurs fois car cet homme dessiné par Koltès rappelle aussi le
personnage de Romain Duris dans Persécution, œuvre injustement mal-aimée lors de sa sortie en
salle. Si le film commençait par une magistrale scène d’humiliation dans le métro parisien, elle se
prolonge ici dans un passage fragile et d’abaissement dont on ne peut sortir que par la mort.
On comprend pourquoi Patrice Chéreau a choisi de concevoir cette mise en scène au côté du
chorégraphe Thierry Thieû Niang qui, à eux deux, exorcisent Romain Duris… par le visage et
par le corps.
Edouard Brane, le 26/01/11, artcile posté sur le site Internet du webmag www.Kourandart.com
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La nuit juste avant les forêts,
Chéreau trouve en Romain Duris un acteur koltésien évident
Patrice Chéreau revient à l’œuvre de Bernard-Marie Koltès dont il a déjà monté quatre pièces et c’est
éblouissant. Il met en scène, avec Thierry Thieû Niang, La Nuit juste avant les forêts, le premier texte,
à la poésie incroyablement dense et puissante, de l’auteur dramatique et offre à Romain Duris un
immense rôle pour ses débuts au théâtre.
La soixantaine de pages que représente le texte de Koltès publié aux Editions de Minuit se compose
d’une seule phrase, longue et sinueuse à travers laquelle la voix d’un homme anonyme s’échappe,
apparemment sans contrôle et d’une seule traite. Il s’agit d’une parole fleuve, impossible à contenir,
adressée à un inconnu rencontré par hasard, une nuit, dans la rue, sous la pluie, un interlocuteur
qu’on ne sait finalement réel ou inventé car il reste scéniquement invisible. « Tu tournais le coin de la
rue lorsque je t’ai vu ». C’est ainsi qu’il l’aborde au début puis continue de l’apostropher
« Camarade ! », et finit par lui déclarer son amour que personne ne veut entendre. « Je te regarde, je
t’aime ». La forme du soliloque souligne la part monologique de toute adresse à l’autre, la solitude
extrême du personnage et le besoin irrépressible de dire malgré tout.
Chéreau invente un cadre encore jamais exploité par les mises en scène précédentes de la pièce et
qui paraît ici une évidence. Il fait le choix de ne pas présenter le locuteur à la terrasse d’un café et
imagine pour décor une chambre d’hôpital. Le parquet ciré du Louvre est recouvert d’un sol blanc
comme le drap qui recouvre le lit médical presque au centre du plateau. Cet espace clôt et rétréci
renforce l’isolement du personnage. Il dramatise encore davantage la portée du texte en plaçant
d’emblée cet homme face à sa mort. On pense à Son frère, un film dans lequel Chéreau scrute sans
complaisance ni pudeur la souffrance d’un homme fauché par la mort dans la fleur de l’âge. On
pense à Koltès disparu à quarante et un ans.
Couché tout habillé dans le lit, Romain Duris surgit soudainement de l’immobilité dans un
mouvement de panique. Il reprend son souffle, le corps tout en tension. Sur son visage presque
fermé, dur, égaré, effrayé tout à la fois, une compresse au dessus de l’arcade sourcilière droite et du
sang qui coule sur sa joue. On imagine qu’il s’est fait cogner par les chasseurs de ratons, les
loubards du métro, ou bien les cons d’en bas qui stationnent. L’acteur, défait de l’image du flambeur
rebelle et séducteur, est sidérant de maîtrise et de vérité. Ainsi dirigé par Patrice Chéreau, il réalise
une prestation intense, étourdissante. Il est au plus prêt du personnage et de sa lutte, joue avec
intelligence et subtilité le désarroi de ce type dont on ne sait rien, marginal et chahuté parce qu’il est
étranger (il n’a pas de travail ni de maison, il vit à l’hôtel), bousculé par une société excluante et
haineuse, profondément inadapté au monde, « tout ce bordel » comme il dit. Fragile et viril, il veut
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tout casser, chute, rampe au sol, veut s’échapper, évoque les forêts du Nicaragua, terre d’Afrique
tant aimée par Koltès, qui comme une chambre d’hôtel lui serviraient de refuge.
Patrice Chéreau étire judicieusement le temps du spectacle pour donner le temps à l’acteur de dire
ce texte qu’on a pensé parfois plus efficace de brailler d’une traite comme un cri salvateur. On est
suspendu aux lèvres de l’acteur qui avec un calme presque dérangeant, sans brutalité, livre le texte
minutieusement découpé. Sa mise en scène laisse entendre l’insoluble solitude de l’être, son
déchirant appel à l’autre, cette demande d’amour qui ne trouve pas de réponse, la vanité des mots et
la mort qui paraît.
« La Nuit juste avant les forêts » se joue ce soir encore pour deux représentations au Louvre le jeudi 2
décembre à 19H et 21H30. Le spectacle sera repris en janvier au Théâtre de l’Atelier à Paris.
Publié le 02 décembre 2010 par Christophe Candoni, sur le site Internet www.toutelaculture.com
L’EQUIPE ARTISTIQUE
Patrice Chéreau Metteur en scène
Né en 1944, Patrice Chéreau passe son enfance à Paris avec deux parents peintres qui lui transmettent le goût
des arts. Il commence sa carrière dans le théâtre, à vingt et un ans, en dirigeant le Théâtre de Sartrouville avant
de faire faillite et de travailler au Piccolo Teatro de Milan. En Italie, il monte plusieurs pièces (Neruda, Lulu de
Wedekind, Marivaux, Dorst) mais aussi L’Italienne à Alger de Rossini, au Festival de Spolète. Codirecteur du
TNP de Villeurbanne de 1972 à 1981 avec Roger Planchon et Robert Gilbert, il aborde Marlowe, Marivaux (La
Dispute), Bond (Lear), Wenzel et Ibsen (Peer Gynt). Il met en scène des opéras, Les Contes d’Hoffmann
d’Offenbach à l’Opéra de Paris (1974). Puis, avec Pierre Boulez, il monte au Festival de Bayreuth (1976 à 1980),
Der Ring des Nibelungen, la Tétralogie de Richard Wagner à l’occasion du centenaire de la création de l’œuvre.
Puis la version intégrale de Lulu de Berg à l’Opéra de Paris (1979). En 1982, il prend la direction du Théâtre des
Amandiers à Nanterre avec Catherine Tasca. Il rencontre Bernard-Marie Koltès qu’il contribue à révéler en créant
la plupart de ses pièces. Il monte aussi Genet, Marivaux, Heiner Müller, Tchékhov et Shakespeare (Hamlet, au
Festival d’Avignon en 1988).
En 1983, L’Homme blessé le fait connaître des cinéphiles et remporte l’année suivante le César du meilleur
scénario. Durant ces années, il monte également Lucio Silla de Mozart, puis, après son départ des Amandiers en
1990, Wozzeck au Théâtre du Châtelet en 1992 et Don Giovanni au Festival de Salzbourg (de 1994 à 1996), ces
deux opéras dirigés par Daniel Barenboim.
Au cinéma, après La chair de l’orchidée (1975), avec Charlotte Rampling, Judith Therpauve (1978), avec Simone
Signoret, L’homme blessé (1983), avec Jean-Hugues Anglade et Vittorio Mezzogiorno, Hôtel de France (1987),
Le Temps et la Chambre (1992), La Reine Margot (avec Isabelle Adjani) remporte le prix du jury au Festival de
Cannes de 1994, puis cinq césars.
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Par la suite, ses films se font plus personnels. Ceux qui m’aiment prendront le train reconduit le cinéaste à
Cannes en 1998, et Intimacy, tourné en anglais à Londres remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin de 2001
ainsi que le prix Louis-Delluc. Les deux films ont choqué par leur réalisme et leur crudité, mais aussi marqué par
la force de leur mise en scène. Avec Son frère, (Ours d’argent à Berlin), Patrice Chéreau continue sur cette
lancée et se concentre sur une histoire plus intime, comme dans Intimacy, celle d’un homme qui se découvre
incapable de supporter la peur que lui inflige sa maladie.
Il est revenu au théâtre en 2003 pour monter la Phèdre de Racine avec Dominique Blanc, (Odéon-Théâtre de
l’Europe, RuhrTriennale et Festival de Vienne en Autriche). Son dixième film, Gabrielle, d’après une nouvelle de
Joseph Conrad, avec Isabelle Huppert et Pascal Greggory, est sorti en septembre 2005. En juillet 2005, Così fan
tutte de Mozartmarque son retour à l’opéra au Festival d’Aix-en-Provence, puis à l’Opéra de Paris (septembre
2005 et octobre 2006) ainsi qu’au Theater an der Wien (Vienne, Autriche en juin 2005 et novembre 2006).
En 2007 et 2009, il a continué à travailler à l’opéra : De la Maison des Morts de Janácek, mise en scène en
collaboration avec Thierry Thieû Niang, opéra pour lequel il retrouve Pierre Boulez (Vienne, Amsterdam et Aix-enProvence) puis Esa-Pekka Salonen, (Metropolitan Opera de New York en 2009 et Scala de Milan en 2010), et
Tristan et Isolde de Richard Wagner à la Scala en 2007 et 2008 également avec à nouveau Daniel Barenboïm.
En collaboration à nouveau avec Thierry Thieû Niang, il a monté en 2009 La Douleur de Marguerite Duras avec
Dominique Blanc. Son dernier film, Persécution avec Romain Duris et Charlotte Gainsbourg est sorti en
décembre 2009.
Il sera le grand invité du Louvre en novembre 2010 où il présentera aussi La Nuit juste avant les forêts, mise en
scène avec Thierry Thieû Niang et avec Romain Duris.
Thierry Thieû Niang Metteur en scène – Chorégraphe
Pour Thierry Thieû Niang, danseur et chorégraphe, l’acte artistique demande une attention à chacune des
étapes qui rendent possible la création d’une œuvre, le partage d’un projet – sensibilisation, formation,
interprétation et réflexion – autant de moments inscrits au cœur de l’expérience en commun menée depuis
plusieurs années en France et à l’étranger (Nairobi, New York, Londres, Madrid, Milan et Berlin).
Laboratoires en mouvement et déplacements où de nombreux artistes différents – danseurs, musiciens,
comédiens, plasticiens, écrivains…– ainsi que des amateurs – enfants, adultes en difficulté, seniors et
handicapés – sont invités pour remettre en jeu les outils de composition autour du mouvement dansé.
En 2010/11, il est artiste associé avec Norah Krief, Angélique Clairand, Catherine Nicolas, Lancelot Hamelin, Éric
Massé et Olivier Balazuc à la Comédie de Valence auprès de Richard Brunel.
Il collabore également avec Ariane Ascaride et Marie Desplechin au Festival d’Avignon 2010 pour Le sujet à vif,
avec Oscar Strasnoy et Alberto Manguel au Festival d'Aix-en- Provence pour Un retour, et au Louvre en
automne prochain avec Clara Cornil et Klaus Janek - création - et avec aussi Romain Duris, Waltraud Meier et
Bastien Lefèvre pour « Le Louvre invite Patrice Chéreau, les visages et les corps ».
Quelques dates
2000 : Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce avec François Rancillac
2002 : Rencontre Clara Cornil et Klaus Janek à Berlin. Début de leur collaboration
2005 : Résidence à Nairobi auprès de Opiyo Okach, chorégraphe kenyan
2007 : De la Maison des Morts de Janácek, mise en scène Patrice Chéreau, direction musicale Pierre Boulez et
La Douleur de Marguerite Duras avec Dominique Blanc
2008 : Au bois dormant avec Marie Desplechin et Benjamin Dupé
2010 : Un retour d’Oscar Strasnoy, création au Festival d’Aix-en-Provence
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Romain Duris Comédien
Né à Paris en 1974, Romain Duris passe un bac littéraire avant de suivre des cours de dessin à l’école Duperré.
Remarqué par un directeur de casting, il fait ses débuts dans Mademoiselle Personne, un semi documentaire
autour de Jean-Louis Murat qui, bien que réalisé pour le cinéma, ne sortira pas en salle. Ses vrais débuts,
Romain Duris les fait dans Le péril jeune, de Cédric Klapisch, pour lequel il obtient le Prix coup de cœur du
Festival de Paris et la PIPA d’Or – Chamrousse Grand Prix. Cédric Klapisch refera appel au jeune comédien pour
Chacun cherche son chat.
Entre-temps, Duris apparaît dans Frères : la roulette rouge (1994), un téléfilm d’Olivier Dahan.
Romain Duris ne tarde pas à devenir l'un des comédiens les plus populaires de sa génération. Sollicité par la
jeune garde du cinéma français (Kounen, Graham Guit), il retrouve Olivier Dahan pour Dejà mort, il incarne le
père de... Belmondo dans le film d'anticipation Peut-être (1999). Une forte complicité se noue également avec
Tony Gatlif, qui l'emmène en Roumanie à la découverte du monde gitan dans Gadjo Dilo, avec au bout de cette
quête initiatique une nomination au César du Meilleur espoir en 1999.
En 2002, l’immense succès de L'Auberge espagnole, comédie de Klapisch, marque un tournant dans la carrière
de Romain Duris. S'il continue d'être à l'affiche de premiers films audacieux, d'Osmose au quasi-expérimental
Shimkent Hotel en passant par 17 fois Cécile Cassard, il prend désormais part à des projets de plus grande
ampleur : donnant la réplique à Adjani dans Adolphe, il enfile le costume de gentleman cambrioleur dans la
superproduction Arsène Lupin (2004). Toujours fidèle à Tony Gatlif (Exils) et à Klapisch (Les Poupées russes,
Paris), il impressionne dans De battre mon coeur s'est arrêté d'Audiard (2005).
Romain Duris s’engage également dans des projets aussi divers que le film à costumes Molière (2007) de
Laurent Tirard, l'adaptation du roman fantastique Et après (2008) - son deuxième long métrage anglophone
après CQ (2003) - et Persécution (2009) de Patrice Chéreau, œuvre pour laquelle il partage l'affiche avec
Charlotte Gainsbourg et Jean-Hugues Anglade.
Caroline de Vivaise Costumière
Caroline de Vivaise a travaillé au milieu des années 80 sur quelques pièces de théâtre avec Patrice Chéreau,
notamment Quai Ouest, La Solitude des Champs de Coton, Le Retour au Désert de Bernard-Marie Koltès.
À l’opéra, elle a créé les costumes de Cosi Fan Tutte et De la Maison des Morts entre 2005 et 2010 pour les
mises en scène de Patrice Chéreau.
Elle a travaillé sur sept des films de Patrice Chéreau :
L’homme blessé – Hôtel de France – Ceux qui m’aiment prendront le train – Intimacy – Son Frère – Gabrielle –
Persécution
Bertrand Couderc Éclairagiste
Depuis 2005, Bertrand Couderc crée les lumières des spectacles de Patrice Chéreau : Tristan und Isolde à la
Scala, direction musicale de Daniel Barenboïm. En 2007, il a également éclairé Z Mrtvého Domu (De la Maison
des Morts) de Janácek, direction Pierre Boulez, au Theater an der Wien. En 2005, pour leur première
collaboration, il crée les lumières de Cosi Fan Tutte direction Daniel Harding au festival d’Aix-en-Provence.
Fidèle éclairagiste de Philippe Calvario, il a éclairé Angels in America au Théâtre du Châtelet, L'amour des 3
oranges au Festival d'Aix-en-Provence et à Madrid, Belshazzar au Halle Staatsoper, Iphigénie en Tauride au
Staatsoper de Hambourg et ses spectacles de théâtre, Roberto Zucco, Grand et Petit, Richard III…
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Il signe également la lumière de nombreux autres spectacles de théâtre dont ceux de Jacques Rebotier :
L'Oreille Droite, Les ouvertures sont, ZooMusik… Citons également ses collaborations avec Bruno Bayen pour
Stella ou Laissez-moi seule. Il a créé la lumière pour Colza et Marguerite, reine des prés de Karin Serres.
Sa lumière préférée ? C'est le soleil juste après l'orage, fort et clair sur le trottoir mouillé. Il aime la peinture de
Rothko, les photos d'Irving Penn et les livres de Dickens. Il écoute Ach wie flüchtig, ach wie nichtig (Cantate Bwv
26 Johann-Sebastian Bach), les Gurre Lieder (Arnold Schönberg) et Unknown Pleasures (Joy Division). Et il
regarde inlassablement M (Fritz Lang) Le Mépris (Jean-Luc Godard) et Ikiru (Akira Kurosawa).
École de la Rue Blanche (ENSATT 1987)
Bibliographie
- Bernard-Marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts, Les Editions de Minuit, 1988,
- Bernard-Marie Koltès, Quai Ouest, suivi de Un Hangar à l’Ouest, Les Editions de Minuit, 1985,
- Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton, Les Editions de Minuit, 1986,
- Bernard-Marie Koltès, Combat de nègre et de chiens, Les Editions de Minuit, 1983-1989,
- Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco, suivi de Tabataba et Coco, Les Editions de Minuit, 1990,
- Bernard-Marie Koltès, Sallinger, Les Editions de Minuit, 1995,
- François Bon, Pour Koltès, Les Solitaires intempestifs,
- Enzo Cormann, La Révolte des anges, Les Editions de Minuit, 2004,
- Théâtre aujourd’hui n°5 : Koltès, Combats avec la scène, CNDP, 1996,
- Brigitte Salino, Bernard-Marie Koltès, Stock, 2009.
Filmographie
Patrice Chéreau, Son frère, 2002,
Patrice Chéreau, Persécution, 2008.
Sitographie
La page consacrée à Bernard-Marie Koltès sur le site des Editions de Minuit :
- http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1427
Un site Internet dédié à Basquiat :
- http://jean-michel-basquiat.net/
LA COMEDIE DE REIMS
Centre dramatique national
Direction : Ludovic Lagarde
3 chaussée Bocquaine
51100 Reims
Tél : 03.26.48.49.00
www.lacomediedereims.fr
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