Direction générale des Etudes DOCUMENT DE TRAVAIL LA CITOYENNETÉ EUROPÉENNE PROJET POLITIQUE POUR UNE UNION FÉDÉRALE Série Libertés publiques LIBE 114 FR La présent document de travail est publié dans la langue suivante: FR. Une liste des autres publications de la série "Libertés publiques" figure à la fin de ce document. Editeur: Parlement européen B-1047 Bruxelles Auteur: Marcello Accorsi. Responsable: Jean-Louis Antoine-Grégoire Direction générale des Etudes Division des affaires sociales et juridiques Tél.: (0032) 284 2753 Fax: (0032) 284 9050 E-mail: [email protected] Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position du Parlement européen. Reproduction et traduction autorisées, sauf à des fins commerciales, moyennant mention de la source, information préalable de l'éditeur et transmission d'un exemplaire à celui-ci. Manuscrit achevé en septembre 1999 Direction générale des Etudes DOCUMENT DE TRAVAIL LA CITOYENNETÉ EUROPÉENNE PROJET POLITIQUE POUR UNE UNION FÉDÉRALE Série Libertés publiques LIBE 114 FR 10-2001 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Préface Sommes-nous ou ne sommes-nous pas des citoyens européens à tous les effets? À ces questions et aux autres questions de fond que se posent - consciemment ou non - les citoyens de tous les États membres de l'Union, l'auteur répond de façon attentive et approfondie. Je le remercie de m’avoir aimablement autorisé à présenter son œuvre qui, enfin, aborde un des problèmes les plus épineux de l'identité communautaire sous le profil essentiel des relations entre citoyen et territoire. J'estime qu'il est important, tant en général qu'en particulier, de souligner avec clarté que la souveraineté de l'État tire ses origines, à travers l'histoire, de l'identité commune d'un peuple, de ses batailles pour l'indépendance des territoires, de la richesse de ses traditions, des us et coutumes qui le caractérisent, de sa langue et de ses dialectes qui font partie d'un patrimoine culturel et moral bien déterminé qui en constitue le principal point de référence. Il s'agit d'une souveraineté qui, justement parce qu'elle se fonde sur ces principes et ces bases, n'est pas et ne pourra jamais être remise en question ou "divisée" en deux ou plusieurs parties. Les affirmations contraires à l'identité unitaire d'un pays, même observées à travers ses différences stimulantes et inévitables, ne pourront jamais être acceptées ni trouver l'assentiment de la population, ou du moins de son écrasante majorité. Heureusement, nous sommes convaincus et prêts à défendre l'unité de l'Italie et son esprit religieux et sensible à ces valeurs. La souveraineté de l'Union européenne quant à elle n’est pas née d'un négoce juridique, cependant, étant issue d’un contrat, elle peut tout de même être considérée comme un dérivé. C'est donc une souveraineté contractuelle et toutefois négociée qui a comme présupposé l'accord unitaire de tous les États membres. J'ai voulu clarifier la position de départ d'un voyage dans lequel nous sommes entièrement impliqués. Les citoyens de tous les États membres sont aujourd'hui également des citoyens d'Europe et, en tant que tels, jouissent de droits, mais ont aussi bien sûr des devoirs. On ne peut par ailleurs parler d'une citoyenneté complète puisque les États membres n'ont pas encore délégué ou voulu déléguer à l'Union européenne des pouvoirs forts qui en sont l'expression fondamentale. Je pense ici au fameux troisième pilier qui, comme on le sait, touche certains domaines essentiels non seulement pour l'institution, mais aussi et surtout pour les citoyens qui ne peuvent être considérés comme tels s'ils ne jouissent pas de l'intégralité de certains droits. L'Union ne peut pas encore garantir certains droits aux citoyens parce qu'elle n'en a ni la légitimation, ni le pouvoir. L'Union européenne, en effet, ne peut légiférer en matière de droit pénal, prérogative nationale parmi les plus délicates. L'Union européenne, ne peut aujourd'hui que "recommander" aux États membres d'insérer dans leur éventail juridique des normes pénales envisagées au niveau communautaire (l'Italie, par exemple, a rapidement transposé l'indication sur les fraudes commerciales dans les articles 640 bis et ter, etc.), mais ne peut pas "dicter" de lois en garantissant en premier lieu certains droits aux citoyens face aux "nouveaux" crimes et aux risques communautaires. Le même discours peut être tenu en matière de politique étrangère et de sécurité intérieure, vis-à-vis desquelles les citoyens européens ne peuvent rester longtemps démunis des droits relatifs à revendiquer "directement" à l'UE. iii PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Ce sont de brèves réflexions qui tendent toutefois à montrer le chemin qu'il reste à parcourir, surtout en vue de l'élargissement de l'Union qui nous oblige à affronter et à garantir, à côté de ceux déjà définis, les droits attenants à un domaine aussi sensible pour la personne humaine que celui exposé ci-avant. Il faut reconnaître que le mouvement de rapprochement s'intensifie, même si on a perdu l'occasion précieuse conférée par Amsterdam d'accomplir un véritable saut dans le sens de la qualité. La coopération juridique et judiciaire, les nouveaux devoirs de l'Europe, la politique méditerranéenne de l'Union, l'attention accordée aux pays de l'Est et au Tiers-Monde constituent autant de bancs d'essai permettant de prévoir un virage courageux et nécessaire servant à faire en sorte que le statut communautaire des citoyens puisse être complété et perfectionné. La rédaction de la Constitution de l'Europe est en cours, laquelle a mis l'individu au centre en faisant un choix éclairé, humain et chrétien, en poursuivant des valeurs qui, comme l'a rappelé le président de la République italienne, doivent être défendus bec et ongles. Toutes les conditions sont donc remplies pour parvenir au but recherché. Le travail de M. Accorsi nous donne un coup de main précis pour tracer la bonne voie. Enrico Ferri Membre du Parlement européen Vice-président de la commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures iv PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale RÉSUMÉ L'institution d'une citoyenneté commune constitue un des aspects les plus significatifs du processus d'intégration européenne. Pendant longtemps, peut-être trop, on a analysé, avec une intensité différente, la création du Marché unique européen, attribuant aux aspects économique et financier une importance excessive, au point que ceux-ci ont fini par masquer l'objectif originel des pères fondateurs de la Communauté: unir les peuples d'Europe et non seulement les marchés nationaux. Lors de la Conférence intergouvernementale de Maastricht en 1993, un pas extraordinaire avait été accompli: la création d'une monnaie unique européenne a certes monopolisé l'attention générale mais ce qui, aux yeux de l'auteur, est le plus ressorti, c'est la façon dont les chefs d'État et de gouvernement ont concrétisé une idée, celle de la citoyenneté européenne. Ce n'est pas un hasard si de nombreux leaders politiques ont affirmé à plusieurs reprises que l'euro devra surtout stimuler la création définitive d'une Union plus étroite entre les peuples européens et développer ainsi un sens commun d'appartenance à une communauté unique. Avec cette étude, l'auteur appuie la thèse selon laquelle le noyau encore faible de dispositions qui ont institué la citoyenneté européenne peut représenter le véritable fondement d'une union fédérale des États européens. Ainsi, au premier chapitre, l'auteur a voulu déterminer la signification authentique du nouveau concept en prouvant que, de fait, avoir créé une citoyenneté commune signifie avoir tracé une voie bien plus claire que ce que l’on voulait montrer. Même à moyen terme, les nouveaux droits des citoyens européens inciteront les classes dirigeantes et politiques à accomplir un pas final et décisif, à savoir rapprocher l'Union européenne d'un modèle d'organisation fédérale plutôt que confédérale comme c'est le cas aujourd'hui. Au deuxième chapitre, au contraire, se trouve décrite l'histoire chaotique et jalonnée d'obstacles qui a amené l'édifice communautaire à assumer de plus en plus un rôle de maison commune et d'espace intégré de libertés civiles et politiques sur le fond duquel on trouve un ensemble de valeurs partagées par les forces politiques nationales les plus représentatives. L'effort des institutions communautaires pour conférer à la Communauté, devenue Union, un aspect plus démocratique, a été énorme. Le résultat est le fruit d'un jeu d'équipe patient, méticuleux et tenace entre les parlementaires européens conscients de leur rôle institutionnel et les commissaires qui se sont succédé au fil du temps. Le Parlement européen a adopté de nombreuses dispositions en matière de citoyenneté. Certaines d'entre elles ont un effet incertain si pas nul, mais d'autres ont montré la voie, indiqué le chemin à parcourir aux chefs d'État et de gouvernement et à leurs ministres, trop souvent gardiens jaloux de prérogatives désormais supranationales. La Commission européenne a elle aussi joué un rôle déterminant en faveur du développement du concept de citoyenneté européenne, tout comme la Cour de justice, par son raisonnement jurisprudentiel ascétique et souvent fort prudent. v PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Enfin, au troisième chapitre, sans prétendre dresser une analyse détaillée, sont décrits les nouveaux droits des citoyens européens tels que voulus par le traité de Maastricht sur l'Union européenne. Le traité d'Amsterdam a fait l'objet d'une vue d'ensemble, en raison notamment du peu de temps écoulé depuis son entrée en vigueur (1er mai 1999). En effet, dans les dispositions concernant directement la citoyenneté européenne, aucun grand changement n'a été observé. On a plutôt procédé à une consolidation de ce qui avait déjà été dit précédemment. Dans son ensemble, le nouveau traité a suscité des progrès notables concernant la création d'un espace unique européen de sécurité, de liberté et de justice, même si la conséquence de tout cela doit encore être établie sur la base d'actes législatifs à adopter. Il ne fait toutefois aucun doute que ce nouveau texte constitutionnel a apporté un ballon d'oxygène au développement naturel du concept de citoyenneté de l'Union européenne, encore méconnu par un trop grand nombre de citoyens. vi PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale SOMMAIRE Préface ……………………………………………………………………………………iii Résumé ………………………………………………………………………………….. v Introduction ....................................................................................................................... 1 Chapitre I - La citoyenneté européenne, embryon d'une Union fédérale .................... 3 Chapitre II - Des citoyens spéciaux aux citoyens de droit ………………………. . . .15 Chapitre III - La citoyenneté européenne: dispositions du traité de la CE ............... 25 1.1. Brèves allusions aux innovations apportées par le traité d'Amsterdam................. 25 1.2. Le droit de libre circulation et d'établissement sur le territoire de la Communauté........................................................................................................... 29 1.3. Les droits politiques des citoyens européens ......................................................... 35 1.4. Autres droits des citoyens de l'Union: droit de pétition au Parlement, droit de recours au Médiateur européen, droit à la protection diplomatique et consulaire............................................................................................................ 35 Conclusions...................................................................................................... 43 Liste des publications …………………………………………………………………….46 vii PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale INTRODUCTION Après avoir dédié plusieurs années à l'étude du droit des Communautés européennes, il m'a semblé opportun et extrêmement intéressant d'axer mon attention sur un des aspects les plus significatifs du processus d'intégration européenne: l'institution d'une citoyenneté commune. Pendant longtemps, peut-être trop, on a analysé, avec une intensité différente, la création du Marché unique européen, attribuant aux aspects économique et financier une importance excessive, au point que ceux-ci ont fini par masquer l'objectif originel des pères fondateurs de la Communauté: unir les peuples d'Europe et non seulement les marchés nationaux. J'ai rapidement compris que lors de la Conférence intergouvernementale de Maastricht en 1993, un pas extraordinaire avait été accompli: la création d'une monnaie unique européenne a certes monopolisé l'attention générale mais ce qui, à mes yeux, est le plus ressorti, c'est la façon dont les chefs d'État et de gouvernement ont concrétisé une idée, celle de la citoyenneté européenne. Ce n'est pas un hasard si de nombreux leaders politiques ont affirmé à plusieurs reprises que l'euro devra surtout stimuler la création définitive d'une Union plus étroite entre les peuples européens et développer ainsi un sens commun d'appartenance à une communauté unique. Avec cette étude, j'appuie la thèse sur la base de laquelle le noyau encore faible de dispositions qui ont institué la citoyenneté européenne peut représenter le véritable fondement d'une union fédérale des États européens. Ainsi, au premier chapitre, j'ai voulu déterminer la signification authentique du nouveau concept en prouvant que, de fait, avoir créé une citoyenneté commune signifie avoir tracé une voie bien plus claire que ce que l’on voulait montrer. Je pense que, même à moyen terme, les nouveaux droits des citoyens européens inciteront les classes dirigeantes et politiques à accomplir un pas final et décisif, à savoir rapprocher l'Union européenne d'un modèle d'organisation fédérale plutôt que confédérale comme c'est le cas aujourd'hui. Au deuxième chapitre, au contraire, j'ai dépeint l'histoire chaotique et jalonnée d'obstacles qui a amené l'édifice communautaire à assumer de plus en plus un rôle de maison commune et d'espace intégré de libertés civiles et politiques sur le fond duquel on trouve un ensemble de valeurs partagées par les forces politiques nationales les plus représentatives. L'effort des institutions communautaires pour conférer à la Communauté, devenue Union, un aspect plus démocratique, a été énorme. Le résultat est le fruit d'un jeu d'équipe patient, méticuleux et tenace entre les parlementaires européens conscients de leur rôle institutionnel et les commissaires qui se sont succédé au fil du temps. Le Parlement européen a adopté de nombreuses dispositions en matière de citoyenneté. Certaines d'entre elles ont un effet incertain si pas nul, mais d'autres ont montré la voie, indiqué le chemin à parcourir aux chefs d'État et de gouvernement et à leurs ministres, trop souvent gardiens jaloux de prérogatives désormais supranationales. La Commission européenne a elle aussi joué un rôle déterminant en faveur du développement du concept de citoyenneté européenne, tout comme la Cour de justice, par son raisonnement jurisprudentiel ascétique et souvent fort prudent. Enfin, au troisième chapitre, sans prétendre dresser une analyse détaillée, sont décrits les nouveaux droits des citoyens européens tels que voulus par le traité de Maastricht sur l'Union 1 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale européenne. Le traité d'Amsterdam a fait l'objet d'une vue d'ensemble, en raison notamment du peu de temps écoulé depuis son entrée en vigueur (1er mai 1999). En effet, dans les dispositions concernant directement la citoyenneté européenne, aucun grand changement n'a été observé. On a plutôt procédé à une consolidation de ce qui avait déjà été dit précédemment. Dans son ensemble, le nouveau traité a suscité des progrès notables concernant la création d'un espace unique européen de sécurité, de liberté et de justice, même si la conséquence de tout cela doit encore être établie sur la base d'actes législatifs à adopter. Il ne fait toutefois aucun doute que ce nouveau texte constitutionnel a apporté un ballon d'oxygène au développement naturel du concept de citoyenneté de l'Union européenne, encore méconnu par un trop grand nombre de citoyens. 2 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale CHAPITRE I La citoyenneté européenne, embryon d'une Union fédérale Depuis son institution par le traité de Maastricht1, la citoyenneté de l'Union assume un rôle essentiel2 dans le développement actuel du processus d'intégration européenne. Non seulement par ses conséquences politiques, mais aussi parce qu'elle implique l'abandon définitif d'une caractérisation principalement économique de la construction de l'édifice communautaire3. En d'autres termes, elle constitue une clé de voûte4 de l'Union européenne, entendue comme une "nouvelle étape du processus de création d'une union de plus en plus étroite entre les peuples d'Europe"5. Ainsi, même si le chemin de la consécration de la citoyenneté européenne a été long, tortueux et accidenté, il peut en définitive sembler obligé6. Il existe en effet un rapport de 1 Articles 17-22, partie II du traité sur l'Union européenne (TUE) tel que modifié par le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 1999 (ex-article 8, partie II, du traité de Maastricht). Pour une documentation complète du traité de Maastricht signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, voir: - A. Tizzano, Codice dell'Unione europea, Cedam, Padoue, 1995, reprenant le texte intégral du traité. - C. Curti Gialdino, Il Trattato di Maastricht sull'Unione europea, Istituto poligrafico e Zecca dello Stato, Rome, 1993. - G. P. Orsello, Ordinamento comunitario e Unione europea, Giuffrè, Milan, 1998. - G. Tesauro, Diritto comunitario, Cedam, Padoue, 1995. - C. Zanghì, Istituzioni di diritto dell'Unione europea, Turin, 1995. - J. Choos, G. Reinesch, D. Vignes, J. Weyland, Le Traité de Maastricht, Bruylant, Bruxelles, 1993. - M. Panebianco, C. Risi, Codice di Maastricht, Ledip-Elea Press, Rome, 1996. - V. Constantinesco, R. Kovar, D. Simon, Traité sur l'Union européenne, Economica, Paris, 1995. - V. Draetta, "Il Trattato di Maastricht e le prospettive dell'integrazione europea", dans Dir. Com. Int., 1993, p.5. - J. C. Piris, "Dopo Maastricht, le istituzioni comunitarie sono diventate più efficaci, più democratiche, più trasparenti?", dans Riv. Dir. Eur., 1994, p. 3. - A. Pliakosos, "La nature juridique de l'Union européenne, dans Rev. trim. dr. eur., 1993, p. 187. 2 Jean-Claude Masclet, L'exercice du droit et l'éligibilité aux élections européennes, dans Citoyenneté et société, La Documentation Française, n° 281, 1997, p. 81. Selon l'auteur, le rôle essentiel de la citoyenneté concerne "la démocratisation des institutions européennes, la création d'une communauté politique et l'émergence d'une souveraineté démocratique" qui donnent au nouvel institut "une valeur mobilisatrice". 3 Ainsi R. Adams, "Prime riflessioni sulla Cittadinanza dell'Unione", dans Riv. dir. intern., 1992, p. 623. Voir également Tung-Lai Margue, "L'Europe des citoyens: des droits économiques à la citoyenneté européenne", dans Revue du Marché unique européen, 1995, p. 97. 4 À ce sujet, A. La Pergola, "Un'idea feconda", dans Dossier Europe, janvier 1996, p. 38, affirme que "la citoyenneté européenne doit être la clé de voûte de l'Union", entendant que ce nouvel institut, développé correctement et rempli de contenu, peut représenter un virage pour la définition et la concrétisation d'une Union politique. A. Manzella, "Signification et virtualités de la citoyenneté européenne", dans Construire la citoyenneté européenne, par Paul Magnette, De Boeck Université, 1997, p. 169) est du même avis. Selon l'auteur, "la citoyenneté européenne est susceptible de bouleverser le sens de la construction européenne" et "avec le principe de subsidiarité, le principe de la citoyenneté constituera deux grandes règles constitutionnelles de l'ordre européen". 5 Article 1 du traité de l'Union européenne tel que modifié par le traité d'Amsterdam (ex-article A du traité de Maastricht). 6 V. Lippolis, La Cittadinanza europea, Il Mulino, Bologne, 1994, p. 18. Opposé à cette thèse, on trouve U. K. Preuss, "The Relevance of the Concept of Citizenship for the Political and Constitutional Development of the EU", dans European Citizenship, Multiculturalism and the State, Baden-Baden, 1998, p. 13. 3 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale continuité logique entre son institution et les valeurs qui sont à la base de la Communauté. Voilà pourquoi, d'évidence, la citoyenneté européenne représente l'évolution la plus visible du système intégré de droits, constitués et garantis par la législation communautaire7. Avoir transformé, par le traité de Maastricht, la Communauté économique européenne en une "Communauté sans qualificatifs"8, et en avoir fait le pilier sur lequel repose toute l'Union, revêt une signification politique précise d'où la citoyenneté9 tire son origine. Et de ce point de vue, l'insertion des nouvelles dispositions directement dans le traité de la Communauté et non dans celui de l'Union renforce encore davantage un choix visant à souligner le contenu impératif et non exclusivement programmatique de ces normes10. Alors que l'Union économique et monétaire scelle une transformation rapide et souvent tumultueuse de l'organisation des marchés mondiaux en poussant, dans le cadre communautaire, onze pays à fondre leurs monnaies dans l'euro11 et à se diriger vers la pleine réalisation du marché unique12, l'Europe des citoyens13 tarde à déployer ses effets. Pour des raisons sûrement 7 A. La Pergola, "L'Unione europea fra il mercato comune ed un moderno tipo di Confederazione. Osservazioni di un costituzionalista", dans Riv. Trim. dir. e proc. civ., 1993, p. 19. L'auteur souligne combien la citoyenneté de l'Union doit être considérée comme le véritable et unique fondement de la future Union politique qui ne se substitue pas, mais vient s'ajouter au marché commun désormais presque réalisé. Voir également P. Solbes Mira, La citoyenneté européenne, dans Revue du Marché commun et de l'UE, 1991, p. 168. 8 Cette expression est celle d'A. La Pergola, "Sguardo sul federalismo e suoi dintorni", dans Diritto e società, 1992, p. 491. Toujours selon l'auteur, cela devrait signifier que "l'on crée une Communauté politique, non plus sectorielle, mais possédant des fins et des compétences générales". Comparer avec F. Attinà et D. Velo, Dalla Comunità all'Unione, Cacucci, Bari, 1994. 9 La citoyenneté de l'Union est en effet "un des principes fondamentaux de l'Union politique réservée à l'Union européenne en vue de réaliser une cohésion de la Communauté" (Gilles Sébastien, "La citoyenneté de l'Union européenne", dans Revue du droit public, 1993, p. 1263). Cf. également E. Meehan, "Citizenship and the European Community", dans The Political Quarterly, 1993, p. 172. 10 C. Curti Gialdino, op. cit., p. 75. À ce sujet, voir également Robert Kovar et Denys Simon, "La citoyenneté européenne", dans Cahiers droit europ., 1993, p. 286, selon lesquels cette disposition signifie que l'intention était de leur conférer une portée "opérationnelle": Cette constatation implique en particulier le caractère "justiciable" de telles normes, c'est-à-dire la possibilité d'exercer un contrôle de la part de la Cour de justice sur leur mise en oeuvre concrète. La Commission européenne, quant à elle, avait proposé de prévoir l'institution de la citoyenneté au niveau de l'Union. Lire la note explicative se trouvant dans Primi contributi della Commissione alla Conferenza intergovernativa (Cig) Unione politica, SEC (91) 500, 15 mai 1991, p.7. 11 Comparer F. Riolo, Euro, aspetti giuridici ed economici, Edibank, Rome, 1997; A. Persuad, The International Role of the Euro, Wiley, 2e édition, 1997, p. 207; Yves-Thibault de Silguy, L'Euro, Libraire Générale Française, 1998; P. R. Masson, T. H. Krueger, Bart G. Turtelboom, International Monetary Fund, Usa, 1997; S. Bini, L'Euro. Farsi un'idea, Il Mulino, Bologne, 1998; R. Triffin, Dollaro, Euro e moneta mondiale, Il Mulino, 1997; L. Tsoukalis, La Nuova economia europea, Il Mulino, Bologne, 1998; M. Buti e A. Sapir, La politica economica nell'Unione economica e monetaria europea, Il Mulino, Bologne, 1999; A. Q. Curzio, Noi, l'Economia e l'Europa, Il Mulino, Bologne, 1997. 12 Voir le rapport de la Commission européenne, Le marché unique et l'Europe de demain, (présenté par Mario Monti), Office des publications officielles des Communautés européennes (Eur-op), Luxembourg, 1997, p. 121; A. Mattera Ricigliano, Il Mercato Unico Europeo, Utet, Turin, 1990, pp. 11-23 et 541. 13 Cette expression sert à définir un processus dont l'origine se trouve dans le rapport officiel présenté le 29 décembre 1975 par le Premier ministre belge Tindemans (dans Documents de séance du Parlement européen du 9 janvier 1976, doc. n° 481/75, ou dans Bull. CE, Suppl. 1, 1976), sur demande du sommet européen des chefs d'État et de gouvernement des États membres de ce qui était alors la Communauté économique européenne, qui s'était déroulé à Paris en 1974. Pour la première fois un chapitre entier était, consacré à "l'Europe des citoyens" bien qu’il faille rappeler que, dans ce document, le développement des "droits spéciaux" à accorder aux citoyens communautaires, n’était pas aussi important que le problème des droits fondamentaux et la nécessité de les protéger, et que la création de "signes de la solidarité européenne" était proposée.. Pour une analyse approfondie du rapport Tindemans sur l'Union européenne, voir A. Tizzano, "The Tindemans Report", dans The Italian Yearbook of International Law, 1976, p. 130. On comprendra alors mieux "combien la réalisation de l'Europe des citoyens doit 4 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale politiques, mais souvent également à cause d'une "viscosité" persistante des administrations publiques à s'adapter rapidement au nouveau contexte14. Les conséquences de ce retard ont fortement contribué à créer un sentiment de détachement, sinon de répulsion, des citoyens européens vis-à-vis des diverses activités des institutions communautaires. Le fort abstentionnisme lors des élections européennes de juin 1999 en constitue un signe irréfutable15. Cette tendance s'est déjà ressentie lors des élections de 199416, mais il serait toutefois risqué de l'appuyer17. Du reste, s'il est vrai que le principal objectif des pères fondateurs de l'Europe communautaire était de parvenir à la pacification et la prospérité progressives des pays mis à genoux par des années de guerres et de massacres18, il est tout aussi certain qu'aujourd'hui, les citoyens européens nourrissent des attentes différentes et somme toute orientées sur les besoins quotidiens19. Voyager librement, se déplacer sans avoir plus besoin de remplir certaines procédures pour franchir les frontières ou acheter des produits à de meilleures conditions dans d'autres pays, semblent avoir marginalisé l'idéal de paix qui reste toutefois la raison fondamentale de la construction d'une union politique. Cet affaiblissement de l'idéal de paix et le aller de pair avec celle des gouvernements" (cf. V. Lippolis, "La Cittadinanza europea", dans Quaderni costituzionali, 1993, p. 114), pour affronter "la crise de légitimité de la CEE" (voir P. Magnette, Construire la citoyenneté européenne, De Boeck Université, 1997, p.185).C'est dans ce contexte qu'au fil des ans, outre la concrétisation de la dimension économique se sont intensifiés les mouvements visant à mettre au centre de la construction communautaire l'individu en tant que tel et plus en tant qu’homo oeconomicus, (voir F. Barbaso, "L'Europa dei cittadini: realizzazioni e prospettive", dans Foro it., 1987, p. 152). Voir également C. Blumann, "L'Europe des citoyens", dans Revue du Marché commun et de l'UE, 1991, p. 283. 14 Cf. G. Tesauro, Diritto..., op. cit., p.106. 15 Voir Agence Europe n° 7486 des 14 et 15 juin 1999, point 2. L'ex-président du Parlement européen Gil Robles a affirmé au sujet de l'abstentionnisme record relevé dans certains pays que "les électeurs ne sont probablement pas encore rendu compte de l'augmentation des pouvoirs du Parlement à la suite de l'extension de la codécision au sens du traité d'Amsterdam entré en vigueur il y a quelques semaines". Encore plus franc fut le commentaire de Jo Leinen, député européen fraîchement élu, président de l'Union des fédéralistes européens (UEF), qui a déclaré au lendemain des élections "Voilà ce qu'est l'Europe sans les Européens!" et insisté sur la nécessité de "mettre au point le plus vite possible une Constitution européenne" (voir Agence Europe, n° 7488 du 17 juin 1999, point 10). Voir à ce sujet les travaux préparatoires du Comité des études présidé par P.H. Spaak 1952-1953; Per una Costituzione federale dell'Europa (par Daniela Preda), Cedam, Padoue, 1996. Pour S. Cassese, "La Cittadinanza europea e le prospettive di sviluppo dell'Europa", dans Riv. Ital. Dir. Pubbl. Comunitario, 1996, p. 870, même si aucun acte n'est formellement appelé "Constitution européenne", l'ensemble des normes primaires, c'est-à-dire des traités, est une constitution de fait. Cf. sur le passage de la constitution implicite à la constitution explicite A. Padoa Schioppa, "Quale costituzione per l'Europa?", dans Il Federalista, 1993, p. 197. G. Amato et A. Barbera, Manuale di diritto pubblico, Il Mulino, Bologne, 1984, pp. 18-19 croient en la maturité du processus d'intégration européenne qui devrait, encore in itinere, déboucher sur une véritable constitution européenne. Le débat philosophique sur l'existance d'une constitution européenne ou d'une "matière constitutionnelle commune" est relancé par L. Violini, "Prime considerazioni sul concetto di «Costituzione europea» alla luce dei contenuti delle vigenti carte costituzionali", dans Riv. It. Dir. Pubbl. Comunitario, 1998, p. 1225. Voir également le projet de Constitution de l'UE présenté par la commission des affaires institutionnelles du Parlement européen (27 avril 1993). 16 Pour une analyse statistique plus approfondie, lire le deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union, COM (97) 230 déf., 27 mai 1997, p. 9. Il peut également s'avérer utile de prendre en considération les insoumissions des États membres aux obligations communautaires et donc au dernier rapport de la Commission européenne sur l'application du droit communautaire (COM (98) 317 déf., 19 mai 1998), pp.1-4 et 21-24. 17 Ce n'est pas un hasard si le Bureau de la présidence du Parlement a lancé une étude détaillée des motifs qui ont induit le taux d'abstentionnisme record aux dernières élections européennes. Voir Agence Europe, n° 7494 du 25 juin 1999, point 1. 18 Pour une étude complète de l'histoire politique de la Communauté européenne, voir B. Olivi, L'Europa difficile, Il Mulino, Bologne, 1998; G. Mammarella et P. Cacace, Storia e politica dell'Unione europea, Laterza, Bari, 1998; M. J. Dedman, The Origins and Development of the European Union, Routledge, Londres, 1996. 19 Voir à ce sujet les résultats du sondage effectué par Eurobaromètre dans le volume n° 48 de l'automne 1997, pp. 19-48. 5 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale renforcement parallèle d'une idée plus utilitaire du processus d'intégration se manifeste surtout chez les jeunes générations20. Cela ne doit pas nécessairement être considéré comme une approche négative, à condition toutefois que ces attentes ne soient pas déçues21. De leur côté, les institutions communautaires, le Parlement européen avant tout, ont vite compris qu'il fallait accentuer la participation des citoyens aux choix stratégiques généralement arrêtés au niveau supranational avec peu de transparence22. Les chefs d'État et de gouvernement se sont eux aussi inquiétés à plusieurs reprises de l'implication décevante des citoyens européens dans les activités communautaires, principalement en raison de la complexité et de la longueur des mécanismes décisionnels. Tout cela a contribué à rendre encore plus évident le "déficit démocratique" qui trouve ainsi plusieurs justifications: la nature excessivement technique des innombrables dispositions23, ainsi que le modèle institutionnel de l'UE qui n'est efficacement compris que par les experts européens24. Bref, un ensemble de raisons et de questions qui pourraient toutefois être facilement abordées et résolues25. En effet, les institutions communautaires semblent éloignées et de moins en moins attentives à la vie quotidienne des citoyens européens26. Le débat sur le "déficit démocratique"27 s'est intensifié 20 C'est le résultat d'une enquête menée par la Commission européenne auprès des jeunes générations, lesquelles semblent fatiguées de constater qu'il subsiste encore de grandes difficultés dans la création d'un espace unique sans frontières au sein duquel soient garanties non seulement la liberté de circulation des biens, des services et des capitaux, mais aussi et surtout des personnes. De fait, il ressort de ce sondage commandé en 1997 par la Direction générale XXII Instruction, formation et jeunesse et mené sur un échantillon représentatif de 9 400 jeunes de 15 à 24 ans, que pour pas moins de 62,4% estiment qu'être citoyen de l'Union signifie avant tout la possibilité de travailler n'importe où dans l'Union, et pour 51,5% jouir du droit d'y résider de manière permanente. Cf. Eurobaromètre n° 47.2 de 1997. 21 Deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union, doc. cit., p. 3. Voir également Eurobaromètre n° 51 de juillet 1999 de la Commission européenne, en particulier le chapitre dédié au Parlement européen (pp.7684). 22 Ce n'est pas un hasard si, dans les dispositions communes du traité sur l'UE, on rappelle que les décisions prises au niveau communautaire ne doivent pas seulement être "les plus proches possibles" des citoyens, mais aussi "les plus transparentes possibles" (article 1 du traité de la CE). Ce concept de transparence figure au centre de requêtes pressantes émanant surtout de l'Allemagne et des pays scandinaves lors de la dernière conférence intergouvernementale débutée sous la présidence italienne en 1997 et conclue le 2 octobre par la signature du traité d'Amsterdam. Cf. Le Traité d'Amsterdam, ouvrage collectif sous la direction d'Yves Lejeune, Bruylant, Bruxelles, 1998. 23 J. Delors, "Pour l'Europe politique", dans Europa/Europe n° 3 de 1998, éditorial basé sur l'audition de l'auteur par la commission des affaires institutionnelles du Parlement européen le 16 mars 1998. 24 José María Gil-Robles, "Les grands défis de l'Europe", dans Dossier Europe n° 24 de 1999, p. 9. 25 Considérer la résolution du Parlement européen sur les améliorations portées au fonctionnement des institutions sans modifier les traités, en rendant les politiques de l'UE plus transparentes et plus démocratiques (document A40117/98), JOCE (Journal officiel des Communautés européennes) n° C 167 du 1er juin 1998, p. 211. 26 F. Barbaso, "L'Europa dei cittadini..., op.cit., p. 152. 27 Pour des approfondissements sur le déficit démocratique, lire P. Soldatos, Le débat sur le déficit démocratique de l'UE: paramètres et démystification, dans L'Union européenne de l'an 2000: défis et perspectives, sous la direction de C. Philip et P. Soldatos, 1997, Chaire Jean Monnet, Université de Montréal, pp. 137-153, où l'auteur énumère toute une série d'éléments caractérisant l'actuel déficit démocratique, parmi lesquels le fait que le Parlement européen ne possède pas encore l'essentiel du pouvoir législatif; que, contrairement aux traditions parlementaires, la Commission n'est pas l'émanation du Parlement; que le Parlement ne détient aucun pouvoir de censure envers le Conseil; enfin, que ce même Conseil ne bénéficie d'aucune légitimation au suffrage universel direct. Voir également M. F. Labouz, L'ordre juridique communautaire, dans L'Accès au marché de l'UE et le droit européen des affaires, Montréal, 1995, p. 47, pour qui"une opacité des procédures législatives et des textes légaux" a été vérifiée de plus en plus souvent au cours des dernières années. On ne peut qu'appuyer la thèse défendue par A. Manzella, (Il nuovo costituzionalismo europeo: regioni e cittadinanza, Il Mulino, 1994, p. 32), pour qui le déficit démocratique de l'Union ne concerne pas l'équilibre entre les institutions communautaires, mais un problème bien plus grave de citoyenneté politique. Au sujet du déficit démocratique, voir également F. Whyte, L'Europe à visage humain?, 6 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale au fil des années et, à certaines occasions, a même mis en danger le développement du processus d'intégration. En outre, on observe dans certains pays une attitude d'indifférence envers l'activité des institutions européennes qui, souvent, a été au centre de grands débats intellectuels et politiques. Pour donner vie aux exigences des citoyens européens, il faut attribuer un rôle de locomotive28 à la Cour de justice qui a interprété la liberté de circulation des personnes 29 de façon expansive et incité les institutions légiférantes à adopter des dispositions adaptées et conformes aux nouvelles tendances jurisprudentielles30. Comme on le sait, la citoyenneté européenne a été instituée il y a peu et rares sont les cas où la Cour a dû s'en occuper31. Néanmoins, les demandes provenant des juridictions nationales et des autres institutions communautaires d'interprétation effective et authentique des articles 17 à 22 du traité d'Amsterdam32 ont augmenté, surtout ces dernières années. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'à ce jour, la Cour n'a pas encore mis au point une notion communautaire de citoyenneté33. Avant d'aborder en détail les droits et devoirs attribués aux citoyens européens34, il est utile, pour une meilleure compréhension, de définir le concept même de citoyenneté qui a fait l'objet d'un débat philosophique extensif et pas toujours concordant35. éditions L'Harmattan, Paris, 1994, en particulier les pages 27 à 47. A. La Pergola, L'UE fra il mercato..., op. cit., p. 7, estime "(qu')avec l'élection directe du Parlement européen, on a introduit le rite mais non la substance de la démocratie, composante essentielle du fédéralisme politique". À ce sujet, voir aussi les récentes résolutions du Parlement européen A4-0409/98 (JOCE n° C 98 du 9 avril 1999, p. 267), B4-0582, 0585 et 0586/97 (JOCE n° C 222 du 21 juillet 1997, p. 17). 28 G. Tesauro, "Riflessioni sull'esperienza di un Avvocato generale presso la Corte di giustizia", dans Riv. Dir. dell'Unione europea, 1998, p.1, qui, entre autres, souligne l'importance du renvoi préjudiciel visé à l'article 234 du traité de la CE (ex-article 177) qu'il définit comme le "joyau de l'ingénierie juridique" et qui a représenté la base de la reconnaissance de l'importance du droit de libre circulation des personnes sur le territoire communautaire. 29 Outre le fait qu'elle constitue l'une des quatre libertés fondamentales, la libre circulation des personnes est un élément porteur de la citoyenneté de l'Union. Voir en ce sens R. Adam, Prime riflessioni..., op. cit., p. 635. F. M. Munari (Cittadinanza europea: una promessa da mantenere, G. Giappichelli Editore, Turin, 1996 p. 81) insiste, à ce propos, sur la fonction créatrice du droit conféré à la Cour de justice et ajoute que la matière dans laquelle son oeuvre a été la plus incisive est justement celle relative à la libre circulation des personnes, à travers laquelle a eu lieu une transformation du sujet "personne physique" de simple destinataire de lois à protagoniste actif du règlement. 30 Voir à ce sujet le chapitre III de la présente étude. 31 Les arrêts les plus importants concernant directement la citoyenneté européenne et sur lesquels on reviendra plus tard sont les suivants: arrêt de la Cour du 19 janvier 1999, Donatella Calfa, affaire C-348/96, recueil p. I-11; arrêt du 12 mai 1998, María Martínez Sala contre Land de Bavière, affaire C-85/96, Recueil p. I-2691. 32 Pour une lecture attentive des innovations apportées par le traité d'Amsterdam, voir A. Tizzano, "Profili generali del Trattato di Amsterdam", dans Il Dir. dell'UE, 1998, pp. 284-297; G.P. Orsello, op. cit., chapitre XVI: L'Unione europea da Maastricht ad Amsterdam, pp. 875-927; M. Emerson, Ridisegnare la mappa dell'Europa, Il Mulino, Bologne, 1999; A. Prediero, Il Trattato di Amsterdam, Giuffrè, 1999; P. Mengozzi, Casi e materiali di diritto comunitario: dal Trattato di Rome al Trattato di Amsterdam, Cedam, 1998; L. Crivat, L'Union après le Traité d'Amsterdam, dans L'Europe en formation, n° 308, pp. 37-72. 33 Conclusions de l'Avocat général G. Tesauro (point 3) dans l'arrêt du 7 juillet 1992, affaire C-369/90, Micheletti contre délégation du gouvernement en Cantabrie, Recueil I-4239. 34 Le premier point de l'article 17 (ex-article 8) du traité de la CE définit comme citoyen de l'Union "toute personne ayant la nationalité d'un État membre". Dans une déclaration annexée en 1992 au traité de Maastricht par la Conférence intergouvernementale, on rappelait que chaque fois qu'il est fait référence aux citoyens des États membres, la question de savoir si une personne possède la nationalité d'un tel ou d'un tel autre État membre ne sera résolue qu'en référence au droit national de l'État membre concerné. La déclaration voulue par le Danemark est plus explicite. On y soulignait avec fermeté que la citoyenneté de l'Union est un concept politique et juridique différent de celui de citoyenneté au sens de la Constitution du Royaume du Danemark et du système juridique danois, et 7 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Historiquement, l'émergence de la notion moderne de citoyenneté, coïncide avec la Révolution française et avec la naissance de l'État moderne et de droit36. C'est justement avec la Révolution française que le rapport en l'individu et l'appareil étatique change profondément37. C'est avec l'affirmation d'une conception personnaliste éloignée de la vision territorio-patrimoniale selon laquelle l'individu devait être considéré comme un simple sujet du territoire, que sont reconnues pour la première fois des situations juridiques subjectives, à savoir des prétentions pouvant être protégées juridiquement face à l'État. On consolide ainsi le concept de sujet de droit qui peut être facilement défini comme l'entité, tant physique que juridique, "unitaire à laquelle imputer des droits et des devoirs"38, au sein de l'agencement politique étatique. En d'autres termes, dès la première moitié du XIXe siècle, l'essence de la citoyenneté réside dans la titularité de toute une série de situations juridiques, actives et passives, qui distinguent d'ailleurs ceux qui possèdent une telle qualification de ceux qui, en tant qu'étrangers, apatrides ou sujets autrement privés de la citoyenneté, n'en sont pas investis39. Depuis cette époque, l'individu n'est plus classé juridiquement uniquement parce qu'il est installé en un lieu déterminé ou appartient à une certaine classe sociale, et le rapport direct entre l'État et l'individu prend de plus en plus de consistance. La citoyenneté reste ainsi le seul statut40 légalement contraignant41 qui généralise la société, détruisant tous les liens féodaux42. qu'aucune disposition du traité sur l'Union européenne ne comporte ni ne prévoit l'engagement de créer une citoyenneté de l'Union dans le sens de citoyenneté d'un État-nation. De même, on ajoutait que la citoyenneté de l'Union ne confère aucunement aux citoyens d'un autre État membre le droit d'obtenir la nationalité danoise ou d'autres droits, devoirs, privilèges ou avantages propres à la citoyenneté danoise en vertu des normes constitutionnelles, juridiques et administratives de ce pays. Lire cette déclaration au JOCE n° C 348 du 31 décembre 1992, p. 4. À ce sujet, il est utile de rappeler que, selon une jurisprudence consolidée par la Cour de justice, ainsi qu'aux termes de l'article 311 (ex-article 239) du TCE, si les protocoles annexés aux traités en font partie intégrante, ce n'est pas le cas des déclarations. En effet, la Cour ne s'est pas encore prononcée sur la nature juridique des déclarations adoptées à l'occasion de la signature d'un traité. Cependant, elle tient compte des déclarations inscrites au procès-verbal du Conseil à l'occasion de l'adoption d'un acte de droit dérivé, dans la mesure où elles constituent un témoignage de la volonté commune des États membres et où leur contenu trouve son expression dans le droit communautaire en vigueur. En d'autres termes, une déclaration ne peut rien ajouter aux textes ni contredire leur substance ou leurs mots (cf. arrêt Antonissen, C-292/89, Recueil I-745 de 1991, points 17 et 18). 35 Cf P. Magnette, "La citoyenneté dans la pensée européenne. Éléments pour une histoire doctrinale du concept", dans Res Publica, 1996, p. 657. En prenant une position certes extrême mais présente dans certains esprits, A. Wiener (European Citizenship Practise, Westview Press, USA, 1998) souligne "(qu')il n'existe aucune théorie complète et élaborée de la citoyenneté". 36 Pour la notion de citoyenneté, voir Biscottini, "Cittadinanza", dans Enc. Dir., volume VII, Milan, 1960, pp. 140 et suivantes; Sacchettini, La cittadinanza, 2e édition, Milan, 1980; Romenelli Grimaldi, "Cittadinanza", dans Enc. Giur., volume VI, Rome, pp. 1 et suivantes; G. Crifò, dans Enc. del dir., Giuffré, volume VII, 1960; M. Cartabia, dans Enc. giur. Treccani, volume VI, Rome, 1988. Pour un excursus historique du concept de citoyenneté, voir Battifol-Lagarde, Droit international privé, I, Paris, 1974, pp. 68-69; Miaja de la Muela, Derecho internacional privado, II, Madrid, 1970, pp. 10 et suivantes; P. Magnette, op.cit., pp. 657-679. 37 Pour tous, voir A. Barbera, F. Cocozza, G. Corso, "Le situazioni soggettive. Le libertà dei singoli e delle formazioni sociali. Il principio di eguaglianza", dans Manuale di diritto pubblico, Il Mulino, Bologne, 1994. R. Quadri ("Cittadinanza", dans Novissimo Digesto italiano, volume III, Utet, Turin, 1967, p. 312) relève combien "avec l'apparition d'une forme typique d'État national (...) l'idée de citoyenneté émerge avec clarté et devient l'objet d'une considération systématique spécifique de la part du législateur". 38 Cf. Rescigno, Manuale di diritto privato italiano, Naples, 1984, p. 120. 39 M. Cristina Pensovecchio, La Cittadinanza europea. I diritti dei cittadini dell'Unione europea, Palerme, 1994. L'auteur enregistre également "l'extrême difficulté de procéder une fois pour toutes à une reconstruction exacte et exhaustive de la somme des droits et devoirs liés à cet institut, découlant surtout de la variabilité du contenu de ce dernier selon l'époque, ainsi que des caractéristiques des législations nationales". 40 Par "statut", on entend la définition désormais consolidée de Betti, selon laquelle il représente "la position juridique spéciale qu'une personne prend par nécessité supérieure à son intérêt et indépendamment de sa volonté, par rapport à une communauté de personnes organisées juridiquement" (Betti, Istituzioni di diritto romano, I, Padoue, 8 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale La doctrine la plus récente a adopté la définition de citoyenneté de Biscottini pour qui, dans son sens le plus générique et le plus large, "peut être définie comme la condition juridique de ceux qui font partie d'un État; dans un sens plus restrictif, par contre, on indique avec ce terme la condition juridique d'un groupe de personnes appartenant à l'État, et plus précisément de celles qui y sont titulaires de droits et de devoirs particuliers, parmi lesquels priment les droits politiques et l'obligation d'effectuer certaines prestations (surtout le service militaire)"43. Il semble donc que soit dépassée la tendance à considérer la citoyenneté uniquement comme un simple rapport juridique, ou encore un rapport intersubjectif régi par le droit44, et non comme un statut, c'est-à-dire la position d'un individu dans le cadre d'un groupe45. Il faut toutefois balayer toute incertitude sur un usage impropre du terme de citoyenneté qui est assimilé à celui de nationalité46. Indubitablement, les deux termes font référence à la condition ou au statut de l'individu dans son rapport avec l'État et sont utilisés comme synonymes, mais ils ne décrivent pas nécessairement le même lien. En effet, alors que la nationalité est la qualité ou la condition juridique ressortant de l'obligation existant entre une personne et un État déterminé, la citoyenneté est la catégorie juridique par laquelle on désigne l'appartenance d'un individu à une communauté politique, en vertu des lois de laquelle il détient en principe les pleins droits civils et politiques. C'est pourquoi la nationalité doit compter au nombre des notions de droit privé47 international, même si elle est utilisée en droit public international pour définir les éléments qui constituent l'État. Les articles 17 à 22 du traité de la CE (ex-article 8 du traité de Maastricht) prennent une double signification: d'une part, ils opèrent un distinguo entre la nationalité et la citoyenneté; de l'autre, ils subordonnent la qualité de citoyen de l'Union à celle de citoyen d'un État membre. On n'a jamais soulevé la question de reconnaître aux instances communautaires une quelconque compétence en matière de nationalité. Du reste, le lien de nationalité se fonde sur "l'existence d'un rapport particulier de solidarité face à l'État, ainsi que sur la réciprocité des droits et des devoirs"48. On comprend donc la raison pour laquelle ce genre de rapport n'est pas susceptible d'exister entre le résident communautaire et un État membre. En revanche, dans le cadre communautaire, l’on observe qu'à la nationalité d'un État, à laquelle correspond normalement la reconnaissance d'une citoyenneté au sens propre du terme, est ajoutée maintenant la reconnaissance d'une nationalité supra-étatique. Ainsi, la citoyenneté européenne revêt un caractère "ancillaire"49, voire "dual"50, dans le sens où sa reconnaissance est 1947, p.38). Autrement dit, le statut indique toujours la "façon d'être d'une personne face à l'agencement juridique" (G. Crifò, Cittadinanza, op.cit., p.127). 41 Cf. la précieuse contribution de V. Lippolis, op. cit., p.27. 42 R. Dahrendorf, The Modern Social Conflict. An Essay on the Politics of Liberty, New York, Weidenfeld & Nicolson, 1988. 43 Biscottini, dans Enc. del dir., op. cit., p. 140. Comparer également la définition de citoyenneté que donnent G. Amato et A. Barbera, Manuale...,op.cit., p. 1015, selon lesquels le lien avec le territoire de l'État doit également être "organique". La citoyenneté (selon F. M. Munari, Cittadinanza..., op. cit., p.54) représente ainsi un statut du sujet de droit qui implique la jouissance de certains droits et la détention de certains devoirs qui, variant de règlement en règlement, sont régis par les lois de l'État d'appartenance du sujet. 44 Pour tous, voir A. F. Panzera, Limiti internazionali in materia di cittadinanza, Jovine, Naples, 1984. 45 Luzzato, Stati giuridici e diritti assoluti nel diritto internazionale privato, Milan, 1965, p. 75, est totalement opposé à cette thèse. 46 Voir B. Guiguet, "Citizenship and Nationality: Tracing the French Roots of the Distinction", dans European Citizenship, op. cit., p. 95; I. Bullain, "Ciudadanía y Unión europea", dans Revista Vasca, 1994, p. 57. 47 D. Holleaux, J. Foyer, G. De Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, Masson, 1987, p. 23. 48 Cf. arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 17 décembre 1980, affaire 149/79, Commission contre Royaume de Belgique, Recueil. I-3881. 49 S. Cassese, "La Cittadinanza europea e le prospettive di sviluppo dell'Europa", dans Riv. Ital. Dir. Pubbl. comunitario, 1996, p.866. 50 V. Lippolis, op. cit., p.44. 9 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale liée à la possession de la nationalité d'un des pays de la Communauté; un fait qui a connu des précédents, comme par exemple en Suisse51, mais n'en représente pas moins une nouveauté. Aux fins de la présente étude, il faut étudier la question de savoir comment qualifier la citoyenneté de l'Union européenne, car il semble évident que cette dernière, au stade actuel du processus d'intégration, ne peut pas encore être considérée comme un État52, même fédéral, dans le sens de la doctrine constitutionnelle traditionnelle53. Ajoutons à cela que le traité instituant l'Union garantit à l'individu peu de droits autres qu'économiques, à tel point que certains n'ont pas hésité à parler d'un véritable paradoxe de la citoyenneté européenne54, voire même d'une "réalité embarrassante"55. Voilà pourquoi le fait de qualifier correctement ce concept sui generis institué à Maastricht n'est pas aisé, du moins pour le moment. La citoyenneté européenne, en cernant le statut des citoyens appartenant à une communauté non étatique, ne serait pas une nouveauté dans l'absolu. Au contraire, elle peut être identifiée sous la forme d'un nouveau développement historique du concept de citoyenneté, lié à la modification des dimensions et des formes des dispositions juridiques et politiques56. Il y a peu de temps encore, la conclusion des auteurs, qui ont parlé de citoyenneté communautaire, était qu'on se trouvait face à un statut particulier ne correspondant cependant pas au concept dogmatique de citoyenneté élaboré dans la presse écrite moderne. En d'autres mots, une forme de citoyenneté émergente57, ou seulement à ses débuts58, qui représente un institut original59 et déborde donc des paramètres classiques utilisés jusqu'ici. Évidemment, la citoyenneté de l'Union ne peut être pleinement comprise si on la considère uniquement du point de vue juridique. Sa signification est 51 Voir M. Croisat, J.-L. Quermonne, L'Europe et le fédéralisme, Montchrestien, Paris, 1996, en particulier les pages 21 à 52. En outre, pour une étude comparative, voir pour tous G. De Vergottini, Diritto costituzionale comparato, Cedam, Padoue, 1991. 52 Voir A. La Pergola, L'Unione europea fra il mercato..., op. cit., pp.1-2. L'ex-avocat général de la Cour de justice des Communautés européennes souligne que "l'orientation qui prévaut est celle d'exclure que la Communauté puisse être considérée comme une union d'États traditionnelle", mais se rapprocherait beaucoup plus d'une "confédération de type moderne". Gilles Sébastien, La citoyenneté..., op. cit., p. 1271, est du même avis. Aujourd’hui, puisque que l'on désire tout de même définir la nature de la Communauté et de l'Union européenne, il ne fait aucun doute que ces organisations ne présentent pas les caractères propres de l'État, "il faut se demander s'il est possible de supposer un véritable lien de citoyenneté dans le cadre du règlement communautaire" (M. Cartabia, "Cittadinanza europea", dans Enc. Giur. Treccani, op. cit., p. 2). L'auteur ajoute cependant que, du point de vue historique, le concept de citoyenneté n'est pas lié de façon indissoluble à celui d'État. La preuve en est que "ses origines sont bien plus anciennes de celles de l'État national, remontant normalement à l'époque de la République romaine". 53 Il semble clair que d'un point de vue plus strictement juridique, "le concept de la citoyenneté doit en sous-tendre un autre: l'appartenance à une population "constitutive" d'un État" (F. M. Munari, op.cit., p. 22). 54 Cette affirmation est de Sabino Cassese, op.cit., p.871. 55 J.H.H.Weiler, Les droits des citoyens européens, dans Revue du marché unique européen, 1996, p. 36. 56 Voir M. Cartabia, "Cittadinanza europea", dans Enc. Giur. Treccani..., op.cit., p. 2. D'ailleurs, également ceux qui (voir R. Quadri, dans Nuovissimo Digesto Italiano, III, Turin, 1957, pp. 307 et suivantes), en ne faisant pas une notion restrictive de citoyenneté et refusant qu'elle soit liée de manière indissoluble à celle d'État, estiment que le statut de citoyen appartient à ceux qui constituent le noyau caractéristique d'une communauté politique. 57 Selon G. Cordini ("Questioni in tema di eleggibilità al Parlamento europeo di candidati privi della cittadinanza italiana", dans Giurisprudenza costituzionale, volume II, 1989), "cette notion classique du droit public pourrait également prendre un profil nouveau en vertu des relations entre l'État et la Communauté européenne". 58 Cf. V. Lippolis, "La Cittadinanza europea", dans Quaderni Costituzionali, 1993, p. 126. À ce sujet, certains jugent la nature de la citoyenneté européenne "différente de la citoyenneté étatique, étant une citoyenneté d'attribution" (R. Kovar, D. Simon, op.cit., p. 295). 59 F. Menegazzi Munari, op.cit., p.120. L'auteur parle d'une "nouvelle citoyenneté par le biais de laquelle le règlement européen, en conférant aux individus une position garantie contre les indiscrétions, les vexations, les interventions de plus en plus massives et constantes de l'État, a assuré à ceux-ci une personnalité juridique toute neuve" (p. 65). 10 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale fortement politique et, en effet, ses principes sont à la base de valeurs politiques et d'une démocratie moderne60 qui constituent le fondement du processus d'intégration. Cela dit, bien que ne pouvant pas encore être considérée comme un État fédéral, l'UE a développé depuis l'Acte unique européen61 un "processus fédéralisant"62 ou, si on préfère, un phénomène de "dénationalisation"63 de certaines matières auparavant sous la compétence exclusive des États, ce qui laisse clairement penser à une fédéralisation 64 de l'association d'États65 actuelle. Du reste, il faut garder à l'esprit que l'existence d'une citoyenneté commune est le propre des fédérations66. Ajoutons à cela une crise interminable dans le chef des États nationaux67, qui a accéléré le renforcement d'un règlement supranational capable de relever les défis non seulement économiques, mais aussi politiques, actuels68. 60 Cf. Chantal Mouffe, Preface: "Democratic Politics Today", dans Dimensions of Radical Democracy, Verso, Londres, 1992, p. 8, où l'auteur réitère que "si l'Europe ne peut se définir exclusivement sur des accords économiques, ni être réduite à un marché commun, la définition d'une identité politique commune doit figurer en évidence à l’ordre du jour, ce qui implique d'aborder la question de la citoyenneté". Voir également G. Gozzi, "Citizenship and Democracy: Elements for a Theory of Contemporary Constitutional Democracy", dans European Citizenship, op. cit., p. 347; J. María Rosales, "Ciudadanía en democracia: condiciones para una política cívica", dans Sistema, 1994, p. 5. 61 L'Acte unique européen signé en 1987 a induit une poussée non indifférente vers une plus grande intégration. Ce n'est pas un hasard si l'article 13 prévoit la création d'un espace sans frontières intérieures dans lequel est assurée la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. Autrement dit, on a cherché à délayer l'idée d'une Communauté basée sur la libre circulation des facteurs productifs et non des personnes en tant que citoyens. De façon ironique,, U. K. Preuss et F. Requejo (European Citizenship, Multiculturalism and the State, Nomos, Baden-Baden, 1998, p. 7) voient en la Communauté économique européenne d'avant l'Acte unique "un marché sans État". 62 J. Martínez López Muniz, "Qué Unión Europea? Una unión de Estados soberanos, pero firme, estable y eficaz", dans Papeles de la Fundación para el Análisis y los Estudios Sociales, n° 34, Madrid, 1996, p. 46. Du même avis, on trouve D. J. Linan Nogueras ("De la Ciudadanía europea a la Ciudadanía de la Unión", dans Gaceta Jurídica de la C.E. y de la competencia, 1992, p.97), quand il parle de la citoyenneté en tant qu'”élément fédéralisateur”. Rappelons à ce sujet que, lors des pourparlers de la CIG devant amener à la signature du traité de Maastricht, cette matière a fait l'objet de vues différentes, à tel point que les États ont finalement préféré éviter toute référence - qui était initialement prévue - à la vocation fédérale de l'Union. Il suffit de considérer les projets présentés par les présidences luxembourgeoise et néerlandaise de 1991, cités dans C. Curti Gialdino, Il Trattato di Maastricht..., op. cit., p. 9-10. 63 L'expression est de M. C. Pensovecchio, op. cit., p. 34, où l'auteur précise que "les droits économicoprofessionnels, comme une bonne partie des droits sociaux ou politiques dérivant de la citoyenneté européenne, constituent en réalité autant d'applications du principe de l'égalité de traitement" et que c'est ici que se révélerait "une dénationalisation substantielle des droits prévus par la législation des États membres". 64 Selon G. P. Orsello, op. cit., p.111, la Communauté représente actuellement "une solution confédérale". L'auteur ajoute toutefois que, si cela ne semble pas acceptable, une réalité communautaire fédérale ne peut constituer que "le point final d'un processus long et cohérent" et que "les communautés sont aujourd'hui caractérisées par des tendances de nature tant confédérale que fédérale, mais elles contiennent certainement des éléments qui laissent entrevoir un développement dans le sens de la perspective fédérale". 65 Ainsi, un célèbre arrêt de la Cour constitutionnelle allemande, dans BverβGE 89, 184. Pour un examen de la sentence, voir Herdegen, "Maastricht and the German Constitutional Court: Constitutional Restraints for an «Ever Closer Union»", dans Common Market Law Review, 1994, pp. 235 et suivantes; Gattini, "La Corte costituzionale tedesca e il Trattato sull'Unione europea", dans Riv. Dir. Int., 1994, pp. 114 et suivantes. 66 Cf. P. Biscaretti di Ruffa, "Confederazione di Stati", dans Enciclopedia del diritto, Milan, 1961, VIII, p. 854. 67 Lire P. Barcellona, Il declino dello Stato: riflessioni di fine secolo sulla crisi del progetto moderno, Dedalo, Bari, 1998; R. Treves, Crisi dello Stato e sociologia del diritto, Franco Angeli, Milan, 1987; J. Marko, "Citizenship beyond the National State? The Transnational Citizenship of the European Union", dans European Citizenship, op. cit., p.369. 68 Pour plus d'approfondissements, lire A. Jacquemin et L. R. Pench, Reports of the Competitiveness Advisory Group, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 1995, en particulier les pages 49 à 52 et 117 à 199; Collectif, The European Economy, Addison Wesley Longman, New York, 1999, en particulier les pages 64 et 217 à 262; Collectif, Globalizzazione dei mercati e orizzonti del Capitalismo, sous la direction de M. Arcelli, Libri del tempo, Laterza, 1997, en particulier les pages 3 et 117; R. Prodi, Un'idea 11 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Il est révélateur que le règlement communautaire attribue au "substrat social", c'est-à-dire à la collectivité, des droits spécifiques vis-à-vis des pouvoirs publics69. C'est le cas avec tous les règlements juridiques qui peuvent associer à la détention de la citoyenneté une série différente et a priori indéfinissable de situations juridiques suggestives70. Il semble possible, à ce stade, d'établir un lien entre règlement et entité étatique, afin de comprendre la véritable valence juridico-constitutionnelle71 de l'institut de la citoyenneté européenne, du moins dans ses développements futurs. En effet, en suivant un raisonnement par l'absurde, les règlements non étatiques ne reconnaissent pas aux individus la personnalité juridique. Le droit international est parlant à cet égard72. La preuve en est que la majorité des traités internationaux signés depuis la Seconde Guerre mondiale ne créent jamais d'obligations dans le chef des individus, mais toujours entre les États, qui sont les destinataires des normes de droit international73. On peut donc en déduire que la citoyenneté européenne peut bel et bien représenter un embryon dont l'éclosion effective la transformerait de la matière encore "magmatique"74 qui est à la vraie base d'une Union fédérale européenne75. En d'autres termes, si sous un profil strictement constitutionnel, le nouvel institut créé par le traité de Maastricht n'est pas comparable à celui attribué à un citoyen d'un des 15 États membres, le status civitatis européen commence à prendre de plus en plus l'aspect d'un status civitatis national quelconque, du moins dans les lignes essentielles76. En revanche, il est vrai que la citoyenneté, entendue comme un lien juridico-politique entre un individu et une entité étatique77, constitue le présupposé de l'apparition (et de la persistance) de toute une série de situations juridiques subjectives (tant de caractère privé que public) dans le dell'Europa, Il Mulino, Bologne, 1999, uniquement les pages 107 à 137. 69 S. Cassese, op. cit., p. 866. 70 V. Lippolis, op. cit., p.126. 71 Cf. C. J. Piernas, "La protección diplomática y consular del ciudadano de la Unión Europea", dans Revista de instituciones europeas, 1993, p. 15. La citoyenneté, affirme l'auteur, possède une signification principalement juridico-constitutionnelle, à l'intérieur de la communauté politique ou étatique, tandis que la nationalité revêt une importance juridico-internationale, à l'extérieur de ladite communauté et dans ses relations avec les autres communautés d'États. 72 Voir R. Monaco, "Lo status dell'individuo nell'ordinamento comunitario", dans Studi in onore di Manlio Udina, Tome I, Giuffrè, Milan, p. 554. 73 Pour tous, voir B. Conforti, Diritto internazionale, Edit. Scientifica, 1997. Au contraire, le règlement communautaire regorge de dispositions se référant directement aux individus et non aux États, comme le reconnaît d'ailleurs dès le début la Cour de justice dans son arrêt du 5 février 1963, affaire 26/62, N.V. Algemene Transporten Expeditieonderneming Van Gend en Loos, Recueil, p.3. 74 V. Lippolis, op. cit., dans l'introduction. 75 La création de la citoyenneté européenne par le traité de l'UE a constitué pour U. K. Preuss et F. Requejo, (op.cit., p.8) "une indubitable autodéclaration de la Communauté en tant qu'entité politique". Après la signature du traité de Maastricht, certains auteurs ont parlé explicitement d'un "avenir fédéraliste de l'Europe" (D. Sidjanski, L'Avenir fédéraliste de l'Europe, Paris, P.U.F., 1992) ou d'un État fédéral minimal (G. Soulier, L'Europe: histoire, civilisation, institutions, Paris, A. Colin, 1994). Toutefois, il est irréfutable que la question relative à la nature juridique de l'UE est encore ouverte, comme l'affirme à juste titre J.-L. Quermonne, "Trois lectures du traité de Maastricht, essai d'analyse comparative", dans Revue Française de Science Politique, volume 42, n° 5, octobre 1992. 76 F. M. Munari, op. cit., p.123. Opposé à cette thèse, on trouve P. M. Defarges, Citoyenneté et crise de l'Étatnation, dans Citoyenneté et société, La Documentation Française, n° 281, 1997, qui soutient que la citoyenneté suppose un cadre juridique et politique organisé et, sans un tel support, n'existe tout simplement pas, raison pour laquelle l'auteur considère la citoyenneté européenne pour le moins riche en "ambiguïtés". 77 Voir Niboyet, Traité de droit international privé français, I, Paris, 1947, p. 77; Balladore Pallieri, Diritto internazionale pubblico, Milan, 1962, p. 381. 12 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale cadre de chaque règlement étatique, dont, à bien regarder, également le règlement communautaire. La citoyenneté européenne a donc placé les citoyens sous la protection du droit communautaire78 , fournissant une éventuelle plate-forme en faveur d'un développement fédéral de l'Union actuelle79. L'intégration devient par conséquent un moyen d'atteindre un federalism by analogy80. En résumé, si l'existence d'une nation précède généralement la citoyenneté, l'inverse semble se produire pour l'Union européenne; en effet, la citoyenneté a précédé la constitution d'une communauté politique réelle81. 78 Cf R. Adam, op. cit. Jean-Claude Masclet, op. cit., p.83, va encore plus loin quand il affirme que "la citoyenneté européenne marque le passage difficile du statut d'organisation internationale - où l'on n'a que faire du citoyen - au statut d'État fédéral, où sa présence est au coeur du système politique". M. Croisat et J.-L. Quermonne, (op. cit., p. 108), sont du même avis. Pour eux, la citoyenneté européenne constitue un symbole qui permet de conclure que l'UE "a franchi une étape qui la situe au-delà de la confédération d'États". 80 Kunz, "International Law by Analogy", dans American Journal of International Law, 1951, volume 45, p. 334. 81 Cf. J.C. Masclet, op. cit., p. 81. L'auteur rappelle en effet que dans la conception classique, la citoyenneté a coïncidé avec la Nation, tandis que le contexte communautaire dans lequel la notion de citoyenneté a été introduite est fort différent, car il n'existe par de nation européenne: "la fonction spécifique de la citoyenneté européenne est d'encourager la constitution progressive d'une communauté politique". 79 13 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale CHAPITRE II Des citoyens spéciaux aux citoyens de droit “La construction européenne, comme toutes les révolutions pacifiques, a besoin de temps”. Jean Monnet, Mémoires, .Fayard, Paris, 1976, p. 641 La première idée d'une citoyenneté européenne remonte à une proposition italienne, appuyée par le gouvernement belge, lors de la "Première conférence au sommet de la Communauté élargie", qui se tint le 15 novembre 1972. À cette occasion, le président du Conseil Giulio Andreotti proposa l'institution d'une "citoyenneté" européenne qui devait "s'ajouter à la citoyenneté dont chaque habitant de nos pays jouit déjà"82. L'objectif était en effet de permettre aux citoyens communautaires - après une période de résidence déterminée dans un des États membres - de détenir certains droits politiques, comme par exemple la participation aux élections municipales. La proposition italienne ne fut pas suivie d'effets concrets immédiats, mais elle revint sur la table des négociations lors de la réunion suivante des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de la Communauté économique européenne (CEE), qui eut lieu à Paris en décembre 197483. Les dirigeants de l'époque n'étaient pas encore prêts à accueillir l'idée d'une citoyenneté commune, du moins formellement. Cet état de fait n'empêcha toutefois pas la formation d'une volonté politique, nécessaire pour soutenir, comme on le lit aux points 10 et 11 du communiqué final, la constitution de deux groupes de travail. Le premier était chargé d'étudier la réalisation d'une union de passeports et, à titre préliminaire, l'introduction d'un passeport uniforme; quant au second groupe, il avait pour tâche de formuler une proposition en vue de la reconnaissance de "droits spéciaux" aux citoyens des États membres84. Ce choix des droits spéciaux s'est avéré déterminant pour la physionomie de la citoyenneté actuelle parce qu'il a constitué le point de départ permettant de dépeindre, petit à petit et grâce à un effet de locomotive (spill over)85, un véritable statut des citoyens européens dans le cadre du règlement communautaire, à tel point qu'il est opportun de considérer les droits spéciaux comme les "ancêtres"86 de la citoyenneté actuelle de l'Union. Par contre, la décision de 1974 réitérait, du moins à cette époque, l'idée d'instituer une citoyenneté pour autant que la formule utilisée par le communiqué final ne contînt aucune référence explicite à une "citoyenneté commune", même si elle en acceptait la substance87. En effet, dès la reconnaissance d'une condition juridique déterminée, on avait opté pour des situations spécifiques subjectives à attribuer dans la législation nationale aux citoyens des États membres, considérés comme des "étrangers privilégiés"88. 82 Bulletin (Bull.) CE n° 11/72, p. 9. Bull. CE n° 12/74, p.7. 84 G. Gaja, "L'attribuzione di diritti speciali ai citoyens della Comunità secondo il Parlamento europeo", dans Riv. dir. inter., 1978, p. 943. 85 V. Lippolis, La Cittadinanza…, Il Mulino…, op.cit., p.184. 86 Tel que mis en évidence par M. Cartabia, dans Enc. giurid… op. cit., p.6. 87 Voir M. C. Pensovecchio, La Cittadinanza…, op cit., p.16. Le terme "citoyens" fut en outre utilisé pour la première fois dans les textes communautaires en lieu et place du terme "nationaux". 88 Il faut cependant rappeler que la situation de privilège des citoyens des États membres, bien que limitée, allait dans l’ensemble du domaine communautaire, bien au-delà des privilèges préalablement accordés aux étrangers sur la base de traités internationaux spécifiques. Le citoyen communautaire se rapprochait donc déjà à l'époque du ressortissant national. 83 15 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale La Commission décida de rédiger un rapport89 sur l'application du point 11 du communiqué final du sommet de 1974, dans lequel on excluait que "les droits spéciaux" puissent s'identifier tant aux droits civils et privés et aux libertés publiques à exercer à l'intérieur des règlements nationaux des États membres, dans la mesure où ces droits et libertés avaient déjà été concédés à tous les étrangers, qu'aux droits conférés aux citoyens des États membres par les traités communautaires. La conclusion en était que les droits spéciaux devaient constituer d'autres droits à déployer au sein des États membres et considérait les droits électoraux actifs et passifs comme les droits les plus importants. C'est dans ce contexte que vint s'insérer le rapport sur l'Union européenne établi par le Premier ministre belge Leo Tindemans, à la demande du Sommet européen de Paris de 1974. Et c’est dans ce document, au chapitre IV, que fut déclarée pour la première fois la nécessité d'une "Europe des citoyens"90. Cette expression, comme cela a déjà été expliqué au chapitre précédent, sera présente de manière transversale dans de nombreux actes des institutions communautaires afin d'indiquer la nécessité d'une plus grande implication des citoyens. Le Parlement européen prit rapidement position sur le Sommet de Paris, surtout sur la question émergente et alors épineuse des droits spéciaux. Ainsi, le 23 septembre 1976, la commission politique présenta un rapport91 par l'intermédiaire du sénateur italien Mario Scelba, dans lequel le sujet des droits spéciaux fut intégré au thème des droits fondamentaux, se ralliant ainsi aux prévisions du rapport Tindemans. Après le "rapport Scelba", le Parlement européen approuva le 12 décembre 197792 une résolution dans laquelle la Commission était invitée à exercer son droit d'initiative et déposer une série de propositions pouvant prendre en considération certains points spécifiques cités dans ladite résolution. Parmi ceux-ci, par exemple, figuraient le droit de séjour, le droit de voter et d'être élu, l'accès à la fonction publique et le droit de pétition. Passant outre les possibilités politiques conjoncturelles, le Parlement visait tout simplement par cette résolution le droit de vote et d'éligibilité au niveau national. En juin 1981, les représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil approuvèrent enfin l'institution d'un passeport uniforme, convenant qu'il pouvait être émis par tous les pays au plus tard à partir du 1er janvier 198593. Évidemment, pour que de grands pas en avant soient accomplis, il fallut attendre le "Projet de traité instituant l'Union européenne", adopté par le Parlement européen le 14 février 198494. C'est l'article 3 qui prévoyait l'institution d'une citoyenneté de l'Union95. Ce projet a non seulement marqué la volonté déterminée de la 89 Rapport de la Commission sur l'application du point 11 du communiqué final du sommet de Paris de 1974, dans Bull. CE, suppl. 7/75, pp. 26-320. 90 Doc. 481/75 du Parlement européen, du 29 décembre 1975. 91 Doc. 346/77 du Parlement européen du 25 octobre 1977. 92 JOCE n° C 299 du 12 décembre 1977, p.26. 93 Résolution du 23 juin 1981 (JOCE n° C 241 du 19 septembre 1981, pp.1-7). Dans le préambule, on déclare la volonté de "renforcer chez les citoyens des États membres le sentiment d'appartenance à une même Communauté". Voir pour plus de détails sur l'introduction du passeport européen la résolution complémentaire du 30 juin 1982 (JOCE n° C 179 du 16 juillet 1982). Les deux résolutions ont été modifiées récemment par la résolution des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil du 10 juillet 1995 (JOCE n° C 200 du 4 août 1995, p.1), par laquelle il est disposé que l'indication "Communauté européenne" devait être remplacée par "Union européenne". 94 JOCE n° C 77 du 19 mars 1984, p. 33, et plus particulièrement p.36. 95 Vu l'importance de l'article 3, on en reporte le texte: "Les citoyens des États membres sont de fait citoyens de l'Union. La citoyenneté de l'Union est liée à la qualité de citoyen d'un État membre; elle ne peut être acquise ou 16 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale majorité des groupes politiques présents au Parlement de poursuivre l'œuvre d'intégration, mais a également contribué à jeter les bases d'un grand débat qui s'est développé quelques années plus tard. Le Conseil européen de Fontainebleau de juin 1984 décida en effet de mettre sur pied un comité ad hoc pour "l'Europe des citoyens"96, dont la mission était de préparer et de coordonner les mesures à même de renforcer et de promouvoir l'identité de la Communauté et son image visà-vis des citoyens. Une échéance fut fixée (le premier semestre 1985) afin de lever toute une série d'obstacles, non seulement pour assurer la libre circulation des marchandises, mais aussi pour "supprimer toutes les formalités policières et douanières imposées aux frontières intérieures pour la circulation des personnes". Ainsi, le comité Adonnino (du nom du député européen italien qui le présidait) publia deux rapports97. Le premier fut présenté au Conseil européen de Bruxelles les 29 et 30 mars 198598, et le second au Conseil européen de Milan les 28 et 29 juin 198599. Le premier rapport se penchait sur les problèmes relatifs à la concrétisation effective d'une libre circulation des travailleurs et au droit d'établissement et de séjour. Quant au second, il approfondissait les divers aspects, non seulement politiques mais aussi culturels et sociaux, liés à la vie des citoyens et présentait plusieurs propositions pour renforcer l'image et l'identité de la Communauté, comme par exemple l'adoption d'un drapeau et d'un hymne. Par conséquent, le débat sur le chemin à prendre en vue de parvenir à une véritable citoyenneté européenne était donc lancé. La Commission européenne, qui avait par moments appuyé les demandes du Parlement, adressa une communication au Conseil intitulée "L'Europe des citoyens", stigmatisant l'absence de volonté politique d'appliquer les mesures nécessaires à l'ancrage du consensus de fond régnant au sein de l'opinion publique européenne. En particulier, la Commission jugeait "inadmissible" le retard accumulé dans l'introduction du passeport unique100 dans certains États membres. De son côté, le Conseil, prenant acte des divergences encore existantes, ne put qu'adopter le 13 novembre 1986 une résolution de minimis sur l'introduction d'une signalisation appropriée aux frontières extérieures et intérieures de la Communauté101. Cependant, dans un contexte plutôt statique, le 14 juin 1985, cinq États passèrent à l'action et décidèrent de conclure les accords de Schengen. L'objectif était de créer un espace commun par l'élimination progressive des contrôles aux frontières communes, tant des marchandises que des personnes102, signe plus qu'évident que certains États, pour des raisons certes politiques mais aussi historico-géographiques, étaient prêts à lever toutes les barrières les séparant de leurs pays voisins103 avant que cela ne soit fait dans le cadre communautaire. perdue séparément. Les citoyens de l'Union participent à sa vie politique dans les formes prévues par le présent traité, jouissent des droits qui leur sont reconnus par la législation de l'Union et se conforment aux prescriptions de cette dernière". 96 Bull. CE n° 6/84, p. 11. 97 Bull. CE, suppl. n° 7/85. 98 Bull. CE n° 3/85, p. 11. 99 Bull. CE n° 6/85, p. 12. 100 COM (84) 446 déf., 24 septembre 1984. 101 JOCE n° C 303 du 27 novembre 1986, p.1. 102 En 1999, presque tous les États membres de l'Union européenne (à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande) ont adhéré à la convention d'application des accords de Schengen. Et, dans un protocole ajouté au traité d'Amsterdam, l'acquis de Schengen s'applique immédiatement dans le cadre communautaire aux pays signataires. Pour des commentaires sur les accords de Schengen, consulter C. C. Gialdino, "Schengen et le troisième pilier: le contrôle juridictionnel organisé par le traité d'Amsterdam", dans Revue du Marché unique européen, 2/98, p. 89; De Schengen à Maastricht, ouvrage collectif sous la direction d'A. Pauly, Institut européen d'administration publique, Maastricht, 1996. 103 D'aucuns ont considéré ces accords comme le point de départ de ce qu'on appelle aujourd'hui l'Europe "à géometrie variable ou "à deux vitesses". Sur ce thème, voir B. Nascimbene, Da Schengen…, op.cit. 17 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale L'Acte unique européen entré en vigueur le 1er juillet 1987104 n'introduisit pas encore de dispositions spécifiques en vue de la création d'une citoyenneté commune, mais l'article 8A (désormais article 14) du traité de la CE institutionnalisa le concept du "marché intérieur" entendu comme '"espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée"105. C'est un grand pas en avant, qui poussera même le Parlement européen à intenter quelques années plus tard une action en inertie contre la Commission devant la Cour de justice du Luxembourg106 aux termes de l'article 232 du Traité instituant la Communauté européenne (ex-article 175 du traité de Maastricht), pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires à la réalisation de ce qui est établi par ledit article107. Le Parlement européen, après avoir adopté le 23 novembre 1989 et le 14 mars 1990 deux résolutions sur le thème de la convocation de la Conférence intergouvernementale en vue de l'Union européenne108, promulgua une nouvelle résolution à ce sujet109. Au point 19, on demandait explicitement d'insérer dans les traités des dispositions visant à développer des formes communes de citoyenneté européenne, par le biais de mesures telles que l'octroi aux citoyens communautaires du droit de vote aux élections municipales et européennes dans l'État membre de résidence. La citoyenneté fit ainsi irruption dans l'agenda des sujets à étudier en vue de la révision des traités pour la création d'une union politique. D'autre part, les chefs d'État et de gouvernement avaient déjà à plusieurs reprises insisté sur la concrétisation de "l'Europe des 104 Acte unique européen, (AUE), JOCE n° L 169 du 29 juin 1987. Pour un commentaire, voir pour tous V. Constantinesco, J.-P. Jacqué, R. Kovar et D. Simon, Traité instituant la CEE, Constantinesco, J.-P. Jacqué, R. Kovar, D. Simon, Economica, Paris, 1992. 105 Ne pas oublier que, dans le droit communautaire, chaque fois qu'est utilisée l'expression "marché intérieur", "unique" ou "commun", la signification est preque identique et équivalente (voir G. Tesauro, op. cit., p. 238). Dès les premières années, la Cour de justice de Luxembourg a elle-même défini l'objectif du marché commun dans son arrêt du 5 mai 1982 (Schul, affaire 15/81, Recueil, p. 1409, point 33), lequel est, selon les juges, "d'éliminer tout entrave aux échanges intracommunautaires afin de fondre les marchés nationaux dans un marché unique ressemblant le plus possible à un véritable marché intérieur". Voir également l'arrêt du 9 février 1982, affaire 270/80, Polydor, Recueil, p. 329. 106 Voir tout d'abord à ce sujet la résolution A3-199/91 du Parlement européen sur la liberté de circulation des citoyens et sur les problèmes relatifs à la sécurité nationale dans la Communauté (JOCE n° C 267 du 14 octobre 1991, p. 197), dans laquelle il est établi que "la libre circulation des citoyens constitue une des compétences de la Communauté" et répété que "si la Commission n'assume pas ses devoirs, il faudra tirer les conclusions qui s'imposent". En effet, comme déjà rappelé, un recours en inertie fut intenté par le Parlement contre la Commission en 1993, débouchant sur une ordonnance de la Cour de non-lieu à poursuivre, dès le moment où, entre-temps, la Commission avait exercé son pouvoir d'initiative. Pour les références, voir note suivante. 107 Ordonnance du 11 juillet 1996, affaire C-445/93, Parlement contre Commission des Communautés européennes, non publiée. La Cour a statué qu'il n'y avait pas lieu d'engager des poursuites parce que la Commission avait présenté entre-temps quelques propositions de directives sur le sujet: proposition de directive du Conseil relative à la suppression des contrôles sur les personnes aux frontières intérieures (JOCE n° C 289 du 31 octobre 1995, p. 16); proposition de directive du Conseil relative au droit des résidents des pays tiers de voyager à l'intérieur de la Communauté (JOCE n° C 306 du 17 novembre 1995, p. 5); proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 68/360/CEE relative à la suppression des restrictions au séjour des travailleurs des États membres et de leurs familles à l'intérieur de la Communauté et la directive 73/148/CEE relative à la suppression des restrictions au séjour des résidents des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services (JOCE n° C 307 du 18 novembre 1995, p. 18). 108 Doc. B3-471/85 (JOCE n° C 323 du 27 décembre 1989, p. 111) et doc. A3-47/90 (JOCE n° C 96 du 17 avril 1990, p. 114). 109 Doc. A3-166/90 (JOCE n° C 231 du 17 septembre 1990, p. 91). 18 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale citoyens", incitant de plus en plus la Commission, mais surtout le Conseil de ministres à adopter les prescriptions idoines110. En septembre 1990, le Premier ministre espagnol, Felipe González, se fit le promoteur d'une proposition de citoyenneté de l'Union, à concevoir comme un statut personnel et inséparable des citoyens des États membres. Ce n'est pas un hasard si on y mentionne le rôle de "ciment communautaire" de la citoyenneté111. Le 21 octobre 1990, la Commission européenne exprima un avis sur le projet de révision du traité instituant la CEE, reprenant la proposition de M. González112. D'autres références spécifiques à l'exigence d'instituer une citoyenneté européenne figurent dans la déclaration finale de la Conférence des parlements de la Communauté européenne du 30 novembre 1990 et dans les conclusions de la présidence du Conseil européen de Rome des 14 et 15 décembre 1990113, dans lesquelles était exposé le consensus unanime des États membres quant à l’examen par la Conférence intergouvernementale sur l'union politique du concept de citoyenneté européenne et dans lesquelles on indiquait certaines droits individuels. Le 17 avril 1991, la Conférence des représentants des gouvernements des États membres signa le fameux "non-document" contenant un "projet d'articles du traité pour l'institution d'une union politique", où l'on pouvait trouver la discipline de la "citoyenneté de l'Union". Cette discipline apparaissait dans le projet de traité de l'Union européenne repoussé par la présidence luxembourgeoise de la Conférence le 18 juin 1991. A cette même époque, le Parlement européen adopta une résolution vraiment déterminante pour l'issue de la Conférence de révision114. Dès le considérant M, on estimait qu'un refus éventuel de l'institution de la citoyenneté de l'Union manifesterait "une volonté politique de ne pas mettre au centre de l'Union ses citoyens et le respect de leurs droits", une revendication qui sonne donc comme un acte d'accusation envers les retards accumulés jusque là. Quelques mois plus tard, le Parlement européen revint sur le sujet par une nouvelle résolution sur la liberté de circulation des citoyens115, dans laquelle on rappelait "énergiquement" que si la Commission européenne n'avait pas proposé de normes pour son application, la Cour de justice aurait été saisie. En d'autres termes, le Parlement adopta une stratégie très pressante à l'encontre des autres institutions, les contraignant presque à conserver leur attention sur les différentes composantes de la citoyenneté communautaire, notamment et avant tout la libre circulation des personnes. Entre-temps, la présidence néerlandaise créa un nouveau projet de révision. La deuxième résolution sur la citoyenneté de l'Union, votée le 21 novembre 1991116, est encore plus explicite et directe. On y proposait en détail l'introduction d'articles dans le traité sur l'Union 110 Voir les conclusions de la présidence du Conseil européen de Madrid des 26 et 27 juin (Bull. CE n° 6/89, p. 11), dans lesquelles les progrès accomplis dans le sens de l'Europe des citoyens sont estimés insuffisants, du Conseil européen de Strasbourg des 8 et 9 décembre (Bull. CE n° 12/89, pp. 9-11) et enfin, du Conseil européen de Dublin des 25 et 26 juin 1990 (Bull. CE n° 6/90, p.10.) 111 Voir Agence Europe, n° 1653, 2 octobre 1990. 112 Cf. Conférence intergouvernementale: contributions de la Commission (Bull. CE suppl. 2/91, p.82). Le document rappelle que la citoyenneté doit "prendre progressivement corps", mais confirme qu'elle "ne doit entacher en rien la citoyenneté nationale dont elle ne sera qu'un complément et non un substitut". 113 Bull. CE n° 10/90, p. 7. 114 Résolution du Parlement européen du 14 juin 1991 (JOCE n° C 183 du 15 juillet 1991, p. 473). 115 JOCE n° C 267 du 14 ocotbre 1991, p. 197. 116 JOCE n° C 326 du 16 décembre 1991, p. 205. Dans cette résolution, il était également demandé formellement au point 5 qu'à partir du 31 décembre 1992, les contrôles systématiques aux frontières intérieures.ne seraient plus effectués. 19 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale en phase d'élaboration au sein de la CIG, en particulier l'institution de la citoyenneté européenne et la possibilité pour l'Union de fixer des conditions uniformes pour la perte ou pour l'acquisition de la citoyenneté nationale117, un point revêtant une importance certes politique, mais surtout juridico-constitutionnelle118. En effet, la détermination des critères sur la base desquels un État peut attribuer ou retirer la citoyenneté a toujours été considérée comme une compétence nationale. Et même si l'interdépendance économique croissante des États dans la communauté internationale contemporaine, ainsi que la demande d'une plus grande liberté de circulation qui en découle, a fait proliférer les normes particulières contribuant à l'érosion progressive de cette sphère délicate du domaine réservé des États, au fil du temps, une "cristallisation de ce principe"119 est apparue et ce, jusqu'au virage que constitua l'arrêt que la Cour internationale de justice rendit le 6 avril 1955 dans l'affaire Nottebohm120. La Cour affirma le critère de "l'effectivité" de la citoyenneté, c'est-à-dire que, pour qu'elle soit conférée, l'existence d'un lien authentique entre l'État et l'individu121 s'imposait. Le moment était venu et la CIG termina ses travaux en signant à Maastricht un nouveau traité de révision des traités de Rome, dans la partie II duquel la citoyenneté de l'Union fut finalement instituée à l'article 8. Il prévoyait toute une série de droits comme celui de libre circulation et de séjour de tous les citoyens communautaires, de vote et d'éligibilité aux élections du Parlement européen et aux élections municipales, de protection diplomatique, de pétition et de recours à une nouvelle institution, à savoir le Médiateur, en cas de mauvaise gestion dans le chef des organes communautaires122. Dans les années qui précédèrent immédiatement l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, les prises de position tendant à compléter ce qui était désormais établi par des normes fondamentales, comme les articles 17 à 22 du TCE (ex-article 8 du traité de Maastricht) ne manquèrent pas. 117 L'exclusion de toute compétence communautaire dans la détermination des critères d'acquisition et de perte de la citoyenneté est perçue comme une garantie de préservation de la souveraineté des États membres. Malgré cela, certains auteurs ont rappelé la nécessité d'une harmonisation des législations nationales sur l'acquisition et la perte de la citoyenneté ou, alternativement, l'opportunité que la Communauté discipline cette matière par ses propres règles, en considérant les différences qui pourraient provenir du renvoi aux législations nationales. Voir S. O'Leary, "Nationality Law and Community Citizenship: a Tale of Two Uneasy Bedfellows", dans Yearbook of European Law, 1992, pp. 353 et suivantes. 118 Il faut en effet rappeler que de nombreux États membres de l'UE ont dû modifier leur Constitution pour pouvoir ratifier le traité de Maastricht. À ce sujet, voir G.R. de Groot, "The Relationship between the Nationality Legislation of the Member States of the European Union and European Citizenship", dans European Citizenship, An Institutional Challenge (ouvrage collectif), Kluwer Law International, 1998, p.115; dans le même volume, voir la contribution de M. La Torre, Citizenship, Constitution and the European Union, p. 435. 119 Des tendances analogues (à savoir adoption du principe de la compétence nationale) étaient déjà ressorties, quelques années auparavant, des travaux de la Conférence pour la codification du droit international qui eut lieu à La Haye en 1930. L'article 1 de la convention concernant les questions relatives aux conflits de loi sur la citoyenneté, adoptée à La Haye le 12 avril 1930, établit qu'il "appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux". Le texte de la convention est disponible dans Revue de droit international privé, 1930, p. 337. Voir également A. F. Panzera, op. cit., p. 37. 120 Arrêt du 6 avril 1955, Liechtenstein contre Guatemala, "Nottebohm" , Recueil de la CIJ, 1995, p.4. 121 Ainsi, en page 23 de l'arrêt précité: "selon la pratique des États, les décisions d'arbitrage et de justice et l'avis des auteurs, la nationalité constitue un lien légal ayant à sa base un fait social d'attachement, un lien authentique d'existence, des intérêts et des sentiments, ainsi que l'existence de droits et devoirs réciproques". Pour une étude approfondié, voir A. F. Panzera, op. cit. 122 Pour une analyse des articles précités, voir le chapitre III de la présente étude. 20 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale La Commission procéda tout d’abord à une première évaluation du nouvel institut, comme prévu par l'article 22 du traité de la CE (ex-article 8E du traité de Maastricht). Dans son premier rapport123, elle rappela in primis que les dispositions en question étaient "d'importance capitale" et que l'insertion dans le traité de Rome d'une partie intitulée "citoyenneté de l'Union" représentait "un des progrès les plus significatifs accomplis par le constituant communautaire dans le sens de l'intégration européenne". Après ces premières considérations politiques, la Commission entra dans le vif du sujet et, bien qu'admettant qu'il était prématuré d'exprimer un jugement, releva que toute interprétation possible des droits visés aux articles 17 à 22 du traité de la CE (ex-article 8 du traité de Maastricht) devait être extensive, tandis que "toute exception à leur plein exercice (devait) être interprétée de façon restrictive". En outre, elle concluait en rappelant que toutes les dispositions relatives au nouvel institut n'étaient pas figées mais qu’au contraire elles pouvaient à l’avenir être intégrées ou renforcées. Le Parlement européen n'estima pas devoir se prononcer sur ce premier rapport. Dès cet instant, le Parlement européen abandonna évidemment la stratégie par ailleurs gagnante adoptée jusqu'alors et prit des positions sur les droits proprement dits, afin qu'ils deviennent pleinement effectifs et puissent être immédiatement appliqués et protégés juridiquement 124. Le parcours politique menant à une véritable citoyenneté européenne semblait entamé et à même d'être approfondi. A l'approche de la Conférence intergouvernementale suivante pour la révision du traité de Maastricht, inaugurée à Turin en mars 1997 sous la présidence italienne, le Parlement européen prit une nouvelle position. Dans une résolution adoptée le 30 janvier 1997, il demanda un "renforcement de la citoyenneté européenne"125. Deux mois plus tard, dans une résolution126 sur la CIG qui allait s'ouvrir, il fit référence à la nécessité de créer un espace intégré de liberté, de justice et de sécurité, conscient que la citoyenneté européenne ne pouvait désormais que représenter une cheville d'un projet bien plus articulé et, en partie, bien plus ambitieux127. La Commission européenne décida ainsi de confier à un groupe de haut niveau présidé par Simone Veil une étude destinée à "identifier les problèmes d'ordre juridique, pratique et administratif, avec lesquels doivent composer les citoyens qui s'installent ou essaient de s'installer dans un autre pays membre de l'Union, et à en faire rapport, tout en soumettant des solutions possibles à cette même Commission". Le groupe de haut niveau présenta son rapport final à la Commission le 18 mars 1997. Composé de sept chapitres et accompagné de six annexes, il représente certainement l'étude à ce jour la plus approfondie sur l'un des aspects essentiels de la citoyenneté européenne, à savoir la libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté. La principale conclusion du rapport fut que, à quelques exceptions près, le cadre législatif de la libre circulation des personnes était en place et que la plupart des problèmes que devaient affronter les personnes "pouvaient être résolus sans qu'il soit nécessaire de modifier la législation"128. En outre, il formula 80 conseils pour que les individus puissent, dans la pratique, exercer plus facilement leurs droits. Parmi ceux-ci, le groupe vit une meilleure information des citoyens sur leurs droits, la création d'un nouveau type de carte de séjour pour 123 Rapport de la Commission européenne sur la citoyenneté de l'Union [COM(93)702], 21 décembre 1993. Pour une analyse de ces résolutions, voir plus loin. 125 Résolution du 30 janvier 1997 sur le rapport du Conseil européen au Parlement européen sur les progrès dans l'UE en 1995 (JOCE n° C 55 du 24 février 1997, p. 33). 126 Résolution du 13 mars 1997 (JOCE n° C 115 du 14 avril 1997, p. 165). 127 Lire H. Labayle, "Un espace de liberté, de sécurité et de justice", dans Rev. trim. de droit européen, 1997, pp. 105-173. 128 Rapport du groupe de haut niveau sur la libre circulation des personnes présidé par Simone Veil, présenté à la Commission le 18 mars 1997, p.3. 124 21 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale les personnes séjournant à titre temporaire dans un autre État membre, la nécessité d'apprendre les langues, la mise en place de nouveaux moyens de recours et enfin la désignation d'un commissaire unique responsable de la libre circulation des personnes. Il est évident que l'objectif politique d'études aussi détaillées consiste justement à aiguillonner les institutions qui, en dernière instance, doivent prendre les dispositions en la matière. La Commission adopta ainsi le 1er juillet 1998 une communication au Parlement européen et au Conseil sur la suite réservée aux recommandations du groupe de haut niveau sur la libre circulation des personnes, illustrant les projets, à court et à moyen termes, que l'organe exécutif entendait mettre en œuvre129. Le Parlement européen entama le débat au sein de la Commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures130, mais la proposition de résolution fut repoussée en plénière131. Un an avant, en mai 1997, la Commission avait rédigé son deuxième rapport sur la citoyenneté de l'Union132. Ses conclusions, surtout pour certains droits, n'étaient vraiment pas flatteuses. Par exemple, le droit de participation aux élections locales et le droit de protection diplomatique restaient, pour certains aspects et dans certains États, des droits virtuels. Deux lignes d'action furent alors proposées par la Commission pour éviter que les citoyens européens ne "tendent à considérer la citoyenneté de l'Union comme un concept vague et éloigné": un effort d'information permanent garantissant aux citoyens l'accès à des informations simples et concrètes sur leurs droits et un effort spécial de la part de la Commission et des autres États membres pour assurer que ces droits soient effectivement respectés. Le Parlement européen engagea une vaste discussion sur ce rapport. On en discuta au sein de la Commission juridique et des droits des citoyens133 (rapporteur: M. Willy De Clercq), de la Commission des affaires institutionnelles (rapporteur: M. Olivier Duhamel) et de la Commission des libertés et des affaires intérieures (rapporteur: Mme Claudia Roth). Les efforts accomplis furent salués, mais tant dans le rapport que dans les deux autres avis, on utilisa un ton dur vis-à-vis de "régressions" comme dans le cas du retard prévu de cinq ans depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam pour l'application des mesures nécessaires à l'institution du marché intérieur. La plénière vota et adopta donc une résolution sur ce deuxième rapport134 dans lequel, au point 4, la Commission européenne fut priée de réorganiser les instruments législatifs relatifs à la libre circulation et au droit de séjour. Le nouvel objectif semblait en effet conférer un caractère plus systématique aux normes régissant la citoyenneté de l'Union en leur donnant une plus grande organisation et davantage de consistance sur le plan juridique. 129 COM (98) 403 déf., 1er juillet 1998. Les axes principaux des propositions de la Commission, lit-on dans le document, sont: a) la création, dans la mesure du possible, d'un régime unique de libre circulation pour tous les citoyens de l'Union et les membres de leurs familles; b) une nouvelle attitude quant à l'exercice du droit de séjour; c) la clarification du statut des membres de la famille d'un citoyen de l'Union, quand ceux-ci sont citoyens de pays tiers; d) une meilleure circonscription de la possibilité de mettre fin à l'exercice du droit de séjour d'un citoyen de l'Union. 130 Rapport sur le rapport du groupe de haut niveau sur la libre circulation des personnes. Rapporteur: Mme AnneMarie Schaffner. Doc. A4-0108/98 du 19 mars 1998. Dans son avis, la Commission des pétitions (rapporteur pour avis: M. Eddy Newman) estime que le groupe présidé par Simone Veil "semble trop prudent dans ses affirmations". 131 Cfr. JOCE n° C 313 du 12 octobre 1998, p. 51. 132 COM (97) 230 déf., 27 mai 1997. 133 Doc. A4-0205/98 du 27 mai 1998. 134 Résolution du 2 juillet 1998 sur le second rapport de la Commission européenne sur la citoyenneté de l'Union (JOCE n° C 226 del 20.7.98, p. 61). 22 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Ce concept est par ailleurs réitéré dans une résolution encore plus récente, dans laquelle le Parlement européen juge "d'importance fondamentale" que le Conseil européen extraordinaire de Tampere (convoqué par la présidence finlandaise au cours du second semestre 1999 et qui s'est penché sur la création d'un espace commun de liberté, de justice et de sécurité) définisse une stratégie commune, en concertation avec le Parlement européen et les parlements nationaux, sur le thème de la citoyenneté européenne135. Le traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, n'apporte pour ainsi dire pas d'innovations significatives aux articles liés directement à la citoyenneté de l'Union, cependant il introduit des dispositions qui auront une influence sur ces articles d'une façon ou d'une autre. Pensons par exemple à la nouvelle interdiction visée à l'article 13 du traité de la CE ou au nouveau titre VIII consacré entièrement à la création d'un système de coordination entre les politiques nationales pour l'emploi ou encore à la communautarisation de secteurs délicats comme ceux relatifs aux politiques en matière de visa, d'asile, voire d'autres politiques relatives à la libre circulation des personnes (articles 61 à 69 du TCE). En outre - fait d'importance tant politique que juridique -, des dispositions furent introduites par le traité d'Amsterdam visant à constituer un espace de liberté, de sécurité et de justice (articles 61 à 69 du TCE) influençant, même indirectement, la citoyenneté de l'Union,. Le Conseil européen de Cardiff 136 a mandaté le Conseil et la Commission pour qu'ils présentent un programme d'action sur la "meilleure façon d'appliquer les dispositions relatives à l'introduction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice", et la Commission européenne a adopté une communication le 14 juillet 1998137. Après avoir analysé de près la situation actuelle des politiques d'immigration et d'asile, de l'acquis de Schengen et de l'intégration des citoyens des pays tiers, elle conclut en soulignant l'importance du rôle du Conseil qui, à cette phase, doit décider à l'unanimité, du moins pendant les cinq premières années après l'entrée en vigueur du nouveau texte constitutionnel. Mais, surtout, la Commission appuie une plus grande participation du Parlement européen, "dont le rôle sera renforcé de manière positive avec le nouveau dispositif institutionnel". En d'autres termes, on pourrait en déduire que, même si le traité d'Amsterdam n'a pas fourni une définition plus appropriée de l'institut de la citoyenneté, les situations juridiques subjectives reconnues aux citoyens communautaires et les possibilités futures de leur consolidation n'en ont pas moins augmenté. Le Conseil de ministres a adopté le 8 février 1999 une résolution relative à la participation des jeunes138, d'après les déclarations du Conseil européen de Cardiff et de la Commission européenne. Le Conseil "encourage les institutions européennes et les États membres de l'UE à examiner les modalités destinées à impliquer davantage les citoyens dans l'élaboration des politiques européennes et permettre aux jeunes de participer à tous les aspects d'une citoyenneté active". Maintenant, au-delà de sa valeur sémantique pure qui n'ajoute rien à un renforcement des droits des citoyens, cette résolution mérite réflexion parce qu'elle développe un concept qu'on peut appuyer, à savoir celui de la citoyenneté active139. Il est en effet crucial que tous les citoyens 135 Résolution A4-0133/99 du Parlement européen, adoptée le 13 avril 1999, sur le projet de plan d'action du Conseil et de la Commission européenne sur la meilleure façon d'appliquer les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. 136 Bull. CE n° 6/98, p.7. La partie IV des conclusions de la présidence est dédiée à "une Union plus proches des citoyens". Le Conseil européen estime que les États membres et toutes les institutions communautaires doivent s'engager "avec constance pour augmenter la transparence, la compréhension et l'importance, dans la vie quotidienne, des activités développées par l'Union". 137 COM (1998) 459 déf., 14 juillet 1998. 138 JOCE n° C 42 du 17 février1999, pp. 1-2. 139 Verso uno spazio europeo per l'educazione e la cittadinanza attiva, sous la direction de la Direction générale XXII Instruction, formation et jeunesse, Office des publications officielles des Communautés européennes, 1999. 23 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale se sentent appartenir à une communauté partageant des valeurs sociales et culturelles. Sinon, pour la consolidation de l'institut créé à Maastricht, on progresserait certes au niveau juridique, mais pas sur le plan culturel140, ce qui constituerait non seulement une défaite, mais aussi le début d'une régression du concept même de citoyenneté européenne. Lors du dernier Conseil européen de Cologne du 4 juin 1999, les chefs d'État et de gouvernement sont convenus que les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union devaient "être compilés dans une charte et être rendus de ce fait plus visibles". Dans une décision annexée aux conclusions de la présidence, on précise que cette charte doit consacrer avant tout les droits de liberté et d'égalité, ainsi que les droits procéduraux fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales141 et résultant des traditions constitutionnelles communes des États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. En outre, le Conseil européen estime qu'après la présentation du projet par un organe ad hoc (avant l'an 2000), il faudra examiner l'éventualité et les modalités nécessaires pour intégrer la Charte dans les traités142. La citoyenneté européenne est donc née historiquement comme une base au projet consistant à renforcer l'idée de démocratie que cette Charte des droits des citoyens européens, à l'aube du XXIe siècle, devra synthétiser et développer. Elle ne représentera pas seulement un addendum aux dispositions déjà en vigueur en la matière, mais elle constituera certainement un pas en avant dans l’implication consciente des citoyens dans la construction d'un nouvel espace de liberté, de sécurité et de justice, où tous les droits conférés seront protégés et applicables immédiatement. 140 Pour un approfondissement de cet aspect critique, voir les conclusions de la présente étude. Pour un commentaire article par article, voir L. Edmond Pettiti, E. Decaux et P-Henri Imbert, La Convention européenne des droits de l'homme, Economica, Paris, 1995; L. Scudiero, "Comunità europea e diritti fondamentali, un rapporto ancora da definire?", dans Riv. dir. europeo, 1996, p. 263. 142 Cf. Constantin A. Stephanou, "Identité et citoyenneté européennes", dans Rev. du Marché commun et de l'UE, n° 43, 1991, pp. 32-38. 141 24 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale CHAPITRE III La citoyenneté européenne: dispositions du traité de la CE “Il ne suffit pas aux citoyens de voter pour demeurer libres” Alexis de Tocqueville 1.1. Brèves allusions aux innovations apportées par le traité d'Amsterdam Depuis l'entrée en vigueur, en 1993, du traité de Maastricht, les citoyens de l'Union se sont vus attribuer des droits précis par des normes fondamentales. La portée juridico-constitutionnelle de ce progrès politique important n'a pas encore déployé ses effets dans le cadre législatif communautaire143, à tel point qu'on ne sait pas à ce jour si, en ce qui concerne certaines dispositions spécifiques, on peut parler d'efficacité directe conformément à leur présence dans le traité de la CE144. Le puntum dolens est en effet l'applicabilité directe et le caractère justiciable de certains droits145, surtout ceux de circulation et de séjour, les fameux droits d'établissement146. Le traité d'Amsterdam a peu ajouté en la matière147. La première addition concerne l'article 17 du TCE, où on précise que "la citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la 143 Voir V. Lippolis, op. cit., p. 317. À ce sujet, la réponse écrite fournie par l'ex-président de la Commission, Jacques Delors, le 4 juin 1993 (JOCE n° C 264 du 29 septembre 1993, p. 5) à la question parlementaire du 24 novembre 1992 posée par le député Sotiris Kostopoulos est parfaitement claire. Vu la portée politique, le texte intégral en est reporté. "L'article 8, paragraphe 2, du traité de la CEE, dans la version modifiée par le traité sur l'Union européenne, prévoit que "les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité". Certains des droits en question sont ceux déjà prévus par les normes du traité et par le droit communautaire secondaire actuel (telles que, par exemple, celles relatives à la libre circulation et à l'établissement de tous les citoyens des États membres); d'autres sont quant à eux de nouveaux droits prévus par le traité de la CEE dans la version modifiée par le traité sur l'Union européenne ou concédés en vertu de ce dernier (par exemple, le droit de vote aux élections municipales et du Parlement européen). Certains de ces droits ont une efficacité directe. Pour d'autres, par contre, les institutions communautaires ou éventuellement les États membres doivent encore adopter les modalités d'application. Une violation éventuelle de la part des autorités d'un État membre d'un des droits susdits équivaudra, comme c'est déjà le cas pour certains de ces droits, à une transgression des obligations communautaires, que la Commission pourrait demander à la Cour de justice d'établir, conformément à la procédure prévue par l'article 169 du traité. De toute façon, les citoyens peuvent se tourner vers les tribunaux nationaux pour s'assurer que les autorités respectent les droits dont ils jouissent et qui ont un effet direct". Lire également B. Nascimbene, "Brevi rilievi in tema di diritti fondamentali, cittadinanza e sussidiarietà nel Trattato sull'Unione europea", dans Dir. comunitario e degli scambi internazionali, 1994, p. 233. 145 V. Lippolis, op. cit., p. 111, est favorable au caractère "immédiatement justiciable" des dispositions sur la citoyenneté de l'Union. L'auteur le déduit sur la base de l'insertion des normes susdites dans le corps du traité de la CE. Dans le même sens, on trouve M. C. Pensovecchio, op. cit., p. 28. R. Adam, op. cit., p. 643, est plus prudent et nie carrément l'application immédiate et donc le caractère justiciable du droit de libre circulation et de séjour. M. Cartabia, op. cit., p. 8, est du même avis. Pour M. La Torre, op. cit., p. 436, la position particulière occupée par les dispositions sur la citoyenneté européenne dans le nouveau traité attribue aux droits un rôle fondamental "and furthermore facilitates their enforceability by the European Court of Justice". 146 À ce sujet, les conclusions de l'avocat général A. La Pergola dans l'affaire María Martínez Sala, déjà citée, points 15 et 18, sont extrêmement intéressantes. Elles prennent en considération les orientations tant de la Commission que des États membres en matière d'applicabilité directe de l'article 18 du traité de la CE. Voir également l'arrêt du 21 septembre 1999, affaire C-378/97, Wijsenbeek. 147 Voir. P. J. Pérez, "De Maastricht a Amsterdam: cinco años de ciudadanía", dans Gaceta jurídica de la CE, 1997, p. 13. 144 25 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale remplace pas". Autrement dit, on institutionnalise un principe déjà contenu dans la déclaration de la Conférence intergouvernementale annexée au traité de Maastricht, à laquelle on a déjà eu l'occasion de faire référence148. Cette modification, apparemment marginale, renforce encore l'aspect caractéristique, et peut-être également problématique, de la citoyenneté communautaire: elle est interconnectée et inséparable de la citoyenneté nationale qui reste, quoi qu'il en soit, primaire et originaire. Il ne semble pas inopportun de soutenir qu'en spécifiant cette qualité intrinsèque de la citoyenneté européenne lors de la révision des traités, on a voulu donner une indication politique précise à la Cour de justice qui, par le passé déjà, avait dû se pencher sur cette question149. La citoyenneté de l'Union se présente ainsi comme une "citoyenneté satellite"150. Voilà pourquoi son acquisition ou sa perte est automatique par effet de possession ou de perte de la citoyenneté d'un des États membres de l'Union151. En ce sens, la disposition visée à l'article 17 du TCE est assez claire152. Il faut ici souligner non seulement le caractère d'additionalité153 et de complémentarité de la citoyenneté communautaire, avec les droits et les devoirs qui la caractérisent, mais aussi que l'institut prévu par le traité de la CE n'a pas créé une double citoyenneté dans le chef des individus154, ce qui est le cas quand une personne possède la nationalité de deux ou plusieurs États. Toujours à l'article 17, nonobstant une certaine ambiguïté de fond, il faut relever que le traité rappelle que les citoyens de l'Union jouissent certes des droits prévus, mais sont également soumis à des devoirs, sans pour autant les spécifier155. 148 Voir note 35 de la présente étude. Voir le raisonnement prudent de la Cour dans le cadre d'une question préjudicielle soulevée par un juge grec, en particulier le point 30 de l'arrêt du 19 janvier 1999, affaire C-348/96, Donatella Calfa, Recueil I-2691. Considérer également le point 10 des conclusions de l'avocat général Antonio La Pergola présentées le 17 février 1998. On y entrevoit la même attitude de prudence dans l'interprétation et de la mise en exergue des articles 17 et 18 du traité de la CE pour la résolution de l'affaire. Comparer avec le point 60 de l'arrêt du 12 mai 1998, affaire C-85/96, María Martínez Sala contre Land de Bavière, Recueil. I-2691. Pour un commentaire étendu de cet arrêt important, voir pour tous S. O'Leary, "Putting Flesh on the Bones of European Citizenship", dans European Law Review, 1999, p. 68. La Cour a estimé ne pas devoir se prononcer sur l'interprétation de la citoyenneté communautaire dans un autre arrêt du 29 février 1996, affaire C-193/94, Poursuites pénales contre Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos, Recueil I-929, point 22. 150 V. Lippolis, op. cit., p. 44. 151 B. Nascimbene, "Profili della cittadinanza dell'Unione europea", dans Riv. Intern. dei Diritti dell'Uomo, 1995, p. 250. Tenir également compte de la décision des chefs d'État et de gouvernement, réunis au sein du Conseil européen "concernant certains problèmes attenants au traité sur l'Union européenne soulevés par le Danemark" (JOCE n° C 348 du 31 décembre 1992, p. 2), selon laquelle "les dispositions de la deuxième partie du traité instituant la Communauté européenne concernant la citoyenneté de l'Union confèrent aux citoyens des États membres des droits et une protection complémentaires (…). Ces derniers ne se substituent nullement à la citoyenneté de l'État. La question de savoir si une personne possède la citoyenneté d'un État membre est réglée exclusivement par le droit national de l'État membre concerné". Par ailleurs, dans l'arrêt Micheletti du 7 juillet 1992 déjà citée, la Cour de justice n'a pas seulement rappelé que la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre, mais également jugé qu'il n'appartient pas à la législation d'un État membre de limiter les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité. 152 "Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre". 153 C. Closa, "The Concept of Citizenship in the Treaty on European Union", dans Common Market Law Review, p. 1160. 154 Cf. V. Lippolis, op. cit., p. 61. 155 Pour l'identification de ces devoirs, voir Monaco, "Lo status dell'individuo nell'ordinamento communautario", 149 26 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale La deuxième "innovation" apportée au traité d'Amsterdam se trouve à l'article 21 du Traité instituant la Communauté européenne, où il est stipulé que tout citoyen de l'Union peut écrire aux institutions et en recevoir une réponse dans une des douze langues officielles de la Communauté156. Même si cela représente la reconnaissance officielle d'une pratique de facto déjà diffuse dans le les relations entre les institutions communautaires et les citoyens, c'est surtout un élément à caractère démocratique qui ne peut être sous-estimé, notamment dans l'optique d'une plus grande transparence du système. Cependant, la disposition la plus novatrice, du moins sous le profil politique, se retrouve à l'article 18 du Traité de la CE où on affirme, au sujet du droit de libre circulation et de séjour, que le Conseil peut arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice de ces droits, statuant conformément à la procédure de codécision visée à l'article 251 (ex-article 189 B) du traité de la CE. En d'autres termes, il est demandé au Parlement européen non seulement d'émettre un avis conforme, comme prévu avant l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, mais aussi de jouer un rôle de colégislateur. Cette demande renforce indiscutablement le pouvoir du Parlement européen d'influer sur la législation en la matière. Les articles 17 à 22 du traité de la CE définissent ainsi les contours du statut des citoyens communautaires et impriment une plus grande dynamique aux situations juridiques suggestives dont les individus jouissaient déjà en partie. En effet, la substance des droits connexes à la citoyenneté européenne a consacré officiellement un certain acquis communautaire157 et consolidé les droits - comme celui de circulation ou de pétition au Parlement européen - déjà présents dans le droit dérivé ou dans la pratique réglementaire. Malgré cela, il faut souligner une nouveauté absolue, à savoir la reconnaissance aux citoyens de droits politiques importants158, tels que le droit de vote et d'éligibilité pour les élections européennes et municipales. On peut partager l'opinion selon laquelle les droits de nature politique tentent maintenant de prévaloir sur les droits plus proprement économiques, en allant jusqu'à fournir la clé pour la lecture et en appuyant la nouvelle aspiration de la Communauté à se placer comme un sujet politique défini159. Les droits du nouveau statut n'enrichissent pas le patrimoine juridique de l'individu à l'intérieur de la législation du pays d'origine, mais dans d'autres directions: tout d'abord, au sein des législations des autres États membres (droit de circulation et de séjour, droits électoraux); dans Studi in onore di Manlio Udina, Milan, 1975, p. 563, où il semble possible de déterminer certains de ces devoirs dans l'obligation de tolérer l'activité d'inspection de la Commission, dès qu'elle oeuvre en application du traité de la CE qui lui permet, pour l'exécution de ses tâches, de "récolter toutes les informations et procéder à toutes les vérifications nécessaires". Un rappel de certains devoirs des citoyens de l'Union se trouvait également dans la contribution de la Commission à la Conférence intergouvernementale de 1991/92, tant en relation avec des aspects plutôt génériques (on parlait par exemple d'une obligation de respecter l'environnement, l'expression culturelle et la santé des autres, de faire preuve de solidarité vis-à-vis des autres citoyens de l'Union et des ressortissants des pays tiers). 156 Les douze langues officielles, comme le précise l'article 314 du traité de la CE, sont: l'allemand, l'anglais, le danois, l'espagnol, le finnois, le français, le grec, l'irlandais, l'italien, le néerlandais, le portugais et le suédois. 157 R. Kovar et D. Simon, op. cit., p. 287, sont de cet avis: "la substance des droits qui s'attachent à la citoyenneté de l'Union peut être vue comme étant dans une large mesure une consécration d'un certain acquis communautaire". 158 Cf. R. Adam, op. cit., p. 642. L'auteur pense en outre que parmi les nouveaux droits, celui de libre circulation et de séjour semble être le moins chargé de conséquences innovatrices, dès le moment où, sur ce terrain, le droit communautaire a déjà enregistré de grands progrès par rapport au début. 159 Comme le décèle E. Castorina, Introduzione allo studio della cittadinanza, Giuffrè, Milan, 1997, p. 269. L'auteur estime en outre que la citoyenneté peut être décrite comme "élément duquel dérive et dans lequel se concrétise la communauté politique". 27 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale ensuite, dans la législation communautaire (pétition, recours au Médiateur); enfin, dans la législation internationale (protection diplomatique). Avant de procéder à une analyse des droits des citoyens de l'Union, il faut encore placer l'accent sur le principe de non-discrimination sur la base de la nationalité visé à l'article 12 du traité de la CE (ex-article 6 du traité de Maastricht), qui constitue la base du principe instituant la citoyenneté de l'Union160. La disposition rappelée a une portée plus étendue et, comme l'a mis en évidence la Cour de justice, constitue une des références fondamentales du droit communautaire161, et plus particulièrement pour le fait d'interdire "toute discrimination exercée en raison de la nationalité, l'article 12 du traité impose l'égalité totale de traitement des personnes se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire, par rapport aux citoyens de l'État membre"162. Autrement dit, il semble qu'on assiste à un affaiblissement de l'orientation constitutionnelle présente dans plusieurs États membres, selon laquelle seuls leurs citoyens peuvent jouir de certains droits et avantages sociaux163. Comme on peut le penser donc, le principe de nondiscrimination a joué un rôle assez important pour l'affirmation de l'idée d'une citoyenneté commune164. L'article 12 du traité de la CE doit être considéré comme une norme directement applicable, justement parce que, comme on vient de l'expliquer, on y voit un principe fondamental du droit communautaire. Ce principe fait en outre l'objet de spécifications de la part du traité, dans les normes relatives à la libre circulation des travailleurs, au droit d'établissement et à la libre prestation des services, lesquelles sanctionnent le droit des citoyens des États membres de mener dans un autre État membre une activité professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de l'État d'accueil. Le principe de non-discrimination s'applique, dans les secteurs où il œuvre, de manière presque absolue165. Ainsi, en général, ce principe implique l'exclusion de tout traitement différencié fondé sur la nationalité et comportant des effets défavorables pour les non-nationaux. Entrent dans le domaine d'application de l'interdiction non seulement les discriminations directes fondant expressément sur la nationalité la différence de traitement, mais aussi les discriminations "dissimulées", à savoir celles qui, se basant sur des critères en apparence "neutres", visent en réalité à léser les non-nationaux. L'interdiction des discriminations dissimulées a été consacrée par la Cour de justice166. 160 Durand, "European Citizenship", dans EuLR, 1979. Arrêt du 21 juin 1974, affaire 2/74, Jean Reyners contre Royaume de Belgique, Recueil 1974, p. 662. 162 Ce principe jurisprudentiel semble désormais consolidé. Voir l'arrêt du 2 février 1989, affaire C-186/87, Ian William Cowan contre Trésor public, Recueil I-195. 163 Pour la notion d'avantages sociaux, voir l'arrêt de la Cour de justice du 30 septembre 1975, affaire 32/75, Anita Cristini contre Société nationale des chemins de fer français, Recueil 1975, p. 1085, en particulier le point 13 de la motivation, p. 1094, où la Cour statue que dans la perspective de l'égalité de traitement, "le domaine d'application pratique doit être délimité de sorte à comprendre tous les avantages sociaux ou fiscaux, indépendamment du fait qu'ils soient connexes ou non au contrat de travail". 164 Selon Mangas Martín (La ciudadanía de la Unión, Jornadas sobre el Defensor del pueblo en el Tratado de la Unión Europea, Universidad Carlos III de Madrid, novembre 1992), les droits et les devoirs établis par les articles 17 à 22 du traité de la CE sont "connexes aux autres droits comme celui de l'article 12 sur la non-discrimination". 165 Le caractère absolu de l'interdiction des discriminations a été affirmé au sujet du travail dépendant, et en particulier d'accès à l'emploi, dans l'arrêt du 4 avril 1974, affaire 167/73, Commission contre République française, Recueil 1974, p. 359. 166 En particulier, la Cour a jugé illégitime une différence de traitement basée sur le critère de la résidence du travailleur [arrêt du 12 février 1974, affaire 152/73, Sotgiu, Recueil p. 153]. Pour l'établissement et les services, la non-conformité vis-à-vis du droit communautaire des clauses de résidence visant à exclure de l'exercice d'une 161 28 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Il est donc possible d'affirmer qu'aujourd'hui, grâce aux normes sur la libre circulation des travailleurs, sur le droit d'établissement et sur la libre prestation des services, ainsi qu'à la large interprétation que la législation communautaire dérivée et la jurisprudence de la Cour de justice a donnée de ces dispositions, les travailleurs communautaires jouissent, en vertu de leur appartenance à la Communauté, c'est-à-dire de leur condition de "citoyens européens", d'une position largement assimilable à celle des ressortissants de l'État membre de résidence. Toujours à ce sujet, il faut rappeler qu'avec les modifications apportées par le traité d'Amsterdam, on a introduit une norme intégrative, relative au principe de non-discrimination sur la base de la nationalité, selon laquelle le Conseil, décidant à l'unanimité sur proposition de la Commission et consultation préalable du Parlement européen, peut prendre les dispositions nécessaires pour lutter contre les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions personnelles, les handicaps, l'âge ou les tendances sexuelles167. Il s'agit là d'une autre base juridique sur laquelle la Cour de justice d'une part, et les autres institutions communautaires de l'autre, pourront combattre les discriminations encore présentes entre les citoyens communautaires de nationalité différente. 1.2. Le droit de libre circulation et d'établissement sur le territoire de la Communauté Un des principaux droits conférés aux citoyens dans chaque constitution est la liberté de mouvement à l'intérieur du territoire national et la possibilité garantie de fixer librement sa résidence n'importe où sur le territoire. Dans les États à structure fédérale, ce droit s'étend à la faculté des citoyens fédéraux de s'installer dans un autre État membre de la fédération et d'y séjourner. Dans l'Union européenne, depuis 1993, ce droit est devenu presque général. L'exigence de garantir la libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté fut considérée dès l'article 3, point c), du traité instituant la Communauté économique européenne comme un "objectif fondamental" de la CEE et dès lors un des objectifs les plus importants dudit traité168. Historiquement, le droit inconditionnel de séjourner librement sur le territoire d'un État, d'en partir et d'y revenir - le droit d'établissement - a toujours été considéré comme un véritable droit politique et réservé en tant que tel aux citoyens169. Cela ne veut toutefois pas dire que, surtout en référence aux personnes physiques, le régime du marché intérieur n'a pas fortement avantagé les individus et contribué à faire en sorte que ceux-ci, dans leurs déplacements intracommunautaires, puissent aujourd'hui être pratiquement assimilés à ceux qui passent d'une région à une autre d'un même État170. Le droit reconnu aux citoyens de l'Union par l'article 18 du traité de la CE (ex-article 8 A) est généralement, et à raison, vu comme le noyau de la citoyenneté européenne, parce qu'il est évident qu'il constitue la condition indispensable et sans laquelle l'exercice d'autres droits activité donnée les sujets ne résidant pas dans le pays concerné a été condamnée par la Cour dans l'arrêt du 3 décembre 1974, affaire 33/74, Van Binsbergen, Recueil 1974, p. 1299 et dans l'arrêt du 26 novembre 1975, affaire 39/75, Coenen, Recueil 1975, p. 1547. 167 Article 13 du traité de la CE. 168 A. Tizzano, Professioni e servizi nella Cee, Cedam, Padoue, 1985, p. 2. Voir également L. Ferrari Bravo et E. Moavero Milanesi, Lezioni di Diritto comunitario, Edito. Scientifica, Naples, 1995, en particulier les pages 257 à 277. 169 B. Nascimbene, Lo straniero nel diritto italiano, Milan, 1988, pp. 9 et suivantes, souligne cet aspect. 170 Voir le deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union, déjà cité, p. 17. 29 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale conférés aux citoyens communautaires serait pratiquement impossible171. L'article 18 a le mérite de généraliser, en termes inconditionnels, le droit de circulation et de séjour, en les soustrayant à tout lien résiduel avec l'exercice d'une activité productive172, franchissant le caractère plus proprement économique et par ailleurs caractéristique des prémisses programmatiques du traité de Rome. Les normes qui assurent la libre circulation des personnes rendent le traité de la CE encore plus original par rapport aux traités unilatéraux normaux relatifs au règlement du phénomène de l'émigration. En effet, ils ne se limitent pas à évoquer un traitement "non moins favorable" que celui offert aux citoyens nationaux en matière de droit au travail à la sécurité sociale, mais aussi de droit à l'accès à l'emploi173. Le caractère essentiellement économique de la construction communautaire, à l'époque où il fut rédigé, explique pourquoi la libre circulation des personnes avait pour but de rationaliser et de rendre ainsi plus organique l'ensemble du système basé sur la libre circulation des marchandises et des facteurs productifs174, raison pour laquelle on ne prenait en considération au début que les sujets économiquement actifs qui se déplaçaient dans un État membre différent de celui d'appartenance. En particulier, on faisait référence dans le traité à ceux qui souhaitaient mener une activité de travail dépendant (articles 39 à 42 du traité de la CE, ex-articles 48 à 51 sur la libre circulation des travailleurs) ou de travail indépendant (articles 43 à 48 et 49 à 55 du TCE, ex-articles 52 à 58 et 59 à 66, dédiés respectivement au droit d'établissement et à la libre prestation des services). À plusieurs reprises, on a stigmatisé le caractère limité et modeste de ces dispositions en relation avec le projet de l'instauration d'un marché unique, entendu comme un espace sans frontières intérieures175. Il ne faut pas oublier que, dès le début, la valeur potentielle de telles normes, aptes à préfigurer les développements futurs d'une citoyenneté européenne naissante, sembla évidente176. En effet, les lois relatives à la libre circulation ont trouvé, grâce à l'interprétation extensive fournie tant par la législation communautaire dérivée que par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes177, une application plutôt large qui a permis d'étendre la portée subjective et matérielle de telles dispositions178. Il en a résulté que, dans la pratique, la 171 M. Cartabia, op. cit., p. 5, va dans ce sens. Comme le précise G. Tesauro, op. cit., p. 313, une telle disposition semble mener au dépassement de la conception mercantile du droit de circulation: ce n'est donc plus une liberté de circulation en fonction de l'exécution d'une activité économique, mais une liberté de circulation en tant que citoyens européens. 173 À ce sujet, voir M. Panebianco, "Circolazione dei lavoratori nei Paesi della Cee", dans Novissimo Digesto Italiano, Utet, p. 1189. 174 C'est ce que précise R. Monaco, "Principi della libera circolazione dei lavoratori nel mercato comune europeo", dans Scritti in onore di C. Jemolo, Milan, 1963, volume III, p. 441. 175 Ainsi, par exemple, L. Daniele, Il diritto materiale della Comunità economica europea, Milan, 1991, en particulier les pages 42 et 43. 176 L. Sandri, "Art. 48", dans Commentario CEE, sous la direction de Quadri, Monaco, Trabucchi, Milan, 1965, volume I, p. 381. 177 Pour un examen des arrêts, voir pour tous J. Wouters, "European Citizenship and the Case-Law of the Court of Justice of the European Communities on the Free Movement of Persons", dans European Citizenship, Institut Européen d'Administration Publique, 1994, p. 25. 178 Énumération des actes législatifs les plus importants: directive du Conseil 64/222/CEE du 25 février 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le secteur des activités du commerce de gros et des activités d'intermédiaires du commerce, de l'industrie et de l'artisanat (JOCE n° 56 du 4 avril 1964, pp. 857-859); directive du 172 30 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale jurisprudence de la Cour et le législateur communautaire ont rapidement corrigé le tir, en assurant la liberté de circulation et de séjour à un éventail particulièrement large d'individus: aux chercheurs d'emploi179; aux retraités180; aux étudiants; à ceux qui veulent suivre des cours de formation professionnelle181; à tous ceux qui se rendent dans un autre État membre pour y faire du tourisme182; à tous les citoyens qui ne bénéficient pas déjà de ce droit en vertu du droit communautaire, à condition qu'ils disposent pour eux et pour leur famille d'une assurancemaladie et de ressources économiques suffisant à leur survie183. La liberté de circulation est également assurée, indépendamment de leur nationalité, aux membres des familles des travailleurs184; des retraités185; des étudiants186; de tous les citoyens communautaires qui ne bénéficient pas du droit à la liberté de circulation en vertu d'autres dispositions du traité187. Un des aspects les plus importants de la libre circulation est, certainement, la possibilité offerte aux citoyens de l'Union de pouvoir exercer, de manière privilégiée par rapport à la généralité des étrangers, un droit d'entrée large et presque général dans un État membre différent de celui d'appartenance. De plus, ce droit est réservé à tous les citoyens des États qui ont déjà signé les accords de Schengen pour la création d'un espace commun sans frontières intérieures188. Conseil 64/221/CEE sur la coordination des dispositions spéciales concernant le déplacement et le séjour des étrangers, justifiés par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JOCE ibidem, pp. 850853); règlement du Conseil 1612/68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JOCE n° L 257 du 19 octobre 1968, pp. 2-12); directive du Conseil 68/360/CEE du 15 octobre 1968 relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leurs familles à l'intérieur de la Communauté (JOCE n° L 257 du 19 octobre 1968, pp. 13-16); règlement de la Commission 1251/70 du 29 juin 1970 relatif au droit des travailleurs de rester sur le territoire d'un État membre après avoir occupé un emploi (JOCE n° L 142 du 30 juin 1970, pp. 24-26); directive du Conseil 72/194/CEE du 18 mai 1972 étendant le domaine d'application de la directive du 25 février 1964 sur la coordination des dispositions spéciales concernant le déplacement et le séjour des étrangers, justifiés par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique aux travailleurs exerçant le droit de rester sur le territoire d'un État membre après avoir occupé un emploi (JOCE n° L 121 du 26 mai 1972, p. 32); directive du Conseil 73/148/CEE du 21 mai 1973 relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leurs familles à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services (JOCE n° L 172 du 28 juin 1973, pp. 14-16); directive du Conseil 90/336/CEE du 28 juin 1990 relative au droit de séjour des étudiants (JOCE n° L 180 del 13 juillet 1990, pp. 30-31); directive du Conseil 90/365/CEE du 28 juin 1990 relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non-salariés qui ont cessé leur activité professionnelle (JOCE n° L 180 du 13 juillet 1990, pp. 28-29); directive du Conseil 90/364/CEE du 28 juin 1990 relative au droit dz séjour (JOCE n° L 180 du 13 juillet 1990, pp. 26-27); règlement du Conseil 2434/92 du 27 juillet 1992 modifiant la deuxième partie du Règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JOCE n° L 245 du 26 août 1992, pp. 1-2); directive du Conseil 93/96/CEE du 29 octobre 1993 relative au droit de séjour des étudiants (JOCE n° L 317 du 18 décembre 1993, pp. 59-60). 179 Le principe a été sanctionné par la Cour de justice dans l'arrêt du 23 mars 1982, affaire 53/81, D.M. Levin contre secrétaire d'État à la Justice, Recueil 1035, point 9 de la motivation. 180 Article 1 de la directive du 28 juin 1990 déjà citée. 181 Ce principe a été affirmé dans l'arrêt de la Cour de justice du 13 février 1985, affaire 293/83, Françoise Gravier contre Ville de Liège, Recueil 606, point 25 de la motivation. 182 Dans ce cas également, la Cour de justice a statué en ce sens: arrêt du 31 janvier 1984, affaires conjointes 286/82 et 26/83, Graziana Luisi et Giuseppe Carbone contre ministère italien du Trésor, Recueil p. 377. 183 Article 1 de la directive du 28 juin 1990 déjà citée. 184 Article 10 du règlement 1612/68/CEE déjà cité. 185 Article 2 de la directive 90/365/CEE déjà citée. 186 Article 2 de la directive 93/96/CEE déjà citée. 187 Article 2 de la directive 90/364/CEE déjà citée. 188 Voir les plans d'action du Conseil et de la Commission sur la meilleure façon d'appliquer les dispositions du traité d'Amsterdam sur un espace de liberté, de sécurité et de justice (JOCE n° C 19 du 23 janvier 1999, p. 1). 31 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale Les ressortissants des pays tiers ont, dans la plupart des cas, besoin d'un visa d'entrée pour accéder à l'un des États membres189. Et, quoi qu'il en soit, les travailleurs des pays tiers ne peuvent jouir de la liberté de circulation que quand elle est prévue dans les accords internationaux passés entre la Communauté et les divers pays d'origine. Évidemment, dans ces cas, le droit à la libre circulation tirera son origine, non pas dans le traité, mais bien dans les normes des accords internationaux afférents, et ne sera admis que dans les limites prévues par ces accords190. En revanche, les ressortissants communautaires souhaitant se déplacer, pour une raison quelconque, d'une région à l'autre de l'Union, doivent simplement disposer d'un document d'identité ou d'un passeport valables191. Cette possibilité a été réitérée par la Cour de justice, qui a précisé que les États membres ne peuvent exiger, aux fins de l'admission sur leur territoire, une formalité différente de la simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport valables192, et en particulier a jugé non conforme au droit communautaire qu'ils subordonnent l'entrée à une autorisation193, ou soumettent à d'autres contrôles les personnes désirant entrer, surtout si ceux-ci sont systématiques, arbitraires ou inutilement restrictifs194. En ce qui concerne le droit de séjour dans un État membre différent de celui d'origine et la possibilité qui en découle d'y établir sa résidence, des problèmes, en partie encore irrésolus sont apparus. Pour les sujets pris en considération par le traité, la législation communautaire dérivée a dès le début établi un traitement largement privilégié par rapport à celui réservé à la généralité des étrangers. La discipline prévue est en effet centrée sur l'émission d'un document approprié, appelé "carte de séjour" - valable au moins cinq ans à compter de la date d'émission et renouvelable automatiquement - visant simplement à démontrer la titularité du droit relatif. Cette carte de séjour ne revêt pas une valeur constitutive, mais uniquement récognitive195. Rien à voir donc avec le permis de séjour pour étrangers originaires de pays tiers qui se base sur le pouvoir discrétionnaire des autorités du pays d'accueil. Il en découle que la simple omission, dans le chef 189 Le problème d'une politique commune en matière de visa a été soulevé lors de la dernière Conférence intergouvernementale et le traité d'Amsterdam a procédé à une communautarisation des politiques liées à la libre circulation des personnes, aux visas, à l'asile et à l'immigration (titre IV des traités consolidés). À ce sujet, voir le règlement CE du Conseil 1683/95 du 29 mai 1995 instituant un modèle uniforme pour les visas (JOCE n° L 164 du 14 juillet 1995, p. 1); le règlement CE du Conseil 2317/95 du 25 septembre 1995 déterminant les pays tiers dont les citoyens doivent être en possession d'un visa pour franchir les frontières extérieures des États membres (JOCE n° L 234 du 3 octobre 1995, p. 1), tel que modifié par le règlement du Conseil 574/1999 du 12 mars 1999 (JOCE n° L 72 du 18 mars 1999, p. 2); décision du Conseil du 20 mai 1999 qui définit l'acquis de Schengen aux fins de la détermination, en conformité avec le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur l'Union européenne, de base juridique pour chacune des dispositions ou décisions qui constituent l'acquis (JOCE n° L 176 del 10 juilet 1999, p. 1). Sur la question épineuse du contrôle juridictionnel et parlementaire des accords de Schengen et de leur incorporation dans le traité sur l'UE, on a tout de suite parlé d'un déficit, stigmatisé à plusieurs reprises par le Parlement européen également: résolution du 19 novembre 1992 (JOCE n° C 337 du 21 décembre 1992, p. 214) et résolution du 6 avril 1995 (JOCE n° C 109 du 1er mai 1995, p. 169). Pour un commentaire, voir pour tous C. Curti Gialdino, "Schengen e il terzo pilastro: il Controllo Giurisdizionale secondo il Trattato di Amsterdam", dans Riv. di Dir. Europeo, 1998, p. 41. 190 Voir par exemple l'arrêt du 25 juin 1992, affaire C-147/91, Laderer, Recueil I-4097 par lequel la Cour a exclu qu'une citoyenne helvétique puisse évoquer de façon utile les dispositions du traité en matière de droit d'établissement et de prestation de services. 191 Article 4 de la directive 68/360 déjà citée. 192 Arrêt du 23 mars 1982, affaire 53/81, Levin, Recueil 1982, p. 1035. 193 Arrêt du 3 juillet 1980, affaire 157/79, État contre. S. Pieck, Recueil, p. 2171. 194 Arrêt du 27 avril 1989, affaire 321/87, Commission contre Royaume de Belgique, Recueil 1989, p. 997. 195 Voir arrêt du 3 juillet 1980, affaire 157/79, Pieck, Recueil, p. 2171. 32 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale du citoyen communautaire, de se munir de la carte ne peut justifier l'expulsion de l'intéressé, ni sa punition par des peines de détention ou de toute façon disproportionnées par rapport à l'infraction commise196. Cependant, si cette carte de séjour n'est pas constitutive du droit en soi, le seul fait de devoir nécessairement la posséder détonne avec l'affirmation d'un droit généralisé, pour l'exercice duquel devrait suffire la seule démonstration de la possession de la citoyenneté d'un des États membres. Du reste, on ne peut nier que c'est principalement avec le transfert de la résidence dans l'État membre hôte que peuvent être exercés complètement tous les droits conférés par le traité aux citoyens de l'Union197. Après la transposition complète et laborieuse de la part des États membres des trois directives de 1990 concernant le droit de séjour, auquel on a déjà eu l'occasion de faire référence, la situation s'est améliorée de façon notable. En substance, à chaque citoyen qui parvient à prouver la disponibilité de moyens suffisants et d'une assurance-maladie, il est reconnu le droit de résider dans un État membre différent de celui d'appartenance. Cependant, ici également, la transposition de la législation n'a pas été aussi aisée et, souvent, a été le fruit de lourds retards et de gros empêchements198. Ce n'est pas un hasard si la Commission a activé la procédure d'infraction envers presque tous les États membres, soit pour non-transposition avant la date prévue par la directive de référence, soit pour transposition incorrecte d'une ou plusieurs dispositions contenues dans celle-ci199. Un autre aspect relatif aux directives susmentionnées mérite d'être souligné. Les trois directives ne se distinguent pas seulement en ce qu'elles reconnaissent un droit de séjour à des sujets économiquement non actifs, mais également parce qu'elles étendent les possibilités de regroupement familial aux citoyens d'États membres dont les parents sont des ressortissants de pays tiers. Ce qui compte ici, c'est le fait que la définition de "membres de la famille" utilisée dans ces directives soit plus étendue que celle fixée par le règlement 1612/68. On n'a en effet placé aucune limite d'âge aux descendants et inclus (expressément) les descendants du conjoint du citoyen auquel le droit de regroupement est reconnu. Un autre aspect à ne pas négliger consiste dans le fait que les membres de la famille des personnes "non actives", même s'ils sont 196 Voir arrêt du 8 avril 1976, affaire 48/75, Royer, Recueil, p. 497; arrêt du 3 juillet 1980, affaire 157/79, État contre C. Stanislaus Pieck, Recueil, p. 2171. 197 M. J. Garot, "A New Basis for European Citizenship: Residence?", dans European Citizenship, Kluwer Law International, Londres, 1998; dans le même volume, voir la contribution de R. R. Marín, "Equal Citizenship and the Difference that Residence Makes". Selon V. Lippolis, op. cit., p. 40, l'équivalence entre résidence et citoyenneté semble être une tendance à l'évolution problématique, parce que les droits reconnus au résident apparaissent plus comme une projection de la possibilité concédée à l'étranger de résider sur le territoire de l'État, plutôt qu'une intégration complète dans le status activae civitatis. 198 Prendre en compte le rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l'application des directives 90/364, 90/365 et 93/96 (droit de séjour), COM (1999) 127 déf., 17 mars 1999. En page 18, on signale les "effets pervers" ou encore "l'effet de contagion" provoqué par les directives 90/364 et 90/365, puisque la Commission a eu vent de cas où "les administrations chargées de traiter les demandes de carte de séjour exigeaient la présentation de documents justificatifs de la part de personnes qui n'étaient ni retraitées, ni non actives, mais qui exerçaient une activité en qualité de travailleurs dépendants ou indépendants". Voir également le deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union déjà cité, p. 15-17, où on affirme, entre autres, que "la transposition dans les États membres des directives du Conseil, surtout celles concernant le droit de séjour des retraités, des étudiants et des personnes inactives, n'a pas toujours eu lieu de manière satisfaisante, ce qui a induit la Commission à entamer diverses procédures d'infraction". En outre, toujours dans le même document, on souligne les difficultés que rencontrent les citoyens de l'Union en raison de pratiques administratives incorrectes ou excessivement restrictives. Voir également le rapport de la Commission sur la proposition de directive du Conseil relative à l'abolition des contrôles sur les personnes aux frontières intérieures, COM (95), 347 déf., 12 juillet 1995, point 2. 199 Cf. les rapports annuels de la Cour de justice de 1993 à 1998, Eur-op, Luxembourg, ainsi que le quinzième rapport annuel sur le contrôle de l'application du droit communautaire, COM (1998) 317 déf., 19 mai 1998, pp. 22 et suivantes. 33 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale citoyens de pays tiers, jouissent du droit d'accéder à une activité salariée ou non sur le territoire dudit État membre. La disposition originelle de l'article 10 du règlement 1612/68 se référait par contre exclusivement à l'activité salariée. La Commission a récemment présenté à ce sujet des propositions de directives200. Dans le système du traité de la CE, l'article 18, outre le fait qu'il revêt une grande importance politique, assume une fonction technico-juridique précise: il fournit une base juridique solide à l'action communautaire visant à faciliter la libre circulation des personnes non actives201. L'article en question peut également être vu comme base juridique subsidiaire, apparaissant comme une loi générale par rapport aux dispositions spécifiques, de sorte qu'il ne s'appliquera pas aux situations non couvertes par les dispositions particulières du traité, constituant ainsi une lex specialis202. Quoi qu'il en soit, l'article 18 prévoit au point 2 une clause évolutive qui, à travers la procédure de codécision du Parlement européen et du Conseil, permet d'adopter des dispositions visant à faciliter l'exercice des droits de circulation et de séjour203. En ce qui concerne les limites à la liberté de circulation, il faut avant tout relever que des dérogations furent octroyées dès la signature des traités instituant la Communauté économique européenne (en matière de libre circulation des travailleurs, de droit d'établissement et de libre prestation des services), qui furent ensuite précisées dans la directive suivante, déjà citée, du 25 février 1964 relative à la coordination des dispositions spéciales concernant le déplacement et le séjour des étrangers, justifiés par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Les raisons économiques, affirme-t-on entre autres dans la directive, ne peuvent être invoquées pour de telles dérogations. Les limites fixées par la directive ont été spécifiées par la jurisprudence de la Cour, laquelle a constamment énoncé le principe selon lequel la notion d'ordre public dans le contexte communautaire, si elle autorise une dérogation au principe fondamental de la liberté de circulation des travailleurs, doit être entendue dans un sens restrictif204. Quant aux raisons sanitaires, elles tombent dans le domaine d'application de la directive 64/221, déjà citée. On y dresse la liste des pathologies (certaines étant désormais totalement désuètes) qui peuvent constituer un motif légitime pour refuser le droit d'entrée à un citoyen de l'Union. La discipline communautaire relative à la libre circulation des travailleurs, enfin, ne s'applique pas à la fonction publique (article 39 du traité de la CE, ex-article 48). Cependant, dans ce cas également, selon la jurisprudence désormais consolidée de la Cour de justice, les exceptions prévues comportent uniquement les emplois pour lesquels on peut prouver une participation directe ou indirecte à l'exercice de pouvoirs publics, ainsi que les fonctions 200 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions de déplacement des travailleurs dépendants citoyens d'un pays tiers dans le cadre d'une prestation de services transfrontalière et proposition de directive du Conseil étendant aux citoyens d'un pays tiers établis à l'intérieur de la Communauté la liberté de prestation de services transfrontalière, COM (1999) 3 déf., 27 janvier 1999; voir également la proposition de directive du Conseil sur le droit de voyager à l'intérieur de la Communauté pour les citoyens de pays tiers, COM (95) 346 déf., 12 juillet 1995. 201 Selon C. Curti Gialdino, op. cit., p. 79, l'article 18 constitue en premier lieu une base juridique nouvelle et spécifique pour la discipline globale de la circulation des personnes, indépendamment de l'exercice d'une activité économique. Il ne faudra plus recourir à l'article 235 du traité de la CE (maintenant article 308), dont l'utilisation impose que certaines conditions soient remplies. 202 Voir R. Kovar et D. Simon, op. cit., p. 299. 203 Comparer encore les conclusions déjà citées de l'avocat général La Pergola et, en outre, M. Condinanzi et B. Nascimbene, "Libera circolazione delle persone", dans Trattati di Diritto Amministrativo europeo (ouvrage collectif sous la direction de M. P. Chiti et G. Greco), Giuffrè, Milan, 1997, pp. 807-844. 204 Arrêt du 4 décembre 1974, affaire 41/74, Van Duyn, Recueil, p. 1337, point 18. 34 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale ayant pour objet la protection d'intérêts généraux de l'État ou d'organismes publics205. L'argumentation de la Cour s'est basée sur le principe selon lequel, en dehors de ces hypothèses, on ne peut présupposer un lien particulier de solidarité vis-à-vis de l'État qui caractérise le lien de la citoyenneté206. Toutefois, en dernière analyse, qu'il nous soit permis de formuler une critique sur ce raisonnement. Dans le choix des personnes à qui confier des missions publiques d'un certain niveau, il serait plus cohérent de recourir à des critères strictement sélectifs et moins discriminatoires du point de vue de la provenance géographique, considérant qu'aux fins du déroulement correct de la majorité des fonctions publiques, l'honnêteté et la capacité à mener ses tâches à bien semble plus importante qu'un attachement certain (?) à la patrie. 1.3. Les droits politiques des citoyens européens Si l'on considère l'acception plus restreinte de "citoyenneté"207, il est indubitable que l'exercice des droits politiques constitue l'élément porteur de la sujétion particulière des citoyens à la puissance de l'État. Depuis 1993, le traité de la Communauté européenne, à l'article19 (ex-article 8B) attribue et reconnaît, par des dispositions de premier rang, le droit des citoyens de l'Union à voter et à être élus, tant aux élections municipales208 qu'aux élections européennes, dans son pays de résidence et pas nécessairement dans celui d'appartenance. En ce qui concerne l'éligibilité active et passive au Parlement européen, il est à peine utile de rappeler qu'elle était déjà prévue par la décision du Conseil et par le document annexé, adoptés à Bruxelles le 20 septembre 1976209, qui ont institué l'élection au suffrage universel direct des députés européens. Ils ne règlent toutefois pas le problème des citoyens communautaires résidant dans un État différent de celui d'origine. On leur demandait encore de retourner dans leur pays pour exercer ce droit210. Avec le traité de Maastricht, passant outre les résistances de certains États, le droit de suffrage, actif et passif a finalement été reconnu, sur la base du critère de la résidence. Il est facile de comprendre l'importance de l'insertion expresse de ces deux droits dans le nouveau traité, notamment parce qu'ils le sont au niveau le plus élevé du droit communautaire, en opérant, en définitive, une véritable constitutionnalisation. Il faut néanmoins dire que l'article 19 du traité de la CE confère à la législation dérivée la réglementation de ces droits. En effet, les droits de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes dans le pays de résidence ont été subordonnés à la promulgation de mesures d'application du Conseil des ministres. Ces 205 Comme, par exemple, les forces de l'ordre, la magistrature, l'administration fiscale, la diplomatie. Cf. arrêt du 16 juin 1987, affaire 225/85, Commission contre République italienne, Recueil, p. 2625; arrêt du 17 décembre 1980, affaire 149/79, Commission contre Royaume de Belgique, Recueil, p. 3881. 206 Arrêt du 3 juin 1986, affaire 307/84, Commission contre République française, Recueil, p. 1725; arrêt du 27 novembre 1991, affaire C-4/91, Bleis, Recueil I-5627. Voir également la communication de la Commission Libre circulation des travailleurs et accès aux emplois dans l'administration publique: l'action de la Commission en matière d'application de l'article 48, paragraphe 4 du traité de la CE (JOCE n° C 72 du 18 mars 1988, p. 2), et, enfin, la communication de la Commission Plan d'action pour la libre circulation des travailleurs, COM (97) 586 déf., 12 novembre 97. 207 Voir à ce sujet V. Crisafulli, Lezioni di diritto costituzionale, I, Padoue, 1970. 208 Lire M. Silvestro, "Droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen", dans European Citizenship, op. cit., p. 69; enfin, M.F. Verdier, "Le droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union européenne aux elections municipales. Nouvelle manifestation concrète de la citoyenneté européenne", dans Rev. trim. de droit européen, 1999, p. 59. 209 Décision du Conseil 76/787 (JOCE n° L 278 de 1976, p. 1). 210 Seuls la Belgique, l'Irlande et les Pays-Bas ont immédiatement reconnu le droit de vote aux élections européennes aux résidents originaires d'un autre État membre de la Communauté, tandis qu'en ce qui concerne le droit d'éligibilité, il restait réservé par tous les États à leurs ressortissants, à la seule exception de l'Italie. 35 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale actes, sous forme de directives adoptées à l'unanimité par le Conseil sur proposition de la Commission et consultation du Parlement européen, ont été approuvés avant les élections européennes de 1994211. Ces directives, comme on le lit dans le troisième considérant de la directive 93/109/CE, constituent une application du principe de non-discrimination212, ainsi qu'un corollaire du droit de libre circulation et de séjour213. On veut par là souligner le caractère logique et presque conséquent de ces dispositions par rapport à la législation déjà existante. Il faut par ailleurs rappeler que l'application de ces directives (mais également la ratification du traité de Maastricht) a imposé, dans la plupart des États membres, une révision de la Constitution. Il est alors possible de comprendre la valeur politique, lors de la révision des traités, et juridicoconstitutionnelle, lors de la ratification, des dispositions en question. La prévision d'une application progressive a certes été suggérée par une attitude de prudence dans le chef des États mais, surtout, par la nécessité objective d'une discipline communautaire appropriée destinée à définir les divers aspects et résoudre les nombreux problèmes propres à une matière extrêmement délicate. Ce n'est pas un hasard si le Conseil, en fixant les modalités d'exercice des droits en question, peut (ce qui s'est ensuite vérifié) introduire des dispositions dérogatoires, quand les problèmes spécifiques d'un État membre le justifient. Même si l'analyse approfondie de ces directives ne pouvait se faire que dans le cadre d'une autre étude, il est ici possible de déceler certains critères énoncés dans les directives en question. Il s'agit avant tout du caractère facultatif de l'exercice des droits électoraux dans l'État hôte, fixé à l'article 8 ("L'électeur communautaire exerce le droit de vote dans l'État membre de résidence à condition d'en avoir exprimé le souhait"). On y insiste également sur l'interdiction du double vote (article 4: "l'électeur communautaire exerce le droit de vote dans l'État membre de résidence ou dans celui d'origine"), et de la double candidature ("personne ne peut se présenter comme candidat dans plus d'un État membre au cours des mêmes élections"). Après ces allusions aux droits électoraux, il faut revenir sur le fameux "obstacle constitutionnel" dans la législation de nombreux États214. En effet, dans la majorité des constitutions des États membres, des dispositions réservent les droits électoraux aux citoyens du pays concerné215. Cela semble tout à fait normal si on considère que la manifestation la plus visible de la souveraineté 211 Il s'agit des directives suivantes: directive du Conseil 93/109/CE du 6 décembre 1993 relative aux modalités d'exercice du droit de vote et d'élegibilité aux élections du Parlement européen pour les citoyens de l'Union qui résident dans un État membre dont ils ne sont pas citoyens (JOCE n° L 329 du 30 décembre 1993, p. 34); directive du Conseil 94/80/CE du 19 décembre 1994 fixant les modalités d'exercice du droit de vote et d'élégibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union qui résident dans un État membre dont ils n'ont pas la citoyenneté (JOCE n° L 368 du 31 décembre 1994, p. 38) et, enfin, de la directive du Conseil 96/30/CE du 13 mai 1996 modifiant la directive 94/80/CE (JOCE n° L 122 du 22 mai 1996, p. 14). 212 Considérer à ce sujet: résolution du Parlement européen B3-0064/94 du 20 janvier 1994, sur les droits de vote des citoyens de l'Union aux élections du Parlement européen (JOCE n° C 44 del 14 février 1994, p. 159) et résolution B3-0433/94 sur les obstacles et les discriminations vis-à-vis des citoyens de l'Union pour la participation aux élections européennes (JOCE n° C 128 du 9 mai 1994, p. 316). 213 Examiner: rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la directive 93/109/CE, COM (97) 731 déf., 7 janvier 1998. 214 Voir U. Villani, "Osservazioni sull'elettorato passivo al Parlamento europeo", dans Dir. comunitario e degli Scambi intern., 1989, p. 349; D. L. Nogueras, De la Ciudadanía europea a la Ciudadanía de la Unión, op. cit., p. 87. 215 Le Royaume de Belgique avait déjà été "condamné" une première fois par la Cour de justice en raison du retard dans la transposition de la directive 93/109/CE. Arrêt du 9 juillet 1998, affaire C-323/97, Commission contre Royaume de Belgique, Recueil I-4281. 36 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale réside justement dans la capacité et dans le pouvoir exclusif de déléguer, à travers le vote, la représentation de l'État216. De toute façon, cet obstacle peut également (et en réalité, il l'a été) être surmonté par une forte volonté politique de progresser vers la consolidation d'une citoyenneté commune. Avec l'attribution de ces droits électoraux, on a accompli un grand pas en avant dans le sens du transfert, au niveau communautaire, d'une autre portion de souveraineté, jalousement gardée il y a quelques années encore par les États membres . 1.4. Autres droits des citoyens de l'Union: droit de pétition au Parlement, droit de recours au Médiateur, droit à la protection diplomatique et consulaire Créer un rapport de plus en plus direct entre les citoyens de l'Union et leurs institutions contribue à renforcer la conscience d'appartenir à une communauté politique bien définie217. Les articles 20 et 21 du traité de la CE (ex-articles 8C et 8D) développent ce principe en reconnaissant à l'individu un lien le plus immédiat et direct possible avec les institutions communautaires. Avant tout, il faut analyser brièvement le droit de pétition au Parlement européen qui, en réalité, ne représente pas une nouveauté car il était déjà prévu par le règlement intérieur de l'Assemblée de 1958218. Ce droit, avec celui de pouvoir s'adresser au Médiateur, constitue, pour les citoyens communautaires, un droit de garantie219 qui fut imaginé à l'article 16 du projet de traité sur l'Union européenne approuvé en 1984 par le Parlement européen, expliqué ensuite par l'article 23 de la "Déclaration des droits et des libertés fondamentales" de 1989 et, enfin, institutionnalisé par l'article 194 (ex-article 138D) du TCE, ainsi que par l'article 21 déjà cité. Le droit de pétition est un institut classique220 qui a trouvé une large application dans presque toutes les chartes constitutionnelles de la période libérale. Il a été tour à tour considéré comme un droit de liberté, un droit civique ou un droit politique. Des différentes thèses, c'est cette dernière qui prévaut désormais en doctrine221. Alors que dans les autres règlements, ce droit est devenu, pour diverses raisons, presque insignifiant, il a acquis dans le règlement communautaire une importance croissante. Il est en effet devenu un des rares moyens d'établir un contact plus direct et immédiat, comme on le notait plus haut, entre le citoyen et les institutions européennes. La pétition peut avoir pour objet n'importe quelle question attenante aux activités de l'Union et peut, dans le silence des traités, être exercée également par des ressortissants de pays tiers présents sur le territoire de l'Union. Elle peut également concerner des actes d'institutions nationales adoptés en application du droit communautaire. 216 Comparer O. Ranelletti, Istituzioni di diritto pubblico (parte generale), Giuffrè, Milan, 1955, p. 76. Voir encore le deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union, déjà cité. 218 Selon le règlement intérieur du (futur) Parlement européen, approuvé par la résolution du 26 juillet 1958 (JOCE n° 9 du 26 juillet 1958, p. 217, art. 42): "Pour être recevables, les pétitions adressées à l'Assemblée doivent mentionner le nom, la qualité, la nationalité et le domicile de chacun des signataires". Il faut par ailleurs tenir compte de l'accord interinstitutionnel, adopté à l'initiative du Parlement européen, sur la base duquel le Conseil et la Commission se sont engagés à aider le Parlement européen à donner suite aux pétitions. 219 Comme l'analyse R. Adam, op. cit., p. 652. 220 Voir G. Nacci, Il diritto di petizione, Naples, 1979 et "Petizione", dans Enc. Giur. Treccani, Rome, 1990; Stancati, "Petizione", dans Enc. Dir., XXX, Milan, 1981, pp. 596 et suivantes. 221 Voir Surrel, Le droit de pétition au Parlement européen, dans Revue du Marché commun, 1990, pp. 219 et suivantes, en particulier p. 221; E. A. Marias, "Le droit de pétition devant le Parlement européen", dans European Citizenship, op. cit., p. 81. 217 37 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale En ce qui concerne l'examen des pétitions jugées recevables, la commission compétente du Parlement européen peut tenir des audiences cognitives; certifier directement les faits en envoyant, le cas échéant, ses membres sur le terrain; et demander l'assistance de la Commission. Au terme de ses enquêtes, la commission parlementaire propose au Parlement européen l'adoption de résolutions spécifiques et peut demander que son avis soit transmis à la Commission ou au Conseil. Donc, si la disposition à l'étude ne représente pas une nouveauté, elle n'en est pas moins constitutionnalisée222 par le traité de Maastricht et fait partie intégrante des droits attribués aux citoyens de l'Union. En outre, elle contribue à un renforcement de la légitimité démocratique du système. Pour ce qui est du recours au Médiateur, le traité de Maastricht a franchi une étape supplémentaire vers la transparence, objectif politique de plusieurs États membres, parmi lesquels ceux d'Europe du Nord, où cette fonction est présente depuis longtemps. Le Médiateur, en effet, rappelle fortement le modèle de l'Ombudsman223. C'est un institut caractéristique des pays scandinaves, mais transposé par diverses législations nationales européennes, auquel est généralement confiée une mission de protection des intérêts individuels et collectifs et de contrôle du travail de l'administration, sur les dysfonctionnements de laquelle il est appelé à intervenir. Au niveau communautaire, dès 1974, à travers une question parlementaire, on souhaita la création d'une telle fonction servant à la défense des droits des citoyens à la transparence224, surtout vis-à-vis des abus éventuels de l'administration européenne225. Le Médiateur européen est une émanation directe du Parlement européen et en dépend. Cependant, une fois élu, il exerce ses fonctions en pleine indépendance: il peut, de sa propre initiative ou sur la base de dénonciations qui lui sont présentées, directement ou par le biais d'un membre du Parlement européen, procéder aux enquêtes qu'il estime justifiées, sauf quand les faits en question font ou ont fait l'objet d'une procédure judiciaire devant la Cour de justice ou le tribunal de première instance. Restent exclues des possibilités d'intervention du Médiateur toutes les hypothèses de carence dans l'application du droit communautaire de la part des autorités administratives nationales. Peuvent s'adresser au Médiateur non seulement les citoyens de l'Union, mais aussi les personnes physiques et morales résidant ou ayant leur siège social sur le territoire communautaire. Cet aspect est d'une importance énorme dès le moment où, dans le droit communautaire, on ne vise pas la possibilité, pour les citoyens non communautaires, 222 À ce sujet, voir également le rapport Amadei, doc. A2-74/86 (JOCE n° C 283 du 10 novembre 1986, p. 57). Au sujet de l'Ombudsman, voir G. De Vergottini, "Difensore civico", dans Enc. Giur., volum X, Rome, 1988, pp. 1 et suivante; "L'Ombudsman", ouvrage collectif sous la direction de C. Mortati, dans Studi di diritto pubblico comparato, Turin, 1974. 224 Lire B. Nascimbene, "Cittadinanza dell'Unione e ricorso al Mediatore europeo", dans Rivista internazionale dei diritti dell'uomo, 1992, pp. 920 et suivantes; A. Pierucci, "Les recours au médiateur européen", dans European Citizenship, op. cit., p. 103. 225 La question a été posée par Lord O'Hagan le 20 janvier 1975 (JOCE n° C 86 du 17 avril 1975, p. 54). Dans sa réponse à la question, la Commission s'est toutefois bornée à signaler la possibilité pour chaque citoyen de présenter des pétitions au Parlement européen et a estimé que "cette possibilité concrétise, au moins dans une certaine mesure, l'objectif dont parle l'honorable parlementaire, raison pour laquelle la Commission ne considère pas actuellement justifié d'instituer au sein de ses services la fonction d'ombudsman". 223 38 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale d'accéder à une forme spécifique de protection juridictionnelle226. Cela explique également le nombre croissant et apparemment incessant des dénonciations. Le Médiateur de l'Union, au sens de l'article 194 du traité de la CE, une fois qu'il a constaté un cas de mauvaise gestion, peut investir "l'institution concernée, qui dispose de trois mois pour lui communiquer son avis. Le Médiateur transmet ensuite un rapport au Parlement européen et à l'institution concernée. La personne qui a introduit la dénonciation est informée du résultat de l'enquête". Chaque année, le Médiateur résume au Parlement européen ses activités et les contenus des principaux dossiers ouverts au cours de l'année227. La protection diplomatique, voulue par le traité d'Amsterdam à l'article 20 du traité de la CE (exarticle 8C), est le résultat d'un compromis, pas vraiment édifiant, trouvé lors de révision des traités228. Cette disposition prévoit que "tout citoyen de l'Union bénéficie, sur le territoire d'un pays tiers où l'État membre dont il est ressortissant n'est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État". La Commission et le Parlement européen se sont exprimés en jugeant cette disposition pour l'instant insuffisante et aléatoire229. En effet, une fois instituée une citoyenneté européenne, il ne fait aucun doute qu'il aurait été tout à fait logique de faire en sorte que ce soit l'Union européenne, en tant qu'entité, et non les États membres, qui doivent défendre ces droits vis-à-vis des pays tiers230. Cela ne s'est toutefois pas vérifié en raison de l'absence de volonté politique de doter également l'UE, et pas seulement la Communauté, de la personnalité juridique. Le mécanisme prévu par le traité sur l'Union européenne, déjà par ailleurs préfiguré par le rapport Adonnino231, entraîne des effets juridiques réduits par rapport aux propositions avancées à la 226 À ce sujet, il est intéressant de noter qu'une procédure est en cours devant le tribunal de première instance, par laquelle l'Association des cantines sociales de Vénétie, en tant que partie lésée, demande au tribunal de constater et de déclarer l'illégitimité du Médiateur européen pour ne pas être intervenu dans un refus d'accès aux documents opposé par la Commission. Maintenant, on sait que le recours en inertie peut être entamé uniquement à l'encontre d'une institution de la Communauté aux termes de l'article 232 du TCE (ex-article 175). L'opinion du tribunal sera donc d'une importance extrême (affaire T-103/99, JOCE n° C 204 du 17 juillet 1999, p. 39). Lire C. Blumann, "Aspects institutionnels", dans Revue trim. de Droit européen, 1997, pp. 721-749; A. Barav, "Le juge et le justiciable", dans Scritti in onore di Giuseppe Federico Mancini, Diritto dell'Unione europea, 1998, pp. 1-74. 227 Voir le rapport annuel 1998 du Médiateur européen, Eur-op, Luxembourg, 1998. Si, en 1997, 1 181 plaintes ont été reçues, on est passé en 1998 à 1 372. Parmi celles-ci toutefois, une grande partie n'entrent pas dans le mandat conféré par le traité au Médiateur. Voir à ce sujet également l'introduction du rapport précité. Il est curieux de noter combien le contrôle vis-à-vis des autres institutions a diminué en 1998 en ce qui concerne la Commission européenne et augmenté pour ce qui est du Parlement. Encore une fois, parmi les causes principales des plaintes, on trouve l'absence et le refus d'informations. 228 R. Kovar et D. Simon, op., cit., p. 313, sont de cet avis. Selon eux, l'option retenue à Maastricht est de loin plus modeste que les attentes, en ce qu'elle consiste simplement en une extension de la protection diplomatique et consulaire classique, sur la base d'un mécanisme interétatique, préservant le monopole des États membres dans l'exercice de cette fonction de protection. Voir également J. Weyland, "La protection diplomatique et consulaire des citoyens de l'Union européenne", dans European Citizenship, op. cit., p. 63. 229 Prendre également en considération le deuxième rapport de la Commission sur la citoyenneté de l'Union, déjà citée, en particulier la page 11. Résolution A4-0205/98 du Parlement européen sur le deuxième rapport de Commission…, déjà citée, points 21 et 22. En particulier, au point 21, le Parlement constate que "le droit à la protecion consulaire et diplomatique reste encore fort théorique et recommande à cette fin aux États membres d'élaborer une définition commune de la protection minimale que tout citoyen de l'Union peut attendre de la représentation consulaire ou diplomatique d'un État membre". 230 Pour la signification de la protection diplomatique, voir pour tous B. Conforti, Diritto internazionale…, op. cit., p. 208. 231 Dans la deuxième partie du rapport déjà cité, p. 21, on souligne l'exigence qu'un citoyen de la Communauté ayant 39 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale veille du traité de Maastricht. La difficulté de transposer ces propositions résidait dans le fait que l'UE ne peut pas encore être considérée officiellement comme un État capable d'exercer sur le plan du droit international la protection diplomatique d'un individu. L'option choisie est donc basée sur la solidarité mutuelle entre les États membres de l'Union: on ne prévoit pas en effet une intervention directe de la part de l'Union, mais celle d'un autre État membre faisant partie de la Communauté. Autrement dit, on a instauré un mécanisme de protection consulaire "réciproque"232 plus que "commune"233, lequel est destiné à opérer seulement en voie "subsidiaire", à savoir en l'absence de protection fournie par l'État d'appartenance et "médiate", en ce que son fonctionnement pourra se concrétiser uniquement à travers l'intermédiation des États membres. Pour cette raison, la norme contenue à l'article 20 du traité de la CE doit être considérée comme une forme de mandat que les États membres de l'Union européenne ont explicitement voulu conférer aux autres États membres de l'Union, en ajoutant un caractère d'organisation obligeant les États membres à le mettre en œuvre par le biais d'un système de garantie réciproque permanent234. Il subsiste toutefois que la représentation naît au moment où le tiers accepte la proposition du représenté et uniquement vis-à-vis des tiers qui acceptent cet accord. En adoptant deux décisions différentes, le Conseil, en sa qualité de groupement des représentants des gouvernements des États membres, a mieux précisé le droit à la protection diplomatique235 en affirmant que la mise en place d'un système commun de protection des citoyens de l'Union dans les pays tiers renforcera également la perception de la solidarité européenne dans le chef des citoyens concernés. L'article 7 de la décision précitée prévoit entre autre que cinq ans après l'entrée en vigueur, les dispositions adoptées en la matière seront revues. Le phénomène de l'exercice d'une protection diplomatique de la part d'un État autre que celui d'appartenance n'est pas du tout étranger au droit international, mais il est resté jusqu'ici circonscrit à l'hypothèse de la "protection diplomatique déléguée", qui se vérifie quand un État ayant rompu les relations diplomatiques avec un autre, délègue à un État tiers la représentation de ses citoyens dans le pays avec lequel il a rompu ces relations. besoin d'aide à l'occasion du séjour provisoire dans un pays tiers dans lequel son pays n'est pas représenté, ni pas une ambassade ni par un consulat, doit pouvoir être assisté par la représentation consulaire d'un autre État membre. 232 Au sujet de la différence entre protection consulaire, diplomatique et assistance consulaire, voir C. J. Piernas, op. cit., p. 45. L'auteur affirme que, si la protection consulaire consiste également en une réclamation contre les conséquences d'un acte de l'État commettant l'infraction, contraire au droit international ou à son droit national et déposée par le fonctionnaire consulaire à l'organe local qui a établi l'acte, dans la protection diplomatique, cette réclamation est faite directement au gouvernement de l'État présumé fautif. En ce qui concerne l'assistance consulaire, elle est définie comme un ensemble de fonctions assez différentes que le consul développe en faveur de ses compatriotes pour faciliter leur séjour sur le territoire d'un État hôte, en s'adressant pour ce faire, si nécessaire, aux autorités locales. Cette action consulaire ne présuppose pas - au contraire de la protection - un comportement des autorités locales conforme aux obligations juridiques imposées par le droit international. On en déduit ainsi que le droit visé à l'article 20 du traité de la CE est un droit de "protection subsidiaire", parce qu'il se limite à suppléer une action principale (la protection de l'État membre duquel l'individu est ressortissant) en établissant uniquement un secours ou une aide. 233 R. Adam, op. cit., p. 20. 234 V. Lippolis, op. cit., p. 150. 235 Décision des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 19 décembre 1995 concernant la protection des citoyens de l'Union européenne de la part des représentations diplomatiques et consulaires (JOCE n° L 314 du 28 décembre 1995, p. 73) et décision du 25 juin 1996 relative à l'institution d'un document de voyage provisoire (JOCE n° L 168 du 6 juillet 1996, p. 4). 40 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale On a posé une question de doctrine, à savoir jusqu'à quel point l'article 20 du traité de la CE constitue un droit pour le citoyen et l'obligation correspondante pour l'État236. Les réponses contrastent encore fortement. D'ailleurs, les cas sont encore trop rares et, en outre, tous les États membres possèdent un consulat, voire des ambassades, presque partout dans le monde237. En tout cas, au-delà des empêchements politiques à la construction d'une protection diplomatique qui ne trahisse pas la signification du terme, il faut souligner la valeur innovatrice de la prévision d'une forme de protection extérieure, fondée non plus sur le lien traditionnel de nationalité, mais sur l'appartenance à une union de peuples. 236 C. Closa, "Citizenship of the Union and Nationality of Member States", dans Common Market Law Review, 1995, p. 502, exprime une opinion fort critique à cet égard. 237 Cela rend ce droit assez "formel". Voir G. Sébastien, op. cit., p. 1290. 41 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale CONCLUSIONS Lorsque j'ai eu l'occasion de présenter une copie du premier chapitre de ma recherche à un exPremier ministre italien, aujourd'hui député européen, on m'a prétendu la chose suivante: la citoyenneté européenne n'existe pas. L'objectif de cette étude a été de prouver exactement le contraire. Bien que je sois conscient que la citoyenneté de l'Union n'en est qu'à la première phase de son développement en termes politiques et juridiques, je crois qu'elle est désormais devenue une priorité des prochaines conférences intergouvernementales de révision des traités, à compter évidemment de celle qui aura lieu en 2000. Cela indique la consistance, qui doit toutefois encore se renforcer, sous le profil politique, juridique et socioculturel. Certes, l'idée exprimée par le député européen, qui est par ailleurs devenu membre de la Commission parlementaire des droits des citoyens, est répandue non seulement parmi certains politiques, mais également dans une certaine doctrine. Jusqu'ici, ce serait peu de choses. Le problème de fond, au contraire, est que cette idée s'installe dans l'esprit des gens. Voilà le véritable risque. L'exercice des droits relatifs à la citoyenneté de l'Union a été jusqu'ici décevant. En particulier, les droits politiques ont presque été ignorés par ceux qui vivent dans un État autre que celui d'appartenance. Mais pourquoi? Où se trouve la raison d'un tel décollement? Une réponse unique pour quinze peuples fort différents entre eux ne peut exister. Il est en revanche possible de cerner le mécontentement sur lequel se base et prospère ce terrible sentiment d'indifférence, si pas de répulsion, envers une certaine politique d'intégration européenne, et de chercher les solutions possibles. Les élections européennes de juin 1999 sont un paramètre précis et irréfutable. Il suffit en effet de rappeler que dans certains États, de très faibles pourcentages d'électeurs se sont rendus aux urnes, contre leur gré et sans grand intérêt. Les causes sont multiples. Une fois encore toutefois, il n'est pas faux de souligner que toutes les campagnes électorales se sont développées autour d'arguments exclusivement d'intérêt national, où le terme Europe a été utilisé uniquement comme concept pour accrocher l'assentiment ou le rejet des électeurs. Du reste, on pourrait également affirmer que le changement des exigences exprimées par les citoyens est profond et évident. Celui-ci est induit par les heurts politiques qui, pour une raison ou l'autre, ont touché des partis politiques nationaux entiers (il suffit de penser à l'Italie et à l'affaire de "Tangentopoli" ou, plus proche de nous, à la crise de la dioxine en Belgique, etc.). Cela peut avoir pour conséquence une attitude de lassitude et de passivité de l'électeur-citoyen vis-à-vis des questions politiques . Pour impliquer plus fortement les citoyens européens, il faut à mon avis déployer un grand effort d'information et d'éducation permanente, dont les exemples sont pour l'instant rares. Je suis certain qu'aujourd'hui, tout citoyen de l'Union sera prêt à exercer tous ses droits. L'absence d'information et de formation constitue un grand obstacle à l'exercice élémentaire d'une démocratie moderne. Et, en effet, l'ignorance des citoyens de l'Union risque, paradoxalement, de phagocyter toute perspective de développement futur de leurs droits. Par 43 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale exemple, la faible connaissance d'une deuxième langue communautaire parmi les jeunes générations contribue à rendre la citoyenneté européenne aléatoire. La langue, encore aujourd'hui, est perçue comme une barrière difficile à lever, mais qu'il faut surmonter. Depuis des années, en lisant tous les rapports de la Commission, ou encore les résolutions du Parlement, on réitère la nécessité d'informer plus et mieux. Jusqu'ici, très peu a été fait. Certains instruments, comme le "service d'orientation pour les citoyens", ont prouvé leur validité, mais combien de personnes, physiques et morales, dans l'Union européenne ont, par exemple, entendu parler de cette équipe d'experts prêts à répondre à toute demande inhérente au droit communautaire? La lenteur, voire la négligence, avec lesquelles les campagnes d'information européenne sont menées apportent encore du poids à un cadre pas du tout édifiant. Prenons en considération les nombreux centres de documentation sur l'UE établis depuis des décennies dans les principales universités européennes: dans certaines d'entre elles, ils ne jouent pas le rôle institutionnel qui leur est confié. Trop longtemps, on a permis que l'information européenne, une fois arrivée dans ces centres de documentation, sous forme de journaux officiels ou de dépliants explicatifs, disparaisse dans les dédales des sous-sols des universités, totalement abandonnée, sans servir à personne. Je suis pour cela d'avis que plus on continuera à ne pas impliquer le citoyen dans la prise de décisions, plus on risquera qu'il soit totalement indifférent envers les problèmes relatifs au processus d'intégration. Les députés européens assument une grande responsabilité: rapprocher l'institution clé du système démocratique de l'Union de ses citoyens. Nombre de députés n'ont pas encore su ou voulu répondre à cette obligation. Ils ont en revanche récemment entamé une lutte politique avec la Commission européenne présidée par Jacques Santer, la contraignant à démissionner. Mais beaucoup estiment que le Parlement a lui aussi besoin d'un grand renouveau, de plus de transparence, de moins de bureaucratie, de plus de discipline, qualité que cette institution doit acquérir. Une étude réalisée par la Direction générale Instruction, formation et jeunesse a récemment été publiée. Dans cette étude, on reporte les résultats d'une enquête menée parmi les promoteurs et les coordinateurs de projets financés par l'Union et concernant la citoyenneté et ses droits. On a découvert que personne ne pouvait "exprimer clairement ce que signifie la citoyenneté européenne". Quand on pense que ces personnes auraient dû déployer des activités d'information et d'éducation à ce sujet, on comprend les raisons des résultats décevants au niveau macroscopique. Il est extrêmement grave de constater que le terme "citoyenneté" a été utilisé, à plus d'une reprise, uniquement comme un prétexte facile pour bénéficier d'un financement européen. La citoyenneté active, sur laquelle se jouera tout l'avenir du renforcement de la maison commune européenne, implique bien plus que l'exercice des droits de liberté de circulation dans la Communauté. Elle doit se baser sur des valeurs communes de solidarité, de démocratie, d'égalité des chances et de respect réciproque pour des identités culturelles et ethniques différentes. À ce sujet, je pense que cette responsabilité précise pour le retard accumulé dans la poursuite de ces objectifs est partagée par les institutions communautaires qui ont décidé, adopté des normes contraignantes, lancé des politiques d'élargissement aux pays d'Europe orientale, sans parvenir à instaurer un rapport direct avec les citoyens européens. 44 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale En d'autres termes, ceux qui affirment que la citoyenneté européenne a été créée en haut, en risquant l'incompréhension de fond, ne sont pas dans l'erreur. Ma recherche a en outre eu pour but de démontrer que la citoyenneté européenne pourra déboucher sur la création d'une Union fédérale, sans pour autant négliger la plus grande implication des citoyens qui reste à mes yeux le plus grand défi des années à venir, encore plus difficile peut-être que le lancement de la monnaie unique. En effet, l'euro contribuera à créer une plus grande conscience d'appartenir à une maison commune mais, encore une fois, c'est la politique qui doit gérer les changements aussi délicats. Sinon, on ne peut exclure l'écroulement de tout le système en raison de chocs asymétriques ou endogènes par rapport au cadre monétaire européen unifié. Depuis que la scène politique européenne n'est plus marquée par trois grands personnages comme MM. Mitterrand, Delors et Kohl, le ralentissement de la consolidation du processus d'intégration est plus qu'évident. Il est d'autant plus triste de devoir constater qu'aujourd'hui, il n'est pas rare de rencontrer un groupe de nains politiques aux visions européennes assez limitées, confinés dans les immeubles de Bruxelles ou de Strasbourg, dans lesquels, par ailleurs, certains d'entre eux pénétreront rarement au cours de leur mandat parlementaire. Les juges communautaires ont de leur côté comblé quelques lacunes politiques. Il suffit en effet de rappeler que c'est la Cour de justice, par ses arrêts, qui a conduit à l'abandon d'une vision mercantile de l'édifice communautaire, au profit d'un système où la personne, en tant que citoyen, se développe pleinement. De nombreux obstacles découlent encore non seulement de la transposition souffreteuse et souvent incomplète de certaines directives importantes en la matière, mais aussi de l'attitude peu collaborante, voire même dans certains cas totalement schizophrénique, des administrations publiques. Par exemple, un citoyen désirant résider moins d'un an dans un autre État membre, s'il suivait à la lettre le droit communautaire, devrait perdre beaucoup de temps pour obtenir un permis provisoire qui, vu les lenteurs bureaucratiques, lui arriverait après un an. Ou encore, dans certains pays, il est presque impossible à ceux qui n'y fixent pas leur résidence d'obtenir un abonnement à un opérateur de téléphonie mobile. Tout cela contraste fortement avec le sentiment d'être citoyens européens. Et l'Europe, d'ailleurs, doit être perçue au quotidien, dans la vie de tous les jours, pas seulement dans les règlements ou dans les compromis politiques de quinze États encore souverains. Éviter que l'Europe ne devienne une forteresse pour les ressortissants des pays tiers doit constituer une autre priorité. Il n'est pas digne d'un système démocratique de laisser dans une sorte de flou les citoyens extracommunautaires qui résident légalement dans un des quinze États de l'UE, et de les empêcher d'exercer tous les droits conférés aux autres citoyens. On trouve dans les tiroirs quelques propositions de directives présentées en son temps par la Commission, mais le Conseil ne s'est pas encore décidé à les prendre en considération. La citoyenneté européenne représente donc le juste épilogue d'un processus long, tortueux et chaotique. En même temps, elle constitue le point de départ vers la création effective d'un espace intégré de liberté, de sécurité et de justice. C'est seulement alors que tous les citoyens pourront vraiment se considérer au cœur d'une Europe fédérale. 45 PE 299.342 La citoyenneté européenne: projet politique pour une union fédérale LIST OF CIVIL LIBERTIES SERIES DOCUMENTS N° LIBE 113 EN LIBE 112 FR Title Date The drug policies of the Netherlands and Sweden: March 2001 How do they compare? Police et Justice dans l'Union Européenne November 2000 LIBE 111 DE Schutz der Menschenrechte durch internationale February 2000 Rechtsschutzmechanismen LIBE 110 EN The impact of the Amsterdam Treaty on Justice March 2000 and Home Affairs Issues LIBE 109 EN Trafficking in women April 2000 LIBE 108 All languages Asylum in the EU Member States January 2000 LIBE 107 Freedom, security, justice: reference list Out of print March 1999 LIBE 106 EN + FR Freedom, security, justice: an agenda for Europe October 1999 LIBE 105 EN + FR The protection of European Union citizens' October 1999 financial interests LIBE 104 EN Migration and Asylum in Central and Eastern December 1998 Europe LIBE 103 EN Interinstitutional conference on synthetic drugs Out of print LIBE 102 EN EU antidiscrimination policy: From equal December 1997 opportunities between women and men to combating racism – Out of print LIBE 101 EN + FR Towards a European judicial area LIBE 100 Volume 1 – FR + EN Volume 2 - EN Free movement of persons in the EU: an overview September 1998 (volume 1) and specific issues (volume 2) February 1999 46 April 1998 October 1997 PE 299.342