Questions brûlantes en débat. - Portail des Marocains du Monde

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Questions brûlantes en débat.
Les nombreuses rencontres accompagnées de débats qui ont prédominé au 21ème Salon du
livre ne pouvaient pas ne pas être marqués par l'évolution des événements de plus en plus
tragiques au Moyen Orient, en Libye et dans les pays du Sahel avec les attentats en France et
au Danemark. L'extension des zones et des formes de terreur, devenue la marque de
l'organisation Daech et de ses adeptes, a rendu encore plus aiguës les questions liées au
jihadisme, à la radicalisation des jeunes recrues ainsi que celles concernant une approche
moderne de l'islam, aussi bien dans les sociétés musulmanes que dans les pays d'immigration.
L'aggravation du contexte de la menace terroriste mondialisée a rendu plus urgents encore les
thèmes de la réforme de la pensée et des pratiques liées à l'islam et aux rapports entre
religions. Questions qui sont aussi fortement en rapport avec celles de l'intégration dans les
sociétés laïques, à commencer par les problèmes sociaux et culturels résultant de l'exclusion et
des discriminations, sans parler du racisme et autres violences subies.
Défis identitaires.
Sur le thème des « défis identitaires pour les musulmans en Europe », une table ronde a réuni
notamment l'imam de la grande mosquée de Bordeaux, Tarik Oubrou ainsi que les chercheurs
Rachid Id Yassine et Mohamed Ajouaou. Pour l'imam Oubrou qui est l'un des plus fervents
défenseurs d'une rénovation en profondeur de l'approche religieuse, il ne s'agit pas seulement
de produire un nouveau discours religieux mais de faire en sorte que celui-ci intègre réellement
les exigences du monde moderne. Pour cela, estime-t-il, les musulmans doivent enfin faire la
différence entre l'esprit de l'islam comme fondement invariant et les formes variables du fait
religieux que sont les pratiques, les coutumes, les conceptions diverses à travers l'histoire dans
les diverses sociétés. C'est là une divergence de point de vue essentielle avec les conceptions
conservatrices qui, au delà du principe fondamental, transforment en dogmes intouchables des
productions doctrinales et culturelles des sociétés musulmanes.
Le principe de l'acculturation, souligne l'imam Oubrou, a été une règle au début de la
propagation de l'islam. Il s'agit de l'acclimatation aux réalités des sociétés et cultures locales
tout en respectant l'essentiel du message religieux. Cette question est on ne peut plus actuelle
et cruciale pour les musulmans dans les pays d'immigration et il considère que le refus de cette
acculturation « ne fera qu'aggraver la crise des musulmans et celle des pays d'accueil ». Selon
lui, la violence dans les pays d'immigration reflète à la fois une crise identitaire de ces derniers
dans le cadre de la mondialisation et une crise du discours chez les musulmans de ces pays, la
discordance avec les exigences de notre époque aboutissant à une sorte de schizophrénie.
Dans le contexte de la mondialisation, du fait de l'omniprésence des moyens de
communication, l'identité doit être perçue au delà de limites étroites et intégrer l'autre sur la
base de valeurs communes. Les religieux sont encore en majorité non préparés à communiquer
avec le monde moderne et il est nécessaire de revoir le discours théologique sur Dieu, sur la
religion, sur l'humain et sur la femme. La pensée religieuse doit ainsi être vivifiée. Pour l'imam
Oubrou, le mouvement Daech est aussi le produit dévoyé d'un discours religieux classique qui
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fut élaboré au Moyen âge et tant qu'on ne reformulera, avec une approche critique ce discours,
on sera confronté à la violence sous diverses formes. La notion de jihad dont se prévalent les
mouvements extrémistes est totalement détournée même par rapport à la conception juridique
classique. Celle-ci en effet n'accorde pas à des individus ou des groupes le droit de proclamer
le jihad, mais seulement à un Etat légitime et selon des règles qui n'ont rien à voir avec la
justification au nom de la religion d'une criminalité organisée.
Le phénomène de la radicalisation.
Pour Rachid Id Yassine l'intégration citoyenne des musulmans en Europe est une réalité en
mouvement avec une participation effective à la vie sociale et culturelle, évolution qui pose un
problème de tension identitaire aux sociétés européennes qui ont du mal à intégrer cette
nouvelle composante. Mohamed Ajouaou, chercheur néerlandais d'origine marocaine,
considère que la situation actuelle des musulmans en Europe traduit une gestation qui les
oblige à reconsidérer leur identité et leur conception de l'islam pour s'intégrer et éviter une
coupure avec les sociétés d'accueil. Il souligne que ce qui fait problème pour les néerlandais,
ce n'est pas tant la pratique des rites religieux que la capacité des musulmans à vivre en
conformité avec les principes et règles fondamentaux de l'Etat et de la société.
La question de la radicalisation des jeunes adeptes du jihadisme a fait l'objet d'une autre table
ronde. Le phénomène, devenu si préoccupant, apparaît assez complexe et on ne peut
l'expliquer par une seule cause. On évoque le plus souvent les frustrations nées de l'exclusion
et de la marginalisation sociale et leur chaîne d'échecs qui engendrent des dérives. Si ce
facteur est certainement présent dans nombre de cas, il ne l'est pas dans nombre d'autres.
Comment en effet expliquer que des jeunes issus de couches moyennes assez aisées ont aussi
été radicalisés et ont rejoint Daech. Le facteur religieux seul n'est pas non plus seul déterminant
car beaucoup de jeunes recrues du jihadisme ignorent tout de la religion et savent à peine
comment faire la prière, d'autant plus s'ils sont fraîchement convertis. Le sociologue
Khosrokhavar estime que c'est un écheveau de facteurs qui rentrent en action dans la
radicalisation, à la fois d'ordre social, idéologique, psycho-pathologique. C'est toujours en
relation avec des réalités spécifiques dans chaque société. La vacuité idéologique des sociétés
occidentales favorise aussi cette nouvelle forme d'identification à un modèle de « héros négatif
»
qu'offre le
jihadisme. Ceci d'autant plus que la médiatisation intense des actes terroristes nourrit une sorte
de narcissisme lié à ce modèle qui réduit l'islam à une seule formule, celle de la violence.
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