« Croire que réformer l’islam va éradiquer la
radicalisation chez les jeunes, c’est se faire des
illusions »
Source : Le Monde
Réformer l’islam est nécessaire, abstraction faite du terrorisme qui frappe notre pays. En principe, cette réforme
incombe aux religieux, qui doivent être doublement érudits : versés dans les sciences religieuses classiques et
dans les sciencescontemporaines. Cette réforme religieuse ne part pas de rien. Elle s’inscrit dans une tradition
qui remonte au Prophète.
Ce qui est valable pour la réforme de l’interprétation de l’islam est valable, raison de plus, pour
l’institution religieuse représentative. Le culte doit être représenté par un consistoire constitué
de religieux français avec des conseillers dans différents domaines. Actuellement, la
représentation du culte musulman de France est marquée par des considérations liées
indirectement aux pays d’origine et constituée d’acteurs associatifs et non pas de religieux.
Se tromper de contexte et d’époque, c’est se tromper d’interprétation et de religiosité. En
effet, l’herméneutique fondamentale consiste à interpréter les textes sacrés dans
leur contexte d’origine, ce qui permet déjà de relativiser leur charge sémantique. La deuxième
approche, plus concrète, est une herméneutique appliquée. Elle consiste à comprendre et
à pratiquer les enseignements scripturaires ici et maintenant.
Lire aussi : Après les attentats, « résister à la tentation de la simplification » par Tarek
Oubrou
Pour cela, une bonne interprétation de la condition française est un préalable à celle des textes.
A ce niveau d’herméneutique appliquée, il y a deux degrés d’adaptation de l’islam de France. Le
premier consiste à ajuster les pratiques musulmanes visibles dans le cadre du droit. A ce titre, le
droit français est le droit des Français de confession musulmane. On n’a pas entendu les
musulmans de France revendiquer un tribunal confessionnel spécifique. Toutes leurs pratiques
musulmanes s’effectuent dans le cadre de la Constitution et du droit. Quand il y a eu
interdiction des signes religieux dans les écoles et de la burkadans l’espace public, les
musulmans s’y sont pliés.
« Théologie préventive »
Cependant, la culture et l’identité nationale sont parfois plus normatives. Il ne suffit pas
d’ajuster la visibilité de l’islam pour qu’elle soit conforme au droit et ainsi réaliser l’intégration
des musulmans. Il faudraitconvoquer une autre notion : la « théologie d’acculturation ». Elle
passe par la « théologie de l’altérité ».C’est-à-direintroduire dans l’économie de la théologie et
du droit canon musulman la perception d’une société sécularisée marquée par l’histoire d’une
laïcité qui reste à dominante culturelle catholique.
BEAUCOUP D’IMAMS ÉTRANGERS SONT PLUS MODÉRÉS QUE CERTAINS IMAMS FRANÇAIS
DE LA DEUXIÈME GÉNÉRATION
Il faut aussi intégrer la « théologie préventive », qui prend en considération l’élément
psychologique, voire psychanalytique, afin d’éviter l’impact négatif d’un texte religieux s’il reste
suspendu sans être accompagné d’une interprétation appropriée. Cette « théologie
préventive » comme matière à intégrer dans la formation des imams
peut contribuer àprévenir la radicalisation.
Si la laïcité a émancipé l’Etat de la loi religieuse, elle protège les religions de l’ingérence du
politique. Mais lorsqu’une autorité politique demande aux musulmans de réformerleur religion,
elle commet une entrave au principe de laïcité. Demander aux musulmans de France
de respecter l’égalité hommes-femmes, c’est donner l’impression que les musulmans de France
vivent dans un autre pays. Or ils sont à l’image de leur société française. On ne demande pas
aux catholiques d’introduire dans leur droit canon et leur ecclésiologie l’égalité hommes-
femmes en matière de désignation de femmes pour la fonction de prêtrise. On a le droit de ne
pas être d’accord avec une religion tant que ses pratiques ne s’opposent pas au droit français.
Mal-être
Pourquoi désigner les mosquées uniquement ? Alors que d’autres cultes, comme l’Eglise
orthodoxe, bénéficient de financements venant de la Russie. Ce qui doit importer à l’autorité
publique, c’est le contenu du discours, la nature des pratiques et des enseignements. Toute
étude qui prêche la haine, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la violence
doit tomber sous le coup de la loi.
Dans les faits, les grandes mosquées financées par des Etats étrangers sont classées parmi les
« mosquées modérées ». Aussi, il ne suffit pas de construire une mosquée avec l’argent des
fidèles pour que celle-ci soit « modérée », ni que l’imam soit formé en France pour être
forcément un imam modéré. Beaucoup d’imams étrangers sont beaucoup plus modérés que
certains imams français de la deuxième génération pourtant formés en France.
AUJOURD’HUI, C’EST L’ORGANISATION ETAT ISLAMIQUE, DEMAIN CES JEUNES
POURRAIENT ADHÉRER À UNE AUTRE FAUSSE CAUSE TANT QU’ELLE S’INSCRIT CONTRE
LEUR SOCIÉTÉ
Réformer l’islam, oui, mais croire que cela va éradiquer la radicalisation chez les jeunes, c’est
se faire des illusions. C’est même faire diversion pour ne pas voir les causes profondes de ce
phénomène. La radicalisation comme processus préliminaire au terrorisme s’explique en
premier lieu par un mal-être dont souffrent certains individus mal installés dans la société.
Leur recrutement procède par prélèvement scripturaire sélectif et démagogique à
visée géopolitique en premier chef. Au fond, cet embrigadement ne l’est pas vraiment, car
l’allégeance que ces jeunes prêtent à ce fantôme de l’organisation Etat islamique par le biais du
virtuel n’est qu’un alibi pour se venger de leur société.
Lire aussi : Tareq Oubrou : « Il faut adapter l’islam à la mentalité française »
Aujourd’hui, c’est l’organisation Etat islamique, demain ces jeunes pourraient adhérer à une
autre fausse cause tant qu’elle s’inscrit contre leur société. On leur demande de respecter les
valeurs de la République, lesquelles valeurs, parfois, ne sont pas respectées par ceux qui sont
censés les défendre et les incarner.
Ce radicalisme est le résultat d’un échec d’intégration par le scolaire et le travail, d’une
démission des parents et d’un manque d’affection à cause de l’effritement des liens familiaux.
C’est un phénomène qui concerne tous ceux qui ont une responsabilité éducative, politique,
médiatique, religieuse. Que chacun assume sa part de responsabilité.
Tareq Oubrou (imam de Bordeaux)
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