I Un trouble conversif de la phonation : l’aphonie psychogène I.1 Le trouble de conversion I.1.1 Genèse de l'hystérie I.1.2 De l'hystérie à la conversion I.1.3 Le caractère dissociatif/suggestible du patient conversif I.1.4 Eclatement nosographique 1.1.4.1 1.1.4.2 De la classification freudienne aux premiers DSM DSM-III: d'une continuité personnalité-symptôme à une continuité environnement-symptôme 1.1.4.3 I.1.5 I.2 Du DSM-IV au DSM-V : du psychogène vers le fonctionnel Nosographie du trouble de conversion L’aphonie psychogène I.2.1 Définition I.2.2 Clinique I.2.3 Un phénomène de conversion en lien avec l'émotion I.2.4 Un phénomène de conversion en lien avec la personnalité I.2.5 Thérapies actuelles I.2.6 Une thérapie novatrice : la TMS I.2.6.1 La stimulation magnétique transcranienne (TMS) I.2.6.2 Principe thérapeutique I.2.6.3 Cadre spécifique de l’aphonie psychogène de conversion I.2.6.4 Limites de la TMS I.3 Entrelacs de la physiologie phonatoire et des enjeux de la communication 1.3.1 Innervation de la phonation 1.3.2 La voix : émission laryngée et soufflerie 1.3.3 Enjeux de la communication interpersonnelle : contrôle et trahison 1.3.4 Conséquence sur la Parole : Le bénéfice du symptôme 1 II L’approche neurologique fonctionnelle : vers un diagnostic positif de la conversion hystérique II.1 Neurophysiologie du mouvement volontaire II.1.1 La boucle sensori-motrice : de l’intention d’agir au déclenchement moteur II.1.1.1 Le cortex sensori-moteur II.1.1.2 Projections radiales et tangentielles depuis le cortex moteur II.1.1.3 Rôle du thalamus II.1.1.4 Circuits de rétro-action du mouvement II.1.2 Le cortex préfrontal de supervision sous contrôle du système limbique II.1.2.1 La boucle cognitive et exécutive II.1.2.2 Rôle du système limbique et des ganglions de la base II.1.2.3 Rôle de l’amygdale cérébrale dans la réactivité émotionnelle II.1.3 Particularités neurophysiologiques de la phonation II.2 II.1.3.1 Voies centrales II.1.3.2 Rôle de la formation réticulée dans la phonation Approche neuropsychologique du trouble psychogène II.2.1 Neuro-imagerie et processus conversif : vers un diagnostic positif II.2.1.1 Une intention d’agir préservée II.2.1.2 Un recrutement attentionnel nécessaire à la conversion motrice II.2.2 Une interaction dynamique de mécanismes neurocognitifs II.2.2.1 Conversion et émotion II.2.2.2 Conversion, attention et conscience II.2.2.3 Menace, dissociation et conscience : un fusible évolutionniste II.2.2.4 Représentation de soi, monitorage de soi et agentivité II.2.3 Une nouvelle approche du trouble neurologique fonctionnel de la voix ? 2 PARTIE PRATIQUE Genèse d’une rencontre pluridisciplinaire Problématique et hypothèses I. Présentation de l’étude et méthodologie Choix du type d’étude Population Profil du patient n°1 : FS Profil du patient n°2 : Faz Matériel Protocole existant en rTMS à l’hôpital St-Antoine Tâches orthophoniques conçues Principes thérapeutiques -Pitchs -Séries de mots -Closures de locutions automatiques -Tâches complexes : .Modalité visuelle dans les consignes de double-tâche .Taches verbales mobilisant l’attention .Entraînement à la modulation des paramètres vocaux .Matériel de feedback visuel Procédures de recueil des inform ations 3 ANALYSE Recueil des performances pendant le traitement pour chaque patient Evolution des performances de FS Evolution des performances de Faz Analyse de l’effet de rémanence Effet de rémanence à partir des performances de FS Evolution de la qualité vocale au cours du traitement Tableau 1 : effet de rémanence en TMS Tableau 2 : effet de rémanence hors TMS Effet de rémanence à partir des performances de Faz Feedback : restauration de l’agentivité Procédures de feedback pour le patient FS Procédures de feedback pour le patient Faz Retentissement du feedback sur le rétablissement de l'agentivité Comportement lié au rétablissement de l'agentivité FS Comportement lié au rétablissement de l'agentivité Faz Conclusions sur l’effet de rémanence Analyse de l’effet de distraction attentionnelle (DA) Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de FS Evolution de la qualité vocale au cours du traitement Tableau 3 : effet de DA en TMS Tableau 4 : effet de DA hors TMS Différence d’évolution de l’effet DA en TMS et hors TMS Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de faz Conclusion sur l’effet de distraction attentionnelle DISCUSSION Rappel des hypothèses - validées ou non en lien avec des éléments de la littérature scientifique Limites et biais CONCLUSIO N 4 Bibliographie Normes www.zotero.org/styles?q=APA Annexes (non numérotées) Glossaire des abréviations Résumé Mots-clés 5 6 INTRODUCTION Décrite depuis l’Antiquité, l’aphonie psychogène reste aujourd’hui une zone d’ombre de la médecine contemporaine tant pour le diagnostic que pour la rééducation. Dépendant de la convergence de divers champs de la médecine comme la phoniatrie, la psychiatrie et désormais la neurologie, ses manifestations protéiformes rendent difficile son abord scientifique et thérapeutique. A ce jour, alors que le DSM V répertorie le trouble de conversion en tant que trouble neurologique fonctionnel, nous n'avons trouvé aucune étude en imagerie spécifique à l'aphonie psychogène. En revanche, des études en IRMf et PET-scan portant sur le trouble hémiplégique de conversion abondent dans la littérature. Il nous a semblé intéressant de tenir compte de leurs apports théoriques pour tenter de trouver un corrélat avec l’aphonie psychogène. Le Docteur Stéphane Mouchabac, neuropsychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, s’appuie sur des données récentes en physiopathologie afin de mettre en évidence une atypie cérébrale pouvant expliquer l’aphonie et en utilisant la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) proposer une démarche scientifique. Pour ce faire, il souhaite étayer son protocole d’investigation à visée thérapeutique au moyen de connaissances orthophoniques et neuropsychologiques. Dans un premier temps, après avoir défini l’aphonie de conversion dans sa spécificité psychologique et neuroanatomique et compte tenu de l’atypicité fonctionnelle et motrice de cette pathologie, nous abordons les processus neurologiques du mouvement volontaire, sa régulation sous-corticale et ses enjeux neuropsychologiques. Dans un second temps, nous présentons l’expérimentation menée lors des séances de TMS pour lesquelles nous avons déterminé des tâches neuropsychologiques et orthophoniques permettant de répondre aux objectifs thérapeutiques du Docteur Mouchabac. Le déroulement et l’analyse des performances des deux patients conversifs sont ensuite détaillés. Nous exposons enfin les tendances que nous avons pu relever lors de cette expérience. Pour conclure notre travail, la discussion met en exergue les points forts de l’expérimentation ainsi que les réserves que nous pouvons émettre au vu des résultats et des biais de la démarche. 7 PARTIE THÉORIQUE I Un trouble conversif de la phonation : l’aphonie psychogène I.1 Le trouble de conversion Introduit par Freud et Breuer à la fin du XIXième siècle, le terme de Konversion évoque un concept psychopathologique se traduisant chez le sujet par l’altération ou la perte d’une ou plusieurs fonctions physiques et suggérant une maladie neurologique sans que le clinicien ne puisse déterminer un substrat organique. Cette absence de support a longtemps conduit à considérer ces patients comme présentant une personnalité psychopathologique. Mais de récentes recherches sur les processus neurologiques conversifs ont mis en en évidence une atypie fonctionnelle du système nerveux central (SNC). I.1.1 Genèse de l'hystérie Le concept de trouble de conversion trouve ses origines dans celui de l'hystérie. Dès l'Egypte ancienne au XXième siècle avant J-C., le papyrus de Kahun attribue une étiologie à l'hystérie qu'Hippocrate universalise en 460 avant J-C. en affirmant qu'elle serait la conséquence d'un utérus migrant. L'étymologie (hustera=utérus en grec) est employée pour la première fois en 1763 par le médecin Boissier qui regroupe sous le terme "hysteria" une série de diagnostics. Si l’absence de cause organique évidente lui vaut d’être considérée comme un stigmate d’hérésie au Moyen-âge, elle est rapportée dès le XVII ième siècle à un trouble cérébral et à une souffrance émotionnelle. C'est au XIX ième siècle qu'elle est étudiée scientifiquement en étant l'objet d'un conflit entre partisans des étiologies organiques et ceux des étiologies affectives. Certains dont le médecin viennois Von Feuchtersleben lui attribuent des causes psychologiques traumatiques telles que des contrariétés chez des personnalités sensibles. D'autres, à l'instar du psychiatre berlinois Griesinger, envisagent l'hystérie comme une maladie du système nerveux accompagnée de troubles psychologiques. Sous leur influence, Charcot, à l'Ecole de la Salpêtrière, lieu où se confrontent les croyances de la psychogénèse et de l'organogénèse, envisage la présence d’une lésion fonctionnelle neuronale non détectable et réversible qui serait à l’origine de la symptomatologie physique. Ce célèbre neurologue prend en compte cependant également le caractère réactionnel et émotionnel de ces troubles en prenant conscience de la possibilité de les induire par suggestion ou hypnose. 8 I.1.2 De l'hystérie à la conversion Elève de Charcot, Freud rejette quant à lui aussi toute perspective organique et parle de conflit intrapsychique « converti » en un symptôme somatique (Freud, Breuer, Berman, & Breuer, 1956). Il utilise le terme de conversion pour désigner la « transposition d'un conflit psychique et la tentative de résolution de celui-ci dans des symptômes moteurs ou sensitifs » afin qu'une idée incompatible avec la conscience devienne inoffensive. Comme l'affect bloqué ne peut s'exprimer normalement, il utiliserait la voie somatique. Freud met donc en évidence l'impact d'un traumatisme mal métabolisé qui, en laissant une trace mnésique, serait un facteur déterminant pour l'apparition de symptômes dissociatifs inconscients et involontaires. S'opposant également à Charcot, le neurologue Babinski affirme que l'hystérie se distingue des causes organiques par le défaut d'organicité à travers l'absence de substrats anatomophysiologiques. En évoquant "une voie de continuité de l'hystérie à la supercherie consciente" (pathomimie), Babinski amorce le démembrement du concept d'hystérie conforté par Freud qui scinde la classification des troubles hystériques en distinguant ceux dus à la conversion de ceux dus aux phénomènes de dissociation mentale. I.1.3 Le caractère dissociatif/suggestible du patient conversif Considérée par le psychologue et médecin Pierre Janet comme étant à la base de tous les phénomènes hystériques, la dissociation mentale associe dépersonnalisation et déréalisation qu'il décrit en 1909 comme « une altération des fonctions normales d’intégration de l’identité, de la mémoire et de la conscience quand le patient vit une déconnexion entre les perceptions corporelles, les pensées, les émotions et les souvenirs ». Avec des antécédents souvent traumatiques, les patients dissociatifs comme conversifs ont un haut degré de suggestibilité. C'est une caractéristique fréquente qu'observe Babinski qui introduit le terme de pithiatisme pour désigner l'impact de la suggestibilité dans l'apparition et le traitement du trouble. Il en a résulté la naissance d'attitudes cliniques de suggestion, simple ou armée, parfois nuisibles pour le patient étant considéré par certains comme de « douteux simulateurs ». Récemment, le psychiatre P. Berner confirme que la suggestibilité est une caractéristique fréquemment retrouvée chez les patients conversifs qui revêtent ainsi facilement des symptômes observés chez les autres ou sur eux-mêmes. I.1.4 Eclatement nosographique 1.1.4.1 De la classification freudienne aux premiers DSM Le terme de Konversion ayant été introduit par Breuer et Freud dans le cadre de la névrose hystérique, les classifications psychiatriques contemporaines ont vu disparaître de leur 9 nomenclature la notion d'hystérie en séparant le mécanisme conversif de son arrière-plan émotionnel. Jusqu’en 1952, la classification freudienne distinguant l’hystérie dissociative de celle conversive est celle adoptée dans les classifications nosologiques de la névrose. Si la CIM-10 range au contraire le trouble de conversion dans les troubles dissociatifs, les DSM confirment la classification de Freud en séparant réaction de conversion et réaction dissociative. Jusqu'au DSM-II, le trouble de conversion est lié à la personnalité histrionique, trouble de la personnalité dont les traits principaux sont la théâtralité, la quête d'attention, la labilité émotionnelle et la dépendance affective. I.1.4.2 DSM-III : d'une continuité personnalité-symptôme à une continuité environnement-symptôme Dès le DSM-III, on assiste à un éclatement de l'ancienne entité hystérique freudienne en deux axes : le premier axe, incarné par le trouble de conversion au sein des troubles somatoformes et le deuxième axe, incarné par la personnalité histrionique. A partir de cette version, la personnalité histrionique n'est plus forcément associée à la conversion. Le psychiatre Brian Toone souligne en effet que le profil psychiatrique est facultatif et n’est pas définitoire de la conversion même si des facteurs de risque communs peuvent favoriser la survenue de symptômes de conversion et de troubles psychiatriques associés. Dans le DSM-III, le trouble de conversion s'inscrit dans le chapitre des troubles somatoformes de façon distincte de ceux des troubles dissociatifs, du trouble factice (pathomimie) et de la simulation. Si la simulation est clairement intentionnelle et motivée par des bénéfices directs, le trouble factice, bien qu'également intentionnel, s'en distingue par l'absence de ces bénéfices directs. La conversion, elle, n'est pas motivée de façon consciente et intentionnelle mais peut l'être de façon inconsciente entraînant des bénéfices secondaires indirects. Ces derniers compliquent le diagnostic différentiel entre ces trois troubles. Cette classification comprend toutefois une parenthèse « névrose hystérique de type conversif » à la terminologie « trouble de conversion » pour rattacher toutes les manifestations neurologiques à l'hystérie. (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-III, 1978) Avec le DSM-III, la symptomatologie de la conversion est articulée avec les facteurs générateurs de stress et non plus avec la personnalité du patient. En effet, d'après Roelofs, la sévérité des symptômes semble en relation avec les événements de vie récents. La relation temporelle entre stress et survenue du symptôme est parfois évidente, comme dans le cas des hystéries de guerre ou lors d'un deuil récent (Roelofs, Spinhoven, Sandijck, Moene, & Hoogduin, 2005). Le DSM-III choisit également comme critère les bénéfices secondaires qui disparaissent ensuite dans la version révisée du DSM-III (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-III-R, 1987). 10 I.1.4.3 Du DSM-IV au DSM-V : du psychogène vers le fonctionnel Si le DSM-IV nécessitait de mettre en évidence le constat de la survenue ou de l'exacerbation des symptômes dans un contexte préalable de stress ou de conflits (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-IV, 1994), la nouvelle classification, le DSM-V, abandonne les deux principaux critères antérieurs de facteur psychologique et d'absence d'exagération et de simulation. En effet, bien que cette cinquième édition concède que l'apparition peut être associée à un stress ou à un traumatisme physique ou psychologique en étroite relation temporelle, il affirme que leur absence n'exclut pas le trouble. De même, il est possible de ne pas discerner une éventuelle feinte. Le concept de gain secondaire n'est pas non plus spécifique au trouble. Pour la première fois, le concept de « conversion disorder (functional neurological symptom disorder) » est introduit (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-V, 2013). Au vue des dernières recherches, le concept principal de psychogène - comme étiologie psychologique suspectée - laisse la place au concept de fonctionnel en tant que processus atypique du système nerveux. Les critères principaux deviennent donc l'incompatibilité des symptômes et de l'examen neurologique avec une pathologie organique et neurologique connue associé au fait qu'aucune pathologie ne peut expliquer le symptôme. En effet, souvent variable dans le temps, le trouble n'obéit jamais aux lois de systématisation du système nerveux car la topographie de la symptomatologie repose plus sur les représentations mentales que se fait le patient sur sa maladie. Les critères du DSM-V entendent par symptôme une ou plusieurs altérations de la motricité volontaire et/ou de la fonction sensorielle qui causent une souffrance cliniquement significative ou bien une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants ou justifiant une évaluation médicale. Alors que dans le DSM-IV-TR, il est demandé uniquement de spécifier le trouble selon le type de symptômes ou déficits, le DSM-V prend en compte la spécification des éléments de durée des symptômes et de présence ou non d'un stress psychologique, qui sont à ce jour les deux facteurs pronostiques les plus importants. I.1.5 Nosographie du trouble de conversion De 2 à 5 cas persistants pour 100 000 par an, avec une prédominance dans les milieux socioculturels faibles, le trouble est de 2 à 3 fois plus fréquent chez la femme. Il peut coexister des manifestations hystériques et des affections neurologiques, ces dernières fournissant un modèle symptomatique aux manifestations de conversion ou prédisposant à leur survenue par un mécanisme mal élucidé. Enfin, il peut avoir une comorbidité avec des troubles psychiatriques tels que les troubles de la personnalité et dissociatifs, les troubles thymiques, et les psychoses. 11 Transitoires, récidivants ou chroniques, les troubles revêtent souvent des apparences neurologiques (paralysies, anesthésies, ataxie, troubles de la marche, pertes de conscience, mouvements anormaux, crises épileptiformes, cécité, aphonie…). Selon le DSM-V, les facteurs de bon pronostic sont surtout la courte durée des symptômes ainsi que la récence et l'acceptation du diagnostic. M. Sharpe. soulignent l'importance de l'acceptation de la réversibilité des symptômes et celle de l'existence éventuelle de facteurs psychologiques pour un bon pronostic (Sharpe et al., 2010). D'après M. Sharpe et al., le pronostic sera d'autant plus mauvais qu'il existe une réaction colérique à l'annonce d'absence d'organicité et que l'annonce du diagnostic est retardée. La présence d'une pathologie organique associée mais aussi la réception de prestation d'invalidité pourraient ancrer le trouble. Selon P. McKenzie, le sexe masculin est également un bon pronostic alors que l'existence d'un terrain anxio-dépressif est de moins bon pronostic (McKenzie, Oto, Russell, Pelosi, & Duncan, 2010). Dans 50% des cas, les symptômes sont durables. Par l’évolution de ses classifications, le DSM raconte l’évolution du concept d’hystérie. Les théories freudiennes de l'hystérie, de la personnalité hystérique, du symbolisme du symptôme, et des bénéfices secondaires ont laissé place, dans le DSM-V, au terme de « trouble neurologique fonctionnel ». En effet, de récentes études ont montré qu'il existe des atypies neurologiques fonctionnelles dans la conversion hystérique. I.2 L’aphonie psychogène L’aphonie psychogène ou hystérique est une manifestation fréquente des troubles de conversion. I.2.1 Définition D'après le dictionnaire orthophonique, l'aphonie psychogène correspond à la « perte brutale et totale de la voix sans cause infectieuse ou traumatique, sans modification anatomique des cordes vocales avec conservation d'une toux paradoxalement sonore qui oriente le diagnostic et dont l'étiologie recouvre un problème psychoaffectif, parfois une hystérie » (Brin, Lederlé, Courrier, & Masy, 2011). Il s'agirait de la conversion de difficultés psychologiques en un trouble fonctionnel. Le phoniatre François Le Huche étaye cette étiologie en introduisant la notion de « processus d'inhibition psychologique » qui serait à l'origine de la disparition de la voix ou de l'altération d'une ou plusieurs de ses caractéristiques acoustiques (Le Huche & Allali, 2002). Le docteur Monfrais-Pfauwadel précise quant à elle qu'il s'agit de « la perte totale de la vibration laryngée du fait d'une atteinte psychogène non pas d'un organe mais d'une fonction » et qu'elle n'est 12 pas la conséquence de quelque lésions organiques que ce soit « ni laryngée, ni pulmonaire, ni neurologique » (Monfrais-Pfauwadel, 1981). Ce faisant, elle insiste sur l'importance de reconnaître l'existence de pathologies fonctionnelles en opposition avec les maladies d'origine structurelles, à l'instar de Janet qui insiste dès 1909 sur le fait que la fonction vocale est intrinsèquement touchée, puisque c'est la phonation qui est atteinte et non la motricité ou l'intégrité organique des cordes vocales. En ce sens, l'aphonie psychogène s'inscrit dans une opposition avec la notion de mutité, cette dernière entraînant également une privation du langage due à des lésions cérébrales des centres nerveux (mutismes aphasiques...) ou des organes de la parole (paralysie récurrentielle, surdité...). Il faut également opposer aphonie et mutisme hystérique. On distingue l'aphonie du mutisme de conversion par le fait que, du fait d'une perte de la conscience et du désir de parole, aucune articulation et aucune voix même chuchotée n'est possible alors que dans l'aphonie, une voix chuchotée très désonorisée peut être plus ou moins produite avec la conservation de mouvements buccophonateurs (Schuster, 2008). Ces derniers peuvent être malgré tout perturbés par le comportement d'effort et peuvent rendre la parole d'autant plus inintelligible. Il en résulte une atteinte de la phonation dans sa dimension de fonction qui entraîne une disparition du mode relationnel qu’induit la parole, sans participation d'un facteur organique. I.2.2 Clinique Avec un pic de fréquence entre 30 et 39 ans, l’aphonie psychogène est présente plus volontiers dans les milieux socioculturels élevés. Cette pathologie vocale représente 5% des consultations pour dysphonies dysfonctionnelles dont seulement 10% concerneraient les hommes, chiffre avancé en 1974 par la Société Française de Phoniatrie (Le Huche & Allali, 2002). Faisant suite régulièrement à des épisodes inflammatoires ou plus rarement à un acte chirurgical, les premiers symptômes apparaissent souvent brutalement au réveil mais peuvent également s'installer progressivement dans le temps. S'il est fréquemment associé des causes psychologiques, il est rare que le patient en ait conscience et l'évoque spontanément. Souvent le premier épisode disparaît aussi brusquement qu'il est apparu. Les récidives sont fréquentes (52% des cas) essentiellement chez des sujets présentant un score plus élevé sur l'échelle d'anxiété de Spielberger ; le trouble est souvent réversible, avec une guérison en moyenne au bout de trois mois et une reprise souvent brutale de la sonorisation ou parfois progressive. Mais c’est lors de ces récidives que la symptomatologie est persistante et beaucoup plus insidieuse dans son mode d'installation, altérant petit à petit timbre et intensité. Le patient évoque souvent le fait que sa voix lui semble impossible à produire, dénaturée ou très difficile, ce 13 qui le rend fatigable. Il ressent également parfois des paresthésies laryngées à type de picotement, de douleur ou de brûlures. Etant dans la plupart des cas complète avec une voix exclusivement chuchotée et parfois entrecoupée de petits grincements, l'aphonie psychogène peut s'avérer également incomplète (dysphonie) se manifestant par la possibilité d'une vocalisation erratique selon la valence émotionnelle des propos voire revêtir une forme de dysphonie avec éraillement, bitonalité, assourdissement ou nasonnement. Dans tous les cas, les productions paralinguistiques de l'aphonique ou du dysphonique psychogène que A. Osta désigne par le néologisme « avoix » les rendent incompatibles avec la communication ce qui conduit F. Le Huche à introduire le concept de « dénaturation de la voix » (Osta, 2001). S'il existe souvent un comportement d'effort avec l'adoption de l'attitude de la voix de détresse (crispation du cou, souffle thoracique supérieur, affaissement sternal, perte de verticalité), l'examen laryngoscopique révèle pour autant un plan laryngé indemne avec une motricité préservée lors de la toux, voire du rire et parfois même lors d'émission de voyelles alors que la production de parole est impossible. Néanmoins, il existe le plus souvent lors des essais de sonorisation un défaut d'affrontement voire une immobilité des cordes vocales qui peuvent rester en position intermédiaire ou en abduction associée ou non à des anomalies fonctionnelles des bandes ventriculaires. Il en résulte une absence de voisement ou, lorsque celui-ci est possible, un caractère chuchoté ou soufflée. Il est enfin à noter que des lésions peuvent être présentes sans qu'elles ne puissent suffire en elles-mêmes à expliquer ce type d'aphonie. I.2.3 Un phénomène de conversion en lien avec l'émotion Sans être nécessairement liée à une personnalité hystérique, l'aphonie psychogène correspondrait à la conversion de difficultés psychoaffectives en un trouble fonctionnel avec disparition/altération de la voix par processus d'inhibition ou d'exhibition psychologique et comportementale. La sonorisation semble ne plus être à la disposition de la conscience du sujet qui ne peut l'initier volontairement du fait d'une dysrégulation émotionnelle. Selon F. Alexander, le symptôme de conversion est l'expression indirecte d'une émotion par l'intermédiaire du système neuromusculaire volontaire ou sensoriperceptif qui effectue « un saut du psychisme au somatique ». (Alexander, 2002) William James présente l'émotion comme « une réponse aux modifications de l'environnement qui aide l'organisme à se maintenir en vie en provoquant un comportement d'adaptation ». Elle implique des réactions hormonales et neuronales qui permettent des activations cérébrales provoquant des manifestations physiques, lesquelles informent l'entourage de l'état interne de l'individu pour que ce dernier ainsi que le groupe adaptent leur comportement. Faisant intervenir de nombreuses structures cérébrales, l'émotion y induit des modifications ainsi que sur le corps. Ces structures cérébrales et ce système somatique participant à la production de la voix, les 14 changements d'état ont donc un impact sur la phonation. Ainsi dès la naissance, avant d'être le véhicule de la parole, la voix est celui, involontaire, de l'émotion. I.2.4 Un phénomène de conversion en lien avec une personnalité Emotion et personnalité sont liées : l'émotion est un ressenti c'est-à-dire une réponse interne psychologique et physique à un contexte donné. Cette réponse interne en induit une autre, externe, qui est caractérisée par une manifestation variable selon la structure psychologique du sujet interprétant la situation. L'émotion est donc différente d'un individu à l'autre et entraîne des réponses diverses selon les sujets. Elle part de l'intime pour induire une réponse sociale. D'après J. Révis, des études ont montré qu'il existait une relation directe entre les paramètres acoustiques de la voix et certains traits de personnalité (Révis, 2013). Markel a étudié en 1972 le rapport entre intensité, débit et personnalité tandis que Nesic a montré en 1998 la corrélation entre fréquence fondamentale et réponses aux questionnaires tridimensionnels de personnalité (Markel, Phillis, Vargas, & Howard, 1972) (Nésic, 1998). L'aspect des courbes mélodiques diffère selon le type d'émotion exprimée par le sujet, en lien avec la personnalité. Il existe une corrélation entre l'aspect du premier formant du /i/ et la tendance persistante qu'à certaines personnes à l'expérience des émotions négatives appelée neuroticisme, tandis que M. Van Mersbergen montre qu'il existe une relation entre quotient de fermeture des cordes vocales et activité psychophysiologique relié à un état émotionnel. Ces études récentes expliquent pourquoi en écoutant une voix, on peut inférer un pressenti sur la personnalité d'un sujet. La voix est le vecteur de la communication parlée qui dévoile notre rapport intime au monde. La voix nous dénude aux yeux d'autrui. La faire disparaître la voix permet rendre inaudibles des informations évoquant trop ouvertement à l’interlocuteur la distorsion entre émotion et message verbal. Les modèles psychologiques qui décrivent les mécanismes sous-tendant l'apparition de l'aphonie psychogène affirment qu'un comportement psychologique ne peut pas être dissocié du fonctionnement neurobiologique. J. Révis indique que le sujet extraverti serait davantage soumis à des tensions musculaires ce qui activerait beaucoup plus la formation réticulée intervenant dans le tonus et la vigilance. De plus, lorsque le neuroticisme est très présent dans la personnalité (inquiets, réactifs à l'environnement), il impliquerait le cortex limbique qui a un impact sur la sensibilité aux émotions. Cette combinaison de ces deux traits de personnalité augmenterait le risque de développer des troubles vocaux psychogènes. I.2.5 Thérapies actuelles 15 Dans une thérapie où il existe une crainte pour le malade que son symptôme ne soit pas pris au sérieux, le clinicien doit veiller à utiliser la suggestibilité du patient comme un allié afin d’asseoir sa rééducation dans le cadre d’une relation clinique implicitement convaincante. Dans le même sens, le protocole thérapeutique doit être ostensible afin de proposer une porte de sortie honorable vers la guérison. I.2.5.1 Thérapie orthophonique Il s'agit de la prise en charge la plus répandue puisque selon une étude effectuée en Grande Bretagne, 75% des "speech therapist" prennent en charge ce type de patientèle avec des pratiques diverses (Elias et al., 1989). Après avoir été consulter son médecin généraliste, son ORL ou, au mieux, son phoniatre, le patient est adressé à un orthophoniste. Si en orthophonie, les méthodes rééducatives sont variées, elles ont toutes pour objectif de "réhabiliter la voix du patient et ses possibilités expressives, de lui permettre de mieux comprendre l'origine de son trouble" selon Osta. Certains thérapeutes comme Le Huche accordent plus d'importance au substrat psychologique de la pathologie. Pour eux, il s'agit de faire prendre conscience au patient des mécanismes impliqués et - quitte à ce que le retour de la voix se fasse plus lentement au gré de la conscientisation des possibilités expressives - de proposer des relaxations en ayant les yeux ouverts comme entraînement préparatoire. Le Huche aborde l'aphonie comme un temps où il s'agit de faire des mises au point sur la voix, de triompher peu à peu de ses inhibitions en faisant prendre conscience au sujet des possibilités expressives puis de les augmenter progressivement pour accéder à un meilleur équilibre psychologique. Dans le meilleur des cas, le sujet admettra ses difficultés psychologiques et prendra de lui-même conscience de l'importance d'un suivi psychothérapeutique ou psychanalytique. L'orthophoniste doit conduire le patient à être autonome par rapport à son trouble et à son traitement. D’autres tels que Amy de la Bretèque proposent des exercices de type phoniatrique visant la réappropriation du souffle, puis du vibré par une conscientisation et une réautomatisation des phénomènes de pression transglottique. La méthode de la paille dans l'eau est une thérapie centrale dans la gestion du souffle qui permet de retrouver un meilleur rétrocontrôle visuel et auditif. Cela établit une phase intermédiaire où la conséquence de la gestion du souffle ne produit pas encore un voisement qui pourrait rendre le patient inconsciemment réfractaire à sa production vocale. Les techniques de reproduction par imitation permettent au patient de ne pas réfléchir à son geste vocal. Certains orthophonistes pratiquent des thérapies manuelles visant à réengager le mouvement d'élévation du larynx lors de la phonation (Ostéovox) et à rétablir une proprioception de l'organe phonateur. I.2.5.2 Autres approches thérapeutiques 16 D’autres approches thérapeutiques existent : de l'hypnose à la méthode Feldenkrais en passant par la technique Alexander, l'acupuncture, la technique cognitivo-comportementale et la psychothérapie. L'étude de Mans présente les objectifs et principes de méthodes psychothérapeutiques d'influence psychanalytique. Il pointe le manque de critères pour une approche différenciée du trouble neurologique fonctionnelle en psychothérapie (Mans, 1993). L'approche utilisée pour les aphoniques devrait être réajustée en prenant en compte les pratiques des thérapies cognitives et comportementales (TCC) majoritairement utilisées Outre-Manche (Butcher, 1995). Depuis le DSM-V, la conception de l'aphonie psychogène ne repose plus uniquement sur des processus symboliques relevant de la psychothérapie. Sans exclure cette dernière, l'apport neurophysiologique des études récentes en neuro-imagerie a orienté l'évolution des thérapies vers des procédés touchant précisément les fonctions motrices impliquées dans le trouble de conversion. La TMS s'inscrit parmi les outils qui prennent en compte ces processus neurologiques. I.2.5.3 Une thérapie novatrice : la TMS Les premières démarches utilisant la TMS recherchaient les bases cérébrales ou corrélats anatomiques de l’hystérie (Meyer et al., 1992) par la mesure de l’excitabilité corticale des mouvements anormaux psychogènes. Les effets de la stimulation magnétique transcranienne répétée (rTMS) à haute et à basse fréquences sont utilisés dans le cas de troubles neuropsychiatriques (thymiques, schizophrénie, hallucinations auditives, acouphènes…) ou neurologiques (maladie de Parkinson, dystonie…) et les douleurs neuropathiques chroniques. Aujourd’hui, bien qu’encore peu répandue, plusieurs milliers de patients ont déjà bénéficié d’un traitement par TMS Les hypothèses des études récentes portant sur la neurophysiologique fonctionnelle du trouble de conversion permettent de cerner plus clairement des cibles thérapeutiques que la TMS est en mesure de stimuler pour son traitement. I.2.6.2 Principe thérapeutique Cette technique électromagnétique est fondée sur le principe de Faraday voulant que tout champ électrique induise un champ magnétique de direction perpendiculaire et inversement. La TMS dispose d’une bobine de stimulation dans laquelle circule un courant électrique produisant un champ magnétique perpendiculaire, qui, à son tour, induit un courant électrique au niveau du cortex superficiel. Ses effets peuvent être excitateurs ou inhibiteurs, même si les mécanismes sont en réalité bien plus complexes. La stimulation TMS est très focale : elle intervient sur une surface de 2 à 3 cm2. L’intensité des courants de TMS est ainsi bien moindre que ceux utilisés en électro17 convulsivo-thérapie (ECT). Les circuits neuronaux peuvent être visés précisément par la conduction de stimulation électrique à basse fréquence (1Hz) ou à haute fréquence (15Hz) vers une zone corticale motrice ou prémotrice. Chaque séance de TMS comporte un protocole de 2000 pulses (ou stimulations magnétiques). La TMS effectue une action directe sur les circuits neuronaux par neuromodulation, c’est-à-dire en rétablissant un potentiel d’action suffisant pour déclencher l’exécution de la commande centrale (préparatoire ou motrice). Le trajet neural n’étant plus entravé par des circuits inhibiteurs, les chances que la commande du geste soit menée à bien sont augmentées. Pour entraîner l’exécution effective d’un geste, on cible la région du cortex moteur (ou homonculus de Penfield). Pour renforcer la préparation et l’intention du geste le thérapeute préférera stimuler le cortex pré-moteur. « Schéma du cortex sensori-moteur Source ; Travail personnel par Pancrat sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cortex_sensorimoteur1.jpg#/media/File:Cortex_sensorimoteur1.jpg I.2.6.3 Variabilité des effets de la TMS La parole, au travers de processus neurophysiologiques complexes, est un rampart car elle permet de contrôler la relation à autrui, mais elle comporte une faille ; en effet, le véhicule de cette parole – la voix - peut trahir à tout instant nos sentiments, nos émotions, « (…) Elle laisse échapper l'essentiel [...] derrière le discours présenté, le caché, derrière le dit, le non-dit ». Au sein des troubles de conversion, l'aphonie psychogène est sans doute la manifestation où l'empreinte du facteur émotionnel est la plus marquée (Castarède, 1991). Nous nous intéresserons au cas clinique de M.C qui a été décrit dans l’article de Victoire Paillard dans le cadre d’une étude en psychiatrie. Ce patient présentait une parésie du membre inférieur, une hémiparésie et qui fut suivie d’une aphonie totale. Traité dans le service de psychiatrie de St- 18 Antoine, une série de séances de TMS a été prescrite pour la prise en charge de son trouble de conversion. Sur le plan moteur, chaque séance comprenait 2000 pulses d’électrostimulation de l’homonculus controlatéral. Pour la motricité du bras, quatre séances de stimulations de dix minutes ont été effectuées. Pour l’aphonie, sept séances de 20-30 minutes à basse fréquence ont été nécessaires. On note ainsi que la durée des séances et des effets ont été contrastés en fonction des tris symptômes que présentait le patient. En effet, tandis que l’aphonie et l’hémiparésie du membre supérieur ont cédé au traitement, la parésie du membre inférieur est demeurée intacte. (Paillard, 2014) « Quel poids par ailleurs accorder aux motivations psychodynamiques de cette affection ? (…) Considérer et objectiver le symptôme du patient, en respectant la temporalité imposée par la psychopathologie et de probables enjeux préconscients, semble fondamental pour aller vers la guérison. Dans ce contexte, des études contrôlées seraient utiles pour évaluer plus spécifiquement la part d’efficacité propre à la TMS dans le traitement du trouble conversif. » (Schuster, 2008) Loin d’être une technique thérapeutique miracle - la TMS peut permettre de relancer l’impulsion d’un geste recouvré ou d’une intention de geste recouvrée, mais les résultats sont toujours dépendants du bénéfice que trouvera le patient à sa guérison. La rTMS pourrait être conjuguée à une approche orthophonique et neuropsychologique pour prendre en charge dans un cadre pluridisciplinaire l'aphonie psychogène. I.3 Entrelacs de la physiologie phonatoire et des enjeux de la communication I.3.1 Innervation de la phonation La phonation est « l'association des mouvements respiratoires adaptés à la parole, des vibrations des cordes vocales et de la modulation de la voix dans les résonateurs du conduit vocal entraînant la production des sons du langage articulé » (Brin et al., 2011). D’un point de vue neurophysiologique, elle est le fruit d'une collaboration entre les deux systèmes du cerveau que sont le système nerveux central (SNC) et le système nerveux autonome (SNA). Au carrefour de la motricité volontaire et d’une gestion végétative, la phonation est innervée par les nerfs moteurs V, VII, IX, XI et XII et régis par le cortex moteur pour son articulation, et par le nerf X pneumogastrique procédant d’un fonctionnement neurovégétatif parasympathique pour sa motricité laryngée (Grabski, 2012). La phonation requiert enfin une synchronisation très précise entre processus pneumophonique et motricité laryngée qui a un fonctionnement automatique qu’il est possible de réguler volontairement. 19 Le nerf X recouvre aussi les fonctions assurées par l'activité cardiaque, pulmonaire, gastrique qui veillant à l’homéostasie, c’est-à-dire à l’équilibre complexe entre fonctions et besoins du corps. Comme toutes les fonctions régies par le SNA, la commande motrice laryngée se réalise par l'intermédiaire d’un neurotransmetteur hormonal cholinergique qui, dans le cadre de la motricité laryngée, va permettre la contraction du muscle des cordes vocales selon une longueur, un galbe et une durée donnée en fonction de l’émission sonore produite et de sa nécessité vitale. Le SNC commande quant à lui les mouvements volontaires de la phonation par des échanges électro-biochimiques via des trajets axonaux appelés faisceaux. Depuis le cortex moteur, deux faisceaux spécifiques se dirigent vers les effecteurs musculaires de la phonation. Ils se terminent soit au niveau du bulbe (faisceau cortico-nucléaire) - c’est la commande des muscles du larynx, des lèvres, langue, joues, voile et pharynx via les nerfs crâniens VII, IX, XI et XII, soit au niveau de la moelle épinière (faisceau cortico-spinal ou voie pyramidale) : le trajet court commande alors les muscles axiaux dont ceux du thorax qui participent à la gestion du souffle. I.3.2 La voix : émission laryngée et soufflerie La voix naît d'une expiration sonorisée appelée « souffle phonatoire » qui diffère par ses durées inspiratoire et expiratoire du « souffle respiratoire ». La phonation trouve sa dynamique dans la pression transglottique (au niveau des plis vocaux) : l'air contenu dans les bronches des poumons remonte dans la trachée jusqu'à la partie inférieure de la glotte grâce au jeu des muscles expirateurs. Il est modulé selon les tensions exercées par les muscles intrinsèques du larynx essentiellement interaryténoïdiens et crico-aryténoïdiens. La glotte peut être alors fortement fermée ou fermée avec compression médiane, en adduction. Si les muscles cités précédemment sont relâchés, il n'y a pas de rapprochement des plis vocaux : la glotte est alors plus ouverte, ce qui crée la possibilité d'émissions de consonnes sourdes. S'il y a contraction des muscles crico-aryténoïdiens latéraux, le pivot des aryténoïdes provoque l'écartement complet des cordes vocales : la glotte est grande ouverte en position respiratoire. Pour l’émission des sons vocaliques ou pour les consonnes sonores, les cordes doivent être resserrées mollement, permettant une ample vibration ou voisement qui, par une succession de plusieurs cycles d'ouverture/fermeture crée l’onde sonore. Les articulateurs tels que les lèvres, la langue, le voile du palais, le pharynx et dont les mouvements vont dans un second temps moduler cette onde. La voix est donc « un son créé par un émetteur capable de produire un déséquilibre de pression et qui se propage dans l'air avant d'être capté par un récepteur capable d'interpréter ces variations de pression » (Calais-Germain, 2013). 20 Or ce son qu’est la voix est aussi le véhicule d’un autre type d’information, cette fois non-langagier, dont l’interlocuteur tiendra compte pour interpréter le message de son interlocuteur, que ce dernier le désire ou non. I.3.3 Enjeux de la communication interpersonnelle : contrôle et trahison De la voix à la parole il existe un continuum : l’origine de la parole est le vagissement. Emettre un son, un énoncé a pour fonction de remplir l'espace au-devant de soi afin de toucher autrui. Dès qu'elle est entendue à la naissance « la voix est prise dans une relation de communication, elle devient audible par [...] une oreille sensible à ses vibrations [...] pour décrypter le sens du message » (Trottmann, 2000). Plus tard, la voix est étroitement liée à la personnalité. Se fondant sur une physiologie phonatoire commune à tout être humain mais aussi sur des différences anatomiques, la voix constitue l'unicité de l'individu. Véritable empreinte acoustique de la réalité psychologique du locuteur, elle est aussi le vecteur principal de la communication transmettant la pensée à travers les mots - faisant converger enveloppe phonologique et signifié sur le flux des variations de pression d’air exercées entre milieux intérieur et extérieur. La parole dépend de particularités anatomiques individuelles, mais aussi de l’histoire du sujet, du message à transmettre et du contexte intersubjectif de la communication. Tout ceci condense une charge émotionnelle se traduisant par une régulation neurophysiologique qui va induire des variations acoustiques au niveau laryngé. (Le Huche & Allali, 2010) Nous verrons que le réseau nerveux complexe de la fonction de parole au niveau cortical est le reflet de cette production langagière, volontaire, transportant à son insu des émotions parfois inconscientes. Ce sont les aires du langage qui s'activent pour définir le message verbal et procéder à la commande volontaire vers les effecteurs de la motricité phono-articulatoire gérés par le SNC. Mais l’expression émotionnelle est sous l'influence d’un système distinct (le SNA) qui, associé au cerveau limbique, constituent les porte-parole des émotions. Dans la situation intersubjective de la communication, l’enjeu est de taille quand l’émotion - exprimée par un changement vocal, des modifications respiratoires accompagnées d’un rougissement, d’une attitude posturale, de mimiques - va à l’encontre du sens du message énoncé et risque de dévoiler le locuteur en danger autour d’enjeux personnels cachés ou inconscients. Il y a alors divergence entre l’expression émotionnelle et l’expression choisie des mots, alors qu’elles sont toutes deux transmises par le même vecteur qu’est la voix. La voix est alors le terrain de conflit entre contour intonatif – variations maîtrisées de durée, de hauteur, d’intensité au service du sens – et variations subtiles des mêmes paramètres vocaux au 21 service d’une émotion pouvant submerger le locuteur et dont la communication à l’interlocuteur relève d’un fonctionnement plutôt non-verbal. Nous verrons plus loin que l’ensemble des réactions dites « viscérales » s’intriquent avec les actions motrices conscientes grâce à un réseau dense de cellules enveloppant le tronc cérébral, appelé formation réticulée. La voix, utilisée comme média dans le cadre d’une situation orale de communication comporte donc un risque du fait de sa fonction ambiguë; la parole transmet toujours un état subjectif, en fonction d’un contexte donné : avec une intention consciente ou avec la non-conscience d'informer ou d'alerter… I.3.3 Conséquence sur la Parole : Le bénéfice du symptôme La phonation peut être donc intrinsèquement périlleuse pour le sujet. Par l’ « avoix », il peut parvenir à éviter inconsciemment une situation intersubjective qui lui semble insoluble et où il ne veut pas communiquer son état émotionnel : « la voix de l'homme parlant résulte d'abord de la manière dont elle prend place dans son intimité » avant celle qu’il doit prendre en société (Amy de la Bretèque, 2004). La conversion aphonique apporterait-elle alors comme bénéfice secondaire l’occasion de s’extirper de certaines situations de communication ? Ce bénéfice expliquerait-il également la présence d’une « belle indifférence » que l’on retrouve fréquemment chez le patient conversif ? Les patients sont alors peu expressifs, semblant peu concernés par la nature ou les conséquences des symptômes. Notons cependant que ce phénomène n’est pas relevé comme marqueur spécifique du trouble de conversion d’après le DSM-V. Pour F. Le Huche également, la conversion est en lien avec l'émotion que la voix la traduit. Cette angoisse de la voix « déplacée », mal adaptée aux circonstances, peut entraîner une disparition involontaire de celle-ci. Et l'appréhension d'être guéri, de reprendre une vie normale et d’apparaître comme un simulateur une fois guéri peut expliquer, selon lui, la présence parfois persistante du phénomène de conversion. L’ « avoix » pourrait ainsi désigner les productions paralinguistiques du patient aphonique ou dysphonique psychogène, dont le geste vocal semble inconsciemment réorganisé « pour que l'aphonie parle à l'autre de sa souffrance psychologique (Osta, 2001). En ce sens, le docteur Monfrais-Pfauwadel l'interprète comme une marque de détresse et de refus face à une situation insupportable qui réduit l'espace voué à la communication. L’aphonique « oblige l’interlocuteur à l'intimité en lui imposant son espace vocal. Il n'est pas dans la parole perdue [bien au contraire, il] se met dans une cage de silence qui rend l'impasse relationnelle criante » (Monfrais-Pfauwadel, 1981). En détruisant le lien intime entre phonation et perception, le patient aphonique annihile la 22 communication pour apparaître comme malade voire souffrant grâce à cette voix qui tisse des relations inconscientes avec le représenté et notamment ici, avec l’état de santé. II L’approche neurologique fonctionnelle : vers un diagnostic positif de la conversion hystérique La récente définition du DSM-V du trouble de conversion convie à poser un regard renouvelé sur le diagnostic d’aphonie psychogène. Au-delà du diagnostic effectué traditionnellement et procédant par exclusion de toute étiologie organique, s’augure la perspective d’une démarche diagnostique positive des pathologies psychogènes. Ceci est rendu possible par la définition et la reconnaissance de marqueurs spécifiques du phénomène conversif dans lesquelles l’IRMf et le PET scan ont joué un rôle décisif. En 2002, le docteur Stéphane Mouchabac se demandait dans quelle mesure « les conditions environnementales, les conflits, le stress et autres traumatismes ne pourraient pas modifier l’activité cérébrale au point de provoquer un trouble pseudo-neurologique » aboutissant à l’inhibition du geste moteur (Stéphane Mouchabac, 2007). Les récentes recherches confirment bien que malgré l’absence de lésion structurelle, l’origine centrale du trouble conversif ne peut plus être exclue. Pour mieux comprendre ce que ces études ont relevé au moyen d’explorations en neuro-imagerie fonctionnelle, il nous faut comprendre synthétiquement le fonctionnement du geste moteur volontaire en termes neurophysiologiques. II.1 Neurophysiologie du mouvement volontaire II.1.1 La boucle sensori-motrice : de l’intention d’agir au déclenchement moteur II.1.1.1 Le cortex sensori-moteur Tout mouvement provient d’une source mentale interne, qu’il soit issu ou non d’un processus décisionnel. Le mouvement volontaire est pourvu d’intentionnalité. Il est causé par un projet de réponse à un stimulus extérieur et s’oppose aux mouvements réflexes ou stéréotypés. Il est donc en interaction avec l'environnement (Roy, 1997). La production du mouvement volontaire se fait en plusieurs étapes : dans la phase de planification du mouvement, les stratégies sont élaborées en vue du but à atteindre. Puis la phase de programmation organise les schèmes moteurs en en définissant les paramètres. Enfin, le 23 mouvement est initié pour être réalisé : l’influx nerveux plonge par la voie cortico-spinale et atteint les muscles. Le réseau de la motricité volontaire relie directement le cortex moteur primaire (M1) aux motoneurones somatiques des nerfs crâniens et rachidiens. Une grande majorité des tâches motrices sont des mouvements d’ouverture-fermeture. Le M1 est le maître d’œuvre de l'exécution du mouvement. Chaque partie du corps y est représentée en proportion de sa finesse de mouvement pour interagir avec l’environnement. La main, le visage y sont représentés largement, tandis que les jambes y occupent une moindre place. Représentation somatotopique des régions motrices périphériques au sein du cortex moteur (M1) et sensoriel (S1) Cette aire motrice primaire (M1) est également appelée homonculus de Penfield dont la partie latéro-inférieure constitue l’origine de la voie cortico-nucléaire (ou faisceau géniculé). Cette dernière active la musculature du cou et de la tête ; de la partie restante part la voie corticospinale (ou faisceau pyramidal), stimulatrice des muscles du tronc et des membres de l’hémicorps du côté opposé. Ce cortex moteur primaire est l’exécutant des instructions élaborées et planifiées par le cortex prémoteur, subdivisé en deux territoires : L’aire pré-motrice (APM) correspond à l’aire 6 dans la classification anatomique de Brodmann, qui précise les mouvements distaux et axiaux en termes de contrôle postural. l'aire motrice supplémentaire (AMS–aire 6bis) qui intervient dans l’initiation et la planification de séquences motrices complexes et où se situeraient les neurones miroirs. 24 Source : http://icm-institute.org/actualites/comprendre-le-cerveau-et-son-fonctionnement II.1.1.2 Projections radiales et tangentielles depuis le cortex moteur En regard de M1, se trouve l’homonculus somesthésique (S1) qui concentre les stimuli externes sensitifs nécessaires à la commande motrice. Ces informations parviennent de façon tangentielle, c’est-à-dire parallèle à la surface du cortex depuis le cortex pariétal ou associatif dont la fonction est la collecte les signaux visuels et informations somato-sensorielles (cf. flèche rose du schéma). Le cortex pariétal a donc pour fonction de sélectionner les informations sensorielles selon leur utilité pour le mouvement à produire et de les traduire en informations spatiales, pour faire coïncider chartes motrices et informations sensorielles proprioceptives et contextuelles. Dans une direction radiale, c’est-à-dire sur l’axe centrepériphérie (cf. flèche rouge du schéma), ces deux aires sont en interaction avec d'autres structures nerveuses telles que le cortex cingulaire antérieure (CCA), sorte de réceptacle intermédiaire des informations mnésiques et A : B/C D: Niveau cortical (cortex préfrontal et pariétal) : Niveau sous-cortical (thalamus sur lequel sont branchées trois structures: le noyau lenticulaire, les noyaux sous-thalamiques dont la substance noire et le cervelet). Niveau du tronc cérébral (équilibre, précision motrice, intégration sensorielle et proprioceptive) émotionnelles issues des ganglions de la base ou noyaux gris centraux et du cervelet. L’objectif est la synchronisation et/ou la régulation du mouvement. 25 Le trajet du circuit moteur, associant action et perception et correspondant à la cognition « froide » (raisonnement, planification, abstraction) se projette vers des structures profondes gouvernant l’aspect émotionnel et motivationnel de nos comportements. II.1.1.3 Rôle du thalamus Le thalamus constitue un relais de transmission entre projections sous-corticales et corticales. Il envoie au cortex les données motrices des ganglions de la base, les données sensorielles (toucher, douleur, position du corps), mais aussi celles issues de la mémoire émotionnelle (plaisir ou déplaisir), stockée dans l’amygdale cérébrale. Ces projections vers le cortex moteur passent par le CCA - qui fait l’interface entre émotion et action. Le trajet neuronal continue vers le cortex orbitofrontal (COF) qui évalue l’engagement ou l’inhibition requise, en tenant compte de l’environnement et de l’équilibre neurophysiologique de l’individu. Selon S. Mouchabac, le CCA et le COF pourraient avoir des rôles importants dans le phénomène de conversion. II.1.1.4 Circuits de rétroaction du mouvement On distingue deux voies fonctionnelles (appelées aussi boucles ou circuits) qui, en retour vers le cortex, vont avoir un effet inhibiteur ou activateur du centre thalamique, le rendant donc actif ou non afin de focaliser les informations en bout de chaîne vers l’AMS qui initie le mouvement programmé. Il s’agit d’une part, de la boucle cortico-striato-pallido-thalamo-corticale, qui régule la programmation de mouvements adaptés et performants, les mémorise et les réactive en cas de situation analogue pour activer les mêmes stratégies d’action. Le striatum reçoit les afférences issues de toutes les aires associatives : du cortex préfrontal, siège de la programmation du mouvement, du cortex pariétal (praxique) et et du cortex temporo-visuel (gnosique). Les schèmes moteurs sont alors soumis aux effets modulateurs du pallidum et de la substance noire qui forment un couple antagoniste. Enfin cette modulation se répercute sur les motoneurones par l'intermédiaire de la substance réticulée - qui intègre aussi les réponses neurovégétatives du SNA. Enfin les informations reviennent au cortex prémoteur après avoir été relayées le centre thalamique dont la structure reflète l’ensemble de l’encéphale. D’autre part, la boucle cortico-ponto-cerebello-thalamo-corticale régule l’exécution temporelle des mouvements volontaires complexes en optimisant la performance de synchronisation des gestes fins. 26 Source : « DA-loops in PD ». Sous licence CC BY 2.5 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:DA-loops_in_PD.jpg#/media/File:DA-loops_in_PD.jpg II.1.2 Le cortex préfrontal de supervision sous contrôle du système limbique II.1.2.1 La boucle cognitive et exécutive Le CPFDL est relié au CCA qui enveloppe le corps calleux et qui recueille les informations de valence émotionnelle (récompense ou pénalité), informe par rétroaction des nécessaires mises à jour, des besoins de flexibilité en fonction du contexte, des récompenses attendues et effectue le contrôle exécutif de l’action. Il est la cible privilégiée de la dopamine. Source : http://www.sommeil-paradoxal.com/livre3-page/07-suppression_dialogue.html Le CCA et le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) constituent avec le COF un système de contrôle exécutif et émotionnel de l’action (Rothé, 2010). Le CPFDL a un rôle de prise de décision et d’exploitation au sein de la boucle de contrôle cognitif, notamment en termes de mémoire de travail, de théorie de l’esprit, de planification et d’évaluation des réponses comportementales (Mouchabac, 2007). Il représente les buts à atteindre, les règles à respecter et maintient les critères de traitement. Son activation peut être modulée par des besoins d’exploration, des paramètres motivationnels et l’incertitude du résultat. Le COF, quant à lui, fait le lien entre stimulus et 27 récompense. Il est souvent considéré comme faisant partie du système limbique au même titre que le CCA. II.1.2.2 Rôle du système limbique et des ganglions de la base Le système limbique est composé d’un groupe complexe d’aires corticales et de noyaux souscorticaux : l'hippocampe, pour les fonctions mnésiques, l'amygdale, pour l’émotion, le cortex cingulaire, en tant qu’interface avec les aires cognitives supérieures, et l'hypothalamus, glande endocrine. Concentrant par le biais de faisceaux d’association un nombre importants d’informations, il constitue le cerveau émotionnel ou affectif. Le système des NGC est constitué du striatum (comprenant le noyau caudé et le putamen), du pallidum, du noyau sous thalamique et de la substance noire, compacte et réticulée. D’un point de vue fonctionnel, ils facilitent et précisent le mouvement, le contrôlent en termes d’amplitude et débarrassent le geste de ses parasitages involontaires. Les mouvements simples sont gérés par le putamen, les mouvements complexes par le noyau caudé. Les NGC sélectionnent également les informations émotionnelles pertinentes en relation au stimulus externe et participent à la boucle de régulation cognitive des intentions motrices en termes d’allocation attentionnelle dédiée à la sélection et la préparation des séquences motrices. Système sous-corticale et thalamus Source : Pancrat - Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cp_coronale_ssthal3.jpg#/media/File:Cp_coronale_ssthal3.jpg En cas de baisse de l’activité de ces circuits, on observe un déficit fonctionnel des circuits moteurs qui se traduit par des comportements volontaires anormaux. Dans les troubles conversifs psychogènes, c’est au contraire leur activation atypique qui va provoquer une inhibition du mouvement volontaire. II.1.2.3 Rôle de l’amygdale cérébrale dans la réactivité émotionnelle Face à un événement stressant, l’émotion est une fonction adaptative. Elle influence la pensée et l’action, notamment pour former des stratégies dans l’interaction sociale (Greenspan, 2014). Les 28 émotions sont des « réactions valencées aux événements, aux agents ou aux objets. » (Ortony, 1990). L’amygdale cérébrale constitue la mémoire émotionnelle de nos expériences : elle enregistre la valence des souvenirs et, lors d’une nouvelle expérience vécue, réactive l’expérience similaire encodée et son programme d’action (chartes motrice et cognitive). Si la valence de l’expérience est pénalisante, le projet de réponse à l’environnement peut être modifié voire révisé. Du point de vue fonctionnel, l’émotion est un processus impliquant la subjectivité, la cognition, l’expression nonverbale et l’action. Si ces informations émotionnelles menacent l’équilibre du sujet, l’inhibition sous-corticale peut abaisser l’influx nerveux et réprimer le déclenchement de l’action comme c‘est le cas dans la conversion (Scherer, 2005). II.1.3 Particularités neurophysiologiques de la phonation II.1.3.1 Voies centrales La parole est la résultante d’un ensemble complexe de projections dans plusieurs régions cérébrales qui s'activent conjointement pour permettre la création de la pensée en concept, puis en représentations phonologiques, engendrant enfin l'organisation et la réalisation motrice phonatoire. La parole implique ainsi le cerveau tout entier. De la représentation de langage à la production de parole, c’est l’hémisphère dominant qui s’active via l'aire de Broca dans la préparation du geste, alors que pour la réalisation motrice - impliquant les aires motrices - les deux hémisphères sont en jeu car la dynamique musculaire est symétrique, simultanée et synchrone. La motricité de la parole est reliée à l'innervation sensorielle tant dans la phase d'élaboration que dans son contrôle musculaire. Deux types de feedback participent à la production de parole : le feedback auditif : selon Hickok, les aires temporales auditives, primaires et associatives (dont celle de Wernicke) participent activement à la production de parole en utilisant la même « représentation auditive » des mots qu'en perception (Hickok, 2001). Cette boucle audiophonatoire est donc activée pendant la production de parole car elle permet d’une part d’effectuer un contrôle de la tonicité de la vibration laryngée, d’autre part de réguler l'activité respiratoire pendant la phonation notamment en termes de puissance de souffle expiré. Le feedback proprioceptif : l'innervation sensitive du larynx, de la musculature orofaciale et des poumons sont impliquées dans la boucle de rétroaction du mouvement phonatoire (Scott & Ringel, 1971). De nombreux territoires corticaux sont donc impliqués, tels que l'aire auditive de Wernicke (perception et production), le planum temporal (discrimination sonore), l'insula (planification des mouvements articulatoires), l'aire motrice (réalisation laryngée) mais aussi les territoires sous29 corticaux tels que ceux de la mémoire ou de la substance noire dans son prolongement en réseau appelée également formation réticulée. II.1.3.2 Rôle de la formation réticulée dans la phonation Prolongement neural de la substance noire compacte, La formation réticulée (FR) est une structure du tronc cérébral siège comme relai anatomique entre SNA et SNC. Elle se déploie en réseau interstitiel dense de neurones et noyaux disposés comme un filet le long du tronc cérébral. https://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/valatx/pourlascience_98/print.php Au croisement des systèmes nerveux central et périphériques (ascendant, descendant et végétatif), elle intervient notamment dans la régulation des fonctions vitales, dans les activités motrices réflexes mais aussi dans certaines fonctions cognitives comme l'attention. Pour la parole, elle assure la conjonction périlleuse entre motricité volontaire - issue du SNC - et expression émotionnelle émanant du SNA pour une précision temporelle et spatiale en termes d’articulation et une coordination pneumo-phonatoire la plus ajustée possible (Barraud, 2003). Sa fonction est donc cruciale : elle régule le geste phonatoire de la parole qui, rappelons-le, allie voix et articulation. Lors de la production de parole, tout influx nerveux émanant du cortex primaire doit faire d’abord étape par la FR afin d'atteindre les motoneurones qui ordonnent la contraction des muscles laryngés via les nerfs crâniens (Jürgens, 2002). Son taux d'activité est corrélé à la fréquence des vibrations laryngées. La FR intègre aussi des informations proprioceptives via des influx afférents laryngés, pulmonaires et oraux pour modifier l'activité motrice par l'intermédiaire des motoneurones phonatoires (Grabski, 2012). Elle participe ainsi : au contrôle des mouvements complexe de la parole par une gestion proactive du tonus musculaire, conjointement aux systèmes limbiques et corticaux (boucle de rétroaction) aux fonctions végétatives pneumophoniques via les noyaux parasympathiques du SNA vers les nerfs VII, X et XI. 30 La FR est donc au coeur des trois fonctions du larynx (phonation, respiration et déglutition) et permet une meilleure adaptation posturale dans l’ensemble des gestes oropharyngiens. Elle joue aussi un rôle dans les expressions du visage, support d’informations volontaires destinées à maitriser la communication avec son interlocuteur mais qui recèlent aussi d’informations infraverbales, émotionnelles et non-contrôlées, à l’instar de la voix. II.2 Approche neuropsychologique du trouble psychogène Les études en neuro-imagerie confirment l’implication critique du réseau d’interaction des aires cérébrales impliquées dans la motivation et la conscience de soi sous l’action du COF, du CCA et du CPFDL. Comme nous l’avons vu, ces structures sont elles-mêmes influencées par des structures sous-corticales telles que les NGC, le thalamus en relation en retour vers les cortex sensorimoteurs (Vuilleurmier, 2008). II.2.1 Neuro-imagerie et processus conversif : vers un diagnostic positif En 2014, S. Mouchabac explique la démarche en neuro-imagerie en précisant qu’on « ne pose pas la question du pourquoi c’est arrivé, mais du comment cela se passe au niveau cérébral [afin de] contribuer au diagnostic en permettant une caractérisation positive, d’améliorer l’évaluation pronostique […] et guider la thérapeutique et le développement de nouveaux traitements » (Mouchabac, 2007). Ces recherches ne s’opposent donc pas aux hypothèses psychodynamiques, mais au contraire leur apporte un étayage par la mise en évidence de processus neurologiques. Le développement de la neuro-imagerie fonctionnelle permet aujourd’hui d’explorer par les sciences cognitives les activités psychologiques les plus complexes sous l’angle de marqueurs physiologiques. Une fonction cognitive est décrite en tant que séquences temporelles d’activités neuronales distribuées en réseau dont les techniques en neuro-imagerie enregistrent les variations locales électromagnétiques en IRMf ou de débit sanguin cérébral en PET scan. La première étude en neuro-imagerie portant sur l’hystérie de conversion émane du travail d’une équipe finlandaise en 1995. L’étude portait sur une patiente présentant des troubles moteurs et paresthésiques sans origine neurologique lésionnelle. Tiihonen et al. ont relevé un changement d’activité du cortex somato-sensoriel dans l’hémisphère controlatéral, notamment une baisse de l’activation pariétale au profit d’une suractivation équivalente au niveau frontal (Tiihonen & al., 1995). Ces travaux princeps ont contribué au prolongement des recherches sur les origines cognitives (attentionnelle, émotionnelle et volitionnelle) de l’inhibition conversive. II.2.1.1 Une intention d’agir préservée 31 Grâce au PET scan, Marshall et al. ont observé, chez une patiente conversive hémiplégique avec paresthésie, une activation normale du CPFDL et du cervelet pour la préparation du mouvement, tandis qu’en lieu et place de la réalisation motrice – normalement activée par le cortex frontal moteur et pré-moteur (AMS et homonculus) - le CCA et le COF se sont activés pour inhiber l’exécution du mouvement. Ceci porte à la conclusion que l’intention de mouvement est présente mais que la boucle de rétroaction limbique est intervenue par une inhibition active du mouvement au cours de la boucle de rétroaction régulant la motricité avec l’émotion, mais aussi la cognition (Marshall, Halligan, Fink, Wade, & Frackowiak, 1997). II.2.1.2 Un recrutement attentionnel nécessaire à la conversion motrice Cette intentionnalité de mouvement préservée a été confirmée par Cojan par une exploration de l’activité cérébrale en IRMf lors d’une tâche de go/no-go réalisée par un patient conversif. Les activations cérébrales ont été comparées entre le membre sain et l’autre membre paralysé ; mais alors que l’activité dédiée à l’inhibition du geste dans le cortex préfrontal, était bien présente du côté sain, elle était absente du côté du membre paralysé. Ces auteurs ont donc évoqué que d’autres mécanismes pouvaient être en jeu, différents de ceux impliqués dans l’inhibition volontaire classique du geste (Cojan & al., 2009). C’est l’exploration « des régions associées avec les représentations de soi et la régulation des émotions » qui furent ensuite explorées plus avant. II.2.2 Une interaction dynamique de mécanismes neurocognitifs « S’il existe des indices que les fonctions directement motrices ne sont pas les seules impliquées dans la physiopathologie des troubles moteurs psychogènes, la caractérisation des autres fonctions et aires cérébrales en jeu n’en est qu’au stade des hypothèses. » (Mouchabac et Salvador « imagerie de la conversion hystérique » 2014 (sous presse). Dans le cadre de cette étude, nous nous intéresserons plus particulièrement aux hypothèses sur lesquelles s’appuie l’équipe du service de psychiatrie de l’Hôpital St Antoine à Paris pour le traitement symptomatique de l’aphonie psychogène. La pratique de la TMS, permet au patient de recouvrer son geste dans bien des cas. Cette démarche thérapeutique est étayée par des hypothèses explorées et validées sur des échantillons de petite taille portant sur l’engagement des processus émotionnels et attentionnels dans l’inhibition motrice, d’une part, mais aussi la perturbation du système agentivité et par conséquent le déficit de mise à jour des croyances. Il est en effet question de comprendre comment l’esprit, par son traitement cognitif, prend le contrôle des manifestations du corps. Les principaux processus neurobiologiques associés à l’hystérie de conversion comprennent des processus de filtre attentionnel (méconnaissance), de 32 dissociation fonctionnelle (perte d’agentivité) mais font référence aussi à une compréhension phylogénétique des réactions face à l’environnement. II.2.2.1 Conversion et émotion Devant des images de visages effrayés, heureux ou neutres, il est possible de mesurer la spécificité de l’activité corticale impliquée dans les émotions chez ces patients. On note alors une connectivité importante entre amygdale cérébrale vers l’aire motrice supplémentaire témoignant d’une réactivité limbique modulant la préparation du mouvement. Un contexte chargé émotionnellement peut baisser l’activité du système volontaire en détournant notamment son contrôle exécutif exercé par le cortex préfrontal (Voon, Brezing, Gallea, & Hallett, 2011). En 2001, Vuilleurmier consacre une étude comparant en SPECT le débit sanguin des activations sous-corticales de six sujets conversifs en période per-critique (T1) et après rémission (T2). Ces patients étaient donc eux-mêmes leur propre population contrôle. Une activité inférieure en T1 est constatée dans le thalamus, le putamen, le pallidum et le noyau caudé : le potentiel d’action (ou influx nerveux) sortant du thalamus par rétroaction est insuffisant pour dépasser le seuil d’excitabilité neuronal sans lequel le trajet du message nerveux jusqu’à la génération du mouvement volontaire ne peut être assuré. Cette hypoactivation disparaissait en T2. Cette étude donne donc « des arguments pour un dysfonctionnement des boucles striato-thalamo-corticales dans la conversion. » (Vuilleurmier et al., 2001). Rappelons que leur fonction normale est la régulation et production de mouvements adaptés et performants. Puisque NGC intègrent les informations émotionnelles et déterminent l’allocation des ressources attentionnelles correspondantes, il est envisagé qu’une situation de détresse puisse provoquer une conversion par la rétroaction des boucles de régulation sous-corticales et le court-circuitage du CFPDL et du M1 lors du passage par le CCA qui fait l’interface entre émotion et action. II.2.2.2 Conversion, attention et conscience Les théories attentionnelles des trente dernières années proposent qu’une sélectivité attentionnelle vis-à-vis des stimuli internes ou externes serait en cause, empêchant l’accès aux aires corticales exécutives associées au processus conscient cognitif, tandis que des processus inconscients prendraient le relai à des niveaux sous-corticaux.. Les plus récentes données psychobiologiques interrogent le concept de conversion depuis les points de vue biologique, psychodynamique mais également dans son rapport à l’environnement et sont indissociables de la notion de conscience. On comprend aujourd’hui que « le traitement de 33 l’information sensorielle et motrice peut être modulé, voire inhibé par des mécanismes cognitifs et attentionnels » (S. Mouchabac & Ferreri, 2010). La conscience peut être décrite comme un ensemble cohérent de processus tels que la mémoire, l’attention, la perception, l’intentionnalité : en ce sens, la conscience fait partie de la cognition car elle traite bien de l’information. Ces différentes entités fonctionnelles interagissent en réseau hiérarchisé en cohésion. La perte de cette cohésion aboutit à un « état modifié de conscience » tel que le sommeil, la méditation, la transe, l’hypnose, les lapsus, une distorsion de la perception du temps, de l’espace, de la logique, un détachement de soi… Ce que Freud appelait « une action de l’inconscient » pourrait être envisagé aujourd’hui comme le fait d’une exclusion du champ de conscience afin de lutter contre un processus en mesure de corrompre le système. Stéphane Mouchabac pose l’hypothèse en 2007 de la conversion en tant qu’un « état modifié de conscience » : en effet, le trouble de conversion interroge sur la notion de conscience du trouble. Bien que ne faisant pas partie des symptômes permettant de poser le diagnostic, il est fréquent de constater que le sujet aphonique conversif adopte une attitude distanciée vis-à-vis de son trouble, une « belle indifférence » que d’aucun ont rapproché de la négligence attentionnelle mais dont les mécanismes de méconnaissance, plus globaux, semblent procéder plus avantageusement des modélisations de la conscience et de la représentation de soi. « La perception consciente d’un événement nécessite que la représentation mentale de cet événement soit connectée avec la représentation de soi comme agent de l’action ou sujet de l’expérience » (Schuster, Mouchabac, Le Strat, & Limosin, 2011). Cette représentation d’agentivité - liée au geste moteur - dépend de la correspondance et de la réactualisation permanente des informations spatio-temporelles encodées en mémoire épisodique (hippocampe) qui sont mises en lien avec les perceptions passées et les projections de l’avenir (amygdale cérébrale). Les phénomènes de méconnaissance seraient la conséquence d’une défaillance de la synthèse de ces informations conduisant à la perturbation du continuum agent/action. Pour programmer une action, l’attention est nécessaire afin de recueillir les informations de l’environnement, les relier à la conscience de soi et aux perceptions proprioceptives et enfin synchroniser les schèmes complexes d’actions en vue d’une réponse adaptée. « Le fait [même] de maintenir un symptôme conversif actif implique l’utilisation de ressources attentionnelles importantes » (Spence, Crimslick, Cope, Ron, & Grasby, 2000). Or, on sait que les ressources attentionnelles ne sont pas inépuisables. On a pu relever qu’un distracteur attentionnel pouvait affaiblir l’inhibition motrice et aider à la levée du symptôme conversif, en orientant la mobilisation attentionnelle vers un autre but exigeant. 34 Edwards et al. exposent les aspects neurocognitifs sur lesquels les nouvelles recherches ont fait des avancées : on parle aujourd’hui d’un focus attentionnel particulier engendrant une méconnaissance (une non-prise en compte d’informations) ; on parle aussi d’un système de croyances aux attentes non réactualisées du fait d’un déficit du système d’agentivité (Edwards, Fotopoulou, &a Parees, 2013). Ainsi la théorie attentionnelle de l’hystérie est de plus en plus validée avec l’hypothèse d’un « filtrage sélectif de certaines informations sensorielles ou motrices (…) créant une dissociation entre performance inconsciente et analyse consciente » (Stéphane Mouchabac, 2007). Ainsi, il y aurait échec de la représentation ou de l’intégration de certaines informations motrices au sein de la conscience, ou bien elles seraient encodées d’une façon anormale ou incomplète, produisant des informations erronées (Brown, 2004). II.2.2.3 Menace, dissociation et conscience : un fusible évolutionniste ? Un événement psychique menaçant l’équilibre d’un sujet induit des mécanismes de sauvegarde psychologique et neurophysiologique qui peuvent être responsables de la déconnexion partielle du circuit normal de réponse au stress. Dans le cas du stress post-traumatique (situation de guerre etc…) par exemple, dont la réaction physiologique est corrélée dans le temps avec l’événement traumatique, le court-circuitage de l’amygdale peut être un moyen de s’extraire des réactions de survoltage émotionnel pour échapper à la situation psychiquement intenable, provoquant une dissociation et une forme d’anesthésie émotionnelle. Kanaan pointe que dans la conversion, les événements source de stress pouvant déclencher des symptômes de conversion non seulement augmente l’activation des régions péri-hippocampiques (comprenant l’amygdale, le COF notamment), mais concourraient de plus à une diminution de l’activation du cortex moteur controlatéral au symptôme, malgré l’absence de mouvement requis par la situation en cours (Kanaan, 2007). Cela signifie que le mouvement inhibé perdure même en l'absence de la cause de stress. La fonction du trouble psychogène est envisagée comme une forme d’auto-gestion face à une situation insoluble dans le temps, ayant une action sur la conscience à un haut niveau du système exécutif et impliquant les structures corticales, frontale et cingulaire (Oakley, 1999). Il existe chez l’homme, comme chez nombres d’autres espèces vivantes, une fonction de défense s’appuyant sur le leurre en réponse à un stimulus externe risquant de rompre l’équilibre neurophysiologique interne de l’individu, « un système de réponse au stress extrême modulé au niveau limbique et qui mimerait un handicap (boiter, chanceler, crises épileptoïdes ou cécité psychique) » (Perry, Pollard, Blaicley, Baker, & Vigilante, 1995). On notera que beaucoup d’animaux ont recours à des comportements d’arrêts (les faisant passer pour morts ou invisibles) que l’étude éthologique de Demaret avait d’ores et déjà rapprochée des états d’hypnose (Demaret, 1979). 35 II.2.2.4 Représentation de soi, monitorage de soi et agentivité Une prédisposition à la dissociation est relevée depuis les tout premiers travaux portant sur l’hystérie. Elle s’exprime pas des états de conscience altérée, des troubles de la mémoire, de la concentration, de l’attention, un sentiment de dépersonnalisation ou d’étrangeté par rapport à soimême. Ainsi ces symptômes sont vécus par le patient comme involontaires, bien qu’activés sur les projections de la motricité volontaire. L’agentivité est l’expérience par laquelle l’individu se reconnaît comme l’initiateur de ses propres actions. Le corrélat neuro-anatomique de ce système est le lobe pariétal inférieur droit dont la fonction est de rapprocher et comparer les informations sensitives reçues de l’extérieur et celles des conséquences de l’action prévues en interne. Ce processus serait à l’origine de la représentation d’agentivité, d’intention et de contrôle volontaire (en pensée comme en actes) impliquant un territoire d’intégration multi-sensorielle se trouvant à la jonction des lobes temporal et pariétal (jonction temporo-pariétale). Cette dernière joue une fonction essentielle dans la représentation de soi. Dans l'étude de Voon, pour relever l’activité cérébrale des patients conversifs, il leur a été demandé de mimer intentionnellement avec leur bras sain le mouvement convulsif involontaire de leur bras conversif. Les chercheurs ont ainsi pu comparer l’activité de la jonction temporo-pariétale pour les mouvements droit et gauche. D’après cette étude, l’absence d’agentivité - donc la nonreconnaissance de soi en tant que personne relié à l’événement ou au mouvement qui nous concerne - serait due à un projet d’action au niveau du cortex moteur dépourvu de feedback sensitif et entraînerait une réduction de la connectivité au niveau de la jonction entre lobe temporal et pariétal impliquée dans la prise d’information (Voon et al., 2010). Cette jonction temporo-pariétale étant hypoactivée en direction des cortex sensori-moteurs et des régions limbiques elle aurait donc un rôle déterminant dans la conversion. Faut-il considérer censidère ce processus comme dysfonctionnel ? II.2.3 Une nouvelle approche du trouble neurologique fonctionnel de la voix ? Ces nouvelles pistes neurophysiologiques nous permettent de mesurer la profonde intrication des faisceaux neuronaux cognitifs, attentionnels, d’agentivité en lien à la motricité du geste conversif. Les répercussions de cette complexité ne sont pas sans retentir sur la vie des patients aphoniques, dont le projet de guérison est d’ores et déjà complexe. Leur parcours de soin, souvent méandreux peut finir par une simple rémission, quand d’autres resteront sans voix et dans le repli social pendant des mois ou des années. La crainte d’une récidive, la chance d’une rencontre, d’une 36 alliance clinique, d’une psychothérapie ou d’une approche thérapeutique adaptées : le destin de l’aphonique psychogène est encore sujet à trop d’incertitude. Le caractère insaisissable de l'aphonie psychogène - pathologie phoniatrique - issue du faisceau des phénomènes de conversion - troubles psychiatriques - nous a conduit à nous intéresser à ce sujet : comment un individu peut-il perdre sa voix, ne plus émettre de sons sans qu'il n'y ait de lésions neurologiques ? 37 PARTIE PRATIQUE I. Genèse d'une rencontre pluridisciplinaire Rencontré au cours de nos pérégrinations sur internet, l’article « Conversion hystérique et imagerie fonctionnelle » du Docteur Stéphane Mouchabac, neuropsychiatre, répondait à nos interrogations concernant les atypies cérébrales lors de troubles conversifs moteurs. Cette publication scientifique a nourri notre questionnement quant au devenir de la prise en charge spécifique de l'aphonie. Avec notre maître de mémoire, le phoniatre Gérard Chevaillier, nous avons cherché à faire la connaissance du docteur Stéphane Mouchabac pour savoir s'il était également confronté dans sa pratique à des aphonies psychogènes. Le psychiatre de l'hôpital Saint-Antoine nous a conforté dans le fait que, se situant au carrefour de nombreuses disciplines médicales (neurologie, phoniatrie, psychiatrie), cette pathologie comporte, outre ses enjeux intrinsèques - un autre défi : celui de fédérer des connaissances issues de différents champs des sciences médicales afin de travailler en pluridisciplinarité, pour le bénéfice du patient. Intéressé par nos connaissances, le Docteur Mouchabac voulait depuis quelques années collaborer avec des orthophonistes pour consolider le protocole utilisé en TMS. Ce dernier, encore empirique, se montrait déjà quasiment systématiquement efficace. Pourtant, le psychiatre voulait l'asseoir sur des bases orthophoniques, phoniatriques et neuropsychologiques encore plus précises pour optimiser la rémission des patients aphoniques. Compte-tenu de notre formation neuropsychologique et cognitive d’une part, et des connaissances anatomo-fonctionnelles dont nous disposons quant aux dynamiques laryngée et pneumophonique d’autre part, l’orthophonie est un champ de savoir-ressource pour le praticien de la TMS dans le cadre de l’aphonie psychogène. 38 II. Problématique et hypothèses A partir des conclusions d’études en imagerie neurofonctionnelle, le Docteur Stéphane Mouchabac rééduque par la rTMS les troubles moteurs de conversion. D'une part, il relance l’initiation motrice et son intention et rétablit ainsi l’agentivité du patient. D'autre part, par des tâches distractrices de mobilisation attentionnelle, il renforce la levée du symptôme. On se demande donc si en proposant ce protocole à un aphonique de conversion, on obtiendrait les mêmes résultats que chez les hémiplégiques de conversion. De cette problématique, deux hypothèses découlent naturellement : 1- Le rétablissement de l’agentivité via la TMS permet au patient aphonique de retrouver petit à petit le contrôle de son geste phonatoire qui devient plus efficace par effet de "rémanence". 2- La distraction attentionnelle permet d'augmenter l'effet du traitement. Pour cette étude, nous avons adopté une démarche abductive par ajustements progressifs à la réalité clinique. III Présentation de l'étude de cas III.1 Choix du type d'étude Du fait de la faible prévalence de la pathologie étudiée, nous avons choisi d'effectuer deux études de cas uniques portant sur le traitement en rTMS pendant deux semaines à raison d'une séance quotidienne de trente minutes. Notre démarche est essentiellement qualitative du fait du nombre de cas étudiés, de la subjectivité de l’émission laryngée et de la démarche empirique et expérimentale pratiquée à l'hôpital. III.2 Population Le premier cas étant celui d'une dysphonie psychogène avec une voix chuchotée en stade initial et le second étant initialement une aphonie complète. (voir ANNEXE profils détaillés des patients) 39 III.2.1 Profil du patient n°1 : F.S. ANNEXE F.S. est un patient âgé de 32 ans, de bonnes capacités mnésiques et exécutives, qui a consulté le Dr Chevaillier dans le service de phoniatrie de l’hôpital Lariboisière le 23/02/2015 pour une plainte d’aphonie. F.S. n’a pas d’antécédents psychiatriques, personnels ou familiaux connus mais nous pouvons le décrire comme présentant une personnalité prémorbide sensible au stress environnemental. Sur le plan somatique, on retrouve une atteinte virale herpétique à l’âge de 11 ans avec récidive en 2007. Après un premier mariage en 2010 qui s’est soldé par un échec, il est aujourd’hui divorcé et semble épanoui dans sa vie personnelle puisqu’il a pour projet de se marier en Inde au mois d’avril 2015. Né en France, de père indien et de mère vietnamienne, il vit chez ses parents exerçant encore une influence sur ses comportements : F.S. désigne les adultes en opposition à sa génération. De formation de technicien en dessin industriel, il exerce comme conseiller commercial après avoir gravi les échelons dans une grande surface de la région parisienne accueillant des milliers de personnes par jour. A ce titre, depuis cinq ans, il est responsable d’une équipe de caissiers sous pression et se trouve lui-même soumis à l’autorité négative de sa hiérarchie. Tout au long de la journée, il se doit d’être réactif puisqu’il est amené à réaliser de nombreuses tâches simultanément auxquelles se rajoute des appels téléphoniques permanents, ce qui, conjugué à la contagion du stress des membres de l’équipe, représente une surcharge de traitement incompressible. Cette situation a retenti sur la qualité de son sommeil avec des difficultés à l’endormissement et/ou insomnies au cours de la nuit. En 2012, il choisit de consommer des somnifères et les arrête après une amélioration du rythme nycthéméral. En 2014, des épisodes de céphalées migraineuses le rendent irritable et sont soignées par traitement homéopathique jusqu’à ce jour. C’est dans ce contexte de surmenage professionnel qui s’est accentué depuis un an, qu’il subit le 24 janvier 2015 à midi après avoir passé une matinée ordinaire, une perte de sa voix progressant sur une durée de quatre heures au cours d’un épisode infectieux ORL avec otite et mal de gorge. Il est alors aphone, sa voix étant à ce moment exclusivement chuchotée, très peu intelligible car non sonore. Son état lui permet de bénéficier d’un arrêt maladie de trois jours reconduit jusqu’à ce jour. Son généraliste le traite par antibiothérapie et corticothérapie pendant respectivement quinze jours et une semaine mais, les symptômes d’aphonie persistant après résorption de l’infection, il consulte au bout de deux semaines un ORL qui l’adresse auprès d’une orthophoniste. Cette dernière considérant l’étiologie comme neurologique, notre patient, inquiet, préfère consulter le phoniatre Docteur Chevaillier le 23/02/2015 qui diagnostique au vu de l'examen laryngé et de l'IRM une absence de lésion laryngée ou neurologique. Le médecin explique la désactivation de sa fonction 40 vocale par un trouble psychogène. Adressé à une deuxième orthophoniste, il a réalisé au jour de notre bilan trois séances avec celle-ci pendant lesquelles il a effectué de la relaxation, des exercices respiratoires, de souffle et de voisement à la paille. Par ailleurs, il consulte en psychothérapie depuis trois semaines et a pris conscience de l’impact du stress professionnel dans l’émergence de son aphonie. Cette double prise en charge semble avoir amélioré son état vocal ; cependant, il reste aujourd’hui dysphonique. Son trouble est stable au cours de la semaine et de la journée mais le patient note une fatigue laryngée à type de picotements en fin de journée. La représentation que F.S. se fait de son trouble varie selon son point de vue ou de celui de son entourage. Le symptôme est une gêne et une inquiétude importante pour sa famille dont les conseils et les remèdes agacent le patient. Quant à F.S., il évoque son aphonie avec légèreté bien qu’il le considère comme un handicap pour lequel il cherche patiemment une solution. S’il n’existe aucun antécédents familiaux de troubles conversifs ni vocaux, le terrain ORL est fragile car F.S. rapporte avoir déjà connu des épisodes de modification vocale au cours de trachéites avec timbre rauque et perte d’intensité en juin 2008, mai 2010 et janvier 2014. Notre examen clinique objective un accolement longitudinal des cordes vocales possible mais incomplet induisant une importante déperdition d’air. Il en résulte un temps maximum de phonation très réduit (8’’30 au lieu de 20’’) et un chuchotement avec voisement soufflé erratique. On note une évaluation subjective de la voix à G3R0B3A0S1. F.S. évoque qu’il a su pallier son forçage vocal primaire grâce à ses séances orthophoniques qui lui ont permis d’adopter une dynamique respiratoire abdominale efficiente, cependant assez naturelle chez lui. Malgré tout, en position debout, on note un très léger affaissement costal et un ancrage des pieds en ouverture, signant une légère antéversion du bassin. Au niveau phonatoire, on note une fluctuation de la performance de voisement selon le point d’articulation ([g], [j] et [d] favorisant la vibration) et en fonction du contexte coarticulatoire (consonne + [R], syllabes complexes de type CCV ou VCC + CCV permettant également un meilleur voisement). La présence du [R] dont le voisement s’ajuste au contexte formantique semble facilitateur. On observe une dissociation automatico-volontaire avec un voisement lors de la toux. Il est à noter que le patient a lui-même remarqué cette dissociation lors d’un incident douloureux qui lui a permis d’émettre un cri dans un moment de frayeur. Cherchant à reproduire volontairement cette expérience à l’occasion d’une chute de vélo volontaire, son émission laryngée s’est avérée impossible. De même, lors de la passation du bilan, nous avons pu observer juste après une demande de confirmation de la consigne, une émission laryngée normale lors du premier item d’une série de logatomes à répéter suivie d’une toux. Reprenant son aphonie après cette toux, nous nous interrogeons sur l’impact de la distractibilité attentionnelle due à la 41 consigne, dont nous connaissons l’effet désinhibiteur sur le phénomène de conversion, ceci nous portant à croire que les séances en TMS pourraient se révéler efficaces. III.2.2 Profil du patient n°2 : FAZ. ANNEXE B.C. est un patient marocain âgé de 37 ans qui a consulté le Dr Chevaillier dans le service de phoniatrie de l’hôpital Lariboisière en avril 2012 pour une plainte initiale de dysphonie. De langue maternelle arabe, il est parfaitement bilingue depuis son enfance, quoiqu'il est à noter l'existence d'une certaine dyssyntaxie dans les écrits par lesquels il communique en début d'expérimentation sans que l'on sache si celle-ci est antérieure aux troubles décrits. Notre patient est enseignant pour enfants et adultes ainsi que formateur par e-learning. Si son aphonie a eu pour conséquence immédiate l'arrêt de l'exercice de son professorat, il continue a minima d'être formateur pour adulte avec qui il correspond par écrit via internet. Habitant au Maroc chez sa mère et célibataire, B.C. semble être soumis à un stress environnemental quotidien du fait de ses responsabilités familiales suite à la maladie de son père. La mort récente de ce dernier n'a fait que renforcer les responsabilités qui lui sont attribuées. B.C. avait déjà connu un épisode d'extinction vocale un matin de novembre 2011 : la voix était alors réapparue progressivement mais deux mois plus tard, une aphonie plus longue s'était transformée au bout de treize jours en une dysphonie "comme si deux personnes parlaient simultanément". Cette allusion du patient à la dénaturation de sa voix induit pour nous un questionnement sur une éventuelle impression de dissociation. Il n'existe pas d'autres antécédents psychiatriques ni familiaux conversifs. Le patient relate que le dernier épisode d'aphonie/dysphonie psychogène de fin mars 2012 est apparu dans un contexte de forte angoisse alors qu'il était isolé pendant trois jours par une inondation. Les médecins marocains parlaient, eux, de dysphonie chronique suite à un coup de froid glacial. Etant apparu simultanément, "la perte brutale mais progressive sur deux jours du fonctionnement des membres inférieurs du côté gauche" a entraîné des examens neurologiques qui ont mis en évidence l'absence de corrélat neurologique. AVC?Après une errance médicale, B.C. est reçu en avril 2012 par le Dr Gérard Chevaillier qui évoque le caractère psychogène de la dysphonie devant l'absence d'anomalie structurelle laryngée et neurologique. Le phoniatre constate une sonorisation possible sur les voyelles entraînant une voix spasmée aux allures de dysphonie spasmodique. Pris en charge trois mois en phoniatrie début 2014 alors que la dysphonie s'était de nouveau transformée en aphonie malgré un suivi psychanalytique, le patient parvenait à sonoriser la vibration de ses lèvres sur sollicitation sans aucune vibration laryngée. Il consulte aujourd'hui pour 42 l'aggravation de ses symptômes, l'aphonie étant devenue complète. Il s'est déplacé pour suivre les séances de TMS que propose Stéphane Mouchabac à l'hôpital St Antoine. Lors de notre bilan initial, c'est donc un patient aphonique complet mais non mutique se déplaçant au moyen d'une béquille, que nous évaluons. L'entretien est rendu difficile par une absence totale d'émission sonore à laquelle le patient semble avoir renoncé, n'utilisant qu'une gestuelle labiale avec une langue atone, basse. B.C. ne parvient pas à mobiliser volontairement l'énergie nécessaire à une articulation sonorisée sinon bruitée. Il semble comme découragé devant l'énergie qu'il imagine devoir produire pour sonoriser. A l'examen, les cordes vocales sont normales mais la fermeture est impossible et un serrage des bandes ventriculaires s'y substitue parfois surtout lors des ébauches de râclements de gorge ou de soupirs sonorisés. Sur commande, la toux est possible mais le bruitage comme celui du /p/ et du /ch/ demande de nombreuses sollicitations tandis qu'il est plus facilité en imitation mais les fricatives et occlusives voisées sont impossibles à être produites. Plus que jamais, l'aphonie complète du patient mériterait le nom "d'apraxie laryngée" car en outre, on observe une inversion du souffle phonatoire, le patient tentant d'émettre des sons pendant l'inspiration. Devant cette incoordination complète du geste phonatoire, B.C. utilise spontanément des moyens de communication alternatifs comme le support papier écrit et la synthèse vocale. Il est impossible de lui faire ressentir la respiration abdominale du fait du sentiment d'intrusion également exprimé lors de l'exploration par sonde nasofibroscopique. Un GRBAS à G3R0B0A0S2 qualifie la voix de B.C., ce qui la rend incompatible avec un usage professionnel bien qu'avec un score de 1/10 cela ne semble pas représenter un handicap pour le patient. Néanmoins ce dernier a une très forte appétence à la guérison, s'attribuant une note de 10/10. Volontaire mais placide - cette placidité n'est pas sans rappeler un des symptômes de la "belle indifférence" - nous nous interrogeons sur l'issue des séances de TMS en se demandant si elles vont aider le patient à lever ses symptômes alors que son aphonie complète s'est installée depuis des années. IV. Matériel IV.1 Protocole existant en rTMS du Docteur Mouchabac à l'hôpital Saint-Antoine Depuis quelques années, le Dr Mouchabac propose à ses patients aphoniques psychogènes une série de séances quotidiennes de TMS d'une demi-heure à l'hôpital St Antoine pendant une ou deux semaines. Lorsqu'il n'arrive pas à lever intégralement une conversion ou dans le cas d'une rechute, 43 cette série peut-être complétée quelques semaines ou mois plus tard par une deuxième série, le temps que le patient accepte inconsciemment de lâcher ses résistances. Essentiellement en basse fréquence, c'est un protocole de 2000 pulses (ou stimulation magnétiques) par séance entrecoupées de périodes sans stimulation (hors TMS) dites de "rémanence" qu'il réalise sur ses patients. Il cible généralement le cortex pré-moteur sur une zone de 2 à 3 cm2 pour induire une neuromodulation c'est-à-dire un rétablissement du potentiel d'action sur les circuits neuronaux responsables de l'intention et la préparation du geste phonatoire. En théorie, le neuropsychiatre devrait également cibler le cortex moteur controlatéral responsable de l'exécution de la commande motrice mais le larynx étant dans les profondeurs de l'homonculus de Penfield, il ne peut y avoir accès facilement. Pendant son protocole, un corpus de gestes phonatoires est à reproduire puis à produire afin d’entraîner et de réinscrire le parcours d’activation neurale attendu. Cette phase d’entraînement est appelé le pitch. Puis, des tâches plus complexes sont proposées. Celles-ci ont pour but de prendre de court l’investissement attentionnel que la conversion exerce pour produire activement l’inhibition du geste. C’est le principe de distraction attentionnelle (DA). En proposant des tâches neuropsychologiques nécessitant un contrôle exécutif, la thérapie consiste enfin à mobiliser les ressources attentionnelles du patient à d’autres fins que celles de la conversion. Le docteur Mouchabac privilégie donc toute action requérant une attention particulière afin d’augmenter les chances de levée du symptôme conversif. Le psychiatre favorise la réhabilitation cognitive de l’action via le feedback perceptif car la voie sensorielle est un chaînon manquant afférentiel dans le processus de conversion. Grâce à la boucle audio-phonatoire, le patient observe le fonctionnement de son organe, et rétablit ainsi le lien entre l’action et son résultat. Ainsi, grâce au travail des représentations visuelles, auditives et mentales, les afférences sensorielles sont reliées progressivement aux représentations de soi (activées en territoire temporo-pariétal). Ce procédé a pour fonction de consolider la restauration du système d’agentivité qui consiste à considérer soi comme initiateur du geste et permet au patient de considérer l’action motrice comme « recouvrée ». IV 2. Tâches orthophoniques conçues Le docteur Stéphane Mouchabac nous ayant demandé d'élaborer un corpus verbal et un corpus de distraction attentionnelle à faire passer en stimulation et hors stimulation. Nous sommes convenus que devaient être créés un ou plusieurs pitchs vocaux, des tâches mobilisant l'attention et faisant appel à la flexibilité ainsi que des tâches plus difficiles et plus complexes. 44 Pour la création de ces différentes tâches, nous nous sommes appuyés sur l'observation d'une séance de traitement en rTMS auprès d'une hémiplégique psychogène dont on a extrait les différentes phases temporelles et les objectifs y correspondant. Pour entraîner l'exécution motrice vocale nous avons élaboré des tâches favorisant l'émission laryngée et permettre un feedback des possibilités de la voix favorisant l'agentivité (voir annexes): Pitch de gestes pneumophoniques (technique à la paille) Pitch de sons (pitch phoniatrique) Pitch de logatomes uni- et pluri-syllabique avec phonèmes facilitateurs Tâches de répétition de mots Tâches d'évocation de mots Tâches attentionnelles à visée de distraction Tâches de répétition de phrases selon contour intonatif ou modulation des paramètres vocaux Ainsi, nous avons préparé une "boîte à outils" pouvant répondre aux besoins phoniatriques et neuropsychologiques du patient à l'instant t et bien-sûr aux objectifs de la rTMS de Stéphane Mouchabac. IV 3. Principes thérapeutiques IV.3.1 Pitchs La progressivité de la sonorisation est visée dans l'ensemble des pitchs : - Le pitch A est étayé sur une démarche phoniatrique du non voisé au voisé, de la production courte à la production prolongée avec du glottage ou non en fonction d'une ouverture des plis vocaux plus ou moins importante (Annexe Pitch A). - Le pitch B est composé de sons simples d'abord sourds puis sonores (Annexe Pitch B) . - Le pitch C tient compte d'une part de la dynamique laryngée car chaque mode articulatoire entraîne une dynamique laryngée spécifique : certaines consonnes comme les occlusives sourdes n'ont pas d'accolement alors que d'autres comme les fricatives voisées demande un accolement plus important. Pour objectiver l'impact de la configuration de la fermeture des cordes vocales sur la capacité de production laryngée, nous avons sélectionné des items entraînant une configuration ouverte des cordes vocales allant vers une configuration mollement resserrée pour la production des consonnes. Ce pitch tient compte d'autre part du nombre de syllabes toujours croissant (Annexe Pitch C). 45 Enfin le pitch D repose sur les mêmes principes que le C mais il concerne des items verbaux sémantiques (Annexe Pitch D). IV.3.2 Tâches phonologiques Les listes de logatomes à répéter ont été construites sur la base de principes phonétiques et phonologiques de coarticulation : - Phonème caméléon: le /r/ voisé ou non en fonction de son environnement est intéressant car le patient ne peut prévoir la production de son voisement (/kr/ vs /gr/). De même, au sein d'une syllabe, le /r/ est voisé à l'initiale et en final mais non voisé s'il suit une consonne sourde. - Phonèmes ambivalents : les semi-voyelles entraînent également un voisement diphtongué dont la nature est par conséquent ambiguë comme le nom qu'elles portent. - Mode articulatoire : selon le profil d'inhibition vocale du patient, ce sont soit les fricatives ou les occlusives qui seront facilitatrices - Structure syllabique : de la plus simple à la plus complexe avec notamment le /r/ qui prolonge le voisement IV.3.3 Séries de mots Nous avons constitué des listes de mots à répéter pour différents usages possibles. En tâche simple, ils sont utilisés en répétition simple ou en empan endroit. La répétition fait appel à la production verbale qui se synchronise à la réception de la parole : à ce titre, elle est une aide à la programmation motrice. Il constitue un renforcement neurocognitif. Nous avons constitué aussi une liste de questions avec proposition d'items en choix fermé pour favoriser l'évocation spontanée du patient (Annexe "question de goût") et le mettre en situation de plus en plus écologique. IV.4.5 Closure de locutions automatiques Enfin, nous proposons des closures de phrases ou de séries automatiques (proverbes, faits arithmétiques, jours de la semaine...) car on sait que les locutions et séries verbales sont acquises de façon prosodique ce qui permet une récupération automatique sans passage par une élaboration sémantique. 46 IV.4.6 Tâches complexes Toute tâche complexe, outre l'inhibition/focalisation qu'elles requièrent, doit favoriser chez le patient le recours à une attention soutenue pour une efficacité thérapeutique, c'est-à-dire un traitement mobilisant l'attention pendant une durée supérieure à deux minutes. IV.4.6.1 Modalité visuelle dans les consignes de double tâche Nous disposons d'une possibilité de complexification de la tâche de closure en y ajoutant une tâche visuo-attentionnelle de type barrage, labyrinthe, code, go/no go avec difficulté croissante selon des critères visuels (type d'exploration, longueur de l'empan visuel, proximité visuelle des éléments), des critères de nature et de forme des éléments à traiter (familiarité, image ou mots, contraste, forme et couleur, complexité graphique) et des critères de type de traitement (sélectionner, décompter, copier). (Annexe tableau de progressivité et un exemple de barrage) Le matériel fait ainsi appel à un traitement en double tâche puisque le patient doit réaliser simultanément la tâche visuelle de distraction non routinière et la tâche verbale telles que les closures de série automatiques, facilitatrices de l'émission vocale IV.4.6.2 Tâches verbales mobilisant l'attention La série de mots est le support à des consignes de type empan envers, recherche d'intrus, classement alphabétique, acronymes. IV.6.3. Entraînement à la modulation des paramètres vocaux Entraîné dans un premier temps sur des sons, le patient sera invité à moduler d'abord en fonction d'un paramètre vocal (hauteur, intensité, durée) puis en fonction d'une intention émotionnelle (joie, peur, surprise, colère, tristesse). IV.4.7. Matériel de contrôle visuel Le docteur Chevaillier fournit un nasofibroscope portatif permettant, le cas échéant, de renforcer le feedback auditif par une entrée visuelle. Le matériel que nous avions constitué permettait d'être une sorte de "valise", de stock d'exercices, qui tenait compte de principes thérapeutiques et dans laquelle on allait piocher en fonction des observations cliniques face au patient. Cette notion d'ajustement et d'adaptabilité semble particulièrement primordial du fait du polymophisme de l'aphonie psychogène . De par le caractère instable et non régulier, le patient ne pourrait anticiper les réponses et ainsi inhiber le contrôle conversif par inhibition active. 47 V. Procédure de recueil des données Les données sont recueillies grâce à une écoute subjective des productions vocales effectuée par deux évaluateurs. Pour ce faire, nous avons conçu des grilles d'évaluation sur le principe analogique de cinq colonnes progressant de gauche à droite : Colonne 1 : émission sans vibration avec émission de souffle seul (voisement chuchoté). Colonne 2 : émission avec vibration laryngée intermittente et erratique sur l'item. Voix et chuchotement sont autant présents sur l'item produit. (voisement instable) Colonne 3 : émission avec vibration laryngée continue et stable sur l'item avec forte déperdition d'air (voisement stable très soufflé). Colonne 4 : émission avec meilleur accolement des plis vocaux produisant une pression laryngée (Voisement plus puissant peu soufflé). Colonne 5 : émission avec accolement ample assurant une pression laryngée permettant d'obtenir une voix timbrée avec disparition de la fuite d'air. (Voisement timbré) Cette grille nous permet ainsi de quantifier en cochant la colonne correspondante pour chaque item la proportion de chaque qualité vocale au sein d'une même tâche et au sein d'une même séance. Ces données, une fois moyennées, ont été converties en pourcentage pour obtenir des valeurs quantitatives comparables et stables quels que soient le nombre d'items présentés dans une même tâche ou séance. Recueil des performances des deux patients Progression de la phonation par séance de FS Lors de la prise en charge pluridisciplinaire en rTMS de ce patient dysphonique, nous avons pu faire une évaluation de chaque item produit par écoute subjective. Les valeurs chiffrées en pourcentage représentant la proportion de chaque qualité de voix relevées par séance sera la base de notre analyse de l’intérêt de la rTMS (effet de rémanence) et des tâches complexes (effet de distraction attentionnelle). 48 Séance 1 : Premiers voisements. L’instabilité vibratoire domine avec une forte déperdition d’air et encore 30% d’items non-voisées. Séance 2 : Le voisement stable se renforce et deviennent majoritaires. Disparition des non-voisés. Les voisés stables comportent une déperdition d’air très audible. Séance 3 : Légère baisse qualitative des productions cependant toujours voisées Quelques nonvoisés. Un léger retour de l’instabilité du voisement, toutefois bien plus stable. Séance 4 : La proportion de voisements aléatoires et stables est la même, mais avec l’apparition d’items plus puissants en voix moins soufflée qui témoigne d’un meilleur rapprochement cordal. Séance 5 : Meilleure pression laryngée donnant accès à la voix timbrée pour la moitié des items. Encore ¼ d’items instablement voisés. Séance 6 : Volonté de contrôle pneumophonique par une gestion consciente du souffle abdominal. Presque tous les items sont vocalisés timbrés, malgré un accolement encore perfectible. Séance 7 : Pour la dernière séance de traitement , on note une légère baisse de la qualité vocale mais ¾ de voisements timbrés et seulement 3 items soufflés. La dysphonie du patient rendait audible les mécanismes possiblement en échec (en terme de souffle, vibration laryngée et motricité articulatoire). Nous avons adapté les consignes afin d'atteindre progressivement la régularité de la vibration laryngée et l'augmentation de la puissance du voisement. Nous objectivons trois dynamiques d'évolution successives une stabilisation de voisement puis des performances vocales hétérogène et enfin une agentivité et reprise de l'intention de contrôle dur le geste moteur. Evolution inter-séance de la dynamique du souffle Initialement, la coordination entre inspiration et expiration dans le souffle phonatoire est bonne avec un souffle ample thoracique et abdominal. Bien que non confondu avec le souffle respiratoire, se maintient à un temps minimum de phonation équivalent à 8 secondes en début et fin de rééducation . Evolution inter-séance de la vibration laryngée La vibration reste instable et intermittente sur l'item produit jusqu'à la séance 4 mais permet déjà d'obtenir une pression laryngée pour augmenter l'intensité vocale (voisement plus puissant). En 49 séance 5, le patient est capable de voiser complètement presque la totalité des items et dans le même temps, timbre la majorité des items produits. Evolution inter-séance de la motricité articulatoire Le patient ne présente aucune difficulté de motricité articulatoire. Progression de la phonation par séance de Faz Devant le peu de productions possibles lors du traitement du patient aphonique, nous avons choisi de conduire une observation plus qualitative, notamment sur l’évolution du patient en termes de gestion du souffle, de la vibration laryngée, de la motricité articulatoire. Nous avons compris plus finement avec ce patient l’intérêt d’observer également son comportement lors des échanges verbaux que nous proposions. Séance 1 : Toux facilitatrice de l'ébauche de voisement. Séance 2 : Rétablissement du souffle phonatoire Séance 3 : Rétablissement d'un souffle phonatoire plus modulé (allongement du temps en fricatives) Séance 4 : Apparition d'une vibration laryngée intermittente en fin de glottage Séance 5 : Premières émissions sonores plus fréquentes et reproductibles Séance 6: Restauration de l’utilité du souffle pour transmettre un énoncé à l’interlocuteur. Rétablissement du bruitage lors d'émissions signifiantes (mots). Variation de la dynamique expiratoire en souffle projeté Séance 7 : Apparition d'un voisement intermittent lors du prolongement de fricatives sonores. Séance 8 : Premières automatisations de l’expiration lors de la phonation mais difficulté de gestion du souffle lors de la segmentation de la phrase Séance 9 : Stratégies conscientes de reprise d’air sur soupirs pour éviter l’inversion du souffle. Compte tenu de l’absence totale de gestes phonatoires en termes de souffle, vibration laryngée et de l’imprécision articulatoire du patient communiquant uniquement en début de traitement par une communication alternative, nous avons dû adapter nos propositions de consignes à la naissance infime de chaque mécanisme jusqu’alors absents. Evolution inter-séance de la dynamique du souffle Le patient est initialement incapable de coordonner toute ébauche de commande verbale sur l'expiration. Il présentait comme une apraxie du souffle phonatoire. Nous proposons un travail 50 respiratoire, des exercices à la paille et des variations de durée de souffle. Les essais de parole se font à la fois sur une phase expiratoire puis inspiratoire sans discontinuer. Le patient ne respecte pas les pauses du discours. Il semble avoir oublié la différence entre souffle phonatoire et respiratoire. En séance 2, l’expiration phonatoire est produite dans le bon sens sur commande et peut être modulée grâce à la résistance à la paille et les fricatives en séance 3. A partir de la séance 4, le souffle phonatoire est maintenu permettant l’ébauche de variation de durée. C’est en séance 6 que l’opposition entre les deux souffles devient plus clair pour le patient. Nous pouvons donc désormais proposer des phrases forçant le patient à constater son défaut de reprise d’air pendant les pauses. Puis à partir de la séance 7, nous nous sommes rendus compte que le patient présentait une réelle dissociation entre le système phonatoire et le système respiratoire. Sur sollicitation, faz émet une phrase sur l'expiration sans la segmenter. A bout de souffle, il continue à l'articuler en inspirant. C'est comme si le patient était sur un mode respiratoire - végétatif - pendant la phonation et non sur un souffle expiratoire phonatoire - sous contrôle volontaire automatisé. C'est comme si SNC et SNA étaient dissociés physiologiquement (le SNA gèrant la respiration et le SNC gèrant l'articulation) et qu'il n'y avait plus de conjonction entre les deux. En séance 9, le patient trouve une stratégie consciente de reprise d’air par le soupir. Evolution inter-séance de la vibration laryngée Nous avons proposé des glottages, des toux plus ou moins allongées, des hemmage et râclements conjoints à des phonèmes facilitateurs tels que /m/ et /i/. Par la suite, nous sommes passés à des syllabes simples avec fricatives avec variation de durée, des glissandos ou oppositions sourdes/sonores sur des dynamiques continues ou projetées puis sur des syllabes complexes. Enfin, nous avons abordé les occlusives en syllabes complexes. Initialement, seules des ébauches de vibration lors de la toux et des hemmages étaient perceptibles. A la séance 4, nous avons obtenu des vibrations plus récurrentes lors des glottages et c’est en séance 5 que les premiers voisements sur syllabes sont produits. Néanmoins, les progrès sont maigres et concernent surtout les items sur consigne d’augmentation de puissance. Les progrès sont nuls dès que le patient se retrouve en situation de communication écologique du fait d’une désynchronisation complète entre fermeture des cordes vocales et souffle phonatoire. Evolution inter-séance de la motricité articulatoire L’articulation a été tout d’abord travaillée lors des exercices cités dans le paragraphe précédent (syllabes simples puis complexes contenant le son /r/, fricatives puis occlusives) puis avec des mots. Les phrases ont été abordées en proposant des suites de syllabes complexes formant des phrases 51 signifiantes. C’est alors que nous avons compris l’absence de représentation de la structure segmentale de la phrase chez le patient. Pourvu de simples mouvements bucco-mandibulaires, le patient était initialement très peu intelligible sur lecture labiale. La langue atone ne pouvait pouvait produire un chenal fricatif efficace. En séance 2 et 3, le patient a pu retrouver un schème moteur fricatif efficient pour produire du bruit et des voyelles plus précises. Les représentations des consonnes postérieurs tels que le /r/, le /k/ restent absentes. En séance 6, avec le retour d’une tonicité expiratoire, les bruitages articulatoires sont plus audibles et des occlusives plus brèves peuvent être produites en syllabe complexe. Nous procédons alors en séance 8 et 9 à l’entraînement des lettres de l’alphabet et d’items plurisyllabiques. Nous notons une désynchronisation entre articulation et segmentation syllabique avec /voisin/ produit [vwaz]. Effet de rémanence II.1 Effet de rémanence à partir des performances de FS Les données chiffrées vont nous aider à extraire certaines tendances et à décrire dans un premier temps comment la rTMS améliore la qualité vocale au cours du traitement et dans un deuxième temps comment le patient profite de cette stimulation quand il n’est pas stimulé (période « horsTMS »). Ce maintien des effets obtenus quand le patient n’est pas stimulé par la rTMS s’appelle « l’effet de rémanence ». II.1.1 Analyse de l’évolution de la qualité vocale pendant le traitement Chez ce patient dysphonique, la progression de la qualité vocale se manifeste surtout par l'évolution des mécanismes de pression laryngée et de contrôle du souffle qui, une fois conjugués, aboutissent à la voix timbrée. Pour cela, nous avons rassemblés les données quantitatives dont nous disposions pour exprimer cette progression inter-séance dans les deux tableaux suivants : chuchoté instable stable soufflé 6,5 32,5 54 + puissant timbré 15 85 21 78 S4 19 31 49 1 S5 3 19 30 48 S6 21 24 55 S7 26 47 27 S1 S2 S3 1 Tableau 1 : Proportions des items produits par type de qualité de voisement en TMS 52 chuchoté instable stable soufflé S1 28 34 38 S2 4 36 60 S3 3 40 57 S4 38 44 18 S5 1 23 26 50 1 99 22 75 S6 3 S7 + puissant timbré Tableau 2 : Proportions des items produits par type de qualité de voisement hors TMS Proportion inférieure au vingtième Proportion inférieure au quart Proportion inférieure à la moitié Proportion majoritaire Alors que les progrès en TMS évoluent chaque jour avec, à chaque séance, un score majoritaire dans la meilleure qualité vocale, en note que la progression hors TMS se produit en deux phases. Hors TMS, pendant la première phase (séances 2 à 4), c'est la vibration laryngée qui s’améliore. Pendant la deuxième phase, augurée en séance 3 par l’apparition de voisements plus puissants, c'est l'accord pneumophonique qui gagne en contrôle (séances 5 à 7). II.1.2 Evolution de l'effet de rémanence au cours du traitement Nous résumerons l'effet de rémanence interséances lors du tableau ci-dessous. Nous qualifierons l’effet de rémanence en fonction de son utilité thérapeutique par les termes suivants : « positif » quand les performances vocales hors TMS sont inférieures à celles en TMS « neutre » quand les performances vocales hors TMS sont équivalentes à celles en TMS « négatif » quand les performances vocales hors TMS sont supérieures à celles en TMS Effet R Séance 1 Le patient conserve de la TMS une nouvelle capacité de voisement qui demeure instable et aléatoire. 1/3 des productions reste encore chuchotées. 2 Les progrès en TMS se répercutent hors TMS dans une moindre mesure mais avec une même qualité vocale : le voisement stable s’installe. 3 Des vibrations laryngées légèrement plus instables hors TMS avec même le retour de 3% de productions chuchotées en TMS. 4 L’accumulation des séances de stimulations et l’amélioration de la qualité du voisement incitent FS à produire hors-TMS une voix plus affirmée, plus puissante après y être parvenu pour 1/2 des items en TMS. positif Séance positif Séance positif Séance positif Description de la qualité vocale après rTMS 53 Séance 5 Le patient maintient presque entièrement les performances obtenues en TMS. On note qu’il commence à initier une démarche consciente de contrôle volontaire du souffle hors TMS, dont il a constaté les effets en TMS. 6 Les performances en TMS sont désormais plus hétérogènes avec plus de déperdition d’air, alors qu’en TMS le patient se concentre fortement sur la gestion de son expiration pour obtenir - avec succès - des voisements timbrés. 7 On peut se demander quelle corrélation relie encore les performances en TMS et hors TMS, bien qu’une légère régression dans les 2 situations de production vocale soit observée. neutre Séance négatif Séance négatif II.2 Effet de rémanence à partir des performances de Faz L'effet de rémanence n'a pu être objectivé devant la subtilité des variations pneumophoniques du patient et par conséquent de l'absence de données chiffrées. Par contre, l'analyse qualitative a permis de mieux comprendre l'importance du feedback pour le constat par le patient de l'évolution de ses émissions. II.3 Feedback : restauration de l'agentivité II.3.1 Procédure de feedback pour le patient Faz Pour que le patient puisse retrouver l'agentivité de son geste phonatoire, différents types de feedback sont mis en place : - Un feedback visuel par nasofibroscopie en milieu de prise en charge pendant la rTMS afin qu'il puisse visualiser son organe vocal en fonctionnement. - La paille qui incarne un feedback à la fois visuel et auditif par la production dans l’eau de bulles d'air de tailles différentes selon l'intensité du souffle. - L’amplification de la boucle audio-phonatoire par une position de main « en téléphone » qui favorise un feedback auditif permettant au patient à tout moment l’écoute de ses émissions. - L’enregistreur audio sur Iphone permet de constater visuellement la variation de la puissance des productions à reproduire à la suite de celles du soignant. L'effet de rémanence provoquant une restauration de l'agentivité par feedback n'est pas significatif chez ce patient aphonique. Cependant le feedback a induit une concentration accrue sur la nature et la qualité de ses productions d'une part et un plus grand engagement dans la thérapie d'autre part. Malgré le peu de données analysables dont nous disposons, nous concluons que le renforcement moteur de l'émission grâce à la rTMS augmente le feedback. Nous concluons que le feedback produit des effets comportementaux en terme d'implication thérapeutique mais n'augmente pas encore les performances phonatoires du patient. 54 II.3.2 Procédure de feedback pour le patient FS Pour le patient FS, l’effet de rémanence paraît significatif lors des 4 premières séances : le patient évolue chaque jour. En séance 5, on note une neutralisation de l'effet au moment où la prise d’information sonore par le feedback audiophonatoire lui fait constater son agentivité dans l’action motrice. Le feedback par nasofibroscopie en séance 6 va s'avérer décisif dans le rétablissement de l'agentivité que nous pouvons relever à partir de l'observation de la posture corporelle du patient plus tonique. Dans la séances suivante, une nette baisse de l’effet de rémanence est relevée. II.4 Retentissement du feedback sur le rétablissement de l'agentivité II.4.1. Comportement lié au rétablissement de l'agentivité chez FS Dès le début du traitement, FS montrait un engagement manifeste dans la thérapie. Cependant, son regard n'était pas dirigé pragmatiquement vers les soignants lors de ses productions. Il restait comme placide, "indifférent". En séance 6, il remarque que sa voix a changé et qu'auparavant elle lui semblait être celle d'un "robot". Le patient devient plus expressif d'un point de vue non verbal, plus assuré dans sa communication verbale. II.4.2. Comportement lié au rétablissement de l'agentivité chez Faz Le retour de l'agentivité chez Faz est le seul progrès patent observé. Phase I : engagement dans la thérapie Dans un premier temps, nous remarquons lors d’exercice respiratoire que le patient refuse le souffle à l'unisson avec le soignant. Ceci indique bien les résistances du patient quant à la synchronisation avec autrui dans toute forme de communication. De la même façon, il refuse catégoriquement tout contact corporel (pose des mains du soignant pour faire ressentir la respiration abdominale). Jusqu'à la séance 2, à travers une posture non verbale de repli sur soi, nous avions le sentiment que notre patient Faz n'était pas réellement engagé dans sa thérapie et appréhendait son traitement (pouce caché à l'intérieur de sa main crispée). A partir de la séance 4, au gré de nos principes d'attitudes thérapeutiques, Faz commence à être participatif et moins passif. Il est dans l'acceptation qu'il peut se passer quelque chose et s'entraîne hors séance. Nous mesurons combien la guérison est un remaniement de soi qui nécessite une motivation indispensable. Phase II : engagement dans la communication En séance 6, le patient a une attitude enjouée, s'adresse avec expressivité exclamative. C'est à cette occasion qu'il nous confie qu'il a l'impression de s'entendre. Entendre un souffle synchronisé avec 55 sa parole (rétablissement d'un chuchotement efficient) représente beaucoup pour lui car c'est la redécouverte de la fonction phonatoire. Le Dr Mouchabac propose au patient de définir la distance interpersonnelle qui lui est confortable pour obtenir une communication fondée uniquement sur la modalité auditivo-verbale. Ce sera pour le patient le moment où il envisage de nouveau la communication sans support alternatif. Puis en séance 8, un tour de rôle dans la relation thérapeutique augure une meilleure pragmatique de la communication. Au travers de cette situation d'émission/réception exclusivement auditive (nous détournons le regard et tendons l'oreille), nous induisons la fonction de transmission audiophonatoire du message requise dans la communication. La répétition de phrases induit de nouveau un repli de communication du patient qui semble désirer s’exercer dans des situations de communication plus écologiques. On peut donc en conclure que l’appétence à communiquer du patient a progressé. Le regard du patient a changé en terme d'expressivité. Il est moins apathique et sa dynamique faciale moins atone. Il a maintenant une diversité de mimique (sourire...). Il est comme revenu à lui. Lors de la dernière séance, nous proposons au patient une échelle analogique évaluant les progrès lors de ces deux semaines de traitement pour lequel il donne la note de 10/10. Cela démontre que le patient n’a pas conscience de l’étendue de son trouble comme s'il n’avait plus de représentations des schèmes moteurs de la voix. Le Dr Mouchabac relativise, précisant que c'est la première des trois étapes qui vient d'être ainsi réalisée. Il félicite aussi l'effet conjoint de la rTMS sur les capacités de marche sans béquille du patient qui ont été en partie recouvrées. II.4 Conclusion sur l'effet de rémanence Tandis que nous observons chez le patient dysphonique un effet significatif de la rémanence par le biais de l'agentivité recouvrée grâce à la rTMS, nous n'observons chez le patient aphonique qu'un meilleur engagement dans le processus de traitement obtenu par l'amplification des performances par la stimulation, augmentant l'effet du feedback. Ce dernier est assurément un élément-clé de le la restauration de l’agentivité. Effet de distraction attentionnelle (DA) III.1 Effet de distractibilité attentionnelle à partir des performances de FS En comparant les qualités vocales produites par le patient lors de la réalisation de tâches simples avec d’autres tâches plus complexes, nous tenterons de comprendre comment la mobilisation de l’attention du patient améliore ou non les performances notamment sur les processus de stabilité du voisement (vibration régulière), de pression laryngée (accolement cordal) et d’équilibre pneumophonique (timbre). Notre but n’est donc pas de savoir si les tâches proposées sont réussies 56 mais si la DA aide à la levée du symptôme conversif. Ces tâches ont été proposées en TMS et hors TMS ; nous les analyserons séparément. Comme pour l’effet de rémanence, nous nous appuierons sur les proportions de chaque qualité vocale que nous avons relevées et exprimées en pourcentage. III.1.1 Evolution de l'effet de distraction attentionnelle au cours du traitement Les tableaux rendent compte de l’effet de la distraction attentionnelle par l'écart de performance entre tâche simple et complexe, exprimé par la différence de valeurs en pourcentage d'items obtenus dans chaque qualité vocale. chuchoté instable stable soufflé + puissant timbré S2 -16% +16% S3 -16% +16% S4 - 2% +7% +7% -10% -2% S5 -4% +20% -16% S6 -17% -21% +38% S7 +13% -40% +27% Tableau 3 : Analyse des écarts de performance entre tâche simple et complexe en TMS Diminution de la proportion des items produits Augmentation de la proportion = inférieure à 10% Augmentation de la proportion = entre 10% et 25 % Augmentation de la proportion = supérieure à 25% Régression de la qualité vocale Amélioration de la qualité vocale Mode binaire de représentation du geste En TMS, la DA produit un effet lors des deux premières séances (séance 2 et 3) où le rapprochement cordal semble être amélioré. L’effet de DA semble se tarir en séance 4 durant laquelle la qualité des productions fluctuent beaucoup (du chuchoté au timbré). Notons toutefois que c’est lors de cette séance que les premiers voisements timbrés vont émerger. En séance 5, le voisement est définitivement stable mais les timbrés sont en régression. Ce n’est qu’en séance 6 que l’effet de DA reprend et semble permettre l’homogénéisation des performances vocales encore assez fluctuantes (du voisement stable avec fuite d’air au voisement timbré). En séance 7, les productions du patient en DA se scindent entre productions avec déperdition d’air et performance franchement timbrée, témoignant d’un effort de ciblage dans la gestion du souffle recherché consciemment par le patient. Ce ciblage recrute chez lui de l'attention, ce qui pourrait expliquer la baisse et la scission des performances en séance 7. En effet, on peut supposer que la présence d’une représentation du schème moteur ciblé indique que l’intention d’agir ainsi que les afférences proprioceptives sont de nouveau mobilisées pour l’exécution du geste. 57 En résumé : En TMS, la DA a un effet immédiat car elle permet de gagner en qualité vocale. Cependant, l'effet n’est pas présent en coeur de traitement. On relève que les nouvelles qualités vocales sont plus fréquentes en tâche simple qu'en tâche complexe. De plus, nous notons qu'elles ne sont pas maintenues lors des tâches complexes, ce qui s'oppose aux performances obtenues hors TMS. chuchoté instable stable soufflé + puissant timbré S2 +12% -12% S3 +1% -19% +18% S4 -45% +22% +23% +12% -18% +6% -17% +17% -29% +36% S5 S6 S7 -7% Tableau IV : Analyse des écarts de performance entre tâche simple et complexe hors TMS Hors TMS, la première journée où nous proposons des taches complexes (séance 2) montre un effet négatif de la DA. Mais dès la séance suivante (séance 3) l’effet s’inverse : il permet le rapprochement des plis vocaux et donne accès à un voisement plus stable. En séance 4, le patient explore une puissance vocale intermédiaire rendue possible par la présence de la pression laryngée. Cette dernière va ensuite régresser en séance 5 au profit de l’apparition de voisements timbrés qui semblent désormais représenter pour le patient une cible à atteindre de façon systématique. La séance 6 permet de consolider en effet la maîtrise de ces émissions timbrées. En séance 7, la réduction de plus du tiers des productions manquant encore de pression laryngée est obtenue lors des tâches de DA. Dans les productions hors rTMS, on note un passage de la voix soufflée à la voix timbrée sans transition par une augmentation de puissance sans timbre. En TMS, la DA renforce les qualités vocales déjà acquises alors que hors TMS, la DA renforce la production de nouvelles qualités vocales. III.2. Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de Faz La DA n'a été proposée qu'à partir de la séance 6. Elle consistait pour le patient à répondre par exemple en arabe à des questions en français. A la séance 8, une fois l’engagement du patient établi dans le traitement, puis dans la communication, des tâches complexes ont été plus souvent proposées (alphabet et traduction, go/no go, bref, 5 mots de Dubois). Aucune levée de symptômes 58 n’a été relevée mais la concentration du patient s’est améliorée. Nous notons toutefois une amélioration de la deuxième évocation de l’alphabet endroit après une tâche de l’alphabet envers. Cette observation, marginale par rapport à ce que nous avions pu observer avec FS, ne nous donnera donc pas de renseignements sur l'effet de la DA chez ce patient. III.3 Conclusion sur l'effet de distraction attentionnelle Pour FS, en rTMS, c'est en tâche simple que les performances sur les nouvelles qualités vocales sont obtenues. Les tâches complexes associées à la rTMS - qui relance les performances motrices permettent, du fait d'une attention moindre, d'obtenir des progrès qui vont servir de base hors rTMS pour le ciblage d'une nouvelle qualité vocale. L’installation durable de nouvelles qualités vocales semble passer par ce ciblage et sous-tend la création d'une représentation mentale du schème moteur. Avec Faz, nous comprenons que les tâches de DA ne sont présentables au patient que dans la mesure où des premiers progrès dans les processus fondamentaux de l'émission vocale sont de nouveau actifs au niveau moteur. Si la tâche complexe ne permet pas de lever le symptôme, elle a l'avantage de concentrer le patient sur la relation de communication (soignant/soigné) ce qui est pour le patient aphonique "indifférent" un progrès d'ores et déjà consistant. Rappel des hypothèses L’objectif de notre étude était d’entreprendre la validation de deux hypothèses quant au traitement pluridisciplinaire de l'aphonie de conversion associant neuropsychiatrie et orthophonie. Hypothèse 1 : Le rétablissement de l’agentivité via la TMS permet au patient aphonique de retrouver petit à petit le contrôle de son geste phonatoire qui devient plus efficace par effet de "rémanence" hors rTMS. Notre première démarche fut de proposer un traitement en rTMS dont le renforcement moteur avait pour objectif d'aider le patient à constater l'intégrité de son organe et de ses fonctions. Nous avons procédé également à l'exécution de tâches hors rTMS. Les résultats sont probants : les deux patients ont changé de comportement de communication et se sont réappropriés dans des mesures différentes leur positionnement d'agent de la communication verbale. Néanmoins seule la voix de FS a été restaurée. 59 L’hypothèse que la rTMS améliore le geste phonatoire et que cette amélioration se maintient hors stimulation (effet de rémanence) est confirmée pour FS. Cependant nous devons émettre quelques réserves quant au patient aphonique dont le traitement de 9 séances n'était pas assez long pour observer une réhabilitation de la vibration laryngée : nous n'avons pu mettre en évidence que l'évolution de la soufflerie. L'efficacité de notre traitement en rTMS corrobore les résultats de l'étude de Paillard sur un patient présentant une hémiplégie et une aphonie psychogène traité par Dr Mouchabac (Paillard, 2014). D'après les études de Voon, l'agentivité recouvrée de nos deux patients serait due à la meilleure intégration sensorielle augmentant la connectivité au niveau de la jonction temporopariétale et permettant un projet d'action agentivé au niveau du cortex moteur (Voon et al. 2010). Il est donc intéressant d'envisager le traitement par rTMS pour une rééducation de dysphonie de conversion dans la mesure où celui-ci est associé à des tâches orthophoniques et neuropsychologiques ajustées à l'évolution du patient. Hypothèse 2 : La distraction attentionnelle permet d'augmenter l'effet du traitement. Les résultats ne sont probants que pour le patient dysphonique car le patient aphonique en était encore à la réhabilitation de processus subvocaux. Les différentes tâches complexes proposées à FS une fois celui-ci bien installé dans le traitement en rTMS se sont avérées moins efficaces en rTMS qu'hors rTMS, phase pendant laquelle les nouvelles qualités vocales sont nettement renforcées grâce à la DA. L’effet de la DA n’est pas immédiat hors TMS, mais il s’installe avec le temps et son effet semble se renforcer au cours du traitement ce qui démontre clairement l'effet positif de la DA. A partir des éléments théoriques dont nous disposons, nous pourrions expliquer que l'effet de la DA hors rTMS n’est pas immédiat car la difficulté induite par la tâche complexe produirait dans un premier temps une réaction inhibitrice par rétroaction. En effet, nous savons que le CPFDL allié au COF et au CCA qui régulent exécution et émotion peuvent réduire le geste voire même empêcher son déclenchement dans une perspective d'adaptation à la nouveauté. Ceci est un processus normal et non pathologique commun à chacun dans une situation difficile. Une fois le niveau de difficulté maitrisé et l’effet de surprise passé, la DA pourrait avoir un effet, qui d'ailleurs semble augmenter à mesure que le patient reprend conscience de son statut d’agent du mouvement. 60 Il semble que la DA en rTMS et hors rTMS ne relevant pas des mêmes processus, améliorent les performances de façon différentes : en TMS, la DA renforce l'installation de mécanismes déjà apparus. Hors TMS, la DA renforce l'émergence de nouvelles qualité vocales. Spence indique que pour maintenir un symptôme conversif actif l'utilisation de ressources attentionnelles est nécessaire (Spence, Crimslick, Cope, Ron & Grasby, 2000). Hors rTMS, l’inhibition sous-corticale de l’influx nerveux opéré par les boucles de rétroaction est active puisque non court-circuitée par la rTMS. La DA parvient alors à priver ces boucles de régulation souscorticales des ressources attentionnelles dont elles ont besoin. Ceci a pour effet de libérer l'inhibition et de favoriser la levée du symptôme. L'hypothèse que la distraction attentionnelle produit un effet dans la levée du symptôme est confirmée dans le cadre de la dysphonie. Il est donc intéressant d'envisager l'association du traitement en rTMS à des tâches mobilisant l'attention permet à terme et hors stimulation d'obtenir de meilleures performances vocales. La DA pourrait en ce cas constituer un outil neuropsychologique intéressant à développer pour le traitement de l’aphonie de conversion. Limites de l'étude Limites dues à la faible prévalence de l'aphonie Devant la difficulté de trouver un patient aphonique, nous avons commencé l'étude par l'analyse des productions d'un dysphonique. Nos procédures d'évaluation étaient fondées sur le recueil par écoute subjective de la qualité vocale pour chaque item produit. Quand le patient aphonique a pu se prêter au protocole, nous avons mesuré combien notre grille était inadaptée puisqu'aucun item n'était produit. Limites de la durée de notre étude Nous avons eu la chance de bénéficier d'un équipement technique exceptionnel dans l'unité de neuropsychiatrie de l'hôpital Saint Antoine pour la durée de deux semaines. Mais nous constatons que le nombre de séances que nous avons pu réaliser nous permet d'observer que les prémices d'une rémission. Nous n'avons pas pu observer l'efficacité de ce traitement à long terme avec le risque important de récidives que comporte cette pathologie. Limites due à la variabilité interindividuelle 61 Nous avons procédé à l'étude de deux cas uniques ce qui ne permet pas de généraliser nos conclusions faute de validité statistique. Nous notons que pour une étude quantitative, outre la faible prévalence, la thérapie comporte des éléments sémiologiques très variables auxquels le thérapeutes doit s'ajuster. De ce fait, il est très difficile d'établir en amont de la thérapie des corpus standardisés utilisables auprès d'une cohorte de patients. Comme la plupart des études sur la conversion, il est difficile « de conclure à un mécanisme unique et définitif du fait de l’hétérogénéïté des patients et de la petite taille des échantillons » (Mouchabac, 2007) Limites de l'écoute subjective Pour notre patient Faz, le recueil de données associé à la conduite de la thérapie, ne pouvait rendre compte par écoutes subjectives des fines variations et progressions de ses productions. Seul un enregistrement audio permettrait une analyse spectrale objective et efficace. Biais Biais de l'écoute subjective Un enregistrement audio de qualité type praat n’a pu être utilisé compte tenu de l’environnement sonore des séances en TMS : la machine produit un claquement à chaque pulse qui couvre en partie les productions des patients. De plus l’utilisation elle-même de la machine de TMS empêche l’usage de matériel électronique : on ne pouvait donc pas rapprocher de micro près du patient aphonique ou dysphonique. Par ailleurs, notre perception subjective du trait de voisement du patient dysphonique évolue au contact régulier d’écoute de ses productions vocales : ce que nous considérions comme voisé à un moment t, peut sembler partiellement voisé après habituation. Cas uniques L’étude de deux cas uniques est non signifiante d’un point de vue statistique. Cependant, elle est intéressante d’un point de vue qualitatif dans le sens où le hasard nous a fait rencontrer ces deux patients précisément, dont les symptômes conversifs sont en tout point différents, ce qui permet de mesurer la distance entre deux cas de manifestations conversives autour de la voix. Notre approche en cas unique, ne nécessitant pas de données standardisées, requiert une méthode moins rigoureuse en termes de stabilité des données qu’une approche quantitative. Cependant, nous avons noté que selon le thérapeute interlocuteur conduisant la thérapie, les interactions différaient grandement allant d'une attitude ouverte ou repliée, concentrée ou évasive... Nous pouvons 62 supposer que ce changement d'attitude a un impact sur la qualité des productions compte tenu de l'intrication des systèmes non conscients (végétatifs) et conscients (moteurs) dans la parole. L'aphonie de conversion, de par son ancrage dans la relation intersubjective, constitue en tant que telle une réelle difficulté pour une approche scientifique. CONCLUSION Cette étude, riche en enseignements, a changé notre regard sur l'aphonie et la dysphonie psychogène dont nous approuvons la classification de "trouble neurologique fonctionnel" du DSM-V. En effet, nous avons été étonnés de constater que les symptômes chez l'aphonique psychogène total, ressemblait étrangement aux symptômes moteurs que l'on peut rencontrer dans le domaine de la neuropathologie lésionnelle, tels que l'hémiplégie associée ou l'apraxie bucco-faciale qui dépasse largement le cadre des autres dysphonies dysfonctionnelles rencontrées en orthophonie. Pinto, d'ailleurs, consacre un article à la physiologie de la phonation et à ses troubles en émettant l'hypothèse d'un continuum entre dysarthrie et dysphonie (Pinto, ). On imagine la souffrance des personnes conversives considérées si souvent - et même encore aujourd'hui - comme étant des simulatrices. Malgré notre connaissance des processus impliqués, il a été en effet difficile de résister à un certains agacements face à l'apathie du patient aphonique. Face à notre réaction, nous devons construire un rôle bienveillant vis-à-vis du patient du patient aphonique psychogène. L'attitude clinique nous a paru être un des paramètres fondamentaux de la thérapie du trouble de conversion. Elle doit être très adaptable en fonction du patient, du contexte et de l’évolution du traitement pour que le patient puisse sortir de la torpeur de son trouble. Sa "belle indifférence" l'empêchant d'être dans "l'ici et le maintenant" et dans "la réalité de son symptôme", c'est au clinicien de transformer l'état passif du patient conversif. Le Docteur Mouchabac nous a éclairé sur l'importance d'expliquer au patient les mécanismes en jeu en ajustant notre discours à son champ de connaissance par l'emploi de métaphores de façon à solliciter son attention, sa compréhension et son adhésion et également à rendre le patient actif dans le traitement par le choix des exercices ou des conditions de communication qui lui sont le plus confortables. Enfin il effectue un renforcement positif régulier pour pallier à l'absence d'intégration sensorielle propre au phénomène de conversion. 63 Il s'agit donc non seulement de faire progresser le patient d’un point de vue vocal, mais aussi de retrouver un rééquilibrage de la relation de communication soignant/soigné comme lieu de d’entrainement protégé de la communication intersubjective dans une perspective future de généralisation. Enfin, plus le patient sent son symptôme considéré et pris en charge, plus il aura une "porte de sortie" honorable et meilleure sera sa guérison. Il est donc important que le traitement ait un cadre institutionnel et technique manifeste. Cependant, il doit aussi comporter un espace temporel pour des échanges informels avec le patient afin chacun puisse évaluer l’évolution du niveau de communication en situation semi-écologique. La différence sémiologique de ces deux patients et leur évolution au cours du traitement a affiné notre perception des progrès potentiels du patient conversif en termes de processus en jeu : le souffle, l'articulation, la vibration laryngée, la régularité de la vibration, la pression laryngée et l'équilibre pneumophonique. Notre étude portait initialement sur l'aphonique de conversion mais a finalement concerné un aphonique et un dysphonique. Ceci fut bénéfique car cela nous a permis de comprendre l’incidence spécifique de la durée d'installation du trouble pouvant conduire jusqu’au désinvestissement complet de la communication auditivo-verbale. Cette expérience nous convie, malgré l'abandon de la notion de « continuité personnalité-symptôme », de prendre en compte le profil psychopathologique du patient dans l'élaboration de la prise en charge. La psychothérapie et la relaxation semblent à ce titre des outils thérapeutiques très pertinents. S'adapter au patient pour une meilleure évaluation des progrès Le protocole a été très expérimental et on ne peut plus écologique : l'alternance TMS/hors TMS a été très aléatoire et dépendait des progrès effectués par le patient. Les tâches proposées ont permis d'approfondir et de percer le mystère des mécanismes spécifiques de la dynamique phonatoire du patient. Cette observation "active" est indispensable à l'orthophoniste pour mieux orienter et adapter sa prise en charge. En effet, c’est seulement en découvrant son patient que l’on peut mesurer la perspective d’évolution et par conséquent, le principe de cotation dans des colonnes de gauche à droite a l’avantage de préserver l’adaptation de l’évaluateur aux performances du patient, la colonne de gauche étant le degré 0 de l’évolution de ce dernier. 64 Intérêt de l’approche puliridsciplinaire Notre étude a permis la collaboration de deux grands spécialistes de l'aphonie psychogène : un phoniatre et un neuropsychiatre qui a été très fructueuse pour eux comme pour nous. Dans une perspective pluridisciplinaire, notre expertise orthophonique permet de s'assurer de la présence d'un souffle phonatoire coordonné, d'enrichir le traitement par des variations des paramètres vocaux (intensité, fréquence, durée...) et de complexifier les tâches attentionnelles en prenant en compte le choix de phonèmes facilitateurs et de la nature de la structure syllabique. La collaboration de plusieurs thérapeutes est donc riche mais également nécessaire pour le recueil précis par écoute subjective de l'évolution de la qualité vocale du patient, car l'approche thérapeutique repose de façon essentielle sur l'ajustement aux progrès quotidien du patient. Les phrases de fin sont à faire… 65