I Un trouble conversif de la phonation : l`aphonie

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I
Un trouble conversif de la phonation : l’aphonie psychogène
I.1
Le trouble de conversion
I.1.1
Genèse de l'hystérie
I.1.2
De l'hystérie à la conversion
I.1.3
Le caractère dissociatif/suggestible du patient conversif
I.1.4
Eclatement nosographique
1.1.4.1
1.1.4.2
De la classification freudienne aux premiers DSM
DSM-III: d'une continuité personnalité-symptôme à une continuité
environnement-symptôme
1.1.4.3
I.1.5
I.2
Du DSM-IV au DSM-V : du psychogène vers le fonctionnel
Nosographie du trouble de conversion
L’aphonie psychogène
I.2.1
Définition
I.2.2
Clinique
I.2.3
Un phénomène de conversion en lien avec l'émotion
I.2.4
Un phénomène de conversion en lien avec la personnalité
I.2.5
Thérapies actuelles
I.2.6
Une thérapie novatrice : la TMS
I.2.6.1 La stimulation magnétique transcranienne (TMS)
I.2.6.2 Principe thérapeutique
I.2.6.3 Cadre spécifique de l’aphonie psychogène de conversion
I.2.6.4 Limites de la TMS
I.3
Entrelacs de la physiologie phonatoire et des enjeux de la communication
1.3.1
Innervation de la phonation
1.3.2
La voix : émission laryngée et soufflerie
1.3.3 Enjeux de la communication interpersonnelle : contrôle et trahison
1.3.4 Conséquence sur la Parole : Le bénéfice du symptôme
1
II
L’approche neurologique fonctionnelle : vers un diagnostic positif de la
conversion hystérique
II.1
Neurophysiologie du mouvement volontaire
II.1.1 La boucle sensori-motrice : de l’intention d’agir au déclenchement moteur
II.1.1.1
Le cortex sensori-moteur
II.1.1.2
Projections radiales et tangentielles depuis le cortex moteur
II.1.1.3
Rôle du thalamus
II.1.1.4
Circuits de rétro-action du mouvement
II.1.2 Le cortex préfrontal de supervision sous contrôle du système limbique
II.1.2.1
La boucle cognitive et exécutive
II.1.2.2
Rôle du système limbique et des ganglions de la base
II.1.2.3
Rôle de l’amygdale cérébrale dans la réactivité émotionnelle
II.1.3 Particularités neurophysiologiques de la phonation
II.2
II.1.3.1
Voies centrales
II.1.3.2
Rôle de la formation réticulée dans la phonation
Approche neuropsychologique du trouble psychogène
II.2.1 Neuro-imagerie et processus conversif : vers un diagnostic positif
II.2.1.1
Une intention d’agir préservée
II.2.1.2
Un recrutement attentionnel nécessaire à la conversion motrice
II.2.2 Une interaction dynamique de mécanismes neurocognitifs
II.2.2.1
Conversion et émotion
II.2.2.2
Conversion, attention et conscience
II.2.2.3
Menace, dissociation et conscience : un fusible évolutionniste
II.2.2.4
Représentation de soi, monitorage de soi et agentivité
II.2.3 Une nouvelle approche du trouble neurologique fonctionnel de la voix ?
2
PARTIE PRATIQUE
Genèse d’une rencontre pluridisciplinaire
Problématique et hypothèses
I.
Présentation de l’étude et méthodologie
Choix du type d’étude
Population
Profil du patient n°1 : FS
Profil du patient n°2 : Faz
Matériel
Protocole existant en rTMS à l’hôpital St-Antoine
Tâches orthophoniques conçues
Principes thérapeutiques
-Pitchs
-Séries de mots
-Closures de locutions automatiques
-Tâches complexes :
.Modalité visuelle dans les consignes de double-tâche
.Taches verbales mobilisant l’attention
.Entraînement à la modulation des paramètres vocaux
.Matériel de feedback visuel
Procédures de recueil des inform ations
3
ANALYSE
Recueil des performances pendant le traitement pour chaque patient
Evolution des performances de FS
Evolution des performances de Faz
Analyse de l’effet de rémanence
Effet de rémanence à partir des performances de FS
Evolution de la qualité vocale au cours du traitement
Tableau 1 : effet de rémanence en TMS
Tableau 2 : effet de rémanence hors TMS
Effet de rémanence à partir des performances de Faz
Feedback : restauration de l’agentivité
Procédures de feedback pour le patient FS
Procédures de feedback pour le patient Faz
Retentissement du feedback sur le rétablissement de l'agentivité
Comportement lié au rétablissement de l'agentivité FS
Comportement lié au rétablissement de l'agentivité Faz
Conclusions sur l’effet de rémanence
Analyse de l’effet de distraction attentionnelle (DA)
Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de FS
Evolution de la qualité vocale au cours du traitement
Tableau 3 : effet de DA en TMS
Tableau 4 : effet de DA hors TMS
Différence d’évolution de l’effet DA en TMS et hors TMS
Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de faz
Conclusion sur l’effet de distraction attentionnelle
DISCUSSION
Rappel des hypothèses - validées ou non en lien avec des éléments de la littérature scientifique
Limites et biais
CONCLUSIO N
4
Bibliographie
Normes www.zotero.org/styles?q=APA
Annexes (non numérotées)
Glossaire des abréviations
Résumé
Mots-clés
5
6
INTRODUCTION
Décrite depuis l’Antiquité, l’aphonie psychogène reste aujourd’hui une zone d’ombre de la
médecine contemporaine tant pour le diagnostic que pour la rééducation. Dépendant de la
convergence de divers champs de la médecine comme la phoniatrie, la psychiatrie et désormais la
neurologie, ses manifestations protéiformes rendent difficile son abord scientifique et thérapeutique.
A ce jour, alors que le DSM V répertorie le trouble de conversion en tant que trouble neurologique
fonctionnel, nous n'avons trouvé aucune étude en imagerie spécifique à l'aphonie psychogène. En
revanche, des études en IRMf et PET-scan portant sur le trouble hémiplégique de conversion
abondent dans la littérature. Il nous a semblé intéressant de tenir compte de leurs apports théoriques
pour tenter de trouver un corrélat avec l’aphonie psychogène.
Le Docteur Stéphane Mouchabac, neuropsychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, s’appuie sur des
données récentes en physiopathologie afin de mettre en évidence une atypie cérébrale pouvant
expliquer l’aphonie et en utilisant la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) proposer une
démarche scientifique. Pour ce faire, il souhaite étayer son protocole d’investigation à visée
thérapeutique au moyen de connaissances orthophoniques et neuropsychologiques.
Dans un premier temps, après avoir défini l’aphonie de conversion dans sa spécificité
psychologique et neuroanatomique et compte tenu de l’atypicité fonctionnelle et motrice de cette
pathologie, nous abordons les processus neurologiques du mouvement volontaire, sa régulation
sous-corticale et ses enjeux neuropsychologiques. Dans un second temps, nous présentons
l’expérimentation menée lors des séances de TMS pour lesquelles nous avons déterminé des tâches
neuropsychologiques et orthophoniques permettant de répondre aux objectifs thérapeutiques du
Docteur Mouchabac. Le déroulement et l’analyse des performances des deux patients conversifs
sont ensuite détaillés. Nous exposons enfin les tendances que nous avons pu relever lors de cette
expérience.
Pour conclure notre travail, la discussion met en exergue les points forts de l’expérimentation ainsi
que les réserves que nous pouvons émettre au vu des résultats et des biais de la démarche.
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PARTIE THÉORIQUE
I
Un trouble conversif de la phonation : l’aphonie psychogène
I.1
Le trouble de conversion
Introduit par Freud et Breuer à la fin du XIXième siècle, le terme de Konversion évoque un concept
psychopathologique se traduisant chez le sujet par l’altération ou la perte d’une ou plusieurs
fonctions physiques et suggérant une maladie neurologique sans que le clinicien ne puisse
déterminer un substrat organique. Cette absence de support a longtemps conduit à considérer ces
patients comme présentant une personnalité psychopathologique. Mais de récentes recherches sur
les processus neurologiques conversifs ont mis en en évidence une atypie fonctionnelle du système
nerveux central (SNC).
I.1.1
Genèse de l'hystérie
Le concept de trouble de conversion trouve ses origines dans celui de l'hystérie. Dès l'Egypte
ancienne au XXième siècle avant J-C., le papyrus de Kahun attribue une étiologie à l'hystérie
qu'Hippocrate universalise en 460 avant J-C. en affirmant qu'elle serait la conséquence d'un utérus
migrant. L'étymologie (hustera=utérus en grec) est employée pour la première fois en 1763 par le
médecin Boissier qui regroupe sous le terme "hysteria" une série de diagnostics.
Si l’absence de cause organique évidente lui vaut d’être considérée comme un stigmate d’hérésie au
Moyen-âge, elle est rapportée dès le XVII ième siècle à un trouble cérébral et à une souffrance
émotionnelle. C'est au XIX ième siècle qu'elle est étudiée scientifiquement en étant l'objet d'un
conflit entre partisans des étiologies organiques et ceux des étiologies affectives. Certains dont le
médecin viennois Von Feuchtersleben lui attribuent des causes psychologiques traumatiques telles
que des contrariétés chez des personnalités sensibles. D'autres, à l'instar du psychiatre berlinois
Griesinger, envisagent l'hystérie comme une maladie du système nerveux accompagnée de troubles
psychologiques.
Sous leur influence, Charcot, à l'Ecole de la Salpêtrière, lieu où se confrontent les croyances de la
psychogénèse et de l'organogénèse, envisage la présence d’une lésion fonctionnelle neuronale non
détectable et réversible qui serait à l’origine de la symptomatologie physique. Ce célèbre
neurologue prend en compte cependant également le caractère réactionnel et émotionnel de ces
troubles en prenant conscience de la possibilité de les induire par suggestion ou hypnose.
8
I.1.2
De l'hystérie à la conversion
Elève de Charcot, Freud rejette quant à lui aussi toute perspective organique et parle de conflit
intrapsychique « converti » en un symptôme somatique (Freud, Breuer, Berman, & Breuer, 1956). Il
utilise le terme de conversion pour désigner la « transposition d'un conflit psychique et la tentative
de résolution de celui-ci dans des symptômes moteurs ou sensitifs » afin qu'une idée incompatible
avec la conscience devienne inoffensive. Comme l'affect bloqué ne peut s'exprimer normalement, il
utiliserait la voie somatique. Freud met donc en évidence l'impact d'un traumatisme mal métabolisé
qui, en laissant une trace mnésique, serait un facteur déterminant pour l'apparition de symptômes
dissociatifs inconscients et involontaires.
S'opposant également à Charcot, le neurologue Babinski affirme que l'hystérie se distingue des
causes organiques par le défaut d'organicité à travers l'absence de substrats anatomophysiologiques. En évoquant "une voie de continuité de l'hystérie à la supercherie consciente"
(pathomimie), Babinski amorce le démembrement du concept d'hystérie conforté par Freud qui
scinde la classification des troubles hystériques en distinguant ceux dus à la conversion de ceux dus
aux phénomènes de dissociation mentale.
I.1.3
Le caractère dissociatif/suggestible du patient conversif
Considérée par le psychologue et médecin Pierre Janet comme étant à la base de tous les
phénomènes hystériques, la dissociation mentale associe dépersonnalisation et déréalisation qu'il
décrit en 1909 comme « une altération des fonctions normales d’intégration de l’identité, de la
mémoire et de la conscience quand le patient vit une déconnexion entre les perceptions corporelles,
les pensées, les émotions et les souvenirs ». Avec des antécédents souvent traumatiques, les patients
dissociatifs comme conversifs ont un haut degré de suggestibilité. C'est une caractéristique
fréquente qu'observe Babinski qui introduit le terme de pithiatisme pour désigner l'impact de la
suggestibilité dans l'apparition et le traitement du trouble. Il en a résulté la naissance d'attitudes
cliniques de suggestion, simple ou armée, parfois nuisibles pour le patient étant considéré par
certains comme de « douteux simulateurs ». Récemment, le psychiatre P. Berner confirme que la
suggestibilité est une caractéristique fréquemment retrouvée chez les patients conversifs qui
revêtent ainsi facilement des symptômes observés chez les autres ou sur eux-mêmes.
I.1.4
Eclatement nosographique
1.1.4.1 De la classification freudienne aux premiers DSM
Le terme de Konversion ayant été introduit par Breuer et Freud dans le cadre de la névrose
hystérique, les classifications psychiatriques contemporaines ont vu disparaître de leur
9
nomenclature la notion d'hystérie en séparant le mécanisme conversif de son arrière-plan
émotionnel. Jusqu’en 1952, la classification freudienne distinguant l’hystérie dissociative de celle
conversive est celle adoptée dans les classifications nosologiques de la névrose. Si la CIM-10 range
au contraire le trouble de conversion dans les troubles dissociatifs, les DSM confirment la
classification de Freud en séparant réaction de conversion et réaction dissociative. Jusqu'au DSM-II,
le trouble de conversion est lié à la personnalité histrionique, trouble de la personnalité dont les
traits principaux sont la théâtralité, la quête d'attention, la labilité émotionnelle et la dépendance
affective.
I.1.4.2
DSM-III : d'une continuité personnalité-symptôme à une continuité
environnement-symptôme
Dès le DSM-III, on assiste à un éclatement de l'ancienne entité hystérique freudienne en deux axes :
le premier axe, incarné par le trouble de conversion au sein des troubles somatoformes et le
deuxième axe, incarné par la personnalité histrionique. A partir de cette version, la personnalité
histrionique n'est plus forcément associée à la conversion. Le psychiatre Brian Toone souligne en
effet que le profil psychiatrique est facultatif et n’est pas définitoire de la conversion même si des
facteurs de risque communs peuvent favoriser la survenue de symptômes de conversion et de
troubles psychiatriques associés. Dans le DSM-III, le trouble de conversion s'inscrit dans le chapitre
des troubles somatoformes de façon distincte de ceux des troubles dissociatifs, du trouble factice
(pathomimie) et de la simulation. Si la simulation est clairement intentionnelle et motivée par des
bénéfices directs, le trouble factice, bien qu'également intentionnel, s'en distingue par l'absence de
ces bénéfices directs. La conversion, elle, n'est pas motivée de façon consciente et intentionnelle
mais peut l'être de façon inconsciente entraînant des bénéfices secondaires indirects. Ces derniers
compliquent le diagnostic différentiel entre ces trois troubles. Cette classification comprend
toutefois une parenthèse « névrose hystérique de type conversif » à la terminologie « trouble de
conversion » pour rattacher toutes les manifestations neurologiques à l'hystérie. (Diagnostic and
statistical manual of mental disorders: DSM-III, 1978)
Avec le DSM-III, la symptomatologie de la conversion est articulée avec les facteurs générateurs de
stress et non plus avec la personnalité du patient. En effet, d'après Roelofs, la sévérité des
symptômes semble en relation avec les événements de vie récents. La relation temporelle entre
stress et survenue du symptôme est parfois évidente, comme dans le cas des hystéries de guerre ou
lors d'un deuil récent (Roelofs, Spinhoven, Sandijck, Moene, & Hoogduin, 2005). Le DSM-III
choisit également comme critère les bénéfices secondaires qui disparaissent ensuite dans la version
révisée du DSM-III (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-III-R, 1987).
10
I.1.4.3
Du DSM-IV au DSM-V : du psychogène vers le fonctionnel
Si le DSM-IV nécessitait de mettre en évidence le constat de la survenue ou de l'exacerbation des
symptômes dans un contexte préalable de stress ou de conflits (Diagnostic and statistical manual of
mental disorders: DSM-IV, 1994), la nouvelle classification, le DSM-V, abandonne les deux
principaux critères antérieurs de facteur psychologique et d'absence d'exagération et de simulation.
En effet, bien que cette cinquième édition concède que l'apparition peut être associée à un stress ou
à un traumatisme physique ou psychologique en étroite relation temporelle, il affirme que leur
absence n'exclut pas le trouble. De même, il est possible de ne pas discerner une éventuelle feinte.
Le concept de gain secondaire n'est pas non plus spécifique au trouble.
Pour la première fois, le concept de « conversion disorder (functional neurological symptom
disorder) » est introduit (Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-V, 2013). Au
vue des dernières recherches, le concept principal de psychogène - comme étiologie psychologique
suspectée - laisse la place au concept de fonctionnel en tant que processus atypique du système
nerveux. Les critères principaux deviennent donc l'incompatibilité des symptômes et de l'examen
neurologique avec une pathologie organique et neurologique connue associé au fait qu'aucune
pathologie ne peut expliquer le symptôme. En effet, souvent variable dans le temps, le trouble
n'obéit jamais aux lois de systématisation du système nerveux car la topographie de la
symptomatologie repose plus sur les représentations mentales que se fait le patient sur sa maladie.
Les critères du DSM-V entendent par symptôme une ou plusieurs altérations de la motricité
volontaire et/ou de la fonction sensorielle qui causent une souffrance cliniquement significative ou
bien une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants
ou justifiant une évaluation médicale. Alors que dans le DSM-IV-TR, il est demandé uniquement de
spécifier le trouble selon le type de symptômes ou déficits, le DSM-V prend en compte la
spécification des éléments de durée des symptômes et de présence ou non d'un stress
psychologique, qui sont à ce jour les deux facteurs pronostiques les plus importants.
I.1.5
Nosographie du trouble de conversion
De 2 à 5 cas persistants pour 100 000 par an, avec une prédominance dans les milieux socioculturels faibles, le trouble est de 2 à 3 fois plus fréquent chez la femme. Il peut coexister des
manifestations hystériques et des affections neurologiques, ces dernières fournissant un modèle
symptomatique aux manifestations de conversion ou prédisposant à leur survenue par un
mécanisme mal élucidé. Enfin, il peut avoir une comorbidité avec des troubles psychiatriques tels
que les troubles de la personnalité et dissociatifs, les troubles thymiques, et les psychoses.
11
Transitoires, récidivants ou chroniques, les troubles revêtent souvent des apparences neurologiques
(paralysies, anesthésies, ataxie, troubles de la marche, pertes de conscience, mouvements anormaux,
crises épileptiformes, cécité, aphonie…).
Selon le DSM-V, les facteurs de bon pronostic sont surtout la courte durée des symptômes ainsi que
la récence et l'acceptation du diagnostic. M. Sharpe. soulignent l'importance de l'acceptation de la
réversibilité des symptômes et celle de l'existence éventuelle de facteurs psychologiques pour un
bon pronostic (Sharpe et al., 2010). D'après M. Sharpe et al., le pronostic sera d'autant plus mauvais
qu'il existe une réaction colérique à l'annonce d'absence d'organicité et que l'annonce du diagnostic
est retardée. La présence d'une pathologie organique associée mais aussi la réception de prestation
d'invalidité pourraient ancrer le trouble. Selon P. McKenzie, le sexe masculin est également un bon
pronostic alors que l'existence d'un terrain anxio-dépressif est de moins bon pronostic (McKenzie,
Oto, Russell, Pelosi, & Duncan, 2010). Dans 50% des cas, les symptômes sont durables.
Par l’évolution de ses classifications, le DSM raconte l’évolution du concept d’hystérie. Les
théories freudiennes de l'hystérie, de la personnalité hystérique, du symbolisme du symptôme, et
des bénéfices secondaires ont laissé place, dans le DSM-V, au terme de « trouble neurologique
fonctionnel ». En effet, de récentes études ont montré qu'il existe des atypies neurologiques
fonctionnelles dans la conversion hystérique.
I.2
L’aphonie psychogène
L’aphonie psychogène ou hystérique est une manifestation fréquente des troubles de conversion.
I.2.1
Définition
D'après le dictionnaire orthophonique, l'aphonie psychogène correspond à la « perte brutale et totale
de la voix sans cause infectieuse ou traumatique, sans modification anatomique des cordes vocales
avec conservation d'une toux paradoxalement sonore qui oriente le diagnostic et dont l'étiologie
recouvre un problème psychoaffectif, parfois une hystérie » (Brin, Lederlé, Courrier, & Masy,
2011). Il s'agirait de la conversion de difficultés psychologiques en un trouble fonctionnel. Le
phoniatre François Le Huche étaye cette étiologie en introduisant la notion de « processus
d'inhibition psychologique » qui serait à l'origine de la disparition de la voix ou de l'altération d'une
ou plusieurs de ses caractéristiques acoustiques (Le Huche & Allali, 2002).
Le docteur Monfrais-Pfauwadel précise quant à elle qu'il s'agit de « la perte totale de la vibration
laryngée du fait d'une atteinte psychogène non pas d'un organe mais d'une fonction » et qu'elle n'est
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pas la conséquence de quelque lésions organiques que ce soit « ni laryngée, ni pulmonaire, ni
neurologique » (Monfrais-Pfauwadel, 1981). Ce faisant, elle insiste sur l'importance de reconnaître
l'existence de pathologies fonctionnelles en opposition avec les maladies d'origine structurelles, à
l'instar de Janet qui insiste dès 1909 sur le fait que la fonction vocale est intrinsèquement touchée,
puisque c'est la phonation qui est atteinte et non la motricité ou l'intégrité organique des cordes
vocales.
En ce sens, l'aphonie psychogène s'inscrit dans une opposition avec la notion de mutité, cette
dernière entraînant également une privation du langage due à des lésions cérébrales des centres
nerveux (mutismes aphasiques...) ou des organes de la parole (paralysie récurrentielle, surdité...). Il
faut également opposer aphonie et mutisme hystérique. On distingue l'aphonie du mutisme de
conversion par le fait que, du fait d'une perte de la conscience et du désir de parole, aucune
articulation et aucune voix même chuchotée n'est possible alors que dans l'aphonie, une voix
chuchotée très désonorisée peut être plus ou moins produite avec la conservation de mouvements
buccophonateurs (Schuster, 2008). Ces derniers peuvent être malgré tout perturbés par le
comportement d'effort et peuvent rendre la parole d'autant plus inintelligible. Il en résulte une
atteinte de la phonation dans sa dimension de fonction qui entraîne une disparition du mode
relationnel qu’induit la parole, sans participation d'un facteur organique.
I.2.2
Clinique
Avec un pic de fréquence entre 30 et 39 ans, l’aphonie psychogène est présente plus volontiers dans
les milieux socioculturels élevés. Cette pathologie vocale représente 5% des consultations pour
dysphonies dysfonctionnelles dont seulement 10% concerneraient les hommes, chiffre avancé en
1974 par la Société Française de Phoniatrie (Le Huche & Allali, 2002).
Faisant suite régulièrement à des épisodes inflammatoires ou plus rarement à un acte chirurgical, les
premiers symptômes apparaissent souvent brutalement au réveil mais peuvent également s'installer
progressivement dans le temps. S'il est fréquemment associé des causes psychologiques, il est rare
que le patient en ait conscience et l'évoque spontanément. Souvent le premier épisode disparaît
aussi brusquement qu'il est apparu.
Les récidives sont fréquentes (52% des cas) essentiellement chez des sujets présentant un score plus
élevé sur l'échelle d'anxiété de Spielberger ; le trouble est souvent réversible, avec une guérison en
moyenne au bout de trois mois et une reprise souvent brutale de la sonorisation ou parfois
progressive. Mais c’est lors de ces récidives que la symptomatologie est persistante et beaucoup
plus insidieuse dans son mode d'installation, altérant petit à petit timbre et intensité. Le patient
évoque souvent le fait que sa voix lui semble impossible à produire, dénaturée ou très difficile, ce
13
qui le rend fatigable. Il ressent également parfois des paresthésies laryngées à type de picotement,
de douleur ou de brûlures. Etant dans la plupart des cas complète avec une voix exclusivement
chuchotée et parfois entrecoupée de petits grincements, l'aphonie psychogène peut s'avérer
également incomplète (dysphonie) se manifestant par la possibilité d'une vocalisation erratique
selon la valence émotionnelle des propos voire revêtir une forme de dysphonie avec éraillement,
bitonalité, assourdissement ou nasonnement. Dans tous les cas, les productions paralinguistiques de
l'aphonique ou du dysphonique psychogène que A. Osta désigne par le néologisme « avoix » les
rendent incompatibles avec la communication ce qui conduit F. Le Huche à introduire le concept de
« dénaturation de la voix » (Osta, 2001).
S'il existe souvent un comportement d'effort avec l'adoption de l'attitude de la voix de détresse
(crispation du cou, souffle thoracique supérieur, affaissement sternal, perte de verticalité), l'examen
laryngoscopique révèle pour autant un plan laryngé indemne avec une motricité préservée lors de la
toux, voire du rire et parfois même lors d'émission de voyelles alors que la production de parole est
impossible. Néanmoins, il existe le plus souvent lors des essais de sonorisation un défaut
d'affrontement voire une immobilité des cordes vocales qui peuvent rester en position intermédiaire
ou en abduction associée ou non à des anomalies fonctionnelles des bandes ventriculaires. Il en
résulte une absence de voisement ou, lorsque celui-ci est possible, un caractère chuchoté ou
soufflée. Il est enfin à noter que des lésions peuvent être présentes sans qu'elles ne puissent suffire
en elles-mêmes à expliquer ce type d'aphonie.
I.2.3
Un phénomène de conversion en lien avec l'émotion
Sans être nécessairement liée à une personnalité hystérique, l'aphonie psychogène correspondrait à
la conversion de difficultés psychoaffectives en un trouble fonctionnel avec disparition/altération de
la voix par processus d'inhibition ou d'exhibition psychologique et comportementale. La
sonorisation semble ne plus être à la disposition de la conscience du sujet qui ne peut l'initier
volontairement du fait d'une dysrégulation émotionnelle. Selon F. Alexander, le symptôme de
conversion est l'expression indirecte d'une émotion par l'intermédiaire du système neuromusculaire
volontaire ou sensoriperceptif qui effectue « un saut du psychisme au somatique ». (Alexander,
2002) William James présente l'émotion comme « une réponse aux modifications de
l'environnement qui aide l'organisme à se maintenir en vie en provoquant un comportement
d'adaptation ». Elle implique des réactions hormonales et neuronales qui permettent des activations
cérébrales provoquant des manifestations physiques, lesquelles informent l'entourage de l'état
interne de l'individu pour que ce dernier ainsi que le groupe adaptent leur comportement. Faisant
intervenir de nombreuses structures cérébrales, l'émotion y induit des modifications ainsi que sur le
corps. Ces structures cérébrales et ce système somatique participant à la production de la voix, les
14
changements d'état ont donc un impact sur la phonation. Ainsi dès la naissance, avant d'être le
véhicule de la parole, la voix est celui, involontaire, de l'émotion.
I.2.4
Un phénomène de conversion en lien avec une personnalité
Emotion et personnalité sont liées : l'émotion est un ressenti c'est-à-dire une réponse interne
psychologique et physique à un contexte donné. Cette réponse interne en induit une autre, externe,
qui est caractérisée par une manifestation variable selon la structure psychologique du sujet
interprétant la situation. L'émotion est donc différente d'un individu à l'autre et entraîne des
réponses diverses selon les sujets. Elle part de l'intime pour induire une réponse sociale.
D'après J. Révis, des études ont montré qu'il existait une relation directe entre les paramètres
acoustiques de la voix et certains traits de personnalité (Révis, 2013). Markel a étudié en 1972 le
rapport entre intensité, débit et personnalité tandis que Nesic a montré en 1998 la corrélation entre
fréquence fondamentale et réponses aux questionnaires tridimensionnels de personnalité (Markel,
Phillis, Vargas, & Howard, 1972) (Nésic, 1998). L'aspect des courbes mélodiques diffère selon le
type d'émotion exprimée par le sujet, en lien avec la personnalité. Il existe une corrélation entre
l'aspect du premier formant du /i/ et la tendance persistante qu'à certaines personnes à l'expérience
des émotions négatives appelée neuroticisme, tandis que M. Van Mersbergen montre qu'il existe
une relation entre quotient de fermeture des cordes vocales et activité psychophysiologique relié à
un état émotionnel.
Ces études récentes expliquent pourquoi en écoutant une voix, on peut inférer un pressenti sur la
personnalité d'un sujet. La voix est le vecteur de la communication parlée qui dévoile notre rapport
intime au monde. La voix nous dénude aux yeux d'autrui. La faire disparaître la voix permet rendre
inaudibles des informations évoquant trop ouvertement à l’interlocuteur la distorsion entre émotion
et message verbal.
Les modèles psychologiques qui décrivent les mécanismes sous-tendant l'apparition de l'aphonie
psychogène affirment qu'un comportement psychologique ne peut pas être dissocié du
fonctionnement neurobiologique. J. Révis indique que le sujet extraverti serait davantage soumis à
des tensions musculaires ce qui activerait beaucoup plus la formation réticulée intervenant dans le
tonus et la vigilance. De plus, lorsque le neuroticisme est très présent dans la personnalité (inquiets,
réactifs à l'environnement), il impliquerait le cortex limbique qui a un impact sur la sensibilité aux
émotions. Cette combinaison de ces deux traits de personnalité augmenterait le risque de
développer des troubles vocaux psychogènes.
I.2.5
Thérapies actuelles
15
Dans une thérapie où il existe une crainte pour le malade que son symptôme ne soit pas pris au
sérieux, le clinicien doit veiller à utiliser la suggestibilité du patient comme un allié afin d’asseoir sa
rééducation dans le cadre d’une relation clinique implicitement convaincante. Dans le même sens,
le protocole thérapeutique doit être ostensible afin de proposer une porte de sortie honorable vers la
guérison.
I.2.5.1
Thérapie orthophonique
Il s'agit de la prise en charge la plus répandue puisque selon une étude effectuée en Grande
Bretagne, 75% des "speech therapist" prennent en charge ce type de patientèle avec des pratiques
diverses (Elias et al., 1989).
Après avoir été consulter son médecin généraliste, son ORL ou, au mieux, son phoniatre, le patient
est adressé à un orthophoniste. Si en orthophonie, les méthodes rééducatives sont variées, elles ont
toutes pour objectif de "réhabiliter la voix du patient et ses possibilités expressives, de lui permettre
de mieux comprendre l'origine de son trouble" selon Osta. Certains thérapeutes comme Le Huche
accordent plus d'importance au substrat psychologique de la pathologie. Pour eux, il s'agit de faire
prendre conscience au patient des mécanismes impliqués et - quitte à ce que le retour de la voix se
fasse plus lentement au gré de la conscientisation des possibilités expressives - de proposer des
relaxations en ayant les yeux ouverts comme entraînement préparatoire. Le Huche aborde l'aphonie
comme un temps où il s'agit de faire des mises au point sur la voix, de triompher peu à peu de ses
inhibitions en faisant prendre conscience au sujet des possibilités expressives puis de les augmenter
progressivement pour accéder à un meilleur équilibre psychologique. Dans le meilleur des cas, le
sujet admettra ses difficultés psychologiques et prendra de lui-même conscience de l'importance
d'un suivi psychothérapeutique ou psychanalytique. L'orthophoniste doit conduire le patient à être
autonome par rapport à son trouble et à son traitement. D’autres tels que Amy de la Bretèque
proposent des exercices de type phoniatrique visant la réappropriation du souffle, puis du vibré par
une conscientisation et une réautomatisation des phénomènes de pression transglottique. La
méthode de la paille dans l'eau est une thérapie centrale dans la gestion du souffle qui permet de
retrouver un meilleur rétrocontrôle visuel et auditif. Cela établit une phase intermédiaire où la
conséquence de la gestion du souffle ne produit pas encore un voisement qui pourrait rendre le
patient inconsciemment réfractaire à sa production vocale. Les techniques de reproduction par
imitation permettent au patient de ne pas réfléchir à son geste vocal. Certains orthophonistes
pratiquent des thérapies manuelles visant à réengager le mouvement d'élévation du larynx lors de la
phonation (Ostéovox) et à rétablir une proprioception de l'organe phonateur.
I.2.5.2
Autres approches thérapeutiques
16
D’autres approches thérapeutiques existent : de l'hypnose à la méthode Feldenkrais en passant par la
technique Alexander, l'acupuncture, la technique cognitivo-comportementale et la psychothérapie.
L'étude de Mans présente les objectifs et principes de méthodes psychothérapeutiques d'influence
psychanalytique. Il pointe le manque de critères pour une approche différenciée du trouble
neurologique fonctionnelle en psychothérapie (Mans, 1993). L'approche utilisée pour les
aphoniques devrait être réajustée en prenant en compte les pratiques des thérapies cognitives et
comportementales (TCC) majoritairement utilisées Outre-Manche (Butcher, 1995).
Depuis le DSM-V, la conception de l'aphonie psychogène ne repose plus uniquement sur des
processus symboliques relevant de la psychothérapie. Sans exclure cette dernière, l'apport
neurophysiologique des études récentes en neuro-imagerie a orienté l'évolution des thérapies vers
des procédés touchant précisément les fonctions motrices impliquées dans le trouble de conversion.
La TMS s'inscrit parmi les outils qui prennent en compte ces processus neurologiques.
I.2.5.3 Une thérapie novatrice : la TMS
Les premières démarches utilisant la TMS recherchaient les bases cérébrales ou corrélats
anatomiques de l’hystérie (Meyer et al., 1992) par la mesure de l’excitabilité corticale des
mouvements anormaux psychogènes.
Les effets de la stimulation magnétique transcranienne répétée (rTMS) à haute et à basse fréquences
sont utilisés dans le cas de troubles neuropsychiatriques (thymiques, schizophrénie, hallucinations
auditives, acouphènes…) ou neurologiques (maladie de Parkinson, dystonie…) et les douleurs
neuropathiques chroniques. Aujourd’hui, bien qu’encore peu répandue, plusieurs milliers de
patients ont déjà bénéficié d’un traitement par TMS
Les hypothèses des études récentes portant sur la neurophysiologique fonctionnelle du trouble de
conversion permettent de cerner plus clairement des cibles thérapeutiques que la TMS est en
mesure de stimuler pour son traitement.
I.2.6.2
Principe thérapeutique
Cette technique électromagnétique est fondée sur le principe de Faraday voulant que tout champ
électrique induise un champ magnétique de direction perpendiculaire et inversement. La TMS
dispose d’une bobine de stimulation dans laquelle circule un courant électrique produisant un
champ magnétique perpendiculaire, qui, à son tour, induit un courant électrique au niveau du cortex
superficiel. Ses effets peuvent être excitateurs ou inhibiteurs, même si les mécanismes sont en
réalité bien plus complexes. La stimulation TMS est très focale : elle intervient sur une surface de 2
à 3 cm2. L’intensité des courants de TMS est ainsi bien moindre que ceux utilisés en électro17
convulsivo-thérapie (ECT). Les circuits neuronaux peuvent être visés précisément par la conduction
de stimulation électrique à basse fréquence (1Hz) ou à haute fréquence (15Hz) vers une zone
corticale motrice ou prémotrice. Chaque séance de TMS comporte un protocole de 2000 pulses (ou
stimulations magnétiques).
La TMS effectue une action directe sur les circuits neuronaux par neuromodulation, c’est-à-dire en
rétablissant un potentiel d’action suffisant pour déclencher l’exécution de la commande centrale
(préparatoire ou motrice). Le trajet neural n’étant plus entravé par des circuits inhibiteurs, les
chances que la commande du geste soit menée à bien sont augmentées.
Pour entraîner l’exécution effective d’un geste, on cible la région du cortex moteur (ou homonculus
de Penfield). Pour renforcer la préparation et l’intention du geste le thérapeute préférera stimuler le
cortex pré-moteur.
« 
Schéma du cortex sensori-moteur
Source ; Travail personnel par Pancrat sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cortex_sensorimoteur1.jpg#/media/File:Cortex_sensorimoteur1.jpg
I.2.6.3
Variabilité des effets de la TMS
La parole, au travers de processus neurophysiologiques complexes, est un rampart car elle permet
de contrôler la relation à autrui, mais elle comporte une faille ; en effet, le véhicule de cette parole –
la voix - peut trahir à tout instant nos sentiments, nos émotions, « (…) Elle laisse échapper
l'essentiel [...] derrière le discours présenté, le caché, derrière le dit, le non-dit ». Au sein des
troubles de conversion, l'aphonie psychogène est sans doute la manifestation où l'empreinte du
facteur émotionnel est la plus marquée (Castarède, 1991).
Nous nous intéresserons au cas clinique de M.C qui a été décrit dans l’article de Victoire Paillard
dans le cadre d’une étude en psychiatrie. Ce patient présentait une parésie du membre inférieur, une
hémiparésie et qui fut suivie d’une aphonie totale. Traité dans le service de psychiatrie de St-
18
Antoine, une série de séances de TMS a été prescrite pour la prise en charge de son trouble de
conversion.
Sur le plan moteur, chaque séance comprenait 2000 pulses d’électrostimulation de l’homonculus
controlatéral. Pour la motricité du bras, quatre séances de stimulations de dix minutes ont été
effectuées. Pour l’aphonie, sept séances de 20-30 minutes à basse fréquence ont été nécessaires. On
note ainsi que la durée des séances et des effets ont été contrastés en fonction des tris symptômes
que présentait le patient. En effet, tandis que l’aphonie et l’hémiparésie du membre supérieur ont
cédé au traitement, la parésie du membre inférieur est demeurée intacte. (Paillard, 2014)
« Quel poids par ailleurs accorder aux motivations psychodynamiques de cette affection ? (…)
Considérer et objectiver le symptôme du patient, en respectant la temporalité imposée par la
psychopathologie et de probables enjeux préconscients, semble fondamental pour aller vers la
guérison. Dans ce contexte, des études contrôlées seraient utiles pour évaluer plus spécifiquement la
part d’efficacité propre à la TMS dans le traitement du trouble conversif. » (Schuster, 2008)
Loin d’être une technique thérapeutique miracle - la TMS peut permettre de relancer l’impulsion
d’un geste recouvré ou d’une intention de geste recouvrée, mais les résultats sont toujours
dépendants du bénéfice que trouvera le patient à sa guérison.
La rTMS pourrait être conjuguée à une approche orthophonique et neuropsychologique pour
prendre en charge dans un cadre pluridisciplinaire l'aphonie psychogène.
I.3
Entrelacs de la physiologie phonatoire et des enjeux de la communication
I.3.1
Innervation de la phonation
La phonation est « l'association des mouvements respiratoires adaptés à la parole, des vibrations des
cordes vocales et de la modulation de la voix dans les résonateurs du conduit vocal entraînant la
production des sons du langage articulé » (Brin et al., 2011).
D’un point de vue neurophysiologique, elle est le fruit d'une collaboration entre les deux systèmes
du cerveau que sont le système nerveux central (SNC) et le système nerveux autonome (SNA). Au
carrefour de la motricité volontaire et d’une gestion végétative, la phonation est innervée par les
nerfs moteurs V, VII, IX, XI et XII et régis par le cortex moteur pour son articulation, et par le nerf
X pneumogastrique procédant d’un fonctionnement neurovégétatif parasympathique pour sa
motricité laryngée (Grabski, 2012). La phonation requiert enfin une synchronisation très précise
entre processus pneumophonique et motricité laryngée qui a un fonctionnement automatique qu’il
est possible de réguler volontairement.
19
Le nerf X recouvre aussi les fonctions assurées par l'activité cardiaque, pulmonaire, gastrique qui
veillant à l’homéostasie, c’est-à-dire à l’équilibre complexe entre fonctions et besoins du corps.
Comme toutes les fonctions régies par le SNA, la commande motrice laryngée se réalise par
l'intermédiaire d’un neurotransmetteur hormonal cholinergique qui, dans le cadre de la motricité
laryngée, va permettre la contraction du muscle des cordes vocales selon une longueur, un galbe et
une durée donnée en fonction de l’émission sonore produite et de sa nécessité vitale.
Le SNC commande quant à lui les mouvements volontaires de la phonation par des échanges
électro-biochimiques via des trajets axonaux appelés faisceaux. Depuis le cortex moteur, deux
faisceaux spécifiques se dirigent vers les effecteurs musculaires de la phonation. Ils se
terminent soit au niveau du bulbe (faisceau cortico-nucléaire) - c’est la commande des muscles du
larynx, des lèvres, langue, joues, voile et pharynx via les nerfs crâniens VII, IX, XI et XII, soit au
niveau de la moelle épinière (faisceau cortico-spinal ou voie pyramidale) : le trajet court commande
alors les muscles axiaux dont ceux du thorax qui participent à la gestion du souffle.
I.3.2
La voix : émission laryngée et soufflerie
La voix naît d'une expiration sonorisée appelée « souffle phonatoire » qui diffère par ses durées
inspiratoire et expiratoire du « souffle respiratoire ». La phonation trouve sa dynamique dans la
pression transglottique (au niveau des plis vocaux) : l'air contenu dans les bronches des poumons
remonte dans la trachée jusqu'à la partie inférieure de la glotte grâce au jeu des muscles expirateurs.
Il est modulé selon les tensions exercées par les muscles intrinsèques du larynx essentiellement
interaryténoïdiens et crico-aryténoïdiens.
La glotte peut être alors fortement fermée ou fermée avec compression médiane, en adduction. Si
les muscles cités précédemment sont relâchés, il n'y a pas de rapprochement des plis vocaux : la
glotte est alors plus ouverte, ce qui crée la possibilité d'émissions de consonnes sourdes. S'il y a
contraction des muscles crico-aryténoïdiens latéraux, le pivot des aryténoïdes provoque l'écartement
complet des cordes vocales : la glotte est grande ouverte en position respiratoire. Pour l’émission
des sons vocaliques ou pour les consonnes sonores, les cordes doivent être resserrées mollement,
permettant une ample vibration ou voisement qui, par une succession de plusieurs cycles
d'ouverture/fermeture crée l’onde sonore.
Les articulateurs tels que les lèvres, la langue, le voile du palais, le pharynx et dont les mouvements
vont dans un second temps moduler cette onde. La voix est donc « un son créé par un émetteur
capable de produire un déséquilibre de pression et qui se propage dans l'air avant d'être capté par un
récepteur capable d'interpréter ces variations de pression » (Calais-Germain, 2013).
20
Or ce son qu’est la voix est aussi le véhicule d’un autre type d’information, cette fois non-langagier,
dont l’interlocuteur tiendra compte pour interpréter le message de son interlocuteur, que ce dernier
le désire ou non.
I.3.3
Enjeux de la communication interpersonnelle : contrôle et trahison
De la voix à la parole il existe un continuum : l’origine de la parole est le vagissement. Emettre un
son, un énoncé a pour fonction de remplir l'espace au-devant de soi afin de toucher autrui. Dès
qu'elle est entendue à la naissance « la voix est prise dans une relation de communication, elle
devient audible par [...] une oreille sensible à ses vibrations [...] pour décrypter le sens du message »
(Trottmann, 2000).
Plus tard, la voix est étroitement liée à la personnalité. Se fondant sur une physiologie phonatoire
commune à tout être humain mais aussi sur des différences anatomiques, la voix constitue l'unicité
de l'individu. Véritable empreinte acoustique de la réalité psychologique du locuteur, elle est aussi
le vecteur principal de la communication transmettant la pensée à travers les mots - faisant
converger enveloppe phonologique et signifié sur le flux des variations de pression d’air exercées
entre milieux intérieur et extérieur.
La parole dépend de particularités anatomiques individuelles, mais aussi de l’histoire du sujet, du
message à transmettre et du contexte intersubjectif de la communication. Tout ceci condense une
charge émotionnelle se traduisant par une régulation neurophysiologique qui va induire des
variations acoustiques au niveau laryngé. (Le Huche & Allali, 2010)
Nous verrons que le réseau nerveux complexe de la fonction de parole au niveau cortical est le
reflet de cette production langagière, volontaire, transportant à son insu des émotions parfois
inconscientes. Ce sont les aires du langage qui s'activent pour définir le message verbal et procéder
à la commande volontaire vers les effecteurs de la motricité phono-articulatoire gérés par le SNC.
Mais l’expression émotionnelle est sous l'influence d’un système distinct (le SNA) qui, associé au
cerveau limbique, constituent les porte-parole des émotions. Dans la situation intersubjective de la
communication, l’enjeu est de taille quand l’émotion - exprimée par un changement vocal, des
modifications respiratoires accompagnées d’un rougissement, d’une attitude posturale, de mimiques
- va à l’encontre du sens du message énoncé et risque de dévoiler le locuteur en danger autour
d’enjeux personnels cachés ou inconscients. Il y a alors divergence entre l’expression émotionnelle
et l’expression choisie des mots, alors qu’elles sont toutes deux transmises par le même vecteur
qu’est la voix.
La voix est alors le terrain de conflit entre contour intonatif – variations maîtrisées de durée, de
hauteur, d’intensité au service du sens – et variations subtiles des mêmes paramètres vocaux au
21
service d’une émotion pouvant submerger le locuteur et dont la communication à l’interlocuteur
relève d’un fonctionnement plutôt non-verbal. Nous verrons plus loin que l’ensemble des réactions
dites « viscérales » s’intriquent avec les actions motrices conscientes grâce à un réseau dense de
cellules enveloppant le tronc cérébral, appelé formation réticulée.
La voix, utilisée comme média dans le cadre d’une situation orale de communication comporte
donc un risque du fait de sa fonction ambiguë; la parole transmet toujours un état subjectif, en
fonction d’un contexte donné : avec une intention consciente ou avec la non-conscience d'informer
ou d'alerter…
I.3.3
Conséquence sur la Parole : Le bénéfice du symptôme
La phonation peut être donc intrinsèquement périlleuse pour le sujet. Par l’ « avoix », il peut
parvenir à éviter inconsciemment une situation intersubjective qui lui semble insoluble et où il ne
veut pas communiquer son état émotionnel : « la voix de l'homme parlant résulte d'abord de la
manière dont elle prend place dans son intimité » avant celle qu’il doit prendre en société (Amy de
la Bretèque, 2004). La conversion aphonique apporterait-elle alors comme bénéfice secondaire
l’occasion de s’extirper de certaines situations de communication ?
Ce bénéfice expliquerait-il également la présence d’une « belle indifférence » que l’on retrouve
fréquemment chez le patient conversif ? Les patients sont alors peu expressifs, semblant peu
concernés par la nature ou les conséquences des symptômes. Notons cependant que ce phénomène
n’est pas relevé comme marqueur spécifique du trouble de conversion d’après le DSM-V.
Pour F. Le Huche également, la conversion est en lien avec l'émotion que la voix la traduit. Cette
angoisse de la voix « déplacée », mal adaptée aux circonstances, peut entraîner une disparition
involontaire de celle-ci. Et l'appréhension d'être guéri, de reprendre une vie normale et d’apparaître
comme un simulateur une fois guéri peut expliquer, selon lui, la présence parfois persistante du
phénomène de conversion.
L’ « avoix » pourrait ainsi désigner les productions paralinguistiques du patient aphonique ou
dysphonique psychogène, dont le geste vocal semble inconsciemment réorganisé « pour que
l'aphonie parle à l'autre de sa souffrance psychologique (Osta, 2001). En ce sens, le docteur
Monfrais-Pfauwadel l'interprète comme une marque de détresse et de refus face à une situation
insupportable qui réduit l'espace voué à la communication. L’aphonique « oblige l’interlocuteur à
l'intimité en lui imposant son espace vocal. Il n'est pas dans la parole perdue [bien au contraire, il]
se met dans une cage de silence qui rend l'impasse relationnelle criante » (Monfrais-Pfauwadel,
1981). En détruisant le lien intime entre phonation et perception, le patient aphonique annihile la
22
communication pour apparaître comme malade voire souffrant grâce à cette voix qui tisse des
relations inconscientes avec le représenté et notamment ici, avec l’état de santé.
II
L’approche neurologique fonctionnelle : vers un diagnostic positif de la conversion
hystérique
La récente définition du DSM-V du trouble de conversion convie à poser un regard renouvelé sur le
diagnostic d’aphonie psychogène. Au-delà du diagnostic effectué traditionnellement et procédant
par exclusion de toute étiologie organique, s’augure la perspective d’une démarche diagnostique
positive des pathologies psychogènes. Ceci est rendu possible par la définition et la reconnaissance
de marqueurs spécifiques du phénomène conversif dans lesquelles l’IRMf et le PET scan ont joué
un rôle décisif.
En 2002, le docteur Stéphane Mouchabac se demandait dans quelle mesure « les conditions
environnementales, les conflits, le stress et autres traumatismes ne pourraient pas modifier l’activité
cérébrale au point de provoquer un trouble pseudo-neurologique » aboutissant à l’inhibition du
geste moteur (Stéphane Mouchabac, 2007). Les récentes recherches confirment bien que malgré
l’absence de lésion structurelle, l’origine centrale du trouble conversif ne peut plus être exclue. Pour
mieux comprendre ce que ces études ont relevé au moyen d’explorations en neuro-imagerie
fonctionnelle, il nous faut comprendre synthétiquement le fonctionnement du geste moteur
volontaire en termes neurophysiologiques.
II.1
Neurophysiologie du mouvement volontaire
II.1.1
La boucle sensori-motrice : de l’intention d’agir au déclenchement moteur
II.1.1.1
Le cortex sensori-moteur
Tout mouvement provient d’une source mentale interne, qu’il soit issu ou non d’un processus
décisionnel. Le mouvement volontaire est pourvu d’intentionnalité. Il est causé par un projet de
réponse à un stimulus extérieur et s’oppose aux mouvements réflexes ou stéréotypés. Il est donc en
interaction avec l'environnement (Roy, 1997).
La production du mouvement volontaire se fait en plusieurs étapes : dans la phase de planification
du mouvement, les stratégies sont élaborées en vue du but à atteindre. Puis la phase de
programmation organise les schèmes moteurs en en définissant les paramètres. Enfin, le
23
mouvement est initié pour être réalisé : l’influx nerveux plonge par la voie cortico-spinale et atteint
les muscles.
Le réseau de la motricité volontaire relie directement le cortex moteur primaire (M1) aux
motoneurones somatiques des nerfs crâniens et rachidiens. Une grande majorité des tâches motrices
sont des mouvements d’ouverture-fermeture. Le M1 est le maître d’œuvre de l'exécution du
mouvement. Chaque partie du corps y est représentée en proportion de sa finesse de mouvement
pour interagir avec l’environnement. La main, le visage y sont représentés largement, tandis que les
jambes y occupent une moindre place.
Représentation somatotopique des régions motrices périphériques
au sein du cortex moteur (M1) et sensoriel (S1)
Cette aire motrice primaire (M1) est également appelée homonculus de Penfield dont la partie
latéro-inférieure constitue l’origine de la voie cortico-nucléaire (ou faisceau géniculé). Cette
dernière active la musculature du cou et de la tête ; de la partie restante part la voie corticospinale (ou faisceau pyramidal), stimulatrice des muscles du tronc et des membres de l’hémicorps
du côté opposé.
Ce cortex moteur primaire est l’exécutant des instructions élaborées et planifiées par le cortex
prémoteur, subdivisé en deux territoires :
L’aire pré-motrice (APM) correspond à l’aire 6 dans la classification anatomique de Brodmann, qui
précise les mouvements distaux et axiaux en termes de contrôle postural.
l'aire motrice supplémentaire (AMS–aire 6bis) qui intervient dans l’initiation et la planification de
séquences motrices complexes et où se situeraient les neurones miroirs.
24
Source : http://icm-institute.org/actualites/comprendre-le-cerveau-et-son-fonctionnement
II.1.1.2
Projections radiales et tangentielles depuis le cortex moteur
En regard de M1, se trouve l’homonculus somesthésique (S1) qui concentre les stimuli externes
sensitifs nécessaires à la commande motrice. Ces informations parviennent de façon tangentielle,
c’est-à-dire parallèle à la surface du cortex depuis le cortex pariétal ou associatif dont la fonction est
la collecte les signaux visuels et informations somato-sensorielles (cf. flèche rose du schéma). Le
cortex pariétal a donc pour fonction de sélectionner les
informations sensorielles selon leur utilité pour le
mouvement à produire et de les traduire en informations
spatiales, pour faire coïncider chartes motrices et
informations sensorielles proprioceptives et contextuelles.
Dans une direction radiale, c’est-à-dire sur l’axe centrepériphérie (cf. flèche rouge du schéma), ces deux aires
sont en interaction avec d'autres structures nerveuses telles
que le cortex cingulaire antérieure (CCA), sorte de
réceptacle intermédiaire des informations mnésiques et
A
:
B/C
D:
Niveau cortical (cortex préfrontal et pariétal)
: Niveau sous-cortical (thalamus sur lequel sont
branchées trois structures: le noyau lenticulaire,
les noyaux sous-thalamiques dont la substance
noire et le cervelet).
Niveau du tronc cérébral (équilibre, précision
motrice, intégration sensorielle et
proprioceptive)
émotionnelles issues des ganglions de la base ou noyaux gris centraux et du cervelet. L’objectif est
la synchronisation et/ou la régulation du mouvement.
25
Le trajet du circuit moteur, associant action et perception et correspondant à la cognition « froide »
(raisonnement, planification, abstraction) se projette vers des structures profondes gouvernant
l’aspect émotionnel et motivationnel de nos comportements.
II.1.1.3
Rôle du thalamus
Le thalamus constitue un relais de transmission entre projections sous-corticales et corticales. Il
envoie au cortex les données motrices des ganglions de la base, les données sensorielles (toucher,
douleur, position du corps), mais aussi celles issues de la mémoire émotionnelle (plaisir ou
déplaisir), stockée dans l’amygdale cérébrale. Ces projections vers le cortex moteur passent par le
CCA - qui fait l’interface entre émotion et action. Le trajet neuronal continue vers le cortex
orbitofrontal (COF) qui évalue l’engagement ou l’inhibition requise, en tenant compte de
l’environnement et de l’équilibre neurophysiologique de l’individu. Selon S. Mouchabac, le CCA et
le COF pourraient avoir des rôles importants dans le phénomène de conversion.
II.1.1.4
Circuits de rétroaction du mouvement
On distingue deux voies fonctionnelles (appelées aussi boucles ou circuits) qui, en retour vers le
cortex, vont avoir un effet inhibiteur ou activateur du centre thalamique, le rendant donc actif ou
non afin de focaliser les informations en bout de chaîne vers l’AMS qui initie le mouvement
programmé.
Il s’agit d’une part, de la boucle cortico-striato-pallido-thalamo-corticale, qui régule la
programmation de mouvements adaptés et performants, les mémorise et les réactive en cas de
situation analogue pour activer les mêmes stratégies d’action. Le striatum reçoit les afférences
issues de toutes les aires associatives : du cortex préfrontal, siège de la programmation du
mouvement, du cortex pariétal (praxique) et et du cortex temporo-visuel (gnosique). Les schèmes
moteurs sont alors soumis aux effets modulateurs du pallidum et de la substance noire qui forment
un couple antagoniste. Enfin cette modulation se répercute sur les motoneurones par l'intermédiaire
de la substance réticulée - qui intègre aussi les réponses neurovégétatives du SNA. Enfin les
informations reviennent au cortex prémoteur après avoir été relayées le centre thalamique dont la
structure reflète l’ensemble de l’encéphale.
D’autre part, la boucle cortico-ponto-cerebello-thalamo-corticale régule l’exécution temporelle des
mouvements volontaires complexes en optimisant la performance de synchronisation des gestes
fins.
26
Source : « DA-loops in PD ». Sous licence CC BY 2.5 via Wikimedia Commons
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:DA-loops_in_PD.jpg#/media/File:DA-loops_in_PD.jpg
II.1.2 Le cortex préfrontal de supervision sous contrôle du système limbique
II.1.2.1 La boucle cognitive et exécutive
Le CPFDL est relié au CCA qui enveloppe le corps calleux et qui recueille les informations de
valence émotionnelle (récompense ou pénalité), informe par rétroaction des nécessaires mises à
jour, des besoins de flexibilité en fonction du contexte, des récompenses attendues et effectue le
contrôle exécutif de l’action. Il est la cible privilégiée de la dopamine.
Source : http://www.sommeil-paradoxal.com/livre3-page/07-suppression_dialogue.html
Le CCA et le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) constituent avec le COF un système de
contrôle exécutif et émotionnel de l’action (Rothé, 2010). Le CPFDL a un rôle de prise de décision
et d’exploitation au sein de la boucle de contrôle cognitif, notamment en termes de mémoire de
travail, de théorie de l’esprit, de planification et d’évaluation des réponses comportementales
(Mouchabac, 2007). Il représente les buts à atteindre, les règles à respecter et maintient les critères
de traitement. Son activation peut être modulée par des besoins d’exploration, des paramètres
motivationnels et l’incertitude du résultat. Le COF, quant à lui, fait le lien entre stimulus et
27
récompense. Il est souvent considéré comme faisant partie du système limbique au même titre que
le CCA.
II.1.2.2
Rôle du système limbique et des ganglions de la base
Le système limbique est composé d’un groupe complexe d’aires corticales et de noyaux souscorticaux : l'hippocampe, pour les fonctions mnésiques, l'amygdale, pour l’émotion, le cortex
cingulaire, en tant qu’interface avec les aires cognitives supérieures, et l'hypothalamus, glande
endocrine. Concentrant par le biais de faisceaux d’association un nombre importants
d’informations, il constitue le cerveau émotionnel ou affectif.
Le système des NGC est constitué du striatum (comprenant le noyau caudé et le putamen), du
pallidum, du noyau sous thalamique et de la substance noire, compacte et réticulée. D’un point de
vue fonctionnel, ils facilitent et précisent le mouvement, le contrôlent en termes d’amplitude et
débarrassent le geste de ses parasitages involontaires. Les mouvements simples sont gérés par le
putamen, les mouvements complexes par le noyau caudé. Les NGC sélectionnent également les
informations émotionnelles pertinentes en relation au stimulus externe et participent à la boucle de
régulation cognitive des intentions motrices en termes d’allocation attentionnelle dédiée à la
sélection et la préparation des séquences motrices.
Système sous-corticale et thalamus
Source : Pancrat - Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cp_coronale_ssthal3.jpg#/media/File:Cp_coronale_ssthal3.jpg
En cas de baisse de l’activité de ces circuits, on observe un déficit fonctionnel des circuits moteurs
qui se traduit par des comportements volontaires anormaux. Dans les troubles conversifs
psychogènes, c’est au contraire leur activation atypique qui va provoquer une inhibition du
mouvement volontaire.
II.1.2.3
Rôle de l’amygdale cérébrale dans la réactivité émotionnelle
Face à un événement stressant, l’émotion est une fonction adaptative. Elle influence la pensée et
l’action, notamment pour former des stratégies dans l’interaction sociale (Greenspan, 2014). Les
28
émotions sont des « réactions valencées aux événements, aux agents ou aux objets. » (Ortony,
1990). L’amygdale cérébrale constitue la mémoire émotionnelle de nos expériences : elle enregistre
la valence des souvenirs et, lors d’une nouvelle expérience vécue, réactive l’expérience similaire
encodée et son programme d’action (chartes motrice et cognitive). Si la valence de l’expérience est
pénalisante, le projet de réponse à l’environnement peut être modifié voire révisé. Du point de vue
fonctionnel, l’émotion est un processus impliquant la subjectivité, la cognition, l’expression nonverbale et l’action. Si ces informations émotionnelles menacent l’équilibre du sujet, l’inhibition
sous-corticale peut abaisser l’influx nerveux et réprimer le déclenchement de l’action comme c‘est
le cas dans la conversion (Scherer, 2005).
II.1.3 Particularités neurophysiologiques de la phonation
II.1.3.1 Voies centrales
La parole est la résultante d’un ensemble complexe de projections dans plusieurs régions cérébrales
qui s'activent conjointement pour permettre la création de la pensée en concept, puis en
représentations phonologiques, engendrant enfin l'organisation et la réalisation motrice phonatoire.
La parole implique ainsi le cerveau tout entier. De la représentation de langage à la production de
parole, c’est l’hémisphère dominant qui s’active via l'aire de Broca dans la préparation du geste,
alors que pour la réalisation motrice - impliquant les aires motrices - les deux hémisphères sont en
jeu car la dynamique musculaire est symétrique, simultanée et synchrone.
La motricité de la parole est reliée à l'innervation sensorielle tant dans la phase d'élaboration que
dans son contrôle musculaire. Deux types de feedback participent à la production de parole :
le feedback auditif : selon Hickok, les aires temporales auditives, primaires et associatives (dont
celle de Wernicke) participent activement à la production de parole en utilisant la même
« représentation auditive » des mots qu'en perception (Hickok, 2001). Cette boucle audiophonatoire est donc activée pendant la production de parole car elle permet d’une part d’effectuer
un contrôle de la tonicité de la vibration laryngée, d’autre part de réguler l'activité respiratoire
pendant la phonation notamment en termes de puissance de souffle expiré.
Le feedback proprioceptif : l'innervation sensitive du larynx, de la musculature orofaciale et des
poumons sont impliquées dans la boucle de rétroaction du mouvement phonatoire (Scott & Ringel,
1971).
De nombreux territoires corticaux sont donc impliqués, tels que l'aire auditive de Wernicke
(perception et production), le planum temporal (discrimination sonore), l'insula (planification des
mouvements articulatoires), l'aire motrice (réalisation laryngée) mais aussi les territoires sous29
corticaux tels que ceux de la mémoire ou de la substance noire dans son prolongement en réseau
appelée également formation réticulée.
II.1.3.2
Rôle de la formation réticulée dans la phonation
Prolongement neural de la substance noire compacte, La formation réticulée (FR) est une structure
du tronc cérébral siège comme relai anatomique entre SNA et SNC. Elle se déploie en réseau
interstitiel dense de neurones et noyaux disposés comme un filet le long du tronc cérébral.
https://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/valatx/pourlascience_98/print.php
Au croisement des systèmes nerveux central et périphériques (ascendant, descendant et végétatif),
elle intervient notamment dans la régulation des fonctions vitales, dans les activités motrices
réflexes mais aussi dans certaines fonctions cognitives comme l'attention. Pour la parole, elle assure
la conjonction périlleuse entre motricité volontaire - issue du SNC - et expression émotionnelle émanant du SNA pour une précision temporelle et spatiale en termes d’articulation et une
coordination pneumo-phonatoire la plus ajustée possible (Barraud, 2003). Sa fonction est donc
cruciale : elle régule le geste phonatoire de la parole qui, rappelons-le, allie voix et articulation.
Lors de la production de parole, tout influx nerveux émanant du cortex primaire doit faire d’abord
étape par la FR afin d'atteindre les motoneurones qui ordonnent la contraction des muscles laryngés
via les nerfs crâniens (Jürgens, 2002). Son taux d'activité est corrélé à la fréquence des vibrations
laryngées. La FR intègre aussi des informations proprioceptives via des influx afférents laryngés,
pulmonaires et oraux pour modifier l'activité motrice par l'intermédiaire des motoneurones
phonatoires (Grabski, 2012).
Elle participe ainsi :
au contrôle des mouvements complexe de la parole par une gestion proactive du tonus musculaire,
conjointement aux systèmes limbiques et corticaux (boucle de rétroaction)
aux fonctions végétatives pneumophoniques via les noyaux parasympathiques du SNA vers les
nerfs VII, X et XI.
30
La FR est donc au coeur des trois fonctions du larynx (phonation, respiration et déglutition) et
permet une meilleure adaptation posturale dans l’ensemble des gestes oropharyngiens. Elle joue
aussi un rôle dans les expressions du visage, support d’informations volontaires destinées à
maitriser la communication avec son interlocuteur mais qui recèlent aussi d’informations infraverbales, émotionnelles et non-contrôlées, à l’instar de la voix.
II.2
Approche neuropsychologique du trouble psychogène
Les études en neuro-imagerie confirment l’implication critique du réseau d’interaction des aires
cérébrales impliquées dans la motivation et la conscience de soi sous l’action du COF, du CCA et
du CPFDL. Comme nous l’avons vu, ces structures sont elles-mêmes influencées par des structures
sous-corticales telles que les NGC, le thalamus en relation en retour vers les cortex sensorimoteurs
(Vuilleurmier, 2008).
II.2.1 Neuro-imagerie et processus conversif : vers un diagnostic positif
En 2014, S. Mouchabac explique la démarche en neuro-imagerie en précisant qu’on « ne pose pas
la question du pourquoi c’est arrivé, mais du comment cela se passe au niveau cérébral [afin de]
contribuer au diagnostic en permettant une caractérisation positive, d’améliorer l’évaluation
pronostique […] et guider la thérapeutique et le développement de nouveaux traitements »
(Mouchabac, 2007). Ces recherches ne s’opposent donc pas aux hypothèses psychodynamiques,
mais au contraire leur apporte un étayage par la mise en évidence de processus neurologiques.
Le développement de la neuro-imagerie fonctionnelle permet aujourd’hui d’explorer par les
sciences cognitives les activités psychologiques les plus complexes sous l’angle de marqueurs
physiologiques. Une fonction cognitive est décrite en tant que séquences temporelles d’activités
neuronales distribuées en réseau dont les techniques en neuro-imagerie enregistrent les variations
locales électromagnétiques en IRMf ou de débit sanguin cérébral en PET scan.
La première étude en neuro-imagerie portant sur l’hystérie de conversion émane du travail d’une
équipe finlandaise en 1995. L’étude portait sur une patiente présentant des troubles moteurs et
paresthésiques sans origine neurologique lésionnelle. Tiihonen et al. ont relevé un changement
d’activité du cortex somato-sensoriel dans l’hémisphère controlatéral, notamment une baisse de
l’activation pariétale au profit d’une suractivation équivalente au niveau frontal (Tiihonen & al.,
1995). Ces travaux princeps ont contribué au prolongement des recherches sur les origines
cognitives (attentionnelle, émotionnelle et volitionnelle) de l’inhibition conversive.
II.2.1.1
Une intention d’agir préservée
31
Grâce au PET scan, Marshall et al. ont observé, chez une patiente conversive hémiplégique avec
paresthésie, une activation normale du CPFDL et du cervelet pour la préparation du mouvement,
tandis qu’en lieu et place de la réalisation motrice – normalement activée par le cortex frontal
moteur et pré-moteur (AMS et homonculus) - le CCA et le COF se sont activés pour inhiber
l’exécution du mouvement. Ceci porte à la conclusion que l’intention de mouvement est présente
mais que la boucle de rétroaction limbique est intervenue par une inhibition active du mouvement
au cours de la boucle de rétroaction régulant la motricité avec l’émotion, mais aussi la cognition
(Marshall, Halligan, Fink, Wade, & Frackowiak, 1997).
II.2.1.2
Un recrutement attentionnel nécessaire à la conversion motrice
Cette intentionnalité de mouvement préservée a été confirmée par Cojan par une exploration de
l’activité cérébrale en IRMf lors d’une tâche de go/no-go réalisée par un patient conversif. Les
activations cérébrales ont été comparées entre le membre sain et l’autre membre paralysé ; mais
alors que l’activité dédiée à l’inhibition du geste dans le cortex préfrontal, était bien présente du
côté sain, elle était absente du côté du membre paralysé. Ces auteurs ont donc évoqué que d’autres
mécanismes pouvaient être en jeu, différents de ceux impliqués dans l’inhibition volontaire
classique du geste (Cojan & al., 2009). C’est l’exploration « des régions associées avec les
représentations de soi et la régulation des émotions » qui furent ensuite explorées plus avant.
II.2.2 Une interaction dynamique de mécanismes neurocognitifs
« S’il existe des indices que les fonctions directement motrices ne sont pas les seules impliquées
dans la physiopathologie des troubles moteurs psychogènes, la caractérisation des autres fonctions
et aires cérébrales en jeu n’en est qu’au stade des hypothèses. » (Mouchabac et Salvador « imagerie
de la conversion hystérique » 2014 (sous presse). Dans le cadre de cette étude, nous nous
intéresserons plus particulièrement aux hypothèses sur lesquelles s’appuie l’équipe du service de
psychiatrie de l’Hôpital St Antoine à Paris pour le traitement symptomatique de l’aphonie
psychogène. La pratique de la TMS, permet au patient de recouvrer son geste dans bien des cas.
Cette démarche thérapeutique est étayée par des hypothèses explorées et validées sur des
échantillons de petite taille portant sur l’engagement des processus émotionnels et attentionnels
dans l’inhibition motrice, d’une part, mais aussi la perturbation du système agentivité et par
conséquent le déficit de mise à jour des croyances.
Il est en effet question de comprendre comment l’esprit, par son traitement cognitif, prend le
contrôle des manifestations du corps. Les principaux processus neurobiologiques associés à
l’hystérie de conversion comprennent des processus de filtre attentionnel (méconnaissance), de
32
dissociation fonctionnelle (perte d’agentivité) mais font référence aussi à une compréhension
phylogénétique des réactions face à l’environnement.
II.2.2.1
Conversion et émotion
Devant des images de visages effrayés, heureux ou neutres, il est possible de mesurer la spécificité
de l’activité corticale impliquée dans les émotions chez ces patients. On note alors une connectivité
importante entre amygdale cérébrale vers l’aire motrice supplémentaire témoignant d’une réactivité
limbique modulant la préparation du mouvement. Un contexte chargé émotionnellement peut
baisser l’activité du système volontaire en détournant notamment son contrôle exécutif exercé par le
cortex préfrontal (Voon, Brezing, Gallea, & Hallett, 2011).
En 2001, Vuilleurmier consacre une étude comparant en SPECT le débit sanguin des activations
sous-corticales de six sujets conversifs en période per-critique (T1) et après rémission (T2). Ces
patients étaient donc eux-mêmes leur propre population contrôle. Une activité inférieure en T1 est
constatée dans le thalamus, le putamen, le pallidum et le noyau caudé : le potentiel d’action (ou
influx nerveux) sortant du thalamus par rétroaction est insuffisant pour dépasser le seuil
d’excitabilité neuronal sans lequel le trajet du message nerveux jusqu’à la génération du
mouvement volontaire ne peut être assuré. Cette hypoactivation disparaissait en T2. Cette étude
donne donc « des arguments pour un dysfonctionnement des boucles striato-thalamo-corticales dans
la conversion. » (Vuilleurmier et al., 2001). Rappelons que leur fonction normale est la régulation et
production de mouvements adaptés et performants.
Puisque NGC intègrent les informations émotionnelles et déterminent l’allocation des ressources
attentionnelles correspondantes, il est envisagé qu’une situation de détresse puisse provoquer une
conversion par la rétroaction des boucles de régulation sous-corticales et le court-circuitage du
CFPDL et du M1 lors du passage par le CCA qui fait l’interface entre émotion et action.
II.2.2.2
Conversion, attention et conscience
Les théories attentionnelles des trente dernières années proposent qu’une sélectivité attentionnelle
vis-à-vis des stimuli internes ou externes serait en cause, empêchant l’accès aux aires corticales
exécutives associées au processus conscient cognitif, tandis que des processus inconscients
prendraient le relai à des niveaux sous-corticaux..
Les plus récentes données psychobiologiques interrogent le concept de conversion depuis les points
de vue biologique, psychodynamique mais également dans son rapport à l’environnement et sont
indissociables de la notion de conscience. On comprend aujourd’hui que « le traitement de
33
l’information sensorielle et motrice peut être modulé, voire inhibé par des mécanismes cognitifs et
attentionnels » (S. Mouchabac & Ferreri, 2010).
La conscience peut être décrite comme un ensemble cohérent de processus tels que la mémoire,
l’attention, la perception, l’intentionnalité : en ce sens, la conscience fait partie de la cognition car
elle traite bien de l’information. Ces différentes entités fonctionnelles interagissent en réseau
hiérarchisé en cohésion. La perte de cette cohésion aboutit à un « état modifié de conscience » tel
que le sommeil, la méditation, la transe, l’hypnose, les lapsus, une distorsion de la perception du
temps, de l’espace, de la logique, un détachement de soi… Ce que Freud appelait « une action de
l’inconscient » pourrait être envisagé aujourd’hui comme le fait d’une exclusion du champ de
conscience afin de lutter contre un processus en mesure de corrompre le système.
Stéphane Mouchabac pose l’hypothèse en 2007 de la conversion en tant qu’un « état modifié de
conscience » : en effet, le trouble de conversion interroge sur la notion de conscience du trouble.
Bien que ne faisant pas partie des symptômes permettant de poser le diagnostic, il est fréquent de
constater que le sujet aphonique conversif adopte une attitude distanciée vis-à-vis de son trouble,
une « belle indifférence » que d’aucun ont rapproché de la négligence attentionnelle mais dont les
mécanismes de méconnaissance, plus globaux, semblent procéder plus avantageusement des
modélisations de la conscience et de la représentation de soi.
« La perception consciente d’un événement nécessite que la représentation mentale de cet
événement soit connectée avec la représentation de soi comme agent de l’action ou sujet de
l’expérience » (Schuster, Mouchabac, Le Strat, & Limosin, 2011). Cette représentation d’agentivité
- liée au geste moteur - dépend de la correspondance et de la réactualisation permanente des
informations spatio-temporelles encodées en mémoire épisodique (hippocampe) qui sont mises en
lien avec les perceptions passées et les projections de l’avenir (amygdale cérébrale). Les
phénomènes de méconnaissance seraient la conséquence d’une défaillance de la synthèse de ces
informations conduisant à la perturbation du continuum agent/action.
Pour programmer une action, l’attention est nécessaire afin de recueillir les informations de
l’environnement, les relier à la conscience de soi et aux perceptions proprioceptives et enfin
synchroniser les schèmes complexes d’actions en vue d’une réponse adaptée. « Le fait [même] de
maintenir un symptôme conversif actif implique l’utilisation de ressources attentionnelles
importantes » (Spence, Crimslick, Cope, Ron, & Grasby, 2000). Or, on sait que les ressources
attentionnelles ne sont pas inépuisables. On a pu relever qu’un distracteur attentionnel pouvait
affaiblir l’inhibition motrice et aider à la levée du symptôme conversif, en orientant la mobilisation
attentionnelle vers un autre but exigeant.
34
Edwards et al. exposent les aspects neurocognitifs sur lesquels les nouvelles recherches ont fait des
avancées : on parle aujourd’hui d’un focus attentionnel particulier engendrant une méconnaissance
(une non-prise en compte d’informations) ; on parle aussi d’un système de croyances aux attentes
non réactualisées du fait d’un déficit du système d’agentivité (Edwards, Fotopoulou, &a Parees,
2013). Ainsi la théorie attentionnelle de l’hystérie est de plus en plus validée avec l’hypothèse d’un
« filtrage sélectif de certaines informations sensorielles ou motrices (…) créant une dissociation
entre performance inconsciente et analyse consciente » (Stéphane Mouchabac, 2007). Ainsi, il y
aurait échec de la représentation ou de l’intégration de certaines informations motrices au sein de la
conscience, ou bien elles seraient encodées d’une façon anormale ou incomplète, produisant des
informations erronées (Brown, 2004).
II.2.2.3
Menace, dissociation et conscience : un fusible évolutionniste ?
Un événement psychique menaçant l’équilibre d’un sujet induit des mécanismes de sauvegarde
psychologique et neurophysiologique qui peuvent être responsables de la déconnexion partielle du
circuit normal de réponse au stress. Dans le cas du stress post-traumatique (situation de guerre
etc…) par exemple, dont la réaction physiologique est corrélée dans le temps avec l’événement
traumatique, le court-circuitage de l’amygdale peut être un moyen de s’extraire des réactions de
survoltage émotionnel pour échapper à la situation psychiquement intenable, provoquant une
dissociation et une forme d’anesthésie émotionnelle. Kanaan pointe que dans la conversion, les
événements source de stress pouvant déclencher des symptômes de conversion non seulement
augmente l’activation des régions péri-hippocampiques (comprenant l’amygdale, le COF
notamment), mais concourraient de plus à une diminution de l’activation du cortex moteur
controlatéral au symptôme, malgré l’absence de mouvement requis par la situation en cours
(Kanaan, 2007). Cela signifie que le mouvement inhibé perdure même en l'absence de la cause de
stress.
La fonction du trouble psychogène est envisagée comme une forme d’auto-gestion face à une
situation insoluble dans le temps, ayant une action sur la conscience à un haut niveau du système
exécutif et impliquant les structures corticales, frontale et cingulaire (Oakley, 1999). Il existe chez
l’homme, comme chez nombres d’autres espèces vivantes, une fonction de défense s’appuyant sur
le leurre en réponse à un stimulus externe risquant de rompre l’équilibre neurophysiologique interne
de l’individu, « un système de réponse au stress extrême modulé au niveau limbique et qui mimerait
un handicap (boiter, chanceler, crises épileptoïdes ou cécité psychique) » (Perry, Pollard, Blaicley,
Baker, & Vigilante, 1995). On notera que beaucoup d’animaux ont recours à des comportements
d’arrêts (les faisant passer pour morts ou invisibles) que l’étude éthologique de Demaret avait
d’ores et déjà rapprochée des états d’hypnose (Demaret, 1979).
35
II.2.2.4
Représentation de soi, monitorage de soi et agentivité
Une prédisposition à la dissociation est relevée depuis les tout premiers travaux portant sur
l’hystérie. Elle s’exprime pas des états de conscience altérée, des troubles de la mémoire, de la
concentration, de l’attention, un sentiment de dépersonnalisation ou d’étrangeté par rapport à soimême. Ainsi ces symptômes sont vécus par le patient comme involontaires, bien qu’activés sur les
projections de la motricité volontaire.
L’agentivité est l’expérience par laquelle l’individu se reconnaît comme l’initiateur de ses propres
actions. Le corrélat neuro-anatomique de ce système est le lobe pariétal inférieur droit dont la
fonction est de rapprocher et comparer les informations sensitives reçues de l’extérieur et celles des
conséquences de l’action prévues en interne. Ce processus serait à l’origine de la représentation
d’agentivité, d’intention et de contrôle volontaire (en pensée comme en actes) impliquant un
territoire d’intégration multi-sensorielle se trouvant à la jonction des lobes temporal et pariétal
(jonction temporo-pariétale). Cette dernière joue une fonction essentielle dans la représentation de
soi.
Dans l'étude de Voon, pour relever l’activité cérébrale des patients conversifs, il leur a été demandé
de mimer intentionnellement avec leur bras sain le mouvement convulsif involontaire de leur bras
conversif. Les chercheurs ont ainsi pu comparer l’activité de la jonction temporo-pariétale pour les
mouvements droit et gauche. D’après cette étude, l’absence d’agentivité - donc la nonreconnaissance de soi en tant que personne relié à l’événement ou au mouvement qui nous
concerne - serait due à un projet d’action au niveau du cortex moteur dépourvu de feedback sensitif
et entraînerait une réduction de la connectivité au niveau de la jonction entre lobe temporal et
pariétal impliquée dans la prise d’information (Voon et al., 2010).
Cette jonction temporo-pariétale étant hypoactivée en direction des cortex sensori-moteurs et des
régions limbiques elle aurait donc un rôle déterminant dans la conversion. Faut-il considérer
censidère ce processus comme dysfonctionnel ?
II.2.3 Une nouvelle approche du trouble neurologique fonctionnel de la voix ?
Ces nouvelles pistes neurophysiologiques nous permettent de mesurer la profonde intrication des
faisceaux neuronaux cognitifs, attentionnels, d’agentivité en lien à la motricité du geste conversif.
Les répercussions de cette complexité ne sont pas sans retentir sur la vie des patients aphoniques,
dont le projet de guérison est d’ores et déjà complexe. Leur parcours de soin, souvent méandreux
peut finir par une simple rémission, quand d’autres resteront sans voix et dans le repli social
pendant des mois ou des années. La crainte d’une récidive, la chance d’une rencontre, d’une
36
alliance clinique, d’une psychothérapie ou d’une approche thérapeutique adaptées : le destin de
l’aphonique psychogène est encore sujet à trop d’incertitude.
Le caractère insaisissable de l'aphonie psychogène - pathologie phoniatrique - issue du faisceau des
phénomènes de conversion - troubles psychiatriques - nous a conduit à nous intéresser à ce sujet :
comment un individu peut-il perdre sa voix, ne plus émettre de sons sans qu'il n'y ait de lésions
neurologiques ?
37
PARTIE PRATIQUE
I.
Genèse d'une rencontre pluridisciplinaire
Rencontré au cours de nos pérégrinations sur internet, l’article « Conversion hystérique et imagerie
fonctionnelle » du Docteur Stéphane Mouchabac, neuropsychiatre, répondait à nos interrogations
concernant les atypies cérébrales lors de troubles conversifs moteurs. Cette publication scientifique
a nourri notre questionnement quant au devenir de la prise en charge spécifique de l'aphonie. Avec
notre maître de mémoire, le phoniatre Gérard Chevaillier, nous avons cherché à faire la
connaissance du docteur Stéphane Mouchabac pour savoir s'il était également confronté dans sa
pratique à des aphonies psychogènes. Le psychiatre de l'hôpital Saint-Antoine nous a conforté dans
le fait que, se situant au carrefour de nombreuses disciplines médicales (neurologie, phoniatrie,
psychiatrie), cette pathologie comporte, outre ses enjeux intrinsèques - un autre défi : celui de
fédérer des connaissances issues de différents champs des sciences médicales afin de travailler en
pluridisciplinarité, pour le bénéfice du patient.
Intéressé par nos connaissances, le Docteur Mouchabac voulait depuis quelques années collaborer
avec des orthophonistes pour consolider le protocole utilisé en TMS. Ce dernier, encore empirique,
se montrait déjà quasiment systématiquement efficace. Pourtant, le psychiatre voulait l'asseoir sur
des bases orthophoniques, phoniatriques et neuropsychologiques encore plus précises pour
optimiser la rémission des patients aphoniques.
Compte-tenu de notre formation neuropsychologique et cognitive d’une part, et des connaissances
anatomo-fonctionnelles dont nous disposons quant aux dynamiques laryngée et pneumophonique
d’autre part, l’orthophonie est un champ de savoir-ressource pour le praticien de la TMS dans le
cadre de l’aphonie psychogène.
38
II.
Problématique et hypothèses
A partir des conclusions d’études en imagerie neurofonctionnelle, le Docteur Stéphane Mouchabac
rééduque par la rTMS les troubles moteurs de conversion. D'une part, il relance l’initiation motrice
et son intention et rétablit ainsi l’agentivité du patient. D'autre part, par des tâches distractrices de
mobilisation attentionnelle, il renforce la levée du symptôme. On se demande donc si en proposant
ce protocole à un aphonique de conversion, on obtiendrait les mêmes résultats que chez les
hémiplégiques de conversion.
De cette problématique, deux hypothèses découlent naturellement :
1- Le rétablissement de l’agentivité via la TMS permet au patient aphonique de retrouver petit à
petit le contrôle de son geste phonatoire qui devient plus efficace par effet de "rémanence".
2- La distraction attentionnelle permet d'augmenter l'effet du traitement.
Pour cette étude, nous avons adopté une démarche abductive par ajustements progressifs à la réalité
clinique.
III
Présentation de l'étude de cas
III.1
Choix du type d'étude
Du fait de la faible prévalence de la pathologie étudiée, nous avons choisi d'effectuer deux études
de cas uniques portant sur le traitement en rTMS pendant deux semaines à raison d'une séance
quotidienne de trente minutes. Notre démarche est essentiellement qualitative du fait du nombre de
cas étudiés, de la subjectivité de l’émission laryngée et de la démarche empirique et expérimentale
pratiquée à l'hôpital.
III.2
Population
Le premier cas étant celui d'une dysphonie psychogène avec une voix chuchotée en stade initial et
le second étant initialement une aphonie complète. (voir ANNEXE profils détaillés des patients)
39
III.2.1 Profil du patient n°1 : F.S. ANNEXE
F.S. est un patient âgé de 32 ans, de bonnes capacités mnésiques et exécutives, qui a consulté le Dr
Chevaillier dans le service de phoniatrie de l’hôpital Lariboisière le 23/02/2015 pour une plainte
d’aphonie.
F.S. n’a pas d’antécédents psychiatriques, personnels ou familiaux connus mais nous pouvons le
décrire comme présentant une personnalité prémorbide sensible au stress environnemental. Sur le
plan somatique, on retrouve une atteinte virale herpétique à l’âge de 11 ans avec récidive en 2007.
Après un premier mariage en 2010 qui s’est soldé par un échec, il est aujourd’hui divorcé et semble
épanoui dans sa vie personnelle puisqu’il a pour projet de se marier en Inde au mois d’avril 2015.
Né en France, de père indien et de mère vietnamienne, il vit chez ses parents exerçant encore une
influence sur ses comportements : F.S. désigne les adultes en opposition à sa génération. De
formation de technicien en dessin industriel, il exerce comme conseiller commercial après avoir
gravi les échelons dans une grande surface de la région parisienne accueillant des milliers de
personnes par jour. A ce titre, depuis cinq ans, il est responsable d’une équipe de caissiers sous
pression et se trouve lui-même soumis à l’autorité négative de sa hiérarchie. Tout au long de la
journée, il se doit d’être réactif puisqu’il est amené à réaliser de nombreuses tâches simultanément
auxquelles se rajoute des appels téléphoniques permanents, ce qui, conjugué à la contagion du stress
des membres de l’équipe, représente une surcharge de traitement incompressible. Cette situation a
retenti sur la qualité de son sommeil avec des difficultés à l’endormissement et/ou insomnies au
cours de la nuit. En 2012, il choisit de consommer des somnifères et les arrête après une
amélioration du rythme nycthéméral. En 2014, des épisodes de céphalées migraineuses le rendent
irritable et sont soignées par traitement homéopathique jusqu’à ce jour.
C’est dans ce contexte de surmenage professionnel qui s’est accentué depuis un an, qu’il subit le 24
janvier 2015 à midi après avoir passé une matinée ordinaire, une perte de sa voix progressant sur
une durée de quatre heures au cours d’un épisode infectieux ORL avec otite et mal de gorge. Il est
alors aphone, sa voix étant à ce moment exclusivement chuchotée, très peu intelligible car non
sonore. Son état lui permet de bénéficier d’un arrêt maladie de trois jours reconduit jusqu’à ce jour.
Son généraliste le traite par antibiothérapie et corticothérapie pendant respectivement quinze jours
et une semaine mais, les symptômes d’aphonie persistant après résorption de l’infection, il consulte
au bout de deux semaines un ORL qui l’adresse auprès d’une orthophoniste. Cette dernière
considérant l’étiologie comme neurologique, notre patient, inquiet, préfère consulter le phoniatre
Docteur Chevaillier le 23/02/2015 qui diagnostique au vu de l'examen laryngé et de l'IRM une
absence de lésion laryngée ou neurologique. Le médecin explique la désactivation de sa fonction
40
vocale par un trouble psychogène. Adressé à une deuxième orthophoniste, il a réalisé au jour de
notre bilan trois séances avec celle-ci pendant lesquelles il a effectué de la relaxation, des exercices
respiratoires, de souffle et de voisement à la paille. Par ailleurs, il consulte en psychothérapie depuis
trois semaines et a pris conscience de l’impact du stress professionnel dans l’émergence de son
aphonie. Cette double prise en charge semble avoir amélioré son état vocal ; cependant, il reste
aujourd’hui dysphonique. Son trouble est stable au cours de la semaine et de la journée mais le
patient note une fatigue laryngée à type de picotements en fin de journée.
La représentation que F.S. se fait de son trouble varie selon son point de vue ou de celui de son
entourage. Le symptôme est une gêne et une inquiétude importante pour sa famille dont les conseils
et les remèdes agacent le patient. Quant à F.S., il évoque son aphonie avec légèreté bien qu’il le
considère comme un handicap pour lequel il cherche patiemment une solution. S’il n’existe aucun
antécédents familiaux de troubles conversifs ni vocaux, le terrain ORL est fragile car F.S. rapporte
avoir déjà connu des épisodes de modification vocale au cours de trachéites avec timbre rauque et
perte d’intensité en juin 2008, mai 2010 et janvier 2014.
Notre examen clinique objective un accolement longitudinal des cordes vocales possible mais
incomplet induisant une importante déperdition d’air. Il en résulte un temps maximum de phonation
très réduit (8’’30 au lieu de 20’’) et un chuchotement avec voisement soufflé erratique. On note une
évaluation subjective de la voix à G3R0B3A0S1. F.S. évoque qu’il a su pallier son forçage vocal
primaire grâce à ses séances orthophoniques qui lui ont permis d’adopter une dynamique
respiratoire abdominale efficiente, cependant assez naturelle chez lui. Malgré tout, en position
debout, on note un très léger affaissement costal et un ancrage des pieds en ouverture, signant une
légère antéversion du bassin. Au niveau phonatoire, on note une fluctuation de la performance de
voisement selon le point d’articulation ([g], [j] et [d] favorisant la vibration) et en fonction du
contexte coarticulatoire (consonne + [R], syllabes complexes de type CCV ou VCC + CCV
permettant également un meilleur voisement). La présence du [R] dont le voisement s’ajuste au
contexte formantique semble facilitateur. On observe une dissociation automatico-volontaire avec
un voisement lors de la toux. Il est à noter que le patient a lui-même remarqué cette dissociation lors
d’un incident douloureux qui lui a permis d’émettre un cri dans un moment de frayeur. Cherchant à
reproduire volontairement cette expérience à l’occasion d’une chute de vélo volontaire, son
émission laryngée s’est avérée impossible. De même, lors de la passation du bilan, nous avons pu
observer juste après une demande de confirmation de la consigne, une émission laryngée normale
lors du premier item d’une série de logatomes à répéter suivie d’une toux. Reprenant son aphonie
après cette toux, nous nous interrogeons sur l’impact de la distractibilité attentionnelle due à la
41
consigne, dont nous connaissons l’effet désinhibiteur sur le phénomène de conversion, ceci nous
portant à croire que les séances en TMS pourraient se révéler efficaces.
III.2.2 Profil du patient n°2 : FAZ. ANNEXE
B.C. est un patient marocain âgé de 37 ans qui a consulté le Dr Chevaillier dans le service de
phoniatrie de l’hôpital Lariboisière en avril 2012 pour une plainte initiale de dysphonie.
De langue maternelle arabe, il est parfaitement bilingue depuis son enfance, quoiqu'il est à noter
l'existence d'une certaine dyssyntaxie dans les écrits par lesquels il communique en début
d'expérimentation sans que l'on sache si celle-ci est antérieure aux troubles décrits. Notre patient est
enseignant pour enfants et adultes ainsi que formateur par e-learning. Si son aphonie a eu pour
conséquence immédiate l'arrêt de l'exercice de son professorat, il continue a minima d'être
formateur pour adulte avec qui il correspond par écrit via internet. Habitant au Maroc chez sa mère
et célibataire, B.C. semble être soumis à un stress environnemental quotidien du fait de ses
responsabilités familiales suite à la maladie de son père. La mort récente de ce dernier n'a fait que
renforcer les responsabilités qui lui sont attribuées.
B.C. avait déjà connu un épisode d'extinction vocale un matin de novembre 2011 : la voix était
alors réapparue progressivement mais deux mois plus tard, une aphonie plus longue s'était
transformée au bout de treize jours en une dysphonie "comme si deux personnes parlaient
simultanément". Cette allusion du patient à la dénaturation de sa voix induit pour nous un
questionnement sur une éventuelle impression de dissociation. Il n'existe pas d'autres antécédents
psychiatriques ni familiaux conversifs.
Le patient relate que le dernier épisode d'aphonie/dysphonie psychogène de fin mars 2012 est
apparu dans un contexte de forte angoisse alors qu'il était isolé pendant trois jours par une
inondation. Les médecins marocains parlaient, eux, de dysphonie chronique suite à un coup de froid
glacial. Etant apparu simultanément, "la perte brutale mais progressive sur deux jours du
fonctionnement des membres inférieurs du côté gauche" a entraîné des examens neurologiques qui
ont mis en évidence l'absence de corrélat neurologique. AVC?Après une errance médicale, B.C. est
reçu en avril 2012 par le Dr Gérard Chevaillier qui évoque le caractère psychogène de la dysphonie
devant l'absence d'anomalie structurelle laryngée et neurologique. Le phoniatre constate une
sonorisation possible sur les voyelles entraînant une voix spasmée aux allures de dysphonie
spasmodique. Pris en charge trois mois en phoniatrie début 2014 alors que la dysphonie s'était de
nouveau transformée en aphonie malgré un suivi psychanalytique, le patient parvenait à sonoriser la
vibration de ses lèvres sur sollicitation sans aucune vibration laryngée. Il consulte aujourd'hui pour
42
l'aggravation de ses symptômes, l'aphonie étant devenue complète. Il s'est déplacé pour suivre les
séances de TMS que propose Stéphane Mouchabac à l'hôpital St Antoine.
Lors de notre bilan initial, c'est donc un patient aphonique complet mais non mutique se déplaçant
au moyen d'une béquille, que nous évaluons. L'entretien est rendu difficile par une absence totale
d'émission sonore à laquelle le patient semble avoir renoncé, n'utilisant qu'une gestuelle labiale avec
une langue atone, basse. B.C. ne parvient pas à mobiliser volontairement l'énergie nécessaire à une
articulation sonorisée sinon bruitée. Il semble comme découragé devant l'énergie qu'il imagine
devoir produire pour sonoriser. A l'examen, les cordes vocales sont normales mais la fermeture est
impossible et un serrage des bandes ventriculaires s'y substitue parfois surtout lors des ébauches de
râclements de gorge ou de soupirs sonorisés. Sur commande, la toux est possible mais le bruitage
comme celui du /p/ et du /ch/ demande de nombreuses sollicitations tandis qu'il est plus facilité en
imitation mais les fricatives et occlusives voisées sont impossibles à être produites. Plus que jamais,
l'aphonie complète du patient mériterait le nom "d'apraxie laryngée" car en outre, on observe une
inversion du souffle phonatoire, le patient tentant d'émettre des sons pendant l'inspiration. Devant
cette incoordination complète du geste phonatoire, B.C. utilise spontanément des moyens de
communication alternatifs comme le support papier écrit et la synthèse vocale. Il est impossible de
lui faire ressentir la respiration abdominale du fait du sentiment d'intrusion également exprimé lors
de l'exploration par sonde nasofibroscopique.
Un GRBAS à G3R0B0A0S2 qualifie la voix de B.C., ce qui la rend incompatible avec un usage
professionnel bien qu'avec un score de 1/10 cela ne semble pas représenter un handicap pour le
patient. Néanmoins ce dernier a une très forte appétence à la guérison, s'attribuant une note de
10/10. Volontaire mais placide - cette placidité n'est pas sans rappeler un des symptômes de la
"belle indifférence" - nous nous interrogeons sur l'issue des séances de TMS en se demandant si
elles vont aider le patient à lever ses symptômes alors que son aphonie complète s'est installée
depuis des années.
IV. Matériel
IV.1
Protocole existant en rTMS du Docteur Mouchabac à l'hôpital Saint-Antoine
Depuis quelques années, le Dr Mouchabac propose à ses patients aphoniques psychogènes une série
de séances quotidiennes de TMS d'une demi-heure à l'hôpital St Antoine pendant une ou deux
semaines. Lorsqu'il n'arrive pas à lever intégralement une conversion ou dans le cas d'une rechute,
43
cette série peut-être complétée quelques semaines ou mois plus tard par une deuxième série, le
temps que le patient accepte inconsciemment de lâcher ses résistances.
Essentiellement en basse fréquence, c'est un protocole de 2000 pulses (ou stimulation magnétiques)
par séance entrecoupées de périodes sans stimulation (hors TMS) dites de "rémanence" qu'il réalise
sur ses patients. Il cible généralement le cortex pré-moteur sur une zone de 2 à 3 cm2 pour induire
une neuromodulation c'est-à-dire un rétablissement du potentiel d'action sur les circuits neuronaux
responsables de l'intention et la préparation du geste phonatoire. En théorie, le neuropsychiatre
devrait également cibler le cortex moteur controlatéral responsable de l'exécution de la commande
motrice mais le larynx étant dans les profondeurs de l'homonculus de Penfield, il ne peut y avoir
accès facilement.
Pendant son protocole, un corpus de gestes phonatoires est à reproduire puis à produire afin
d’entraîner et de réinscrire le parcours d’activation neurale attendu. Cette phase d’entraînement est
appelé le pitch. Puis, des tâches plus complexes sont proposées. Celles-ci ont pour but de prendre de
court l’investissement attentionnel que la conversion exerce pour produire activement l’inhibition
du geste. C’est le principe de distraction attentionnelle (DA). En proposant des tâches
neuropsychologiques nécessitant un contrôle exécutif, la thérapie consiste enfin à mobiliser les
ressources attentionnelles du patient à d’autres fins que celles de la conversion. Le docteur
Mouchabac privilégie donc toute action requérant une attention particulière afin d’augmenter les
chances de levée du symptôme conversif.
Le psychiatre favorise la réhabilitation cognitive de l’action via le feedback perceptif car la voie
sensorielle est un chaînon manquant afférentiel dans le processus de conversion. Grâce à la boucle
audio-phonatoire, le patient observe le fonctionnement de son organe, et rétablit ainsi le lien entre
l’action et son résultat. Ainsi, grâce au travail des représentations visuelles, auditives et mentales,
les afférences sensorielles sont reliées progressivement aux représentations de soi (activées en
territoire temporo-pariétal). Ce procédé a pour fonction de consolider la restauration du système
d’agentivité qui consiste à considérer soi comme initiateur du geste et permet au patient de
considérer l’action motrice comme « recouvrée ».
IV 2. Tâches orthophoniques conçues
Le docteur Stéphane Mouchabac nous ayant demandé d'élaborer un corpus verbal et un corpus de
distraction attentionnelle à faire passer en stimulation et hors stimulation.
Nous sommes convenus que devaient être créés un ou plusieurs pitchs vocaux, des tâches
mobilisant l'attention et faisant appel à la flexibilité ainsi que des tâches plus difficiles et plus
complexes.
44
Pour la création de ces différentes tâches, nous nous sommes appuyés sur l'observation d'une séance
de traitement en rTMS auprès d'une hémiplégique psychogène dont on a extrait les différentes
phases temporelles et les objectifs y correspondant.
Pour entraîner l'exécution motrice vocale nous avons élaboré des tâches favorisant l'émission
laryngée et permettre un feedback des possibilités de la voix favorisant l'agentivité (voir annexes):
Pitch de gestes pneumophoniques (technique à la paille)
Pitch de sons (pitch phoniatrique)
Pitch de logatomes uni- et pluri-syllabique avec phonèmes facilitateurs
Tâches de répétition de mots
Tâches d'évocation de mots
Tâches attentionnelles à visée de distraction
Tâches de répétition de phrases selon contour intonatif ou modulation des paramètres vocaux
Ainsi, nous avons préparé une "boîte à outils" pouvant répondre aux besoins phoniatriques et
neuropsychologiques du patient à l'instant t et bien-sûr aux objectifs de la rTMS de Stéphane
Mouchabac.
IV 3. Principes thérapeutiques
IV.3.1 Pitchs
La progressivité de la sonorisation est visée dans l'ensemble des pitchs :
- Le pitch A est étayé sur une démarche phoniatrique du non voisé au voisé, de la production courte
à la production prolongée avec du glottage ou non en fonction d'une ouverture des plis vocaux plus
ou moins importante (Annexe Pitch A).
- Le pitch B est composé de sons simples d'abord sourds puis sonores (Annexe Pitch B) .
- Le pitch C tient compte d'une part de la dynamique laryngée car chaque mode articulatoire
entraîne une dynamique laryngée spécifique : certaines consonnes comme les occlusives sourdes
n'ont pas d'accolement alors que d'autres comme les fricatives voisées demande un accolement plus
important. Pour objectiver l'impact de la configuration de la fermeture des cordes vocales sur la
capacité de production laryngée, nous avons sélectionné des items entraînant une configuration
ouverte des cordes vocales allant vers une configuration mollement resserrée pour la production des
consonnes. Ce pitch tient compte d'autre part du nombre de syllabes toujours croissant (Annexe
Pitch C).
45
Enfin le pitch D repose sur les mêmes principes que le C mais il concerne des items verbaux
sémantiques (Annexe Pitch D).
IV.3.2 Tâches phonologiques
Les listes de logatomes à répéter ont été construites sur la base de principes phonétiques et
phonologiques de coarticulation :
-
Phonème caméléon: le /r/ voisé ou non en fonction de son environnement est intéressant car
le patient ne peut prévoir la production de son voisement (/kr/ vs /gr/). De même, au sein
d'une syllabe, le /r/ est voisé à l'initiale et en final mais non voisé s'il suit une consonne
sourde.
-
Phonèmes ambivalents : les semi-voyelles entraînent également un voisement diphtongué
dont la nature est par conséquent ambiguë comme le nom qu'elles portent.
-
Mode articulatoire : selon le profil d'inhibition vocale du patient, ce sont soit les fricatives
ou les occlusives qui seront facilitatrices
-
Structure syllabique : de la plus simple à la plus complexe avec notamment le /r/ qui
prolonge le voisement
IV.3.3 Séries de mots
Nous avons constitué des listes de mots à répéter pour différents usages possibles. En tâche simple,
ils sont utilisés en répétition simple ou en empan endroit. La répétition fait appel à la production
verbale qui se synchronise à la réception de la parole : à ce titre, elle est une aide à la
programmation motrice. Il constitue un renforcement neurocognitif.
Nous avons constitué aussi une liste de questions avec proposition d'items en choix fermé pour
favoriser l'évocation spontanée du patient (Annexe "question de goût") et le mettre en situation de
plus en plus écologique.
IV.4.5 Closure de locutions automatiques
Enfin, nous proposons des closures de phrases ou de séries automatiques (proverbes, faits
arithmétiques, jours de la semaine...) car on sait que les locutions et séries verbales sont acquises de
façon prosodique ce qui permet une récupération automatique sans passage par une élaboration
sémantique.
46
IV.4.6 Tâches complexes
Toute tâche complexe, outre l'inhibition/focalisation qu'elles requièrent, doit favoriser chez le
patient le recours à une attention soutenue pour une efficacité thérapeutique, c'est-à-dire un
traitement mobilisant l'attention pendant une durée supérieure à deux minutes.
IV.4.6.1 Modalité visuelle dans les consignes de double tâche
Nous disposons d'une possibilité de complexification de la tâche de closure en y ajoutant une tâche
visuo-attentionnelle de type barrage, labyrinthe, code, go/no go avec difficulté croissante selon des
critères visuels (type d'exploration, longueur de l'empan visuel, proximité visuelle des éléments),
des critères de nature et de forme des éléments à traiter (familiarité, image ou mots, contraste, forme
et couleur, complexité graphique) et des critères de type de traitement (sélectionner, décompter,
copier). (Annexe tableau de progressivité et un exemple de barrage)
Le matériel fait ainsi appel à un traitement en double tâche puisque le patient doit réaliser
simultanément la tâche visuelle de distraction non routinière et la tâche verbale telles que les
closures de série automatiques, facilitatrices de l'émission vocale
IV.4.6.2 Tâches verbales mobilisant l'attention
La série de mots est le support à des consignes de type empan envers, recherche d'intrus, classement
alphabétique, acronymes.
IV.6.3. Entraînement à la modulation des paramètres vocaux
Entraîné dans un premier temps sur des sons, le patient sera invité à moduler d'abord en fonction
d'un paramètre vocal (hauteur, intensité, durée) puis en fonction d'une intention émotionnelle (joie,
peur, surprise, colère, tristesse).
IV.4.7. Matériel de contrôle visuel
Le docteur Chevaillier fournit un nasofibroscope portatif permettant, le cas échéant, de renforcer le
feedback auditif par une entrée visuelle.
Le matériel que nous avions constitué permettait d'être une sorte de "valise", de stock d'exercices,
qui tenait compte de principes thérapeutiques et dans laquelle on allait piocher en fonction des
observations cliniques face au patient. Cette notion d'ajustement et d'adaptabilité semble
particulièrement primordial du fait du polymophisme de l'aphonie psychogène . De par le caractère
instable et non régulier, le patient ne pourrait anticiper les réponses et ainsi inhiber le contrôle
conversif par inhibition active.
47
V. Procédure de recueil des données
Les données sont recueillies grâce à une écoute subjective des productions vocales effectuée par
deux évaluateurs.
Pour ce faire, nous avons conçu des grilles d'évaluation sur le principe analogique de cinq colonnes
progressant de gauche à droite :
Colonne 1 : émission sans vibration avec émission de souffle seul (voisement chuchoté).
Colonne 2 : émission avec vibration laryngée intermittente et erratique sur l'item. Voix et
chuchotement sont autant présents sur l'item produit. (voisement instable)
Colonne 3 : émission avec vibration laryngée continue et stable sur l'item avec forte déperdition
d'air (voisement stable très soufflé).
Colonne 4 : émission avec meilleur accolement des plis vocaux produisant une pression laryngée
(Voisement plus puissant peu soufflé).
Colonne 5 : émission avec accolement ample assurant une pression laryngée permettant d'obtenir
une voix timbrée avec disparition de la fuite d'air. (Voisement timbré)
Cette grille nous permet ainsi de quantifier en cochant la colonne correspondante pour chaque item
la proportion de chaque qualité vocale au sein d'une même tâche et au sein d'une même séance.
Ces données, une fois moyennées, ont été converties en pourcentage pour obtenir des valeurs
quantitatives comparables et stables quels que soient le nombre d'items présentés dans une même
tâche ou séance.
Recueil des performances des deux patients
Progression de la phonation par séance de FS
Lors de la prise en charge pluridisciplinaire en rTMS de ce patient dysphonique, nous avons pu
faire une évaluation de chaque item produit par écoute subjective. Les valeurs chiffrées en
pourcentage représentant la proportion de chaque qualité de voix relevées par séance sera la base de
notre analyse de l’intérêt de la rTMS (effet de rémanence) et des tâches complexes (effet de
distraction attentionnelle).
48
Séance 1 : Premiers voisements. L’instabilité vibratoire domine avec une forte déperdition d’air et
encore 30% d’items non-voisées.
Séance 2 : Le voisement stable se renforce et deviennent majoritaires. Disparition des non-voisés.
Les voisés stables comportent une déperdition d’air très audible.
Séance 3 : Légère baisse qualitative des productions cependant toujours voisées Quelques nonvoisés. Un léger retour de l’instabilité du voisement, toutefois bien plus stable.
Séance 4 : La proportion de voisements aléatoires et stables est la même, mais avec l’apparition
d’items plus puissants en voix moins soufflée qui témoigne d’un meilleur
rapprochement cordal.
Séance 5 : Meilleure pression laryngée donnant accès à la voix timbrée pour la moitié des items.
Encore ¼ d’items instablement voisés.
Séance 6 : Volonté de contrôle pneumophonique par une gestion consciente du souffle abdominal.
Presque tous les items sont vocalisés timbrés, malgré un accolement encore perfectible.
Séance 7 : Pour la dernière séance de traitement , on note une légère baisse de la qualité vocale
mais ¾ de voisements timbrés et seulement 3 items soufflés.
La dysphonie du patient rendait audible les mécanismes possiblement en échec (en terme de souffle,
vibration laryngée et motricité articulatoire). Nous avons adapté les consignes afin d'atteindre
progressivement la régularité de la vibration laryngée et l'augmentation de la puissance du
voisement.
Nous objectivons trois dynamiques d'évolution successives une stabilisation de voisement puis des
performances vocales hétérogène et enfin une agentivité et reprise de l'intention de contrôle dur le
geste moteur.
Evolution inter-séance de la dynamique du souffle
Initialement, la coordination entre inspiration et expiration dans le souffle phonatoire est bonne
avec un souffle ample thoracique et abdominal. Bien que non confondu avec le souffle respiratoire,
se maintient à un temps minimum de phonation équivalent à 8 secondes en début et fin de
rééducation .
Evolution inter-séance de la vibration laryngée
La vibration reste instable et intermittente sur l'item produit jusqu'à la séance 4 mais permet déjà
d'obtenir une pression laryngée pour augmenter l'intensité vocale (voisement plus puissant). En
49
séance 5, le patient est capable de voiser complètement presque la totalité des items et dans le
même temps, timbre la majorité des items produits.
Evolution inter-séance de la motricité articulatoire
Le patient ne présente aucune difficulté de motricité articulatoire.
Progression de la phonation par séance de Faz
Devant le peu de productions possibles lors du traitement du patient aphonique, nous avons choisi
de conduire une observation plus qualitative, notamment sur l’évolution du patient en termes de
gestion du souffle, de la vibration laryngée, de la motricité articulatoire. Nous avons compris plus
finement avec ce patient l’intérêt d’observer également son comportement lors des échanges
verbaux que nous proposions.
Séance 1 : Toux facilitatrice de l'ébauche de voisement.
Séance 2 : Rétablissement du souffle phonatoire
Séance 3 : Rétablissement d'un souffle phonatoire plus modulé (allongement du temps en
fricatives)
Séance 4 : Apparition d'une vibration laryngée intermittente en fin de glottage
Séance 5 : Premières émissions sonores plus fréquentes et reproductibles
Séance 6: Restauration de l’utilité du souffle pour transmettre un énoncé à l’interlocuteur.
Rétablissement du bruitage lors d'émissions signifiantes (mots). Variation de la
dynamique expiratoire en souffle projeté
Séance 7 : Apparition d'un voisement intermittent lors du prolongement de fricatives sonores.
Séance 8 : Premières automatisations de l’expiration lors de la phonation mais difficulté de gestion
du souffle lors de la segmentation de la phrase
Séance 9 : Stratégies conscientes de reprise d’air sur soupirs pour éviter l’inversion du souffle.
Compte tenu de l’absence totale de gestes phonatoires en termes de souffle, vibration laryngée et de
l’imprécision articulatoire du patient communiquant uniquement en début de traitement par une
communication alternative, nous avons dû adapter nos propositions de consignes à la naissance
infime de chaque mécanisme jusqu’alors absents.
Evolution inter-séance de la dynamique du souffle
Le patient est initialement incapable de coordonner toute ébauche de commande verbale sur
l'expiration. Il présentait comme une apraxie du souffle phonatoire. Nous proposons un travail
50
respiratoire, des exercices à la paille et des variations de durée de souffle. Les essais de parole se
font à la fois sur une phase expiratoire puis inspiratoire sans discontinuer. Le patient ne respecte pas
les pauses du discours. Il semble avoir oublié la différence entre souffle phonatoire et respiratoire.
En séance 2, l’expiration phonatoire est produite dans le bon sens sur commande et peut être
modulée grâce à la résistance à la paille et les fricatives en séance 3. A partir de la séance 4, le
souffle phonatoire est maintenu permettant l’ébauche de variation de durée. C’est en séance 6 que
l’opposition entre les deux souffles devient plus clair pour le patient. Nous pouvons donc désormais
proposer des phrases forçant le patient à constater son défaut de reprise d’air pendant les pauses.
Puis à partir de la séance 7, nous nous sommes rendus compte que le patient présentait une réelle
dissociation entre le système phonatoire et le système respiratoire. Sur sollicitation, faz émet une
phrase sur l'expiration sans la segmenter. A bout de souffle, il continue à l'articuler en inspirant.
C'est comme si le patient était sur un mode respiratoire - végétatif - pendant la phonation et non sur
un souffle expiratoire phonatoire - sous contrôle volontaire automatisé. C'est comme si SNC et
SNA étaient dissociés physiologiquement (le SNA gèrant la respiration et le SNC gèrant
l'articulation) et qu'il n'y avait plus de conjonction entre les deux. En séance 9, le patient trouve une
stratégie consciente de reprise d’air par le soupir.
Evolution inter-séance de la vibration laryngée
Nous avons proposé des glottages, des toux plus ou moins allongées, des hemmage et râclements
conjoints à des phonèmes facilitateurs tels que /m/ et /i/. Par la suite, nous sommes passés à des
syllabes simples avec fricatives avec variation de durée, des glissandos ou oppositions
sourdes/sonores sur des dynamiques continues ou projetées puis sur des syllabes complexes. Enfin,
nous avons abordé les occlusives en syllabes complexes.
Initialement, seules des ébauches de vibration lors de la toux et des hemmages étaient perceptibles.
A la séance 4, nous avons obtenu des vibrations plus récurrentes lors des glottages et c’est en
séance 5 que les premiers voisements sur syllabes sont produits. Néanmoins, les progrès sont
maigres et concernent surtout les items sur consigne d’augmentation de puissance. Les progrès sont
nuls dès que le patient se retrouve en situation de communication écologique du fait d’une
désynchronisation complète entre fermeture des cordes vocales et souffle phonatoire.
Evolution inter-séance de la motricité articulatoire
L’articulation a été tout d’abord travaillée lors des exercices cités dans le paragraphe précédent
(syllabes simples puis complexes contenant le son /r/, fricatives puis occlusives) puis avec des mots.
Les phrases ont été abordées en proposant des suites de syllabes complexes formant des phrases
51
signifiantes. C’est alors que nous avons compris l’absence de représentation de la structure
segmentale de la phrase chez le patient.
Pourvu de simples mouvements bucco-mandibulaires, le patient était initialement très peu
intelligible sur lecture labiale. La langue atone ne pouvait pouvait produire un chenal fricatif
efficace. En séance 2 et 3, le patient a pu retrouver un schème moteur fricatif efficient pour produire
du bruit et des voyelles plus précises. Les représentations des consonnes postérieurs tels que le /r/,
le /k/ restent absentes. En séance 6, avec le retour d’une tonicité expiratoire, les bruitages
articulatoires sont plus audibles et des occlusives plus brèves peuvent être produites en syllabe
complexe. Nous procédons alors en séance 8 et 9 à l’entraînement des lettres de l’alphabet et
d’items plurisyllabiques. Nous notons une désynchronisation entre articulation et segmentation
syllabique avec /voisin/ produit [vwaz].
Effet de rémanence
II.1
Effet de rémanence à partir des performances de FS
Les données chiffrées vont nous aider à extraire certaines tendances et à décrire dans un premier
temps comment la rTMS améliore la qualité vocale au cours du traitement et dans un deuxième
temps comment le patient profite de cette stimulation quand il n’est pas stimulé (période « horsTMS »). Ce maintien des effets obtenus quand le patient n’est pas stimulé par la rTMS s’appelle
« l’effet de rémanence ».
II.1.1 Analyse de l’évolution de la qualité vocale pendant le traitement
Chez ce patient dysphonique, la progression de la qualité vocale se manifeste surtout par l'évolution
des mécanismes de pression laryngée et de contrôle du souffle qui, une fois conjugués, aboutissent à
la voix timbrée. Pour cela, nous avons rassemblés les données quantitatives dont nous disposions
pour exprimer cette progression inter-séance dans les deux tableaux suivants :
chuchoté
instable
stable soufflé
6,5
32,5
54
+ puissant
timbré
15
85
21
78
S4
19
31
49
1
S5
3
19
30
48
S6
21
24
55
S7
26
47
27
S1
S2
S3
1
Tableau 1 : Proportions des items produits par type de qualité de voisement en TMS
52
chuchoté
instable
stable soufflé
S1
28
34
38
S2
4
36
60
S3
3
40
57
S4
38
44
18
S5
1
23
26
50
1
99
22
75
S6
3
S7
+ puissant
timbré
Tableau 2 : Proportions des items produits par type de qualité de voisement hors TMS
Proportion inférieure au vingtième
Proportion inférieure au quart
Proportion inférieure à la moitié
Proportion majoritaire
Alors que les progrès en TMS évoluent chaque jour avec, à chaque séance, un score majoritaire
dans la meilleure qualité vocale, en note que la progression hors TMS se produit en deux phases.
Hors TMS, pendant la première phase (séances 2 à 4), c'est la vibration laryngée qui s’améliore.
Pendant la deuxième phase, augurée en séance 3 par l’apparition de voisements plus puissants, c'est
l'accord pneumophonique qui gagne en contrôle (séances 5 à 7).
II.1.2 Evolution de l'effet de rémanence au cours du traitement
Nous résumerons l'effet de rémanence interséances lors du tableau ci-dessous. Nous qualifierons
l’effet de rémanence en fonction de son utilité thérapeutique par les termes suivants :
« positif » quand les performances vocales hors TMS sont inférieures à celles en TMS
« neutre » quand les performances vocales hors TMS sont équivalentes à celles en TMS
« négatif » quand les performances vocales hors TMS sont supérieures à celles en TMS
Effet R
Séance
1
Le patient conserve de la TMS une nouvelle capacité de voisement qui demeure instable et aléatoire.
1/3 des productions reste encore chuchotées.
2
Les progrès en TMS se répercutent hors TMS dans une moindre mesure mais avec une même qualité
vocale : le voisement stable s’installe.
3
Des vibrations laryngées légèrement plus instables hors TMS avec même le retour de 3% de
productions chuchotées en TMS.
4
L’accumulation des séances de stimulations et l’amélioration de la qualité du voisement incitent FS à
produire hors-TMS une voix plus affirmée, plus puissante après y être parvenu pour 1/2 des items en
TMS.
positif
Séance
positif
Séance
positif
Séance
positif
Description de la qualité vocale après rTMS
53
Séance
5
Le patient maintient presque entièrement les performances obtenues en TMS. On note qu’il commence
à initier une démarche consciente de contrôle volontaire du souffle hors TMS, dont il a constaté les
effets en TMS.
6
Les performances en TMS sont désormais plus hétérogènes avec plus de déperdition d’air, alors qu’en
TMS le patient se concentre fortement sur la gestion de son expiration pour obtenir - avec succès - des
voisements timbrés.
7
On peut se demander quelle corrélation relie encore les performances en TMS et hors TMS, bien
qu’une légère régression dans les 2 situations de production vocale soit observée.
neutre
Séance
négatif
Séance
négatif
II.2
Effet de rémanence à partir des performances de Faz
L'effet de rémanence n'a pu être objectivé devant la subtilité des variations pneumophoniques du
patient et par conséquent de l'absence de données chiffrées. Par contre, l'analyse qualitative a
permis de mieux comprendre l'importance du feedback pour le constat par le patient de l'évolution
de ses émissions.
II.3
Feedback : restauration de l'agentivité
II.3.1 Procédure de feedback pour le patient Faz
Pour que le patient puisse retrouver l'agentivité de son geste phonatoire, différents types de
feedback sont mis en place :
- Un feedback visuel par nasofibroscopie en milieu de prise en charge pendant la rTMS afin qu'il
puisse visualiser son organe vocal en fonctionnement.
- La paille qui incarne un feedback à la fois visuel et auditif par la production dans l’eau de bulles
d'air de tailles différentes selon l'intensité du souffle.
- L’amplification de la boucle audio-phonatoire par une position de main « en téléphone » qui
favorise un feedback auditif permettant au patient à tout moment l’écoute de ses émissions.
- L’enregistreur audio sur Iphone permet de constater visuellement la variation de la puissance des
productions à reproduire à la suite de celles du soignant.
L'effet de rémanence provoquant une restauration de l'agentivité par feedback n'est pas significatif
chez ce patient aphonique. Cependant le feedback a induit une concentration accrue sur la nature et
la qualité de ses productions d'une part et un plus grand engagement dans la thérapie d'autre part.
Malgré le peu de données analysables dont nous disposons, nous concluons que le renforcement
moteur de l'émission grâce à la rTMS augmente le feedback. Nous concluons que le feedback
produit des effets comportementaux en terme d'implication thérapeutique mais n'augmente pas
encore les performances phonatoires du patient.
54
II.3.2 Procédure de feedback pour le patient FS
Pour le patient FS, l’effet de rémanence paraît significatif lors des 4 premières séances : le patient
évolue chaque jour. En séance 5, on note une neutralisation de l'effet au moment où la prise
d’information sonore par le feedback audiophonatoire lui fait constater son agentivité dans l’action
motrice. Le feedback par nasofibroscopie en séance 6 va s'avérer décisif dans le rétablissement de
l'agentivité que nous pouvons relever à partir de l'observation de la posture corporelle du patient
plus tonique. Dans la séances suivante, une nette baisse de l’effet de rémanence est relevée.
II.4
Retentissement du feedback sur le rétablissement de l'agentivité
II.4.1. Comportement lié au rétablissement de l'agentivité chez FS
Dès le début du traitement, FS montrait un engagement manifeste dans la thérapie. Cependant, son
regard n'était pas dirigé pragmatiquement vers les soignants lors de ses productions. Il restait
comme placide, "indifférent". En séance 6, il remarque que sa voix a changé et qu'auparavant elle
lui semblait être celle d'un "robot". Le patient devient plus expressif d'un point de vue non verbal,
plus assuré dans sa communication verbale.
II.4.2. Comportement lié au rétablissement de l'agentivité chez Faz
Le retour de l'agentivité chez Faz est le seul progrès patent observé.
Phase I : engagement dans la thérapie
Dans un premier temps, nous remarquons lors d’exercice respiratoire que le patient refuse le souffle
à l'unisson avec le soignant. Ceci indique bien les résistances du patient quant à la synchronisation
avec autrui dans toute forme de communication. De la même façon, il refuse catégoriquement tout
contact corporel (pose des mains du soignant pour faire ressentir la respiration abdominale).
Jusqu'à la séance 2, à travers une posture non verbale de repli sur soi, nous avions le sentiment que
notre patient Faz n'était pas réellement engagé dans sa thérapie et appréhendait son traitement
(pouce caché à l'intérieur de sa main crispée).
A partir de la séance 4, au gré de nos principes d'attitudes thérapeutiques, Faz commence à être
participatif et moins passif. Il est dans l'acceptation qu'il peut se passer quelque chose et s'entraîne
hors séance. Nous mesurons combien la guérison est un remaniement de soi qui nécessite une
motivation indispensable.
Phase II : engagement dans la communication
En séance 6, le patient a une attitude enjouée, s'adresse avec expressivité exclamative. C'est à cette
occasion qu'il nous confie qu'il a l'impression de s'entendre. Entendre un souffle synchronisé avec
55
sa parole (rétablissement d'un chuchotement efficient) représente beaucoup pour lui car c'est la
redécouverte de la fonction phonatoire. Le Dr Mouchabac propose au patient de définir la distance
interpersonnelle qui lui est confortable pour obtenir une communication fondée uniquement sur la
modalité auditivo-verbale. Ce sera pour le patient le moment où il envisage de nouveau la
communication sans support alternatif.
Puis en séance 8, un tour de rôle dans la relation
thérapeutique augure une meilleure pragmatique de la communication. Au travers de cette situation
d'émission/réception exclusivement auditive (nous détournons le regard et tendons l'oreille), nous
induisons la fonction de transmission audiophonatoire du message requise dans la communication.
La répétition de phrases induit de nouveau un repli de communication du patient qui semble désirer
s’exercer dans des situations de communication plus écologiques. On peut donc en conclure que
l’appétence à communiquer du patient a progressé. Le regard du patient a changé en terme
d'expressivité. Il est moins apathique et sa dynamique faciale moins atone. Il a maintenant une
diversité de mimique (sourire...). Il est comme revenu à lui. Lors de la dernière séance, nous
proposons au patient une échelle analogique évaluant les progrès lors de ces deux semaines de
traitement pour lequel il donne la note de 10/10. Cela démontre que le patient n’a pas conscience de
l’étendue de son trouble comme s'il n’avait plus de représentations des schèmes moteurs de la voix.
Le Dr Mouchabac relativise, précisant que c'est la première des trois étapes qui vient d'être ainsi
réalisée. Il félicite aussi l'effet conjoint de la rTMS sur les capacités de marche sans béquille du
patient qui ont été en partie recouvrées.
II.4
Conclusion sur l'effet de rémanence
Tandis que nous observons chez le patient dysphonique un effet significatif de la rémanence par le
biais de l'agentivité recouvrée grâce à la rTMS, nous n'observons chez le patient aphonique qu'un
meilleur engagement dans le processus de traitement obtenu par l'amplification des performances
par la stimulation, augmentant l'effet du feedback. Ce dernier est assurément un élément-clé de le la
restauration de l’agentivité.
Effet de distraction attentionnelle (DA)
III.1 Effet de distractibilité attentionnelle à partir des performances de FS
En comparant les qualités vocales produites par le patient lors de la réalisation de tâches simples
avec d’autres tâches plus complexes, nous tenterons de comprendre comment la mobilisation de
l’attention du patient améliore ou non les performances notamment sur les processus de stabilité du
voisement (vibration régulière), de pression laryngée (accolement cordal) et d’équilibre
pneumophonique (timbre). Notre but n’est donc pas de savoir si les tâches proposées sont réussies
56
mais si la DA aide à la levée du symptôme conversif. Ces tâches ont été proposées en TMS et hors
TMS ; nous les analyserons séparément. Comme pour l’effet de rémanence, nous nous appuierons
sur les proportions de chaque qualité vocale que nous avons relevées et exprimées en pourcentage.
III.1.1 Evolution de l'effet de distraction attentionnelle au cours du traitement
Les tableaux rendent compte de l’effet de la distraction attentionnelle par l'écart de performance
entre tâche simple et complexe, exprimé par la différence de valeurs en pourcentage d'items obtenus
dans chaque qualité vocale.
chuchoté
instable
stable soufflé
+ puissant
timbré
S2
-16%
+16%
S3
-16%
+16%
S4 - 2%
+7%
+7%
-10%
-2%
S5
-4%
+20%
-16%
S6
-17%
-21%
+38%
S7
+13%
-40%
+27%
Tableau 3 : Analyse des écarts de performance entre tâche simple et complexe en TMS
Diminution de la proportion des items produits
Augmentation de la proportion = inférieure à 10%
Augmentation de la proportion = entre 10% et 25 %
Augmentation de la proportion = supérieure à 25%
Régression de la qualité vocale
Amélioration de la qualité vocale
Mode binaire de représentation du geste
En TMS, la DA produit un effet lors des deux premières séances (séance 2 et 3) où le
rapprochement cordal semble être amélioré. L’effet de DA semble se tarir en séance 4 durant
laquelle la qualité des productions fluctuent beaucoup (du chuchoté au timbré). Notons toutefois
que c’est lors de cette séance que les premiers voisements timbrés vont émerger. En séance 5, le
voisement est définitivement stable mais les timbrés sont en régression. Ce n’est qu’en séance 6 que
l’effet de DA reprend et semble permettre l’homogénéisation des performances vocales encore
assez fluctuantes (du voisement stable avec fuite d’air au voisement timbré). En séance 7, les
productions du patient en DA se scindent entre productions avec déperdition d’air et performance
franchement timbrée, témoignant d’un effort de ciblage dans la gestion du souffle recherché
consciemment par le patient. Ce ciblage recrute chez lui de l'attention, ce qui pourrait expliquer la
baisse et la scission des performances en séance 7. En effet, on peut supposer que la présence d’une
représentation du schème moteur ciblé indique que l’intention d’agir ainsi que les afférences
proprioceptives sont de nouveau mobilisées pour l’exécution du geste.
57
En résumé : En TMS, la DA a un effet immédiat car elle permet de gagner en qualité vocale.
Cependant, l'effet n’est pas présent en coeur de traitement. On relève que les nouvelles qualités
vocales sont plus fréquentes en tâche simple qu'en tâche complexe. De plus, nous notons qu'elles ne
sont pas maintenues lors des tâches complexes, ce qui s'oppose aux performances obtenues hors
TMS.
chuchoté
instable
stable soufflé
+ puissant
timbré
S2
+12%
-12%
S3 +1%
-19%
+18%
S4
-45%
+22%
+23%
+12%
-18%
+6%
-17%
+17%
-29%
+36%
S5
S6
S7
-7%
Tableau IV : Analyse des écarts de performance entre tâche simple et complexe hors TMS
Hors TMS, la première journée où nous proposons des taches complexes (séance 2) montre un effet
négatif de la DA. Mais dès la séance suivante (séance 3) l’effet s’inverse : il permet le
rapprochement des plis vocaux et donne accès à un voisement plus stable. En séance 4, le patient
explore une puissance vocale intermédiaire rendue possible par la présence de la pression laryngée.
Cette dernière va ensuite régresser en séance 5 au profit de l’apparition de voisements timbrés qui
semblent désormais représenter pour le patient une cible à atteindre de façon systématique. La
séance 6 permet de consolider en effet la maîtrise de ces émissions timbrées. En séance 7, la
réduction de plus du tiers des productions manquant encore de pression laryngée est obtenue lors
des tâches de DA.
Dans les productions hors rTMS, on note un passage de la voix soufflée à la voix timbrée sans
transition par une augmentation de puissance sans timbre. En TMS, la DA renforce les qualités
vocales déjà acquises alors que hors TMS, la DA renforce la production de nouvelles qualités
vocales.
III.2.
Effet de distraction attentionnelle à partir des performances de Faz
La DA n'a été proposée qu'à partir de la séance 6. Elle consistait pour le patient à répondre par
exemple en arabe à des questions en français. A la séance 8, une fois l’engagement du patient établi
dans le traitement, puis dans la communication, des tâches complexes ont été plus souvent
proposées (alphabet et traduction, go/no go, bref, 5 mots de Dubois). Aucune levée de symptômes
58
n’a été relevée mais la concentration du patient s’est améliorée. Nous notons toutefois une
amélioration de la deuxième évocation de l’alphabet endroit après une tâche de l’alphabet envers.
Cette observation, marginale par rapport à ce que nous avions pu observer avec FS, ne nous
donnera donc pas de renseignements sur l'effet de la DA chez ce patient.
III.3
Conclusion sur l'effet de distraction attentionnelle
Pour FS, en rTMS, c'est en tâche simple que les performances sur les nouvelles qualités vocales
sont obtenues. Les tâches complexes associées à la rTMS - qui relance les performances motrices permettent, du fait d'une attention moindre, d'obtenir des progrès qui vont servir de base hors rTMS
pour le ciblage d'une nouvelle qualité vocale. L’installation durable de nouvelles qualités vocales
semble passer par ce ciblage et sous-tend la création d'une représentation mentale du schème
moteur.
Avec Faz, nous comprenons que les tâches de DA ne sont présentables au patient que dans la
mesure où des premiers progrès dans les processus fondamentaux de l'émission vocale sont de
nouveau actifs au niveau moteur. Si la tâche complexe ne permet pas de lever le symptôme, elle a
l'avantage de concentrer le patient sur la relation de communication (soignant/soigné) ce qui est
pour le patient aphonique "indifférent" un progrès d'ores et déjà consistant.
Rappel des hypothèses
L’objectif de notre étude était d’entreprendre la validation de deux hypothèses quant au traitement
pluridisciplinaire de l'aphonie de conversion associant neuropsychiatrie et orthophonie.
Hypothèse 1 : Le rétablissement de l’agentivité via la TMS permet au
patient aphonique de retrouver petit à petit le contrôle de son geste
phonatoire qui devient plus efficace par effet de "rémanence" hors rTMS.
Notre première démarche fut de proposer un traitement en rTMS dont le renforcement moteur avait
pour objectif d'aider le patient à constater l'intégrité de son organe et de ses fonctions. Nous avons
procédé également à l'exécution de tâches hors rTMS.
Les résultats sont probants : les deux patients ont changé de comportement de communication et se
sont réappropriés dans des mesures différentes leur positionnement d'agent de la communication
verbale. Néanmoins seule la voix de FS a été restaurée.
59
L’hypothèse que la rTMS améliore le geste phonatoire et que cette amélioration se maintient hors
stimulation (effet de rémanence) est confirmée pour FS. Cependant nous devons émettre quelques
réserves quant au patient aphonique dont le traitement de 9 séances n'était pas assez long pour
observer une réhabilitation de la vibration laryngée : nous n'avons pu mettre en évidence que
l'évolution de la soufflerie.
L'efficacité de notre traitement en rTMS corrobore les résultats de l'étude de Paillard sur un patient
présentant une hémiplégie et une aphonie psychogène traité par Dr Mouchabac (Paillard, 2014).
D'après les études de Voon, l'agentivité recouvrée de nos deux patients serait due à la meilleure
intégration sensorielle augmentant la connectivité au niveau de la jonction temporopariétale et
permettant un projet d'action agentivé au niveau du cortex moteur (Voon et al. 2010).
Il est donc intéressant d'envisager le traitement par rTMS pour une rééducation de dysphonie de
conversion dans la mesure où celui-ci est associé à des tâches orthophoniques et
neuropsychologiques ajustées à l'évolution du patient.
Hypothèse 2 : La distraction attentionnelle permet d'augmenter l'effet du
traitement. Les résultats ne sont probants que pour le patient dysphonique
car le patient aphonique en était encore à la réhabilitation de processus
subvocaux.
Les différentes tâches complexes proposées à FS une fois celui-ci bien installé dans le traitement en
rTMS se sont avérées moins efficaces en rTMS qu'hors rTMS, phase pendant laquelle les nouvelles
qualités vocales sont nettement renforcées grâce à la DA.
L’effet de la DA n’est pas immédiat hors TMS, mais il s’installe avec le temps et son effet semble
se renforcer au cours du traitement ce qui démontre clairement l'effet positif de la DA.
A partir des éléments théoriques dont nous disposons, nous pourrions expliquer que l'effet de la DA
hors rTMS n’est pas immédiat car la difficulté induite par la tâche complexe produirait dans un
premier temps une réaction inhibitrice par rétroaction. En effet, nous savons que le CPFDL allié au
COF et au CCA qui régulent exécution et émotion peuvent réduire le geste voire même empêcher
son déclenchement dans une perspective d'adaptation à la nouveauté. Ceci est un processus normal
et non pathologique commun à chacun dans une situation difficile. Une fois le niveau de difficulté
maitrisé et l’effet de surprise passé, la DA pourrait avoir un effet, qui d'ailleurs semble augmenter à
mesure que le patient reprend conscience de son statut d’agent du mouvement.
60
Il semble que la DA en rTMS et hors rTMS ne relevant pas des mêmes processus, améliorent les
performances de façon différentes : en TMS, la DA renforce l'installation de mécanismes déjà
apparus. Hors TMS, la DA renforce l'émergence de nouvelles qualité vocales.
Spence indique que pour maintenir un symptôme conversif actif l'utilisation de ressources
attentionnelles est nécessaire (Spence, Crimslick, Cope, Ron & Grasby, 2000). Hors rTMS,
l’inhibition sous-corticale de l’influx nerveux opéré par les boucles de rétroaction est active puisque
non court-circuitée par la rTMS. La DA parvient alors à priver ces boucles de régulation souscorticales des ressources attentionnelles dont elles ont besoin. Ceci a pour effet de libérer
l'inhibition et de favoriser la levée du symptôme.
L'hypothèse que la distraction attentionnelle produit un effet dans la levée du symptôme est
confirmée dans le cadre de la dysphonie. Il est donc intéressant d'envisager l'association du
traitement en rTMS à des tâches mobilisant l'attention permet à terme et hors stimulation d'obtenir
de meilleures performances vocales.
La DA pourrait en ce cas constituer un outil neuropsychologique intéressant à développer pour le
traitement de l’aphonie de conversion.
Limites de l'étude
Limites dues à la faible prévalence de l'aphonie
Devant la difficulté de trouver un patient aphonique, nous avons commencé l'étude par l'analyse des
productions d'un dysphonique. Nos procédures d'évaluation étaient fondées sur le recueil par écoute
subjective de la qualité vocale pour chaque item produit. Quand le patient aphonique a pu se prêter
au protocole, nous avons mesuré combien notre grille était inadaptée puisqu'aucun item n'était
produit.
Limites de la durée de notre étude
Nous avons eu la chance de bénéficier d'un équipement technique exceptionnel dans l'unité de
neuropsychiatrie de l'hôpital Saint Antoine pour la durée de deux semaines. Mais nous constatons
que le nombre de séances que nous avons pu réaliser nous permet d'observer que les prémices d'une
rémission. Nous n'avons pas pu observer l'efficacité de ce traitement à long terme avec le risque
important de récidives que comporte cette pathologie.
Limites due à la variabilité interindividuelle
61
Nous avons procédé à l'étude de deux cas uniques ce qui ne permet pas de généraliser nos
conclusions faute de validité statistique. Nous notons que pour une étude quantitative, outre la
faible prévalence, la thérapie comporte des éléments sémiologiques très variables auxquels le
thérapeutes doit s'ajuster. De ce fait, il est très difficile d'établir en amont de la thérapie des corpus
standardisés utilisables auprès d'une cohorte de patients.
Comme la plupart des études sur la conversion, il est difficile « de conclure à un mécanisme unique
et définitif du fait de l’hétérogénéïté des patients et de la petite taille des
échantillons »
(Mouchabac, 2007)
Limites de l'écoute subjective
Pour notre patient Faz, le recueil de données associé à la conduite de la thérapie, ne pouvait rendre
compte par écoutes subjectives des fines variations et progressions de ses productions. Seul un
enregistrement audio permettrait une analyse spectrale objective et efficace.
Biais
Biais de l'écoute subjective
Un enregistrement audio de qualité type praat n’a pu être utilisé compte tenu de l’environnement
sonore des séances en TMS : la machine produit un claquement à chaque pulse qui couvre en partie
les productions des patients. De plus l’utilisation elle-même de la machine de TMS empêche
l’usage de matériel électronique : on ne pouvait donc pas rapprocher de micro près du patient
aphonique ou dysphonique.
Par ailleurs, notre perception subjective du trait de voisement du patient dysphonique évolue au
contact régulier d’écoute de ses productions vocales : ce que nous considérions comme voisé à un
moment t, peut sembler partiellement voisé après habituation.
Cas uniques
L’étude de deux cas uniques est non signifiante d’un point de vue statistique. Cependant, elle est
intéressante d’un point de vue qualitatif dans le sens où le hasard nous a fait rencontrer ces deux
patients précisément, dont les symptômes conversifs sont en tout point différents, ce qui permet de
mesurer la distance entre deux cas de manifestations conversives autour de la voix.
Notre approche en cas unique, ne nécessitant pas de données standardisées, requiert une méthode
moins rigoureuse en termes de stabilité des données qu’une approche quantitative. Cependant, nous
avons noté que selon le thérapeute interlocuteur conduisant la thérapie, les interactions différaient
grandement allant d'une attitude ouverte ou repliée, concentrée ou évasive... Nous pouvons
62
supposer que ce changement d'attitude a un impact sur la qualité des productions compte tenu de
l'intrication des systèmes non conscients (végétatifs) et conscients (moteurs) dans la parole.
L'aphonie de conversion, de par son ancrage dans la relation intersubjective, constitue en tant que
telle une réelle difficulté pour une approche scientifique.
CONCLUSION
Cette étude, riche en enseignements, a changé notre regard sur l'aphonie et la dysphonie psychogène
dont
nous
approuvons
la
classification
de
"trouble
neurologique
fonctionnel"
du
DSM-V. En effet, nous avons été étonnés de constater que les symptômes chez l'aphonique
psychogène total, ressemblait étrangement aux symptômes moteurs que l'on peut rencontrer dans le
domaine de la neuropathologie lésionnelle, tels que l'hémiplégie associée ou l'apraxie bucco-faciale
qui dépasse largement le cadre des autres dysphonies dysfonctionnelles rencontrées en orthophonie.
Pinto, d'ailleurs, consacre un article à la physiologie de la phonation et à ses troubles en émettant
l'hypothèse d'un continuum entre dysarthrie et dysphonie (Pinto, ).
On imagine la souffrance des personnes conversives considérées si souvent - et même encore
aujourd'hui - comme étant des simulatrices. Malgré notre connaissance des processus impliqués, il a
été en effet difficile de résister à un certains agacements face à l'apathie du patient aphonique. Face
à notre réaction, nous devons construire un rôle bienveillant vis-à-vis du patient du patient
aphonique psychogène.
L'attitude clinique nous a paru être un des paramètres fondamentaux de la thérapie du trouble de
conversion. Elle doit être très adaptable en fonction du patient, du contexte et de l’évolution du
traitement pour que le patient puisse sortir de la torpeur de son trouble. Sa "belle indifférence"
l'empêchant d'être dans "l'ici et le maintenant" et dans "la réalité de son symptôme", c'est au
clinicien de transformer l'état passif du patient conversif. Le Docteur Mouchabac nous a éclairé sur
l'importance d'expliquer au patient les mécanismes en jeu en ajustant notre discours à son champ de
connaissance par l'emploi de métaphores de façon à solliciter son attention, sa compréhension et
son adhésion et également à rendre le patient actif dans le traitement par le choix des exercices ou
des conditions de communication qui lui sont le plus confortables. Enfin il effectue un renforcement
positif régulier pour pallier à l'absence d'intégration sensorielle propre au phénomène de
conversion.
63
Il s'agit donc non seulement de faire progresser le patient d’un point de vue vocal, mais aussi de
retrouver un rééquilibrage de la relation de communication soignant/soigné comme lieu de
d’entrainement protégé de la communication intersubjective dans une perspective future de
généralisation.
Enfin, plus le patient sent son symptôme considéré et pris en charge, plus il aura une "porte de
sortie" honorable et meilleure sera sa guérison. Il est donc important que le traitement ait un cadre
institutionnel et technique manifeste. Cependant, il doit aussi comporter un espace temporel pour
des échanges informels avec le patient afin chacun puisse évaluer l’évolution du niveau de
communication en situation semi-écologique.
La différence sémiologique de ces deux patients et leur évolution au cours du traitement a affiné
notre perception des progrès potentiels du patient conversif en termes de processus en jeu : le
souffle, l'articulation, la vibration laryngée, la régularité de la vibration, la pression laryngée et
l'équilibre pneumophonique.
Notre étude portait initialement sur l'aphonique de conversion mais a finalement concerné un
aphonique et un dysphonique. Ceci fut bénéfique car cela nous a permis de comprendre l’incidence
spécifique de la durée d'installation du trouble pouvant conduire jusqu’au désinvestissement
complet de la communication auditivo-verbale. Cette expérience nous convie, malgré l'abandon de
la notion de
« continuité personnalité-symptôme », de prendre
en
compte le profil
psychopathologique du patient dans l'élaboration de la prise en charge. La psychothérapie et la
relaxation semblent à ce titre des outils thérapeutiques très pertinents.
S'adapter au patient pour une meilleure évaluation des progrès
Le protocole a été très expérimental et on ne peut plus écologique : l'alternance TMS/hors TMS a
été très aléatoire et dépendait des progrès effectués par le patient. Les tâches proposées ont
permis d'approfondir et de percer le mystère des mécanismes spécifiques de la dynamique
phonatoire du patient.
Cette observation "active" est indispensable à l'orthophoniste pour mieux orienter et adapter sa
prise en charge. En effet, c’est seulement en découvrant son patient que l’on peut mesurer la
perspective d’évolution et par conséquent, le principe de cotation dans des colonnes de gauche à
droite a l’avantage de préserver l’adaptation de l’évaluateur aux performances du patient, la colonne
de gauche étant le degré 0 de l’évolution de ce dernier.
64
Intérêt de l’approche puliridsciplinaire
Notre étude a permis la collaboration de deux grands spécialistes de l'aphonie
psychogène : un phoniatre et un neuropsychiatre qui a été très fructueuse pour eux
comme pour nous. Dans une perspective pluridisciplinaire, notre expertise orthophonique
permet de s'assurer de la présence d'un souffle phonatoire coordonné, d'enrichir le
traitement par des variations des paramètres vocaux (intensité, fréquence, durée...) et de
complexifier les tâches attentionnelles en prenant en compte le choix de phonèmes
facilitateurs et de la nature de la structure syllabique.
La collaboration de plusieurs thérapeutes est donc riche mais également nécessaire pour
le recueil précis par écoute subjective de l'évolution de la qualité vocale du patient, car
l'approche thérapeutique repose de façon essentielle sur l'ajustement aux progrès
quotidien du patient.
Les phrases de fin sont à faire…
65
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