COLLOQUE
Perspectives
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Numéro 44 I Juillet - Septembre 2015 RLC I 145
en n de ce séminaire, du secteur laitier et du secteur ovin. Dans
ces secteurs, les producteurs se trouvent ainsi dans une position
de faiblesse vis-à-vis des acteurs de la demande, ce qui entrave
la bonne marche des négociations commerciales. De plus, cette
situation peut être aggravée par l’importance des coûts de col-
lecte qui limitent les distances de transport et réduisent la possibi-
lité pour les producteurs de choisir leur acheteur. Ces problèmes
d’adéquation entre l’offre et la demande peuvent également être
constatés même lorsque l’offre est davantage structurée. C’est le
cas par exemple du secteur de la dinde où, dans le cadre de son
avis, l’Autorité avait constaté que les éleveurs pouvaient rencontrer
des difcultés, pour des raisons de rigidité structurelle, à produire
un type d’animaux particulier qui soit en lien avec la demande (Aut.
conc., avis n°11-A-12, 27 juill. 2011, relatif à un accord interprofessionnel
dans le secteur de la dinde). C’est également le cas dans le secteur
des fruits et légumes et plus exactement des salades où, d’un côté,
l’offre est soumise à des contraintes climatiques qui rendent les
productions saisonnières et, de l’autre côté, la demande porte sur
la consommation de produits toute l’année.
En second lieu, on constate une forte volatilité des prix dans les
différents secteurs. Cette volatilité est généralement expliquée par
le fait que l’offre est plus inélastique que dans d’autres secteurs.
De façon concrète, il est difcile pour un producteur, qui dispose
d’un nombre donné d’hectares ou d’animaux, de jouer sur la va-
riable des volumes pour réagir rapidement aux conditions de mar-
ché. Or, bien souvent la production ne peut pas être stockée, ou
seulement sur le court-terme, ce qui empêche les producteurs de
s’adapter aux variations de prix. Comme la tendance des prix est
baissière lorsque la production est abondante, les excès d’offre,
en l’absence de possibilités de stockage, peuvent aggraver les
inégalités entre producteurs et acheteurs. Dans sa communication
relative à la Politique Agricole Commune (PAC) à l’horizon 2020,
la Commission européenne souligne la nécessité d’améliorer le
fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. La
Commission constate en effet que la part de la valeur ajoutée de la
lière revenant aux agriculteurs est en une baisse constante depuis
les années 2000, passant de 29% en 2000 à 24% en 2005.
À ces dés économiques s’ajoute une nouvelle conguration de
la politique agricole commune. La PAC utilise une grande pa-
lette d’outils d’intervention dans le secteur qui traditionnellement
avaient pour effet de se substituer au fonctionnement du marché
en agissant directement sur les prix ou les volumes. Certains sec-
teurs comme le lait ou le sucre se voyaient ainsi imposer des limi-
tations de production par la xation de quotas. Ces mécanismes
ont été modiés par plusieurs réformes successives de la PAC, à
la fois dans leur nature et dans leur étendue. Tout d’abord dans
leur nature, car les mécanismes se sont progressivement décor-
rélés des variables du marché, donc le prix et le volume, mais
également dans leur étendue, les outils d’intervention directe sur
le marché subsistant sont réservés aux seules situations de crise.
C’est ainsi que le mécanisme des prix minimum garantis s’est no-
tamment réduit et que le mécanisme des quotas tend à disparaître
aujourd’hui.
Les producteurs doivent donc mener leurs activités dans un envi-
ronnement normatif en évolution. La combinaison des contraintes
économiques décrites précédemment et l’abandon progressif des
instruments de régulation traditionnels place le secteur dans une
situation transitoire dans laquelle les acteurs peuvent se sentir da-
vantage fragiles.
Dans leur ensemble les producteurs tentent de remédier aux dé-
séquilibres commerciaux qu’ils subissent en développant des stra-
tégies de concertation. Dans certains secteurs ces stratégies sont
préférées à celles de fusion ou de regroupement qui supposeraient
pour les agriculteurs de perdre une partie de leur indépendance
pour exercer leurs activités au sein d’entités plus importantes. Mais
ces comportements de concertation ne sont pas sans présenter
des risques juridiques réels au regard de leur conformité aux règles
de concurrence. La période actuelle pose donc la question de la
réconciliation du secteur avec les règles du marché et donc avec
les règles de concurrence. À cet égard un équilibre émerge de
la réglementation communautaire et notamment du dernier règle-
ment OCM de décembre 2013 (Règl. n°1308/2013/UE, 17déc. 2013,
portant organisation commune des marchés des produits agricoles), entré
en vigueur le 1erjanvier 2014. Ce règlement sur l’organisation com-
mune des marchés rappelle tout d’abord (art.206) que le droit de la
concurrence s’applique par principe au secteur agricole. Les règles
de concurrence ne sont pas une punition pour les acteurs, il s’agit
au contraire de faire en sorte que tous les acteurs respectent les
mêmes règles du jeu. Cela peut d’ailleurs protéger les producteurs
agricoles. Ainsi par exemple le contrôle des concentrations permet
d’éviter qu’une coopérative ne devienne le seul accès possible
pour des producteurs à la distribution, particulièrement lorsque
ces producteurs sont soumis à des coûts de transport importants
qui restreignent la zone de collecte et donc le choix de l’acheteur
ou du transformateur. Dans le domaine de l’antitrust, des ententes
peuvent également être préjudiciables aux producteurs comme
celle par exemple qui avait été mis en œuvre par les coopératives
dans le secteur du maïs, pour la fracturation des prestations de sé-
chage et qui a été sanctionnée par le Conseil de la concurrence en
2007 (Cons. conc., déc. n°07-D-16, 9mai 2007, relative à des pratiques sur
les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales).
Si la réglementation OCM rappelle donc l’application des règles
de concurrence, elle permet également une application souple de
ces règles. Les producteurs sont ainsi incités à se réunir au sein
d’organisations de producteurs (OP), dans l’objectif de remédier
aux déséquilibres de la lière, en favorisant non seulement une
intégration horizontale au sein de ces OP mais également une
intégration verticale, en s’engageant notamment dans la transfor-
mation des produits. Le dernier règlement OCM introduit notam-
ment plus de exibilité dans la constitution et le fonctionnement
de ces organisations de producteurs. En particulier, ce règlement
supprime la condition d’absence de position dominante pour la
reconnaissance d’une organisation de producteurs, condition qui
dissuadait les producteurs à former de telles organisations. Par
ailleurs, ce règlement permet aux OP, dans certains secteurs, de
négocier au nom de leurs membres des contrats collectifs qui
peuvent conduire à la xation de prix communs, y compris en l’ab-
sence d’un transfert de propriété à l’OP, en dérogation aux règles
de concurrence. Pour bénécier d’une telle dérogation, les OP
doivent permettre une concentration de l’offre, une mise sur le
marché des produits élaborées par leurs membres et une optimi-
sation des coûts de production.
Nous traversons une période de transition dans laquelle de nom-
breuses questions liées notamment à l’évolution de la réglemen-
tation restent à éclaircir. Cela donne à la compétence consultative
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