Concurrence et agriculture

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Perspectives
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Concurrence et agriculture
Séminaire Philippe Nasse du jeudi 4 septembre 2014
Par Juliette THERY SCHULZ
Jean-Baptiste TRAVERSAC
Rapporteur général adjoint à l'Autorité
de la concurrence
Ingénieur d’étude à l’INRA
Et Véronique SÉLINSKY
Avocate à la Cour
ÎRLC 2839
Créé à la fin des années 1980 au sein de la Direction de la Prévision, le séminaire Philippe Nasse s’est d’abord appelé « séminaire
d’économie industrielle » puis « séminaire Concurrence ». Il est, depuis quelques années, co-organisé par la DGTrésor et l’Autorité de la
concurrence, d’abord sous le nom de séminaire « DGTPE-Concurrence » et enfin depuis janvier 2009 sous le nom actuel de « séminaire
Philippe Nasse ». Le principe consiste à présenter et à confronter les points de vue d’un économiste et d’un juriste sur un sujet d’intérêt
commun ayant trait aux questions de concurrence. De fait, le juge fait de plus en plus appel à l’économiste pour caractériser les atteintes
à la concurrence et essayer d’en quantifier les effets, tandis que l’économiste doit prendre en compte un droit et une jurisprudence en
plein développement dans son analyse du fonctionnement des marchés. Les séances réunissent donc un économiste et un juriste qui,
après une présentation générale, confrontent leurs avis sur un cas pratique (décision de justice, avis d’une autorité…).
Lors du dernier séminaire, organisé le 4 septembre 2014, Véronique Sélinsky (Avocate à la cour) et Jean-Baptiste Traversac (Ingénieur
d’étude à l’INRA) ont débattu sur le thème « concurrence et agriculture ». L’étude de cas a porté sur l’avis n° 14-A-03 de l’Autorité de la
concurrence du 14 février 2014 relatif à une saisine de la fédération Les Producteurs de Légumes de France. La séance a été animée par
Juliette Thery Schultz, Rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence.
INTRODUCTION DE JULIETTE THERY SCHULTZ
Cette séance du séminaire Nasse porte sur un sujet complexe et
d’actualité, celui de la concurrence dans le secteur agricole. Nos
interventions se concentreront sur la production agricole, et non
sur les étapes ultérieures de transformation de ces produits qui
relèvent du domaine de l’industrie agro-alimentaire. Il s’agit donc
du premier maillon de la chaîne agro-alimentaire, et en ce sens, du
maillon le plus stratégique.
Depuis quelques années, le Conseil puis l’Autorité de la concurrence ont eu l’occasion de rendre des avis sur des secteurs agricoles très variés, avis fondés sur une analyse approfondie de ces
marchés. Ces analyses présentent des constantes qui n’ont guère
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varié au fil des années et qui s’appliquent indifféremment aux secteurs examinés, à savoir, en premier lieu, une asymétrie des pouvoirs de négociation entre offre de production et demande et, en
second lieu, une forte volatilité des prix dans les différents secteurs
de production agricole.
Tout d’abord, on constate une rencontre difficile entre l’offre de
production et la demande. Cela est généralement dû à des questions de difficulté d’organisation des filières où se rencontrent une
offre atomisée du côté des producteurs et une demande structurée et concentrée du côté de la grande distribution, des transformateurs ou des coopératives. C’est le cas notamment du secteur
des fruits et légumes, secteur que nous examinerons plus en détail
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Perspectives
en fin de ce séminaire, du secteur laitier et du secteur ovin. Dans
ces secteurs, les producteurs se trouvent ainsi dans une position
de faiblesse vis-à-vis des acteurs de la demande, ce qui entrave
la bonne marche des négociations commerciales. De plus, cette
situation peut être aggravée par l’importance des coûts de collecte qui limitent les distances de transport et réduisent la possibilité pour les producteurs de choisir leur acheteur. Ces problèmes
d’adéquation entre l’offre et la demande peuvent également être
constatés même lorsque l’offre est davantage structurée. C’est le
cas par exemple du secteur de la dinde où, dans le cadre de son
avis, l’Autorité avait constaté que les éleveurs pouvaient rencontrer
des difficultés, pour des raisons de rigidité structurelle, à produire
un type d’animaux particulier qui soit en lien avec la demande (Aut.
conc., avis n° 11-A-12, 27 juill. 2011, relatif à un accord interprofessionnel
dans le secteur de la dinde). C’est également le cas dans le secteur
des fruits et légumes et plus exactement des salades où, d’un côté,
l’offre est soumise à des contraintes climatiques qui rendent les
productions saisonnières et, de l’autre côté, la demande porte sur
la consommation de produits toute l’année.
En second lieu, on constate une forte volatilité des prix dans les
différents secteurs. Cette volatilité est généralement expliquée par
le fait que l’offre est plus inélastique que dans d’autres secteurs.
De façon concrète, il est difficile pour un producteur, qui dispose
d’un nombre donné d’hectares ou d’animaux, de jouer sur la variable des volumes pour réagir rapidement aux conditions de marché. Or, bien souvent la production ne peut pas être stockée, ou
seulement sur le court-terme, ce qui empêche les producteurs de
s’adapter aux variations de prix. Comme la tendance des prix est
baissière lorsque la production est abondante, les excès d’offre,
en l’absence de possibilités de stockage, peuvent aggraver les
inégalités entre producteurs et acheteurs. Dans sa communication
relative à la Politique Agricole Commune (PAC) à l’horizon 2020,
la Commission européenne souligne la nécessité d’améliorer le
fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. La
Commission constate en effet que la part de la valeur ajoutée de la
filière revenant aux agriculteurs est en une baisse constante depuis
les années 2000, passant de 29 % en 2000 à 24 % en 2005.
À ces défis économiques s’ajoute une nouvelle configuration de
la politique agricole commune. La PAC utilise une grande palette d’outils d’intervention dans le secteur qui traditionnellement
avaient pour effet de se substituer au fonctionnement du marché
en agissant directement sur les prix ou les volumes. Certains secteurs comme le lait ou le sucre se voyaient ainsi imposer des limitations de production par la fixation de quotas. Ces mécanismes
ont été modifiés par plusieurs réformes successives de la PAC, à
la fois dans leur nature et dans leur étendue. Tout d’abord dans
leur nature, car les mécanismes se sont progressivement décorrélés des variables du marché, donc le prix et le volume, mais
également dans leur étendue, les outils d’intervention directe sur
le marché subsistant sont réservés aux seules situations de crise.
C’est ainsi que le mécanisme des prix minimum garantis s’est notamment réduit et que le mécanisme des quotas tend à disparaître
aujourd’hui.
Les producteurs doivent donc mener leurs activités dans un environnement normatif en évolution. La combinaison des contraintes
économiques décrites précédemment et l’abandon progressif des
instruments de régulation traditionnels place le secteur dans une
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situation transitoire dans laquelle les acteurs peuvent se sentir davantage fragiles.
Dans leur ensemble les producteurs tentent de remédier aux déséquilibres commerciaux qu’ils subissent en développant des stratégies de concertation. Dans certains secteurs ces stratégies sont
préférées à celles de fusion ou de regroupement qui supposeraient
pour les agriculteurs de perdre une partie de leur indépendance
pour exercer leurs activités au sein d’entités plus importantes. Mais
ces comportements de concertation ne sont pas sans présenter
des risques juridiques réels au regard de leur conformité aux règles
de concurrence. La période actuelle pose donc la question de la
réconciliation du secteur avec les règles du marché et donc avec
les règles de concurrence. À cet égard un équilibre émerge de
la réglementation communautaire et notamment du dernier règlement OCM de décembre 2013 (Règl. n° 1308/2013/UE, 17 déc. 2013,
portant organisation commune des marchés des produits agricoles), entré
en vigueur le 1er janvier 2014. Ce règlement sur l’organisation commune des marchés rappelle tout d’abord (art. 206) que le droit de la
concurrence s’applique par principe au secteur agricole. Les règles
de concurrence ne sont pas une punition pour les acteurs, il s’agit
au contraire de faire en sorte que tous les acteurs respectent les
mêmes règles du jeu. Cela peut d’ailleurs protéger les producteurs
agricoles. Ainsi par exemple le contrôle des concentrations permet
d’éviter qu’une coopérative ne devienne le seul accès possible
pour des producteurs à la distribution, particulièrement lorsque
ces producteurs sont soumis à des coûts de transport importants
qui restreignent la zone de collecte et donc le choix de l’acheteur
ou du transformateur. Dans le domaine de l’antitrust, des ententes
peuvent également être préjudiciables aux producteurs comme
celle par exemple qui avait été mis en œuvre par les coopératives
dans le secteur du maïs, pour la fracturation des prestations de séchage et qui a été sanctionnée par le Conseil de la concurrence en
2007 (Cons. conc., déc. n° 07-D-16, 9 mai 2007, relative à des pratiques sur
les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales).
Si la réglementation OCM rappelle donc l’application des règles
de concurrence, elle permet également une application souple de
ces règles. Les producteurs sont ainsi incités à se réunir au sein
d’organisations de producteurs (OP), dans l’objectif de remédier
aux déséquilibres de la filière, en favorisant non seulement une
intégration horizontale au sein de ces OP mais également une
intégration verticale, en s’engageant notamment dans la transformation des produits. Le dernier règlement OCM introduit notamment plus de flexibilité dans la constitution et le fonctionnement
de ces organisations de producteurs. En particulier, ce règlement
supprime la condition d’absence de position dominante pour la
reconnaissance d’une organisation de producteurs, condition qui
dissuadait les producteurs à former de telles organisations. Par
ailleurs, ce règlement permet aux OP, dans certains secteurs, de
négocier au nom de leurs membres des contrats collectifs qui
peuvent conduire à la fixation de prix communs, y compris en l’absence d’un transfert de propriété à l’OP, en dérogation aux règles
de concurrence. Pour bénéficier d’une telle dérogation, les OP
doivent permettre une concentration de l’offre, une mise sur le
marché des produits élaborées par leurs membres et une optimisation des coûts de production.
Nous traversons une période de transition dans laquelle de nombreuses questions liées notamment à l’évolution de la réglementation restent à éclaircir. Cela donne à la compétence consultative
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de l’Autorité de la concurrence une importance particulière, conférant davantage de sécurité juridique aux acteurs concernés, en leur
permettant de distinguer les comportements qui relèvent d’une
pratique anticoncurrentielle des comportements autorisés.
INTERVENTION DE JEAN-BAPTISTE TRAVERSAC
Je rappellerai dans un premier temps les caractéristiques principales qui fondent l’état concurrentiel des secteurs agricoles et impactent considérablement la stratégie des acteurs concernés, puis
je détaillerai, dans un second temps, les stratégies d’organisation
de ces acteurs et la façon dont l’Union européenne et les états
ont tenté d’ordonner les marchés en s’appuyant sur les organisations de producteurs (OP), qui constituent un élément central de
la stratégie de la Commission européenne dans un certain nombre
de secteurs agricoles, et notamment dans les fruits et légumes,
secteur que l’on présentera à partir de l’analyse de l’avis de l’Autorité de la concurrence. Enfin, j’aborderai la question délicate, d’un
point de vue non seulement du droit de la concurrence mais également économique, de la fixation des prix d’orientation. Signalons
que la configuration concurrentielle des marchés varie considérablement d’un secteur agricole à un autre : la concurrence dans la
production de la salade ne sera pas du tout la même que celle
qu’on observe sur le marché des appellations d’origine protégées.
L’intervention des pouvoirs publics pour faire appliquer le droit de
la concurrence appelle ainsi une connaissance très fine de chaque
marché.
Caractéristiques structurelles des secteurs agricoles
Les secteurs agricoles sont tout d’abord caractérisés par des aléas
importants en termes d’offre et de demande, notamment des aléas
climatiques ou sanitaires. Ces aléas se traduisent par une très faible
prédictibilité de l’offre comme de la demande, caractéristique qui
rend extrêmement complexe une autorégulation du secteur par
les acteurs. Les pouvoirs publics, disposant de peu d’informations
fiables sur les secteurs en situation de crise, ont encore plus de
difficulté à anticiper les aléas et gérer les différents types de crises.
De surcroît, les marchés agricoles présentent une faible mobilité
de certains facteurs de production, notamment du foncier et des
plantations, ce qui freine considérablement les processus d’ajustement de l’offre à la demande. Cette rigidité des facteurs de
production est un caractère constitutif de la récurrence des déséquilibres offre/demande sur les marchés agricoles. Notons néanmoins que depuis une trentaine d’années, d’autres facteurs de
production deviennent de plus en plus mobiles, capitaux, travail,
savoir-faire ce qui tend à augmenter les concurrences intra-sectorielles, là certains positions de monopole existaient jusqu’à une
période récente.
Par ailleurs, un certain nombre de produits agricoles sont considérés comme des produits de première nécessité, en particulier
les sources de glucide et de lipide, ce qui constitue un motif d’intervention prioritaire des pouvoirs publics qui vont souhaiter soutenir ces filières agricoles. Ces interventions peuvent poser des
problèmes au regard du droit européen mais également du droit
international. Ainsi, les aides aux producteurs européens sont régulièrement remises en cause devant l’organisation mondiale du
commerce. On peut ainsi identifier deux grandes catégories de
produits agricoles : les produits agricoles de première nécessité,
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pour lesquels on considère qu’il est légitime que la puissance publique intervienne de façon lourde – par le biais de subventions
directes notamment – et ceux pour lesquels la puissance publique
interviendra plutôt via des soutiens indirects – par le biais d’aides
aux structures ou à la R&D. Dans les filières de produits de première nécessité, les pouvoirs publics attendront une grande flexibilité des producteurs aux différents aléas.
Les marchés agricoles, et en particulier les marchés des fruits et
légumes, sont en outre fortement fragmentés, du fait de la dispersion spatiale de la production. Néanmoins, cette fragmentation
est de plus en plus compensée par la capacité des opérateurs à
développer des outils logistiques, en particulier pour les produits
périssables ou posant des contraintes sanitaires spécifiques, qui
vont permettre de déplacer l’offre sur des longues distances. De
plus, ce phénomène de mondialisation des marchés est facilité
par une baisse des barrières tarifaires et non tarifaires. Des études
estiment que les produits alimentaires consommés aux États-Unis
font en moyenne un trajet de 3000 km entre le champ et l’assiette
(voir notamment les travaux de Rich Pirog appliquant le concept
de food miles). Ainsi, une offre de plus en plus lointaine peut entrer
en concurrence avec les produits de l’UE.
Aujourd’hui la concentration très forte des acteurs de la distribution attire l’attention des régulateurs et de l’Autorité de la concurrence. Un grand nombre de marchés agricoles est ainsi en situation
d’oligopsone, ce qui se traduit par une forte asymétrie de pouvoir
de négociation entre producteurs et distributeurs, pouvoir dont
ces derniers peuvent abuser. Un sondage diligenté par les associations de transformateurs alimentaires en Europe – Confédération des Industries Agro-Alimentaires de l’UE (CIAA), maintenant
renommée FoodDrinkEurope et European Brands Association
(AIM) – indique qu’une large majorité (83 %) des producteurs interrogés déclare avoir des problèmes dans ses relations avec l’aval
(CIAA et AIM, Enquête sur les pratiques commerciales indésirables, mars
2011). La Commission européenne a tenté, à la fin de la dernière
mandature, de mettre l’accent sur ces pratiques commerciales déloyales, par exemple les ruptures brutales de contrats, notamment
dans les filières alimentaires. La Commission a engagé un certain
nombre d’actions qui visent à identifier ces pratiques et à susciter
un débat sur le moyen d’y remédier. Il s’agit en particulier de mieux
comprendre la situation concurrentielle de ces marchés.
Stratégies d’organisation des producteurs et organisation commune des marchés
On peut distinguer trois grandes catégories d’intervention de
l’Union européenne concernant l’organisation des marchés agricoles : les interventions favorisant un regroupement de l’offre, les
mesures d’aide au développement des marchés en difficulté, et
les initiatives visant à développer des codes de bonne conduite
dans les relations entre producteurs et distributeurs. Le dernier règlement OCM a conservé ces grands types d’intervention mais en
a actualisé le cadre d’utilisation (Règl. n°1308/2013/UE, 17 déc. 2013,
portant organisation commune des marchés des produits agricoles). En
particulier, les OCM sectoriels sont généralisées à un plus grand
nombre de secteurs, en ajustant toutefois certaines dispositions.
Interventions en faveur d’un regroupement de l’offre
Traditionnellement, la politique agricole française, qui a beaucoup
inspiré la politique agricole communautaire, a tenté d’aider les
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producteurs à se regrouper et à mettre en place des structures
communes pour bénéficier d’économies d’échelle – mutualisation d’outils industriels notamment. Un deuxième effet attendu
du regroupement de l’offre est de permettre aux producteurs regroupés de rassembler des volumes de produits correspondant
davantage aux besoins des distributeurs et ainsi de négocier plus
facilement avec l’aval. Les OCM mettent de plus en plus l’accent
sur ce second effet. Avec des fonds de modernisation des outils de
production qui représentent encore entre 30 et 60 % des montants
d’investissements des OCM dans certains secteurs, la politique de
l’OCM est clairement de favoriser les flux vers les OP et OPA.
Des variantes géographiques concernant le degré de concentration de l’offre apparait au sein même des marchés agricoles de
l’Union. Il reste très contrasté entre les pays européens. Certains
pays, comme les Pays-Bas ou la Belgique, ont une offre extrêmement regroupée à la fois du point de vue de la mutualisation des
outils logistiques et en vue de renforcer leur position de négociation. Ces pays bénéficient d’une tradition d’action commune au
travers de systèmes qui sont pour moitié des coopératives et pour
moitié des systèmes interprofessionnels. À l’inverse, dans d’autres
pays européens, l’offre reste structurellement très éclatée et les
producteurs ont beaucoup de difficulté à s’organiser, du fait à la
fois de facteurs culturels mais également de l’éclatement géographique des producteurs et d’une forte défiance entre eux. La présence d’économie d’échelle contraint néanmoins les producteurs
à regrouper leur offre : en France et en Italie, entre 50 et 55 % de la
mise en marché des produits agricoles passent par la coopération.
La coopération en France prend principalement la forme d’une
coopération industrielle visant à regrouper l’offre pour bénéficier
d’outils de production plus performants et de bénéficier d’économie d’échelle. C’est en particulier le cas pour les productions
qui nécessitent une grande part de transformation. Ce modèle industriel de coopérative s’oppose à un autre type de coopérative
qui aurait pour seule mission de négocier l’offre des producteurs
qu’elle rassemble. La Commission a mandaté au début des années
2010 une étude sur les coopératives en Europe, dans laquelle ne figurait pas la France. Cette étude concluait que en Belgique et aux
Pays-Bas, entre le tiers et la moitié des coopératives étaient des
coopératives exclusivement de négociation, qui négociaient les
conditions de mise sur le marché des produits de ses producteurs
et mettaient en place des outils pour favoriser la transparence des
marchés, par en instaurant des marchés au cadran, par la collecte
de statistiques sur les cours, les flux, les stocks et les importations.
Aux États-Unis ces coopératives de négociation jouent également
un rôle prépondérant dans les marchés agricoles. Les « marketing
order » sont des regroupements de producteurs, essentiellement
constitués de coopératives qui n’ont pas pour fonction d’intervenir
physiquement sur la production mais de permettre aux coopératives de réguler les flux et les prix sur les marchés sur lesquels elles
opèrent. Dans ce pays de doctrine libérale, la moitié de la production agricole passe par ces « marketing order », qui peuvent avoir
des systèmes de fonctionnement très variés. Dans le cas du lait,
80 % de la production des États-Unis est régulée par des « marketing order » selon un système très planifié : les « marketing order »
décident des prix, des quantités, de l’usage des produits (lait frais,
lait en poudre, etc.) et des échanges entre producteurs ou coopératives et industriels. Ces systèmes de négociation induisent des
schémas de planification relativement élaborés qui permettent aux
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producteurs de bénéficier d’une certaine stabilité des prix. Cette
stabilité a pour avantage essentiel de sécuriser les investissements.
Ces « marketing order » disposent de poids importants en termes
d’offre, ce qui leur confère une capacité de négociation naturelle
avec l’aval. Par ailleurs, ils bénéficient souvent de « mandatory
program », c'est-à-dire ils sont en mesure d’obtenir de la part des
pouvoirs publics, au niveau de l’État ou au niveau fédéral, des dispositions obligeant l’ensemble des producteurs à traiter avec des
« marketing order ». Ces dispositions leur permettent de collecter
l’équivalent de la cotisation volontaire obligatoire, et ainsi de disposer de sommes substantielles afin de mettre en place des actions collectives de promotion ou de R&D. Cette position légitime
d’autres actions, telles que la régulation des stocks – qui permet
ainsi d’intervenir sur les prix.
Mesures d’aide au développement des marchés
Sur des marchés jugés en difficulté l’OCM intervient en faveur des
producteurs concernés via des aides à la promotion, de façon privilégiée dans des pays tiers mais également sur le marché communautaire. L’objectif de ces aides est de remédier aux insuffisances
de capacités de financement des producteurs pour de telles campagnes de promotion. La fragmentation de l’offre, l’absence de
culture du marketing du monde agricole, les faibles marges du
secteur exigent de disposer de ressources pour de la promotion
générique à grande échelle. Les OCM soutiennent ainsi un certain nombre de projets à l’exportation de façon récurrente, mais
la Commission peut également attribuer des enveloppes ciblées
pour aider les producteurs à sortir de crises sanitaires particulièrement médiatisées.
Par ailleurs, l’Union européenne et les États membres interviennent très régulièrement pour aider les producteurs à développer leur marché par le biais de mesures de régulation de l’offre,
par exemple via des mesures permettant d’éliminer des excédents
conjoncturels ou structurels d’offre que pourrait avoir une production agricole. Ces aides, lorsqu’elles sont mises en place en vue de
réguler le marché, sont prohibées par le GATT et ne devraient être
utilisées en théorie que dans le but de développer à long terme
le marché.
L’efficacité de ces différents outils d’aide au développement des
marchés est régulièrement remise en cause. La question que
peuvent se poser les contribuables et les producteurs renvoit
à l’efficacité de ces aides. L’intérêt des programmes d’aide, tant
pour les producteurs que pour la puissance publique n’est jamais
questionné. L’Union européenne juge la pertinence de ces programmes exclusivement à partir de la mesure de la consommation
des enveloppes attribuées. Aucune évaluation de leur efficacité sur
la demande ou la structure du marché n’a été réalisée en Europe
contrairement à ce qui est fait régulièrement aux États-Unis.
Initiatives visant à développer des codes de bonne conduite
dans les relations entre producteurs et distributeurs
La Commission, à travers la « Supply chain initiative », qu’elle a
initiée en novembre 2011 et dont les résultats sont disponibles sur
le site <www.supplychaininitiative.eu>, a pris l’initiative de réunir
des acteurs du marché agricole pour discuter avec eux de la façon dont ils pourraient réguler leurs relations. On remarque que la
position de la Commission a connu une inflexion forte au cours de
ces dernières années en faveur des producteurs. Se signalant par
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le passé dans le domaine de la concurrence exclusivement dans
un registre répressif, la pénalisation des ententes, elle incline aujourd’hui à promouvoir des arènes de dialogues entre amont et
aval des supply chains.
Prix d’orientation
Le point délicat à aborder lorsque l’on parle de concurrence en
agriculture comme dans d’autres domaines, est celui de l’intérêt
de prix d’orientation. Sur un plan strictement managérial, la stabilité des prix facilite la programmation des investissements et des cycles de production. La réduction des incertitudes sur les prix alors
que l’on peut difficilement maîtriser les volumes de demande permet de réduire les pertes sous certaines conditions et de faciliter la
régulation des flux. La question de prix régulés soulève néanmoins
de multiples questions. Est-on en mesure de fixer des prix d’orientation ? Est-ce bénéfique pour les producteurs ? Et enfin est-ce
bénéfique pour les consommateurs ?
On peut considérer que 5 à 10 % des filières seraient en situation
d’entente tacite sur les prix, ce qui parait assez faible. Il est en effet
très difficile de définir et de s’entendre sur un prix d’orientation.
Si la littérature économique s’est penchée sur les stratégies de
prix des entreprises en oligopoles (Tirole J., Théorie de l’organisation
industrielle, tome 1, Economica, 1993, p. 419), il existe peu de recherche
sur des stratégies collectives de fixation de prix avec ajustement
aux coûts de production. La règle semble plutôt celle de divergences de stratégies liées à l’hétérogénéité des outils industriels
et des objectifs individuels. Ainsi, sur le marché du lait de chèvre,
les producteurs Pays-Bas, seront favorable à un prix relativement
bas leur permettant d’augmenter la notoriété de leur produit et de
développer leur marché au détriment de leurs concurrents, jusqu’à
élimination de ceux-ci. À l’inverse, les producteurs français de lait
de chèvre bénéficient d’une forte demande, notamment pour la
production de fromages AOP, et seront plus favorables à des prix
élevés.
Les vins de Champagne constituent un exemple célèbre de fixation des prix d’orientation. Le schéma général de la régulation du
Champagne a beaucoup évolué de depuis 1940. Une interprofession a été mise en place par le gouvernement Pétain qui a instauré une régulation du marché dans laquelle le prix était l’élément
central. Les producteurs ont par la suite conservé cet élément essentiel dans leurs accords interprofessionnels successifs. L’arrangement sur le prix a perduré jusque dans les années 80 où la pratique
de fixation d’un prix d’orientation leur a été interdite. Dans les
faits, les producteurs champenois utilisent toujours un prix indicatif pour établir les accords bilatéraux d’aujourd’hui. Il semblerait
que ce système ait été bénéfique : le marché s’est développé et le
marché du Champagne a connu une croissance soutenue (Lanotte
H. et Traversac J.-B., La stratégie commerciale du négoce dans le contrat
interprofessionnel, Permanence de la succession des équilibres institutionnels au cours de l’histoire contemporaine du Champagne, Colloque «La
construction contemporaine des Territoires du Champagne», Maison des
Sciences de l’Homme de Dijon, Troyes, 7, 8 et 9 avr. 2011).
Conclusion
Un certain nombre de producteurs agricoles dans le monde ont pu
contourner leurs autorités de concurrence. Ainsi, aux États-Unis,
les « marketings orders » ont seulement fait l’objet de quelques
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rares enquêtes antitrust. L’exemption partielle des dispositions anti-trusts, basées sur le Capper-Volstead Act et l’Agricultural Marketing Agreement Act, dont bénéficient les organisations agricoles
date de 1922. Elle reste en vigueur après de l’étude des effets des
MO ait montré que s’il arrivait que leur intervention ait un effet à
la hausse sur les prix de marché, dans de nombreux cas les effets
sont nuls sur les prix de marché (Crespi J. M., Sexton R. J., Concurrence, coopératives de producteurs et Marketing Orders aux États-Unis.
in Économie rurale, n° 277-278, sept.-déc. 2003, p. 135 à 151). En Nou-
velle-Zélande, les politiques de concurrence ont été très strictes
concernant le regroupement de l’offre jusqu’au début des années
2000. Jusqu’à cette période, les pouvoirs publics ont exigé de certaines entreprises de « défusionner » et de fractionner leurs outils
industriels de manière à permettre le maintien d’une diversité de
firmes et d’acteurs. À partir de la fin des années 1990, le Ministry
of Commerce adopte une position beaucoup plus pragmatique et
autorise la constitution de conglomérats dans les secteurs du lait
(Fonterra), du vin (et des ovins, aux motifs d’une part, que la taille
pertinente des marchés n’était plus celle de la Nouvelle-Zélande
mais était désormais mondiale, et d’autre part, que ces conglomérats prévoyaient des plans de recherche et développement que
des acteurs plus petits n’auraient pas été en mesure de financer. La
nécessité de lancer des champions de taille mondiale pour s’imposer dans la compétition mondiale a prévalu sur la mise en concurrence des opérateurs locaux pour le marché national. Cela conduit
aujourd’hui à s’interroger sur la taille des marchés pertinents tout
autant que sur les instruments licites dans la gestion des accords
de coopération entre producteurs et à retourner la question de
l’organisation efficace. Faut-il interdire à une organisation de producteurs de se comporter comme le ferait une firme intégrée qui
peut en toute liberté faire des arbitrages en prix et en quantité ?
INTERVENTION DE VÉRONIQUE SÉLINSKY
Le droit de la concurrence n’est pas totalement inconnu des agriculteurs, certaines pratiques, telles celles relevées à l’encontre des
abatteurs de porcs ou des endiviers, ayant défrayé la chronique.
En revanche, il semble qu’il ne soit généralement pas très apprécié par les professionnels du monde agricole. C’est pourquoi il est
important de faire mieux connaitre le droit de la concurrence, qui
n’est pas qu’un carcan, mais peut aussi constituer une aide aux
producteurs.
770 000 personnes travaillent dans des exploitations agricoles
en France, ce qui représente 3,3 % de la population active. Les
exploitations agricoles sont pour les deux tiers des exploitations
familiales. Face à ces exploitations faiblement concentrées, dont
les propriétaires sont réticents au regroupement, les grossistes et
les producteurs de produits sont détenteurs d’une forte puissance
d’achat. Outre cette asymétrie des pouvoirs de négociation sur le
marché de la production de produits agricoles, dans lequel l’agriculteur est offreur, les agriculteurs sont également confrontés à un
fort pouvoir de marché de leurs fournisseurs, marchés sur lesquels
ils sont demandeurs. Les agriculteurs se retrouvent ainsi pris en
tenaille entre des partenaires extrêmement puissants, et peuvent
s’estimer léser dans le partage des profits de la chaîne alimentaire. Rappelons néanmoins que le partage des profits n’est pas
un problème de concurrence sauf si ce déséquilibre entraine une
réduction de l’offre et un déséquilibre contraire au bien-être collectif ou s’opposant à l’efficacité économique (Cons. conc., avis n° 08-
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A-07, 7 mai 2008, relatif à l’organisation économique de la filière fruits et
légumes, pts. 43 et 44).
La politique de la concurrence et la politique agricole sont parfois
perçues comme antagonistes, la politique de la concurrence reposant sur une conception de la liberté économique comme instrument de la compétitivité et garante de l’efficacité de la production
et de l’allocation des ressources, tandis que la politique agricole
intervient directement sur un marché agricole, restreignant la liberté économique des acteurs, dans un secteur soumis à de nombreux aléas et caractérisé par des prix particulièrement volatiles.
Un cadre juridique européen et interne extrêmement
complexe
Selon le traité fondateur de l’Union européenne (TFUE, art. 39), la
politique agricole commune a pour but : (i) d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi
qu’un emploi optimum des facteurs de production, notamment de
la main-d’œuvre, (ii) d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à
la population agricole, notamment par le relèvement du revenu
individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture, (iii) de stabiliser
les marchés, (iv) de garantir la sécurité des approvisionnements, et
(v) d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Comment ces objectifs, à première vue antagonistes à
ceux de la politique de la concurrence, s’articulent-ils avec cette
dernière ? L’article 42 du TFUE renvoie au droit dérivé le soin de
préciser l’articulation de ces objectifs avec ceux, à première vue
antagonistes, de la politique de la concurrence : « les dispositions
du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à
la production et au commerce des produits agricoles que dans la
mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil dans
le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévues
à l’article 43, paragraphe 2, compte tenu des objectifs énoncés à
l’article 39 ». Le recours à la forme négative dans la formulation
semble faire du droit de la concurrence une forme d’exception. Il
n’a pourtant cessé de gagner du terrain, générant souvent l’incompréhension, voire l’opposition des intéressés.
Ainsi, le droit dérivé européen n’admet-il des dérogations au
droit de la concurrence que de façon limitée, seulement en ce
qui concerne la prohibition des ententes. Ainsi, les accords nécessaires à la réalisation de l’ensemble des objectifs de la PAC (TPICE,
13 déc. 2006, aff. T-217/03 et T-245/03, FNCBV c/ Commission : l’arrêt du
tribunal dans l’affaire des viandes bovines a confirmé qu’il fallait que la réalisation de tous les objectifs de la PAC – simultanément – soient en jeu).
et les accords, décisions et pratiques concertées des exploitants
agricoles (…), OP et AOP concernant la production ou la vente
de produits agricoles ou l’utilisation d’installations communes de
stockage, de traitement ou de transformation qui ne comportent
pas d’obligation de pratiquer un prix déterminé sont exemptés de
l’article 101 (Régl. n° 1308/2013/UE, 17 déc. 2013, art. 209, portant organisation commune des marchés des produits agricoles). Par ailleurs,
certains secteurs bénéficient d’un régime particulier plus permissif,
c’est le cas notamment du lait, de l’huile d’olive, du tabac et des
fruits et légumes.
Cette affirmation de la primauté du droit de la concurrence sur la
politique agricole a été progressive mais continue. Dans les années 80, l’arrêt Maïzena du 29 octobre 1980 de la CJCE (CJCE, 29 oct.
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I Juillet - Septembre 2015
1980, aff. C-139/79) affirmait une primauté de la PAC, mais nuançait
immédiatement cette approche en reconnaissant à la Commission un « large pouvoir d’appréciation pour décider dans quelle
mesure les règles de concurrence doivent s’appliquer ». L’arrêt du
9 septembre 2003 de la CJCE renversait l’analyse, en soulignant
que l’article 42 du TFUE « établit le principe de l’applicabilité des
règles de concurrence communautaires dans le secteur agricole »
(CJCE, 9 sept. 2003, aff. C-137/00, Commission c/ Milk Marque LTD). Enfin,
en 2011, le tribunal de première instance de l’Union européenne
a clairement affirmé la primauté du droit de la concurrence : « les
dispositions spécifiques agricoles sont encadrées par le droit de la
concurrence » (TPIUE, 3 févr. 2011, aff. T-33/05, Compania espanola de
tabaco en rama, SA (Cetarsa).
En droit interne, l’article L. 420-4 du code du commerce précise
les cas de dérogation transversaux aux articles L. 420-1 et L. 420-2
du code de commerce, et concerne aussi bien les ententes que
les abus de position dominante. Dans le cas particulier du secteur
agricole les articles L. 631-24 et L. 632-2 du code rural précisent
que « ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les
produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque
ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la
politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence,
que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet
objectif de progrès ».
Le cadre juridique, aussi bien interne que communautaire, apparaît ainsi trop complexe, peu clair et sujet à des interprétations
variées. La difficulté d’interprétation du concept de « régularisation des prix » illustre cette complexité du cadre juridique. La
formule « régularisation des prix » est en effet présente dans des
règlements européens explicitant les missions des AOP reconnues (Règl. n° 2200/96/CE, 28 oct.1996, portant organisation commune
des marchés dans le secteur des fruits et légumes ; Règl. n° 1234/2007/CE,
22 oct. 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur
agricole). Néanmoins, le règlement 1184/2006 interdit de pratiquer
des prix collectifs pour bénéficier d’une dérogation à l’article 101
(Règl. 1184/2006/CE, 24 juill. 2006, portant application de certaines règles
de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles).
L’avis 08-A-07 du Conseil de la concurrence reste prudent dans son
analyse de ce concept : « le Conseil perçoit dans la disposition
en question la volonté de donner aux producteurs les moyens de
lutter contre la forte variabilité des prix issue des spécificités économiques du secteur et il lui semble que la politique de régularisation des prix à la production confiée aux AOP doit utiliser d’autres
instruments qu’une fixation collective des prix, en utilisant non seulement des leviers collectifs concernant les volumes et la qualité,
mais aussi des informations sur les marchés permettant aux différentes entités chargées de la vente de mieux réagir à l’évolution de
ceux-ci, ou encore en utilisant les outils évoqués ci-après » (Cons.
conc., avis n° 08-A-07, ibid.).
Ainsi, les limites des organisations de producteurs dans la « régularisation des prix » sont-ils difficiles à établir en pratique. L’Autorité de la concurrence, dans sa décision 12-D-08, a condamné
des organisations de producteurs pour « dépassement de leur mission » notamment par la fixation de prix planchers et la diffusion
de consignes de prix (Aut. conc., déc. n° 12-D-08, 6 mars 2012, relative
à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de
la commercialisation des endives). Selon l’Autorité, les pratiques des
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producteurs considérées comme licites au regard du droit de la
concurrence se limitent, au sein de leurs organes représentatifs, à
l’élaboration de normes communes de commercialisation. L’arrêt
du 15 mai 2014 de la cour d’appel de Paris a reformé la décision
de l’Autorité, estimant qu’il n’était « pas formellement établi que
la fixation collective des prix ne s’inscrivait pas dans la mission des
OP » et que les « organisations sanctionnées étaient en droit d’opposer à l’Autorité que l’analyse particulièrement nuancée, formulée dans l’avis 08-A-07, des dispositions dérogatoires au droit de la
concurrence concernant la régularisation des prix n’excluaient pas
formellement l’interprétation dont elles se prévalent ».
Des marchés parfois difficiles à cerner
Le secteur agricole présente des difficultés propres dans la délimitation des marchés pertinents. Certains acteurs estiment en effet que la prise en compte des goûts et des habitudes nationales
conduit à prendre en compte des marchés géographiques trop
étroits. Par exemple, dans le secteur de l’abattage d’animaux de
boucherie, le Conseil de la concurrence avait estimé que le marché pertinent était régional car « les abattoirs achètent 90 % de
leurs porcs vivants dans un rayon de 120 kilomètres autour de leurs
installations » (Cons. conc., déc. n° 04-D-39, 3 août 2004, relative à des
pratiques mises en œuvre dans les secteurs de l’abattage et de la commercialisation d’animaux de boucherie). Cette dimension régionale des
marchés avait été confirmée par l’Autorité dans plusieurs décisions
ultérieures (notamment la décision n° 13-D-03 et les décisions de
contrôle des concentrations n° 10-DCC-137 et n° 11-DCC-68), mais
a été critiquée par le rapport Bizien qui constatait en 2013 que
« les abattoirs bretons [étaient] asséchés par la concurrence des
abattoirs allemands et [que] les porcs [faisaient] 1 500 km avant
d’être abattus ».
Appréciation concurrentielle des pratiques
On constate la diversité des secteurs concernés par des décisions
ou avis, par exemple le secteur du lait, des ovins, de la dinde,
mais également les fruits et légumes et l’insémination animale. De
nombreuses concentrations dans ces secteurs concernent des entreprises de petites tailles, inférieures aux seuils de notification et
donc non contrôlables par l’Autorité de la concurrence.
Les pratiques examinées impliquent non seulement des organisations professionnelles de producteurs mais également des
acteurs divers, non agriculteurs, tels les vétérinaires ou les laboratoires. En France, ces pratiques mettant en jeu le droit des ententes plus souvent que le droit des positions dominantes, et la
question des recommandations de prix ou de fixation de prix est
souvent au centre des débats, comme dans l’affaire des endives
développée précédemment, où dix OP avait fixé collectivement
des prix minima et 7 organisations représentatives avaient diffusé
des consignes de prix, de gestion des volumes et échangé des
informations, mais également les décisions 13-D-03 et 12-D-09
de l’Autorité de la concurrence. Ainsi, dans la décision 13-D-03,
les abatteurs de porc avaient été condamnés pour des pratiques
de fixation de prix minimal, de diminution collective des volumes
achetés par les abatteurs pour faire baisser les prix d’achat, et de
diffusion de consignes de prix de vente pour contrer les promotion de la grande distribution (depuis la séance du séminaire Nasse,
cette décision a été réformée partiellement par la cour d’appel de Paris
dans son arrêt du 25 septembre 2014). Dans sa décision 12-D-09, qui
150
I RLC
a fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris (affaire
pendante), l’Autorité avait condamné un cartel franco-allemand et
une entente entre meuniers français visant à fixer un prix, limiter la
production, et se répartir la clientèle de la farine vendue en sachets
dans la grande distribution (Aut. conc., déc. n° 12-D-09, 13 mars 2012).
Concilier droit de la concurrence et spécificités agricoles
Il est fondamental que les producteurs agricoles puissent comprendre et s’approprier le droit de la concurrence pour qu’il constitue une aide et non un frein à leur développement. Il convient
donc d’accepter les règles du jeu concurrentiel, notamment en
maintenant l’autonomie de chaque entrepreneur, tout en tenant
compte les spécificités du secteur. Dans un tel cadre, on peut identifier certaines limites dans le cadre des groupements en coopératives, d’une part, dans les rapports entre agriculteurs et coopératives et, d’autre part, dans les rapports entre coopératives. Dans
les rapports entre agriculteurs et coopératives, les clauses de non
concurrence ou d’interdiction d’appartenance à plusieurs coopératives sont licites si elles restent strictement proportionnées : ainsi, comme précisé dans la décision 07-D-16, ces engagements ne
doivent pas porter sur toute la production et l’agriculteur doit pouvoir changer de coopérative (Cons. conc., déc. n° 07-D-16, 9 mai 2007,
relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales). Dans les rapports entre coopératives, sous la
forme de centrales d’achat par exemple, les stratégies globales
ne doivent pas aller jusqu’à limiter abusivement la liberté commerciale des adhérents.
La problématique du prix est là encore centrale : chaque entreprise
doit fixer ses prix de façon autonomes et en fonction de ses coûts
de revient. Il est donc autorisé de faciliter le calcul des coûts de
revient, d’informer sur les prix antérieurs pratiqués ou de proposer
des exemples de calcul à partir de chiffres fictifs. En revanche, les
consignes de prix, barèmes collectifs, prix recommandés - même
indicatifs – et plus généralement toute incitation à l’alignement ou
toute mesure limitant la libre négociation des parties sont à bannir.
Concernant les échanges d’informations, directs ou indirects, les
informations purement techniques, portant notamment sur les
volumes peuvent être échangées entre entreprises. En revanche,
celles-ci doivent s’abstenir d’échanger des informations stratégiques et confidentielles, ou des informations individualisées, ou
très récentes. Enfin, les stratégies communes de différenciation de
l’offre, tels que les signes de qualité ou les labels, doivent reposer sur des critères qualitatifs clairs de sélection des produits ou
des entreprises. Par ailleurs, dans sa décision 94-D-41, le Conseil
de la concurrence estime que l’harmonisation des prix de cession
internes à la filière, dans un contexte de concurrence entre plusieurs labels, est licite (Cons. conc., déc. n° 94-D-41,5 juill. 1994, relative
à des pratiques relevées dans le secteur des volailles sous label). Néanmoins, les clauses de prix imposés de revente aux consommateurs,
restent à proscrire.
ÉTUDE DE CAS : AVIS N° 14-A-03 DE L’AUTORITÉ DE LA
CONCURRENCE
Le secteur des fruits et légumes a fait l’objet de beaucoup d’attention en France, dans la suite des travaux initiés par le rapport
Canivet en 2004. Depuis 2008, le Conseil de la concurrence puis
l’Autorité ont rendus une dizaine d’avis sur le secteur agricole dont
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I Juillet - Septembre 2015
Perspectives
presque la moitié concerne ce secteur des fruits et légumes. Ces
marchés de produits périssables et souvent vendus en l’état sont
en effet soumis à une situation concurrentielle particulière, ce qui
explique sa prédominance dans les avis agricoles rendus par l’Autorité.
INTERVENTION DE VÉRONIQUE SÉLINSKY
La fédération « Les Producteurs de Légumes de France » posait deux questions à l’Autorité, à savoir, si le secteur des fruits
et légumes était dans une situation anormale de marché et, le
cas échéant, si cette situation anormale de marché justifiait des
exemptions au droit de la concurrence. En effet, de telles exemptions seraient possibles dans le cadre de l’article L. 410-2, alinéa 3,
du code de commerce qui indique que « les dispositions des deux
premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement
arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des
baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées
par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une
calamité publique ou une situation manifestement anormale du
marché dans un secteur déterminé ». L’article L. 611-4 du code
rural précise les modalités permettant de caractériser une situation manifestement anormale de marché. Ainsi, « la situation de
crise conjoncturelle affectant ceux des produits figurant sur la liste
prévue à l’article L. 441-2-1 du code de commerce est constituée
lorsque le prix de cession de ces produits par les producteurs ou
leurs groupements reconnus est anormalement bas ».
Spécificités de la filière des fruits et légumes
L’avis souligne tout d’abord les spécificités de la filière des fruits
et légumes. Cette filière est en effet sujette à des déséquilibres
structurels dus à la confrontation d’une offre atomisée et d’une
demande concentrée et à la nature des produits – peu de possibilité de stockage, cycles de production longs – rendant la maîtrise
de l’offre difficile. Cette filière est en outre confrontée à des crises
conjoncturelles récurrentes causées par des aléas climatiques ou
par l’utilisation des produits agricoles à des fins non alimentaires.
L’Autorité estime que les dysfonctionnements structurels observés doivent être corrigés par des mesures structurelles. Elle en
conclut, au point 29 de l’avis, que la production des fruits et légumes n’est pas dans une situation « manifestement anormale »
du marché au sens entendu par les dispositions législatives du
code de commerce.
Les solutions existantes pour remédier aux dysfonctionnements structurels de cette filière
L’Autorité détaille ensuite les solutions déjà existantes pour remédier à ces dysfonctionnements. Elle identifie plusieurs solutions
permettant d’améliorer de manière permanente la situation des
producteurs, à savoir améliorer l’organisation de l’offre via des OP
et des AOP, renforcer l’information des producteurs sur les prix,
dans certaines limites, et enfin contractualiser les relations entre
producteurs et distributeurs. À ces solutions permanentes, la loi
adjoint des solutions ponctuelles. Ainsi, l’article L. 442-9 du code
de commerce permet de sanctionner des prix abusivement bas et
l’article L. 611-4-1 du code rural permet à l’État de conclure avec
les distributeurs des accords de modération des marges sur les
fruits et légumes.
Numéro 44
I Juillet - Septembre 2015
Deux types d’AOP permettent un regroupement de l’offre, les AOP
de commercialisation, avec transfert de propriété de la production
qui permettent une concentration de l’offre et la fixation d’un prix
unique par une seule entité économique – l’AOP – et n’entre donc
pas dans le cadre des ententes, et les AOP de gouvernance qui
ne comportent pas de transfert de propriété. Ces dernières AOP
permettent une mise en commun des outils de production et une
organisation de l’offre mais ne peuvent pas fixer de prix collectif,
sauf dérogation sectorielle (lait, huile d’olive, viande bovine). Ces
outils de regroupement de l’offre semblent pour le moment insuffisants à rééquilibrer. Néanmoins, les récentes modifications de
l’OCM ont supprimé le critère d’absence de position dominante
pour pouvoir constituer une AOP, favorisant ainsi la constitution
d’AOP de plus grande dimension.
Concernant l’information sur les prix, l’Autorité remarque que
des outils existent déjà, tel le Réseau des Nouvelles du Marché,
dont la fiabilité est cependant contestée par les utilisateurs. L’outil
Info@clar avait été critiqué dans la décision 12-D-08 de l’Autorité,
car il permettait une centralisation en temps réel des prix pratiqués
par les producteurs d’endives sans anonymisation des données.
Cet outil a néanmoins été absout par la cour d’appel de Paris dans
son arrêt du 15 mai 2014, dans lequel elle rappelait qu’Info@clar
résultait d’un décret de 2000 et elle ne constatait pas de preuve de
détournement du système.
Enfin, la contractualisation, qui avait été encouragée dans
l’avis 08-A-07 de l’Autorité, doit permettre un partage des risques
entre vendeur et acheteur. Elle est obligatoire dans le secteur des
fruits et légumes depuis le décret du 30 décembre 2010 (C. rur.,
art. L. 631-24 et L. 631-25), mais le bilan de cette mesure reste très
mitigé. Il semblerait en particulier qu’elle n’ait eu aucun effet sur
l’asymétrie du secteur. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet
échec, notamment l’hétérogénéité du secteur, la difficulté à déterminer les modalités et les critères de prix et la durée trop longue
des contrats (3 ans).
Les propositions de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité propose plusieurs pistes d’amélioration des outils déjà
à disposition des producteurs en améliorant l’efficacité des OP, en
accroissant la transparence du marché en conformité avec le droit
de la concurrence, et en adaptant le régime de contractualisation.
Afin de dynamiser les OP et AOP, l’Autorité propose au point 111,
dans le cadre de l’OCM, d’étendre les exemptions sectorielles à la
négociation collective des prix aux AOP de gouvernance, c'est-àdire sans transfert de propriété, permises dans les secteurs du lait,
de l’huile d’olive et de la viande bovine, au secteur des fruits et légumes. Elle précise par ailleurs au point 103 que, pour ne pas être
assimilée à une entente illicite, une structure commune regroupant
des acteurs économiques devenant un élément essentiel de l’accès à un marché donné, doit reposer sur des conditions d’accès
objectives, transparentes et non discriminatoires. L’Autorité suggère également aux producteurs de développer des stratégies de
différenciation de l’offre, telles que la promotion des produits bio,
ou le développement des signes de qualité, et de développer des
magasins de producteurs.
Afin d’accroître la transparence dans le respect des règles de
concurrence, l’Autorité suggère d’utiliser de nouveaux indicateurs,
tels que les cours internationaux ou les coûts de production, re-
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posant sur des données agrégées, des informations passées et
bénéficiant d’une large diffusion. Elle rappelle par ailleurs que les
échanges directs de prix ou de volumes entre opérateurs sont interdits par le droit de la concurrence.
Enfin, l’Autorité identifie quelques pistes pour assouplir et généraliser les contrats entre producteurs et distributeurs. Elle suggère
notamment de diminuer la durée des contrats à un an, en les adossant à des contrats cadres plus longs, et d’y ajouter des clauses
d’adaptation, par exemple des clauses de revoyure. Elle conseille
enfin de mettre en place une aide financière à la contractualisation.
INTERVENTION DE JEAN-BAPTISTE TRAVERSAC
L’avis de l’Autorité de la concurrence pose extrêmement bien les
éléments du « problème agricole ». Nous commentons ci-dessous
certaines de ses recommandations. Les suggestions de l’Autorité
posent des problèmes d’opérationnalité.
Spécificités de la filière des fruits et légumes
Revenons dans un premier temps sur les caractéristiques structurelles du marché des fruits et légumes, qui a en effet des spécificités propres, sans oublier de surcroit que les différentes filières
des fruits et des légumes ont une conjoncture particulière et des
structures de production différentes, ce qui complique le rendu
d’un avis général.
Par rapport à d’autres filières agricoles, les fruits et légumes sont
soumis à des aléas très importants, et en particulier à des fenêtres
de demande très courtes, ce qui rend difficile la régulation des
relations entre producteurs et distributeurs dans ces secteurs. On
pourrait par exemple penser que le secteur de la conserverie pourrait servir d’échappatoire au marché des fruits et légumes frais. Ce
n’est cependant pas le cas. En effet, le secteur de la conserverie
n’utilise pas en général les mêmes filières d’approvisionnement
que le marché des fruits et légumes frais, et repose de plus sur
une planification et une contractualisation relativement élaborée
avec les producteurs, de l’approvisionnement à partir de domaines
propres, que l’on ne rencontre pas dans le secteur du frais.
Un second paramètre essentiel de certains fruits et légumes
est la périssabilité des produits, caractéristique qui génère des
contraintes logistiques et qui complique les procédures de négociation et de contractualisation. Les producteurs n’ont qu’une
courte fenêtre de négociation avec des coûts irréversibles très
lourds en cas de non aboutissement de la négociation ce qui les
met en situation de précarité. Certains produits ne subissent pas
ses contraintes, par exemple la pomme. Ces différences de nature
technologiques engendrent de grandes disparités entre les filières.
Par ailleurs, certains fruits et légumes sont soumis à une intense
concurrence internationale. Par exemple, l’horticulture française
est complètement devancée par l’horticulture néerlandaise qui
s’est adaptée pour répondre aux demandes de la grande distribution en développant une logistique très performante et en standardisant ses produits. L’horticulture française ne peut par ailleurs
pas rivaliser avec les producteurs d’Amérique du sud, du fait des
différences de coûts de main d’œuvre et de coût d’opportunité du
foncier. L’atout de l’agriculture française dans cette concurrence
internationale est la technicité de sa main d’œuvre et la capacité
des producteurs à se mécaniser et donc à réduire la part du travail
152
I RLC
dans leur fonction de production, diminuant ainsi le désavantage
lié au niveau élevé des salaires. Ainsi, l’exposition à la concurrence
internationale ne sera pas la même dans les productions où le niveau de technicité est élevé (pomme de terre, carottes, vergers)
que dans les productions qui conservent un ratio de main d’œuvre
élevé. Certaines filières développent des stratégies de différenciation efficaces, abordées par l’avis, en innovant et en renouvelant
constamment leur offre. Le secteur de la tomate a su s’extraire de
la dépendance à la tomate ronde, puis à celle de la tomate grappe.
Commentaires sur les recommandations de l’avis de l’Autorité de la concurrence
L’avis s’inscrit dans la ligne générale de la politique de la commission européenne, en insistant sur l’importance de la concentration
de l’offre et des organisations de producteurs. Le secteur des
fruits et légumes possède l’un des plus faibles degrés d’organisation du secteur agricole, du fait notamment d’une forte hétérogénéité des producteurs, à la fois culturelle – les producteurs
étant répartis dans de nombreuses régions – et dans leur fonction
de production – certains peuvent par exemple se spécialiser dans
les légumes de plein champ, et d’autre associer céréales et vergers. Du fait également de contraintes logistiques liées à la perte
de qualité des produits avec la durée d’allongement du transport
qui autorisent la résilience d’un minimum de producteurs dans la
plupart des régions de France (Boivin N. et Traversac J.-B., Acteurs et
agriculture biologique dans la fabrique alternative des espaces. Le cas de
l’Île-de-France, Norois, 2011, p. 17).
Depuis la loi sur la contractualisation en agriculture, les contrats
sont utilisés dans de nombreux secteurs, mais uniquement pour
enregistrer des transactions au cas par cas et non pas pour servir de ligne d’objectifs. Dans le secteur des fruits et légumes, il
semble difficile d’imaginer des modèles de contrats permettant
d’améliorer les relations entre producteurs et distributeurs. Les
contrats semblent en effet inadaptés aux aléas des marchés et
pourraient être dénoncés en cas de crise. L’exemple anglo-saxon
est à cet égard révélateur : dans les années 70, aux États-Unis,
en Nouvelle-Zélande et en Australie, des contrats de longterme – 30 ans – avaient été mis en place dans le secteur, et avaient
été dénoncé lors d’une crise du secteur. Ces dénonciations avaient
été acceptées par les tribunaux, au motif que le transformateur
devait avoir une certaine flexibilité, et qu’un engagement sur une
variété qui n’avait plus de débouché devenait nul et non avenu
(Rousset S. et Traversac J.-B., Indications Géographiques et changements
de gouvernance dans la filière vitivinicole californienne, in Les terroirs du
Vin, Hinnewinkel J.-C., éd. Ferret, Bordeaux, 2010, p. 16).
L’avis recommande de promouvoir la vente directe par les producteurs. Cette solution, l’intégration verticale de la commercialisation
par les agriculteurs possèdent sur un plan théorique des avantages
indéniables : la captation de valeur par le contrôle d’une double
marge, le choix des investissements et d’orientation des éléments
de marketing créateurs de valeur (prix, message au consommateur). Actuellement, la part de la vente directe est infime dans les
volumes de vente, et serait comprise entre 2,5 et 6 % de la production française. Les intermédiaires et les distributeurs assument
aujourd’hui des fonctions logistiques qui requièrent des ressources
et une flexibilité difficiles à assumer par les producteurs. L’analyse
des prix des paniers de fruits et légumes montre que les services
et prestations commerciales rendus par les producteurs agricoles
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I Juillet - Septembre 2015
Perspectives
entrainent des coûts mal évalués par les consommateurs et par
les producteurs eux-mêmes. Les producteurs ont souvent des difficultés à faire face à ces coûts autrement que par une absence de
rémunération de leur travail (Traversac J.-B. et Kebir L., Ancrage et rétrécissement des circuits alimentaires, Questions et hypothèses de recherche,
in La contribution des circuits courts alimentaires au développement régional, J.-B. Traversac, éd. Educagri, Dijon, 2010, p. 246). Par ailleurs, rien ne
permet de supposer que les producteurs soient compétitifs pour
assurer ces services. La revalorisation de la filière française ne peut
passer que pour une part marginale par cette option.
Le point 114 de l’avis recommande en outre d’étendre les outils
d’information à la disposition des producteurs. Il est aujourd’hui
en effet difficile pour les producteurs d’obtenir des informations
fiables. Ainsi, l’observatoire des prix et des marges ne renseigne
pas précisément sur les pratiques des grandes distributions car
les acteurs interrogés ne sont pas tenu de répondre aux questions qui leurs sont posées. Dans l’ensemble des filières agricole,
l’information au niveau du premier échelon, i.e. dans les relations
entre le producteur et le premier intermédiaire, est relativement
abondante et fiable, mais l’information plus en aval de la chaîne de
distribution est difficilement accessible. Cet état de fait peut expliquer l’incompréhension des producteurs face aux prix pratiqués
par les intermédiaires et les distributeurs, prix qu’ils n’associent
pas aux coûts – importants – des services fournis par ces intermédiaires. La mise en marché des produits est en effet coûteuse, car
elle nécessite de la main d’œuvre et incorpore les pertes liées aux
aléas de transport et d’entreposage et aux invendus. La grande
distribution gère la question de la logistique avec beaucoup de
professionnalisme et de transparence sur le vrai coût de la gestion
des flux.
Force est de constater que la régulation du marché des Fruits et
Légumes reste une question ouverte. Les propositions retenues
jusqu’ici visant à stabiliser les relations amont-aval par le contrat,
Numéro 44
I Juillet - Septembre 2015
à apporter une meilleure transparence des coûts et des marges, à
regrouper l’offre semblent inopérantes. L’usage de ces outils doit
être revu et ne semble pas constituer en l’état une réponse satisfaisante à la crise profonde du secteur. Ce n’est très probablement
qu’adossés à des instruments de régulation supplémentaires (organisation interprofessionnelle dotée de pouvoirs étendus, OPA,
bureau de pilotage des flux) ils permettraient d’améliorer significativement le fonctionnement de la filière. La principale réserve
à l’efficacité d’un tel dispositif demeure la volonté des acteurs de
s’organiser en vue d’une meilleure planification des flux avec l’aval.
L’intérêt majeur de travaux sur des prix d’orientation (proches
des coûts de production) serait de faire permettre une prise de
conscience de l’importance des différents coûts de l’amont à l’aval
de la chaîne de distribution et de faciliter la répartition de la valeur.
S’il est difficile de disposer d’informations fiables sur ces coûts.
La mise en comparaison de données sur des produits d’origine
et à des stades différents de la filière est de nature à permettre
des accords sur les prix. Chaque source possède des imperfections : Le RICA ou Réseau d’Information Comptable Agricole est
un instrument développé par la Commission européenne permettant d’évaluer le revenu des exploitations agricoles et les impacts de la politique agricole commune : observatoire rigoureux
et très complet des coûts en grandes cultures, il est biaisé sur les
F&L, car constitué principalement de jeunes producteurs et s’appuyant sur des données provenant de structures relativement plus
importantes que la moyenne nationale. L’Autorité suggère de se
référer aux prix d’importation. Néanmoins, les prix d’importations
ne peuvent être des étalons en eux-mêmes. Ils sont très volatiles,
et sont rarement comparables à la demande nationale du fait de
différence de qualité, de service associé, de périodicité. Seule une
réflexion globale multicritère et basée sur une pluralité de sources
à tous les stades de la filière peut éclairer l’intervention des agents
économiques et du régulateur. Les outils existent, ils sont souvent
trop dispersés et pâtissent d’une absence de volonté commune.. n
RLC
I 153
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