devenir des individus. Elles accueillent donc
favorablement des théories qui attribuent le destin des
personnes à leurs gènes plutôt qu'à leur éducation, leur environnement et leur condition sociale, y
trouvant une justification "biologique" à l'existence d'inégalités qui tendent à
s'accroître, et en tirant
d'excellents arguments pour écarter les mesures,
forcément coûteuses, qui pourraient limiter cette
dérive. Ce n'est pas un hasard si cette tendance prévaut aux Etats-Unis.
Mais que peut-on en dire d'un point de vue scientifique ?
B.J. : C'est une erreur grossière qui consiste à
généraliser à partir de quelques cas où, en effet, une
certaine mutation dans un
certain gène entraîne systématiquement une maladie. Par exemple, une
maladie neurologique incurable, la chorée de Huntington, dépend d'un déterminisme
fort. Si le gène est muté, la personne sera atteinte de cette
maladie, il n'y a pas de marge. La mutation
peut être décelée très tôt dès
l'enfance et la maladie apparaîtra vers 40 ans.Mais ce n'est pas le cas
général. Dans la plupart des maladies dites "génétiques", les gènes peuvent être altérés
façons : il y a la version standard d'un gène que l'on retrouve
chez la grande majorité des personnes
"normales" et différentes variantes plus
ou moins fonctionnelles. Concernant, par exemple, la
mucoviscidose, plus de 600
anomalies ont été répertoriées. De plus, la même mutation n'a pas le
même effet
suivant les individus. Pour une même anomalie, une personne peut être gravement
malade et d'autres légèrement ou pas du tout atteintes ! L'effet du gène
dépendra de l'interaction avec
d'autres gènes et de très nombreux facteurs non
génétiques tels que la grossesse, l'alimentation,
l'histoire personnelle, etc.
Pour l'hémophilie qui dépend souvent d'une même défectuosité assez
simple, dont l'effet est constant, le résultat pour la personne dépend complètement de
la société : avant 1950, il n'y avait pratiquement pas de
traitement, ensuite en moins d'une génération,
l'affection a été presque
entièrement contrôlée avec les produits coagulants, puis l'apparition du Sida
et la tragédie du sang contaminé ont entraîné la mort de la moitié des hémophiles
santé ne dépend pas que de la mutation d'un gène mais bien
de conditions sociales qui déterminent
l'accessibilité d'un traitement ou la
qualité du contrôle sanitaire. Tout cela renvoie à la différence
fondamentale entre génotype (ce qui est inscrit dans les gènes) et phénotype (l'état de la
un moment donné de son histoire). Notons enfin que la prédisposition
à une maladie n'indique en
rien l'état de la personne. Selon la version d'un
gène, une personne aura cinq fois plus de risques
d'être diabétique. Et des
employeurs ou des assureurs pourraient la considérer comme une personne
malade. Mais si en moyenne le risque d'être diabétique est de 1 %, il ne sera que de 5 %
personne : elle aura donc 95 % de chances de ne pas être malade
!Quant au déterminisme génétique
de traits de caractère ou de l'orientation
sexuelle, c'est un domaine où la plupart des "résultats"
obtenus (et abondamment médiatisés) ont été contredits par les études ultérieures...
S'agit-il d'une révolution en biologie, à mettre au
rang des découvertes capitales comme par
exemple celle de l'ADN ? Quelles sont
les grandes questions qui demeurent et les nouveaux
horizons qui s'ouvrent à la biologie ?
B.J. : C'est effectivement une étape
capitale, et dont beaucoup pensaient qu'elle ne serait pas atteinte
si vite. C'est une découverte "programmée", moins nouvelle, moins imprévue que celle de
structure de l'ADN, mais elle aura certainement beaucoup de conséquences en
d'avoir des sortes d'atlas des gènes accélère les travaux sur
de grandes questions fondamentales de la
biologie. La question du développement : comment un organisme complexe se développe-t-
d'une seule cellule ? Celle de l'évolution : quels sont les mécanismes de filiation entre des
organismes différentes ? Sur ces deux questions, la comparaison entre les
et d'autres organismes amènent des progrès rapides. On
trouvera plus facilement chez la mouche que
chez l'Homme, les gènes qui
gouvernent le développement. Et on pourra chercher ce qui dans le
génome humain ressemble à leur séquence complète. On va directement du mutant de la mouche
drosophile à l'identification chez l'Homme du gène impliqué dans le
grande accélération et un changement de nature de la
recherche biologique qui repose moins sur des
expérimentations et davantage sur
des similitudes repérées avec de puissants outils informatiques.
l'évolution, on se basera sur la proximité des séquences d'ADN. En revanche, en
On a séquencé le génome humain !
http://www.regards.fr/article/print/?id=1955