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en tant que celle-ci s’oppose à la philosophie morale ou sociale; et cette assimilation
justifie le sous-titre, à première vue surprenant, donné par les derniers éditeurs du Cours
au volume contenant les quarante-cinq premières leçons. Enfin, chez les deux auteurs,
l’idée de philosophie première appelle celle de philosophie seconde, cette dernière
division recouvrant, semble-t-il, dans le Cours, celle établie entre sciences abstraites et
sciences concrètes. A ce propos, il convient de noter que l’abstraction, dans le
positivisme, n’est pas le propre de la métaphysique. La science aussi est abstraite, ou du
moins, la classification ignore les sciences concrètes. Comte donne la différence de
l’abstrait et du concret comme «vraiment capitale»
6
. Avec celle, corrélative, de l’être et
de l’événement, elle se trouve au fondement de sa pensée et mériterait donc une étude
approfondie. On se contentera ici de retenir la distinction ainsi établie entre deux sortes
d’abstraction, la bonne et la mauvaise, celle de la science et celle de la métaphysique.
Du Cours au Système, diverses modifications interviennent
7
. Tout d’abord, la
notion reçoit un contenu plus déterminé, puisqu’elle se réduit à ces quinze lois dont il
sera à nouveau question dans un instant. Mais, preuve de ce qu’il est difficile de fixer
une fois pour toutes l’usage des termes de ce genre, Comte, quelques pages plus loin,
propose d’en étendre le sens pour désigner par synecdoque l’ensemble dont les dits
principes ne constituaient que la partie médiane (IV, p. 186). Plus grave encore, la
philosophie première étant de toutes façons chargée maintenant d’une nouvelle
fonction, elle ne peut plus être identifiée, comme c’était le cas auparavant, à
l’encyclopédie abstraite, qui relèvera désormais de la philosophie seconde
8
, la
philosophie troisième correspondant cette fois à l’encyclopédie concrète, en
l’occurrence au Système d’industrie positive ou Traité de l’action totale de l’Humanité
sur sa planète, ouvrage promis à plusieurs reprises, mais qui n’a jamais connu le
moindre début d’exécution.
Plusieurs raisons incitent à accorder au chapitre consacré à ces considérations
une place éminente dans l’économie générale de l’oeuvre. Pour l’essentiel, cette
Systématisation finale du dogme positif se contente de passer une nouvelle fois en revue
la série des sciences fondamentales. En ce sens, elle peut sembler faire double emploi
avec l’introduction fondamentale du premier tome, longue de près de trois cent
cinquante pages, et qui, avant d’instituer la sociologie, brosse un tableau des sciences
qui la précède, ramenées pour la circonstance à la cosmologie et à la biologie
9
. En
conclure que le chapitre du tome quatre ne présente que peu d’intérêt serait pourtant une
erreur. Tout d’abord, de 1851 à 1854, une modification capitale est intervenue,
puisqu’une septième science, la morale, est venue ravir à la sociologie la présidence de
l’échelle encyclopédique. Une découverte d’une telle ampleur remettait en cause, aux
yeux mêmes de l’auteur, toute l’architecture de l’ouvrage. «Malgré la supériorité
systématique de ma construction religieuse sur ma fondation philosophique, le traité
que j’achève ne saurait comporter la rationalité complète à laquelle j’aspirai toujours.
6
48ième leçon, p. 739; cf. I, p. 423-37, et IV, p. 170-73.
7
Cf. P. Arbousse-Bastide dans La doctrine de l’éducation universelle dans la
philosophie d’Auguste Comte, P.U.F, Paris, 1957, T. II, p. 405.
8
Les textes ne sont pas très explicites sur ce point; mais il semble bien que les
«considérations moins générales» (IV, p. 190) qui font suite à la philosophie première
soient assignées indifféremment à l’encyclopédie abstraite (p. 215) ou à la philosophie
seconde (p. 217).
9
Les redondances dues à ces anticipations ont été décrites avec soin par Arbousse-
Bastide, p. 445-70.