Dossier – Risque cardiovasculaire
Comment évaluer le risque
cardiovasculaire ?
Jacques Amar
Pole cardiovasculaire et métabolique, CHU de Toulouse
Résumé.Le risque cardiovasculaire global (RCV) est estimé soit en additionnant les principaux facteurs de risque cardiovasculaire
(hypertension artérielle, dyslipidémie et diabète), chaque facteur étant considéré comme présent ou absent et étant affecté d’un poids identique,
ou en utilisant un modèle (modèle statistique) qui utilise la valeur réelle de chaque facteur de risque cardiovasculaire. Deux modèles ont été
validés, Framingham et SCORE. Ils classent les patients par niveau de risque et prédisent le risque cardiovasculaire à 5 et à 10 ans. Leur
performance n’a pas été évaluée dans une population française représentative de la population générale. Les modèles dérivés de la cohorte
Framingham s’appliquent à un modèle nord-américain et tend à surestimer le risque cardiovasculaire global et un ajustement ou une
recalibration sont requises. Les modèles SCORE, validés à partir de cohortes européennes estiment seulement le risque de décès de cause
coronaire ou non et proposent deux modèles statistiques, l’un pour une faible prévalence de maladie cardiovasculaire, l’autre pour une
prévalence élevée. Les recommandations concernent ces facteurs de risque cardiovasculaire et nécessitent une standardisation en termes de
méthodologie utilisée pour estimer le risque cardiovasculaire global (recalibration des scores Framignham et SCORE) et une stratégie de prise
en charge à l’échelle individuelle pour la prise en compte des facteurs de risque cardiovasculaire.
Mots clés : risque cardiovasculaire
Abstract. How to assess cardiovascular risk? Global cardiovascular risk (CVR) is estimated either by summing the main CVR factors
(hypertension, dyslipidaemia and diabetes), each factor being considered as either present or absent and having an identical weighting or by
using a risk model (statistical modelling) which uses the true value of each CVR factor.Two risk models (Framingham and SCORE) have been
validated. They classify patients by risk level and predict risk of a cardiovascular event in 5 or 10 years’time. Their performance has not been
assessed in a French population representative of the general population. The Framingham models, derived from North American cohorts,
overestimate global CVR and adjustment (or recalibration) is required. The SCORE models, derived from European cohorts, estimate only the
risk of death from coronary or non-coronary cardiovascular disease, and propose two statistical models, one for low, the other for high
prevalence of cardiovascular diseaseGuidelines on CVR factors (hypertension, dyslipidaemia and diabetes) need to be standardized in terms of
method used to estimate global CVR (recalibrated Framingham and/or SCORE) and management strategy for individuals with several CVR
factors.
Key words: cardiovascular risk
Le patient est-il malade ?
Le patient à risque, c’est tout
d’abord le patient malade. Le diagnos-
tic de la maladie cardiovasculaire est
donc un temps essentiel dans l’évalua-
tion du risque. Les outils nécessaires,
suffisants la plupart du temps, sont
l’interrogatoire, l’examen clinique et
l’électrocardiogramme. Nous n’y re-
viendrons pas. Cependant, il y a éga-
lement une place pour des examens
paracliniques systématiques.
Mesure des index
de pression systolique
Déterminante dans le classement
de nos patients cette mesure doit être
de réalisation systématique [1]. En ef-
fet, la définition de l’artériopathie
d’après les recommandations de la
HAS repose sur un index de pression
systolique (IPS) < 0,9 [2].
Epreuve d’effort
Chez les diabétiques à haut risque
asymptomatiques [2], dont les critères
sont définis dans le tableau 1, en réfé-
rence aux recommandations de la So-
ciété française de cardiologie (SFC),
une épreuve d’effort est indiquée pour
dépister l’ischémie myocardique si-
lencieuse. La tomoscintigraphie myo-
cardique ou l’échographie de stress
sont à réserver en première intention
au patient porteur d’une artériopathie
doi: 10.1684/mtc.2008.0163
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Tirés à part : J. Amar
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des membres inférieurs invalidante, d’anomalie sur l’ECG
de base rendant l’épreuve d’effort ininterprétable (bloc de
branche gauche, syndrome de Wolf-Parkinson-White,
sous-décalage du segment ST de 1 mm sur le tracé de
base).
Si le test d’ischémie est positif, il faudra savoir discerner
chez ces sujets asymptomatiques, les patients les plus à
risque car probablement porteurs d’une atteinte des trois
troncs coronaires. Dans cette population de patients, une
coronarographie est à envisager. C’est en effet dans cette
population qu’une politique de revascularisation a démon-
tré un bénéfice sur le pronostic. Une positivité précoce et
l’importance du sous-décalage seront les principaux critè-
res suggérant l’intérêt d’une exploration invasive.
Chez le « non-malade » :
l’équation ou l’addition ?
Equations de risque
Ces équations [3-5] pondèrent et modélisent les prin-
cipaux facteurs de risque pour délivrer une probabilité de
faire un événement cardiovasculaire. Cette pondération
autorise une prédiction précise. Les limites de cette appro-
che sont cependant nombreuses.
Une équation par population ?
Le poids relatif de chaque facteur de risque varie peu
d’une population à l’autre. Ceci a été particulièrement
bien démontré pour l’hypertension artérielle [6]. En revan-
che, le risque de base peut être très différent selon la
population : on connaît le gradient nord-sud des maladies
cardiovasculaires. En pratique, on dispose d’équations de
risque applicables aux Etats-Unis et à l’Europe. Pour le
reste du monde, de tels modèles ne sont pas disponibles.
Une maladie, une équation ?
Le poids des facteurs de risque varie en fonction de la
maladie que l’on souhaite prédire. Ainsi, la présence
d’une hypertension artérielle est plus fortement associée à
l’AVC qu’à l’infarctus du myocarde (IDM). Cependant, en
Europe, nous ne disposons que d’une équation prédisant
le risque de mortalité cardiovasculaire globale. A l’in-
verse, aux Etats-Unis, pour répondre à cette problémati-
que, des équations de risque spécifiques de l’AVC et de
l’IDM ont été construites à partir de l’étude de population
de Framingham. Pour affiner la prédiction, il serait sans
doute souhaitable de distinguer les AVC ischémiques ou
hémorragiques, et au-delà parmi les ischémiques, ceux
d’origine lacunaire, carotidienne ou cardiaque. Il est en
effet probable que le lien entre HTA et AVC lacunaire
diffère de la relation entre HTA et AVC d’origine caroti-
dienne. Cependant, très rapidement, le raffinement des
modèles de prédiction devient incompatible avec la pra-
tique quotidienne.
Au-delà de l’horizon
Les équations disponibles prédisent le risque à 10 ans.
De fait, l’âge pèse très lourd dans le modèle. Définir une
stratégie de prévention sur un risque à 10 ans lorsqu’on est
confronté à un patient de 75 ans est raisonnable. A l’in-
verse, cet horizon est inadapté pour un patient de 40 ou
50 ans. Cela conduirait en effet à ne pas traiter la plupart
des patients dans une tranche d’âge. Certes, pour la plu-
part et conformément à la prédiction, ils ne présenteraient
pas d’événement dans les 10 ans qui suivraient notre
décision d’abstention. Cependant, 10 ans après, lorsqu’on
déciderait de mettre en place un traitement de prévention,
serait-t-il aussi efficace ? L’atteinte infraclinique des orga-
nes cibles que nous aurons laissé évoluer pourrait consti-
tuer une réelle perte de chance... A cet égard, l’étude
TROPHY [7] a montré les vertus d’une intervention très
précoce.
Addition des facteurs de risque
C’est actuellement la méthode privilégiée par la plu-
part des recommandations nationales et internationales
Liste des abréviations
AVC : accident vasculaire cérébral
HAS : Haute Autorité de Santé
HTA : hypertension artérielle
IPS : index de pression systolique
SFC : Société française de cardiologie
Tableau 1.Diabétiques asymptomatiques à haut risque
sélectionnés pour la recherche d’une ischémie myocardique
silencieuse (d’après les recommandations conjointes
SCF/ALFEDIAM 2004).
Patient diabétique de type 2 âgé de plus de 60 ans ou ayant un
diabète reconnu depuis plus de 10 ans et ayant au moins deux
facteurs de risque traditionnels parmi les suivants :
– dyslipidémie avec cholestérol total > 2,5 g/L et/ou cholestérol
LDL > 1,6 g/L, cholestérol HDL < 0,35 g/L, triglycérides > 2 g/L et/ou
traitement hypolipidémiant ;
– pression artérielle > 140/90 mmHg ou traitement hypotenseur ;
– tabagisme actif ou interrompu depuis moins de trois ans ;
– accident cardiovasculaire majeur avant l’âge de 60 ans dans la parenté
du premier degré.
Patient diabétique de type 1 âgé de plus de 45 ans et traité depuis
plus de 15 ans et ayant au moins deux autres facteurs de risque
traditionnels.
Patient diabétique de type 1 ou 2 ayant, quels que
soient l’âge et le niveau des facteurs de risque traditionnels :
– soit une artériopathie des membres inférieurs et/ou un athérome
carotidien ;
– soit une protéinurie.
Patient diabétique de type 1 ou 2 ayant, quel que soit l’âge, une
micro-albuminurie avec au moins deux autres facteurs de risque
traditionnels.
Reprise d’une activité sportive par un sujet sédentaire âgé de plus de
45 ans.
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[8-12]. Il s’agit d’additionner le nombre de facteurs de
risque présents chez un patient sans les pondérer. A partir
de cette sommation, une évaluation semi-quantitative du
risque est délivrée.
La précision de la prédiction est obérée par l’absence
de pondération. Cependant, cette approche a le mérite de
la simplicité. Elle n’impose ni interface informatique, ni
calibrage selon la population concernée. Elle promeut
l’évaluation des principaux facteurs de risque modifiables.
C’est, de fait, un outil pour populariser une prise en charge
globale des facteurs de risque cardiovasculaire dans de
larges populations.
Evaluer le risque global :
pour quoi faire ?
Le premier intérêt de l’évaluation du risque global est
donc de favoriser la prise en charge chez nos patients de
tous les facteurs de risque cardiovasculaire, et donc d’opti-
miser l’impact des traitements de prévention.
Ensuite, une fois le risque évalué, faut-il traiter en
fonction de celui-ci ou du chiffre définissant le niveau de
tel ou tel facteur de risque ? Traiter en fonction d’un risque
à 10 ans, c’est éviter dans une certaine mesure les effets
« cliquets ». Par exemple, il paraît dommage de ne pas
traiter un patient de 60 ans dyslipidémique et tabagique
parce que sa pression artérielle n’est que de
138/88 mmHg. Cependant, fonder une stratégie de pré-
vention sur le calcul du risque à 10 ans, c’est aussi accep-
ter de ne pas traiter pendant des années des patients à
faible risque global malgré la présence par exemple d’un
LDL-cholestérol « élevé ». Face à cette problématique,
chacune des recommandations traitant d’un facteur de
risque a défini une attitude spécifique.
Les recommandations dans l’HTA restent avant tout
fondées sur le chiffre : on traitera au-dessus du seuil de
140/90 mmHg pour ramener la pression artérielle en deçà
de 140/90 mmHg. Il n’y a que deux exceptions parmi les
patients à haut risque : les diabétiques et les insuffisants
rénaux où le seuil d’intervention et l’objectif thérapeuti-
que sont de 130/80 mmHg.
Les recommandations « lipides » sont fondées sur le
risque global évalué par la méthode de l’addition. Plus le
nombre de facteurs de risque est élevé, plus le seuil
d’intervention et l’objectif à atteindre seront bas.
Les recommandations « diabète » ont une philosophie
assez différente : plus le diabète est récent, plus il est facile
à équilibrer, et moins il est compliqué, plus grande sera
l’exigence en termes d’HBA1c.
Ces différences d’appréciation renvoient aux niveaux
de preuve sur lesquels la prise en charge de principaux
facteurs de risque cardiovasculaire est fondée. De fait, il
est peu probable et peu souhaitable qu’une stratégie l’em-
porte sur les autres dans la perspective d’une harmonisa-
tion qui serait assez artificielle.
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