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L’objectif des constituants tunisiens, en posant cette interdiction, est évidemment de
préserver la stabilité constitutionnelle dans une période de crise ou d’incertitude qui
peut résulter du décès ou de la démission du Président de la République, alors même
que les pouvoirs publics ne sont pas en état de fonctionner normalement.
Une telle limite existe également dans la Constitution française de 1958 qui dispose
qu’il ne peut être fait application de l’article 89 de la Constitution relatif à la révision
durant la vacance de la présidence de la République ou durant la période qui s’écoule
entre la déclaration du caractère dénitif de l’empêchement du Président de la
République et l’élection de son successeur (art.7, al. 11).
Il existe toutefois une diérence importante entre la Constitution française qui, pendant
la période d’intérim de la présidence de la République, interdit non seulement d’initier
une révision mais également de la poursuivre si elle a été engagée, et la Constitution
tunisienne qui interdit seulement au Président intérimaire, quel qu’il soit, d’initier une
procédure de révision. En d’autres termes, en Tunisie, seul le Président de la République
par intérim se trouve privé du droit d’initiative de la révision prévu par l’article 143
de la Constitution. En revanche, aucune disposition constitutionnelle n’interdit à un
tiers des parlementaires, en application de l’article 143, d’initier une révision pendant
cette période d’intérim. De même, rien dans la Constitution n’interdît qu’une révision
qui aurait été initiée avant le début de l’intérim présidentiel par le Président élu ne
puisse se poursuivre et aboutir. Dans cette hypothèse, le Président par intérim serait
cependant privé de la possibilité de soumettre la révision au référendum, aux termes
mêmes de l’article 86 de la Constitution.
2. Les limites matérielles
L’ancienne Constitution tunisienne ne comportait qu’une seule limite à la révision,
à savoir l’interdiction de porter atteinte à la forme républicaine de l’État (art. 76), à
l’instar des constitutions italienne de 1947 (art. 139), française de 1958 (art.89, al. 5) ou
portugaise de 1976 (art.288) qui interdisent de porter atteinte à la forme républicaine du
Gouvernement. La Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 non seulement reprend
sous une autre forme cette interdiction mais elle élargit en outre considérablement le
champ des limites matérielles à la révision. Celles-ci ne sont pas regroupées dans un
article unique, comme le prévoyait initialement le projet de Constitution, mais elles
sont disséminées dans plusieurs articles de la Constitution.
En premier lieu, sont mis à l’abri de toute révision constitutionnelle les deux premiers
articles de la Constitution qui proclament les principes et les valeurs qui constituent les
fondements mêmes du nouveau régime et qui ont été d’ailleurs parmi les plus débattus
au sein de l’Assemblée constituante. Rappelons que l’article premier proclame que «la
Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’Arabe sa
langue et la République son régime » et que l’article deux arme que « la Tunisie est un
État civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».
Il n’est pas rare au demeurant que les constituants s’eorcent de garantir la pérennité
des principes constitutifs du nouveau régime qu’ils instituent. Ainsi, à titre d’exemple,
la Constitution grecque de 1975 (art. 110, § 1) interdit toute révision des dispositions
qui « déterminent la base et la forme du régime politique en tant que République