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La révision de la Constitution
André ROUX
Les dispositions relatives à la révision de la Constitution tunisienne adoptée le 26
janvier 2014 par l’Assemblée constituante font l’objet d’un titre VIII intitulé « De la
révision de la Constitution » qui comprend lui-même deux articles, les articles 143 et
144, lesquels précisent le déroulement de la procédure de révision. Outre ces articles,
la Constitution tunisienne comprend par ailleurs de nombreuses limites au pouvoir
de révision qui gurent dans plusieurs de ses dispositions (article 1er (alinéa 2), article
2 (alinéa 2), article 49 (alinéa 2), article 75 (alinéa 6), article 86 (alinéa 1er). Enn, elle
innove en prévoyant un contrôle des révisions de la Constitution exercé par la Cour
constitutionnelle (article 120, alinéa 3 et article 144, alinéa 1).
Le pouvoir constituant originaire, incarné par l’Assemblée nationale constituante
élue le 23 octobre 2011, a donc établi une Constitution qui paraît de prime abord
particulièrement rigide, dans la mesure où le pouvoir constituant dérivé (celui qui
est institué par la Constitution aux ns de la réviser) se trouve soumis au respect
d’une procédure particulière dont l’aboutissement suppose un vote de l’Assemblée
des Représentants du Peuple à une majorité qualiée. Lexistence d’une procédure
spécique de révision, distincte de la procédure d’adoption des autres normes
juridiques et notamment des normes législatives, constitue le critère même de la
Constitution au sens formel, dans la mesure où la Constitution se trouve située par la
même au sommet de la hiérarchie normative.
Par ailleurs, le constituant tunisien a établi des limites matérielles à la révisibilité de la
Constitution, ce qui a pour conséquence d’établir au sein de celle-ci une hiérarchie
entre les dispositions ordinaires que le pouvoir constituant dérivé peut réviser, à
condition de respecter certaines formes, et les dispositions intangibles qui échappent
à son emprise. À cet égard, il est évident que le pouvoir constituant originaire,
quel que soit le pays où il sexprime, est le plus souvent animé par la volonté bien
compréhensible d’assurer la pérennité de son œuvre, de la graver dans le marbre en
quelque sorte, an de garantir la stabilité des institutions et de préserver les principes
et les équilibres constitutionnels qui sont le fruit de compromis souvent diciles à
réaliser entre les forces politiques en présence.
Il est évident par ailleurs que toute Constitution doit être révisable. En eet, la
Constitution d’un pays est établie en fonction d’une situation politique et sociale
qui peut être appelée à évoluer. Comme l’enseigne l’histoire constitutionnelle, celle
de la France notamment, si une Constitution est trop dicile à réviser, elle court le
risque d’être renversée par la force. En outre, l’immutabilité de la Constitution serait
contraire au principe de la souveraineté du peuple qui ne peut par avance renoncer
à son droit de changer la Constitution. La Déclaration française des droits de 1793
proclame en ce sens dans son article 28 qu’« un peuple à toujours le droit de revoir,
réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les
générations futures ». Ce qui rejoint la célèbre formule de Royer-Collard selon laquelle
« les constitutions ne sont point des tentes dressées pour le sommeil ».
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
Après avoir présenté la procédure de révision de la Constitution tunisienne et les
modalités de son contrôle, ce qui permettra d’évaluer son degré de rigidité, il conviendra
dans un second temps d’examiner les diérentes limites qui ont été posées à l’exercice
du pouvoir constituant dérivé an de mettre en évidence les éléments intangibles
de cette Constitution. Enn, il conviendra de sinterroger sur la portée des contrôles
pouvant être exercés par la Cour constitutionnelle sur les révisions constitutionnelles.
I. La rigidité de la Constitution : la procédure de révision de la Constitution
tunisienne
Traditionnellement, la procédure de révision d’une Constitution rigide comprend
plusieurs étapes, plus ou moins diciles à franchir, de l’initiative à l’adoption dénitive.
Ces étapes sont prévues par la Constitution tunisienne dans ses articles 143 et 144.
1. Linitiative de la révision
L’initiative de la révision constitutionnelle est partagée entre le Président de la
République et le tiers des membres de l’Assemblée des représentants du peuple (art.
143). Il en allait de même dans l’ancienne Constitution tunisienne (art. 76), modiée
sur ce point par la loi constitutionnelle du 27 octobre 1997.
Dans les constitutions modernes, l’initiative partagée apparaît comme la solution la
plus fréquente (c’est le cas par exemple de la Constitution marocaine de 2011, art.
172), même s’il peut arriver que des constitutions prévoient l’exclusivité de l’initiative
de la révision au prot du pouvoir législatif, ce qui traduit au demeurant une certaine
méance à l’égard du pouvoir exécutif (constitutions françaises de 1791 et de 1848,
constitution américaine de 1787, italienne de 1947, allemande de 1949, hellénique de
1975, portugaise de 1975…).
Le partage de l’initiative de la révision constitutionnelle entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif est le plus souvent calqué sur la procédure législative ordinaire, du
moins dans les régimes de séparation souple des pouvoirs (constitutions françaises de
1875, 1946 et 1958, belge de 1831, espagnole de 1978, hollandaise de 1983 …). C’est le
cas également dans la nouvelle Constitution tunisienne qui, dans son article 62, opère
un partage de linitiative législative entre, d’une part, les députés (propositions de loi) et,
d’autre part, le Président de la République et le Chef du Gouvernement (projets de loi).
Cependant, le caractère rigide de la Constitution se vérie par le fait que l’initiative des
révisions constitutionnelles est à l’évidence plus restrictive que l’initiative législative.
D’une part, au sein du pouvoir exécutif, le Chef du Gouvernement est titulaire du droit
d’initiative législative mais pas du droit d’initiative des révisions constitutionnelles.
D’autre part, s’agissant du pouvoir législatif, les propositions de loi peuvent être
déposées par seulement 10 députés, alors qu’un tiers des députés est exigé en matière
de révision constitutionnelle.
Il existe par ailleurs une similitude entre l’initiative en matière législative et l’initiative
en matière de révision constitutionnelle puisque, dans les deux cas, c’est l’initiative
émanant du pouvoir exécutif qui est examinée en priorité (initiative législative du
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Président de la République ou du Chef du gouvernement, article 62 de la Constitution;
initiative de la révision constitutionnelle du Président de la République, article 143 de
la Constitution).
2. Ladoption de la révision
La rigidité de la procédure de révision se vérie aussi au stade de l’adoption de la
révision qui comporte deux, voire trois étapes.
En premier lieu, le Parlement doit examiner l’initiative « pour approbation du principe
de la révision à la majorité absolue ». Il s’agit donc d’une majorité renforcée calculée
par rapport au total des parlementaires et non par rapport au nombre de surages
exprimés. Il en allait de même dans l’ancienne Constitution tunisienne qui prévoyait
une délibération de la Chambre des députés sur la proposition de révision qui devait
être adoptée à la majorité absolue.
Dans un second temps, la révision doit être votée « à la majorité des deux tiers des
membres de l’Assemblée des Représentants du Peuple », sans qu’aucun délai ne soit
d’ailleurs xé entre les deux votes. Là encore, c’est la même majorité des deux tiers
qui était exigée pour l’adoption des révisions constitutionnelles par l’article 77 de
l’ancienne Constitution.
Lexigence d’une majorité renforcée est assez fréquente dans les constitutions
contemporaines. Elle se justie évidemment par la nécessité de faire en sorte que les
révisions constitutionnelles puissent faire l’objet d’un consensus entre les diérentes
forces politiques du pays. Une majorité des deux tiers pour l’adoption de la Constitution
est prévue actuellement par un très grand nombre de constitutions : citons à titre
d’exemple la Loi Fondamentale allemande (art. 79, al. 2) la Constitution indienne (art.
368 ,§ 2), la Constitution de la Belgique (art. 195, al.5), la Constitution autrichienne (art.
44, al.1), la Constitution portugaise (art. 286), la Constitution des Pays-Bas (art. 137 § 4),
la Constitution polonaise (art. 235, §4) ou encore la Constitution marocaine (art. 173).
Par ailleurs, le fait que le Parlement soit appelé à délibérer deux fois, d’abord sur le
principe de la révision puis sur la révision elle-même, conduit évidemment à allonger
le délai d’adoption du texte mais il permet aussi de s’assurer que les parlementaires
auront bien pesé leur décision.
Dans le même ordre d’idées, certaines constitutions ont un degré de rigidité encore
supérieur. Ainsi, à titre d’exemple, la Constitution italienne (art. 138) exige que
l’initiative de la révision fasse l’objet de deux délibérations successives séparées
par un intervalle de trois mois. La Constitution grecque (art. 110, §2) prévoit quant
à elle que la nécessité de la révision doit être constatée par deux votes successifs de
la Chambre des députés, à la majorité des trois cinquièmes, séparés d’au moins un
mois. La Constitution française de 1791(titre VII, art. 2) allait plus loin encore puisque
le vœu de modier tel ou tel article de la Constitution devait être approuvé sous trois
législatures successives avant que ne soit convoqué l’organe chargé de la réviser.
La révision de la Constitution tunisienne peut comporter une troisième étape,
facultative celle-là. En eet, l’article 144, alinéa 3, permet au Président de la
République de soumettre le texte de la révision au référendum. Rappelons que
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
dans l’ancienne Constitution (art.77), l’approbation de la révision par référendum
constituait une alternative à l’adoption dénitive par le Parlement alors quelle peut
constituer aujourd’hui une étape supplémentaire qui ne se substitue pas pour autant
à l’approbation parlementaire. On peut imaginer que le Président de la République
pourrait recourir au référendum constituant an d’associer le peuple à une révision
considérée comme fondamentale, ou encore que ce serait pour lui un moyen de
faire appel au peuple contre une révision initiée par les parlementaires et quil
désapprouverait. Les parlementaires tunisiens ne peuvent pas quant eux initier un tel
référendum , contrairement par exemple aux parlementaires espagnols représentant
1/10 des membres de l’une ou l’autre assemblée, ce qui permet à l’opposition
parlementaire de provoquer un référendum contre la réforme constitutionnelle
(art.167).
Quoi qu’il en soit, le recours au référendum en matière de révision constitutionnelle
est très largement répandu dans les constitutions contemporaines, conformément à
l’idée que le titulaire du pouvoir constituant originaire, à savoir le peuple souverain,
doit être appelé à donner son consentement aux modications de la Constitution. Le
référendum est parfois obligatoire (constitutions de la Suisse, art. 195 ; du Danemark,
section 88 ; de la Roumanie, art. 151 §3 ; du Maroc, art.174…) , parfois facultatif
(constitutions de la France, art. 89 ; de l’Italie, art. 138 ,al.3…). La ratication populaire
est évidemment de nature à renforcer la légitimité de la révision constitutionnelle.
Ainsi, le texte de la révision doit être adopté selon une procédure empreinte d’une
certaine solennité qui suppose un assez large consensus entre les acteurs politiques
et, le cas échéant, l’assentiment populaire.
II. Lintangibilité de la Constitution : les limites à la révision de la Constitution
tunisienne
LAssemblée constituante tunisienne a établi toute une série d’interdictions d’amender
la Constitution an de garantir la pérennité de ses principes fondateurs. Il existe
tout d’abord une interdiction circonstancielle, qui concerne la période d’intérim de
la présidence de la République. Il existe aussi, et surtout, des limites qui touchent à
l’objet même de la révision, ce qui confère à plusieurs articles de la Constitution un
caractère intangible.
1. La limite circonstancielle
Cette limite est posée par l’article 86, alinéa premier de la Constitution qui dispose que:
« Le Président par intérim exerce durant la vacance provisoire ou dénitive les fonctions
présidentielles. Il ne peut prendre l’initiative d’une révision de la Constitution, appeler au
référendum ou dissoudre l’Assemblée des Représentants du Peuple ». Rappelons que le
Président de la République par intérim peut être soit le Chef du gouvernement en
cas de vacance provisoire de la présidence, laquelle ne peut excéder 60 jours, soit le
Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple en cas de vacance dénitive,
dont la durée peut aller de 45 jours au moins à 90 jours au plus (article 84 de la
Constitution).
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Lobjectif des constituants tunisiens, en posant cette interdiction, est évidemment de
préserver la stabilité constitutionnelle dans une période de crise ou d’incertitude qui
peut résulter du décès ou de la démission du Président de la République, alors même
que les pouvoirs publics ne sont pas en état de fonctionner normalement.
Une telle limite existe également dans la Constitution française de 1958 qui dispose
qu’il ne peut être fait application de l’article 89 de la Constitution relatif à la révision
durant la vacance de la présidence de la République ou durant la période qui sécoule
entre la déclaration du caractère dénitif de l’empêchement du Président de la
République et l’élection de son successeur (art.7, al. 11).
Il existe toutefois une diérence importante entre la Constitution française qui, pendant
la période d’intérim de la présidence de la République, interdit non seulement d’initier
une révision mais également de la poursuivre si elle a été engagée, et la Constitution
tunisienne qui interdit seulement au Président intérimaire, quel quil soit, d’initier une
procédure de révision. En d’autres termes, en Tunisie, seul le Président de la République
par intérim se trouve privé du droit d’initiative de la révision prévu par l’article 143
de la Constitution. En revanche, aucune disposition constitutionnelle n’interdit à un
tiers des parlementaires, en application de l’article 143, d’initier une révision pendant
cette période d’intérim. De même, rien dans la Constitution ninterdît qu’une révision
qui aurait été initiée avant le début de l’intérim présidentiel par le Président élu ne
puisse se poursuivre et aboutir. Dans cette hypothèse, le Président par intérim serait
cependant privé de la possibilité de soumettre la révision au référendum, aux termes
mêmes de l’article 86 de la Constitution.
2. Les limites matérielles
L’ancienne Constitution tunisienne ne comportait qu’une seule limite à la révision,
à savoir l’interdiction de porter atteinte à la forme républicaine de l’État (art. 76), à
l’instar des constitutions italienne de 1947 (art. 139), française de 1958 (art.89, al. 5) ou
portugaise de 1976 (art.288) qui interdisent de porter atteinte à la forme républicaine du
Gouvernement. La Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 non seulement reprend
sous une autre forme cette interdiction mais elle élargit en outre considérablement le
champ des limites matérielles à la révision. Celles-ci ne sont pas regroupées dans un
article unique, comme le prévoyait initialement le projet de Constitution, mais elles
sont disséminées dans plusieurs articles de la Constitution.
En premier lieu, sont mis à l’abri de toute révision constitutionnelle les deux premiers
articles de la Constitution qui proclament les principes et les valeurs qui constituent les
fondements mêmes du nouveau régime et qui ont été d’ailleurs parmi les plus débattus
au sein de l’Assemblée constituante. Rappelons que l’article premier proclame que «la
Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’Arabe sa
langue et la République son régime » et que l’article deux arme que « la Tunisie est un
État civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ».
Il n’est pas rare au demeurant que les constituants seorcent de garantir la pérennité
des principes constitutifs du nouveau régime quils instituent. Ainsi, à titre d’exemple,
la Constitution grecque de 1975 (art. 110, § 1) interdit toute révision des dispositions
qui « déterminent la base et la forme du régime politique en tant que République
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