sommaire V O L U M E 9 N U M É R O 1 L e s o i n d e s p l a i e s ( 1 re p a r t i e ) Comprendre le processus de cicatrisation Depuis toujours, la gestion des soins quotidiens des plaies a été dévolue à l’infirmière bien que, dans la plupart des cas, une prescription médicale soit requise pour l’administration du traitement. Aussi, l’évolution vers la cicatrisation dépend d’abord des connaissances et de l’expérience de l’infirmière, puis de la participation du client aux autosoins. Approfondir ces connaissances, partager cette expérience, voilà précisément l’objet de cette série de six articles sur le soin des plaies. Le premier article traite du processus biologique de la cicatrisation et des avantages de la cicatrisation en milieu humide. Les prochains aborderont des sujets tels que la régénération, la cicatrisation par première et deuxième intention, la classification des plaies, les obstacles à la guérison, les pansements, les facteurs de croissance et les biosubstituts. Courbe de cicatrisation de la plaie Un processus complexe La cicatrisation d’une plaie se déroule selon « une séquence ordonnée d’événements biologiques ». La figure ci-contre illustre bien cette série d’événements cellulaires et biochimiques qui réalisent un « processus de réparation ordonné dont chaque phase s’amorce au moment opportun » (Lazarus et al., 1994). La progression logique de la cicatrisation, représentée au moyen d’une courbe, comporte quatre phases interdépendantes : l’hémostase, l’inflammation, la prolifération ou granulation et le remodelage — entrecroisement (Schilling, 1983). AG E – ENT REC RO IS E MENT MO DE L IV RE L a cicatrisation des plaies est un processus biologique complexe et dynamique qui met en jeu l’interaction de nombreux facteurs locaux et systémiques dans la réparation normale des tissus. Elle est optimisée dans un environnement humide et équilibré, contrairement à la croyance largement répandue qu’une plaie doit sécher et former une croûte pour se cicatriser (Mureebe et Kerstein, 1998 ; Davis et al., 1993 ; Kunimoto, 1999). Il est donc indispensable de démystifier cette idée préconçue en passant en revue les principes fondamentaux de la cicatrisation des plaies. COLLAGÈNE FIBROBLASTES ENDOTHÉLIUMÉPITHÉLIUM RÉSISTANCE À LA RUPTURE PAR YVETTE MOULIN, INF., M.SC.INF. LEUCOCYTES POLYNUCLÉAIRES FIBRINE ET MACROPHAGES LYMPHOCYTES PLAQUETTES III I H É M O S TA S II E INFLAMM AT I O N PROLI 7 FÉRA TI O N 14 21 JOURS Source : Schilling. J. « Wound Healing », Surgical Rounds, vol. 6, no 7, 1983, p. 46-62. © Surgical Rounds, 1983. (Traduction libre) L’hémostase Au moment de la blessure, la rupture de vaisseaux sanguins entraîne l’épanchement des constituants du sang. La coagulation traduit la réaction cellulaire immédiate à l’agression du tégument (Boykin, 1996). Cette réaction est amorcée par l’activation de l’agrégation des plaquettes et par la libération de substances vasoconstrictrices qui oblitèrent les vaisseaux sanguins par la formation d’un caillot stable. Le caillot rétablit l’hémostase et forme une L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC SEPTEMBRE/OCTOBRE 2001 37 L e s o i n d e s p l a i e s ( 1 re p a r t i e ) matrice extracellulaire dans le lit de la plaie, c’est-à-dire une structure pour la migration des cellules (Singer et Clark, 1999). Les plaquettes libèrent également plusieurs médiateurs que de nombreux auteurs nomment cytokines ou facteurs de croissance : facteur de croissance d’origine plaquettaire (platelet derived growth factor ou PDGF) ; facteur de croissance transformant alpha (transforming growth factor alpha ou TGFα) ; facteur de croissance transformant bêta (TGFβ). Ces facteurs attirent et activent les macrophages et les fibroblastes (Singer et Clark, 1999). En l’absence de trouble de la coagulation, l’hémostase survient dans les minutes qui suivent la lésion initiale. L’inflammation Après la brève période de vasoconstriction, des substances vasodilatatrices et des molécules chimiotactiques attirent vers le lit de la plaie des cellules inflammatoires, notamment les neutrophiles (leucocytes polynucléaires [LPN]) et les macrophages, dont la fonction principale est d’amorcer la phagocytose pour détruire les bactéries, les corps étrangers et les débris cellulaires (Ennis et Meneses, 1995 ; Calvin, 1998). Cet autonettoyage de la plaie est appelé autolyse. Les LPN sont ensuite expulsés de la plaie, en même temps que l’escarre, ou phagocytés par les macrophages (Singer et Clark, 1999). Ces derniers, en plus de produire des facteurs chimiotactiques qui recrutent d’autres cellules inflammatoires, libèrent des facteurs de croissance qui attirent les fibroblastes et les cellules endothéliales vers le lit de la plaie. Ils sont essentiels à la coordination de la formation du tissu de granulation (Calvin, 1998). Les macrophages joueraient un rôle de premier plan dans la transition de la phase inflammatoire à la phase proliférative du processus de réparation tissulaire (Singer et Clark, 1999). L’inflammation commence, en général, dès l’agression initiale et dure jusqu’au quatrième jour de la cicatrisation, environ. Les signes cardinaux de l’inflam- 38 SEPTEMBRE/OCTOBRE 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC l La cicatrisation est optimisée dans un environnement humide et équilibré, contrairement à la croyance largement répandue qu’une plaie doit sécher et former une croûte pour se cicatriser. mation aiguë sont bien connus : chaleur, rougeur, œdème et douleur. La perte de fonction constitue un autre signe de cette phase (Calvin, 1998). La prolifération La prolifération implique trois processus bien observables : la granulation, la contraction et la réépithélialisation (Davis et al., 1993). La granulation Au cours de la granulation, qui chevauche et suit la phase inflammatoire, on observe la prolifération et la migration vers le lit de la plaie des cellules qui interviendront dans le reste du processus de réparation, dont la durée peut être de 8 à 14 jours, voire 21 jours, selon la taille de la plaie. L’ensemble de cette population cellulaire dense constitue le tissu de granulation. Son aspect granulaire — le tissu ressemble à une jeune framboise — est attribuable aux bourgeons des néocapillaires (Ennis et Meneses, 1995 ; Boykin, 1996). Le tissu de granulation est composé, entre autres, de macrophages, de fibroblastes et de cellules endothéliales imbriqués dans une matrice lâche composée de collagène, de fibrine, de fibronectine et d’acide hyaluronique (Calvin, 1998). Les macrophages, on l’a dit plus haut, libèrent constamment des facteurs chimiotactiques et des facteurs de croissance. Les fibroblastes construisent, quant à eux, la nouvelle matrice cellulaire nécessaire à la croissance des cellules au fond de la plaie. Cet « échafaudage » favorise la migration cellulaire. Enfin, les cellules endothéliales déclenchent la formation de bourgeons vasculaires qui constitueront de nouveaux capillaires, ce qui permettra de rétablir la perfusion et d’assurer l’apport en oxygène et en nutriments essentiels à l’activité métabolique des cellules dans la plaie. Le mécanisme de formation de néocapillaires pour alimenter le nouveau tissu de granulation est appelé angiogenèse. La contraction La contraction de la plaie est un mécanisme de réduction de la taille de la plaie par le mouvement centripète du tissu cutané entourant la plaie. Elle se produit sept jours environ après la blessure, et son activité atteint un pic après deux semaines. Les fibroblastes joueraient un rôle de premier plan dans la contraction de la plaie (Calvin, 1998). La réépithélialisation La réépithélialisation est le renouvellement des cellules de l’épiderme formant un épithélium pavimenteux stratifié, organisé et kératinisé, qui rétablit les propriétés protectrices de la peau. Ce mécanisme débute quelques heures après la lésion et se poursuit pendant la phase proliférative, grâce à la migration de kératinocytes intacts à partir du bord libre de la couche épidermique de la plaie ou des annexes cutanées, par exemple les follicules pileux. Une fois les lèvres de la plaie réunies, les cellules de l’épiderme reprennent leur morphologie et leur fonction originales (Calvin, 1998). enzymes protéolytiques, les métalloprotéinases matricielles, qui sont sécrétés par les macrophages, les cellules de l’épiderme, les cellules endothéliales et les fibroblastes. D’après les écrits les plus récents, le tissu cicatriciel ne recouvrerait jamais l’élasticité du tissu original ni sa résistance à la rupture. En effet, un mois après la survenue de la lésion, la résistance maximale du tissu cicatriciel n’est que de 40 %. Par la suite, le ralentissement de l’accumulation et du remodelage des faisceaux de collagène réduit le rythme de récupération de sa résistance, qui ne dépassera pas 70 % à 80 % de la valeur originale (Calvin, 1998 ; Singer et Clark, 1999). C’est pourquoi une plaie apparemment guérie, c’est-à-dire complètement éphithélialisée, peut présenter une lésion, un bri cutané, au siège de la cicatrice dans les mois suivant l’épithélialisation (Keast et Orsted, 1998). La cicatrisation en milieu humide Un des plus importants concepts liés à la cicatrisation des plaies est l’environnement humide (Ennis et Meneses, 1995 ; Kunimoto, 1999). À la suite d’une blessure, les vaisseaux de petit calibre sont plus perméables, ce qui favorise la fuite de plasma sanguin riche en protéines et en divers éléments, qui constituent un mécanisme de défense de la plaie et interviennent dans la régulation de la production de tissu conjonctif et la migration des cellules épithéliales (Davis et al., 1993). l L a contraction de la plaie est un mécanisme de réduction de la Les cellules épithéliales, d’aspect argenté, entourent le périmètre du tissu de granulation. Lorsque la lésion n’est pas très profonde,on peut voir des « îlots » de cellules épithéliales dans le lit de la plaie. Ils résultent de la migration vers le haut des kératinocytes à partir des follicules pileux intacts. La réépithélialisation se termine par la migration des cellules des lèvres de la plaie vers l’intérieur de la plaie, à la manière d’une fermeture éclair (Ennis et Meneses, 1995 ; Singer et Clark, 1999). Le remodelage et l’entrecroisement Le remodelage et l’entrecroisement des fibres de collagène sont amorcés par la formation du tissu de granulation et se poursuivent pendant des mois, voire des années après la cicatrisation de la plaie. La synthèse et le catabolisme ininterrompu du collagène sont essentiels au processus de remodelage. Ces mécanismes sont réglés par plusieurs taille de la plaie par le mouvement centripète du tissu cutané entourant la plaie. La dégradation naturelle du tissu dévitalisé, l’autolyse, est la pierre angulaire de la cicatrisation normale de la plaie, et elle doit se faire en milieu humide (Davis et al., 1993). Par conséquent, l’application d’un pansement doit viser principalement à préserver le mieux possible le contact entre l’exsudat et le lit de la plaie pour favoriser la cicatrisation. Il est important de prévenir à la fois la déshydratation de la plaie, pour empêcher la formation d’une L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC SEPTEMBRE/OCTOBRE 2001 39 L e s o i n d e s p l a i e s ( 1 re p a r t i e ) escarre, et la macération du tissu cutané adjacent par une humidité excessive. Il faut donc trouver le juste équilibre entre les deux (Haimowitz et Margolis, 1997). Plusieurs moyens peuvent être utilisés pour assurer un milieu humide propice à la cicatrisation, mais les plus répandus consistent à recouvrir la plaie d’une gaze humide ou à appliquer un hydrogel, un pansement occlusif, tel un hydrocolloïde, un alginate de calcium, une pellicule ou une mousse. Les bienfaits de la cicatrisation en milieu humide sont facilement observables : accélération de la réparation du derme et de l’épiderme, et diminution de l’inflammation et de la douleur. Par conséquent, le recours à des pansements qui maintiennent un milieu humide offre généralement un bon rapport coût–efficacité (Haimowitz et Margolis, 1997 ; Keast et Orsted, 1998). Comprendre l’activité cellulaire au cours du processus de cicatrisation et l’importance d’un environnement humide contribuera à améliorer la compétence de l’infirmière en soin de plaies. En assimilant ces connaissances, elle pourra mieux évaluer de façon approximative la durée de guérison d’une plaie suivant un processus normal, effectuer le choix du pansement idéal, expliquer au patient les causes de la réouverture d’une plaie même après l’épithélialisation, ou encore, lui enseigner des façons d’assurer par ses autosoins le maintien d’un environnement humide pour optimiser le processus de cicatrisation. ENNIS, J.E. et P. MENESES. « Leg Ulcers: A Practical Approach to the Leg Ulcer Patient », Ostomy/Wound Management, vol. 41, no 8 (suppl. 7A), 1995, p. 52S-62S. HAIMOWITZ, J.E. et D.J. MARGOLIS. « Moist Wound Healing », dans KRASNER, D. et D. KANE, Chronic Wound Care: A Clinical Source Book for Healthcare Professionals (2e éd.), Wayne (PA), Health Management Publications, 1997, p. 49-56. HARDING, K.G. et S. BALE. « Wound Care: Putting Theory into Practice in the United Kingdom », dans KRASNER, D. et D. KANE, Chronic Wound Care: A Clinical Source Book for Healthcare Professionals (2e éd.), Wayne (PA), Health Management Publications, 1997, p. 115-123. JUNG, W. « Consideration for the Use of Clostridial Collagenase in Clinical Practice », Clinical Drug Investigations, vol. 15, no 3, 1998, p. 245-252. KANE, D. et D. KRASNER. « Wound Healing and Wound Management », dans KRASNER, D. et D. KANE, Chronic Wound Care: A Clinical Source Book for Healthcare Professionals (2e éd.), Wayne (PA), Health Management Publications, 1997, p. 1-4. KANE, D.P. « Surgical Repair », dans KRASNER, D. et D. KANE, Chronic Wound Care: A Clinical Source Book for Healthcare Professionals (2e éd.), Wayne (PA), Health Management Publications, 1997, p. 235-244. KEAST, D.H. et H. ORSTED. « The Basic Principles of Wound Care », Ostomy/Wound Management, vol. 44, no 8, 1998, p. 24-31. KUNIMOTO, B.T. « Growth Factors in Wound Healing: The Next Great Innovation? », Ostomy/Wound Management, vol. 45, no 8, 1999, p. 56-64. LAZARUS, G.S., D.M. COOPER, D.R. KNIGHTON, D.J. MARGOLIS, R.E. PECORARO, G. RODEHEAVER et M.C. ROBSON. « Definitions and Guidelines for Assessment of Wounds and Evaluation of Healing », Archives of Dermatology, vol. 130, 1994, p. 489-493. MUREEBE, L. et M.D. KERSTEIN. « Wound Infection: A Physician’s Perspective », Ostomy/Wound Management, vol. 44, no 8, 1998, p. 56-63. À lire dans le prochain numéro : Le soin des plaies (2e par tie) Cicatrisation par première et deuxième intention, et classification des plaies. PHILIPS, T., B. STANTON, A. PROVAN et R. LEW. « A Study of the Impact of Leg Ulcers on Quality of Life: Financial, Social and Psychologic Implications », Journal of the American Academy of Dermatology, vol. 31, no 1, 1994, p. 49-53. PRICE, P.E. et K.G. HARDING. « Measuring Health Related Quality of Life in Patients with Chronic Leg Ulcers », Wounds, vol. 8, no 3, 1996, p. 91-95. SCHILLING, J. « Wound Healing », Surgical Rounds, vol. 6, no 7, 1983, p. 46-62. Bibliographie SINGER, A.J. et R.A.F. CLARK. « Cutaneous Wound Healing », The New England Journal of Medicine, vol. 341, no 10, 1999, p. 738-746. AMERICAN DIABETES ASSOCIATION. « Consensus Development Conference on Diabetic Foot Wound Care », Ostomy/Wound Management, vol. 45, no 9, 1999, p. 32-47. WINTER, G.D. « Formation of the Scab and the Rate of Epitheliazation of Superficial Wounds in the Skin of the Young Domestic Pig », Nature, vol. 193, 1962, p. 293-294. BOYKIN, J.V. JR. « Hyperbaric Oxygen Therapy: A Physiological Approach to Selected Problem Wound Healing », Wounds, vol. 8, no 16, 1996, p. 183-198. CALVIN, M. « Cutaneous Wound Repair », Wounds, vol. 10, no 1, 1998, p. 12-32. CLARK, R.A.F. « Wound Repair Overview and General Considerations », dans The Molecular and Cellular Biology of Wound Repair, New York, Plenum Press, 1995, p. 3-35. DAVIS, M.H., R.M. HARDEN, J.M. LAIDLAW, D. ROMNEY-ALEXANDER ET AL. The Wound Handbook, Dundee/London, Singapore, Centre for Medical Education/Perspective, 1993, p. 69. 40 SEPTEMBRE/OCTOBRE 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC L’auteure YVETTE MOULIN travaille dans un CLSC de la banlieue de Montréal, après avoir exercé en chirurgie, en soins de longue durée, en santé scolaire, à l’urgence, en santé du travail et en santé communautaire. En 1999, elle a suivi la première formation interdisciplinaire et internationale en soin de plaies donnée à l’Université de Toronto, en collaboration avec les universités Johns Hopkins de Baltimore (É.-U.) et Cardiff de Wales (G.-B.). Son domaine d’intérêt est le soin des plaies depuis plus de cinq ans.