vestibule, un espace qui distribue les autres pièces du palais ou de la maison, comme un lieu
de passage obligé, un carrefour des passions.
À ce propos j’ai cité Racine, mais l’infl uence de Shakespeare est aussi très forte. Koltès avait
d’ailleurs traduit
Le Conte d’hiver
.
Quels sont les enjeux de la mise en scène ?
J’ai souhaité transmettre la beauté de la pièce et de l’écriture de Koltès, sa force poétique et
politique. Il pose la question de la liberté et de la possibilité ou non de vivre en marge de la
société, pour peu qu’on en ait le désir ou qu’on en soit exclu au départ. Il revient - c’est un
thème central dans son oeuvre - sur les conséquences de la colonisation et ses mécanismes
destructeurs. Koltès montre de façon assez visionnaire à quel point le système dans lequel
nous vivons aujourd’hui, même s’il est à bout de souffl e, ne tolère aucune marge, ne laisse
place à aucune alternative. Et il traite, comme l’ont fait avant lui de grands écrivains comme
Pier Paolo Pasolini ou Jean Genet, de l’humanité exacerbée que l’on trouve dans les micro-
sociétés organisées hors-système, les prisons, les ghettos....
Parlez-moi de l’approche scénographique. Le plateau apporte-il une valeur symbolique ?
Lors de mon arrivée à Athènes il y a deux ans, j’ai été frappé par la vue de ces immenses
panneaux d’affi chage publicitaire que l’on peut voir de l’autoroute qui mène de l’aéroport
au centre-ville. Ils étaient vides. Je veux dire sans aucune affi che publicitaire les recouvrant,
comme à l’abandon, patinés par le soleil et le vent, certains en lambeaux. Je m’étais fi guré
que c’était un effet spectaculaire de la crise économique et qu’il n’y avait plus rien à vendre en
Grèce, ou que les gens ne pouvaient plus acheter, et la publicité n’avait donc plus lieu d’être.
J’ai appris depuis que cela n’a rien à voir et que ces panneaux étaient trop dangereux pour les
automobilistes qui les regardaient et provoquaient des accidents… Mais j’ai vu ces panneaux
comme des vestiges d’une civilisation disparue, celle de la consommation de masse, et ces
panneaux m’évoquaient certains fi lms de Federico Fellini, les studios de Cinecittà à l’abandon,
ou encore d’immenses statues comme celles de l’île de Pâques, vestiges éternels en pleine
nature d’une société disparue… Tout ceci a infl uencé l’élaboration de l’espace et les enjeux de
la scénographie qu’Antoine Vasseur a réalisée avec les équipes des ateliers de construction
du Théâtre National.
En me rendant à Épidaure, j’ai également été frappé par la vue d’immenses citernes à pétrole
qui nous ont donné par la suite l’idée des formes arrondies des murs leur conférant, dans la
scénographie, leur caractère de carrousel sensuel.
Comment la musique s’inscrit-elle dans le spectacle ?
Il y a beaucoup de didascalies sonores écrites par Koltès dans cette pièce : pluie, vent,
tempêtes, envol d’oiseaux etc… Nous avons choisi avec David Bichindaritz de les traiter soit
en nous servant d’archives, soit en enregistrant des matières sonores une nuit, à Athènes,
dans le port du Pyrée… Certains lieux évoqués dans la pièce, en particulier le fl euve, sont
représentés par des sons (les vagues, le ressac…) qui les font exister hors champs.
Et puis je souhaitais intégrer de la musique à des moments précis. La musique produit du
lyrisme, mais aussi agrandit l’espace, renforce la fi ction si elle est bien utilisée, et crée du
temps qui passe étrangement, le temps frictionnel. L’infl uence du cinéma est importante dans
mon travail. J’utilise le son, la musique et toutes les possibilités qu’offre le mixage.
Come Rain
or Come Shine
, le morceau de Ray Charles que l’on entend vers la fi n de la pièce pendant
la scène où Claire fait une déclaration d’amour à son frère Charles, est une trouvaille qu’a
faite Marion Stouffl et, notre conseillère dramaturgique. Il se trouve que certains passages des
répliques de Claire sont empruntés à cette chanson. L’idée est venue de l’entendre comme si
elle venait d’un Ferry au loin quittant le port de nuit ; et comme si la pièce se déroulait le temps
d’une escale de ce navire. Les touristes et voyageurs à bord fi gurent soudainement l’existence
du monde extérieur au ghetto où la l’intrigue se joue, et dont on avait fi ni par oublier l’existence.
Gregoris Rentis, qui a réalisé la partie vidéo du spectacle, est parti fi lmer un soir, sur une plage
du Pyrée le départ d’un Ferry vers les îles…