bons papiers pour la période 2014-2015[2]. Comme cela a été souligné à de multiples reprises,
l’article présente bien quelques menus défauts. Avec son absence de terrain, sa phraséologie
obscure, son surrégime interprétatif permanent, etc. il n’apprend rien à son lecteur. Mais il a le
mérite indéniable d’être souvent très drôle. Jean-Pierre aurait d’ailleurs été inspiré de conserver
cette drôlerie au-delà de la publication initiale, dans son texte de «révélation»[3]. Mais le souffle
potache initial cède désormais un peu de terrain à l’«esprit de sérieux» et à l’usage du «marteau»
auquel ont recours certains habitués du Carnet Zilsel[4].
A ce stade, il est trop tôt pour savoir si Jean-Pierre Tremblay fera école (une refondation
«tremblaysienne» de la sociologie est-elle envisageable?), mais son succès fulgurant soulève à
mon sens au moins trois questions. Une question d’usage tout d’abord : on sait qu’un sociologue
ne se déplace jamais sur ses terrains sans sa «boîte à outils», mais a-t-il réellement besoin d’un
marteau ? Autrement dit le debunking est-il utile à la sociologie ? Une question généalogique
ensuite : Jean-Pierre (Tremblay) est-il réellement, comme le prétendent certains, le fils caché
d’Alan (Sokal), physicien de l’Université de New York rendu célèbre par un autre canular ? J’ai
quelques doutes à ce sujet. Et pour finir une question d’avenir professionnel (à ne jamais négliger
pour un doctorant): si Jean-Pierre décide de faire carrière dans le debunking, mais il est jeune, et
ses choix ne sont sans doute pas arrêtés à ce stade, à quels critères se fier pour identifier ses
prochaines victimes?
Petit précis de debunking
Le terme anglais «debunking» décrit bien la double intention initiale de l’« opération JPT». Le
debunker c’est celui qui corrige, celui qui fait la preuve, généralement grâce une expérience
considérée comme cruciale, de la fausseté ou de l’inanité de ce que d’autres essayent de faire
passer pour des évidences. Semblable au marteau d’orfèvre destiné à détecter la fausse monnaie,
le marteau critique du debunker fait entendre le vide des entrailles d’une pensée creuse. Le
debunker, c’est également celui qui dégonfle les ego «shootés» aux dopants de toute nature. La
vie académique, on le sait, est indissociable d’un marché réputationnel. Le but du debunker n’est
pas tant ici de porter par principe le discrédit sur telle ou telle personne que de revendiquer, pour
soi comme pour autrui, une «juste» mesure des réputations. Le discrédit apparaît dès lors comme
une conséquence dérivée de son action.
Les sociologues des sciences ont recensé de nombreux cas de debunking dans les sciences sociales
comme dans les sciences de la nature. Ces cas peuvent prendre la forme de quasi expéditions
«policières». On se souvient de la «descente» organisée en juillet 1988 par la revue Nature dans
les locaux de l’unité de recherche INSERM alors dirigée par Jacques Benveniste. Ils peuvent