5
«Nos apôtres aussi savaient par Jésus-Christ qu'il y aurait des contestations au sujet du titre de l'Episcopat. C'est
pourquoi, ayant reçu une parfaite prescience, ils établirent les évêques et diacres précités, et ensuite ils prirent une
disposition selon laquelle d'autres hommes éprouvés devaient, lorsqu'ils s'endormiraient, leur succéder dans leur mi-
nistère. Ceux donc qui ont été établis par eux, ou plus tard par d'autres hommes associés (aux apôtres) avec le
consentement de toute l'Eglise, et qui ont empli un office liturgique pour le troupeau du Christ..., ces hommes, nous
estimons qu'ils ont été injustement destitués de leur ministère. Car ce ne serait pas une faute légère si nous démet-
tions de l'épiscopat des hommes qui ont présenté les offrandes pieusement et sans reproche».
Ainsi, aux Corinthiens qui s'étaient révoltés contre leurs pasteurs, saint Clément rappelle les droits de ces derniers :
comme dans l'Ancien Testament, il y avait, non seulement des règles liturgiques précises sur les circonstances des diffé-
rents sacrifices, mais aussi une hiérarchie sacerdotale établie par Dieu et par Moïse sur l'ordre de Dieu ; ainsi dans le
nouveau Testament, le Christ, envoyé du Père, que l'auteur appellera plus loin le «grand prêtre et patron de nos âmes»,
a envoyé à son tour les apôtres, et ceux-ci de même ont institué des évêques et des diacres : les chrétiens doivent res-
pecter ces dispositions comme les Juifs devaient respecter celles de la Loi qui concernaient le sacerdoce et le service li-
turgique ; les enfreindre serait une faute grave. Tout le contexte de ces pages, ainsi que l'a bien montré Dom Gregory
Dix, indique qu'il s'agit de la transmission d'un sacerdoce, du Christ aux apôtres, et de ceux-ci à leurs successeurs, les
évêques et aussi les diacres qui sont comparés aux lévites de l'Ancien Testament.
LES COLLABORATEURS DES APOTRES
Or ces deux catégories de personnages apparaissent déjà dans le Nouveau Testament, et le témoignage de Clément
de Rome peut nous aider à mieux comprendre les indications des livres inspirés sur les successeurs des apôtres.
Déjà saint Paul, nous l'avons vu, avait conclu le récit de la Cène et de l'institution de l'Eucharistie qu'il fait aux Corin-
thiens, par les mots : «Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du
Seigneur jusqu'à ce qu'Il revienne» ; si les chrétiens doivent annoncer la mort du Seigneur en célébrant l'Eucharistie, et
cela jusqu'au retour glorieux du Christ, il faut bien que le sacerdoce demeure jusqu'à la fin des temps, et donc que les
apôtres aient des successeurs dans le sacerdoce.
En fait, dès les origines, on voit apparaître, auprès des Douze, d'autres personnages qui, dans la communauté chré-
tienne, remplissent des fonctions qui s'apparentent plus ou moins au sacerdoce : ces personnages portent le nom soit
d'apôtres, soit d'évêques, soit de presbytres, soit de diacres.
Il y a d'abord d'autres apôtres que les Douze : ce titre convient aussi à Paul qui le revendique avec insistance ; il est
appliqué aussi à Barnabé, peut-être même à Silvain et Timothée (I Thess. 2, 7), et à d'autres personnages dont parle la
première Epître aux Corinthiens (12, 28). Le nombre de Douze, choisi par Jésus Lui-même en relation avec les douze tri-
bus d'Israël, n'apparaît donc aucunement comme un nombre limite : il symbolise la continuité entre l'Ancien et le Nou-
veau Testament, car c'est à partir des douze tribus que se fait la propagation de l'Evangile, mais les autres peuples de la
terre seront joints bientôt au peuple d'Israël dans la même œuvre de propagation du nouveau Peuple de Dieu.
Cependant l'emploi de ce nom demeure limité ; il ne semble pas que Jacques de Jérusalem lui-même l'ait porté, si l'on
s'en tient à la traduction adoptée par le P. Lyonnet pour ce passage du premier chapitre de l'Epître aux Galates : «Je n'ai
pas vu d'autre apôtre (que Pierre), mais seulement Jacques, le frère du Seigneur» (1, 19).
Ce dernier personnage, en revanche, occupe à Jérusalem une place de tout premier plan, et cela dès les premières
années de l'évangélisation chrétienne il apparaît comme le chef de la communauté locale de Jérusalem, pourvu d'une au-
torité considérable, notamment parmi les chrétiens venus du judaïsme. S'il n'est pas un apôtre, comme il semble très
probable, quel est le titre que nous devons lui donner ? Le Nouveau Testament ne le précise pas, mais nous avons, dès
le milieu du IIè siècle, un témoignage précis sur ce point ; c'est le témoignage d'Hégésippe, un palestinien qui visita Rome
sous le pontificat d'Anicet (155-156) et y demeura jusqu'au temps d'Eleuthère (174-189). Hégésippe nous apprend, dans
ses Mémoires, dont les fragments ont été conservés par Eusèbe, que «Jacques, le frère du Seigneur, reçut (l'administra-
tion de) l'Eglise, avec (ou : après) les apôtres» ; le même Livre II de l'Histoire Ecclésiastique d'Eusèbe ajoute nombre de
détails d'où il est manifeste qu'Hégésippe considère Jacques comme le successeur du grand prêtre de Jérusalem ; de
plus, un autre fragment, conservé encore par l'évêque de Césarée au Livre IV, nous apprend que Jacques portait le titre
d'évêque de Jérusalem et que Siméon lui succédera dans cette charge. Jacques était donc un évêque, et pour Hégé-
sippe il est clair que comme tel il est considéré comme une sorte de successeur chrétien du grand prêtre juif. Sans en ti-
rer les conséquences que certains auteurs récents ont voulu en déduire, et sans exagérer, comme l'a fait encore récem-
ment O. Cullmann dans son ouvrage sur saint Pierre, l'importance de Jacques dans l'Eglise, il est cependant certain que,
selon l'histoire, ce dernier a été considéré par les chrétiens comme possédant. un véritable sacerdoce du vivant même
des apôtres, et comme exerçant à Jérusalem, avec une très grande autorité dont le Livre des Actes et les écrits de saint
Paul témoignent clairement, la fonction de l'épiscopat.
LES PREMIERS EVEQUES
Ce titre d'évêque, episcopos, se trouve d'ailleurs à plusieurs reprises dans les écrits canoniques du Nouveau Testa-
ment. Déjà saint Pierre, avant la Pentecôte, dans son discours pour le remplacement de Judas, se sert, pour désigner
l'office apostolique laissé vide par le traître, du mot épiscopè (Act. 1, 20). Ce dernier mot était déjà employé par la traduc-
tion grecque de la Bible dite des Septante, pour signifier les fonctions confiées à Eléazar, fils d'Aaron, «de veiller sur
toute la Demeure, sur tout ce qui s'y trouve, les choses sacrées et leurs ustensiles» (Nombres, 4, 16). Le mot épiscopos
n'avait pas cependant dans l'usage juif antérieur au christianisme un sens aussi précis que celui qu'il obtiendra plus tard :
appliqué à des hommes, il désigne aussi bien des magistrats profanes, des chefs militaires, des surveillants ou inspec-