Peut-on réduire le risque de grossesse multiple après fécondation in

publicité
Peut-on réduire le risque de grossesse multiple
après fécondation in vitro ?
Pierre Jouannet ([email protected])1, Patricia Fauque2, Catherine Patrat3
1/ Centre de Recherche Sens, Éthique, Société (UMR 8137), CNRS-Université Paris Descartes, Paris, France
2/ Cecos, CHU de Dijon, CNRS UMR 3215, Inserm U934, Paris, France
3/ Service de biologie de la reproduction, Hôpital Bichat, AP-HP ; Université Paris-Diderot, Paris, France
Résumé / Abstract
Depuis 20 ans, on assiste à une augmentation régulière des taux de
­naissances obtenus après fécondation in vitro (FIV). Malgré la réduction
progressive du nombre d’embryons transférés, les taux de naissances
gémellaires restent très élevés dans de nombreux pays, ce qui n’est pas
sans risque pour la santé des mères et des enfants. Le transfert sélectif d’un
seul embryon, choisi selon des critères morphologiques stricts, associé à un
programme de congélation embryonnaire efficace pourrait permettre
­d’éviter les naissances multiples sans diminuer les chances d’avoir un
enfant, au moins chez les femmes les plus jeunes et les plus fertiles. Is it possible to reduce multiple pregnancy risk after
in vitro fertilization?
For the last 20 years, birth rates after in vitro fertilization (IVF) have been
increasing steadily. Although the number of transferred embryos was reduced,
twin birth rates remain high in most countries with deleterious consequences
for mother and child health. Elective transfer of a single embryo selected
according to strict morphological criteria associated to an efficient freezing
embryo program could reduce the risk of multiple births without lowering
the chance of having a child, at least in younger and most fertile women.
Mots-clés / Key words
FIV, taux de naissance, naissances multiples, transfert mono-embryonnaire / IVF, birth rate, multiple births, single embryo transfer
Introduction
FIV et grossesses multiples
Environ 1% des grossesses consécutives à une
procréation naturelle se terminent par l’accouchement de plus d’un enfant. En France, le taux de
grossesses gémellaires, qui était de 8,8/1 000 en
1972, est passé à 15/1 000 en 2001 [1]. Si cette
augmentation peut être en partie liée à l’âge plus
avancé de la maternité [1], le recours de plus en
plus fréquent à des traitements médicaux pour
favoriser la procréation peut aussi l’expliquer, qu’il
s’agisse de traitements inducteurs de l’ovulation
associés ou non à une insémination artificielle ou
de fécondations in vitro (FIV). Les grossesses multiples entraînent des coûts économiques, sociaux
et psychologiques considérables [1;2]. Aussi, de
nombreuses études ont été menées depuis une
quinzaine d’années pour déterminer dans quelle
mesure et comment il serait possible de réduire le
risque de grossesses multiples après assistance
médicale à la procréation (AMP). La revue pré­
sentée ici se limite aux grossesses ­multiples consécutives à une FIV1, la technique d’AMP la plus
encadrée dans de nombreux pays et ayant fait
l’objet du plus grand nombre d’études.
La méthode utilisée pour cette analyse a été
­d’interroger la base de données Medline au moyen
des mots-clefs : « IVF/Multiple birth/Single embryo
transfer/Double embryo transfer », sans limitation
sur la période d’interrogation. Parmi les 54 articles
sélectionnés identifiés, auxquels ont été ajoutés
éventuellement d’autres articles cités dans leur
bibliographie, les travaux les plus significatifs, tenant
compte de leur originalité et de leur qualité
­scientifique, ont été retenus pour constituer la base
de la revue présentée ci-dessous.
Quand les procédures de FIV se sont répandues
dans les années 1980, les taux de réussite étaient
relativement faibles [2]. Afin d’améliorer les ­résultats,
il a été rapidement proposé d’augmenter le nombre
d’ovocytes disponibles pour la fécondation en
­amenant plusieurs follicules ovariens à maturité par
des stimulations hormonales appropriées. Il a été
ainsi possible d’obtenir plusieurs embryons par
­tentative de FIV. Mais comme le transfert d’un seul
d’entre eux dans l’utérus restait peu efficace, médecins et patients ont encouragé les pratiques de
transfert de plusieurs embryons, notamment quand
les techniques de congélation embryonnaire
n’étaient pas encore disponibles ou peu performantes. Une nette amélioration des taux de
­grossesses et de naissances a alors été constatée,
mais aussi une augmentation considérable des
­naissances multiples. Ainsi, parmi les 81 915 tentatives de FIV/ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection)
pratiquées en 2000 aux États-Unis qui ont permis
d’obtenir 37% de grossesses, 28% d’entre elles
étaient des grossesses gémellaires et 7,5% des
­grossesses triples ou plus [2]. Dans ce pays, le
nombre d’embryons transférés à chaque tentative
est resté longtemps très élevé puisque en 2000, lors
des tentatives de FIV/ICSI réalisées pour des femmes
de moins de 35 ans, 63% des transferts étaient faits
avec trois embryons ou plus, et même 6,5% avec
cinq embryons ou plus. Dans ce dernier cas, 2,5%
des grossesses obtenues étaient triples ou plus [2].
Pourtant, des progrès relativement importants ont
été accomplis depuis le début des années 1980, que
ce soit en matière de traitements pour contrôler
la maturation folliculaire et ovocytaire, ou de
­techniques de laboratoire permettant d’obtenir des
embryons ayant de meilleures capacités de développement. Il en a résulté une amélioration des taux
1 Sans ou avec ICSI, micro-injection de spermatozoïdes (Intra
Cytoplasmic Sperm Injection).
278 BEH 23-24 / 14 juin 2011
de grossesses, mais la proportion de naissances
multiples est restée très élevée malgré la baisse du
nombre d’embryons transférés dans l’utérus. Dans
le dernier rapport publié par l’ESHRE (European
Society of Human Reproduction and Embryology)
portant sur 222 354 tentatives de FIV/ICSI avec
transfert embryonnaire réalisées en 2006 dans
27 pays européens, le taux d’accouchements de plus
d’un enfant était de 20,8%, avec cependant des
variations très importantes d’un pays à l’autre (de
5,8% à 44,2%), le taux étant supérieur à 20% dans
59% des pays [3].
En France, le guide de bonnes pratiques élaboré par
l’Agence de la biomédecine et publié sous forme
d’arrêté ministériel en 2008, recommande de limiter
autant que possible le nombre d’embryons trans­
férés à deux [4]. En 2008, en France, plus de 86%
des transferts ont été faits avec un ou deux embryons
après FIV/ICSI [5]. Bien que le nombre moyen
­d’embryons transférés ait diminué au cours des
années récentes, le taux d’accouchements n’a pas
chuté, au contraire. Le taux de naissances multiples
est resté élevé, atteignant 20% après FIV/ICSI
(tableau 1).
Grossesses multiples : un risque
de complications maternelles
et infantiles majoré après FIV ?
Les grossesses multiples en général comportent un
risque non négligeable de complications obsté­
tricales et néonatales. La femme enceinte est davantage à risque d’hypertension, de pré-éclampsie ou
d’anémie. Les accouchements sont plus souvent
prématurés et le taux de césariennes est plus élevé.
L’enfant prématuré a un poids de naissance plus
faible. La grande prématurité est associée à un
risque plus important de syndrome de détresse
­respiratoire, d’entérocolite nécrosante, d’hémorragie
Tableau 1 Activités d’assistance médicale à la procréation (AMP) et taux et types d’accouchements
obtenus en France en 2003 et 2008a / Table 1 Assisted reproductive technology (ART) activities, delivery
rates and types in France, 2003 and 2008a
IIUb
2003
Nombre de cycles de traitement
47 663
FIVc
ICSId
2008
2003
2008
2003
2008
40 858
20 971e
19 327e
25 876e
31 161e
2,1
1,9
2,2
1,9
Nombre moyen d’embryons transférés
Taux d’accouchements
  8,2%
10,0%
16,5%
18,9%
18,1%
20,6%
Proportion d’accouchements de 2 enfants
10,7%
10,3%
21,9%
19,3%
19,8%
17,6%
Proportion d’accouchements de ≥3 enfants
  0,5%
  0,3%
  0,5%
  0,5%
  0,5%
  0,4%
a
Données du rapport médical et scientifique de la procréation et de la génétique humaines en France, 2008, Agence de la
biomédecine. Disponible à : http://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2009/donnees/procreation/01-amp/01_intra/
synthese.php
b IIU : Insémination artificielle intra-utérine ;
c FIV : fécondation in vitro ;
d ICSI : Intra cytoplasmic sperm injection ;
e Cycles avec ponctions d’ovocytes.
cérébrale avec un risque accru de mortalité néo­
natale et, à plus long terme, de lésions neuro­
logiques, qu’il s’agisse de troubles du développement ou même quelquefois d’infirmité motrice
cérébrale [6]. Récemment, une étude réalisée dans
l’unité de soins intensifs de l’Hôpital Royal Victoria
de ­Montréal a montré que, sur les 75 enfants qui
avaient été admis pendant une période de deux ans
en 2005-2007 et qui étaient issus de grossesses
­multiples consécutives à une FIV (17% des admissions), 6 (8%) étaient décédés, 5 (6,7%) avaient eu
une hémorragie intraventriculaire, 5 (6,7%) une
dysplasie bronchopulmonaire et 4 (5,3%) avaient
dû être opérés pour une rétinopathie [7].
Le risque peut être influencé par différents facteurs,
comme l’âge de la femme. L’influence éventuelle de
l’AMP sur les risques périnataux ou la santé des
enfants issus de grossesses multiples est un sujet
controversé. Une étude australienne portant sur
tous les jumeaux nés en Australie occidentale entre
1994 et 2000, soit après AMP (n=700), soit après
conception naturelle (n=4 097), a montré que les
risques d’accouchement par césarienne, de prématurité, de faible poids de naissance étaient plus
élevés en cas de grossesse gémellaire obtenue par
FIV/ICSI qu’en cas de grossesse ­gémellaire consé­
cutive à une conception naturelle. De plus, les
jumeaux dizygotes ont été plus souvent hospitalisés
au cours des deux premières années de la vie quand
ils étaient issus d’une FIV [8]. Bien que l’âge des
femmes ayant eu des enfants par AMP était légèrement plus élevé, il est impossible de savoir si la
morbidité et les hospitalisations plus fréquentes des
enfants peuvent être expliquées par la procédure
d’AMP, par l’infertilité des parents ou par une plus
grande inquiétude de parents ayant longuement
désiré leurs enfants.
En 2003, quelques-uns des principaux responsables
des programmes de FIV/ICSI à travers le monde se
sont réunis pour traiter la question des grossesses
multiples liées à l’AMP [2]. Après avoir observé que
« les grossesses multiples dues aux traitements de
l’infertilité étaient un enjeu physique, psychologique
et financier majeur pour les couples et leurs enfants
ainsi que pour la société toute entière », cette
c­ onférence d’experts internationaux avait souligné
la nécessité d’empêcher la survenue de grossesses
triples et de diminuer le risque de grossesses gémellaires. Pour cela, elle a proposé d’évaluer l’intérêt
respectif du transfert d’un ou de deux embryons
pour obtenir une naissance vivante, tout en soulignant que l’amélioration de l’évaluation de la
­qualité embryonnaire et de la réceptivité utérine
restaient des défis permanents [2]. Lors d’une
­réunion similaire organisée en France en 2004, un
groupe d’expert nationaux concluait de la même
manière que la diminution du taux de grossesses
multiples passe par la diminution du nombre
­d’embryons transférés et que la réduction embryonnaire n’était qu’un « pis-aller» [1].
Transférer un seul embryon
après FIV/ICSI :
avantage ou handicap ?
Le transfert d’un embryon unique peut être envisagé
dans deux types de circonstances. Soit il n’y a pas
d’autre possibilité, en général le taux de grossesses
est alors près de deux fois plus faible [9] car la
situation est péjorative du fait d’une fonction
­ovarienne déficiente qui n’a pas permis de recueillir
un nombre d’ovocytes suffisant et/ou parce que les
caractéristiques des embryons sont très altérées. Soit
plusieurs embryons sont transférables mais il peut
être décidé de n’en transférer qu’un pour éviter une
grossesse multiple. On parle alors de transfert
­sélectif d’un embryon unique (elective single embryo
transfer, e-SET).
La première étude réalisée en Finlande et publiée
en 1999 a comparé les résultats du transfert de deux
embryons, d’un seul embryon quand aucun autre
n’était disponible et d’un embryon sélectionné
(e-SET). Les taux de grossesses ont été de 29,7%,
20,7% et 29,7% respectivement, avec 23,9% de
grossesses gémellaires dans le premier groupe et
aucune dans le second et le troisième [10].
Par la suite, de nombreuses études ont été publiées,
montrant que les résultats de l’e-SET étaient tout à
fait satisfaisants et proches de ceux des transferts
de deux embryons à condition de proposer cette
technique aux femmes les plus fertiles [6].
Récemment, les résultats de huit études rando­misées
ont été ré-analysés à partir des données individuelles
de chaque patiente [11]. Au total, les résultats obtenus chez 683 femmes ayant eu un e-SET deux ou
trois jours après une tentative de FIV/ICSI ont été
comparés à ceux d’un groupe de 684 femmes chez
lesquelles deux embryons ont été transférés (DET)
dans les mêmes conditions. Les deux groupes étaient
semblables pour les caractéristiques des femmes,
l’origine de l’infertilité, les traitements et le suivi. Les
e-SET ont conduit à 27% de naissances contre 42%
après DET. Les taux de grossesses gémellaires ont
été de 2% et 29% ­respectivement, avec un taux
d’accouchements avant la 34ème semaine inférieur à
4% après e-SET contre 16% après DET et une proportion d’enfants de poids < 2 500 g de 8% et 24%
respectivement à la naissance. Ainsi, d’après les résultats de cette étude multicentrique, l’e-SET diminue
les chances d’avoir un enfant mais réduit aussi le
risque de ­prématurité. De plus, dans deux des centres
participants, il a été également possible d’analyser
les résultats du transfert d’un embryon supplémentaire qui avait été congelé dans le groupe e-SET. Dans
ce cas, le taux de succès cumulé des naissances était
de 38% après e-SET contre 42% après DET, avec 1%
et 32% de grossesses gémellaires respecti­vement.
Ces résultats montrent que le transfert successif de
deux embryons (un immédiatement après la FIV/ICSI
et l’autre ultérieurement) est ­pratiquement aussi
efficace que le transfert de deux embryons immédiatement après la FIV/ICSI, avec un risque nul de grossesse gémellaire.
En France, dans une étude menée à l’hôpital Cochin
à Paris, il a été proposé à 151 couples, dont le ­pronostic
paraissait très favorable du fait de l’âge de la femme,
de sa fonction ovarienne et de ­l’absence d’un nombre
élevé de tentatives antérieures, de procéder au transfert d’un seul embryon après la FIV/ICSI quand les
critères morphologiques du développement embryonnaire étaient optimaux. Quand les couples refusaient
(n=98), deux embryons étaient transférés. Dans cette
population très sélectionnée, les taux de naissance ont
été très élevés et semblables dans les deux groupes
(tableau 2) [12]. Il n’y a pas eu de naissance de
jumeaux après le transfert d’un embryon, mais le taux
de naissances gémellaires a été de 41,5% après DET,
ce qui n’a pas été sans conséquences pour la santé
des enfants (tableau 3). Le nombre d’enfants de faible
poids de naissance et/ou ayant dû être hospitalisés
était ­légèrement plus élevé chez les singletons issus
d’un DET que ceux résultant d’un e-SET (tableau 3),
mais la différence n’était pas significative. Cependant,
il ne peut être exclu que l’environnement utérin était
moins favorable en cas de DET puisque, par ailleurs,
le taux d’implantation embryonnaire était signifi­
cativement plus faible.
Quels critères considérer
pour décider du transfert électif
d’un embryon ?
Depuis les premiers essais d’e-SET, et afin d’opti­
miser les résultats, les équipes concernées ont
­toujours cherché à identifier l’embryon ayant les
meilleurs chances de conduire à la naissance d’un
enfant en bonne santé afin de le transférer.
BEH 23-24 / 14 juin 2011 279
Tableau 2 Issue de grossesses après transfert de 1 ou 2 embryons de bonne qualité chez des femmes
sélectionnées (début des tentatives, <35 ans, bonne fonction ovarienne). D’après [12] / Table 2 Pregnancy
outcomes after transfer of 1 or 2 high quality embryos in selected women (beginning of attempts at <35
years, good ovarian function). From [12]
Nombre d’embryons transférés
1
Nombre de femmes
2
53
98
Nombres de grossesses cliniques
26 (49,1%)
50 (51,0%)
Nombre d’accouchements
22 (41,5%)
41 (41,8%)
0
17 (41,5%)
Nombre d’accouchements gémellaires
Tableau 3 Santé des enfants après transfert de 1 ou 2 embryons de bonne qualité chez des femmes
sélectionnées (début des tentatives, <35 ans, bonne fonction ovarienne). D’après [12] / Table 3 Children
health after transfer of 1 or 2 high quality embryos in selected women (beginning of attempts at <35 years,
good ovarian function). From [12]
Nombre d’embryons transférés
1
Type d’accouchement
2
Singleton
Singleton
Jumeaux
Nombre d’enfants
22
24
34
Poids de naissance 1 500 g à 2 500 g
0
4 (16,7%)
15 (44,1%)
Poids de naissance <1 500 g
0
1 (4,2%)
3 (8,8%)
Score APGAR ≤6 (1 minute)
0
1 (4,2%)
  7 (20,6%)
Admission en néonatalogie
0
1
10 (29,1%)
Enfants mort-nés
1
0
0
Décès néonatal
0
0
1
Quand le transfert a lieu deux ou trois jours après
la fécondation, l’évaluation de l’embryon est faite
sur des critères morphologiques, facilement
­accessibles à l’observation et qui peuvent être
­standardisés et intégrés dans des scores [6;11-13].
Les caractéristiques des autres embryons doivent
aussi être prises en compte : en effet, le fait
­d’appartenir à une cohorte où se trouvent plusieurs
embryons réunissant les meilleurs critères morphologiques améliore le pronostic si un seul d’entre eux
est transféré [14]. La bonne maîtrise des techniques
de congélation peut aussi favoriser le transfert
­électif d’un embryon. En effet, les taux cumulatifs
de grossesses et de naissances observés après un
e-SET suivi du transfert d’embryons congelés sont
similaires à ceux obtenus quand deux embryons
sont initialement transférés [6;11;12]. Les embryons
les moins aptes à se développer résistant mal à la
culture prolongée jusqu’au stade blastocyste, il a été
proposé que l’e-SET soit pratiqué 5 ou 6 jours après
la fécondation. Une analyse rétrospective des
registres australiens et néo-zélandais indique que
cette stratégie peut être efficace [13].
Dans l’avenir, il est probable que la mise au point
de techniques de vidéo-microscopie en continu pour
suivre le développement des embryons dans les
enceintes de culture ainsi que de microtechniques
permettant de caractériser les propriétés méta­
boliques, transcriptomiques, protéomiques et épi­
280 BEH 23-24 / 14 juin 2011
génétiques de l’embryon préimplantatoire, permettra
d’identifier encore mieux les embryons les plus aptes
à se développer normalement.
Les critères embryonnaires sont donc essentiels, mais
les facteurs féminins jouent aussi un rôle important.
La plupart des études comparant les résultats d’e-SET
et de DET ont été réalisées chez des femmes de
moins de 35 à 37 ans et a priori les plus fertiles car
n’ayant pas eu d’échec de FIV ­auparavant [6;11;12].
Parfois, un critère supplé­mentaire d’inclusion était
une fonction ovarienne normale évaluée par dosages
hormonaux [12]. D’autres critères connus pour améliorer les résultats de la FIV peuvent aussi être pris
en compte. Il a été ainsi montré que l’obésité et la
consommation de tabac de la femme réduisaient les
chances d’obtenir une naissance après le transfert
d’un seul blastocyste [15].
Au total, la plus ou moins grande rigueur des ­critères
embryonnaires et féminins exigés va ­conditionner
la proportion de femmes susceptible de pouvoir
bénéficier du transfert électif d’un embryon. En
­l’absence de l’ensemble des données disponibles
pour des populations importantes, il est difficile
d’estimer précisément le nombre de femmes qui
pourraient être concernées. À partir des données
disponibles sur les tentatives de FIV réalisées aux
États-Unis en 2001, il avait été estimé qu’un e-SET
aurait pu être réalisé pour 30% des cycles de traitement cette année là [16]. Les critères peuvent
varier d’un centre à l’autre ou d’un pays à l’autre
en fonction des expériences, du type de populations
traitées et des objectifs de réduction du taux de
grossesses multiples [6]. Néanmoins, dans ­certains
pays, le transfert d’un seul embryon est la pratique
la plus répandue après FIV/ICSI (tableau 4).
Des stratégies sont-elles
envisageables pour réduire
le risque de survenue
de grossesses multiples
après FIV/ICSI ?
Suite aux recommandations professionnelles de
réduire le nombre d’embryons transférés qui ont été
exprimées depuis le début des années 2000 [17;18],
les naissances de trois enfants et plus sont devenues
très rares dans la plupart des pays. Cependant, le
taux de naissances gémellaires reste encore souvent
très élevé comme le montre le bilan européen [3].
La France fait partie des pays à fort taux de
­naissances multiples après FIV/ICSI (tableau 4). Les
pays nordiques ont été les premiers à promouvoir
à grande échelle le transfert d’un seul embryon, ce
qui a entraîné une baisse spectaculaire des naissances multiples sans compromette les taux de
naissance qui sont restés similaires à ceux de pays
comme la France ou le Royaume-Uni pour des
­populations de femmes d’âge équivalent (tableau 4).
Le cas de la Suède est particulièrement intéressant.
Au début des années 1990, plus de 70% des transferts y étaient réalisés avec au moins trois embryons
et le taux de naissances multiples était supérieur
à 30% [19]. En 1993, les centres de FIV suédois
ont collectivement et volontairement décidé de
réduire le nombre d’embryons transférés de trois
à deux. Les naissances triples ont disparu mais le
taux de naissances gémellaires est resté très élevé.
Sur la base des résultats d’une étude multicentrique qui a démontré l’intérêt de l’e-SET associé
au transfert ultérieur d’embryons congelés, la
réglementation et les recommandations professionnelles ont évolué, le transfert d’un embryon
unique devenant la norme à respecter à partir
de 2003, au moins chez les femmes les plus jeunes
et de bon pronostic. Cette mesure a abouti à un
taux de naissances multiples 4 fois plus faible que
dans les autres pays (tableau 4) [19].
Dans certains pays, des considérations éthiques ont
été prédominantes dans les choix stratégiques. Ainsi
en Italie, il est interdit de féconder plus de trois
ovocytes, ce qui réduit les chances d’obtenir un
embryon ayant les meilleures chances de se développer, et il est interdit de congeler les embryons, ce
qui incite à transférer tous les embryons obtenus
(tableau 4). Ce choix et l’âge plus avancé des
femmes traitées expliquent très probablement les
faibles taux de naissances observés dans ce pays
où le taux de naissances multiples est parmi les
plus élevés (23,8%) (tableau 4) [3]. Dans d’autres
pays, des aspects économiques et sociaux ont
été prioritaires. En Belgique, le remboursement de
six tentatives de FIV/ICSI, institué à partir de 2003,
a été subordonné au transfert d’un seul embryon
chez les femmes de moins de 36 ans lors de la première tentative sans prise en compte de la qualité
Tableau 4 Activité de fécondation in vitro (FIV) et d’ICSIa dans 6 pays européens en 2006 et nombre
d’embryons non congelés transférés. D’après [3] / Table 4 In vitro fertilization (IVF) and ICSIa activity
in 6 European countries in 2006 and number of non frozen transferred embryos. From [3]
Belgique
Finlande
France
Italie
RoyaumeUni
Suède
18
18
102
202
70
14
Nombre de cycles de traitement b
15 547
4 655
50 776
32 821
31 668
9 496
Taux de transferts d’un embryon
49,2%
54,7%
20,0%
18,7%
11,6%
69,3%
Taux de transferts de ≥3 embryons
  8,8%
  0,3%
16,7%
50,9%
  4,8%
0
Taux d’accouchements
18,5%
21,2%
19,7%
12,6%
26,1%
24,6%
Taux d’accouchements >1 enfant
13,4%
12,0%
20,6%
23,8%
23,8%
  5,8%
Nombre de centres
FIV
Nombre de cycles de traitement b
3 619
2 770
20 409
7 429
15 530
4 917
% cycles pour des femmes <35 ans
ND c
54,8%
52,6%
36,7%
39,4%
46,8%
% cycles pour des femmes ≥40 ans
ND
12,6%
14,4%
23,6%
17,6%
12,7%
15 547
1 885
30 367
25 392
16 138
4 579
% cycles pour des femmes <35 ans
ND
58,2%
59,8%
38,2%
45,7%
55,0%
% cycles pour des femmes ≥40 ans
ND
  9,5%
10,9%
23,9%
14,6%
  8,8%
ICSI
Nombre de cycles de traitement b
a Intra Cytoplasmic Sperm Injection.
b Les cycles de traitement correspondent
c Non déterminé.
à des cycles avec prélèvement d’ovocyte.
embryonnaire [6]. Cette mesure, qui était basée sur
l’hypothèse que les dépenses engagées pour le
­remboursement seraient largement compensées
par les économies induites par la diminution des
­naissances multiples, a été relativement efficace
(tableau 4). Plusieurs études ont évalué les
­conséquences financières de stratégies de transferts
embryonnaires en appréciant aussi les soins ­procurés
à plus ou moins long terme aux enfants en cas de
grossesses multiples ou non. Elles confirment en
général que le meilleur rapport coût/efficacité est
obtenu en pratiquant un e-SET suivi de transferts
d’embryons congelés chez les femmes de bon
­pronostic [20]. Récemment, une étude finlandaise a
comparé de manière rétrospective les conséquences
financières de politiques de transferts électifs d’un
embryon unique ou de deux embryons. Cette étude
a trouvé que l’e-SET entraînait une économie de
19 889 euros par naissance vivante à terme, et que
si l’analyse incluait le coût des soins pédiatriques et
maternels de la période néonatale, l’économie
­s’élevait à 36 889 euros [21]. À partir des résultats
acquis dans une unité de soins intensifs à Montréal,
il a été estimé que l’application d’une politique
­d’e-SET à l’ensemble du Canada éviterait 729 admissions en soins intensifs, 35 220 journées d’hospitalisation et 30 décès d’enfants, et permettrait d’économiser 40 millions de dollars chaque année [7].
Enfin, la stratégie à adopter pour le transfert des
embryons après FIV/ICSI ne peut ignorer l’attitude
des médecins et des patients. Si un nombre croissant
de praticiens pensent qu’il est souhaitable de réduire
les taux de grossesses multiples consécutifs à l’AMP,
d’autres pensent qu’il faut encourager les grossesses
gémellaires pour satisfaire le plus rapidement
­possible le désir de femmes de plus en plus âgées
et infertiles d’avoir plusieurs enfants [22]. Les
couples infertiles sont d’ailleurs plus enclins à
­accepter les risques des grossesses multiples que les
couples fertiles [23]. Cependant, ils ne sont pas
­toujours bien informés des risques et leur attitude,
qui est très influencée par celle des équipes médicales, peut évoluer rapidement [24].
Conclusion
Il existe maintenant de nombreux arguments
démontrant que le taux de grossesses multiples et
leurs inconvénients pour la femme et pour l’enfant
peuvent être réduits après FIV/ICSI. La prise en
compte attentive des situations cliniques des
femmes et des caractéristiques morphologiques et
évolutives des embryons, associée à des techniques
efficaces de congélation embryonnaire, permet
­d’obtenir des taux très élevés de naissances après
transfert d’un seul embryon. Le transfert d’un
embryon unique après FIV/ICSI tend à devenir la
norme, au moins chez les femmes les plus jeunes
et les plus fertiles.
Références
[1] Antoine JM, Audebert A, Avril C, Belaisch-Allart J,
Blondel B, Bréart G, et al. Traitements de la stérilité et
grossesses multiples en France : analyse et recommandations. Gyn Obst Fertil. 2004;32(7-8):670-83.
[2] Adashi EY, Barri PN, Berkowitz R, Braude P, Bryan E,
Carr J, et al. Infertility therapy-associated multiple
­pregnancies (births): an ongoing epidemic. Reprod
Biomed Online. 2003;7(5):515-42.
[3] De Mouzon J, Goossens V, Bhattacharya S, Castilla JA,
Ferraretti AP, Korsak V, et al ; European IVF-monitoring
(EIM) Consortium, for the European Society of Human
Reproduction and Embryology (ESHRE). Assisted reproductive technology in Europe, 2006: results generated
from European registers by ESHRE. Hum Reprod.
2010;25(8):1851-62.
[4] Arrêté du 3 Août 2010 modifiant l’arrêté du 11 avril
2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques
et biologiques d’assistance médicale à la procréation.
­Disponible à : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.
do?cidTexte=JORFTEXT000022809674&dateTexte=
&categorieLien=id
[5] Agence de la biomédecine. Rapport annuel 2009.
Activités : données essentielles. Saint-Denis : Agence de
la biomédecine ; 2010. 225 p. Disponible à : http://www.
agence-biomedecine.fr/agence/le-rapport-annuel.html
[6] Gerris JM. Single embryo transfer and IVF/ICSI
­outcome: a balanced appraisal. Hum Reprod Update.
2005;11(2):105-21.
[7] Janvier A, Spelke B, Barrington K. The epidemic of
multiple gestations and neonatal intensive care unit use:
the cost of irresponsibility. J Pediatr. 2011(sous presse).
[8] Hansen M, Colvin L, Petterson B, Kurinczuk JJ, De
Klerk N, Bower C. Twins born following assisted repro­
ductive technology: perinatal outcome and admission to
hospital. Hum Reprod. 2009;24(9):2321-31.
[9] Agence de la biomédecine. Rapport annuel 2005.
Saint-Denis : Agence de la biomédecine.
[10] Vilska A, Tiitinen A, Hydén-Granskog C, Hovatta O.
Elective transfer of one embryo results in an acceptable
pregnancy rate and eliminates the risk of multiple birth.
Hum Reprod. 1999;14(9):2392-5.
[11] McLernon DJ, Harrild K, Bergh C, Davies MJ, De
Neubourg D, Dumoulin JC, et al. Clinical effectiveness of
elective single versus double embryo transfer: metaanalysis of individual patient data from randomised trials.
BMJ. 2010;341:c6945.
[12] Fauque P, Jouannet P, Davy C, Guibert J, Viallon V,
Epelboin S, et al. Cumulative results including obstetrical
and neonatal outcome of fresh and frozen-thawed cycles
in elective single versus double fresh embryo transfers.
Fertil Steril. 2010;94(3):927-35.
[13] Holte J, Berglund L, Milton K, Garello C, Gennarelli G,
Revelli A, et al. Construction of an evidence-based integrated morphology cleavage embryo score for implantation potential of embryos scored and transferred on day 2
after oocyte retrieval. Hum Reprod. 2007;22(2):548-57.
[14] Wang YA, Kovacs G, Sullivan EA. Transfer of a
selected single blastocyst optimizes the chance of
a healthy term baby: a retrospective population based
study in Australia 2004-2007. Hum Reprod. 2010;25(8):
1996-2005.
[15] Dessolle L, Fréour T, Ravel C, Jean M, Colombel A,
Daraï E, et al. Predictive factors of healthy term birth after
single blastocyst transfer. Hum Reprod. 2011;26(5):
1220-6.
[16] Davis OK. Elective single-embryo transfer - has its
time arrived? New Engl J Med. 2004;351(23):2440-2.
[17] The Practice Committee of the Society for Assisted
Reproductive Technology; Practice Committee of the
American Society for Reproductive Medicine. Guidelines
on number of embryos transferred. Fertil Steril.
2006;86:S51-S52.
[18] Cutting R, Morroll D, Roberts SA, Pickering S, Rutherford A; BFS and ACE. Elective single embryo transfer:
guidelines for practice. British Fertility Society and Association of Clinical Embryologists. Hum Fertil (Camb).
2008;11(3):131-46.
[19] Karlström PO, Bergh C. Reducing the number of
embryos transferred in Sweden-impact on delivery and
multiple birth rates. Hum Reprod. 2007;22(8):2202-7.
[20] Fiddelers AA, Steverens JL, Dirksen CD, Dumoulin JC,
Land JA, Evers JL. Economic evaluations of single-versus
double-embryo transfer in IVF. Hum Reprod Update.
2007;13(1):5-13.
[21] Veleva Z, Karinen P, Tomás C, Tapanainen JS,
­Martikainen H. Elective single embryo transfer with
­cryopreservation improves the outcome and diminishes
the costs of IVF/ICSI. Hum Reprod. 2009;24(7):1632-9.
[22] Gleicher N, Barad D. Twin pregnancy, contrary to
consensus, is a desirable outcome in infertility. Fertil ­Steril.
2009;91(6):2426-31.
[23] Pinborg A. IVF/ICSI twin pregnancies: risks and
­prevention. Hum Reprod Update. 2005;11(6):575-93.
[24] Coetzee K, Stewart B, Peek J, Hutton JD. Acceptance
of single-embryo transfer by patients. Fertil Steril.
2007;87(1):207-9.
BEH 23-24 / 14 juin 2011 281
Téléchargement