Peut-on réduire le risque de grossesse multiple après fécondation in vitro ? Pierre Jouannet ([email protected])1, Patricia Fauque2, Catherine Patrat3 1/ Centre de Recherche Sens, Éthique, Société (UMR 8137), CNRS-Université Paris Descartes, Paris, France 2/ Cecos, CHU de Dijon, CNRS UMR 3215, Inserm U934, Paris, France 3/ Service de biologie de la reproduction, Hôpital Bichat, AP-HP ; Université Paris-Diderot, Paris, France Résumé / Abstract Depuis 20 ans, on assiste à une augmentation régulière des taux de ­naissances obtenus après fécondation in vitro (FIV). Malgré la réduction progressive du nombre d’embryons transférés, les taux de naissances gémellaires restent très élevés dans de nombreux pays, ce qui n’est pas sans risque pour la santé des mères et des enfants. Le transfert sélectif d’un seul embryon, choisi selon des critères morphologiques stricts, associé à un programme de congélation embryonnaire efficace pourrait permettre ­d’éviter les naissances multiples sans diminuer les chances d’avoir un enfant, au moins chez les femmes les plus jeunes et les plus fertiles. Is it possible to reduce multiple pregnancy risk after in vitro fertilization? For the last 20 years, birth rates after in vitro fertilization (IVF) have been increasing steadily. Although the number of transferred embryos was reduced, twin birth rates remain high in most countries with deleterious consequences for mother and child health. Elective transfer of a single embryo selected according to strict morphological criteria associated to an efficient freezing embryo program could reduce the risk of multiple births without lowering the chance of having a child, at least in younger and most fertile women. Mots-clés / Key words FIV, taux de naissance, naissances multiples, transfert mono-embryonnaire / IVF, birth rate, multiple births, single embryo transfer Introduction FIV et grossesses multiples Environ 1% des grossesses consécutives à une procréation naturelle se terminent par l’accouchement de plus d’un enfant. En France, le taux de grossesses gémellaires, qui était de 8,8/1 000 en 1972, est passé à 15/1 000 en 2001 [1]. Si cette augmentation peut être en partie liée à l’âge plus avancé de la maternité [1], le recours de plus en plus fréquent à des traitements médicaux pour favoriser la procréation peut aussi l’expliquer, qu’il s’agisse de traitements inducteurs de l’ovulation associés ou non à une insémination artificielle ou de fécondations in vitro (FIV). Les grossesses multiples entraînent des coûts économiques, sociaux et psychologiques considérables [1;2]. Aussi, de nombreuses études ont été menées depuis une quinzaine d’années pour déterminer dans quelle mesure et comment il serait possible de réduire le risque de grossesses multiples après assistance médicale à la procréation (AMP). La revue pré­ sentée ici se limite aux grossesses ­multiples consécutives à une FIV1, la technique d’AMP la plus encadrée dans de nombreux pays et ayant fait l’objet du plus grand nombre d’études. La méthode utilisée pour cette analyse a été ­d’interroger la base de données Medline au moyen des mots-clefs : « IVF/Multiple birth/Single embryo transfer/Double embryo transfer », sans limitation sur la période d’interrogation. Parmi les 54 articles sélectionnés identifiés, auxquels ont été ajoutés éventuellement d’autres articles cités dans leur bibliographie, les travaux les plus significatifs, tenant compte de leur originalité et de leur qualité ­scientifique, ont été retenus pour constituer la base de la revue présentée ci-dessous. Quand les procédures de FIV se sont répandues dans les années 1980, les taux de réussite étaient relativement faibles [2]. Afin d’améliorer les ­résultats, il a été rapidement proposé d’augmenter le nombre d’ovocytes disponibles pour la fécondation en ­amenant plusieurs follicules ovariens à maturité par des stimulations hormonales appropriées. Il a été ainsi possible d’obtenir plusieurs embryons par ­tentative de FIV. Mais comme le transfert d’un seul d’entre eux dans l’utérus restait peu efficace, médecins et patients ont encouragé les pratiques de transfert de plusieurs embryons, notamment quand les techniques de congélation embryonnaire n’étaient pas encore disponibles ou peu performantes. Une nette amélioration des taux de ­grossesses et de naissances a alors été constatée, mais aussi une augmentation considérable des ­naissances multiples. Ainsi, parmi les 81 915 tentatives de FIV/ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) pratiquées en 2000 aux États-Unis qui ont permis d’obtenir 37% de grossesses, 28% d’entre elles étaient des grossesses gémellaires et 7,5% des ­grossesses triples ou plus [2]. Dans ce pays, le nombre d’embryons transférés à chaque tentative est resté longtemps très élevé puisque en 2000, lors des tentatives de FIV/ICSI réalisées pour des femmes de moins de 35 ans, 63% des transferts étaient faits avec trois embryons ou plus, et même 6,5% avec cinq embryons ou plus. Dans ce dernier cas, 2,5% des grossesses obtenues étaient triples ou plus [2]. Pourtant, des progrès relativement importants ont été accomplis depuis le début des années 1980, que ce soit en matière de traitements pour contrôler la maturation folliculaire et ovocytaire, ou de ­techniques de laboratoire permettant d’obtenir des embryons ayant de meilleures capacités de développement. Il en a résulté une amélioration des taux 1 Sans ou avec ICSI, micro-injection de spermatozoïdes (Intra Cytoplasmic Sperm Injection). 278 BEH 23-24 / 14 juin 2011 de grossesses, mais la proportion de naissances multiples est restée très élevée malgré la baisse du nombre d’embryons transférés dans l’utérus. Dans le dernier rapport publié par l’ESHRE (European Society of Human Reproduction and Embryology) portant sur 222 354 tentatives de FIV/ICSI avec transfert embryonnaire réalisées en 2006 dans 27 pays européens, le taux d’accouchements de plus d’un enfant était de 20,8%, avec cependant des variations très importantes d’un pays à l’autre (de 5,8% à 44,2%), le taux étant supérieur à 20% dans 59% des pays [3]. En France, le guide de bonnes pratiques élaboré par l’Agence de la biomédecine et publié sous forme d’arrêté ministériel en 2008, recommande de limiter autant que possible le nombre d’embryons trans­ férés à deux [4]. En 2008, en France, plus de 86% des transferts ont été faits avec un ou deux embryons après FIV/ICSI [5]. Bien que le nombre moyen ­d’embryons transférés ait diminué au cours des années récentes, le taux d’accouchements n’a pas chuté, au contraire. Le taux de naissances multiples est resté élevé, atteignant 20% après FIV/ICSI (tableau 1). Grossesses multiples : un risque de complications maternelles et infantiles majoré après FIV ? Les grossesses multiples en général comportent un risque non négligeable de complications obsté­ tricales et néonatales. La femme enceinte est davantage à risque d’hypertension, de pré-éclampsie ou d’anémie. Les accouchements sont plus souvent prématurés et le taux de césariennes est plus élevé. L’enfant prématuré a un poids de naissance plus faible. La grande prématurité est associée à un risque plus important de syndrome de détresse ­respiratoire, d’entérocolite nécrosante, d’hémorragie Tableau 1 Activités d’assistance médicale à la procréation (AMP) et taux et types d’accouchements obtenus en France en 2003 et 2008a / Table 1 Assisted reproductive technology (ART) activities, delivery rates and types in France, 2003 and 2008a IIUb 2003 Nombre de cycles de traitement 47 663 FIVc ICSId 2008 2003 2008 2003 2008 40 858 20 971e 19 327e 25 876e 31 161e 2,1 1,9 2,2 1,9 Nombre moyen d’embryons transférés Taux d’accouchements 8,2% 10,0% 16,5% 18,9% 18,1% 20,6% Proportion d’accouchements de 2 enfants 10,7% 10,3% 21,9% 19,3% 19,8% 17,6% Proportion d’accouchements de ≥3 enfants 0,5% 0,3% 0,5% 0,5% 0,5% 0,4% a Données du rapport médical et scientifique de la procréation et de la génétique humaines en France, 2008, Agence de la biomédecine. Disponible à : http://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2009/donnees/procreation/01-amp/01_intra/ synthese.php b IIU : Insémination artificielle intra-utérine ; c FIV : fécondation in vitro ; d ICSI : Intra cytoplasmic sperm injection ; e Cycles avec ponctions d’ovocytes. cérébrale avec un risque accru de mortalité néo­ natale et, à plus long terme, de lésions neuro­ logiques, qu’il s’agisse de troubles du développement ou même quelquefois d’infirmité motrice cérébrale [6]. Récemment, une étude réalisée dans l’unité de soins intensifs de l’Hôpital Royal Victoria de ­Montréal a montré que, sur les 75 enfants qui avaient été admis pendant une période de deux ans en 2005-2007 et qui étaient issus de grossesses ­multiples consécutives à une FIV (17% des admissions), 6 (8%) étaient décédés, 5 (6,7%) avaient eu une hémorragie intraventriculaire, 5 (6,7%) une dysplasie bronchopulmonaire et 4 (5,3%) avaient dû être opérés pour une rétinopathie [7]. Le risque peut être influencé par différents facteurs, comme l’âge de la femme. L’influence éventuelle de l’AMP sur les risques périnataux ou la santé des enfants issus de grossesses multiples est un sujet controversé. Une étude australienne portant sur tous les jumeaux nés en Australie occidentale entre 1994 et 2000, soit après AMP (n=700), soit après conception naturelle (n=4 097), a montré que les risques d’accouchement par césarienne, de prématurité, de faible poids de naissance étaient plus élevés en cas de grossesse gémellaire obtenue par FIV/ICSI qu’en cas de grossesse ­gémellaire consé­ cutive à une conception naturelle. De plus, les jumeaux dizygotes ont été plus souvent hospitalisés au cours des deux premières années de la vie quand ils étaient issus d’une FIV [8]. Bien que l’âge des femmes ayant eu des enfants par AMP était légèrement plus élevé, il est impossible de savoir si la morbidité et les hospitalisations plus fréquentes des enfants peuvent être expliquées par la procédure d’AMP, par l’infertilité des parents ou par une plus grande inquiétude de parents ayant longuement désiré leurs enfants. En 2003, quelques-uns des principaux responsables des programmes de FIV/ICSI à travers le monde se sont réunis pour traiter la question des grossesses multiples liées à l’AMP [2]. Après avoir observé que « les grossesses multiples dues aux traitements de l’infertilité étaient un enjeu physique, psychologique et financier majeur pour les couples et leurs enfants ainsi que pour la société toute entière », cette c­ onférence d’experts internationaux avait souligné la nécessité d’empêcher la survenue de grossesses triples et de diminuer le risque de grossesses gémellaires. Pour cela, elle a proposé d’évaluer l’intérêt respectif du transfert d’un ou de deux embryons pour obtenir une naissance vivante, tout en soulignant que l’amélioration de l’évaluation de la ­qualité embryonnaire et de la réceptivité utérine restaient des défis permanents [2]. Lors d’une ­réunion similaire organisée en France en 2004, un groupe d’expert nationaux concluait de la même manière que la diminution du taux de grossesses multiples passe par la diminution du nombre ­d’embryons transférés et que la réduction embryonnaire n’était qu’un « pis-aller» [1]. Transférer un seul embryon après FIV/ICSI : avantage ou handicap ? Le transfert d’un embryon unique peut être envisagé dans deux types de circonstances. Soit il n’y a pas d’autre possibilité, en général le taux de grossesses est alors près de deux fois plus faible [9] car la situation est péjorative du fait d’une fonction ­ovarienne déficiente qui n’a pas permis de recueillir un nombre d’ovocytes suffisant et/ou parce que les caractéristiques des embryons sont très altérées. Soit plusieurs embryons sont transférables mais il peut être décidé de n’en transférer qu’un pour éviter une grossesse multiple. On parle alors de transfert ­sélectif d’un embryon unique (elective single embryo transfer, e-SET). La première étude réalisée en Finlande et publiée en 1999 a comparé les résultats du transfert de deux embryons, d’un seul embryon quand aucun autre n’était disponible et d’un embryon sélectionné (e-SET). Les taux de grossesses ont été de 29,7%, 20,7% et 29,7% respectivement, avec 23,9% de grossesses gémellaires dans le premier groupe et aucune dans le second et le troisième [10]. Par la suite, de nombreuses études ont été publiées, montrant que les résultats de l’e-SET étaient tout à fait satisfaisants et proches de ceux des transferts de deux embryons à condition de proposer cette technique aux femmes les plus fertiles [6]. Récemment, les résultats de huit études rando­misées ont été ré-analysés à partir des données individuelles de chaque patiente [11]. Au total, les résultats obtenus chez 683 femmes ayant eu un e-SET deux ou trois jours après une tentative de FIV/ICSI ont été comparés à ceux d’un groupe de 684 femmes chez lesquelles deux embryons ont été transférés (DET) dans les mêmes conditions. Les deux groupes étaient semblables pour les caractéristiques des femmes, l’origine de l’infertilité, les traitements et le suivi. Les e-SET ont conduit à 27% de naissances contre 42% après DET. Les taux de grossesses gémellaires ont été de 2% et 29% ­respectivement, avec un taux d’accouchements avant la 34ème semaine inférieur à 4% après e-SET contre 16% après DET et une proportion d’enfants de poids < 2 500 g de 8% et 24% respectivement à la naissance. Ainsi, d’après les résultats de cette étude multicentrique, l’e-SET diminue les chances d’avoir un enfant mais réduit aussi le risque de ­prématurité. De plus, dans deux des centres participants, il a été également possible d’analyser les résultats du transfert d’un embryon supplémentaire qui avait été congelé dans le groupe e-SET. Dans ce cas, le taux de succès cumulé des naissances était de 38% après e-SET contre 42% après DET, avec 1% et 32% de grossesses gémellaires respecti­vement. Ces résultats montrent que le transfert successif de deux embryons (un immédiatement après la FIV/ICSI et l’autre ultérieurement) est ­pratiquement aussi efficace que le transfert de deux embryons immédiatement après la FIV/ICSI, avec un risque nul de grossesse gémellaire. En France, dans une étude menée à l’hôpital Cochin à Paris, il a été proposé à 151 couples, dont le ­pronostic paraissait très favorable du fait de l’âge de la femme, de sa fonction ovarienne et de ­l’absence d’un nombre élevé de tentatives antérieures, de procéder au transfert d’un seul embryon après la FIV/ICSI quand les critères morphologiques du développement embryonnaire étaient optimaux. Quand les couples refusaient (n=98), deux embryons étaient transférés. Dans cette population très sélectionnée, les taux de naissance ont été très élevés et semblables dans les deux groupes (tableau 2) [12]. Il n’y a pas eu de naissance de jumeaux après le transfert d’un embryon, mais le taux de naissances gémellaires a été de 41,5% après DET, ce qui n’a pas été sans conséquences pour la santé des enfants (tableau 3). Le nombre d’enfants de faible poids de naissance et/ou ayant dû être hospitalisés était ­légèrement plus élevé chez les singletons issus d’un DET que ceux résultant d’un e-SET (tableau 3), mais la différence n’était pas significative. Cependant, il ne peut être exclu que l’environnement utérin était moins favorable en cas de DET puisque, par ailleurs, le taux d’implantation embryonnaire était signifi­ cativement plus faible. Quels critères considérer pour décider du transfert électif d’un embryon ? Depuis les premiers essais d’e-SET, et afin d’opti­ miser les résultats, les équipes concernées ont ­toujours cherché à identifier l’embryon ayant les meilleurs chances de conduire à la naissance d’un enfant en bonne santé afin de le transférer. BEH 23-24 / 14 juin 2011 279 Tableau 2 Issue de grossesses après transfert de 1 ou 2 embryons de bonne qualité chez des femmes sélectionnées (début des tentatives, <35 ans, bonne fonction ovarienne). D’après [12] / Table 2 Pregnancy outcomes after transfer of 1 or 2 high quality embryos in selected women (beginning of attempts at <35 years, good ovarian function). From [12] Nombre d’embryons transférés 1 Nombre de femmes 2 53 98 Nombres de grossesses cliniques 26 (49,1%) 50 (51,0%) Nombre d’accouchements 22 (41,5%) 41 (41,8%) 0 17 (41,5%) Nombre d’accouchements gémellaires Tableau 3 Santé des enfants après transfert de 1 ou 2 embryons de bonne qualité chez des femmes sélectionnées (début des tentatives, <35 ans, bonne fonction ovarienne). D’après [12] / Table 3 Children health after transfer of 1 or 2 high quality embryos in selected women (beginning of attempts at <35 years, good ovarian function). From [12] Nombre d’embryons transférés 1 Type d’accouchement 2 Singleton Singleton Jumeaux Nombre d’enfants 22 24 34 Poids de naissance 1 500 g à 2 500 g 0 4 (16,7%) 15 (44,1%) Poids de naissance <1 500 g 0 1 (4,2%) 3 (8,8%) Score APGAR ≤6 (1 minute) 0 1 (4,2%) 7 (20,6%) Admission en néonatalogie 0 1 10 (29,1%) Enfants mort-nés 1 0 0 Décès néonatal 0 0 1 Quand le transfert a lieu deux ou trois jours après la fécondation, l’évaluation de l’embryon est faite sur des critères morphologiques, facilement ­accessibles à l’observation et qui peuvent être ­standardisés et intégrés dans des scores [6;11-13]. Les caractéristiques des autres embryons doivent aussi être prises en compte : en effet, le fait ­d’appartenir à une cohorte où se trouvent plusieurs embryons réunissant les meilleurs critères morphologiques améliore le pronostic si un seul d’entre eux est transféré [14]. La bonne maîtrise des techniques de congélation peut aussi favoriser le transfert ­électif d’un embryon. En effet, les taux cumulatifs de grossesses et de naissances observés après un e-SET suivi du transfert d’embryons congelés sont similaires à ceux obtenus quand deux embryons sont initialement transférés [6;11;12]. Les embryons les moins aptes à se développer résistant mal à la culture prolongée jusqu’au stade blastocyste, il a été proposé que l’e-SET soit pratiqué 5 ou 6 jours après la fécondation. Une analyse rétrospective des registres australiens et néo-zélandais indique que cette stratégie peut être efficace [13]. Dans l’avenir, il est probable que la mise au point de techniques de vidéo-microscopie en continu pour suivre le développement des embryons dans les enceintes de culture ainsi que de microtechniques permettant de caractériser les propriétés méta­ boliques, transcriptomiques, protéomiques et épi­ 280 BEH 23-24 / 14 juin 2011 génétiques de l’embryon préimplantatoire, permettra d’identifier encore mieux les embryons les plus aptes à se développer normalement. Les critères embryonnaires sont donc essentiels, mais les facteurs féminins jouent aussi un rôle important. La plupart des études comparant les résultats d’e-SET et de DET ont été réalisées chez des femmes de moins de 35 à 37 ans et a priori les plus fertiles car n’ayant pas eu d’échec de FIV ­auparavant [6;11;12]. Parfois, un critère supplé­mentaire d’inclusion était une fonction ovarienne normale évaluée par dosages hormonaux [12]. D’autres critères connus pour améliorer les résultats de la FIV peuvent aussi être pris en compte. Il a été ainsi montré que l’obésité et la consommation de tabac de la femme réduisaient les chances d’obtenir une naissance après le transfert d’un seul blastocyste [15]. Au total, la plus ou moins grande rigueur des ­critères embryonnaires et féminins exigés va ­conditionner la proportion de femmes susceptible de pouvoir bénéficier du transfert électif d’un embryon. En ­l’absence de l’ensemble des données disponibles pour des populations importantes, il est difficile d’estimer précisément le nombre de femmes qui pourraient être concernées. À partir des données disponibles sur les tentatives de FIV réalisées aux États-Unis en 2001, il avait été estimé qu’un e-SET aurait pu être réalisé pour 30% des cycles de traitement cette année là [16]. Les critères peuvent varier d’un centre à l’autre ou d’un pays à l’autre en fonction des expériences, du type de populations traitées et des objectifs de réduction du taux de grossesses multiples [6]. Néanmoins, dans ­certains pays, le transfert d’un seul embryon est la pratique la plus répandue après FIV/ICSI (tableau 4). Des stratégies sont-elles envisageables pour réduire le risque de survenue de grossesses multiples après FIV/ICSI ? Suite aux recommandations professionnelles de réduire le nombre d’embryons transférés qui ont été exprimées depuis le début des années 2000 [17;18], les naissances de trois enfants et plus sont devenues très rares dans la plupart des pays. Cependant, le taux de naissances gémellaires reste encore souvent très élevé comme le montre le bilan européen [3]. La France fait partie des pays à fort taux de ­naissances multiples après FIV/ICSI (tableau 4). Les pays nordiques ont été les premiers à promouvoir à grande échelle le transfert d’un seul embryon, ce qui a entraîné une baisse spectaculaire des naissances multiples sans compromette les taux de naissance qui sont restés similaires à ceux de pays comme la France ou le Royaume-Uni pour des ­populations de femmes d’âge équivalent (tableau 4). Le cas de la Suède est particulièrement intéressant. Au début des années 1990, plus de 70% des transferts y étaient réalisés avec au moins trois embryons et le taux de naissances multiples était supérieur à 30% [19]. En 1993, les centres de FIV suédois ont collectivement et volontairement décidé de réduire le nombre d’embryons transférés de trois à deux. Les naissances triples ont disparu mais le taux de naissances gémellaires est resté très élevé. Sur la base des résultats d’une étude multicentrique qui a démontré l’intérêt de l’e-SET associé au transfert ultérieur d’embryons congelés, la réglementation et les recommandations professionnelles ont évolué, le transfert d’un embryon unique devenant la norme à respecter à partir de 2003, au moins chez les femmes les plus jeunes et de bon pronostic. Cette mesure a abouti à un taux de naissances multiples 4 fois plus faible que dans les autres pays (tableau 4) [19]. Dans certains pays, des considérations éthiques ont été prédominantes dans les choix stratégiques. Ainsi en Italie, il est interdit de féconder plus de trois ovocytes, ce qui réduit les chances d’obtenir un embryon ayant les meilleures chances de se développer, et il est interdit de congeler les embryons, ce qui incite à transférer tous les embryons obtenus (tableau 4). Ce choix et l’âge plus avancé des femmes traitées expliquent très probablement les faibles taux de naissances observés dans ce pays où le taux de naissances multiples est parmi les plus élevés (23,8%) (tableau 4) [3]. Dans d’autres pays, des aspects économiques et sociaux ont été prioritaires. En Belgique, le remboursement de six tentatives de FIV/ICSI, institué à partir de 2003, a été subordonné au transfert d’un seul embryon chez les femmes de moins de 36 ans lors de la première tentative sans prise en compte de la qualité Tableau 4 Activité de fécondation in vitro (FIV) et d’ICSIa dans 6 pays européens en 2006 et nombre d’embryons non congelés transférés. D’après [3] / Table 4 In vitro fertilization (IVF) and ICSIa activity in 6 European countries in 2006 and number of non frozen transferred embryos. From [3] Belgique Finlande France Italie RoyaumeUni Suède 18 18 102 202 70 14 Nombre de cycles de traitement b 15 547 4 655 50 776 32 821 31 668 9 496 Taux de transferts d’un embryon 49,2% 54,7% 20,0% 18,7% 11,6% 69,3% Taux de transferts de ≥3 embryons 8,8% 0,3% 16,7% 50,9% 4,8% 0 Taux d’accouchements 18,5% 21,2% 19,7% 12,6% 26,1% 24,6% Taux d’accouchements >1 enfant 13,4% 12,0% 20,6% 23,8% 23,8% 5,8% Nombre de centres FIV Nombre de cycles de traitement b 3 619 2 770 20 409 7 429 15 530 4 917 % cycles pour des femmes <35 ans ND c 54,8% 52,6% 36,7% 39,4% 46,8% % cycles pour des femmes ≥40 ans ND 12,6% 14,4% 23,6% 17,6% 12,7% 15 547 1 885 30 367 25 392 16 138 4 579 % cycles pour des femmes <35 ans ND 58,2% 59,8% 38,2% 45,7% 55,0% % cycles pour des femmes ≥40 ans ND 9,5% 10,9% 23,9% 14,6% 8,8% ICSI Nombre de cycles de traitement b a Intra Cytoplasmic Sperm Injection. b Les cycles de traitement correspondent c Non déterminé. à des cycles avec prélèvement d’ovocyte. embryonnaire [6]. Cette mesure, qui était basée sur l’hypothèse que les dépenses engagées pour le ­remboursement seraient largement compensées par les économies induites par la diminution des ­naissances multiples, a été relativement efficace (tableau 4). Plusieurs études ont évalué les ­conséquences financières de stratégies de transferts embryonnaires en appréciant aussi les soins ­procurés à plus ou moins long terme aux enfants en cas de grossesses multiples ou non. Elles confirment en général que le meilleur rapport coût/efficacité est obtenu en pratiquant un e-SET suivi de transferts d’embryons congelés chez les femmes de bon ­pronostic [20]. Récemment, une étude finlandaise a comparé de manière rétrospective les conséquences financières de politiques de transferts électifs d’un embryon unique ou de deux embryons. Cette étude a trouvé que l’e-SET entraînait une économie de 19 889 euros par naissance vivante à terme, et que si l’analyse incluait le coût des soins pédiatriques et maternels de la période néonatale, l’économie ­s’élevait à 36 889 euros [21]. À partir des résultats acquis dans une unité de soins intensifs à Montréal, il a été estimé que l’application d’une politique ­d’e-SET à l’ensemble du Canada éviterait 729 admissions en soins intensifs, 35 220 journées d’hospitalisation et 30 décès d’enfants, et permettrait d’économiser 40 millions de dollars chaque année [7]. Enfin, la stratégie à adopter pour le transfert des embryons après FIV/ICSI ne peut ignorer l’attitude des médecins et des patients. Si un nombre croissant de praticiens pensent qu’il est souhaitable de réduire les taux de grossesses multiples consécutifs à l’AMP, d’autres pensent qu’il faut encourager les grossesses gémellaires pour satisfaire le plus rapidement ­possible le désir de femmes de plus en plus âgées et infertiles d’avoir plusieurs enfants [22]. Les couples infertiles sont d’ailleurs plus enclins à ­accepter les risques des grossesses multiples que les couples fertiles [23]. Cependant, ils ne sont pas ­toujours bien informés des risques et leur attitude, qui est très influencée par celle des équipes médicales, peut évoluer rapidement [24]. Conclusion Il existe maintenant de nombreux arguments démontrant que le taux de grossesses multiples et leurs inconvénients pour la femme et pour l’enfant peuvent être réduits après FIV/ICSI. La prise en compte attentive des situations cliniques des femmes et des caractéristiques morphologiques et évolutives des embryons, associée à des techniques efficaces de congélation embryonnaire, permet ­d’obtenir des taux très élevés de naissances après transfert d’un seul embryon. Le transfert d’un embryon unique après FIV/ICSI tend à devenir la norme, au moins chez les femmes les plus jeunes et les plus fertiles. Références [1] Antoine JM, Audebert A, Avril C, Belaisch-Allart J, Blondel B, Bréart G, et al. Traitements de la stérilité et grossesses multiples en France : analyse et recommandations. Gyn Obst Fertil. 2004;32(7-8):670-83. [2] Adashi EY, Barri PN, Berkowitz R, Braude P, Bryan E, Carr J, et al. Infertility therapy-associated multiple ­pregnancies (births): an ongoing epidemic. Reprod Biomed Online. 2003;7(5):515-42. 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