Comorbidité addicitive des troubles bipolaires S139
L’étude NESARC a également pris en considération
divers facteurs confondants, comme les données socio-
démographiques ou d’autres comorbidités psychiatriques.
Les chiffres obtenus montrent que même en tenant compte
de ces facteurs, la comorbidité entre addiction et trouble
bipolaire reste très importante (Tableau 2).
Malgré la fréquence de la comorbidité, celle-ci est dif-
fi cile à dépister, comme l’a montré une étude récente [1]
faisant état de 50 % d’erreur ou d’absence de diagnostic.
Dans cette étude ont été inclus 295 hommes admis pour
traitement d’un abus de substance, dont 85 présentaient
un trouble bipolaire (critères du DSM IV). Sur ces
85 patients, 42 (49 %) avaient un diagnostic non connu, 6
(7 %) n’avaient jamais été évalués, et 36 (42 %) avaient
reçu d’autres diagnostics par erreur : 28, soit 33 %, un épi-
sode dépressif majeur ; 7, soit 8 %, un ADHD, et 1 (1 %) un
trouble panique.
Les addictions comorbides repérées chez ces sujets
bipolaires étaient l’abus d’alcool dans 62 % des cas, de
cocaïne dans 38 % des cas, d’opiacés dans 26 %, des mélan-
ges dans 12 %, et des sédatifs dans 2 % des cas. Les autres
comorbidités psychiatriques étaient le PTSD (14 %), l’ADHD
(10 %), le trouble panique (2 %), et le trouble anxieux géné-
ralisé (2 %).
Ainsi chez les sujets dépendants, le diagnostic de trou-
ble bipolaire n’est pas porté dans près d’un cas sur deux, et
réciproquement chez les patients bipolaires, les troubles
addictifs sont souvent non diagnostiqués.
En résumé, il existe une comorbidité massive (40 %)
entre trouble bipolaire et addiction, mais celle-ci est peu
et mal repérée. Elle apparaît plus importante en popula-
tion clinique qu’en population générale, concerne plus les
patients bipolaires de type I que ceux de type II, concerne
plus les drogues que l’alcool, plus la dépendance que
l’abus. Elle apparaît plus souvent indépendante que secon-
daire, et serait à 50 % « expliquée » par des troubles psy-
chiatriques associés.
De nombreuses études ont évalué le retentissement de
cette comorbidité sur l’évolution et sur la prise en charge
du trouble bipolaire (Tableau 3).
On retrouve ainsi chez les bipolaires présentant un alcoo-
lisme comorbide, comparativement aux bipolaires non
addicts, plus d’antécédents familiaux d’alcoolisme, plus de
recherche de nouveauté, d’agressivité, d’impulsivité, un âge
de début plus précoce (20 ans vs 26 ans), plus de manies dys-
phoriques et d’états mixtes, plus de cycles rapides. La sévé-
rité des symptômes est plus élevée, de même que le risque
suicidaire ; les épisodes sont plus longs, avec un plus grand
nombre de cycles, et des périodes d’euthymie plus brèves.
Les passages à l’acte sont plus fréquents, l’observance thé-
rapeutique est de moins bonne qualité, et la réponse théra-
peutique plus faible, mais aussi plus spécifi que.
La comorbidité addictive forme l’un des trois principaux
facteurs pronostiques de l’évolution à 15 ans du trouble
bipolaire [3].
Étiologies de la comorbidité
L’une des explications possibles de la comorbidité est que
l’addiction serait un symptôme des troubles bipolaires. Une
autre hypothèse fait de l’addiction une tentative d’auto-
médication du trouble bipolaire. Une troisième hypothèse
considère que l’addiction provoque le trouble bipolaire ; et
enfi n la quatrième hypothèse suggère que l’addiction et les
troubles bipolaires partagent des facteurs de risques com-
muns (Fig. 1).
Tableau 2 Risque des problèmes d’alcool chez les sujets avec trouble bipolaires (NESARC) (d’après 4)
Ors pour les problèmes d’alcool (prévalence à 12 mois), ajustés pour les caractéristiques suivantes :
Socio-démographiques Comorbidité psychiatrique
Problèmes Abus Dépendance Problèmes Abus Dépendance
EDM 1,8 1,3 2,1 1,3 1,2 1,3
BP Type I 2,7 1,1 4,0 1,5 0,8 1,9
BP Type II 2,1 0,9 3,1 1,5 0,7 2,0
Tableau 3 Retentissement de la comorbidité (d’après 7, 9)
• 300 bipolaires I & II traités
– Stanley Foundation
• Identique BP I & II
• BP avec comorbidité
– ADD + précoce (20 vs 26)
– Age d’hospitalisation idem (30)
– Plus de cycles
– Cycles plus sévères
– Plus d’antécédents familiaux d’alcoolisme
• 13 % attendu (ECA)
• 30 % à 40 % de l’ensemble des patients BP I
• 60 % des BP traités
• 25 % ont 3 troubles
– Plus de risque suicidaire
– Plus d’épisodes mixtes > dépressifs > maniaques
– EDM plus long
– Temps avant rémission plus long
– Moins bonne réponse aux thymorégulateurs