« Œdipe Tyran » (d’après Sophocle, Hölderlin et Heiner Müller) dans la mise
en scène de Matthias Langhoff s’est achevé hier à l’Opéra-Théâtre. C’est une
pièce avec laquelle le metteur en scène vit et voyage. Hier en Allemagne, puis à
Barcelone, à Kaboul, aujourd’hui à Saratov en Russie. L’errance est le propre de
cet homme né à Zurich durant l’exil de ses parents antinazis, grandi en Allemagne
de l’Est, aujourd’hui naturalisé français et metteur en scène apatride. « Œdipe
Tyran » est pour lui comme une valise toujours prête pour le départ. « Le
texte de la pièce est toujours le même, il est universel. Mais les spectacles sont
complètement différents selon les théâtres où ils sont joués. Via cette pièce, je
peux découvrir des lieux qui me sont inconnus. Peu importe l’endroit, à chaque
fois je la retrouve sous un jour différent. En montant cette pièce, je comprends
la manière de vivre des pays à travers les publics qui la regardent. À Saratov
en Russie, à Kaboul en Afghanistan. C’est pour moi fantastique. À Saratov, j’ai
vécu dans cette ville au bord de la Volga avec tous ses problèmes. Tout ce que
je vois, tout ce que je ressens, c’est dans le spectacle. Un des choristes chante
du rap, ce genre de musique est très populaire en Russie. Il ne faut pas oublier
que les Russes aiment chanter. « Œdipe Tyran » n’est pas une actualisation d’un
temps ancien, il raconte notre propre époque, notre propre vie. Ici à Metz, j’ai
rencontré des spectateurs bouleversés qui disaient avoir envie d’aller à Saratov.
Le théâtre est une fenêtre sur le monde ».
Avant de nous faire voyager, Langhoff est allé lui-même aux sources de la
pièce. « Pour effectuer mes recherches sur Œdipe, j’ai fait le voyage à Thèbes.
J’étais très frappé par cette ville perdue dans le monde, oubliée de tous. Dans
la montagne là-bas, la vie est très pauvre. Je crois que c’est le seul lieu en
Grèce où il n’y a même pas de cafés. Les gens sont très éloignés de toutes les
polémiques politiques et monétaires. Ils sont dans leur petit monde. C’est un
peu la même chose à Kaboul et à Saratov. Comme Œdipe ils doivent quand
même régler les problèmes de leur propre vie ».
Le spectacle commence et finit par des enfants, Matthias prenant à la lettre
la première réplique de la pièce : « Enfants de Cadmos, que demandez-vous,
portant des rameaux… ». « Les enfants sont les premiers destinataires de la
pièce, ce qui donne un sens au fait de la jouer. Ils sont les premiers citoyens du
monde. L’avenir est là. Pendant l’élaboration du spectacle, nous avons visité une
classe et choisi douze élèves. Nous avons travaillé la pièce avec eux, observé leur
regard, leur écoute. Le groupe des enfants est devenu un personnage principal
de la pièce. Il fallait vraiment qu’ils soient présents dans la représentation. Ce
ne sont pas des enfants quelconques. Ils ont la même valeur que l’acteur qui
joue Œdipe ou l’actrice qui joue Jocaste. Je pense que le temps, où il faut faire
semblant d’être amis pour avoir des bons rôles de théâtre, est fini ».
Pas facile de trouver à
Metz un (e) interprète
traduisant directement
du slovène en français.
Plus aisé de trouver
quelqu’un parlant serbe
et français. Comme la
plupart des acteurs de la
troupe slovène du théâtre
Mladinsko parlent le
serbo-croate, c’est dans
cette langue que s’est
déroulée la rencontre
avec le public à l’issue de
la seconde représentation
de « Maudit soit le
traite à sa patrie !»
(titre qui reprend une
phrase du défunt hymne
yougoslave). Lors des
séances d’improvisations,
c’était aussi la langue
commune des acteurs avec
leur metteur en scène né
en Bosnie et vivant le plus
souvent à Zagreb, Oliver
Frljic. La Slovénie est un
petit pays (deux millions
d’habitants) mais on y
compte onze théâtres
permanents, avec chacun
sa troupe. Et le football ?
Contre une équipe serbe,
ils soutiennent l’équipe
slovène, mais si l’Etoile
de Belgrade affronte le
Bayern de Munich, ils
espèrent une victoire
serbe.
Sophie est tétanisée. Elle sort tout juste de « Maudit
soit le traître à sa patrie ! », le spectacle joué par la
troupe slovène du théâtre Mladinsko de Ljubljana.
Le regard un peu hagard en s’échappant du théâtre
du Saulcy, elle avoue être un peu déboussolée. « Je
pense que j’ai adoré, mais il va me falloir au moins
deux heures pour m’en remettre. La pièce est très
courte, tout s’enchaîne très vite. Les coups de feu,
les acteurs qui insultent le public et qui s’insultent
entre eux. C’est aussi violent qu’intelligent. Toute
la mise en scène dénonce la délation et l’hypocrisie
qui sévissaient en Yougoslavie dans les années 90.
Certains peuvent trouver ça vulgaire, choquant voire
complètement brillant. Personne ne peut rester
indifférent. Les artistes se dénudent devant tous
les spectateurs, sans aucune pudeur. Ils se drapent
ensuite avec les anciens drapeaux de la Yougoslavie,
s’enlacent, rient, puis se tirent dessus. Le cynisme est
total. On ne peut pas distinguer le comédien de l’être
humain, tout se confond, se mélange. On ne sait pas
s’ils jouent un rôle ou s’ils sont sincères. Les artifices
de ce théâtre de combat, permettent de montrer de
manière très crue certaines vérités ».
« Personne ne peut rester indifférent »
Plusieurs fois au cours du spectacle « Maudit soit le
traître à sa patrie ! », les acteurs s’adressent vertement
au public. Et à un moment, un acteur ayant tué
tous les autres, abandonne la langue slovène pour
s’adresser au public français en anglais, langue de
communication internationale (c’est aussi sous-titré
en français). Tout y passe : la lâcheté des militaires
français à l’heure de Srebrenica, les complicités
françaises au Rwanda, la continuité de Sarkozy à
Hollande en matière de retour aux pays des Roms et
des Maliens... Les invectives, les accusations changent
selon le pays où le spectacle est joué. Pas un pays sans
sa part d’ombre.
À chaque pays son lot d’invectives
Entretien avec Matthias Langhoff :
Œdipe travel agency
Questions
d’identités
Bulletin n°8 - samedi 11 mai 2013 -