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de saisir la médiation du passé comme le siège de potentielles inflexions, accentuations,
rythmiques ou encore tonalités toujours renouvelées par un travail créatif propre au discours
publicitaire, mais dans le même mouvement, ancrée dans une reconnaissance de ses formes
sédimentées dans le temps long. Parler de prosodie du passé, c’est donc mettre l’accent sur la
trivialité3 de ses modalités symboliques à travers sa médiation publicitaire.
Cette prosodie devient le siège de croyances d’un certain savoir du passé,
constamment disséminées par la médiation ordinaire qu’est le discours publicitaire. Le
discours publicitaire est en effet un objet d’une banalité désarmante, qui « glisse ainsi autour
de nous, comme nous glissons le long de nos meubles, de nos pièces »4. De cette
omniprésence découle un double sentiment d’évidence : évidence de la publicité, qui à force
de répétition, disparaît par son trop-plein de présence ; évidence aussi de son imagerie, qui
recourt à notre culture et vient dans ce geste constant naturaliser ses représentations. Nous
considérons avec Baudrillard que la publicité est un « effecteur d’idéologies »5, qui se fonde
sur la « selffulfilling prophecy (la parole qui se réalise par sa profération même) […] l’art de
rendre les choses vraies en affirmant qu’elles le sont »6. Dans cette perspective, en tant que
tiers-médiateur du passé, le discours publicitaire devient un « système symbolique
sanctionné »7 du passé, c'est-à-dire qu’il consiste à « attacher à des symboles (à des
signifiants) des signifiés (des représentations, des ordres, des injonctions ou incitations à faire
ou à ne pas faire, des conséquences – des significations, au sens lâche du terme) et à les faire
valoir comme tels, c’est-à-dire à rendre cette attache plus ou moins forcée pour la société ou
le groupe considéré »8. Cela nous conduit à interroger la force médiationnelle du discours
publicitaire à travers sa capacité à faire d’une catégorie phénoménologique le levier de
croyances culturelles naturalisées, et formuler notre problématique de la manière suivante :
3 La notion de trivialité est ici entendue au sens défini par Yves Jeanneret, à savoir en son sens étymologique (du
latin trivium qui signifie carrefour) et non axiologique. Elle désigne « le fait que les objets et les représentations
ne restent pas fermés sur eux-mêmes mais circulent et passent entre les mains et les esprits des hommes » et
« suggère que ces objets s’enrichissent et se transforment en traversant les espaces sociaux. Et même qu’ils
deviennent culturels par le fait même de cette circulation créative. » Jeanneret, Yves, Penser la trivialité. La vie
triviale des êtres culturels, Hermès-Lavoisier, Paris, 2008, p. 14
4 Barthes, Roland, « Société, imagination, publicité », Œuvres complètes. Tome 3, Seuil, Paris, 2002, pp. 60-72,
p. 62
5 Baudrillard, Jean, Pour une critique de l’économie politique du signe, Gallimard, Paris, 1972, p. 207
6 Baudrillard, Jean, La Société de consommation, ses mythes, ses structures, Gallimard, Paris, 1970, p. 197.
L’auteur souligne.
7 Castoriadis, Cornelius, L’Institution imaginaire de la société, Seuil, Paris, 1975, p. 174
8 Ibid., pp. 174-175