yeux bleus). De la même manière, les causes des difficultés d'un enfant dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture (dyslexie) sont très controversées. Plusieurs thèses s'affrontent, privilégiant chacune un point de vue particulier. Pour les neurologues, la dyslexie serait le résultat d'une mauvaise latéralisation cérébrale, rendant difficile l'intégration des messages à cause d'un excès de circulation dans les circuits nerveux entre les deux zones cérébrales — et donc d'une perte de temps. Pour les psychanalystes, la dyslexie serait un symptôme psychique comme un autre, lié à la problématique relationnelle inconsciente avec l'entourage, véhiculée par le langage. Pour les pédagogues, elle serait due à l'inadaptation de certains enfants à une méthode éducative donnée (la fameuse «méthode globale »). Çhacune de ces thèses rend plus ou moins compte d'une partie des phénomènes en cause. Elles se situent sur des plans différents qui finalement ne devraient avoir aucune raison de s'exclure mutuellement, ce que font pourtant les différentes « écoles » avec parfois beaucoup de virulence. La théorie la plus controversée actuellement est celle de l'Américain Norman Geschwind, selon làquelle les gauchers seraient victimes d'une malformation congénitale liée à un manque de testostérone, une hormone mâle présente dans les deux sexes, au moment de la formation du foetus. Cette hormone jouerait :selon lui un rôle déterminant dans la spécialisa- ei 'fion de la zone du langage de l'hémisphère gauche. Une thèse décourageante pour les gauchers, chez qui les problèmes d'adaptation Paul McCariney Or les gauchers réussissent aussi bien que les à un monde droitier ne seraient plus simplement d'ordre pratique mais physiologique. Et droitiers dans les activités intellectuelles faidésespérante pour les dyslexiques qui de- sant appel aux capacités langagières. Mieux vraient renoncer à tout espoir de guérison, nombre d'entre eux, sans doute grâce au travail même chimiqtie, puisque les carottes sont cui- intérieur considérable qu'ils ont dû accomplir pour surmonter les obstacles en tout genre de la tes dès la naissance. vie quotidienne, acquièrent une virtuosité intellectuelle, voire manuelle, que bien des droitiers pourraient leur envier. Quant à la dyslexie, elle est actuellement réversible dans de nombreux cas — ce qui suffirait à démontrer les limites des thèses fondées exclusivement sur l'hérédité, si les tenants de ces thèses ne décidaient, chaque fois qu'ils sont mis en présence d'un dyslexique guéri, qu'il ne s'agit pas d'une « vraie » dyslexie. « Mes dossiers sont pleins de vrais dyslexiques qui sont devenus de faux dyslexiques après guérison. Selon quels critères peut-on décider qu'un sujet présentant tous les symptômes de la dyslexie est un "vrai" ou un "faux" dyslexique (2) ? » On serait tenté de voir dans cette biOlogisation à outrance une résurgence masquée de la vieille domination « droitière » sur le monde des gauchers. « Supposer que les hormones détermineraient à elles seules le fonctionnement d'une activité aussi complexe que le langage revient à dire qu'une voiture roule grâce à l'essence qu'elle consume en oubliant l'action du conducteur (2). » Nous parlons avec notre langue, notre respiration, notre pharynx, notre oreille, nos neurones, nos hormones, mais aussi avec notre Mémoire, notre histoire personnelle, notre ca- pacité d'organiser les phénomènes en mots et en phrases, notre affectivité... Où se localise dans le cerveau la capacité d'intégrer toutes ces données ? Cette question a-t-elle même un sens ? Descartes avait émis l'hypothèse que la glande pinéale était le lieu de rencontre de l'esprit et du corps. Vieux mythe de la localisation de l'âme, qui resurgit toujours dans de nouveaux avatars... Aujourd'hui, Descartes se demanderait sans doute si l'âme est située dans l'hémisphère cérébral droit ou gauche ! Après tout, on pourrait imaginer que l'Univers est né le jour où Dieu, renonçant à Sa divine symétrie, est devenu droitier... ou gaucher. CATHERINE DAVID • • LES GAUCHERS CÉLÈBRES Hans Christian Andersen (1805-1875), écrivain danois, auteur de « Contes ». Robert Baden-Powell (1857-1941), général anglais qui fonda le scoutisme. Ludwig van Beethoven (1770-1827), compositeur allemand. Otto von Bismarck (1815-1898), homme d'Etat allemand. I Lewis Carroll (1832-1898), écrivain et logicien anglais. Charlie Chaplin (1889-1977), acteur et cinéaste anglais. Raoul Dufy (1877-1953), peintre français. Benjamin Franklin (1706-1790), physicien, philosophe, homme d'Etat américain. Frédéric II le Grand (1712-1786), roi de Prusse. Goethe (1749-1832), écrivain allemand. Heinrich Heine (1797-1856), écrivain allemand. Jimi Hendrix (1945-1970), guitariste et chanteur noir américain. Hans Holbein le Jeune (1497/98-1543), peintre allemand. Léonard de Vinci (1452-1519), artiste et savant italien. Paul McCartney (1942), chanteur anglais. Michel-Ange (1475-1564), sculpteur et peintre italien. Horatio Nelson (1758-1805), amiral anglais. Friederich Nietzsche (1844-1900), philosophe allemand. Niccolo Paganini (1782-1840), violoniste et compositeur italien. Robert Schumann (1810-1856), pianiste et compositeur allemand. Zadig, héros du conte de Voltaire « Zadig ou la Destinée » (1747). Source : « la Gauche et la Droite », par Wilma Fritsch, chez Flammarion. Caroline Brizard • NOTRE EPOCiUE/ LE NOUVEL OBSERVATEUR 41