COMMENT LIMITER LA TRANSFUSION 355
RECUPERATION PERI-OPERATOIRE DU SANG
P. Lefèvre, Service d’Hémaphérèse et d’Autotransfusion, Hôpital de la Conception,
147 Boulevard Baille, 13385 Marseille Cedex 5.
INTRODUCTION
La récupération de sang péri-opératoire (RPO) est une technique d’autotransfusion
qui consiste à transfuser un patient avec du sang recueilli dans le champ opératoire ou
dans un système de drainage. Le sang autologue ainsi recueilli peut être transfusé après
simple filtration (récupération sans lavage) ou bien après un recyclage qui comporte,
outre la phase de filtration, une étape de concentration et de lavage (récupération avec
lavage).
Le concept de RPO n’est pas nouveau. Négligé du fait du développement de la trans-
fusion homologue, son intérêt a été réévalué au cours de ces trente dernières années :
d’abord dans la chirurgie de guerre, puis pour passer le cap difficile des années 80.
Cette
technique, dans ces deux aspects, fait partie maintenant de l’arsenal thérapeutique trans-
fusionnel moderne. Elle contribue à l’amélioration de la qualité en transfusion sanguine,
à l’économie de dérivés sanguins homologues. Elle doit être mise en œuvre dans le
respect des textes en vigueur.
1. TECHNIQUES DE RECUPERATION DU SANG EPANCHE
1.1. RECUPERATION SANS LAVAGE
1.1.1. PRINCIPE
Le sang récupéré est transfusé au patient après filtration.
1.1.2. MATERIEL
Cette approche technique de la récupération peropératoire peut se décliner de plu-
sieurs façons en fonction du matériel utilisé.
Certains récupérateurs sont du type système de Sorenson. Ils sont composés d’une
enceinte rigide, réutilisable, dans laquelle s’adapte une poche filtrante à usage unique.
La capacité est comprise entre un et deux litres. D’autres sont des containers semi-
rigides d’une capacité de 500 mL en général. Ils sont entièrement à usage unique. Certains
systèmes sont plus spécifiques de la récupération péricardique car la dépression est
régulée.
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D’autres ont une pompe autonome qui assure l’aspiration en continue grâce à une
pompe péristaltique, réglable et asservie en vitesse (0 à 100 mL.min-1) et en dépression
(- 100 à + 50 mmHg). Elle peut être adaptée à l’importance du saignement.
1.1.3. AVANTAGES, INCONVENIENTS, LIMITES
1.1.3.1. Avantages
La simplicité de mise en œuvre et d’utilisation, l’investissement initial faible ou
nul, un coût de fonctionnement raisonnable, sont régulièrement soulignés par les utili-
sateurs. Pour ce dernier point, une analyse financière objective doit prendre en compte
le fait que pour un même malade plusieurs usages uniques sont parfois nécessaires, ce
qui engendre des coûts de fonctionnement supérieurs à ceux de la récupération avec
lavage.
Ces systèmes permettent de réduire la transfusion des dérivés sanguins homolo-
gues. Le produit transfusé est en général bien toléré. Les constantes érythrocytaires
sont normales, des altérations morphologiques mineures sont observées [1]. Cepen-
dant, des modifications des paramètres biologiques explorant l’hémolyse et la coagulation
sont régulièrement signalées chez les patients autotransfusés [2, 3, 4, 5].
1.1.3.2. Inconvénients Limites
En peropératoire, la méthode est insuffisante lors d’interventions très hémorragiques :
saignements trop abondants ou trop rapides
. La capacité de 500 mL de certains systè-
mes peut être insuffisante au cours d’un accident hémorragique grave. Afin de réduire
l’hémolyse mécanique, il est nécessaire d’aspirer le sang épanché avec une dépression
basse. Cette contrainte n’est pas compatible avec des phases de saignement à fort débit.
En postopératoire, le problème du débit se pose rarement ou bien conduit très vite à
une réintervention pour hémostase. La durée de récupération conditionne la tolérance
de la transfusion sans lavage. Les incidents observés sont pour l’essentiel de type
frissons, hyperthermie et éventuellement hypotension. Lorsque le sang est recueilli
pendant plus de 6 h et réinfusé sans lavage, 22 % des patients présentent les signes
précédemment décrits [6].
1.2. RECUPERATION AVEC LAVAGE
1.2.1. PRINCIPE
Le premier temps de cette technique est identique à celui de la récupération sans
lavage. Le mélange, sang récupéré anticoagulant, est stocké dans un réservoir équipé
d’une chaussette filtrante de 120 à 180 µm. Ce produit filtré sera ensuite traité. La
centrifugation est utilisée pour concentrer le produit brut. Le lavage utilise du sérum
physiologique ou du Ringer Lactate®. Le produit final est stocké dans une poche sou-
ple. La transfusion au patient se fait par gravité.
1.2.2. MATERIEL
Les machines disponibles pour réaliser ce type de recyclage sont toutes dérivées de
séparateurs de cellules par centrifugation utilisés pour le prélèvement de cellules san-
guines dans le cadre d’aphérèses de dons ou d’aphérèses thérapeutiques. Le mode de
fonctionnement en phases successives, flux discontinu, est le plus répandu. Un fabri-
cant propose depuis peu un récupérateur qui réalise la concentration et le lavage du
sang en mode continu. Depuis 1974, les progrès de la technologie ont permis d’auto-
matiser les procédures, tout en améliorant la sécurité et la qualité du recyclage.
Parallèlement, l’évolution s’est faite vers des machines moins encombrantes et facile-
ment transportables.
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1.2.3. AVANTAGES INCONVENIENTS LIMITES
1.2.3.1. Avantages
La méthode est utilisable aussi bien en urgence que pour les interventions réglées.
La récupération reste efficace quelle que soit la gravité de l’accident hémorragique. Le
temps de recyclage, pour un culot de 230 mL, varie de 2 à 15 minutes, il dépend du
matériel utilisé, de l’importance du saignement et du volume de lavage (un litre en
général).
La RPO permet de produire des concentrés d’hématies dont le taux d’hématocrite
varie entre 40 et 65 %. Le volume de chaque concentré est connu et sa faible viscosité
permet une transfusion à débit élevé. Il existe des anomalies morphologiques mineures
des hématies après concentration lavage [5], qui disparaissent après micro-filtration.
La durée de vie des hématies lavées est comparable à celle du sang conservé. Le
2-3 DPG est normal ou plus élevé que pour le sang conservé, le recyclage élimine les
cellules les plus âgées [5]. L’hémoglobine plasmatique est abaissée par le lavage.
Les protéines et les facteurs activés de la coagulation sont éliminés au cours du
recyclage. L’héparine est éliminée en quasi-totalité. Pour de nombreux auteurs, les per-
turbations de l’hémostase après RPO avec lavage sont absentes ou mineures, transitoires,
et sans conséquences cliniques néfastes. Le lavage élimine les microagrégats cellulai-
res ainsi que la quasi-totalité des substances récupérées avec le sang épanché. Seules
les catécholamines ne sont pas éliminées de façon satisfaisante.
Le risque infectieux est régulièrement documenté par les utilisateurs de la RPO
avec ou sans lavage. Ezzedine et coll [7], dans une étude portant sur 401 patients, con-
cluent que la RPO ne représente pas un risque infectieux supplémentaire en chirurgie
cardiaque. Au cours de 29 transplantations hépatiques, Kang et coll [8] étudient la con-
tamination bactérienne du sang récupéré et ses conséquences éventuelles pour les
patients. Les auteurs remarquent que dans un tiers des cas la contamination a pour
origine la peau du patient ou l’air ambiant. En outre, pour les cultures positives, les
colonies sont peu nombreuses, ce qui explique probablement l’absence de conséquen-
ces pour les patients.
1.2.3.2. Inconvénients limites
La technique nécessite un investissement initial pour l’acquisition du récupérateur
de sang. Le coût de fonctionnement, qui correspond pour l’essentiel à l’usage unique
utilisé pour chaque procédure, est souvent considéré comme supérieur à celui de la
récupération sans lavage. Cela n’est pas toujours à une réalité. L’utilisateur doit subir
une formation. Les aides informatisées, dont sont équipées les nouvelles générations de
récupérateur, facilitent la mise en œuvre des différents systèmes.
L’élimination du plasma et des fractions coagulantes, prévient vraisemblablement
certains troubles de la coagulation, mais en revanche expose à un risque de dilution
extrême de ces fractions. La conduite à tenir est la même que celle imposée par la
récupération sans lavage ou la transfusion homologue : la substitution sera guidée par
la surveillance clinique et biologique du patient.
2. CARACTERISTIQUES DU SANG RECUPERE
Les données rapportées dans ce chapitre concernent des analyses faites sur du sang
recueilli à la période per- ou postopératoire avant concentration lavage.
2.1. TAUX D’HEMATOCRITE ET POIDS D’HEMOGLOBINE
Le poids d’hémoglobine est en général bas 70 à 90 g.L-1 [1, 5]. Selon les études,
l’hématocrite se situe entre 19 et 27, il est le reflet de l’hémoglobine circulante du
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patient. Cet hématocrite est généralement plus bas en chirurgie cardiovasculaire car le
circuit extra-corporel hémodilue le patient.
2.2. PLAQUETTES
Le nombre de plaquettes contenues dans le sang récupéré est en général inférieur à
100 g.L-1 [3, 5]. Leur aspect morphologique et leur valeur fonctionnelle sont diverse-
ment appréciés dans la littérature. Pour Wilson et coll [5], elles sont dégranulées. Pour
d’autres auteurs [9], les plaquettes sont activées de façon irréversible.
2.3. LEUCOCYTES
Le nombre ainsi que les fonctions leucocytaires ont été très peu étudiés. Le système
d’aspiration endommage les cellules présentes dans le sang récolté, et le phénomène
est responsable ultérieurement de la formation d’agrégats leucocytaires dans les cir-
cuits. Ces agrégats sont susceptibles d’être véhiculés dans la circulation générale, et
d’être en particulier trappés au niveau des poumons. Les globules blancs agressés peu-
vent en outre activer les plaquettes ainsi que les facteurs de l’hémostase et de la
fibrinolyse.
2.4. HEMOGLOBINE LIBRE
Dans toutes les études, l’hémolyse du sang autologue recueilli est notée. L’hémo-
globine libre est très élevée : les poids évoluent, en cours d’intervention de 2,60 g.L-1 à
4,30 g.L-1, en moyenne [3].
Pour les patients autotransfusés, cela se traduit par une
augmentation importante de l’hémoglobine libre (0,6 g.L
-1
) qui se normalise en 4 heures
pour Clifford et coll [2] et en 24 heures pour d’autres auteurs [3]. Ils signalent un cas
d’insuffisance rénale. Des hémoglobinuries transitoires sont rapportées.
2.5. FACTEURS DE LA COAGULATION
Malgré l’anticoagulation éventuelle du dispositif, les facteurs plasmatiques de
l’hémostase sont toujours consommés au cours de l’interface sang/matériaux ou du
contact air/sang. Les produits de dégradation de la fibrine (PDF) et les D-Dimères sont
augmentés [2, 5, 10], traduisant une activation de la coagulation et un début de fibri-
nolyse. Lors de la transfusion sans lavage du sang recueilli, une élévation progressive
des PDF après autotransfusion, est souvent signalée. Des taux compris entre 40 et
160 mg.L-1, considérés comme pathologiques, peuvent être atteints, sans pour autant
être associés à une coagulopathie [3, 2]. Il n’existe pas d’informations précises sur la
dose seuil susceptible de déclencher ce type d’accident. L’étude de Fuller et coll [10]
retrouve une corrélation entre l’importance des perturbations du bilan de coagulation
du patient et le volume de sang non lavé autotransfusé. Les anomalies se corrigent en
24 heures. Malgré l’absence de conséquences cliniques, les auteurs conseillent de réin-
jecter de faibles volumes.
2.6. PRODUITS INFLAMMATOIRES
Ouriel et coll [4] ont montré l’activation du système du complément sur du sang
récupéré en peropératoire, les fractions C3a et C5a sont augmentées comme les com-
plexes terminaux, le C5 est abaissé. Cette activation survient malgré l’utilisation du
citrate comme anticoagulant qui, contrairement à l’héparine, inhibe cette réaction. Le
lavage du sang élimine les fractions activées du complément [11].
2.7. AUTRES SUBSTANCES
D’autres substances chimiques ou biologiques récupérées avec le sang épanché
représentent un risque potentiel de complications.
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Selon la spécialité chirurgicale, le sang récupéré peut contenir des lipides en grande
quantité, du méthyl-méthacrylate utilisé pour cimenter les prothèses, parfois des
métaux lourds lorsqu’il s’agit d’une métallose, des catécholamines, du liquide d’ascite
ou amniotique. Ces substances sont en général correctement éliminées par le lavage
sauf les catécholamines.
Les solutions antibiotiques peuvent être récupérées avec le sang épanché, des
concentrations toxiques peuvent être atteintes de façon transitoire.
3. MAINTENIR UNE QUALITE AUTOTRANSFUSIONNELLE
Au début des années 80, le seul fait d’utiliser du sang autologue représentait une
amélioration considérable de la transfusion. Depuis, la qualité des dérivés sanguins
homologues a fait des progrès importants. Les enjeux pour la RPO sont de fabriquer un
concentré d’hématies de qualité, de respecter la réglementation (contre-indications,
contrôles de qualité), d’être intégrée dans des démarches protocolaires et ou straté-
giques associant plusieurs alternatives transfusionnelles dans le but de réduire l’utilisation
des dérivés sanguins homologues tout en respectant la sécurité des patients.
3.1. QUELLE TECHNIQUE ET COMMENT FAIRE ?
Pour la première partie de la question, l’essentiel de la réponse est fourni par les
conclusions de la conférence de consensus sur l’utilisation des hématies en chirurgie de
l’adulte [12]. Il est indiqué qu’en peropératoire la récupération de sang avec lavage est
la technique à privilégier. Pour la phase postopératoire, la technique sans lavage est
possible, mais la biologie du sang recueilli justifie des études complémentaires métho-
dologiquement indiscutables pour évaluer le bénéfice réel et son innocuité.
Pour les modalités pratiques de réalisation, ainsi que les exigences de qualité, il
convient de se référer à la circulaire du 31 janvier 1997 [13]. Sans entrer dans les dé-
tails du texte, trois idées fortes sont à retenir :
1-Définir et vérifier la qualification des personnels mettant en œuvre la technique.
2-Générer un compte-rendu de procédure.
3-Contrôler périodiquement les systèmes et la qualité du sang recyclé.
3.2. RESPECTER LES CONTRE-INDICATIONS
La circulaire DGS/DH/AFS n° 97/57 du 31 janvier 1997 [13] énumère les contre-
indications à la technique de récupération avec et sans lavage.
Les chirurgies septique et carcinologique sont considérées comme deux contre-
indications de la récupération avec ou sans lavage du sang épanché. Dans le premier
cas, il s’agit d’éviter d’introduire par voie générale un germe prélevé dans une cavité
ou un viscère creux, dans le deuxième cas, la transfusion de cellules néoplasiques pour-
rait être à l’origine de métastases. Ces deux contre-indications ne sont pas toujours
respectées, ce qui permet de disposer de plusieurs études.
Les autres contre-indications sont liées à la présence dans le sang récupéré de
substances chimiques et/ou biologiques réputées toxiques.
L’injection accidentelle par voie intraveineuse des liquides amniotique ou d’ascite
est responsable d’accidents emboliques et peut induire des coagulopathies intravascu-
laires disséminées. Le lavage apparaît comme indispensable. Pour Jackson et coll [14],
la récupération en chirurgie obstétricale doit se faire selon des modalités particulières :
élimination du liquide amniotique dans l’aspiration perdue, et lavage avec 2000 mL de
solution saline, soit le double du protocole standard.
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