La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 | 111
Points forts
»
Les infections ostéoarticulaires évoluent fréquemment sur un mode chronique ou récidivant. Cette chro-
nicité est classiquement associée à la présence d’un biofilm et à la persistance bactérienne intracellulaire.
»Le biofilm, dans lequel les bactéries sont protégées du système immunitaire et de nombreux anti-
biotiques, se développe de préférence sur les surfaces inertes, soit endogènes (séquestres osseux), soit
exogènes (matériel prothétique).
»Certaines bactéries, notamment
Staphylococcus aureus
, sont capables de constituer des réservoirs
bactériens intracellulaires, potentiellement sources de récidive. Ces bactéries s’adaptent pour survivre
à bas bruit en intracellulaire et/ou en réponse au stress créé par l’environnement intracellulaire en
passant à un état dormant – le phénotype
Small Colony Variant
(SCV), qui est à l’origine de formes
chroniques d’infections ostéoarticulaires.
Mots-clés
Infection
ostéoarticulaire
Infection sur matériel
implanté
Biofilm bactérien
Internalisation
bactérienne
Infection chronique
Highlights
»
Chronicization and relapse
are frequent in bone and
joint infections. These
features have been attri-
buted to biofilm formation
and the ability of bacteria to
persist intracellularly.
»
Bacteria living in a
biofilm are protected from
the immune response of
the host and most anti-
microbial agents. Biofilms
occur preferen tially on inert
surfaces that can be either
endogenous (sequestrums)
or exogenous (prosthetic
material).
»
Several bacterial species,
including
Staphylococcus
aureus
, can invade bone
cells and constitute intra-
cellular bacterial reservoirs
putatively responsible for
infection relapse. Bacteria
can adapt to chronic infec-
tion through the acquisition
of a dormant phenotype
designated as Small Colony
Variant.
Keywords
Bone and joint infection
Prosthetic joint infection
Bacterial biofilm
Bacterial internalization
Chronic infection
l’inoculation bactérienne (3). L’inflammation locale
déclenchée par l’infection provoque alors un afflux
de leucocytes ainsi qu’une chute du pH et de l’oxy-
génation ; à son tour, ce phénomène compromet
la circulation médullaire et encourage l’extension
de l’infection. Chez le nourrisson, la présence de
vaisseaux sanguins dans la plaque de croissance
épiphysaire peut également permettre l’extension de
l’infection à l’articulation depuis un point de départ
métaphysaire ; cependant, après 1 an de vie, cette
plaque est dévascularisée et l’infection reste confinée
à la métaphyse et à la diaphyse.
L’évolution chronique d’une ostéomyélite est asso-
ciée à la formation de plages de nécrose osseuse
appelées “séquestres” (1). Ces fragments de tissu
dévascularisés et détachés du tissu avoisinant sont
inaccessibles aux cellules immunitaires et aux
antibiotiques, et se comportent comme un corps
étranger inerte vis-à-vis de l’adhésion, de la colonisa-
tion bactérienne et de la formation de biofilm. Dans
les formes non traitées d’ostéomyélite chronique
– devenues rares dans les pays industrialisés –, les
séquestres osseux peuvent avoir 2 destins, déter-
minés par leur taille : les séquestres de petite taille
sont progressivement résorbés par un tissu de granu-
lation recruté par les signaux inflammatoires issus de
la zone nécrotique ; lorsque l’étendue des séquestres
est trop importante ou que la réponse inflammatoire
de l’hôte est compromise, leur extension est progres-
sivement confinée par une néoformation osseuse
issue du périoste, décollé de la corticale osseuse
par l’accumulation de pus (4). Cette néoformation,
l’involucre, permet d’assurer la continuité de l’os et le
maintien a minima de sa fonction pendant la phase
de convalescence. Cependant, la vascularisation
inadéquate des tissus circonscrits par l’involucre
favorise le maintien des séquestres osseux sous-
jacents, entraînant une pathologie chronique dans
laquelle le débridement chirurgical est souvent la
seule option.
Infections ostéoarticulaires
par contiguïté
Les infections osseuses par contiguïté sont plus
fréquentes que les ostéomyélites, et cette tendance
s’est accentuée depuis les années 1980 (5). Leur
point de départ peut être une infection des parties
molles adjacentes (notamment chez le patient
diabétique ou à la suite d’une escarre de décu-
bitus), ou l’inoculation directe de bactéries au site
de l’infection consécutive à un traumatisme ou lors
d’un abord chirurgical avec rupture d’asepsie. La
physiopathologie des IOA par contiguïté présente
certains points communs avec les ostéomyélites. En
particulier, la présence d’un traumatisme interfère
avec la vascularisation tissulaire locale et crée des
plages nécrotiques qui favorisent la colonisation
bactérienne.
Biofilms bactériens
L’état des bactéries libres non adhérentes est qualifié
de vie planctonique, par opposition à la vie en biofilm
composée d’une communauté bactérienne séden-
taire au sein de laquelle les bactéries adhèrent à
un substrat extracellulaire, à une surface inerte,
et/ ou entre elles (figure 1, p. 112). La matrice extra-
cellulaire du biofilm, dont la composition varie en
fonction des espèces bactériennes présentes, est
formée de différentes classes de macromolécules
incluant des protéines, des polysaccharides, de
l’ADN et de l’ARN. Au sein de ce biofilm, le méta-
bolisme des bactéries est altéré et leur croissance
est ralentie. L’épaisseur du biofilm est variable : elle
peut aller d’une monocouche bactérienne à une
épaisse communauté multidimensionnelle. L’analyse
structurale des biofilms a dévoilé une architecture
complexe, dont une caractéristique majeure est la
présence d’un réseau de canaux qui permettent
l’accès aux nutriments du milieu extérieur depuis
les zones profondes de la communauté (6).
La majorité des bactéries impliquées dans les IOA
– notamment Staphylococcus aureus, les staphylo-
coques à coagulase négative, les entérobactéries et
Pseudomonas aeruginosa –, sont capables d’adopter
ce mode de vie. Une caractéristique physiopatholo-
gique commune aux différentes formes d’IOA chro-
niques est la présence de matériel inerte, endogène
(séquestres osseux) ou exogène (matériel prothé-
tique), susceptible de favoriser le développement
d’un biofi lm (fi gure 2, p. 112).