DOSSIER THÉMATIQUE Infections osseuses Physiopathologie des infections ostéoarticulaires chroniques : rôle des biofilms et de la persistance bactérienne intracellulaire Biofilm and bacterial intracellular persistence in the pathophysiology of chronic bone and joint infections J.P. Rasigade* L es infections ostéoarticulaires (IOA) regroupent un ensemble d’entités cliniques ayant en commun l’invasion et la destruction progressive des tissus osseux et cartilagineux par des micro-organismes, le plus souvent des bactéries. Ces entités cliniques présentent des caractéristiques physiopathologiques distinctes permettant leur classification en fonction de la source de l’infection, qui peut être hématogène ou par contiguïté (1). Les IOA évoluent fréquemment sur un mode chronique ou récidivant, particulièrement lorsqu’elles impliquent la présence de matériel implanté. Bien que la présence de bactéries en biofilm soit probablement une cause majeure de chronicité et d’échec thérapeutique, d’autres mécanismes physiopathologiques tels que la persistance intracellulaire de certaines bactéries ou l’acquisition de phénotypes dormants ont été mis en cause au cours de la dernière décennie. Nature des voies de contamination * Inserm U851, centre national de référence des staphylocoques, université Claude-Bernard Lyon-1, site Laënnec, Lyon. Infections ostéoarticulaires hématogènes Dans le vocabulaire français, l’ostéomyélite désigne classiquement une infection osseuse d’origine héma- 110 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 togène sans corps étranger. Cette terminologie peut être source de confusion, car le terme “osteomyelitis”, dans la littérature anglo-saxonne, désigne l’ensemble des infections osseuses. L’ostéomyélite est déclenchée par l’inoculation directe dans le tissu osseux d’une bactérie issue de la circulation sanguine. Dans l’ostéomyélite primaire, cette bactériémie initiale est asymptomatique, et l’infection osseuse figure au premier plan des signes infectieux. Bien qu’elle soit présente chez l’adulte, cette forme clinique prédomine largement chez l’enfant (1). Les ostéomyélites de l’adulte sont plus fréquemment secondaires à un foyer infectieux annexe préexistant (telle une endocardite), source de la bactériémie. Les sites anatomiques les plus communément touchés sont les corps vertébraux (spondylodiscite) et les os longs. La forme typique d’ostéomyélite primaire des os longs implique une lésion unique de la partie distale du tibia proche de la métaphyse (2). Cette implication fréquente de la métaphyse s'explique par l’anatomie particulière du tissu osseux dans cette zone. À cet endroit, le flux sanguin est ralenti et turbulent, ce qui favorise l’adhésion et la colonisation de l’endothélium par les bactéries circulantes. Un antécédent récent de traumatisme, même mineur, favorise également l’infection chez l’enfant, en lien avec un hématome local, une obstruction vasculaire et/ou une microzone nécrotique très sensible à Points forts Mots-clés » Les infections ostéoarticulaires évoluent fréquemment sur un mode chronique ou récidivant. Cette chronicité est classiquement associée à la présence d’un biofilm et à la persistance bactérienne intracellulaire. » Le biofilm, dans lequel les bactéries sont protégées du système immunitaire et de nombreux antibiotiques, se développe de préférence sur les surfaces inertes, soit endogènes (séquestres osseux), soit exogènes (matériel prothétique). » Certaines bactéries, notamment Staphylococcus aureus, sont capables de constituer des réservoirs bactériens intracellulaires, potentiellement sources de récidive. Ces bactéries s’adaptent pour survivre à bas bruit en intracellulaire et/ou en réponse au stress créé par l’environnement intracellulaire en passant à un état dormant – le phénotype Small Colony Variant (SCV), qui est à l’origine de formes chroniques d’infections ostéoarticulaires. Infection ostéoarticulaire Infection sur matériel implanté Biofilm bactérien Internalisation bactérienne Infection chronique l’inoculation bactérienne (3). L’inflammation locale déclenchée par l’infection provoque alors un afflux de leucocytes ainsi qu’une chute du pH et de l’oxygénation ; à son tour, ce phénomène compromet la circulation médullaire et encourage l’extension de l’infection. Chez le nourrisson, la présence de vaisseaux sanguins dans la plaque de croissance épiphysaire peut également permettre l’extension de l’infection à l’articulation depuis un point de départ métaphysaire ; cependant, après 1 an de vie, cette plaque est dévascularisée et l’infection reste confinée à la métaphyse et à la diaphyse. L’évolution chronique d’une ostéomyélite est associée à la formation de plages de nécrose osseuse appelées “séquestres” (1). Ces fragments de tissu dévascularisés et détachés du tissu avoisinant sont inaccessibles aux cellules immunitaires et aux antibiotiques, et se comportent comme un corps étranger inerte vis-à-vis de l’adhésion, de la colonisation bactérienne et de la formation de biofilm. Dans les formes non traitées d’ostéomyélite chronique – devenues rares dans les pays industrialisés –, les séquestres osseux peuvent avoir 2 destins, déterminés par leur taille : les séquestres de petite taille sont progressivement résorbés par un tissu de granulation recruté par les signaux inflammatoires issus de la zone nécrotique ; lorsque l’étendue des séquestres est trop importante ou que la réponse inflammatoire de l’hôte est compromise, leur extension est progressivement confinée par une néoformation osseuse issue du périoste, décollé de la corticale osseuse par l’accumulation de pus (4). Cette néoformation, l’involucre, permet d’assurer la continuité de l’os et le maintien a minima de sa fonction pendant la phase de convalescence. Cependant, la vascularisation inadéquate des tissus circonscrits par l’involucre favorise le maintien des séquestres osseux sousjacents, entraînant une pathologie chronique dans laquelle le débridement chirurgical est souvent la seule option. Infections ostéoarticulaires par contiguïté Les infections osseuses par contiguïté sont plus fréquentes que les ostéomyélites, et cette tendance s’est accentuée depuis les années 1980 (5). Leur point de départ peut être une infection des parties molles adjacentes (notamment chez le patient diabétique ou à la suite d’une escarre de décubitus), ou l’inoculation directe de bactéries au site de l’infection consécutive à un traumatisme ou lors d’un abord chirurgical avec rupture d’asepsie. La physiopathologie des IOA par contiguïté présente certains points communs avec les ostéomyélites. En particulier, la présence d’un traumatisme interfère avec la vascularisation tissulaire locale et crée des plages nécrotiques qui favorisent la colonisation bactérienne. Biofilms bactériens L’état des bactéries libres non adhérentes est qualifié de vie planctonique, par opposition à la vie en biofilm composée d’une communauté bactérienne sédentaire au sein de laquelle les bactéries adhèrent à un substrat extracellulaire, à une surface inerte, et/ou entre elles (figure 1, p. 112). La matrice extracellulaire du biofilm, dont la composition varie en fonction des espèces bactériennes présentes, est formée de différentes classes de macromolécules incluant des protéines, des polysaccharides, de l’ADN et de l’ARN. Au sein de ce biofilm, le métabolisme des bactéries est altéré et leur croissance est ralentie. L’épaisseur du biofilm est variable : elle peut aller d’une monocouche bactérienne à une épaisse communauté multidimensionnelle. L’analyse structurale des biofilms a dévoilé une architecture complexe, dont une caractéristique majeure est la présence d’un réseau de canaux qui permettent l’accès aux nutriments du milieu extérieur depuis les zones profondes de la communauté (6). La majorité des bactéries impliquées dans les IOA – notamment Staphylococcus aureus, les staphylocoques à coagulase négative, les entérobactéries et Pseudomonas aeruginosa –, sont capables d’adopter ce mode de vie. Une caractéristique physiopathologique commune aux différentes formes d’IOA chroniques est la présence de matériel inerte, endogène (séquestres osseux) ou exogène (matériel prothétique), susceptible de favoriser le développement d’un biofilm (figure 2, p. 112). Highlights » Chronicization and relapse are frequent in bone and j o i n t i n f e c t i o n s. Th e s e features have been attributed to biofilm formation and the ability of bacteria to persist intracellularly. » Bacteria living in a biofilm are protected from the immune response of the host and most antimicrobial agents. Biofilms occur preferentially on inert surfaces that can be either endogenous (sequestrums) or exogenous (prosthetic material). » Several bacterial species, including Staphylococcus aureus , can invade bone cells and constitute intracellular bacterial reservoirs putatively responsible for infection relapse. Bacteria can adapt to chronic infection through the acquisition of a dormant phenotype designated as Small Colony Variant. Keywords Bone and joint infection Prosthetic joint infection Bacterial biofilm Bacterial internalization Chronic infection La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 | 111 DOSSIER THÉMATIQUE Infections osseuses Physiopathologie des infections ostéoarticulaires chroniques : rôle des biofilms et de la persistance bactérienne intracellulaire Détachement d’une microcolonie Bactéries libres Adhésion Surface inerte Phase 1. Colonisation Phase 2. Maturation Phase 3. Dissémination Figure 1. Cycle de vie d’un biofilm. Phase 1 : les bactéries libres, ou planctoniques, adhèrent à une surface inerte et sécrètent une matrice extracellulaire. Phase 2 : la communauté en biofilm acquiert une architecture tridimensionnelle comprenant un réseau de canaux qui permet l’acheminement des nutriments vers les zones profondes. Les bactéries ont un métabolisme ralenti et sont protégées du système immunitaire de l’hôte et de la plupart des antibiotiques. Phase 3 : des microcolonies ou des bactéries libres se détachent de la surface du biofilm. Elles dérivent dans le milieu extérieur et peuvent coloniser une nouvelle surface. 2 heures 4 heures 8 heures 24 heures Figure 2. Colonisation par le biofilm (S. epidermidis) d’une surface inerte in vitro. 2 h : fixation des bactéries sur les irrégularités à la surface du matériel ; 4 h : début de fabrication de la matrice exopolysaccharidique ou “slime” ; 8 h : la surface du matériel est recouverte par une épaisse couche tridimensionnelle de matrice ; 24 h : des bactéries émergent du biofilm, libres et prêtes à se fixer à distance de la zone initiale de formation du biofilm. Le passage de la vie planctonique à la vie en biofilm confère plusieurs bénéfices adaptatifs. Le premier résulte de la capacité de la matrice polymérique à collecter et à concentrer les nutriments provenant de l’environnement extérieur, tels le carbone, l’azote et le phosphate (7). Le deuxième est qu’il combine plusieurs mécanismes de résistance aux stratégies d’élimination mécaniques, immunitaires ou chimiques : sur le plan mécanique, l’adhérence et la structure flexible d’un biofilm lui permettent de résister à l’arrachement sous l’effet d’un fluide circulant (contrainte de cisaillement exercée, par exemple, par la circulation sanguine ou par un lavage au cours d’un abord chirurgical) ; sur le plan immunitaire, la matrice polymérique du biofilm joue un rôle de bouclier contre les cellules phagocytaires de l’hôte et contre les molécules antimicrobiennes au sens large, telles que les anticorps, les protéases et les radicaux libres ; enfin, sur le plan chimique, la 112 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 vie en biofilm confère aux bactéries une résistance accrue à de nombreux antibiotiques et antiseptiques, à la fois pour des raisons métaboliques et structurales (8) : d’une part, la vitesse de croissance et de division très ralentie des bactéries vivant en biofilm augmente leur résistance aux antibiotiques ciblant la paroi bactérienne au cours du cycle cellulaire comme les bêtalactamines ; d’autre part, la matrice polymérique d’un biofilm a la capacité de ralentir ou d'empêcher la diffusion des antibiotiques jusqu’aux bactéries elles-mêmes (9). Enfin, certains composants de cette matrice, comme les alginates produits par P. aeruginosa, sont capables d’interagir avec les peptides antimicrobiens, de modifier leur conformation et de les piéger spécifiquement (10). Au final, la concentration d’antibiotique requise pour inhiber la croissance des bactéries vivant en biofilm peut être jusqu’à 1 000 fois supérieure à la concentration minimale inhibitrice (CMI) habituellement DOSSIER THÉMATIQUE mesurée sur les bactéries planctoniques (11) ; de plus, la résistance des biofilms à certaines molécules, comme la vancomycine, s’accroît avec leur durée d’évolution (12). Le troisième avantage du biofilm pour les bactéries est son potentiel de dissémination. Des microcolonies bactériennes peuvent se détacher de la surface du biofilm, soit sous la contrainte mécanique de la circulation sanguine, soit par un processus de détachement actif (13). Les bactéries ainsi libérées dans le milieu extérieur peuvent “dériver” jusqu’à une nouvelle surface, la coloniser et établir à distance un nouveau biofilm dans une zone auparavant saine. Le mode de vie en biofilm maintient ainsi un réservoir bactérien résilient contre le système immunitaire et les antibiotiques, tout en assurant simultanément la possibilité d’une dissémination bactérienne retardée. Internalisation bactérienne par les cellules de l’hôte et persistance intracellulaire S. aureus, bactérie responsable de la majorité des IOA, a longtemps été considéré comme un pathogène extracellulaire. Cependant, sa capacité à provoquer son internalisation par différents types cellulaires, dont les cellules osseuses (ostéoblastes), est documentée depuis la fin des années 1990 (14). Des études en culture cellulaire ont montré son aptitude à envahir les ostéoblastes de plusieurs espèces animales, dont l’homme et la souris, et à persister à l’intérieur de ceux-ci. D’autres travaux ont objectivé, par microscopie électronique, la présence de bactéries intra-ostéoblastiques au cours d’infections animales expérimentales, montrant que l’invasion cellulaire avait effectivement lieu in vivo (15). Enfin, des bactéries intracellulaires ont été visualisées dans les ostéoblastes de patients souffrant d’ostéomyélite chronique (16). Ces bactéries constituent un réservoir protégé de l’action du système immunitaire de l’hôte et de nombreux antibiotiques, notamment les bêtalactamines et les glycopeptides. La persistance intracellulaire de S. aureus (et plus largement d’autres espèces bactériennes) dans les ostéoblastes fournit ainsi une explication nouvelle et plausible à la chronicité et à la récurrence de certaines IOA, bien que les données cliniques soient encore insuffisantes pour déterminer la part de responsabilité de ce réservoir bactérien dans la pathogénie des IOA chroniques (17). De plus, la nature des interactions entre les bactéries internalisées et la cellule hôte fait encore l’objet de nombreuses recherches. L’invasion 1 2 3 Figure 3. Internalisation de S. aureus au sein des ostéoblastes. 1 : adhésion de S. aureus à la surface cellulaire ; 2 : internalisation de S. aureus au sein d’une vacuole cellulaire ; 3 : S. aureus libre dans le cytoplasme cellulaire. des cellules humaines par S. aureus fait intervenir un mécanisme proche de l’endocytose, les bactéries étant contenues dans des vacuoles lors des phases initiales de l’internalisation (figure 3) [17]. Les résultats de nombreux modèles in vitro d’invasion cellulaire par S. aureus indiquent que 3 destinées sont alors possibles pour ces bactéries : elles peuvent être éliminées par la dégradation lysosomale ou par la réponse immunitaire cellulaire innée, impliquant des peptides antibactériens et des mécanismes d’autophagie ; les bactéries viables peuvent aussi persister à l’intérieur des vacuoles, après avoir empêché ces dernières de fusionner avec les lysosomes ; enfin, les bactéries peuvent détruire la vacuole, être relarguées dans le cytosol et soit persister à l’état latent, soit provoquer la mort de la cellule hôte. Ces différents devenirs des bactéries internalisées semblent dépendre de nombreux facteurs, notamment du fond génétique et des facteurs de virulence spécifiques à chaque souche, mais peut-être aussi de la réponse cellulaire à l’internalisation, qui pourrait présenter des variations interindividuelles. L’état actuel des connaissances ne permet pas de dire lequel de ces 3 scénarios sera le plus probable pour une souche donnée de S. aureus infectant un patient donné. Adaptation bactérienne à l’infection chronique : les Small Colony Variants La première description d’une souche de S. aureus qui présentait un phénotype variant avec la présence de microcolonies à croissance ralentie in vitro remonte à plus d’un siècle. Il aura cependant fallu attendre les années 2000 pour que les efforts de recherche se concentrent à nouveau sur ces populations bacté- La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 | 113 DOSSIER THÉMATIQUE Infections osseuses Physiopathologie des infections ostéoarticulaires chroniques : rôle des biofilms et de la persistance bactérienne intracellulaire riennes dénommées Small Colony Variants (SCV). Les SCV ne sont pas l’apanage de S. aureus et ont été décrits chez d’autres espèces bactériennes impliquées dans les IOA, telles que les staphylocoques à coagulase négative, Escherichia coli ou P. aeruginosa (18). L’émergence de SCV résulte d’une adaptation des populations bactériennes à la pression de sélection spécifique de l’infection chronique, comme la baisse des ressources et le stress provoqué par la réponse cellulaire et/ou immunitaire. Plus spécifiquement, le phénotype SCV est particulièrement adapté à la survie intracellulaire prolongée (19). Les bactéries présentant ce phénotype sont capables de persister dans le milieu intracellulaire en minimisant la réponse de défense de la cellule hôte. Elles possèdent également une capacité accrue à envahir de nouvelles cellules par rapport aux bactéries qui présentent un phénotype sauvage. Leur rôle dans l’établissement d’une infection intracellulaire chronique, bien qu’il fasse encore l’objet de nombreux débats, pourrait être modélisé en 3 étapes : ➤ parmi les bactéries impliquées dans l’infection, une sous-population gagne le milieu intracellulaire et développe un phénotype SCV ; ➤ cette sous-population persiste dans un état viable, à l’abri de la destruction par la réponse immunitaire et par les antibiotiques éventuellement administrés ; 1 ➤ à la mort de la cellule hôte, les SCV sont relargués dans le milieu extracellulaire et gagnent le cytoplasme de nouvelles cellules grâce à une capacité d’invasion accrue, établissant ainsi un réservoir bactérien pérenne, potentiellement source d’infections récidivantes (19). En outre, les SCV présentent une résistance accrue à différents antibiotiques. Leur vitesse de croissance ralentie diminue l’action des antibiotiques ciblant la paroi, comme dans le cas des bactéries qui se présentent sous la forme de biofilm. Une seconde caractéristique spécifique des SCV est une interruption du transport transmembranaire d’électrons. Cette interruption a pour conséquence de diminuer la pénétration des antibiotiques, comme les aminosides, qui utilisent le gradient électrochimique membranaire pour traverser la membrane bactérienne et atteindre leur cible (18). Chez S. aureus, les SCV posent enfin une difficulté diagnostique aux microbiologistes : leur métabolisme lent négative certains tests phénotypiques utilisés pour l’identification bactérienne, tels que les tests d’agglutination ou les galeries d’identification biochimique, et il retarde la positivité d’autres tests comme la détection de coagulase libre ou la pigmentation des colonies pour S. aureus (figure 4). Ces particularités font courir le risque 2 Figure 4. Aspect in vitro des variants “microcolonies” ou Small Colony Variants (SCV) chez S. aureus. 1 : culture sur gélose au sang après 5 jours d’incubation (en haut, la souche normale, en bas, le variant SCV) ; 2 : culture mixte de la souche normale (grosse colonie hémolytique et pigmentée) et de son variant SCV (colonies punctiformes non hémolytiques et blanches) sur gélose au sang. 114 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 DOSSIER THÉMATIQUE d’une erreur diagnostique, ces SCV pouvant être méconnus ou identifiés à tort comme des staphylocoques à coagulase négative. Les isolats suspects de présenter ce phénotype SCV, particulièrement dans un contexte d’infection chronique, doivent idéalement faire l’objet d’une confirmation d’espèce par une méthode non phénotypique, par exemple la détection par PCR de gènes spécifiques de S. aureus (18). Impact du biofilm, de l’internalisation et des SCV sur la thérapeutique des IOA chroniques La catégorisation d’une population bactérienne sensible ou résistante à un antibiotique donné repose actuellement sur des tests in vitro qui évaluent son activité vis-à-vis de bactéries planctoniques. Nous savons cependant que cette activité peut rarement être extrapolée aux bactéries vivant en biofilm, et de façon plus générale aux bactéries dont la croissance est ralentie. De plus, le tissu osseux n’est pas propice à la diffusion des antibiotiques. Les molécules utilisables dans les IOA, dont le choix peut déjà être réduit du fait de taux de résistance croissants, doivent donc contourner ces écueils et garantir à la fois une bonne diffusion osseuse et une activité bactéricide sur des bactéries à croissance ralentie, éventuellement en position intracellulaire (1). L’activité des traitements de référence des IOA que sont les bêtalactamines et les glycopeptides semble donc altérée dans ce contexte. La rifampicine satisfait à ces contraintes, et son indication est indiscutable dans la prise en charge des IOA, à condition d’être associée à une autre molécule bactéricide comme une fluoroquinolone pour prévenir l’apparition de mutants résistants (1). D’autres antibiotiques comme le linézolide, la daptomycine et la tigécycline ont également une place à discuter. Bien que leur utilisation dans les IOA sorte du cadre de leur autorisation de mise sur le marché, plusieurs études cliniques sont en faveur de leur efficacité dans ce contexte (20). Ces molécules ont une diffusion osseuse satisfaisante, et des études menées in vitro ont montré qu’elles conservaient une activité intéressante vis-à-vis des bactéries en biofilm. Cependant, l’antibiothérapie de choix dans les IOA chroniques ne fait pas l’objet d’un consensus international. Enfin, la résilience des biofilms vis-à-vis des méthodes d’éradication mécaniques et chimiques rend toujours souhaitable, lorsque cela est possible, le retrait de leur surface d’attachement par une prise en charge chirurgicale visant à supprimer tout corps étranger ou inerte, qu’il s’agisse de matériel prothétique ou de séquestres osseux. ■ Références bibliographiques 1. Lew DP, Waldvogel FA. Osteomyelitis. Lancet 2004; 364:369-79. 2. Carek PJ, Dickerson LM, Sack JL. Diagnosis and management of osteomyelitis. Am Fam Physician 2001;63:2413-20. 3. Morrissy RT, Haynes DW. Acute hematogenous osteomyelitis: a model with trauma as an etiology. J Pediatr Orthop 1989;9:447-56. 4. Hankin D, Bowling FL, Metcalfe SA, Whitehouse RA, Boulton AJ. Critically evaluating the role of diagnostic imaging in osteomyelitis. Foot Ankle Spec 2011;4:100-5. 5. Espersen F, Frimodt-Møller N, Thamdrup Rosdahl V, Skinhøj P, Bentzon MW. 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