5
La dramaturgie
Dans sa note introductive, Molnàr précise qu’il ne se soucie pas de savoir si Liliom est une
pièce onirique, un conte ou une féerie. C’est en tout cas un drame de la banlieue de Budapest,
une histoire aux univers multiples, à la fois réaliste dans sa dimension sociale, et fantastique
dans ses propositions narratives. L’œuvre de Ferenc Molnàr est ainsi faite: généreuse, roman-
tique, peignant avec précision une certaine réalité sociale, tout en osant l’inattendu, le rêve
et le fantastique. En effet, le récit de la pièce prend une direction surprenante, mêlant l’au-delà
et le retour sur terre des morts. Des destins tragiques qui ne trouvent ni d’absolution au ciel,
ni de salut sur terre.
Écrite en 1907, c’est un paysage urbain de la banlieue de Budapest qui sert de décor, peuplé
de domestiques, forains, va-nu-pieds et bonimenteurs. Une société aux portes du réel, que
Ferenc Molnàr nous fait découvrir en creusant les particularités du langage. Une vaste recherche
langagière est ordonnée par l’auteur, qui trouve la nature profonde de ses personnages à
travers les mots déstructurés, la grammaire malmenée, hachée menue par la vie dure, par les
blessures et les coups. Un mot, un coup de poing, c’est ainsi que les personnages s’infligent
des blessures. C’est par les mots et les coups que tout passe, le souffle, la douleur, la haine,
l’amour, la peur.
Dans la dernière traduction française (2004, Editions Théâtrales), les traducteurs ont relevé le
défi de retrouver «un langage parlé qui ne soit pas l’argot ancien, mais bien l’étrangeté fon-
damentale de la langue de Molnàr, son agrammaticalité de principe. Car plus qu’un argot, les
personnages de Liliom parlent une langue originale, bourrée de fautes de grammaire, d’aber-
rations syntaxiques ou de mots déformés. Une langue de la rue, blessée, cicatrisée, boiteuse
et rageuse.»1Un exercice passionnant pour les traducteurs, qui se devaient donc de malmener
la grammaire de la langue française, bien plus rigide que la langue hongroise, particulièrement
flexible, afin de trouver un «mal parler» que l’on puisse comprendre.
Il s’agit dès lors de faire entendre «la difficulté concrète qu’ont ces personnages à s’exprimer
parce qu’il leur manque des mots. Les personnages, issus d’un milieu défavorisé, se sont
chacun construit leur propre langage de récupération, fait de bric et de broc, trivial, idiomatique,
fait d’inventions diverses et de fragments mal appris. Le tout compose ainsi une pauvre poésie
de voie de garage, un terrain vague fait des poubelles dépréciées du langage.»2
Note d’intention
Je trouve dans cette pièce l’occasion de mener un travail majeur sur la langue et son rythme,
en explorant les contrées mystérieuses du langage molnàrien. Une direction qui permet d’offrir,
dans ce contexte, un formidable appui de jeu pour les acteurs. C’est d’ailleurs dans cette
1À propos de la traduction, Liliom, Kristina Rady, Editions Théâtrales
2Idem.