Troisième
partie
Les
biens
collectés
ou
acquis
par
les
sociétés
d’assurances
La documentation Française :
La Spoliation financière. Volumes 1 et 2 / Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France ; présidée par
Jean Mattéoli ; rapport rédigé par Claire Andrieu.
Introduction
Portant sur les sociétés et les services d’assurances, cette partie
du rapport sur
la
spoliation financière
n’a
pas
le
même statut que
la
pré-
cédente.
Elle
constitue une première approche et ouvre des pistes de
recherche plutôt qu’elle ne les examine dans
le
détail.
À
cela plusieurs
raisons, qui tiennent
à
la
conservation des archives et
à
l’orientation
ini-
tiale
prise par les recherches.
De
la
part des sociétés ou des services d’assurances de
la
Caisse
des dépôts et consignations comme de
la
Fédération française des socié-
s d’assurances, les archives qui ont été communiquées à
la
Mission sont
peu nombreuses.
Elles
offrent des traces qui permettent de reconstituer
un cheminement et de peindre à grand
trait
un tableau, mais leur disper-
sion rend
difficile
l’analyse
quantitative ou
le
suivi chronologique serré
indispensable
à
l’intelligence
complète desévénements.
Cet
ensemble de
documents constitue une première
« génération »
d’archives, celle qui
caractérise
le
début d’une recherche, lorsque les entreprises et les organi-
sations professionnelles, dont ce
n’est
pas le métier, rencontrent des
diffi-
cultés
à
retrouver les richesses documentaires qu’elles recèlent.
Faut-il
ajouter qu’en France, parmi les sociétés privées, un seul groupe,
Allianz-AGF,
dispose d’un service d’archives historiques ?
Venant de
la
direction des Assurances au ministère des Finances,
les archives sont plus abondantes.
Ce
ne sont souvent,cependant, que des
morceaux de dossiers. Des courriers isolés et des restes de travaux
d’enquête lancent des appels au chercheur,
mais
ils
ne trouvent leur sens
que dans
la
mise
en
regard
avec
d’autres
sources.
Les
documents
retrouvés
du
Comité
d’organisation
des assurances qui, de
1940
à
1945,
a
joué
un
rôle
déterminant dans
la
profession, n’échappent pas à
cette
règle.
Le
caractère discontinu de
l’ensemble
des sources publiques et
privées peut s’expliquer de deux façons.
D’une
part, de
1940
à
1945,
la
multiplication
des décideurs publics et
privés
a
morcelé
les
responsabili-
tés : au lieu
d’un
jeu
à
deuxentre
le
ministère et
la
Fédération française
des sociétés d’assurances, on eut une partie à quatre entre les deux pre-
miers, auxquels se sont ajoutés
le
Commissariat général aux questions
juives
(CGQJ)
et
le
Comité d’organisation.
Il
est possible que cette situa-
tion, au lieu de multiplier les dossiers
d’instruction,
ait déresponsabilisé
leséchelons de
la
chaîne décisionnelle.
Les
effets
redoutables de ce
frac-
tionnement des responsabilités et
la
manière dont
il
a
facilité
en
le
banali-
sant l’accomplissement
d’un
processus hors de
l’ordinaire,
ont déjà été
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La Spoliation financière. Volumes 1 et 2 / Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France ; présidée par
Jean Mattéoli ; rapport rédigé par Claire Andrieu.
soulignés.
En
dehors de ce
possible
motif
de fond,
l’état
des sources
laisse penser que les archives des sociétés et des services ont été
insuffi-
samment regroupées et répertoriées.
La
Mission souhaite que ce constat
incite les entreprises et les services concernés à gérer avec plus de soin
cette partie de leur production, qui est aussi un élément constitutif du
patrimoine national.
De leur propre initiative, les sociétés d’assurances ont concentré
leurs recherches sur les contrats d’assurance vie non réglés de déportés.
Les
travaux des compagnies ont porté sur un peu plus de
40
%
des con-
trats d’assurance
vie
de l’époque, proportion qui correspond aux archi-
ves actuellement
retrouvées
1
.
Les
contrats de capitalisation dont
la
souscription souvent anonyme complique
l’étude,
sont restés en dehors
du champ.
À
partir des correspondances entretenues avec
le
Commissa-
riat
général aux questions
juives
(CGQJ),
la
Mission
a
interrogé les socié-
tés surune série de contrats d’assurance
vie
ou dommages d’assurés
juifs.
Les
réponses ont été
le
plus souvent négatives, les compagnies signalant
que les archives de ces contratsont été détruites.
Entre
1940 et
1944,
des
courriers ont été adressés au
CGQJ
pour un nombre de contrats égal à
256,
concernant 155 compagnies et correspondant
à
236
assurés
juifs
2
.
Très
riche,
cette source permet
d’affiner
la
connaissance des procédures
d’atteintes aux droits des assurés.
En
dehors de
la
gestion des contrats, dont
c’est
l’activité
pre-
mière,
l’industrie
de
l’assurance
en
France
présentait deux
spécificités.
Depuis
le
décret-loi du 14
juin
1938,
les
actifs
des sociétés étaient régle-
mentés
afin
qu’elles
puissent faire
face
à leurs engagements envers les
assurés.
Les
placements en obligations ou en valeurs sûres comme les
actions de
la
Banque de
France
étaient admis sans
limitation,
tandis que
l’importance des immeubles et des actions était soumise à un plafond :
ils
ne devaient pas constituer plus de
50
%
des placements effectués en repré-
sentation des réserves techniques dans les sociétés d’assurance
vie
et de
capitalisation
3
.
Pour les autres sociétés, ce plafond
était
de
25
%.
La
fonc-
tion
d’investisseur
institutionnel exercée par
les
compagnies lesa nécessai-
rement conduites à connaître de
« l’aryanisation »
des actions entreprise
sous
l’Occupation.
L’étude
des acquisitions
qu’elles
ont pu
effectuer
dans
ce cadre
n’a
pas été
faite.
Pour
les
immeubles et les relocations
d’appartements
abandonnés, des éléments notables nous sont fournis par
les procès en restitution que les spoliés ont intentés après
la
guerre.
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La Spoliation financière. Volumes 1 et 2 / Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France ; présidée par
Jean Mattéoli ; rapport rédigé par Claire Andrieu.
De même que pour
le
secteur bancaire,
« l’aryanisation »
des
entreprises
n’est
pas examinée dans ce volume.
Ce
chapitre de
la
poli-
tique antisémite est traité dans
le
rapport d’Antoine Prost. Mentionnons
simplement que d’après les archives du
Commissariat
général aux ques-
tions
juives,
33 entreprises d’assurances et
42
cabinets de courtage ont
été placés sous administration provisoire pendant
l’Occupation
4
.
À
la
date de
1947,
un maximum de dix sociétés et douze cabinets
n’avaient
pas été revendiqués. Par ailleurs, n’entrant pas directement dans
le
champ
d’investigation
de
la Mission,
les
effets
des interdictions profes-
sionnelles prononcées, le licenciement des
« employés
supérieurs »
juifs
ou de ceux qui étaient
« en
contact avec le public
» et
le
renvoi des agents
généraux, en application de l’ordonnance allemande du
26
avril
1941
et
de
la
loi
française du
2
juin
suivant, n’ont pas été examinés.
L’étude
présentée dans les pages constitue un début.
Autant,
pour
le
secteur bancaire,
la
difficulté
a été d’agencer les nombreuses piè-
ces d’un puzzle dont
le
dessin
était
perdu, autant pour le domaine de
l’assurance,
les pièces du puzzle ont
livré
la
construction d’ensemble,
mais laissé
l’oeuvre
inachevée dans
le
détail.
La documentation Française :
La Spoliation financière. Volumes 1 et 2 / Mission d,étude sur la spoliation des Juifs de France ; présidée par
Jean Mattéoli ; rapport rédigé par Claire Andrieu.
Les
mesures
de
discrimination
envers
les
assurés juifs
Le
rôle déterminant de
l’occupant
dans
la
politique de spolia-
tion antisémite ressort clairement de
la
comparaison entre les secteurs de
l’assurance et de
la
banque. Autant l’assurance
a
été immédiatement
impliquée dans un système institutionnel de collaboration économique
continentale, autant
la
banque
a
continué de mener ses
affaires
sans que
ses structures capitalistiques ou partenariales soient modifiées de
manière générale.
Mais
à
l’inverse,
pour ce qui concerne
« l’aryanisation
économique »,
l’administration
militaire
allemande
a
pesé de tout son
poids sur lesbanques, tandis que lesassurances sont restées
relativement
à
l’abri.
Par exemple, lesAllemands sont intervenus directement et à plu-
sieurs reprises auprès de
l’Association
professionnelle des banques pour
faire
bloquer ou prélever les
« avoirs
juifs
»,
tandisque
la
Fédération
fran-
çaise des sociétés d’assurances
n’a
pas connu ces coups de boutoirs.
Cette inversion des facteurs de
la
Collaboration mérite que
l’on
s’y
arrête
un instant si
l’on
veut identifier les principaux ressorts de
la
spoliation.
Elle
souligne aussi une autre lacune de notre information, celle qui
touche à un élément décisif :
la
politique économique du
Reich
envers
la
France occupée.
Une
« paix
allemande »
pour
les
sociétés
d’assurances
Un concours de circonstances
a
favorisé
l’organisation
d’une
collaboration économique structurelle entre les assurances
françaises
et
allemandes.
Avant
la
guerre,
la
réassurance allemande
tenait
une place
dominante en Europe continentale
5
.
L’assurance
directe
allemande
à
l’étranger jouait
en revanche un
rôle
mineur.
Avec
l’occupation
de
la
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Jean Mattéoli ; rapport rédigé par Claire Andrieu.
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