Lapolitique extérieure des États-Unis au XXesiècle: le poids des

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La politique extérieure des États-Unis
au XXe siècle:
le poids des déterminants intérieurs
(Ç)
L'Harmattan,
2007
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-05117-1
EAN: 9782296051171
Paris
Sous la direction de
Pierre Melandri
et Serge Ricard
"
La politique extérieure des Etats-Unis
au XXe siècle:
le poids des déterminants intérieurs
L'harmattan
L'Aire Anglophone
Collection dirigée par Serge Ricard
Cette collection entend s'ouvrir aux multiples domaines d'un vaste
champ d'investigation, caractérisé par la connexion idiome-culture,
auquel les spécialistes formés en langues, civilisations et littératures
dites "anglo-saxonnes" donnent sa spécificité. Il s'agira, d'une part, de
mieux faire connaître des axes de recherche novateurs en études
britanniques, américaines et canadiennes et, d'autre part, de répondre à
l'intérêt croissant que suscitent les cultures anglophones d'Afrique,
d'Asie et d'Océanie - sans oublier le rôle de langue véhiculaire
mondiale joué par l'anglais aujourd'hui. A cette fin, les domaines
privilégiés seront l'histoire des idées et des mentalités, la sociologie, la
science politique, les relations internationales, les littératures de
langue anglaise contemporaines, le transculturalisme et l'anglais de
spécialité.
Déjà parus
Marie-Claude PEL TES-STRIGLER, Histoire des Indiens des
Etats- Unis, 2007.
Pierre MELANDRI et Serge RICARD (dir.), Les États-Unis
face aux révolutions, 2006.
Sylvie AUFPRET -PIGNOT, Une romancière du siècle des
Lumières, Sarah Fielding (1710-1768), 2005.
Carine BERBERI, Le Parti travailliste et les syndicats face aux
questions monétaires européennes, 2005.
Pierre MELANDRI et Serge RICARD (dir.), Les Etats-Unis et
la fin de la guerre froide, 2005.
Pierre MELANDRI et Serge RICARD, La montée en puissance
des Etats-Unis de la guerre hispanoi-américaine
à la guerre de
Corée, 2004.
Isabelle VAGNOVX, Les Etats-Unis et le Mexique, histoire
d'une relation tumultueuse, 2003.
Pierre DRaVE,
Le Vagabond dans l'Angleterre
de
Shakespeare, 2003.
Serge RICARD, Les relations franco-américaines au XXe
siècle, 2003.
Benoît LE ROUX, Evelyn Waugh,2003.
Helen E. MUNDLER, Intertextualité dans l'œuvre d'A. S.
Byatt. 1978-1996,2003.
SOMMAIRE
Introduction: De la politique étrangère et de la démocratie
en Amérique,
par Pierre MELANDRIet Serge RICARD .......................................... 7
Domestic Actors in a Transnational
by Akira
World,
IRIYE ............................................................................................
27
Typologie des organisations de la société civile américaine qui
influencent la politique étrangère des États-Unis,
par Justin VAÏSSE
39
Retour sur les évolutions intellectuelles des historiens de la
"nouvelle gauche":
étude comparative de William A.
Williams et Howard Zinn (1950-1980),
par Ambre IVOL
55
Modernization Begins at Home: Interwar Southern Development for the World,
by Annick CIZEL.
77
Les relations civilo-militaires américaines depuis 2003: l'Irak
et l'irréversible déclin des "Vulcains",
par Étienne DE DURAND
101
Le rôle du Congrès dans les relations sino-américaines:
l'affaire Amerasia au rapport Cox,
par Gildas LE VOCUER
123
de
Les administrations présidentielles et la diplomatie publique
pendant la guerre froide: paradoxes et controverses
autour de l'Agence d'Information des États-Unis,
par Maud QUESSARD-SALVAING
145
L'élaboration de la position américaine lors de la quatrième
conférence onusienne sur les femmes en 1995 à Beijing,
par Fatma RAMDANI
167
6
DÉMOCRATIE
ET POLmQUE
ÉTRANGÈRE EN AMÉRIQUE
Washington-La Havane: une relation sous influence,
par Isabelle VAGNOUX
187
La politique africaine des États-Unis: y a-t-il un lobby noir?
par Pierre-Michel DURAND
205
Les Américains originaires d'Europe
la politique étrangère américaine,
par Justine FAURE
223
centrale, les élections et
Congress, the State Department, the White House, and the
Irish Issue: Clashes and Rivalries,
by Anna GRESSEL-BACHARAN
241
Le poids du lobby pro-israélien et ses liens avec les évangéliques américains,
par Mokhtar BEN BARKA
255
Les batailles non israéliennes du lobby juif aux États-Unis,
par Pauline PERETZ
273
The Question of the "New Anti-Semitism" and the "New
Illiberalism" in Debates over the Making of American
Foreign Policy,
by Tony SMITH
289
Les déterminants intérieurs de la politique étrangère
caine: le cas de la fin de la guerre du Vietnam,
par Antoine COPPOLANI
313
améri-
Centralizing Power: Domestic Considerations in the Shaping
and Implementation of the War on Terror after 9/11,
by Samuel WELLS
339
Note sur les auteurs
361
.:..:..:.
Pierre MELANDRI
Institut
d'Études
Politiques
Serge
de Paris
RICARD
Université Paris 11/
(Sorbonne
Nouvelle)
DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE
ET DE LA DÉMOCRATIE
EN AMÉRIQUE
"La politique extérieure, écrit Alexis de Tocqueville, n'exige
l'usage de presque aucune des qualités qui sont propres à la
démocratie, et commande au contraire le développement
de
presque toutes celles qui lui font défaut... La démocratie ne
saurait que difficilement coordonner les détails d'une grande
entreprise, s'arrêter à un dessein et le suivre ensuite obstinément
à travers les obstacles. Elle est peu capable de combiner des
mesures en secret et d'attendre patiemment leur résultat"1. Cette
observation, combien de membres ou experts de l'Exécutif américain, combien surtout d'observateurs ou responsables étrangers
n'ont-ils pas été, à un moment ou à un autre, enclins à la partager. Combien de fois ont-ils été stupéfaits ou exaspérés de ne pas
savoir vraiment qui, de la Maison-Blanche, de ses agences, du
Congrès, écouter. "Parfois, ironisera le président chinois Jiang
Zemin, à l'automne 1995, j'entends parler d'endiguement; parfois
j'entends parler d'engagement; parfois j'entends parler d'engagement mâtiné d'endiguement. Puis je découvre que c'est cela
que l'on appelle la démocratie américaine"2.
La cacophonie qui semble parfois se dégager de la diplomatie des États-Unis procède largement de leur nature même de
démocratie. Elle est pour commencer le produit d'une Constitu1. Alexis de Tocqueville, De la démocratieen Amérique, t. I (Paris: Flammarion, 1981), pp. 322-323.
2. International Herald Tribune (IHT), 16 octobre 1995.
8
PIERRE MELANDRI
- SERGE
RICARD
tion OÙpouvoirs de la Présidence et pouvoirs du Congrès sont,
en matière de politique étrangère, étroitement entremêlés. Au point
qu'un des plus grands experts de ce texte, Edward Corwin, a
cru y discerner "une invitation à se battre pour le privilège de
diriger la politique étrangère américaine"3. Dans cette lutte, le
rapport de force n'a, il est vrai, cessé de changer. Les périodes
de grande tension, en particulier les années de guerre (y compris
"froide"), ont toujours été favorables à une extension des pouvoirs de l'Administration, les époques de plus grand calme (telle
celle qui a suivi la disparition de l'Union soviétique) étant inversement caractérisées par un renforcement de la vigilance et de
l'influence du Congrès. Dans les années 1990, par exemple, ce
dernier en était arrivé à prétendre non seulement empêcher le
Président d'agir comme il l'entendait mais aussi lui dicter plus
directement les politiques qu'il voulait le voir embrasser.
Ceci dit, s'en tenir à la seule opposition entre la présidence
et le Congrès ne serait qu'avoir une vision très partielle et très
formelle de la réalité. Une vision très partielle pour commencer
parce que, au-delà des incursions du Congrès, les rivalités, querelles, oppositions d'intérêts entre les diverses bureaucraties de
l'Exécutif portent une large responsabilité dans la confusion dont
les objectifs, intentions ou calculs de l'Administration américaine
semblent parfois entourés. Depuis l'ouvrage pionnier de Graham
T. Allison sur la crise des missiles de Cuba4, une impressionnante
littérature s'est ainsi développée outre-Atlantique sur le rôle, dans
l'élaboration de la politique étrangère américaine, des affrontements bureaucratiques.
La célèbre crise n'a, en effet, constitué
qu'un exemple exacerbé d'une réalité quotidienne que nombre
des contributions à ce livre ne manquent pas de souligner. Non
seulement les agences et départements défendent souvent des
intérêts divergents, mais en leur sein même, leurs différents services peuvent embrasser des points de vue différents. En théorie,
il est vrai, les conflits sont arbitrés par le Président. Mais il arrive
à ce dernier d'hésiter à trancher de peur d'offenser un de ses
3. Cité in Arthur M. Schlesinger, Jr., La présidence impériale (Paris: PUF),
1976, p. 17. Comme on le sait, si la Constitution confie au Président le commandement des forces armées et la négociation des traités, elle accorde de
nombreux droits au Congrès: lui seul est habilité à déclarer la guerre et à
voter les dépenses civiles et militaires et les traités doivent être ratifiés par le
Sénat aux deux tiers des voix.
4. Voir Graham T. Allison, Essence of Decision. Explaining the Cuban Missile
Crisis (Boston: Little, Brown and Co., 1971), et la réédition par le même
auteur et Philip Zelikow (New York: Longman, 1999).
INTRODUCTION
9
conseillers, d'être insuffisamment informé et, surtout, d'être dans
l'incapacité, faute de temps, de suivre tous les dossiers. Mieux
que quiconque, c'est Harry S. Truman qui a résumé la difficulté
lorsque, en 1952, quelque peu dépité par le tour toujours plus
détestable que ses relations avec Eisenhower avaient embrassé, il
a remarqué: "Il s'assoira là et il dira: 'Faites ceci! Faites cela !' Et
il ne se produira rien. Pauvre Ike. Ce ne sera pas du tout comme
dans l'Armée. Il sera très déçu"s.
En second lieu, une étude limitée aux joutes opposant l'Administration au Congrès prendrait le risque d'ignorer les mécanismes et la dynamique qui les conduisent à s'affronter, à savoir
les acteurs et forces politiques qui sont à la base de la relation que
Tocqueville décrivait. Sous certains aspects, en effet, la politique
étrangère des Américains fait figure, quand ce n'est pas fonction,
de "continuation de leur politique intérieure par d'autres moyens".
Dans un premier sens, comme le remarque un des auteurs, cette
osmose tient à ce qu'il n'y a pas, à leurs yeux, de véritable différence entre leurs intérêts nationaux et ceux du monde entier,
entre leur expérience et ce qui est bon pour le reste de l'humanité. C'est là la source d'un indéniable ethnocentrisme6 que, là
encore, Tocqueville avait lucidement noté:
En même temps que les Anglo-Américainssont unis par des idées
communes, ils sont séparés de tous les autres par un sentiment,
l'orgueil. Depuis cinquante ans, on ne cesse de répéter aux habitants
des États-Unisqu'ils forment le seul peuple religieux,éclairé et libre.
Ils voient que chez eux, jusqu'à présent, les institutions démocratiques prospèrent tandis qu'elles échouent dans le reste du monde, ils
ont donc une opinion immense d'eux-mêmes, et ils ne sont pas éloignés de croire qu'ils forment une espèce à part dans le genre
humain.7
Mais il est aussi une deuxième raison à cette forme de confusion. Leur détermination à incarner une expérience exceptionnelle
et à rompre avec les vicissitudes religieuses comme matérielles de
l'histoire européenne a aussi persuadé les Américains que leur
politique étrangère ne pouvait être que l'instrument, voire le bouclier, d'une expérience nationale par essence prioritaire. Aussi,
alors même que, par essence, la démocratie se veut un système
5. Cité in Richard E. Neustadt, Les pouvoirs de la Maison-Blanche
(Paris:
Seghers, 1968), p. 30.
6. Pierre Melandri & Serge Ricard, dir., Ethnocentrisme et diplomatie: l'Amérique et le monde au XX' siècle (Paris: l'Harmattan,
2001).
7. A. de Tocqueville, op. cit., p. 493.
10
PIERRE MELANDRl
- SERGE
RlCARD
ouvert, dont la transparence doit être la première qualité, ne
faut-il pas s'étonner si, plus que partout ailleurs, la diplomatie y
est l'affaire non seulement de l'État mais de la société, une société
au sein de laquelle le Congrès ainsi que le "quatrième pouvoir" que
les médias sont censés représenter jouent souvent le rôle de relais
entre toutes sortes de lobbies et autres groupes d'intérêt et une
Administration du coup quelque peu contrainte dans ses efforts
pour développer une politique tant soit peu à long terme et coordonnée. "Think local, act global": comme Pierre Hassner l'a
remarqué, "l'empire du milieu" auquel, dans la foulée de la guerre
froide, les États-Unis se sont un temps identifiés, a toujours éprouvé
le plus grand mal à surmonter "l'esprit de clocher" (parochialism)
souvent affiché par ses sénateurs ou députés.
Dans une société toujours plus médiatisée, mais où la politique
étrangère n'a pas toujours suscité de la part du public ou des
médias l'intérêt qu'elle aurait méritéS, les écoles de pensée, think
tanks, lobbies et autres groupes d'intérêts ont souvent été à
même d'exercer l'influence que pouvaient leur assurer, dans les
deux premiers cas, leur prestige et leur autorité ou, dans les deux
derniers, leur vote, leur appui financier mais aussi les alliances
qu'il ont très vite appris à nouer. À tel point, constate un des
auteurs de ce volume, que l'on peut concevoir les États-Unis
comme une "démocratie des intérêts spéciaux" exposée au danger de voir émerger une "tyrannie de la minorité". Il est vrai que,
pour les Américains, la notion d'intérêt national reste très différente de celle qu'en ont les Français: loin de constituer une sorte
de réalité transcendante supérieure à la somme des intérêts privés, elle s'identifie tout au contraire à la résultante fatalement
provisoire et fragile de ces derniers. Dès lors, il n'est pas facile de
comprendre les tenants et aboutissants de l'élaboration de la politique étrangère américaine si l'on ignore les différends entre
8. Sur ces questions, voir par exemple: Gabriel Almond, The American
Peopleand ForeignPolicy (New York: Harcourt, Brace, 1950); James N. Rosenau, Public Opinion and Foreign Policy (New York: Random, 1961); Eugene
Witkopf, Faces of Internationalism: Public Opinion and American Foreign Policy
(Durham: Duke University Press, 1990); Ralph B. Levering, The Public and
American Foreign Policy, 1918-1978 (New York: William Morrow, 1978); Ole
R. Holsti, Public Opinion and American Foreign Policy (Ann Arbor: The
University of Michigan Press, 2004); Bernard C. Cohen, The Press and Foreign
Policy (Princeton, N.J. : Princeton University Press, 1963); Simon Serfaty, ed.,
The Media and Foreign Policy (New York: St.-Martin's Press, 1991); Patrick
O'Hefferman, Mass Media and American Foreign Policy (Norwood, N.J. : Ablex
Publishing Corporation, 1991).
INTRODUCTION
11
isolationnistes, internationalistes libéraux, néo-conservateurs
et
adeptes de la Realpolitik, si l'on ne tient pas compte de l'activisme
des grands lobbies économiques (parfois institutionnels comme
l'U.s. Chamber of Commerce, parfois encore plus puissants bien
que plus informels comme le "complexe militaro-industriel", parfois
constitués sur une base ad hoc pour un objectif spécifique) ou si
l'on fait abstraction du poids des groupes représentatifs soit de
certaines organisations humanitaires ou idéologiques, soit des
principales communautés ethniques.
Le processus est aujourd'hui d'autant plus délicat à appréhender qu'aux acteurs de la société civile américaine viennent s'ajouter aujourd'hui ceux de la société civile internationale. Le propos
d'Akira lriye est ainsi d'examiner la relation entre politique intérieure et politique extérieure en démocratie dans notre monde
transnational. il s'emploie à souligner l'influence grandissante des
forces transnationales sur les relations internationales, autrement
dit la coexistence et l'interaction qui caractérisent régionalisme,
nationalisme, internationalisme et transnationalisme, au point que
la conception traditionnelle de la politique étrangère paraît dépassée dans la mesure où les acteurs de la scène intérieure doivent
compter non seulement avec des groupes d'intérêt d'autres pays
mais aussi avec un nombre croissant d'acteurs et d'intérêts nonétatiques.
Il devient dès lors nécessaire de régler en priorité des problèmes globaux dont la non-résolution menacerait l'existence
même des acteurs de la scène intérieure. Par ailleurs, le phénomène transnational semble exacerber les tendances nationalistes
dans certains pays, ce qui, aux yeux de certains analystes, pourrait indiquer que les forces de la mondialisation finiront par sécréter l'opposition des localismes et, à terme, par être remplacées par
eux.
Dans ce nouveau contexte transnational les considérations de
politique étrangère et de politique intérieure doivent être repensées et liées inévitablement aux phénomènes et contentieux interétatiques. Non point que les frontières et identités nationales
soient appelées à disparaître, mais elles n'en constitueront plus le
socle majeur. Dans un monde extrêmement complexe les nations,
les organismes gouvernementaux, les ONG, les sociétés multinationales, les religions, les groupes ethniques et même les civilisations en viendront à définir leurs frontières respectives tout en
établissant simultanément des contacts toujours plus étroits entre
eux. Comment alors, dans ces conditions, définir les intérêts col-
12
PIERRE MELANDRI
- SERGE
RICARD
lectifs de l'humanité et gérer cette multiplicité d'identités? Toute
discussion des déterminants intérieurs de la politique extérieure
doit tenir compte de cette problématique.
L'article de Justin Vaïsse porte sur l'intervention de la société
civile aux États-Unis dans la conduite de la politique étrangère,
notamment le contrôle et les impulsions exercés par le Congrès, le
corps législatif le plus puissant du monde dans ce domaine.
Constituée d'organisations, plutôt que d'individus, la société civile
participe, à la fois directement et indirectement, à l'élaboration de
la politique extérieure de l'Amérique. L'analyse du perspicace
Tocqueville est alors rappelée:
Sitôt que plusieurs des habitants des États-Unisont conçu un sentiment ou une idée qu'ils veulent produire dans le monde, ils se
cherchent, et, quand ils se sont trouvés, ils s'unissent. Dès lors, ce ne
sont plus des hommes isolés,mais une puissance qu'on voit de loin,
et dont les actions servent d'exemple; qui parle, et qu'on écoute.9
Justin Vaïsse propose une typologie de ces diverses organisations et s'interroge sur leur impact sur le leadership américain. À
propos des limites de cette typologie, il souligne que toutes ces
organisations sont des "advocacy groups" exerçant une influence
plus ou moins directe sur la politique étrangère des États-Unis,
dont le poids est très important à certaines époques, notamment
lorsque aucun enjeu stratégique majeur n'est à l'ordre du jour.
Par contre, en temps de crise - comme avec la guerre menée par
George W. Bush contre le terrorisme
- "l'existence d'une admi-
nistration forte et d'une menace précise limite les possibilités de
contribuer à définir l'intérêt national américain",
Le débat sur la définition de ce dernier et, plus généralement,
sur les sources internes de la politique extérieure américaine a été
au cœur de l' œuvre intellectuelle des historiens de la "nouvelle
gauche" qu'Ambre IvoI étudie à partir d'une analyse comparative
de William A. Williams et Howard Zinn de 1950 à 1980 - l'un très
souvent étudié, l'autre plutôt négligé malgré l'énorme succès de
librairie que connaît, depuis 1980 son Histoire populaire des États-
9. A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 2 vol. (Paris:
chapitre 5 de la deuxième partie.
Vrin, 1990),
INTRODUCTION
13
Unis de 1492 à nos jourslO, ouvrage sans cesse réédité et ayant
dépassé le million de livres vendus en mai 200311.
Elle montre que tous deux sont issus de la génération de la
Deuxième Guerre mondiale, une expérience qui les a marqués,
moment fondateur de leur carrière d'historien. D'où leur intérêt
pour une interprétation globale de l'histoire américaine, articulant
politique étrangère et politique intérieure.
C'est un autre aspect de cette relation, la projection du modèle
national à l'échelle internationale, qu'aborde Annick Cizel. Elle
s'intéresse, en effet, à la théorie de la modernisation qui naît,
entre la fin des années cinquante et les années soixante, dans certains cercles intellectuels et think tanks préoccupés de rationalisation de l'aide américaine au développement dans divers pays. Il
s'agissait, selon ses concepteurs de lier la diffusion de la culture
américaine au développement économique et à la démocratisation,
de permettre aux États-Unis de conduire, sinon de contrôler, la
modernisation des démocraties libérales et de leur économie de
marché. La légitimation d'un tel programme pour l'Amérique résidait dans son statut de superpuissance et les obligations qui en
découlaient. L'expérimentation
menée par les New Dealers en
matière de développement économique, non seulement dans le
sud des Etats-Unis (Tennessee Valley Authority) mais aussi en
Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie, offrait un modèle
et une inspiration dans la période "post-coloniale" (administration
des Philippines et de Porto Rico). Il s'agissait d'une forme de "planification démocratique", de développement "intégré" et "unifié",
qui entendait réconcilier intérêts des entreprises et bien public.
Le bilan des programmes du New Deal est mitigé; l'écueil d'un
aveuglement ethnocentrique ne fut pas évité: le modèle américain
de développement ne pouvait s'appliquer à tout pays, sans égard
pour sa situation économique et ses traditions. Toutefois, les
années soixante verraient un retour en grâce de l'esprit du New
Deal avec un Johnson préoccupé de faire oublier les défaillances
de sa "Grande Société".
Le jeu complexe des rivalités bureaucratiques est au cœur évidemment de la relation difficile entre le pouvoir militaire et le
10. A People's History of the United States from 1492 to the Present, se éd.
(1980; New York: Harper Collins, 2003). Traduction française par Frédéric
Cotton: Une Histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours (Marseille:
Agone, 2002).
11. James Green, Howard Zinn's History, The Chronicle of Higher Education,
May 23, 2003.
14
PIERRE MELANDRI
- SERGE
RICARD
pouvoir civil. Un temps brisé, dans la foulée du Viêt Nam, le lien
armée-nation a été, rappelle Étienne de Durand, progressivement
reconstruit et n'apparaît toujours pas menacé aujourd'hui. Mais il
n'en va pas de même des relations entre militaires et civils: ce
sont leurs dysfonctionnements bureaucratiques qui expliquent non
seulement les nombreuses erreurs commises à propos de l'Irak
mais aussi la difficulté fondamentale du système américain à élaborer et à conduire une stratégie.
En dépit de la loi Goldwater-Nichols (1986), la coordination interarmées est restée des plus incomplète. Surtout la conduite de la
politique étrangère a été fortement affectée par l'influence que,
dans les années 1980 et 1990, les militaires s'y sont assurée et par
le rôle, souvent crucial, qui leur est revenu dans la décision de
recourir ou non à la force. Déjà difficile dans les meilleures conditions, le "nation-building" dans lequel l'Administration s'est lancée à l'occasion de l'opération Iraki Freedom a terriblement souffert tant de l'absence de toute coordination politique préalable
que des rivalités entre les plus hauts responsables.
En 2001, l'arrivée de Rumsfeld visait à affermir l'emprise de la
direction civile sur les militaires et à promouvoir le projet de
"Transformation" de l'outil de défense: en substituant la vitesse
et l'information à la force et en répudiant le principe de "force
écrasante". Mais les contraintes financières et le déclin du Secrétaire à la Défense dans la foulée des déboires consécutifs aux
décisions prises après le 11 septembre ont abouti à un renversement de situation et à une remise en cause de ses conceptions
dont l'opération Iraki Freedom se voulait la défense et illustration.
Bien évidemment, l'influence du jeu démocratique sur la politique étrangère passe avant tout par le Congrès. Le rôle de ce
dernier peut être direct pour commencer, comme les deux communications suivantes tendent à le montrer. Gildas Le Voguer
part ainsi du postulat de la prééminence de l'Exécutif dans l'élaboration de la politique étrangère américaine. Si "l'initiative
appartient prioritairement au pouvoir exécutif", il est des cas où
le législatif, qui intervient pour contrôler et infléchir, gagne la partie. Après tout, la Constitution des États-Unis propose un partage des prérogatives entre la Maison-Blanche et le Congrès,
partage qui a parfois vu le législatif l'emporter et imposer "sa"
politique.
La politique étrangère américaine vis-à-vis de la Chine en fournit plusieurs exemples. Le pouvoir législatif alimenta l'animosité
INTRODUCTION
15
américaine à l'endroit de la Chine avec l'exploitation de l'affaire
Amerasia, dans l'immédiat après-guerre, lorsque les rédacteurs de
cette revue furent accusés d'espionnage, et parvint à infléchir
négativement la politique de Washington à l'égard de la Chine
communiste. Quelque cinquante-cinq ans plus tard, le Congrès
s'emparait une nouvelle fois d'une affaire d'espionnage liée à la
Chine. Avec la publication du rapport Cox en 1999, le Congrès, à
nouveau, nous montre Gildas Le Voguer, "usait et abusait de sa
procédure inquisitoriale afin d'influer sur la relation entre les
deux pays".
Quant à Maud Quessard-Salvaing, elle étudie les débats et
controverses autour de la place et du rôle de l'Agence d'Information américaine, USIA (United States Information Agency)
dans la conduite de la politique étrangère américaine, ainsi que les
jeux de pouvoir dont elle a fait l'objet entre Congrès et MaisonBlanche pendant les années de guerre froide. Elle apporte un
éclairage sur deux Administrations (Kennedy et Reagan) qui ont
plus particulièrement contribué à la consécration de "la diplomatie
publique". L'USIA, dès sa création le 1er août 1953, suscita la
méfiance du Congrès et fut soupçonnée, pêle-mêle, d'être un
organe de propagande indigne de la démocratie américaine, un
repaire de communistes, et une source de dépenses inutiles.
Condamnée avant même d'avoir fait ses preuves, elle eut des
relations difficiles avec le département d'État et le Congrès, vit sa
légitimité et son efficacité remises en cause périodiquement par les
commissions sénatoriales, comme lors des campagnes des sénateurs McCarthy et Fulbright. Maud Quessard-Salvaing fait le point
par ailleurs sur les principales limites à l'efficacité de l'USIA,
notamment le poids de la bureaucratie et de la Realpolitik sur les
budgets de fonctionnement de l'Agence.
Comme le fait remarquer l'historien britannique Nicholas Cull12,
son efficacité en matière de politique étrangère aurait s'en doute
été décuplée par un véritable statut institutionnel, son plus haut
responsable ayant rang, par exemple, de sous-secrétaire d'État à
la diplomatie publique ou, mieux encore, de conseiller spécial du
Président au sein du Conseil national de sécurité. Or, loin de
devenir des acteurs essentiels de la politique étrangère pendant
12. Nicholas 1. Cull, actuellement professeur à USC (University of Southern California), où il dirige un master consacré à la diplomatie publique, est
l'auteur
de American Propaganda
and Public Diplomacy, 1945-2001: A History of
the United States Information Agency, à paraître aux presses universitaires de
Cambridge.
16
PIERRE MELANDRI
- SERGE
RICARD
la guerre froide "les directeurs successifs de l'USIA en quête de
légitimité ont souvent attendu en vain de prendre place au sein
du Conseil de Sécurité".
Souvent, aussi, les rivalités entre l'Exécutif et le Congrès sont
une brèche dans laquelle s'engouffrent certains groupes et lobbies pour promouvoir leurs intérêts. Ainsi, dans son étude du
rôle des principaux acteurs intervenant dans l'élaboration de la
position américaine lors de la quatrième Conférence de l'ONU sur
les femmes à Pékin en 1995, Fatma Ramdani souligne la lutte qui
oppose la Présidence démocrate à un Congrès dominé, à partir
de janvier 1995, par le Gap. Lors de la phase préparatoire entamée en 1993, l'Administration a pu, il est vrai, faire prévaloir sa
vision. Mais la nouvelle majorité républicaine s'efforce de reprendre
en main le dossier, jusqu'à remettre en cause la participation
même des États-Unis à une conférence. Il est vrai que le lieu
même où elle doit se dérouler, la composition de la délégation
américaine (qui compte parmi ses membres l'épouse du Président
lui-même) et l'ordre du jour des débats sont autant de motifs
d'irritation pour les élus et certains soutiens du Gap.
Dès lors, ce sont les clivages idéologiques internes de la société
civile américaine elle-même qui se voient transposés sur la scène
onusienne. Avec 17 membres sur les 45 que compte la délégation
officielle et 7000 de ses représentantes parmi les 40000 participantes au forum des ONG organisé parallèlement à la Conférence, cette société se révèle particulièrement présente. Mais
l'influence dominante des femmes "libérales" dans ces deux
représentations ne fait qu'inciter les représentantes de la droite
chrétienne à se mobiliser, au risque de montrer à quel point les
femmes américaines restent divisées sur certains des dossiers les
plus controversés.
Parmi les lobbies, les organisations représentatives des communautés ethniques ont toujours été évidemment parmi les plus
actives. L'impact des Cubains-Américains sur la politique étrangère de Washington, nous rappelle ainsi Isabelle Vagnoux, est à
la fois considérable et réduit. Considérable, en raison de son
poids sur la relation avec Cuba, réduit parce qu'il se concentre
presque exclusivement sur celle-ci, même s'il lui arrive parfois
d'apporter son soutien à d'autres causes, telles les croisades antisandiniste ou anti-terroriste.
Il a fallu attendre les années 1980 pour que la communauté
fasse vraiment entendre sa voix: à travers l'élection de CubainsAméricains toujours plus nombreux dans la région de Miami mais
INTRODUCTION
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aussi la création, en 1981 de la Cuban American National Foundation (CANF) de Jorge Canosa. Son activisme a débouché sur la
création de Radio Marti en 1983, puis de TV Marti six ans après,
ainsi que sur l'élection de trois membres de la communauté à la
Chambre des représentants. Second groupe ethnique (après le
lobby pro-Israël) par les sommes dépensées, le lobby cubain a
arraché le vote de deux lois renforçant l'embargo dont, en 1996,
la fameuse loi Helms-Burton.
Mais, à la fin des années 1990, son influence a commencé à se
heurter aux intérêts du lobby agricole et des milieux d'affaires.
Dès 2000, Cuba a bénéficié sous Clinton de quelques concessions
commerciales. Et si George W. Bush a multiplié envers les CubainsAméricains les signes de bonne volonté, le Congrès renâcle à
adopter une politique susceptible de heurter de front les groupes
hostiles aux sanctions. Surtout, le lobby ne pourra pas éviter les
retombées du déclin de l'engagement anti-castriste dans les nouvelles générations de Cubains-Américains.
Pourquoi, se demande Pierre-Michel Durand à propos d'un
autre groupe communautaire, les études sur le lobby noir évoquentelles régulièrement (et peut-être abusivement) une inanité qu'il ne
viendrait à l'idée de personne de prêter à ses homologues juif,
cubain, arménien ou polonais? Et ce alors que, avec 35 millions de
membres, les Africains-Américains représentent 12 % de la population totale.
Diverses raisons semblent se combiner. Tout d'abord, l'Afrique
reste un continent et non une nation. Ensuite, si les autres populations n'ont quitté leur pays d'origine que depuis une ou
quelques générations, cela fait des siècles que les Noirs américains
ont subi cette séparation. Enfin et surtout, en raison de leur histoire passée, les Noirs ont pour priorité l'amélioration leur propre
condition économique et sociale, la préservation de leurs droits
dans la société
Durant les années 1960, il est vrai, l'Afrique est apparue un
enjeu crucial de la guerre froide. Mais l'intérêt pour elle n'a longtemps été qu'un feu de paille. Pourtant, la priorité accordée, à
l'instigation de Henry Kissinger, par les Administrations Nixon et
Ford aux impératifs de guerre froide sur la lutte contre l'apartheid
en Afrique australe a provoqué une mobilisation de la communauté noire et précipité, après la tragédie de Soweto, la création de l'organisation Transafrica. Sous le leadership de Randall
Robinson, celle-ci a fini par arracher en 1986 le vote, en dépit du
veto de Reagan, du Comprehensive Anti-Apartheid Act. Pourtant,
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les efforts du lobby noir pour accroître l'aide à l'Afrique resteront sans grand effet jusqu'au vote, sous Clinton, de l'African
Growth and Opportunity Act qui a, au demeurant, laissé ses
leaders divisés.
Manifestement, constate Justine Faure, les Américains originaires d'Europe centrale, en particulier les Polonais, ont cherché
à exercer une influence prédominante sur les relations entre
Washington et leur région. Mais y sont-ils réellement parvenus ou
ont-ils simplement servi à la promotion de politiques décidées par
d'autres, voire été manipulés?
À vrai dire, ces communautés ont disposé d'atouts solides pour
la promotion de leurs intérêts: leur taille (8 % à 10 % de la population totale), leur concentration dans des Etats clés, leur participation électorale active, le maintien d'une forte identité communautaire. Pourtant, leur influence réelle est restée en deçà de celle
qu'elles pouvaient espérer: la prégnance de la guerre froide et
d'une présidence "impériale" ont fait obstacle à l'efficacité de leur
lobbying dès lors qu'il touchait à des questions vitales pour l'intérêt national.
Avec le temps, il est vrai, l'organisation d'un véritable vote
communautaire et le développement d'une coopération entre
l'Exécutif et leurs organisations représentatives ont assuré à ces
dernières un poids beaucoup plus conséquent dont a témoigné
leur rôle dans le processus qui a conduit à l'intégration de la
Pologne, de la République tchèque et dela Hongrie dans l'OTAN.
Si cette absorption correspondait à la politique d'Enlargement que
l'Administration Clinton avait d'emblée embrassée et si sa mise en
œuvre a été beaucoup plus scandée par les impératifs des relations avec Moscou que par la pression des lobbies concernés, ces
derniers ont œuvré, de façon peut-être décisive, à la conversion
d'un Sénat au départ sceptique envers le projet.
L'évolution de la politique des États-Unis face aux "troubles"
d'Irlande du Nord, note Anna Gressel-Bacharan, est une parfaite
illustration des divisions et affrontements qui marquent le plus
souvent le processus d'élaboration de leur politique étrangère.
Comme on peut s'en douter, les principaux heurts ont opposé
l'Exécutif au Congrès. Si les élus ont été sensibles au poids du
vote irlandais-américain ou à la justesse de la cause indépendantiste, tant la Maison-Blanche que le département d'État ont évité
de mettre en péril, en pleine guerre froide, la "relation spéciale"
avec l'allié britannique.
INTRODUCTION
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Mais les clivages sont tout autant passés au sein de l'Exécutif
que des deux grands partis au Congrès. Si, sur le Capitole, les
forces "républicaines" de l'Ulster ont pu compter sur l'appui de
l'Ad Hoc Committee on Irish Affairs, les forces plus modérées
ont bénéficié du soutien des "Friends of Ireland", créé dès 1981 en
réaction au premier. Dès 1977, ses leaders, Ted Kennedy, Daniel
"Pat" Moynihan, Tip O'Neill et Hugh Carey s'étaient prononcés
contre la violence en Irlande du Nord et avaient condamné tout
Américain contribuant à la financer.
Si, à partir du milieu des années 1990, ces deux organisations
ont fini par coopérer, c'est sans doute parce que, sous Clinton,
l'Exécutif s'est résolument impliqué dans la gestion du dossier,
révélant ses propres divisions à son sujet. En 1985 comme en
1994, le reste de l'Administration s'est vu débordé par le NSC.
C'est ce dernier qui a ainsi persuadé Clinton d'accorder lill premier visa au leader du Sinn Fein, Gerry Adams et d'entamer le
processus qui a débouché sur "l'accord du vendredi saint"
quatre ans après.
Plus que tout autre, sans doute, le "lobby juif" et le lobby "proIsraël" ont été au centre de maintes analyses, voire controverses.
Mokhtar Ben Barka consacre ainsi sa contribution au poids du
premier et à ses liens avec les protestants évangéliques américains
(baptistes,fondamentalistes,
pentecôtistes). C'est à partir du début
des années 1980, que la droite chrétienne devient une force politique à part entière et qu'un rapprochement inattendu s'opère
entre les deux groupes. On notera au passage que les évangéliques représentent de 25 à 40 % de la population américaine,
selon les estimations, et les Juifs 2 %. TIconvient d'ajouter que la
question du lobby pro-israélien est un sujet à très fort potentiel
polémique qui déchaîne les passions, comme le montre la récente
controverse suscitée récemment par l'article de John Mearsheimer
et Stephen Walt, et relancée par la sortie de leur livre.
Dans un premier temps Mokhtar Ben Barka fait un bref historique du "lobby juif", puis il décrit les étapes d'un rapprochement
et ses ambiguïtés. La sympathie des évangéliques pour la cause
d'Israël date de la guerre froide, l'État juif apparaissant aux yeux
de ces anti-communistes virulents comme le rempart de la démocratie au Moyen-Orient face à la multiplication des régimes prosoviétiques. La deuxième Intifada, puis les attentats du 11 septembre 2001 ont fait des Israéliens les alliés des Américains dans
la lutte contre le terrorisme islamique. Les évangéliques ont vu en
eux le poste avancé d'une croisade commune. Cet attachement ne
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s'explique pas seulement par une alliance d'intérêts objective; il
existe des raisons religieuses: pour les protestants évangéliques
la création de l'État hébreu est la réalisation d'une promesse
biblique. Mais cette affection pour le "Peuple élu" chez les tenants
du millénarisme ne va pas sans une certaine perversité, le retour
des Juifs à Jérusalem n'étant que le prélude à leur disparition! Il
n'en demeure pas moins, sur le plan intérieur, que depuis les
années Reagan l'électorat juif, traditionnellement libéral, ne tient
plus rigueur aux évangéliques de leur positions conservatrices.
Le "lobby juif", rappelle Pauline Peretz, est souvent identifié à
des batailles en faveur d'Israël. Pourtant, il est intervenu avec
une relative efficacité sur d'autres dossiers, allant à l'occasion à
l'encontre des intérêts immédiats d'Israël. Cela a, par exemple,
été le cas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand les
Juifs américains se sont mobilisés pour arracher au Congrès, avec
l'aide du président Truman, une législation sur l'immigration
moins défavorable aux Juifs victimes de la guerre en Europe. Cela
l'a également été quand ils ont milité en faveur d'un relâchement
de la politique restrictive de Moscou sur l'émigration des Juifs
soviétiques ou encore en faveur du remboursement des sommes
empochées aux dépens des Juifs par diverses banques après la
Seconde Guerre mondiale.
Dans ces trois cas, les Juifs américains ont affiché leur capacité à
mener et gagner une bataille difficile auprès du Congrès et influé,
ce faisant, sur leur relation avec Israël. La dimension juive de la
mobilisation a été de plus en plus assumée au fur et à mesure que
l'antisémitisme a reflué et que le partenariat entre les États-Unis
et Israël est apparu naturel aux yeux de l'opinion américaine.
Surtout si, dans le premier cas, les réticences initiales du
Congrès ont sans doute permis à cet État de bénéficier de l'arrivée de nombreux Juifs européens qui se seraient peut-être dirigés
vers le territoire américain, l'activisme des organisations juives
d'Amérique a ensuite permis aux dirigeants de Tel-Aviv, dans les
deux autres, de jouer un rôle non négligeable mais discret en
coulisse.
Tony Smith entreprend, quant à lui, d'analyser la vive controverse que les écrits de Stephen Walt (Harvard University) et
John Mearsheimer (the University of Chicago) ont provoquée13.
Observateur soucieux d'objectivité et de distance, il s'étend sur
13. John J. Mearsheimer and Stephen M. Walt, The Israel Lobby and U.S.,
Foreign Policy (New York :Farrar, Straus, and Giroux, 2007).
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