Marie-Noëlle Thabut,
bibliste et extraordi-
naire conteuse, nous
fait entrer au cœur de
la Bible. Une Parole
vivante pour aujourd’hui.
“““““““““““““““““““““““““““
Elle a fait des
études de droit,
puis d’exégèse. Elle
s’est beaucoup in-
vestie dans la pas-
torale liturgique et
l’initiation biblique,
à travers des cours,
des conférences et
des voyages en Terre
sainte. Elle est sur-
tout connue du
grand public grâce
à ses émissions sur
Radio Notre-Dame,
ses commentaires
dans Magnicat et
son grand ouvrage
sur les années litur-
giques, L’intelligence
des Écritures, pour
comprendre la parole
de Dieu chaque di-
manche en paroisse,
paru chez Soceval.
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Nous continuons la lecture du
discours de Pierre à Jérusalem au
matin de la Pentecôte ; parce qu’il
est désormais rempli de l’Esprit-
Saint, il lit « à livre ouvert », si
j’ose dire, dans le projet de Dieu :
tout lui paraît clair ; il se souvient
du prophète Joël qui avait annoncé
« Je répandrai mon Esprit sur
toute chair » (Jl 3, 1) et pour lui,
c’est l’évidence, nous sommes au
matin de l’accomplissement de
cette promesse : c’est par Jésus,
rejeté, supprimé par les hommes,
mais ressuscité, exalté par Dieu
que l’Esprit est répandu sur toute
chair.
Ces gens qui sont en face
de lui, ce sont des pèlerins
juifs venus de tous les coins de
l’Empire Romain : ils sont partis
de chez eux, parfois de très loin,
du n fond de la Mésopotamie,
ou de la Turquie, ou d’Egypte et
de Lybie, par obéissance à la Loi
de Moïse ; et ils ne sont pas venus
faire du tourisme ; ils sont venus
en pèlerinage pour célébrer la fête
de la Pentecôte, la fête du don de
la Loi ; pendant tout le trajet, et
encore une fois arrivés au Temple
de Jérusalem, ils ont chanté les
psaumes et prié Dieu de faire
venir son Messie.
La tâche de Pierre, ce matin-
là, c’est donc de leur ouvrir les
yeux : oui, le Messie dont vous
n’avez pas cessé de parler ces
jours-ci, c’est bien lui, qui a été
exécuté ici même à Jérusalem,
il y a quelques semaines. « Que
tout le peuple d’Israël en ait la
certitude: ce même Jésus que vous
avez crucié, Dieu a fait de lui le
Seigneur et le Christ. »
Pour des auditeurs juifs, ces
titres de « Seigneur » et « Christ »
décernés à Jésus sont très osés : le
mot « Christ » est la traduction en
grec du mot hébreu « Messie » ;
quant au mot « Seigneur », il était
appliqué tantôt à Dieu tantôt au
Messie ; dans le psaume 109/110,
par exemple, vous connaissez la
phrase « Le SEIGNEUR a dit à
mon Seigneur »... qui voulait dire
« Le SEIGNEUR Dieu a dit à mon
Seigneur, le roi ».
Pierre ne l’emploie certaine-
ment pas encore au sens de
« Jésus est Dieu », c’était par trop
impensable pour des Juifs, lui
compris. Mais il veut bien dire par
là, ce qui est déjà considérable,
que l’homme de Nazareth est le
Messie attendu : c’est donc faire
reposer sur Jésus toute l’espérance
d’Israël ; or si, de très bonne foi,
des quantités de contemporains
de Jésus ont pu vouloir la mort de
Jésus, c’est que son caractère de
Messie n’était pas du tout évident.
Les auditeurs de Pierre
furent « remués jusqu’au fond
d’eux-mêmes », nous dit Luc;
là on touche le mystère de la
conversion: ils étaient venus à
Jérusalem en pèlerinage, donc
le coeur ouvert, certainement. Et
Pierre a su toucher leurs coeurs.
Ils posent la même question
très humble qu’on posait à Jean-
Baptiste sur les bords du Jourdain:
« Que devons-nous faire ? »
(verset 37) ; et la réponse est
la même également, tout aussi
simple : « Convertissez-vous »
(verset 38)... et un peu plus
tard, Pierre reprend une formule
analogue : « Détournez-vous
de cette génération égarée » ;
se convertir, dans le langage
biblique, c’est précisément se
retourner, faire demi-tour ; l’image
qui est derrière ces expressions,
c’est celle de deux routes (on
disait deux voies) : on peut se
tromper de chemin ; « génération
égarée » veut dire « qui a perdu
sa route ». Dans cette expression
« génération égarée », il ne faut
certainement pas lire du mépris :
Pierre fait une simple constatation.
La génération contemporaine
du Christ et des apôtres a été
affrontée à un véritable dé :
reconnaître en Jésus le Messie
qu’on attendait malgré toutes les
apparences contraires ; et elle a
commis une erreur de jugement,
elle s’est trompée de chemin. Et
cette constatation de Pierre est un
appel pour ses auditeurs, un appel
à se convertir, à faire demi-tour.
Concrètement, se convertir,
c’est demander le Baptême « au
nom du Christ » ; et nous avons là
une petite catéchèse du Baptême
tel que les apôtres en parlaient dès
le début de l’Eglise. « Que chacun
de vous se fasse baptiser au nom
de Jésus-Christ pour obtenir
le pardon de ses péchés. Vous
recevrez alors le don du Saint-
Esprit ».
Car, dit-il, « C’est pour vous
que Dieu a fait cette promesse,
pour vos enfants et pour tous ceux
qui sont loin, tous ceux que le
Seigneur notre Dieu appellera. »
Ici, il rapproche, pour des
auditeurs juifs, donc familiers des
Ecritures, deux textes de l’Ancien
Testament ; d’abord l’annonce du
prophète Joël citée plus haut (« Je
répandrai mon Esprit sur toute
chair ») ; et puis une phrase d’Isaïe
qui était bien connue : « Paix
pour ceux qui sont loin (sous-
entendu les païens) comme pour
ceux qui sont proches (le peuple
élu) » (Isaïe 57, 19). Le peuple
d’Israël se sentait proche de Dieu,
grâce à sa vie dans l’Alliance :
il était le peuple choisi, le ls,
comme disait le prophète Osée.
Les autres peuples lui paraissaient
étrangers à Dieu, éloignés de
Dieu. Et quand Isaïe dit « la paix
est aussi pour ceux qui sont loin »,
il rappelle ce que le peuple élu a
retenu de la promesse faite à
Abraham: à savoir que l’humanité
tout entière est concernée par ce
qu’on pourrait appeler « le plan de
paix de Dieu ».
Ce jour-là ils furent trois mille
à se faire baptiser, trois mille
Juifs qui devinrent Chrétiens ; ils
faisaient partie de ceux que Pierre
appelait les « proches ». Mais peu
à peu, au long du livre des Actes,
puis de l’histoire de l’Eglise, ceux
qui étaient loin vont rejoindre
les appelés de Dieu. C’est à eux
que Paul dira dans la lettre aux
Ephésiens : « Maintenant, en
Jésus-Christ, vous qui jadis étiez
loin, vous avez été rendus proches
par le sang du Christ. C’est lui, en
effet, qui est notre paix : de ce qui
était divisé, il a fait une unité »
(Ep 2, 13 - 14).
Année 8 - Volume 5 - Numéro 5 Mars 2016
4e Dimanche du temps Pâques. Année A. Marie-Noëlle Thabut