L`ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS

L'ÉTAT
ACTUEL
DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS DU
PÔLli
Par M. GIOVANNI BOCCARDI
(TURO)
Qu'on me permette de rappeler quelques principes théoriques. Puisqu'il est
infi-
niment peu probable qu'à l'origine Taxe instantané de rotation de notre globe
et
Taxe
polaire principal d'inertie aient coïncidé, on peut se proposer la question suivante :.
« Est-il possible de constater par l'observation la non-coïncidence susdite? » Du
temps
d'Euler et, après lui, pendant un siècle, en passant par Laplace jusqu'à
Ponlécoulanl,
on déclarait que, puisque aucune variation n'avait été constatée dans les latitudes,
les deux axes devaient être pratiquement coïncidants. On allait même jusqu'à
dire
que « les oscillations de Taxe terrestre qui dépendent de
Télat
initial du mouvement
sont depuis longtemps
anéanties ('). »
D'après la théorie, Taxe instantané et celui d'inertie décrivent, dans
Vespace,
au-
tour de Taxe du couple résultant de la quantité de mouvement, les surfaces latérales
de deux cônes à base circulaire, dans un jour sidéral moins
4m428.
Les ouvertures
des deux cônes sont entre elles dans le rapport de
i
; 3o5 environ. Du fait que le cône
de Taxe d'inertie est décrit dans un temps légèrement plus court que celui de la
rota-
tion terrestre, il suit que le pôle instantané, I, quand Taxe instantané
01
a décrit
dans l'espace son
cône,
de beaucoup plus petit que l'autre, se trouve déplacé sur le
globe, dans
le
sens direct, par rapport à un système d'axes coordonnés avec l'origine
dans le pôle d'inertie, C.
Le rapport
i
; 3o5 résulte des valeurs des moments principaux d'inertie A et C,
qu'on a déduits de la théorie de la précession et nutation. C'est ce rapport qui fixe la.
différence de
4m42s,
dont nous venons de parler.
Le chemin parcouru par le pôle
1
sur le sphéroïde terrestre se comprend très
bien-
(*)
Pontécoulant,
liv.
IV, chap. u.
L'ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS DU PÔLE. 5O5
par la
représentation
cinématique de Poinsot, c'est-à-dire d'un cône de plus grande
ouverture fixe dans la Terre (et mobile avec elle dans l'espace), Taxe duquel accom-
plit une rotation autour de Taxe du couple résultant OG, dans un jour sidéral
moins
4m42%
pendant que le petit cône, décrit dans le même temps par Taxe
01
au-
tour de OG, tout en restant fixe dans l'espace roule sur la surface intérieure
du premier. A tout instant la position de Taxe instantané
01
est donnée par la géné-
ratrice commune aux deux cônes. Le chemin du pôle I sur le sphéroïde est
\a
polhodie,
qui devrait être parcourue en 3o5 jours sidéraux,
c'est-à-dire
en 3o3,
8
jours moyens.
C'est le cycle eulérien.
Il y a donc une correspondance dans les mouvements de Taxe instantané. D'un
côté,
le très faible déplacement de cet axe dans
l'espace
(déplacement qui atteint à
peine,à
o",ooo6)
donne lieu à
un
déplacement plus considérable du même axe dans
l'intérieur du globe, qui peut atteindre
o",64;
de l'autre, le grand déplacement de
Taxe instantané dans l'espace, la précession (qui atteint à peu près 47°) produit un
très petit déplacement de Taxe
01
dans le globe, dont la période est d'un jour sidéral
moins
4m42s
et l'étendue varie entre
o",oo
et
o",o4;
c'est la nutation diurne, dont le
sens est rétrograde, comme celui de la précession. J'ai proposé de donner à ce der-
nier déplacement le nom de polhodie secondaire ou diurne, pour réserver le nom de
nutation diurne au déplacement dans l'espace de Taxe instantané, par la raison que
toutes les nutations sont des mouvements dans l'espace. Cette polhodie diurne étant
connexe avec le phénomène de la précession qui dépend des positions du Soleil et de
la Lun2, on comprend que le rayon de ce petit cercle soit variable, tandis que le
rayon du cercle de la polhodie eulérienne devrait être constant d'après la théorie.
II
Les recherches des astronomes observateurs sur cette question, surtoutdepuis
1880,
ont eu pour objet de constater par l'observation seulement la polhodie eulérienne, au
moyen des variations de la latitude, que Ton a déterminée systématiquement, dans
différents lieux terrestres. Il sera utile de nous entendre sur ce sujet, en précisant
les termes et en fixant ce que peuvent nous donner des observations de ce genre.
Remarquons d'abord que
la
position du pôle d'inertie sur le sphéroïde terrestre
nous échappe, et qu'il serait presque impossible de l'établir par des observations
astronomiques. Au contraire, on peut fixer la position du pôle instantané en se ser-
vant du mouvement diurne. En effet, la colatitude est
l'angle
entre la verticale du
lieu et Taxe instantané de rotation, ou, si Ton veut; la distance en arc, sur le globe
terrestre, entre le lieu où Ton observe el la position du pôle instantané sur le globe
64
5o6 G. BOCCARDI.
lui-même; mais comme il est impossible de voir
directementla
position du pôle ins-
tantané soit sur la sphère céleste soit sur le sphéroïde terrestre, on a recours à des
points visibles, observables, que Ton suppose fixes sur la voûte céleste, c'est-à-dire
aux étoiles. La distance angulaire de ces points au pôle étant bien connue, on en
déduit la distance du zénith au pôle, la colatitude. Cependant le pôle instantané se
déplace sur la voûte céleste par effet de la précession et de la nutation avec tous leurs
termes, qui sont très
nombreux'*
par conséquent, lorsqu'on veut déduire de l'obser-
vation des
étoiles(*)
les déplacements du pôle sur le globe, on doit nécessairement
supposer bien connus les déplacements du pôle sur la voûte céleste, c'est-à-dire les
variations de la distance du pôle à chacune des étoiles observées.
Remarquons aussi que les mouvements d'ensemble du globe avec tous ses points,
le pôle instantané y compris, mouvements qui constituent la précession et la nuta-
tion, ou les déplacements du pôle sur la sphère céleste, sont sans effet sur la colati-
tude,
qui est donnée par la distance du zénith au pôle; de sorte que s'il était possible
d'observer le pôle lui-même sur le ciel, les mouvements d'ensemble du globe ne
produiraient aucune variation Acp sur la latitude, et il en est de même lorsqu'on
observe une étoile au lieu du pôle, que Ton suppose fixe sur le globe, pourvu que
Ton connaisse bien les variations dans la position de l'étoile dues aux mouvements
d'ensemble du globe. Mais s'il restait à découvrir quelque mouvement sensible du
pôle instantané dans l'espace, l'inexactitude qu'il s'ensuivrait sur la position de
l'étoile nous conduirait à une valeur inexacte de la latitude cp, dans laquelle on trou-
verait un Acp apparent, illusoire, que Ton attribuerait à un déplacement inexistant
du pôle sur le sphéroïde. En d'autres termes, si Ton suppose le pôle instantané fixe
sur le sphéroïde, ou ses mouvements sur ce dernier bien connus, l'observation pour-
rait mettre en lumière des mouvements encore inconnus du pôle sur la sphère céleste
c'est-à-dire des mouvements d'ensemble de notre globe.
On a donc deux problèmes différents. Dans le premier cas, de l'observation des
étoiles on déduit les déplacements du pôle dans l'espace; dans le second, de la même
observation on déduit les déplacements du pôle sur le globe.
Mais aujourd'hui on suppose absolument bien connus tous les déplacements sen-
sibles du globe et du pôle dans l'espace, et Ton cherche à déduire de l'observation
des étoiles, par rapport au zénith, les déplacements du pôle sur le globe. La théorie
de la précession et de la nutation a été faite dans l'hypothèse que le pôle soit fixe sur
notre sphéroïde. Il y a un petit cercle vicieux inévitable dans plusieurs recherches
astronomiques, dans lesquelles on commence par supposer bien connues les lois d'un
phénomène et, en partant de cette hypothèse, on passe à l'investigation d'un autre;
sauf à revenir ensuite sur le premier pour y apporter des retouches.
Puisque, d'après la théorie, le cône de la nutation diurne, dans l'espace, de Taxe
(')
Distance du zénith à l'étoile.
L'ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS DU POLE.
ÒOJ
instantané
a une ouverture insaisissable par l'observation, on suppose cet axe abso-
lument fixe dans
l'espace(*),
tandis que Taxe d'inertie fixe dans le globe se déplace
avec celui-ci dans l'espace et donne lieu à la variation des latitudes. Mais ces varia-
tions peuvent se produire :
i°
dans une Terre absolument rigide, comme le veut la
théorie d'Euler; 2° dans une Terre pas encore absolument rigide par des déplace-
ments de masses dans son intérieur, avec variation des moments d'inertie. Si ces
déplacements étaient considérables, on ne pourrait plus compter sur la fixité de Taxe
polaire dans l'espace.
III
L'examen et la discussion d'une longue série d'observations de latitude faites à
l'Observatoire
de Greenwich amenèrent M. Chandler à reconnaître une période de
427
jours moyens dans les variations de la latitude, et par conséquent un allonge-
ment de la période eulérienne de 3o4 jours moyens relative à la polhodie. Chandler
reconnut en
outre
une période annuelle donnant lieu à des variations encore plus
faibles. Les observations systématiques faites dans les six stations internationales
situées dans l'hémisphère boréal ont
confirmé
cette période en la portant à
434
ou
435 jours. Des observations très récentes, par exemple celles de Greenwich et de
Pino Torinese, ont montré que cette période n'est qu'une moyenne, les spires de
la polhodie
s'accomplissant
tantôt dans l'espace de
i3
mois et encore moins, tantôt
en
i5
mois. Quant à l'amplitude de ces spires, elle est très variable, car l'excursion
du pôle sur le sphéroïde oscille entre
o",i8
et
o",64.
En effet, les observations faites
à Pino ont donné, pour le mois d'août
1919,
un maximum de la latitude dépas-
sant d'à peine
+0^,09
la valeur moyenne; tandis qu'en
1910-11
l'excursion
s'est
montée à
±o\3a.
Or cette variabilité de la durée et de l'amplitude des variations de la latitude,
lorsque la théorie exigerait que la polhodiet un cercle de rayon constant et par-
couru toujours dans l'espace de 3o4 jours, ont amené plusieurs astronomes à
attri-
buer ces variations à d'autres causes, et à déclarer qu'il
s'agit
là d'un phénomène
bien différent du déplacement du pôle dans le cas du mouvement de
rotation
non
troublé. D'ailleurs nos observations sont si précises qu'on ne peut aucunement
attribuer la variabilité de l'amplitude des spires à des erreurs d'observation.
C'est surtout l'allongement énorme de la durée de 3o4 jours à 435 jours, qui a
donné lieu à des discussions. On connaît l'explication proposée par Simon Newcomb.
(')
Sauf,
bien entendu, les déplacements de la précession, etc.
5o8 G. BOCCARDI.
D'après ce savant, le pôle d'inertie ne resterait pas fixe sur le sphéoroïde, mais il se
déplacerait de manière à prolonger la période. Toutefois, la condition posée
par
Newcomb, que la nouvelle position
C
du pôle d'inertie se trouve toujours sur la
droite joignant la position primitive C à celle du pôle instantané I, a été contestée
récemment par M.
Souleyre.
Les recherches plus récentes de M.
Schwayder Tont
amené à admettre que le pôle d'inertie décrit sur le sphéroïde un petit cercle avec
rayon de
off,i2.
Quoi qu'il en soit, nous constatons avec satisfaction que Ton doit
s'incliner devant l'évidence et reconnaître que notre globe est loin d'avoir atteint
la rigidité que Ton suppose.
Une discussion encore plus ample a eu pour objet ce qu'on appelle le terme de
Kimura
ou le terme z. Ce savant japonais annonças
1902
que les équations de
condition, que Ton est obligé de poser pour déduire des observations des mêmes
étoiles faites à la même latitude dans les six stations internationales, donnent une
somme des carrés des résidus plus petite lorsqu'au lieu des deux inconnues x et y
(les coordonnées du pôle instantané par rapport au système d'axe avec origine dans
le pôle d'inertie) on en introduit une troisième z, ce qui revient à admettre que le
mouvement du pôle instantané ne s'accomplit pas dans un plan. Toutefois, quel-
qu'un d'entre nous fit remarquer que d'après les principes de la théorie des moin-
dres carrés, plus on introduit d'inconnues, plus la somme des carrés des résidus
résulte petite. Le vrai criterium pour pouvoir admettre une troisième inconnue
devrait être une raison théorique ou, tout au moins, pour ceux qui ont pleine con-
fiance dans la méthode des moindres carrés, le fait que pour chaque inconnue
Terreur probable résultât plus faible. Or ce n'est pas le cas dans la variation des
latitudes.
Mais l'existence du terme de Kimura, admise par le Bureau de l'Erdmessung de
Potsdam, qui au lieu de deux coordonnées commença à en donner trois,
fut
contes-
e même en Allemagne. On l'attribua soit à une imparfaite connaissance de la cons-
tante d'aberration, soit à la méthode de réduction des observations, dite en chaîne,
soit à des anomalies de la réfraction ou à d'autres causes. Ce terme qui d'abord se
monta jusqu'à
±o",o4
et dans ces dernières années atteignit
±o",07,
donna lieu à
des discussions animées, à des mémoires très étendus. Enfin le Bureau de Potsdam
lui-même a fini par y renoncer, en reconnaissant qu'il n'appartient pas au déplace-
ment du pôle, mais à des causes météorologiques affectant les observations, de ma-
nière que son effet soit le même pour toutes les stations d'un hémisphère et ait le
signe contraire pour l'autre.
Du reste, en général, les observations systématiques de latitude commencent
à montrer presque partout des variations que Ton attribue à des causes météorolo-
giques. C'est bien là une des caractéristiques de l'état actuel de ces recherches. Les
plus enthousiastes des résultats des six stations internationales, aujourd'hui rédui-
tes à deux, ont dû reconnaître que la grande précision des observations qu'on y fait
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