L`ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS

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L'ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS DU PÔLli
Par M. GIOVANNI BOCCARDI
(TURO)
Qu'on me permette de rappeler quelques principes théoriques. Puisqu'il est infiniment peu probable qu'à l'origine Taxe instantané de rotation de notre globe et Taxe
polaire principal d'inertie aient coïncidé, on peut se proposer la question suivante :.
« Est-il possible de constater par l'observation la non-coïncidence susdite? » Du temps
d'Euler et, après lui, pendant un siècle, en passant par Laplace jusqu'à Ponlécoulanl,
on déclarait que, puisque aucune variation n'avait été constatée dans les latitudes,
les deux axes devaient être pratiquement coïncidants. On allait même jusqu'à dire
que « les oscillations de Taxe terrestre qui dépendent de Télat initial du mouvement
sont depuis longtemps anéanties ('). »
D'après la théorie, Taxe instantané et celui d'inertie décrivent, dans Vespace, autour de Taxe du couple résultant de la quantité de mouvement, les surfaces latérales
de deux cônes à base circulaire, dans un jour sidéral moins 4m428. Les ouvertures
des deux cônes sont entre elles dans le rapport de i ; 3o5 environ. Du fait que le cône
de Taxe d'inertie est décrit dans un temps légèrement plus court que celui de la rotation terrestre, il suit que le pôle instantané, I, quand Taxe instantané 01 a décrit
dans l'espace son cône, de beaucoup plus petit que l'autre, se trouve déplacé sur le
globe, dans le sens direct, par rapport à un système d'axes coordonnés avec l'origine
dans le pôle d'inertie, C.
Le rapport i ; 3o5 résulte des valeurs des moments principaux d'inertie A et C,
qu'on a déduits de la théorie de la précession et nutation. C'est ce rapport qui fixe la.
différence de 4m42s, dont nous venons de parler.
Le chemin parcouru par le pôle 1 sur le sphéroïde terrestre se comprend très bien-
(*) Pontécoulant, liv. IV, chap. u.
L'ÉTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DÉPLACEMENTS DU PÔLE. 5 O 5
par la représentation cinématique de Poinsot, c'est-à-dire d'un cône de plus grande
ouverture fixe dans la Terre (et mobile avec elle dans l'espace), Taxe duquel accomplit une rotation autour de Taxe du couple résultant OG, dans un jour sidéral
moins 4m42% pendant que le petit cône, décrit dans le même temps par Taxe 01 autour de OG, — tout en restant fixe dans l'espace — roule sur la surface intérieure
du premier. A tout instant la position de Taxe instantané 01 est donnée par la génératrice commune aux deux cônes. Le chemin du pôle I sur le sphéroïde est \a polhodie,
qui devrait être parcourue en 3o5 jours sidéraux, c'est-à-dire en 3o3, 8 jours moyens.
C'est le cycle eulérien.
Il y a donc une correspondance dans les mouvements de Taxe instantané. D'un
côté, le très faible déplacement de cet axe dans l'espace (déplacement qui atteint à
peine,à o",ooo6) donne lieu à un déplacement plus considérable du même axe dans
l'intérieur du globe, qui peut atteindre o",64; de l'autre, le grand déplacement de
Taxe instantané dans l'espace, la précession (qui atteint à peu près 47°) produit un
très petit déplacement de Taxe 01 dans le globe, dont la période est d'un jour sidéral
moins 4m42s et l'étendue varie entre o",oo et o",o4; c'est la nutation diurne, dont le
sens est rétrograde, comme celui de la précession. J'ai proposé de donner à ce dernier déplacement le nom de polhodie secondaire ou diurne, pour réserver le nom de
nutation diurne au déplacement dans l'espace de Taxe instantané, par la raison que
toutes les nutations sont des mouvements dans l'espace. Cette polhodie diurne étant
connexe avec le phénomène de la précession qui dépend des positions du Soleil et de
la Lun2, on comprend que le rayon de ce petit cercle soit variable, tandis que le
rayon du cercle de la polhodie eulérienne devrait être constant d'après la théorie.
II
Les recherches des astronomes observateurs sur cette question, surtoutdepuis 1880,
ont eu pour objet de constater par l'observation seulement la polhodie eulérienne, au
moyen des variations de la latitude, que Ton a déterminée systématiquement, dans
différents lieux terrestres. Il sera utile de nous entendre sur ce sujet, en précisant
les termes et en fixant ce que peuvent nous donner des observations de ce genre.
Remarquons d'abord que la position du pôle d'inertie sur le sphéroïde terrestre
nous échappe, et qu'il serait presque impossible de l'établir par des observations
astronomiques. Au contraire, on peut fixer la position du pôle instantané en se servant du mouvement diurne. En effet, la colatitude est l'angle entre la verticale du
lieu et Taxe instantané de rotation, ou, si Ton veut; la distance en arc, sur le globe
terrestre, entre le lieu où Ton observe el la position du pôle instantané sur le globe
64
5o6
G. BOCCARDI.
lui-même; mais comme il est impossible de voir directementla position du pôle instantané soit sur la sphère céleste soit sur le sphéroïde terrestre, on a recours à des
points visibles, observables, que Ton suppose fixes sur la voûte céleste, c'est-à-dire
aux étoiles. La distance angulaire de ces points au pôle étant bien connue, on en
déduit la distance du zénith au pôle, la colatitude. Cependant le pôle instantané se
déplace sur la voûte céleste par effet de la précession et de la nutation avec tous leurs
termes, qui sont très nombreux'* par conséquent, lorsqu'on veut déduire de l'observation des étoiles(*) les déplacements du pôle sur le globe, on doit nécessairement
supposer bien connus les déplacements du pôle sur la voûte céleste, c'est-à-dire les
variations de la distance du pôle à chacune des étoiles observées.
Remarquons aussi que les mouvements d'ensemble du globe avec tous ses points,
le pôle instantané y compris, mouvements qui constituent la précession et la nutation, ou les déplacements du pôle sur la sphère céleste, sont sans effet sur la colatitude, qui est donnée par la distance du zénith au pôle; de sorte que s'il était possible
d'observer le pôle lui-même sur le ciel, les mouvements d'ensemble du globe ne
produiraient aucune variation Acp sur la latitude, et il en est de même lorsqu'on
observe une étoile au lieu du pôle, que Ton suppose fixe sur le globe, pourvu que
Ton connaisse bien les variations dans la position de l'étoile dues aux mouvements
d'ensemble du globe. Mais s'il restait à découvrir quelque mouvement sensible du
pôle instantané dans l'espace, l'inexactitude qu'il s'ensuivrait sur la position de
l'étoile nous conduirait à une valeur inexacte de la latitude cp, dans laquelle on trouverait un Acp apparent, illusoire, que Ton attribuerait à un déplacement inexistant
du pôle sur le sphéroïde. En d'autres termes, si Ton suppose le pôle instantané fixe
sur le sphéroïde, ou ses mouvements sur ce dernier bien connus, l'observation pourrait mettre en lumière des mouvements encore inconnus du pôle sur la sphère céleste
c'est-à-dire des mouvements d'ensemble de notre globe.
On a donc deux problèmes différents. Dans le premier cas, de l'observation des
étoiles on déduit les déplacements du pôle dans l'espace; dans le second, de la même
observation on déduit les déplacements du pôle sur le globe.
Mais aujourd'hui on suppose absolument bien connus tous les déplacements sensibles du globe et du pôle dans l'espace, et Ton cherche à déduire de l'observation
des étoiles, par rapport au zénith, les déplacements du pôle sur le globe. La théorie
de la précession et de la nutation a été faite dans l'hypothèse que le pôle soit fixe sur
notre sphéroïde. Il y a là un petit cercle vicieux inévitable dans plusieurs recherches
astronomiques, dans lesquelles on commence par supposer bien connues les lois d'un
phénomène et, en partant de cette hypothèse, on passe à l'investigation d'un autre;
sauf à revenir ensuite sur le premier pour y apporter des retouches.
Puisque, d'après la théorie, le cône de la nutation diurne, dans l'espace, de Taxe
(') Distance du zénith à l'étoile.
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ÒOJ
instantané a une ouverture insaisissable par l'observation, on suppose cet axe absolument fixe dans l'espace(*), tandis que Taxe d'inertie fixe dans le globe se déplace
avec celui-ci dans l'espace et donne lieu à la variation des latitudes. Mais ces variations peuvent se produire : i° dans une Terre absolument rigide, comme le veut la
théorie d'Euler; 2° dans une Terre pas encore absolument rigide par des déplacements de masses dans son intérieur, avec variation des moments d'inertie. Si ces
déplacements étaient considérables, on ne pourrait plus compter sur la fixité de Taxe
polaire dans l'espace.
III
L'examen et la discussion d'une longue série d'observations de latitude faites à
l'Observatoire de Greenwich amenèrent M. Chandler à reconnaître une période de
427 jours moyens dans les variations de la latitude, et par conséquent un allongement de la période eulérienne de 3o4 jours moyens relative à la polhodie. Chandler
reconnut en outre une période annuelle donnant lieu à des variations encore plus
faibles. Les observations systématiques faites dans les six stations internationales
situées dans l'hémisphère boréal ont confirmé cette période en la portant à 434 ou
435 jours. Des observations très récentes, par exemple celles de Greenwich et de
Pino Torinese, ont montré que cette période n'est qu'une moyenne, les spires de
la polhodie s'accomplissant tantôt dans l'espace de i3 mois et encore moins, tantôt
en i5 mois. Quant à l'amplitude de ces spires, elle est très variable, car l'excursion
du pôle sur le sphéroïde oscille entre o",i8 et o",64. En effet, les observations faites
à Pino ont donné, pour le mois d'août 1919, un maximum de la latitude dépassant d'à peine +0^,09 la valeur moyenne; tandis qu'en 1910-11 l'excursion s'est
montée à ± o \ 3 a .
Or cette variabilité de la durée et de l'amplitude des variations de la latitude,
lorsque la théorie exigerait que la polhodie fût un cercle de rayon constant et parcouru toujours dans l'espace de 3o4 jours, ont amené plusieurs astronomes à attribuer ces variations à d'autres causes, et à déclarer qu'il s'agit là d'un phénomène
bien différent du déplacement du pôle dans le cas du mouvement de rotation non
troublé. D'ailleurs nos observations sont si précises qu'on ne peut aucunement
attribuer la variabilité de l'amplitude des spires à des erreurs d'observation.
C'est surtout l'allongement énorme de la durée de 3o4 jours à 435 jours, qui a
donné lieu à des discussions. On connaît l'explication proposée par Simon Newcomb.
(') Sauf, bien entendu, les déplacements de la précession, etc.
5o8
G. BOCCARDI.
D'après ce savant, le pôle d'inertie ne resterait pas fixe sur le sphéoroïde, mais il se
déplacerait de manière à prolonger la période. Toutefois, la condition posée par
Newcomb, que la nouvelle position C du pôle d'inertie se trouve toujours sur la
droite joignant la position primitive C à celle du pôle instantané I, a été contestée
récemment par M. Souleyre. Les recherches plus récentes de M. Schwayder Tont
amené à admettre que le pôle d'inertie décrit sur le sphéroïde un petit cercle avec
rayon de off,i2. Quoi qu'il en soit, nous constatons avec satisfaction que Ton doit
s'incliner devant l'évidence et reconnaître que notre globe est loin d'avoir atteint
la rigidité que Ton suppose.
Une discussion encore plus ample a eu pour objet ce qu'on appelle le terme de
Kimura ou le terme z. Ce savant japonais annonça dès 1902 que les équations de
condition, que Ton est obligé de poser pour déduire des observations des mêmes
étoiles faites à la même latitude dans les six stations internationales, donnent une
somme des carrés des résidus plus petite lorsqu'au lieu des deux inconnues x et y
(les coordonnées du pôle instantané par rapport au système d'axe avec origine dans
le pôle d'inertie) on en introduit une troisième z, ce qui revient à admettre que le
mouvement du pôle instantané ne s'accomplit pas dans un plan. Toutefois, quelqu'un d'entre nous fit remarquer que d'après les principes de la théorie des moindres carrés, plus on introduit d'inconnues, plus la somme des carrés des résidus
résulte petite. Le vrai criterium pour pouvoir admettre une troisième inconnue
devrait être une raison théorique ou, tout au moins, pour ceux qui ont pleine confiance dans la méthode des moindres carrés, le fait que pour chaque inconnue
Terreur probable résultât plus faible. Or ce n'est pas le cas dans la variation des
latitudes.
Mais l'existence du terme de Kimura, admise par le Bureau de l'Erdmessung de
Potsdam, qui au lieu de deux coordonnées commença à en donner trois, fut contestée même en Allemagne. On l'attribua soit à une imparfaite connaissance de la constante d'aberration, soit à la méthode de réduction des observations, dite en chaîne,
soit à des anomalies de la réfraction ou à d'autres causes. Ce terme qui d'abord se
monta jusqu'à ± o " , o 4 et dans ces dernières années atteignit ±o",07, donna lieu à
des discussions animées, à des mémoires très étendus. Enfin le Bureau de Potsdam
lui-même a fini par y renoncer, en reconnaissant qu'il n'appartient pas au déplacement du pôle, mais à des causes météorologiques affectant les observations, de manière que son effet soit le même pour toutes les stations d'un hémisphère et ait le
signe contraire pour l'autre.
Du reste, en général, les observations systématiques de latitude commencent
à montrer presque partout des variations que Ton attribue à des causes météorologiques. C'est bien là une des caractéristiques de l'état actuel de ces recherches. Les
plus enthousiastes des résultats des six stations internationales, aujourd'hui réduites à deux, ont dû reconnaître que la grande précision des observations qu'on y fait
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n'est qu'apparente, puisqu'on y constate des sauts inexplicables. Disons dès maintenant que si Ton- avait adopté pour faire les moyennes des observations des périodes
plus courtes, ou si Ton avait tracé des diagrammes pour les observations une à une,
on aurait fini par reconnaître l'existence de variations à courte période, soupçonnées
dans les observations de Poulkowo et de Carloforte et mises en lumière par les
observations de Pino Torinese. Nous y reviendrons tout à l'heure.
IV
Qu'on me permette de relever que dans l'étude des variations de l'angle entre
Taxe instantané et la verticale du lieu, on a eu le tort de rejeter tout sur les déplacements de Taxe susdit, oubliant ou laissant de côté des déplacements de la verticale. Et toutefois ces derniers déplacements peuvent évidemment se produire plus
facilement.
Déjà Tisserand (l) avait fait remarquer que les déplacements de masses dans les
océans ou dans l'atmosphère d'un hémisphère à l'autre pourraient donner lieu à des
déplacements appréciables de Taxe instantané. Or dans l'Observatoire de Pino, par
une longue série d'observations par la méthode de Struve avec un excellent instrument installé dans le ier vertical, on a mis en pleine lumière des variations de la
latitude avec période d'une demi-révolution sidérale de la Lune. Ces variations ont
la période et la phase de celles que la théorie prévoit comme conséquence des déplacements de la verticale par l'attraction perturbatrice de la Lune, qui diminue la
pesanteur! Pour ce qui est de l'amplitude de ces variations qui, d'après la théorie,
devrait être tout au plus de ±c/>02 p 0 ur la latitude de 45° (*), les observations ont
donné des variations neuf ou dix fois plus grandes. Nous laissons aux théoriciens le
soin de donner l'explication de ce fait ou de revoir leur théorie. Il est évident que la
1
Lune produit une marée de Técorce solide du globe ; peut-être on a eu tort d'attribuer à celui-ci un coefficient d'élasticité trop faible. Il peut se faire aussi que, comme
pour la marée fluide, on doive avoir égard aussi à l'attraction secondaire due à la
masse fluide déplacée elle-même.
En vain on s'appuie sur les indications données par le pendule horizontal installé dans les caves du Bureau de Potsdam, qui donnent, en rapport avec le passage
de la Lune au méridien, un soulèvement d'à peine 3o centimètres dans la couche
terrestre locale, autant qu'on peut le déduire des indications de ce pendule, ce qui
(1) Mécanique céleste, vol. II.
(2) La latitude moyenne de Pino est de 45°2'i6",3o (pavillon du i er vertical).
5IO
G. BOCCARDI.
donne au globe un faible coefficient d'élasticité. Dans tout cela on a perdu de vue
que le pendule horizontal ne peut révéler que les déplacements des couches locales,
des déplacements différentiels. Il arrive ici la même chose que lorsqu'on veut étudier les changements de niveau de la mer. Quand on s'en rapporte aux maréographes on perd de vue que par suite des déplacements de la croûte solide, par conséquent de l'appareil lui-même, on ne peut constater que les différences des variations
de niveau.
Non, pour avoir des indications plus sûres sur les vraies variations du niveau
du globe et des déplacements de la verticale, on doit chercher des points de repère
hors du globe lui-même. Les variations de la latitude bien constatées, nous l'avons
vu, peuvent donner des renseignements sur les déplacements du pôle instantané,
soit dans l'intérieur du sphéroïde par les déplacements de celui-ci, soit dans l'espace.
Pour ce qui est du pôle d'inertie, nous avons vu comment on a pu conjecturer ses
déplacements sur le sphéroïde; et il y a aussi quelqu'un qui soupçonne dans ce pôle
un mouvement non par rotation, mais par translation autour du pôle instantané,
ce qui donnerait lieu à des variations dans la latitude. Du reste, la nutation dont
on s'occupe en astronomie, avec tous ses termes, consiste en un déplacement par
translation autour de la position moyenne du pôle.
v
De tout ce que nous venons de dire il résulte évidemment qu'il reste beaucoup
à faire dans ces recherches, et que le plan d'observation conçu en 1898 pour les
stations internationales, et suivi constamment jusqu'à nos jours, doit être modifié,
sans quoi il y aura perte de forces et de moyens pécuniaires. Après vingt et un ans.
ces stations ont donné tout ce qu'on pouvait en tirer.
Je ne fais que citer les principaux défauts du plan adopté par M. Albrecht
en 1898. Avant tout, on a eu tort de disposer les stations dans un seul hémisphère,
et toutes à une latitude presque identique. Ceci pouvait paraître nécessaire au Commencement, lorsqu'on n'avait que de vagues données sur le déplacement du pôle
boréal, et Ton voulait s'assurer si celui-ci s'éloignait effectivement d'une station
pour se rapprocher de l'autre située à 1800 de longitude. Pour éviter l'introduction
de toute différence dans le mode d'observer, non seulement on disposa les six stations à la même latitude et Ton employa la même méthode d'observation, celle de
Talcott-Horrebow, mais on adopta dans les différentes stations le même modèle
d'instrument, les mêmes étoiles à observer, la même manière d'observer jusque
dans ses moindres détails, la même méthode de réduction. Ce plan ne pouvait.
L'éTAT ACTUEL DES RECHERCHES SUR LES DéPLACEMENTS DU P ô L E .
5II
mettre en lumière que la réalité des déplacements du pôle; mais il mettait dans
l'impossibilité de constater des variations de la latitude dépendant, par exemple, de
la position des différents lieux sur le globe, de la latitude elle-même. La distribution
des stations à des latitudes très différentes aurait permis de constater non seulement
la réalité de la polhodie eulérienne, mais aussi d'autres déplacements du pôle, soit
sur le globe, soit dans l'espace. Voilà le but que Ton doit se proposer maintenant.
En outre, la méthode de Talcott exige que Ton observe un grand nombre
d'étoiles disposées d'une manière spéciale, ce qui oblige à laisser presque entièrement de côté les étoiles fondamentales, dont la position et le mouvement propre
sont bien connus, pour s'en tenir à des étoiles qui sont bien loin, de remplir cette
condition. Quant à la compensation des erreurs dans le grand nombre d'étoiles,
elle ne peut avoir lieu que d'une manière approchée; elle n'élimine pas les erreurs
systématiques en correspondance avec l'heure de l'observation ; enfin elle suppose
qu'on observe partout à la même date les mêmes couples d'étoiles, ce qui n'est pas
possible surtout pour l'état du ciel.
Encore, si Ton suivait toujours les mêmes étoiles, on pourrait en perfectionner
les positions et les mouvements propres! Mais non, on a voulu changer chaque
mois l'un des deux groupes d'étoiles, ce qui introduit un manque d'homogéité très
fâcheux. En vain on a cru pouvoir y remédier en adoptant la méthode de réduction
en chaîne et la péréquation des déclinaisons. Ce sont des procédés trop allemands
pour pouvoir être acceptés par ceux qui en connaissent tout le malfondé. Le fait est
que des critiques sérieuses ont été faites de tous les côtés au plan adopté pour les
stations de latitude. Le fait qu'un changement d'étoiles dans les observations photographiques de Greenwich a changé notablement l'allure du diagramme de la latitude
est impressionnant.
En outre, la méthode de Talcott n'est pas différentielle dans le sens strict. Dans
les observations à Téquatorial l'étoile de comparaison et la planète, ou la comète,
se trouvent dans la même plage du ciel, et alors on peut compter sur la complète
élimination des erreurs tenant à la position de l'instrument, surtout pour ce qui
est de la distance zénithale et par conséquent de la réfraction. Mais par la méthode
de Talcott on observe à la même distance zénithale, mais des deux côtés du zénith,
par conséquent dans des plages du ciel qui peuvent être très différentes. Et alors,
qui nous mettra à l'abri des anomalies de la réfraction?
De même, les distances zénithales en valeur absolue diffèrent notablement d'une
couple à l'autre des étoiles observées, et quelqu'un d'entre nous put annoncer
dès 1900 (*) que la variation de la latitude obtenue par la méthode de Talcott augmente avec la distance zénithale, ce qui fut confirmé plusieurs années après par
un astronome japonais, M. Hirajama.
(*) Comptes rendus de VA. d. S., 4 avril 1900.
5l2
G. BOCCARDI.
Mais peut-être la plus grande erreur dans le plan adopté pour la réduction des
observations a été de grouper, pour en faire la moyenne, toutes les observations
faites pendant un dixième de Tannée. Dans 36,5 jours toutes les variations à courte
période de la latitude restent effacées, et ces variations n'intéressent pas moins que
la polhodie eulérienne. Il est illusoire de donner les coordonnées a? et y du pôle
instantané de dixième en dixième de Tannée. D'un côté on ne connaît pas la vraie
amplitude de la polhodie (ce que Ton aurait en faisant les moyennes de trois en
trois jours ou en traçant les diagrammes de toutes les observations), et de l'autre
on oblige celui qui détermine une latitude d'un lieu quelconque à observer pendant
36,5 jours ou à supposer que les variations des valeurs des coordonnées x et y
soient proportionnelles au temps. Si, par exemple, on fait une station pendant six
où sept jours, ce qui arrive très souvent dans les opérations géodésiques, dans les
voyages d'exploration, surtout par voie de mer, on obtient une latitude affectée par
la variation due au déplacement de la verticale par suite de l'attraction lunaire, et
par conséquent en rapport avec l'heure de l'observation.
D'ailleurs les observations faites à Pino en 1919-20 ont montré l'existence de
variations diurnes dans la latitude, que Ton avait soupçonnées et cherchées vainement
jusqu'à ce jour. On a observé toujours avec la méthode de Struve plusieurs étoiles
pendant toute la nuit, ce qui en hiver a représenté bien un intervalle de 12 heures
à i4 heures. On a exclu les observations de jour pour éliminer toute cause d'erreur,
et on a pris toutes les précautions pour éliminer l'équation physiologique ou personnelle. Il est résulté des variations dans la latitude s'exprimant bien avec la formule :
(1)
[*COS(v + Ô')>
dans laquelle y. est un petit arc compris entre ± off,o5 et ± o", 12 ; v est un arc déterminé, correspondant à Torigine du temps sidéral pour une époque donnée, et Ô' est
le temps sidéral (qui peut embrasser des heures ou même des jours) multiplié
par 1,00089; c e 311* frû* u n e variation d'environ i° tous les trois jours sur l'argument
de la formule (1). Pour un intervalle d'une nuit on peut prendre au lieu de Ô' tout
simplement le temps sidéral écoulé depuis Torigine à laquelle correspond v, donc la
formule est alors
[i cos (v + a)
où a est l'ascension droite de l'étoile observée.
Lorsqu'on a fait les différences entre les valeurs données pour la latitude par
toutes les étoiles observées pendant une nuit et comparées deux à deux, on a constaté
que cette différence observée était presque égale à la différence donnée par le calcul
au moyen de la formule suivante :
(2)
\L [cos
(v + a) — cos (v + a')].
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5I3
Naturellement, on a éliminé la variation avec période de i4 jours et Ton s'est
assuré que les différences observées n'indiquaient aucunement une correction à
apporter à la constante d'aberration. Pour ce qui est des possibles parallaxes des
étoiles on a pu ne pas s'en préoccuper pour des raisons que j'ai publiées d'abord
dans une Note des Comptes Rendus (16 février 1920) et ensuite dans un Mémoire plus
étendu (').
Il est à remarquer que les différences observées entre les valeurs cp et cp' données
par les étoiles deux à deux atteignent parfois o", 10, o",i2, jusqu'à o"',i5, ce qui ne
peut aucunement être attribué à des erreurs d'observation, la comparaison se faisant
entre des moyennes des valeurs de cp obtenues pendant une quinzaine de jours (a). Or
ces différences observées sont représentées par la formule (2) avec des différences O — C
qui sont bien souvent inférieures à o",02 et atteignent tout au plus o"fo5.
11 serait impossible d'attribuer à des causes météorologiques les différences constatées. En effet, en hiver, pendant 12 heures à i4 heures les conditions météorologiques sont restées bien souvent tout à fait les mêmes, et cependant on a constaté
des variations de la latitude suivant la formule indiquée. En outre, le mouvement
du Soleil, qui constitue la période des variations météorologiques est, en moyenne,
de i° par jour, tandis qu'ici la variation de l'argument est de moins de i° tous les
trois jours. Mais je ne puis répéter ici tout ce que j'ai écrit à ce sujet dans mon
Mémoire. Je me bornerai à annoncer que M. Spencer de l'Observatoire de Greenwich
se propose de vérifier sur ses observations photographiques faites avec la lunette
flottante, la variation de la latitude due à l'action de la Lune, son plan de travail ne
lui permettant pas de vérifier la variation diurne; tandis que M. Yamamoto, professeur à l'Université de Kyoto, m'a demandé toutes les explications et les conseils
nécessaires pour constater de son côté les variations découvertes à Pino.
Enfin H.-M. Tucker(s), en discutant une longue série de déterminations de la latitude faites à l'Observatoire du Mont Hamilton, a constaté que la moyenne des valeurs
de la latitude obtenues pendant 8 jours s'écarte, en moyenne, de ± o " , i 4 de la
valeur cp0 de la latitude rapportée au pôle moyen, ce qui fait plus que Ton n'ait constaté à Pino pour la variation par Taction de la Lune.
(*) Recherches faites à l'Observatoire de Pino Torinese sur une variation diurne de la
latitude. Turin, 1920.
(B) Toujours après en avoir éliminé la variation avec période de 14 jours.
(3) Publications of the astronomical society of the Pacific, vol. XXXÏI, n° i85.
65
5l4
G. BOCCARDI.
VI
Résumons. Les observations systématiques ont montré partout des variations de
la latitude qui suivent une loi compliquée. Les périodes longues et courtes s'enchevêtrent, se superposent, de manière que le plan primitif des stations internationales
ne peut suffire aucunement. Les déplacements du pôle se compliquent avec ceux de
la verticale et les deux sont compliqués encore davantage par des causes météorologiques. M. Spencer a constaté qu'après élimination de la variation de 43o jours, il
reste sur chaque observation une erreur qu'il appelle erreur de la nuit. D'ailleurs il
avoue que les conditions d'installation de l'instrument, sur un terrain peu solide à
proximité de la Tamise laissent beaucoup à désirer.
Deux conclusions se dégagent de tout ce que nous venons de dire. La première
est que la précision des observations actuelles nous permet d'aborder des problèmes
autrefois insolubles; la seconde est que la question des variations de la latitude n'est
pas exclusivement du ressort de l'astronomie, et ce n'est pas une raison au contraire
de dire que jusqu'à présent les astronomes s'en sont occupés ex professo. Tout porte
à reconnaître que notre globe est loin d'avoir atteint la rigidité si commode pour la
théorie. Les recherches sur les déplacements de Taxe polaire et de la verticale ont
besoin de points de repère hors de notre globe; mais par suite de l'influence des
causes météorologiques, séismiques, vulcanolögiques, etc., ces recherches sont plutôt
du ressort de la géophysique.
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