Présentation Véronique Bisaillon Coordonnatrice à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable Université du Québec à Montréal École de sciences de la gestion [email protected] Corinne Gendron Professeure et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable Université du Québec à Montréal École de sciences de la gestion [email protected] Marie-France Turcotte Professeure et chercheure principale à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable Université du Québec à Montréal Département stratégie des affaires École de sciences de la gestion [email protected] Le commerce équitable comme mouvement de transformation Plus souvent qu’autrement réduit au label que l’on appose sur les produits dits « équitables », le commerce équitable constitue en fait une réalité plurielle et en pleine effervescence. D’une part, il renvoie à un idéal-type, compris comme « un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial » (FINE, 2001). Dans les années 1960, c’est également au nom de règles commerciales plus équitables que les pays en développement ont lancé le slogan « Trade, Not Aid ! », réclamant ainsi, non plus de l’aide au développement, mais les moyens d’y parvenir, en leur offrant notamment des conditions d’échange plus justes (Gendron, 2004). D’autre part, le commerce équitable constitue un mouvement. Figure emblématique de la nouvelle génération des mouvements sociaux économiques (Gendron, 2001), le commerce équitable canalise des revendications politiques, sociales et économiques en proposant un système d’échange plus juste et avantageux pour les pays du Sud. Enfin, le commerce équitable correspond à des pratiques qui trouvent leurs origines dans diverses initiatives de commerce alternatif et qui ont convergé jusqu’à s’institutionnaliser au cours des années 1990, marquant ainsi le passage de l’alternatif à l’équitable. En s’institutionnalisant, le commerce équitable a présidé à l’instauration d’un véritable système commercial qui questionne tout autant qu’il renouvelle le système économique traditionnel. En prétendant 16 offrir jusqu’au double du prix aux producteurs pour leurs récoltes, le système équitable vient en effet saper l’idéologie concurrentielle fataliste par laquelle les acteurs économiques dominants justifient les prix dérisoires des denrées produites par les pays du Sud. Mais ces mêmes acteurs s’approprient simultanément le « produit équitable » pour rejoindre le groupe des consommateurs conscientisés à la problématique Nord-Sud. Cette institutionnalisation « économique » inquiète une fraction du mouvement équitable qui l’envisage comme une récupération à travers laquelle son message de justice est dilué et son pouvoir de transformation, affaibli, pour ne pas dire annihilé. Pourtant, qu’elle soit politique ou économique, l’institutionnalisation est transformation ; l’institutionnalisation ne dissout pas le mouvement social qui en est le moteur, même si elle peut modifier son discours et ses stratégies. Cette institutionnalisation économique qui se juxtapose à un éventuel processus d’institutionnalisation politique est porteuse de transformations sur le plan des rapports sociaux d’abord, mais aussi sur celui des institutions et des organisations. Ces transformations transcendent le mouvement équitable lui-même ; les entreprises, par exemple, doivent désormais composer avec une définition de leur performance sociale fixée non plus seulement par leurs spécialistes des affaires publiques, mais bien par la myriade d’ONG qui ont défini en quoi consiste un « commerce équitable ». À l’instar des autres nouveaux mouvements sociaux économiques, le commerce équitable participe ainsi à une restructuration éthique du marché, à travers laquelle le traitement réservé aux producteurs du Sud peut notamment être utilisé comme facteur de différenciation commerciale. Logique commerciale et responsabilité sociale peuvent ainsi se rejoindre, tout en appuyant des stratégies d’une institutionnalisation plus politique, et renforcer le processus de transformation des règles du commerce international. Idéal-type, mouvement et pratiques, versant à la fois dans les sphères économique, politique et sociale, le commerce équitable constitue dès lors un objet d’étude fort riche, mais aussi complexe à saisir, qui touche ainsi plusieurs disciplines. Le présent numéro regroupe à cet effet des contributions de chercheurs de différents horizons disciplinaires allant de l’anthropologie au développement international en passant par la sociologie et les sciences de la gestion, s’intéressant au potentiel de transformation du commerce équitable. Nous vous proposons 12 articles que nous avons regroupés sous cinq grands axes. Le premier est celui du partenariat en œuvre dans le commerce équitable renvoyant ainsi aux fondements idéologiques du mouvement ; la consommation engagée et la question du comportement des consommateurs constituent le deuxième axe ; le troisième porte sur les stratégies de distribution et de promotion ; l’enjeu de l’institutionnalisation est ensuite abordé pour terminer avec la présentation de cas de trois secteurs du commerce équitable. Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 17 Nous vous proposons d’abord l’article de Lemay qui s’intéresse de façon fort originale à l’un des fondements idéologiques du mouvement du commerce équitable, à savoir le concept de partenariat. C’est à travers la notion de kitsch puisée dans l’œuvre de Kundera que Lemay analyse le partenariat du commerce équitable. Tout en étant l’une des pierres d’assise du commerce équitable, la notion de partenariat fait l’objet d’une conception vague et floue et sa mise en œuvre entre acteurs du Nord et du Sud est tout aussi laborieuse : la distance géographique et culturelle limite les possibilités de rencontres entre les partenaires. Comme dans les romans de Kundera où les victimes d’une situation problématisée en deviennent les icônes jusqu’à en perdre l’usage de la parole et leur statut d’acteur, les représentations que se font les acteurs du Nord de la situation des producteurs du Sud deviennent un élément central de la relation, et donc du partenariat du commerce équitable. Le kitsch, que l’on définit comme la négation de la polyphonie, prend ainsi forme dans le mouvement équitable dans les discours tentant de présenter une vision édulcorée et aplanie de la situation des producteurs. Si le discours édulcoré de la situation des producteurs trouve une utilité certaine en termes de sensibilisation du grand public, le renouvellement de la notion de partenariat doit au contraire, selon l’auteur, laisser place à l’expression polyphonique des réalités et points de vue sans en nier les contradictions et conflits. Les trois articles suivants traitent plus particulièrement de la consommation responsable de la perspective des consommateurs. Ballet et Carimentrand s’intéressent au commerce équitable sous l’éclairage du concept de consommation engagée qui aurait évolué pour devenir plus motivée par un effet d’imitation que guidée par le sens critique des consommateurs. La nature de l’information transmise est caractéristique de la forme de la consommation engagée (critique ou de conformité) et les deux grandes familles de filières équitables, labellisée ou intégrée, sont elles-mêmes liées à un type particulier de motivation et d’information. Ainsi, les consommateurs plus critiques fréquentant les boutiques spécialisées de la filière intégrée exigent généralement plus d’information sur le produit et les conditions de fabrication et sont incidemment prêts à supporter les coûts plus élevés en découlant. À l’inverse, la stratégie privilégiée dans la filière labellisée miserait essentiellement sur l’effet de mode et de mimétisme. Avec l’arrivée des produits équitables dans les grandes et moyennes surfaces, où se réalisent aujourd’hui l’essentiel des ventes des produits équitables, la consommation engagée tend à devenir une consommation par mimétisme plutôt qu’une consommation critique. Cela soulève le problème de la dilution de la consommation engagée que les auteurs expliquent, d’une part, par le caractère réducteur du label qui non seulement condense, mais simplifie et limite l’information sur la qualité équitable et, d’autre part, par la concurrence entre les différents signes de qualité du commerce équitable. Dans ce contexte, les auteurs envisagent deux scénarios opposés pour l’avenir du commerce équitable : soit une progression et un développement de la consommation engagée 18 Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 de façon générale qui seraient liés au caractère pédagogique et initiateur de la consommation engagée par mimétisme, soit, au contraire, un affaiblissement de la consommation engagée en raison de la surabondance d’information et, incidemment, de la confusion et suspicion qui en découleraient. Les deux articles suivants, celui de Quéniart, Jauzion et Jacques et celui de Binninger et Robert, présentent les résultats d’études menées respectivement au Québec et en France auprès de groupes de consommateurs. Quéniart, Jauzion et Jacques ont cherché à savoir pourquoi et comment les consommateurs choisissent ou non d’acheter des produits équitables. Les auteurs nous présentent les résultats d’une étude menée à Montréal auprès d’une soixantaine de consommateurs de produits équitables et biologiques. La consommation responsable entraînerait une véritable transformation chez les consommateurs selon les chercheures. Elles ont pu observer chez la plupart des répondants un cheminement selon une trajectoire type marquée par un avant et un après les menant à choisir de tels produits. Les transformations des habitudes d’achats semblent également suivre un mouvement en spirale où les consommateurs accordent une importance de plus en plus grande à la consommation responsable (en consommant une proportion accrue de ces produits) tout en étendant leur intérêt à des pratiques associées à la consommation responsable (en se préoccupant davantage de l’environnement par exemple). Bref, on en vient à repenser le rôle du consommateur dans la société. Les résultats de cette étude s’inscrivent en somme dans le courant optimiste des analyses sociologiques de l’engagement citoyen que relèvent les auteures et selon lequel il n’y aurait pas un déclin de l’engagement, mais bien une transformation de celui-ci. Binninger et Robert ont, quant à elles, étudié la confiance et l’intention d’achat que suscite un produit labellisé équitable ainsi que l’impact de l’association d’une marque à un label équitable sur le comportement des consommateurs. L’étude des auteures montre, d’une part, que le label de commerce équitable Max Havelaar a une influence positive sur la confiance et l’intention d’achat des consommateurs. Mais cette relation n’est pas automatique et varie selon l’association du label équitable à une marque. Pour le label Max Havelaar, sur lequel s’est centrée l’étude, ces résultats de recherche mettent en exergue l’importance de bien choisir l’alliance avec des marques et incidemment des acteurs dits « conventionnels » afin que le label joue le mieux son rôle d’informateur de qualité auprès des consommateurs, et ce, compte tenu du contexte concurrentiel dans lequel évoluent les entreprises où le risque s’accroît de voir se multiplier les labels et ultimement la confusion et le désintéressement des consommateurs. D’autre part, les travaux des auteures indiquent que la double labellisation « commerce équitable et agriculture biologique » n’aurait pas d’impact supplémentaire sur les consommateurs. Ce résultat est particulièrement intéressant compte tenu des exigences que cette double certification imposent aux organisations de producteurs qui sont souvent contraints Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 19 ­ ’adhérer à plus d’une certification. Cela justifie par ailleurs la poursuite des d recherches en matière de stratégie de distribution et de promotion, thèmes abordés par les trois articles suivants sous des perspectives différentes. L’insertion des produits équitables dans la grande distribution marque un point tournant de l’évolution du mouvement du commerce équitable, étant désormais le mode de distribution de loin le plus important pour les produits du commerce équitable. À cet effet, Low propose deux modèles divergents du commerce équitable issus de cette pénétration dans la grande distribution. La conception « commerciale » (commercial fair trade) présente un caractère hiérarchique plus important où le consommateur figure au sommet du diagramme et où les flux d’information entre les consommateurs et la marque occupent également une place prépondérante. Bien que la seconde conception qualifiée de « distribution de masse basée sur les valeurs » (values-based mainstreaming) soit moins hiérarchique, le consommateur et la marque occupent également une place privilégiée comparativement au producteur. Low note une autre différence significative entre les deux formes dans le fait que le commerce équitable de masse basé sur les valeurs accorde une place plus importante à la recherche d’innovations afin qu’une plus grande partie de la valeur retourne aux producteurs comparativement à la forme commerciale qui adopte ­essentiellement une stratégie de marché de créneau. En complément de l’article de Low, Audebrand et Iacobus dégagent des balises pouvant orienter l’action des promoteurs du commerce équitable. Puisque plusieurs auteurs soutiennent que le facteur limitant la progression du commerce équitable est souvent plus lié à la demande qu’à l’offre, les auteurs cherchent à mieux comprendre le processus d’appropriation du commerce équitable au Nord en s’éclairant de la théorie des représentations sociales. Le modèle théorique du processus d’appropriation qu’ils proposent met en exergue le rôle déterminant que peuvent jouer les promoteurs du commerce équitable tout autant que ses détracteurs pour l’avenir de ce mouvement. À partir de ce modèle, les auteurs relèvent quatre séries de pièges qui guettent le commerce équitable relativement à la circulation de l’information au Nord et dont la connaissance peut aider les promoteurs du commerce équitable à en assurer le développement. Les campagnes promotionnelles du commerce équitable devraient ainsi éviter de tomber dans le piège de la banalisation, qui enlève au projet du commerce équitable toute son originalité, de même que dans celui de l’exotisation, qui le déracine totalement de son environnement. En complément, la réification est le piège qui réduirait le commerce équitable à un simple produit de consommation courante dénué de tout aspect symbolique ; à l’inverse, l’abstractisation confinerait le commerce équitable à un niveau d’abstraction trop élevé pour être approprié. Bien que souvent caricaturé comme un mouvement partagé entre deux pôles, l’un plus commercial et l’autre plus militant, les divers acteurs, pratiques, 20 Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 valeurs et objectifs du commerce équitable peuvent au contraire être envisagés comme étant complémentaires. C’est la principale conclusion de Gateau qui s’est intéressé aux stratégies de distribution mises en œuvre dans le secteur du commerce équitable français. Présentant l’évolution du paysage du commerce équitable français depuis les années 1970, marqué par le courant plus poli­ tique incarné par l’organisation Artisans du Monde et l’apparition plus récente de l’association Max Havelaar, l’auteur cherche à dépasser la traditionnelle tension opposant la logique militante de la première à la logique commerciale de la seconde. Il montre comment Artisans du Monde et Max Havelaar, qui contribuent chacune à leur façon à l’essor du commerce équitable, ne sont pas qu’en opposition mais ont, au contraire, su s’allier, notamment dans le cadre du groupe de travail sur le commerce équitable de l’AFNOR. Ce faisant, ces organisations et leurs stratégies respectives peuvent être complémentaires et ainsi renforcer l’idée d’un mouvement aux multiples visages. L’auteur reconnaît par ailleurs la complexité de la situation car, d’une part, la coopération passée n’est pas garante d’une coopération future entre ces deux organisations même si elle a servi les intérêts propres de chacune des organisations. D’autre part, certaines organisations telle Minga ne s’identifient ni à l’un ni à l’autre des deux courants dominants, formant en quelque sorte une « troisième voie » du commerce équitable. Aborder le potentiel de transformation du commerce équitable ne peut se faire sans traiter de la question de son institutionnalisation et de son insertion dans les institutions traditionnelles, thèmes qu’abordent les deux articles suivants. En cherchant à permettre aux producteurs du Sud de toucher un meilleur prix pour leur production, le commerce équitable agit dans une certaine mesure comme un instrument de redistribution économique reposant exclusivement sur des initiatives privées. C’est dans cette perspective que Diaz Pedegral s’interroge sur l’effet du commerce équitable en matière d’institutionnalisation et de désinstitutionnalisation. L’auteure montre que, bien que ses promoteurs soient généralement en porte-à-faux par rapport au néolibéralisme et au retrait de l’État, le commerce équitable, qui incarne une alternative prétendument viable, peut paradoxalement avoir pour effet de contribuer à soutenir l’idéologie « Du commerce, pour moins d’État » (Trade for « Less State ») et d’encourager un certain désengagement de l’État, voire son discrédit. Parallèlement, le commerce équitable est appelé à s’institutionnaliser, processus qui n’est pas sans soulever certaines questions, notamment sur l’indépendance du mouvement à l’égard des institutions traditionnelles et d’un assouplissement éventuel des critères. En écho aux propos de Pedegral qui posait la question de l’institutionnalisation / désinstitutionalisation engendrée par le commerce équitable, Audet examine les implications pour le mouvement équitable de s’insérer dans le commerce mondial à partir de la représentation que s’en font les acteurs du mouvement. Il explore notamment les défis que cela représente en termes de crédibilité pour le mouvement du commerce équitable et le dilemme qui en Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 21 découle, à savoir si le mouvement et ses institutions devraient s’en tenir à la promotion des valeurs fondamentales du commerce équitable au risque d’accentuer leur caractère marginal ou se conformer davantage aux règles internationales du commerce. Dans ce second cas, il faut tenir compte des principes qui régissent le commerce mondial et plus particulièrement les initiatives de certification volontaire dont ceux de l’harmonisation et de l’équivalence qui risquent 1) ­d’entraîner un déséquilibre en faveur des acteurs de l’industrie dans le processus d’élaboration des normes et 2) de révéler une mauvaise adaptation des normes aux réalités agricoles et commerciales locales, n ­ otamment au Sud. Les trois derniers articles portent sur trois secteurs du commerce équitable : celui du café, de la banane et du tourisme. Dans l’un des deux articles entièrement consacrés à la situation des producteurs, Doppler, Gonzalez et Linck nous présentent leurs constats à partir d’un ensemble de recherches menées au Chiapas depuis une quinzaine d’années et nous éclairent sur les effets du commerce équitable dans le Sud. Ils nous invitent d’abord à relativiser la place qu’occupe le commerce équitable pour les paysans du Sud dont les stratégies de vie sont complexes et dépassent le seul commerce équitable. Ils mettent également en exergue certains points de tension entre les exigences du système du commerce équitable qui proviennent du Nord et la réalité au Sud en ce qui concerne, d’une part, l’application de certains principes tels que le juste prix ou l’octroi d’un préfinancement et, d’autre part, les formes de participation et les processus de prise de décision. Forero-Madero, Gonzalez-Perez et Lombana s’intéressent aux défis que doivent relever les petits producteurs dans le secteur colombien de la banane équitable en faisant une analyse de la chaîne des valeurs. Les résultats des auteurs pointent une difficulté plus grande pour les petits producteurs de bananes pour s’insérer dans le commerce équitable comparativement aux producteurs de plus grande taille. Si le contexte économique et politique du commerce de la banane ainsi que la pression à atteindre de hauts standards de qualité concernent indistinctement les petits et grands producteurs, l’insertion dans la filière équitable apparaît plus risquée d’un point de vue financier pour les petits producteurs. Sur l’ensemble de la chaîne, les auteurs montrent également que les distributeurs bénéficient bien davantage du commerce équitable de la banane que les producteurs eux-mêmes pour qui ce système a paradoxalement été instauré. Les auteurs plaident d’ailleurs pour une amélioration de la structure de gouvernance du commerce équitable. Le commerce équitable concerne désormais non seulement le secteur des produits, mais aussi celui des services, notamment le tourisme, ce qui fait l’objet de l’article de Caire. Tout comme le commerce équitable, le tourisme solidaire et équitable met au jour les insuffisances économiques et les dommages sociaux, culturels et environnementaux causés par le tourisme de masse, une industrie de plus en plus mondialisée. À la différence du commerce des produits équitables 22 Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 qui sont désormais bien établis dans les réseaux de la grande distribution, le tourisme solidaire se présente essentiellement comme un « micro-tourisme » et donc tout l’opposé du tourisme de masse. Alors que nous avons vu que les exigences et motivations des consommateurs de produits équitables ont tendance à s’effriter avec l’entrée des produits équitables dans la grande distribution, faisant de l’achat de ces produits un acte moins citoyen que de conformité, comme l’ont signalé Ballet et Carimentrand, le touriste solidaire, comme l’exprime éloquemment Caire, ne met pas sa citoyenneté en vacances ! Compte tenu du caractère encore très nouveau de ce secteur qui n’a véritablement commencé à se structurer que depuis la dernière décennie, toutes les questions sur ses effets tant à l’échelle des populations locales qu’à celle des politiques sont encore ouvertes. Et l’une d’elles consiste à se demander si le tourisme équitable, malgré ses spécificités, sera lui aussi appelé à pénétrer la distribution de masse. En complément de la série d’articles et faisant plus particulièrement suite au dernier, Constantin présente un compte rendu du deuxième Forum international sur le commerce équitable et le tourisme solidaire qui a eu lieu à Tuxtla Gutiérrez au Chiapas au Mexique, en 2006, où il a notamment été question des perspectives de marché, du financement et de la certification pour ce secteur en plein essor. En somme, le concept de commerce équitable est porteur de contradictions, comme le démontrent plusieurs des articles de ce numéro thématique. Ces contradictions sont issues non seulement de la tentative de mettre en œuvre des idéaux d’équité sociale au sein de systèmes commerciaux perçus par plusieurs comme étant la source même des iniquités mais aussi de la polyphonie qui caractérise le mouvement. Dans un tel contexte, les différences se multiplient : dans les conceptions des acteurs sur ce qu’est l’équité, dans les représentations des partenaires, enfin, sur le plan culturel et dans la mise en œuvre (cf. le passage souvent difficile entre un idéal et sa mise en pratique). Toutefois, ces contradictions ou tensions n’empêchent pas le phénomène de croître, même si cette croissance a parfois pour conséquence d’intensifier les tensions. Si l’on peut déplorer des ratés ou la confusion que ces tensions peuvent créer chez le « consommacteur » (leur expression semant le doute), il semblerait contraire aux valeurs démocratiques portées par le mouvement dans son ensemble qu’une vision du commerce équitable en domine d’autres. Par conséquent, il importe de connaître les sources de ces tensions afin d’essayer de dépasser celles qui peuvent l’être. C’est ce à quoi contribuent les textes rassemblés dans ce numéro thématique. Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006 23 Bibliographie FINE (2001). Fair Trade Definition and Principles, <www.fair trade-advocacy.org/documents/ Fair tradeDEFINITIONnewlayout2.pdf>, consulté le 15 août 2007. GENDRON, Corinne (2001). « Émergence de nouveaux mouvements sociaux économiques », Revue Pour, vol. 172, p. 175-181. GENDRON, Corinne (2004). « Le commerce équitable : un nouveau mouvement social économique au cœur d’une autre mondialisation », in L. FAVREAU, G. LAROSE et A. SALAM FALL (dir.), Altermondialisation, économie et coopération internationale, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 158-183. 24 Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006