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Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 37, no 2, V. Bisaillon, C. Gendron et M.-F. Turcotte, responsables • EES3702N
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Présentation
Le commerce équitable comme
mouvement de transformation
Vé r o n i q u e bi s A i L L o n
Coordonnatrice à la
Chaire de responsabilité sociale
et de développement durable
Université du Québec à Montréal
École de sciences de la gestion
co r i n n e Ge n d r o n
Professeure et titulaire de la
Chaire de responsabilité sociale
et de développement durable
Université du Québec à Montréal
École de sciences de la gestion
MA r i e -Fr A n c e Tu r c o T T e
Professeure et
chercheure principale à la
Chaire de responsabilité sociale
et de développement durable
Université du Québec à Montréal
Département stratégie des affaires
École de sciences de la gestion
Plus souvent qu’autrement réduit au label que
l’on appose sur les produits dits « équitables », le
commerce équitable constitue en fait une réalité
plurielle et en pleine effervescence. D’une part, il
renvoie à un idéal-type, compris comme « un partena-
riat commercial fondé sur le dialogue, la transparence
et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus
grande équité dans le commerce mondial » (FINE,
2001). Dans les années 1960, c’est également au nom
de règles commerciales plus équitables que les pays
en développement ont lancé le slogan « Trade, Not
Aid ! », réclamant ainsi, non plus de l’aide au déve-
loppement, mais les moyens d’y parvenir, en leur
offrant notamment des conditions d’échange plus
justes (Gendron, 2004). D’autre part, le commerce
équitable constitue un mouvement. Figure emblé-
matique de la nouvelle génération des mouvements
sociaux économiques (Gendron, 2001), le commerce
équitable canalise des revendications politiques,
sociales et économiques en proposant un système
d’échange plus juste et avantageux pour les pays du
Sud. Enfin, le commerce équitable correspond à des
pratiques qui trouvent leurs origines dans diverses
initiatives de commerce alternatif et qui ont convergé
jusqu’à s’institutionnaliser au cours des années 1990,
marquant ainsi le passage de l’alternatif à l’équitable.
En s’institutionnalisant, le commerce équitable
a présidé à l’instauration d’un véritable système com-
mercial qui questionne tout autant qu’il renouvelle
le système économique traditionnel. En prétendant
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offrir jusqu’au double du prix aux producteurs pour leurs récoltes, le système
équitable vient en effet saper l’idéologie concurrentielle fataliste par laquelle
les acteurs économiques dominants justifient les prix dérisoires des denrées
produites par les pays du Sud.
Mais ces mêmes acteurs s’approprient simultanément le « produit équi-
table » pour rejoindre le groupe des consommateurs conscientisés à la problé-
matique Nord-Sud. Cette institutionnalisation « économique » inquiète une
fraction du mouvement équitable qui l’envisage comme une récupération à
travers laquelle son message de justice est dilué et son pouvoir de transfor-
mation, affaibli, pour ne pas dire annihilé. Pourtant, qu’elle soit politique ou
économique, l’institutionnalisation est transformation ; l’institutionnalisation
ne dissout pas le mouvement social qui en est le moteur, même si elle peut
modifier son discours et ses stratégies. Cette institutionnalisation économique
qui se juxtapose à un éventuel processus d’institutionnalisation politique est
porteuse de transformations sur le plan des rapports sociaux d’abord, mais aussi
sur celui des institutions et des organisations. Ces transformations transcen-
dent le mouvement équitable lui-même ; les entreprises, par exemple, doivent
désormais composer avec une définition de leur performance sociale fixée non
plus seulement par leurs spécialistes des affaires publiques, mais bien par la
myriade d’ONG qui ont défini en quoi consiste un « commerce équitable ». À
l’instar des autres nouveaux mouvements sociaux économiques, le commerce
équitable participe ainsi à une restructuration éthique du marché, à travers
laquelle le traitement réservé aux producteurs du Sud peut notamment être
utilisé comme facteur de différenciation commerciale. Logique commerciale
et responsabilité sociale peuvent ainsi se rejoindre, tout en appuyant des stra-
tégies d’une institutionnalisation plus politique, et renforcer le processus de
transformation des règles du commerce international.
Idéal-type, mouvement et pratiques, versant à la fois dans les sphères
économique, politique et sociale, le commerce équitable constitue dès lors
un objet d’étude fort riche, mais aussi complexe à saisir, qui touche ainsi plu-
sieurs disciplines. Le présent numéro regroupe à cet effet des contributions de
chercheurs de différents horizons disciplinaires allant de l’anthropologie au
développement international en passant par la sociologie et les sciences de la
gestion, s’intéressant au potentiel de transformation du commerce équitable.
Nous vous proposons 12 articles que nous avons regroupés sous cinq grands
axes. Le premier est celui du partenariat en œuvre dans le commerce équitable
renvoyant ainsi aux fondements idéologiques du mouvement ; la consommation
engagée et la question du comportement des consommateurs constituent le
deuxième axe ; le troisième porte sur les stratégies de distribution et de promo-
tion ; l’enjeu de l’institutionnalisation est ensuite abordé pour terminer avec la
présentation de cas de trois secteurs du commerce équitable.
18 Économie et Solidarités, volume 37, numéro 2, 2006
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Nous vous proposons d’abord l’article de Lemay qui s’intéresse de façon
fort originale à l’un des fondements idéologiques du mouvement du commerce
équitable, à savoir le concept de partenariat. C’est à travers la notion de kitsch
puisée dans l’œuvre de Kundera que Lemay analyse le partenariat du commerce
équitable. Tout en étant l’une des pierres d’assise du commerce équitable, la
notion de partenariat fait l’objet d’une conception vague et floue et sa mise en
œuvre entre acteurs du Nord et du Sud est tout aussi laborieuse : la distance
géographique et culturelle limite les possibilités de rencontres entre les par-
tenaires. Comme dans les romans de Kundera où les victimes d’une situation
problématisée en deviennent les icônes jusqu’à en perdre l’usage de la parole
et leur statut d’acteur, les représentations que se font les acteurs du Nord de la
situation des producteurs du Sud deviennent un élément central de la relation,
et donc du partenariat du commerce équitable. Le kitsch, que l’on définit comme
la négation de la polyphonie, prend ainsi forme dans le mouvement équitable
dans les discours tentant de présenter une vision édulcorée et aplanie de la
situation des producteurs. Si le discours édulcoré de la situation des produc-
teurs trouve une utilité certaine en termes de sensibilisation du grand public,
le renouvellement de la notion de partenariat doit au contraire, selon l’auteur,
laisser place à l’expression polyphonique des réalités et points de vue sans en
nier les contradictions et conflits.
Les trois articles suivants traitent plus particulièrement de la consomma-
tion responsable de la perspective des consommateurs. Ballet et Carimentrand
s’intéressent au commerce équitable sous l’éclairage du concept de consomma-
tion engagée qui aurait évolué pour devenir plus motivée par un effet d’imitation
que guidée par le sens critique des consommateurs. La nature de l’information
transmise est caractéristique de la forme de la consommation engagée (critique
ou de conformité) et les deux grandes familles de filières équitables, labellisée
ou intégrée, sont elles-mêmes liées à un type particulier de motivation et d’in-
formation. Ainsi, les consommateurs plus critiques fréquentant les boutiques
spécialisées de la filière intégrée exigent généralement plus d’information sur
le produit et les conditions de fabrication et sont incidemment prêts à supporter
les coûts plus élevés en découlant. À l’inverse, la stratégie privilégiée dans la
filière labellisée miserait essentiellement sur l’effet de mode et de mimétisme.
Avec l’arrivée des produits équitables dans les grandes et moyennes surfaces,
se réalisent aujourd’hui l’essentiel des ventes des produits équitables, la
consommation engagée tend à devenir une consommation par mimétisme
plutôt qu’une consommation critique. Cela soulève le problème de la dilution
de la consommation engagée que les auteurs expliquent, d’une part, par le
caractère réducteur du label qui non seulement condense, mais simplifie et
limite l’information sur la qualité équitable et, d’autre part, par la concurrence
entre les différents signes de qualité du commerce équitable. Dans ce contexte,
les auteurs envisagent deux scénarios opposés pour l’avenir du commerce équi-
table : soit une progression et un développement de la consommation engagée
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de façon générale qui seraient liés au caractère pédagogique et initiateur de la
consommation engagée par mimétisme, soit, au contraire, un affaiblissement
de la consommation engagée en raison de la surabondance d’information et,
incidemment, de la confusion et suspicion qui en découleraient.
Les deux articles suivants, celui de Quéniart, Jauzion et Jacques et celui
de Binninger et Robert, présentent les résultats d’études menées respective-
ment au Québec et en France auprès de groupes de consommateurs. Quéniart,
Jauzion et Jacques ont cherché à savoir pourquoi et comment les consomma-
teurs choisissent ou non d’acheter des produits équitables. Les auteurs nous
présentent les résultats d’une étude menée à Montréal auprès d’une soixantaine
de consommateurs de produits équitables et biologiques. La consommation
responsable entraînerait une véritable transformation chez les consommateurs
selon les chercheures. Elles ont pu observer chez la plupart des répondants un
cheminement selon une trajectoire type marquée par un avant et un après les
menant à choisir de tels produits. Les transformations des habitudes d’achats
semblent également suivre un mouvement en spirale les consommateurs
accordent une importance de plus en plus grande à la consommation respon-
sable (en consommant une proportion accrue de ces produits) tout en étendant
leur intérêt à des pratiques associées à la consommation responsable (en se
préoccupant davantage de l’environnement par exemple). Bref, on en vient à
repenser le rôle du consommateur dans la société. Les résultats de cette étude
s’inscrivent en somme dans le courant optimiste des analyses sociologiques de
l’engagement citoyen que relèvent les auteures et selon lequel il n’y aurait pas
un déclin de l’engagement, mais bien une transformation de celui-ci.
Binninger et Robert ont, quant à elles, étudié la confiance et l’intention
d’achat que suscite un produit labellisé équitable ainsi que l’impact de l’asso-
ciation d’une marque à un label équitable sur le comportement des consom-
mateurs. L’étude des auteures montre, d’une part, que le label de commerce
équitable Max Havelaar a une influence positive sur la confiance et l’intention
d’achat des consommateurs. Mais cette relation n’est pas automatique et varie
selon l’association du label équitable à une marque. Pour le label Max Havelaar,
sur lequel s’est centrée l’étude, ces résultats de recherche mettent en exergue
l’importance de bien choisir l’alliance avec des marques et incidemment des
acteurs dits « conventionnels » afin que le label joue le mieux son rôle d’infor-
mateur de qualité auprès des consommateurs, et ce, compte tenu du contexte
concurrentiel dans lequel évoluent les entreprises le risque s’accroît de
voir se multiplier les labels et ultimement la confusion et le désintéressement
des consommateurs. D’autre part, les travaux des auteures indiquent que la
double labellisation « commerce équitable et agriculture biologique » n’aurait
pas d’impact supplémentaire sur les consommateurs. Ce résultat est particu-
lièrement intéressant compte tenu des exigences que cette double certifica-
tion imposent aux organisations de producteurs qui sont souvent contraints
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d’adhérer à plus d’une certification. Cela justifie par ailleurs la poursuite des
recherches en matière de stratégie de distribution et de promotion, thèmes
abordés par les trois articles suivants sous des perspectives différentes.
L’insertion des produits équitables dans la grande distribution marque
un point tournant de l’évolution du mouvement du commerce équitable, étant
désormais le mode de distribution de loin le plus important pour les produits
du commerce équitable. À cet effet, Low propose deux modèles divergents du
commerce équitable issus de cette pénétration dans la grande distribution. La
conception « commerciale » (commercial fair trade) présente un caractère hiérar-
chique plus important où le consommateur figure au sommet du diagramme
et les flux d’information entre les consommateurs et la marque occupent
également une place prépondérante. Bien que la seconde conception qualifiée
de « distribution de masse basée sur les valeurs » (values-based mainstreaming)
soit moins hiérarchique, le consommateur et la marque occupent également une
place privilégiée comparativement au producteur. Low note une autre diffé-
rence significative entre les deux formes dans le fait que le commerce équitable
de masse basé sur les valeurs accorde une place plus importante à la recherche
d’innovations afin qu’une plus grande partie de la valeur retourne aux produc-
teurs comparativement à la forme commerciale qui adopte essentiellement une
stratégie de marché de créneau.
En complément de l’article de Low, Audebrand et Iacobus dégagent
des balises pouvant orienter l’action des promoteurs du commerce équitable.
Puisque plusieurs auteurs soutiennent que le facteur limitant la progression du
commerce équitable est souvent plus lié à la demande qu’à l’offre, les auteurs
cherchent à mieux comprendre le processus d’appropriation du commerce
équitable au Nord en s’éclairant de la théorie des représentations sociales.
Le modèle théorique du processus d’appropriation qu’ils proposent met en
exergue le rôle déterminant que peuvent jouer les promoteurs du commerce
équitable tout autant que ses détracteurs pour l’avenir de ce mouvement. À
partir de ce modèle, les auteurs relèvent quatre séries de pièges qui guettent
le commerce équitable relativement à la circulation de l’information au Nord
et dont la connaissance peut aider les promoteurs du commerce équitable à
en assurer le développement. Les campagnes promotionnelles du commerce
équitable devraient ainsi éviter de tomber dans le piège de la banalisation, qui
enlève au projet du commerce équitable toute son originalité, de même que
dans celui de l’exotisation, qui le déracine totalement de son environnement.
En complément, la réification est le piège qui réduirait le commerce équitable
à un simple produit de consommation courante dénué de tout aspect symboli-
que ; à l’inverse, l’abstractisation confinerait le commerce équitable à un niveau
d’abstraction trop élevé pour être approprié.
Bien que souvent caricaturé comme un mouvement partagé entre deux
pôles, l’un plus commercial et l’autre plus militant, les divers acteurs, pratiques,
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