Mesure de la fonctionnalité intestinale en réanimation par la citrullinémie 397
d’intestin irradié que des symptômes cliniques [19]. Dans
les mucites post-chimiothérapies chez le malade allogreffé
de moelle, la citrulline s’abaisse et constitue un marqueur
prédictif de risque d’infections bactériennes [25]. La citrul-
linémie monitore plus sensiblement et plus spécifiquement
l’atteinte intestinale que les tests de perméabilité intesti-
nale de type lactulose/mannitol [20]. L’interprétation de
la citrullinémie après transplantation intestinale doit tenir
compte du délai depuis l’intervention — il faut un à trois
mois pour obtenir l’ascension jusqu’à la normalisation des
taux — de la fonction rénale et d’une pathologie éventuelle
dont le rejet cellulaire et les infections entériques.
Les facteurs de variation techniques et cliniques de la
détermination de la citrulline plasmatique doivent être
connus. Il s’agit en effet d’un dosage délicat nécessitant
un laboratoire expérimenté maîtrisant la chromatographie
liquide (HPLC ou chromatographie échangeuse d’ions) qui
reste la référence. Un dosage post-prandial peut donner des
résultats abaissés jusqu’à 10 à 20 % par rapport à un prélè-
vement post-absorptif (jeûne de huit à 12 heures) qui est
recommandé. La fonction rénale est le paramètre clinique
le plus important à considérer : la citrulline — catabolisée
en arginine par le tube contourné proximal — peut monter
dès que la clairance est inférieure à 50 ml/min ce qui sou-
ligne notamment l’importance de l’hydratation du patient
avant d’entreprendre le prélèvement. À noter qu’une étude
en réanimation [7] ne trouve pas d’influence sur la citrulli-
némie de l’insuffisance rénale aiguë ne nécessitant pas de
suppléance extrarénale. Le temps de rendu des résultats
ne peut être inférieur à une heure en cours de série ou à
3—4 heures s’il faut enclencher la colonne de chromatogra-
phie pour une nouvelle série de dosages.
La concentration plasmatique de citrulline comme
biomarqueur de la masse entérocytaire et indice
de la fonctionnalité intestinale : données en
réanimation chez des patients sans pathologie
intestinale primitive
Il est connu qu’en cas de stress métabolique (patients
sévèrement brûlés, réanimation lourde avec dénutrition
protéique prédominante...) la citrullinémie diminue en
parallèle à l’hypoaminacidémie, cet effet étant moins mar-
qué chez les sujets âgés [26]. Cela est lié, au moins en
partie, au syndrome inflammatoire dans une étude chez
38 patients en réanimation pédiatrique [27]. Une seule
étude publiée a, à l’heure actuelle, étudié l’association
de l’hypocitrullinémie et du pronostic en réanimation [7].
Dans ce travail, ont été investigués 67 patients indemnes
d’insuffisance rénale chronique (créatinine avant admis-
sion inférieure à 150 mol/L) ou de maladie intestinale
chronique. La citrullinémie était dosée à l’admission,
à 12 heures, 24 heures, 48 heures et au septième jour.
La citrullinémie baissait durant le premier jour suivant
l’admission en réanimation et remontait au septième jour.
Une nutrition entérale était plus fréquemment effectuée,
à H48, chez les patients ayant des taux subnormaux
ou normaux de citrulline que basse (43 % versus 5 %).
L’hypocitrullinémie était logiquement reliée à la baisse du
précurseur (glutamine) et du métabolite (arginine). De plus
il était retrouvé significativement un lien inverse avec la
concentration de la CRP et un lien positif avec les infections
nosocomiales, les patients avec les citrullinémies les plus
basses ayant trois à sept fois plus de risque d’en développer.
Point important, en analyse multivariée une citrullinémie
inférieure à 10 mol/L à H24 était un facteur de mortalité
indépendant — notamment d’un SOFA supérieur ou égalà8—
à j28 avec des odds ratios de 8,7 et 15,08, respectivement.
La probabilité actuarielle de survie était à un mois de 54 % en
cas de citrulline inférieure au seuil de 10 mol/L versus 85 %
dans le cas contraire (p< 0,05). En cours d’hospitalisation, la
citrullinémie était supérieure de 30 à 50 % chez les malades
survivants versus non survivants. En présence d’un choc
et de l’utilisation de catécholamines, la citrulline était de
même plus basse.
Le problème de l’interprétation de la citrullinémie en
réanimation se pose. L’hypocitrullinémie aiguë qu’il est
possible de constater chez des malades de réanimation est-
elle uniquement métabolique ou reliée à la fonctionnalité
intestinale per se, et quelles en sont les conséquences ? Il
semble probable qu’à la fois la conséquence métabolique
et l’atteinte au moins fonctionnelle et/ou microlésionnelle
intestinale interviennent mais aujourd’hui il n’est pas pos-
sible de répondre sur la part respective de ces facteurs
explicatifs. Sur le plan métabolique les liens avec la glu-
tamine, l’arginine, le NO et le syndrome inflammatoire
compliquent la donne car certaines voies métaboliques
peuvent être à double sens. Cependant une étude physio-
logique (après perfusion de traceurs marqués aux isotopes
stables) chez 13 patients a montré un flux de citrulline et
une argininémie et une citrullinémie abaissées chez les
patients septiques avec ou sans choc, ainsi qu’une synthèse
inadéquate d’arginine secondaire à la réduction de la pro-
duction de citrulline [28]. Ces résultats ont été confirmé
dans une autre étude chez 17 patients de réanimation [29].
Sur le plan intestinal aucune étude de réanimation n’a
mis en relation les symptômes digestifs et le niveau de la
citrullinémie. Sur le plan pratique, différentes situations
seront à envisager : réanimation chirurgicale, entéropathies
en réanimation, toxicité des médicaments, choc septique ou
non, lien avec l’assistance nutritive...
Néanmoins il nous semble que le rationnel et les don-
nées préliminaires dont nous disposons sont encourageantes
pour considérer que la détermination de la citrulline puisse
avoir un intérêt chez les malades de réanimation. En toute
hypothèse, l’ischémie intestinale probable réduit la pro-
duction de citrulline, cette dernière caractéristique étant
un marqueur de gravité et pouvant avoir en elle-même un
effet délétère notamment par réduction de la biodisponi-
blité d’arginine.
Conclusion
La citrulline est un agent biologique utilisable comme
biomarqueur innovant : par analogie aux hépatocytes la
citrulline constitue le «facteur V »des entérocytes. Cela
a été validé dans le cadre de défaillances intestinales
au cours de pathologies intestinales chroniques primitives
graves. Il existe quelques résultats préliminaires encoura-
geant en situation aiguë de réanimation non primitivement
motivée pour un problème digestif. Si le lien avec les
infections, présumées liées à la translocation bactérienne