Réanimation (2010) 19, 393—398 MISE AU POINT Mesure de la fonctionnalité intestinale en réanimation par la détermination de la citrullinémie Intestinal functionality measurement in intensive care: Dosage of circulating citrulline P. Crenn a,∗,b,c, D. Annane a,b a Faculté de médecine, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France b Département de médecine, hôpital Raymond-Poincaré, Assistance publique -Hôpitaux de Paris, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France c EA 2498, université Paris-Descartes, 4, avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, France Reçu le 12 avril 2010 ; accepté le 22 avril 2010 Disponible sur Internet le 14 mai 2010 MOTS CLÉS Citrulline ; Pronostic ; Intestin ; Défaillance polyviscérale KEYWORDS Citrulline; Prognosis; ∗ Résumé La défaillance intestinale aiguë, difficilement mesurable en clinique, constitue une cause importante de défaillance polyviscérale en réanimation. La citrulline circulante a émergé comme candidat à la détermination de la fonctionnalité intestinale. Acide aminé synthétisé par les entérocytes de la muqueuse intestinale, non contenu dans les protéines et les solutés de nutrition, la citrulline sert de précurseur à la production d’arginine par le rein. La citrulline plasmatique est en clinique un biomarqueur validé de la masse métabolique entérocytaire tant chez l’enfant que chez l’adulte, reliée à la fonctionnalité de la muqueuse de l’intestin grêle dans les maladies intestinales. Sa concentration quand elle est inférieure à 10—20 mol/L donne une objectivité à la prescription de la nutrition parentérale en cas d’insuffisance intestinale par maladie ou absence des entérocytes. Il a été récemment montré qu’une hypocitrullinémie profonde (< 10 mol/L) en cours de séjour (H24), en toute hypothèse liée à une diminution de sa production intestinale par ischémie, constituait un facteur de mauvais pronostic en réanimation, indépendant du SOFA, index qui ne prend pas en compte la fonction intestinale. © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Acute intestinal failure is an important cause of multiorgan failure in ICU but is difficult to evaluate. Circulating citrulline emerged as a candidate for evaluation of intestinal function. Amino acid synthetized by enterocytes of intestinal mucosal, citrulline is not included in proteins or nutrition products and is a precursor for production of arginine by kidney. Plasma citrulline is, in clinical situation, an established biomarker of enterocyte functional Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Crenn). 1624-0693/$ – see front matter © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2010.04.005 394 Intestine; Multiple organ failure P. Crenn, D. Annane metabolic mass in children and in adult patients due to its high relation to functional small bowel remnant length in intestinal diseases. Plasma citrulline concentration less than 10—20 mol/L can give an objective threshold for nutrition parenteral use in case of intestinal failure due to enterocyte abnormalities or lack. It was recently shown that severe hypocitrullinemia (< 10 mol/L) during ICU (H24), probably due to a decrease of intestinal production by ischemia, is an independent factor of mortality, adding to SOFA, which does not take into account intestinal function. © 2010 Société de réanimation de langue française. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction La défaillance intestinale chez les patients admis en réanimation pour sepsis sévère a une prévalence de 20 à 60 %, selon la définition clinique que l’on en donne (diarrhée, hémorragie digestive, bactériémie d’origine digestive, intolérance à la nutrition entérale, hyperpression intra-abdominale. . .), la sévérité de l’atteinte intestinale présumée et le recrutement des patients [1,2]. Dans les autres situations de réanimation, sans pathologie intestinale préalable, la fréquence des symptômes gastro-intestinaux est également variable [1]. La mesure et l’évaluation de la fonctionnalité intestinale sont caractérisées par sa difficulté d’appréciation [3]. Par ailleurs, le caractère pronostique indépendant de l’atteinte intestinale est mal apprécié. Un marqueur objectif d’une telle atteinte, considérée comme le « moteur » des défaillances multiviscérales [4,5], non présente dans les scores de gravité actuels comme le sequential organ failure assessment (SOFA), qui contient en revanche un indicateur hépatique et biliaire global (la bilirubinémie totale) [6], apparaît néanmoins utile et nécessaire. En effet la fonction barrière est une caractéristique majeure de l’intestin. Son fonctionnement est complexe incluant l’épithélium intestinal, le système immunitaire muqueux inné et adaptatif cellulaire et moléculaire, et les microorganismes digestifs. La pathogénie de la défaillance ou de la dysfonction intestinale est également multifactorielle chez le patient de réanimation : quantité et qualité des microorganismes impliqués, perméabilité de l’épithélium et la paraoi digestive, intensité et étendue de la (micro)perfusion vasculaire, considérée comme le primum movens de l’atteinte. La détermination « objective » de la concentration plasmatique de la citrulline pourrait apporter une solution au problème d’identification de l’atteinte intestinale et de quantification de sa sévérité [7]. La fonctionnalité intestinale en réanimation : pourquoi et comment ? barrière intestinale et l’augmentation de la perméabilité intestinale (notamment au niveau des tight junction), quelle qu’en soit la cause, favorisent la pérennisation de l’inflammation, la translocation bactérienne et les bactériémies et interviennent dans le systemic inflammatory response syndrome (SIRS) et le multiorgan failure (MOF), il existe de nombreux arguments expérimentaux [5]. Néanmoins on note relativement peu de données physiopathologiques chez l’homme au cours de l’agression à ses différents stades, en dehors des phénomènes ischémiques et, associée ou non, de la translocation bactérienne dans certains contextes [8]. Cela est en particulier expliqué par les difficultés d’exploration. La perméabilité intestinale, facteur de risque de la translocation bactérienne quand elle est élevée, mesurée par exemple par le ratio urinaire lactulose sur mannitol (après prise orale ou entérale des ces marqueurs), est augmentée chez le malade de réanimation et associée au multiorgan defaillance system (MODS) [9], notamment en cas de nutrition parentérale, situation qui en cas de mise à jeun de l’intestin s’accompagne d’une augmentation des translocations bactériennes d’origine intestinale. En situation postopératoire, la translocation est elle-même associée au risque d’infection secondaire (28 % versus 11 %) [8]. Le risque de translocation est diminué par la prise en charge précoce dont celle nutritionnelle par nutrition entérale, privilégié aujourd’hui pour les malades de réanimation. Il n’y a cependant pas à ce jour de marqueur validé de la défaillance intestinale aiguë en soins intensifs ou en réanimation. Le dernier handicap s’avère que les critères cliniques semblent peu spécifiques ou sensibles. La défaillance intestinale n’est ainsi, du fait de l’absence de marqueur objectif « universel » reconnu, pas inclus dans le score SOFA qui évalue l’ensemble des défaillances viscérales (hépatique, neurologique, hématologique, rénale, respiratoire, cardiovasculaire) des malades graves de réanimation [6]. Un tel marqueur de fonctionnalité intestinale, s’il était simple de réalisation, et qu’il montrait des résultats pragmatiques reproductibles et fiables, notamment comme paramètre pronostique, pourrait trouver place dans ce type de score. Données cliniques Le mécanisme évoqué de l’atteinte intestinale « secondaire » en réanimation est essentiellement ischémique par redéploiement du débit circulatoire vers les territoires à préserver (système nerveux, cœur. . .) avec en particulier micronécrose et apoptose villositaire. À l’origine de la gut hypothesis, qui postule que les défauts de la Données biologiques Elles sont peu nombreuses et, comme nous l’avons suggéré, complexes. Le intestinal fatty acid binding protein (I-FABP) et le liver FABP (F-FABP), marqueurs d’atteinte cellulaire dans le territoire splanchnique et notamment intestinal, Mesure de la fonctionnalité intestinale en réanimation par la citrullinémie corrélés pour la I-FABP à la tonométrie gastrique (indicateur de l’ischémie muqueuse), est élevé à la phase aiguë du sepsis et est associé à un plus mauvais pronostic à un mois [10]. Les résultats du I-FABP, qui s’élève en cas d’atteinte de l’épithélium intestinal, suggèrent une atteinte intestinale précoce et liée au choc et à sa sévérité chez les patients traumatisés [11]. Pour la clinique, l’utilisation et la disponibilité de ces marqueurs sont trop complexes et en pratique réelle impossible. Les méthodes physiologiques, notamment la mesure de ratio urinaire de marqueurs ingérés ou administrés par sonde pour la détermination de la perméabilité intestinale, ne sont pas plus facilement utilisables en pratique. Une hypoglutaminémie est commune en réanimation, ce qui constitue le rationnel pour des études de complémentation. Des modifications des acides aminés reliés (arginine, citrulline) sont donc attendus et souvent retrouvées. Le NO, d’origine multitissulaire et multiorgane, est un produit des métabolismes de l’arginine et de la citrulline dont la production augmente par induction de l’iNOS du fait de certaines cytokines proinflammatoires (INF gamma). Il augmente lui-même la perméabilité sur des cultures intestinales [12]. Figure 1 line. 395 Métabolisme interorgane et intestinal de la citrul- phocytes et macrophages, le système nerveux et en cas d’inflammation ; • le métabolisme interorgane (Fig. 1). Biologie de la citrulline chez l’homme La citrulline est un acide aminé comprenant trois atomes d’azote, considérée comme un intermédiaire métabolique du métabolisme protéique. La citrulline n’est pas contenue dans les protéines et peptides endogènes et exogènes et se trouve à l’état libre dans les cellules et les liquides extracellulaires. Elle a une fonction épuratrice de l’excès d’azote en situation d’hyperammoniémie. En dehors de la pastèque, où on la trouve en petite quantité sous forme libre, la citrulline est quasiment absente de l’alimentation et des solutés de nutrition artificielle. Biochimie Chez l’homme il est établi, par les études de multicathétérisme splanchnique et musculaire périphérique avec mesures de concentrations et de débits pratiquées dans les différents lits vasculaires de l’organisme (notamment au niveau des veines sus-hépatiques), qu’à l’état postabsorptif la citrulline est le seul acide aminé dont la production splanchnique soit significative. La démonstration de l’implication intestinale et non hépatique dans la production de citrulline a été faite par la transplantation hépatique qui ne corrige pas l’hypocitrullinémie profonde constatée dans certains déficits héréditaires des enzymes du cycle de l’urée. Il existe trois voies de synthèse physiologique de la citrulline [13] : • un cycle intrahépatique compartimenté (uréogenèse périportale de détoxification de l’ammoniac : synthèse par l’ornithine carbamoyl transférase [OCT] mitochondriale, catabolisme par l’arginosuccinate synthase [ASS] cytosolique) ; • la voie cellulaire (voie du NO : nitrite oxyde synthase [NOS]) présente dans les cellules endothéliales, les lym- Ce dernier permet la production — intestinale — de la quasi-totalité de la citrulline « circulante » [14]. La citrulline sanguine, plasmatique ou sérique — ces dosages donnant des résultats identiques — est produite spécifiquement par les mitochondries des entérocytes de la muqueuse intestinale [15]. La synthèse est majoritairement effectuée en zone proximale — jéjunum — avec un gradient enzymatique aboral, et dans le compartiment villositaire, à partir essentiellement in vivo de la glutamine (environ 5 % de son flux) d’origine luminale ou sanguine [14]. La citrulline plasmatique est, pour plus de 85 %, un produit terminal du métabolisme entérocytaire de la glutamine. La voie enzymatique de biosynthèse de la citrulline est complexe impliquant notamment la pyrroline 5 carboxylate synthase (P5CS) considérée comme l’enzyme limitante de cette voie et à expression essentiellement intestinale, l’ornithine aminotransférase (OAT) et l’OCT. La citrulline est exportée des mitochondries par le transporteur ORNT1, antiport ornithine—citrulline. La citrulline produite est pour plus de 85 % transformée en arginine, acide aminé à fonction pléiotropique, au niveau du tube contourné proximal des tubules superficiels rénaux. La contribution de l’arginine comme précurseur de la synthèse de citrulline in vivo chez l’homme n’est pas déterminée. Les activités enzymatiques des principales enzymes impliquées dans ce carrefour métabolique complexe (glutamate pathway) ont été déterminées chez le rat mais pas chez l’homme. Les entérocytes matures abritent ainsi un cycle incomplet de l’urée, mitochondrial mais non cytosolique. Le foie ne joue aucun rôle significatif dans le métabolisme de la citrulline circulante [14]. Physiologie Les études aux isotopes stables ont montré que le flux interorgane de la citrulline est quantitativement le plus bas 396 de tous les acides aminés : environ 10 mol/kg par heure soit 4 à 6 g/j [16], comparé à la leucine (100 mol/kg par heure), à l’arginine (60 à 80 mol/kg par heure) et à la glutamine (400 à 500 mol/kg par heure). La concentration plasmatique de citrulline est fortement corrélée à son flux de production chez les patients ayant subi une résection intestinale (syndrome de grêle court). La demi-vie de la citrulline est de trois à quatre heures. Chez l’homme, 5 à 15 % du flux total d’arginine dérive de la citrulline, la part restante étant essentiellement due à la protéolyse [16]. Ces particularités métaboliques semblent caractéristiques des espèces omnivores (rat, porc, homme) et ne sont pas observées chez les carnivores. Il est plausible que le circuit métabolique interorganes détourné de la citrulline constaté chez les espèces omnivores serve à protéger l’organisme d’une dégradation excessive de l’arginine par le foie (mécanisme d’épargne azotée), notamment en situation de pénurie azotée où l’expression intestinale des enzymes de la biosynthèse de citrulline est augmentée alors qu’elle diminue en situation post-prandiale. Citrulline et bilan protéique Chez le rat, la citrulline est indispensable à la croissance : l’administration d’un inhibiteur oral de l’OTC inhibe la croissance et négative le bilan azoté, effets qui sont prévenus complètement par l’administration de citrulline et incomplètement par l’arginine. Chez le rat âgé, dénutri par réduction d’apport mais non agressé, la citrulline module le métabolisme protéique musculaire avec un effet propre anabolisant protéique puissant. Cet effet n’est pas constaté avec l’arginine et n’est objectivé pour la glutamine que dans certaines situations et à doses élevées. Autres particularités Deux autres enzymes sont impliqués dans le métabolisme de la citrulline. Les peptidyl arginine déaminase (PAD) sont des enzymes qui assurent la désamination post-traductionnelle de l’arginine de certains peptides, facteur de génération de « peptides citrullinés ». Ces peptides citrullinés peuvent être physiologiques ou pathologiques. Ils sont impliqués dans la pathogénie et surtout le diagnostic de certaines affections auto-immunes. La diméthylarginine diméthylaminohydrolase (DDAH) inhibe la NOS endothéliale et donc diminue indirectement la citrulline vasculaire locale. Des anomalies de cette enzyme sont impliquées dans la dysfonction endothéliale et certaines maladies cardiovasculaires [17], la citrulline ayant dans ces cas une action bénéfique en partie par génération de NO vasodilatateur. La citrulline en médecine, en chirurgie et en réanimation En dehors de la pédiatrie spécialisée (hypocitrullinémies des maladies métaboliques héréditaires du cycle de l’urée de type déficit en OTC, dont la révélation peut parfois être tardive, tout particulièrement sous forme de coma hyperammoniémique à la suite d’un stress métabolique ou d’une mise sous nutrition parentérale), de l’immunonopathologie P. Crenn, D. Annane (anticorps antipeptides cycliques citrullinés (anti CCP), en particulier dans la polyarthrite rhumatoïde), et du caractère donneur de NO, l’actualité de la citrulline en pathologie se focalise sur sa validation comme biomarqueur de la trophicité de la masse entérocytaire métabolique active. Cela nous a permis de proposer un indicateur objectif innovant de la fonctionnalité intestinale [13] qu’il devient maintenant possible d’appliquer aux malades de réanimations. La concentration plasmatique de citrulline constitue un biomarqueur de la masse entérocytaire : données dans les pathologies intestinales Il est bien établi en clinique, à la fois chez l’enfant après le sevrage et chez l’adulte, que la citrullinémie constitue un indicateur sensible et spécifique de la masse entérocytaire fonctionnelle absorptive [13] chez des patients ayant une entéropathie « primitive » et suffisamment sévère. Cela a été montré dans les pathologies intestinales graves chroniques ou aiguës : syndrome de grêle court post-chirurgical [18], toxicité des radiothérapies [19] et chimiothérapies antinéoplasiques [20], atrophies villositaires immunologiques [21] et infectieuses y compris chez le patient VIH [22], rejet de transplantation intestinale [23]. Cette relation est indépendante de l’albuminémie et de l’état nutritionnel [13,21], et selon les situations, du syndrome inflammatoire biologique (CRP) [22,24]. C’est ainsi que dans l’anorexie mentale avec dénutrition sévère (indice de masse corporelle inférieur à 13), la citrullinémie est normale, ces malades n’ayant aucune pathologie intestinale vérifiée sur prélèvements tissulaires [21]. Une forte corrélation positive entre la citrullinémie et la longueur de grêle restant a été confirmée dans de multiples études [13]. Dans la maladie cœliaque, la citrullinémie s’améliore, voire se normalise chez les patients ayant une repousse villositaire sous régime sans gluten [21]. De manière pragmatique, la citrullinémie constitue un biomarqueur du pronostic et de l’évolutivité des processus intestinaux diffus permettant d’objectiver l’indication d’un support nutritionnel, en particulier la nutrition parentérale en cas d’insuffisance intestinale, en cas d’hypocitrullinémie inférieure à 10 mol/L (pour une normale entre 30 et 50) [13,22]. Du fait de la complexité et du nombre d’organes impliqués dans les fonctions digestives, la citrullinémie ne monitore pas précisément — sauf en cas d’entérostomie — l’ensemble des fonctions d’absorption intestinale des nutriments. Cela est vrai pour les macronutriments et davantage pour la plupart des micronutriments dont les sites et biodisponibilités varient : la citrulline constitue un marqueur de la trophicité et de l’activité métabolique des entérocytes, i.e. de la « masse active » [13]. La relation avec la stéatorrhée ou le coefficient d’utilisation digestive des nutriments — toutes de détermination longue et délicate — est ainsi inconstante selon les situations [13,24]. Dans la maladie de Crohn, pathologie immunologique sans atteinte entérocytaire proprement dit, la citrullinémie est normale, non influencée par l’inflammation intestinale objectivée par les index d’activité ou la CRP, en l’absence de résection du grêle [24]. Dans l’entérite radique aiguë, la citrullinémie est plus fonction de la dose d’irradiation et du volume Mesure de la fonctionnalité intestinale en réanimation par la citrullinémie d’intestin irradié que des symptômes cliniques [19]. Dans les mucites post-chimiothérapies chez le malade allogreffé de moelle, la citrulline s’abaisse et constitue un marqueur prédictif de risque d’infections bactériennes [25]. La citrullinémie monitore plus sensiblement et plus spécifiquement l’atteinte intestinale que les tests de perméabilité intestinale de type lactulose/mannitol [20]. L’interprétation de la citrullinémie après transplantation intestinale doit tenir compte du délai depuis l’intervention — il faut un à trois mois pour obtenir l’ascension jusqu’à la normalisation des taux — de la fonction rénale et d’une pathologie éventuelle dont le rejet cellulaire et les infections entériques. Les facteurs de variation techniques et cliniques de la détermination de la citrulline plasmatique doivent être connus. Il s’agit en effet d’un dosage délicat nécessitant un laboratoire expérimenté maîtrisant la chromatographie liquide (HPLC ou chromatographie échangeuse d’ions) qui reste la référence. Un dosage post-prandial peut donner des résultats abaissés jusqu’à 10 à 20 % par rapport à un prélèvement post-absorptif (jeûne de huit à 12 heures) qui est recommandé. La fonction rénale est le paramètre clinique le plus important à considérer : la citrulline — catabolisée en arginine par le tube contourné proximal — peut monter dès que la clairance est inférieure à 50 ml/min ce qui souligne notamment l’importance de l’hydratation du patient avant d’entreprendre le prélèvement. À noter qu’une étude en réanimation [7] ne trouve pas d’influence sur la citrullinémie de l’insuffisance rénale aiguë ne nécessitant pas de suppléance extrarénale. Le temps de rendu des résultats ne peut être inférieur à une heure en cours de série ou à 3—4 heures s’il faut enclencher la colonne de chromatographie pour une nouvelle série de dosages. La concentration plasmatique de citrulline comme biomarqueur de la masse entérocytaire et indice de la fonctionnalité intestinale : données en réanimation chez des patients sans pathologie intestinale primitive Il est connu qu’en cas de stress métabolique (patients sévèrement brûlés, réanimation lourde avec dénutrition protéique prédominante. . .) la citrullinémie diminue en parallèle à l’hypoaminacidémie, cet effet étant moins marqué chez les sujets âgés [26]. Cela est lié, au moins en partie, au syndrome inflammatoire dans une étude chez 38 patients en réanimation pédiatrique [27]. Une seule étude publiée a, à l’heure actuelle, étudié l’association de l’hypocitrullinémie et du pronostic en réanimation [7]. Dans ce travail, ont été investigués 67 patients indemnes d’insuffisance rénale chronique (créatinine avant admission inférieure à 150 mol/L) ou de maladie intestinale chronique. La citrullinémie était dosée à l’admission, à 12 heures, 24 heures, 48 heures et au septième jour. La citrullinémie baissait durant le premier jour suivant l’admission en réanimation et remontait au septième jour. Une nutrition entérale était plus fréquemment effectuée, à H48, chez les patients ayant des taux subnormaux ou normaux de citrulline que basse (43 % versus 5 %). L’hypocitrullinémie était logiquement reliée à la baisse du précurseur (glutamine) et du métabolite (arginine). De plus il était retrouvé significativement un lien inverse avec la 397 concentration de la CRP et un lien positif avec les infections nosocomiales, les patients avec les citrullinémies les plus basses ayant trois à sept fois plus de risque d’en développer. Point important, en analyse multivariée une citrullinémie inférieure à 10 mol/L à H24 était un facteur de mortalité indépendant — notamment d’un SOFA supérieur ou égal à 8 — à j28 avec des odds ratios de 8,7 et 15,08, respectivement. La probabilité actuarielle de survie était à un mois de 54 % en cas de citrulline inférieure au seuil de 10 mol/L versus 85 % dans le cas contraire (p < 0,05). En cours d’hospitalisation, la citrullinémie était supérieure de 30 à 50 % chez les malades survivants versus non survivants. En présence d’un choc et de l’utilisation de catécholamines, la citrulline était de même plus basse. Le problème de l’interprétation de la citrullinémie en réanimation se pose. L’hypocitrullinémie aiguë qu’il est possible de constater chez des malades de réanimation estelle uniquement métabolique ou reliée à la fonctionnalité intestinale per se, et quelles en sont les conséquences ? Il semble probable qu’à la fois la conséquence métabolique et l’atteinte au moins fonctionnelle et/ou microlésionnelle intestinale interviennent mais aujourd’hui il n’est pas possible de répondre sur la part respective de ces facteurs explicatifs. Sur le plan métabolique les liens avec la glutamine, l’arginine, le NO et le syndrome inflammatoire compliquent la donne car certaines voies métaboliques peuvent être à double sens. Cependant une étude physiologique (après perfusion de traceurs marqués aux isotopes stables) chez 13 patients a montré un flux de citrulline et une argininémie et une citrullinémie abaissées chez les patients septiques avec ou sans choc, ainsi qu’une synthèse inadéquate d’arginine secondaire à la réduction de la production de citrulline [28]. Ces résultats ont été confirmé dans une autre étude chez 17 patients de réanimation [29]. Sur le plan intestinal aucune étude de réanimation n’a mis en relation les symptômes digestifs et le niveau de la citrullinémie. Sur le plan pratique, différentes situations seront à envisager : réanimation chirurgicale, entéropathies en réanimation, toxicité des médicaments, choc septique ou non, lien avec l’assistance nutritive. . . Néanmoins il nous semble que le rationnel et les données préliminaires dont nous disposons sont encourageantes pour considérer que la détermination de la citrulline puisse avoir un intérêt chez les malades de réanimation. En toute hypothèse, l’ischémie intestinale probable réduit la production de citrulline, cette dernière caractéristique étant un marqueur de gravité et pouvant avoir en elle-même un effet délétère notamment par réduction de la biodisponiblité d’arginine. Conclusion La citrulline est un agent biologique utilisable comme biomarqueur innovant : par analogie aux hépatocytes la citrulline constitue le « facteur V » des entérocytes. Cela a été validé dans le cadre de défaillances intestinales au cours de pathologies intestinales chroniques primitives graves. Il existe quelques résultats préliminaires encourageant en situation aiguë de réanimation non primitivement motivée pour un problème digestif. Si le lien avec les infections, présumées liées à la translocation bactérienne 398 (germes d’origine intestinale), et le caractère pronostic « indépendant », se confirment, ce marqueur pourrait trouver place dans des indicateurs multifactoriels existant pour les malades les plus sévères. En réanimation, une cinétique particulière de la citrulline peut être mise en évidence. La présence et la persistance d’une hypocitrullinémie, quelle qu’en soit la cause (intestinale per se notamment par ischémie et/ou diminution du précurseur glutamine, qui a lui-même physiologiquement un effet positif et trophique sur la muqueuse intestinale) en fait un nouveau marqueur pronostic dont il faudra confirmer l’absence d’interférence avec l’insuffisance rénale aiguë. Les conséquences nutritionnelles sur la biodisponibilité de l’arginine devront être investiguées. Sur le plan thérapeutique l’hypocitrullinémie des malades de réanimation pourrait plaider en outre en faveur de la réalisation de méthodes spécifiques luttant contre la translocation : antibiotiques à visée de « décontamination » du tube digestive, nutrition entérale précoce. . . P. Crenn, D. Annane [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] Conflit d’intérêt [19] Aucun. Références [20] [1] Reintam A, Parm P, Kitus R, Kern H, Starkopf J. Gastrointestinal symptoms in intensive care patients. Acta Anaesthesiol Scand 2009;53:318—24. [2] Reintam A, Parm P, Kitus R, Starkopf J, Kern H. Gastrointestinal failure score in critically ill patients: a prospective observational study. Crit Care 2008;12:R90. [3] Khadaroo RG, Marshall JC. Gastrointestinal dysfunction in the critically ill: can we measure it? Crit Care 2008;12:180. [4] Alverdy JC, Laughlin RS, Wu L. Influence of the critically ill state on host-pathogen interactions within the intestine: gut-derived sepsis redefined. 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