dossier
19
/ octobre 2012 / n°425
Aux États-Unis,
l’individu reste
l’homme de la
frontière, ne croyant
qu’en lui-même
En France, l’individu
s’édifie avec la
société, elle-même
entremêlée à l’État.
apparaissant ainsi comme le successeur
du Roi Soleil (en 1982, sommet du G7 à
Versailles).
Des convergences équivoques
Les similarités franco-américaines, au
lieu de rapprocher les deux nations, les
éloignent.
La démocratie est en principe commune
aux deux pays. En France, la démocratie
ne se dissocie pas de l’État, promoteur et
garant de l’égalité. La démocratie réside
dans la loi – mot le plus fréquent dans
la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789. Aux États-Unis, la
démocratie dépasse l’État et le conteste.
Ce qui fonde la démocratie en Amérique,
c’est la liberté de l’individu. L’oppo sition
de fond entre la conception française et
la conception américaine se manifeste
de manière éclatante sur la question
très significative des armes à feu. Aux
États-Unis, l’individu ne peut être privé
d’une capacité d’autodéfense (deuxième
amendement de la Constitution) ; d’où
l’acquisition très (ou trop) facile d’armes.
Au contraire, en France, la démocratie
requiert des individus désarmés, le recours
aux armes étant le monopole de la police.
Le contrat social démocratique est
radicalement différent
chez les deux peuples. En
France, rien n’échappe à
l’État, l’individu n’existe
que dans une société
étatique. Aux États-Unis,
le pacte reconnaît ses
limites ; la survie ultime
de l’individu dépend et
doit dépendre, dans des
circonstances extrêmes, de
lui seul. Derrière ces deux
représentations, se dessinent deux histoires
opposées : en France, l’individu s’édifie avec
la société, elle-même entremêlée à l’État.
Aux États-Unis, l’individu reste l’homme
de la frontière, ne croyant qu’en lui-même.
Soit l’État comme gardien indispensable,
soit l’État comme mal nécessaire. La crise
des années 2000 révèle pour la énième
fois ce fossé : en France, tout doit être fait
pour maintenir l’État-providence ; aux États-
Unis, le phénomène du Tea Party confirme
une méfiance viscérale de l’État, élément
essentiel de l’esprit américain.
La culture devrait tisser des liens entre
États-Unis et France, tous deux se posant
en terres de culture.
La France ? Cela va, semble-t-il, de soi,
d’abord pour les Français sûrs d’être la
nation culturelle par excellence, mais
aussi pour les Américains, au moins pour
les francophiles anxieux
de rassurer leurs amis
français. Être cultivé,
c’est parler français.
Ainsi Jackie Kennedy
fascinée (ou s’amusant à
être fascinée) par André
Malraux. Les États-Unis,
eux ne reconnaissant que
des preuves chiffrées,
avancent leurs univer-
sités, leurs artistes, leurs
capacités d’intégration, leurs fondations.
Néanmoins la convergence tourne vite à
l’aigre. Pour tant de Français, l’Américain
moyen est inculte, il n’y a pas de culture
américaine. En clair, cela signifie que les
Américains n’ont pas de goût (s’agirait-il
du goût français ?). Les créateurs majeurs
des États-Unis, d’Henry James à Woody
Allen, sont définis comme des Européens
cachés, incompris de leurs compatriotes.
La culture française, surtout depuis les
lendemains de la Seconde Guerre mondiale,
puise beaucoup dans la
richesse américaine. Mais
ces éléments nourriciers
sont décrétés issus de la
contre-culture, donc pas
vraiment « états-uniens » :
romans policiers, bandes
dessinées, hippies...
Ainsi Dashiell Hammett,
Jack Kerouac, William
Burroughs...
Pour les États, tout est
finalement géopolitique
Les États-Unis et la France sont des États.
Ce qui les rapproche ou les sépare, ce sont
leurs problèmes d’États. Les deux pays
n’ont pas toujours été amis. En 1861,
la France de Napoléon III, profitant de
la guerre de Sécession (1861-1865)1,
intervient militairement au Mexique, dans
l’arrière-cour des États-Unis ; ces derniers
sont furieux et soutiennent activement la
résistance mexicaine... jusqu’à la défaite
des Français.
Ce qui façonne l’alliance franco-américaine,
ce n’est pas une convergence philosophique
ou éthique, c’est le défi que, dans les
années 1890-1945, représentent l’Allema-
gne de Guillaume II puis celle de Hitler
pour l’Europe et le monde. La France
est directement menacée dans sa survie
comme État indépendant
par ce voisin vigoureux et
belliqueux. Les États-Unis,
eux, ne sont pas soumis à
un risque existentiel ; ils
sont protégés par deux
océans. Cependant,
alors que, dès la fin du
XIXe siècle, ils sont, très
loin devant les autres,
la première puissance
économique mondiale, ils
ne peuvent accepter une Eurasie dominée
par un ou des empires, susceptibles de leur
fermer cette partie du monde. En 1917,
les États-Unis, se rendant compte que la
Grande-Bretagne et la France ne peuvent
abattre l’Allemagne, entrent dans la guerre.
Face à l’Allemagne de Hitler puis à l’Union
soviétique, les États-Unis restent fidèles
à la même ligne : avoir une Eurasie, de
Brest à Vladivostok, ouverte aux échanges
mondiaux et non tenue par une ou des
puissances hostiles. Dans cette partie
mondiale, la France est un partenaire parmi
d’autres. Pour Washington, la France compte
comme l’un des membres importants de
l’Union européenne et comme un éventuel
fournisseur de troupes.
Comme il est douloureux de ne plus être
exceptionnel ! C’est justement ce que,
non sans mal, les États-Unis sont en train
d’apprendre avec la montée de la Chine et
d’autres... ■
1 - Les États-Unis appellent ce conflit leur « Civil War ». Pour eux, l’enjeu n’est
en rien un éclatement du pays mais, au contraire, la défense inconditionnelle de
son unité. Le qualificatif « guerre de Sécession » ne peut convenir à un citoyen
des États-Unis. Napoléon III envisage un moment de reconnaître le Sud comme
une entité souveraine ; il comprend vite que cet acte serait reçu par le président
Abraham Lincoln comme une déclaration de guerre !