le rôle des ectomycorhizes dans la nutrition azotée des arbres

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LE RÔLE DES ECTOMYCORHIZES
DANS LA NUTRITION AZOTÉE
DES ARBRES FORESTIERS
Claude PLASSARD -M.CHALOT -B.BOTTON -F.MARTIN
La disponibilitéenazoteest,avecl’eau,l’undes principaux facteurs limitant lacroissancedes
arbres dans laplupart des écosystèmes forestiers des régions tempérées et boréales.Comme dans
tous les écosystèmes,l’existencedu cycle de l’azote(figure1,p. 83)permet le recyclage perma-
nent de cet élément entredes formes organiques produites au cours de la vie des différents orga-
nismes de l’écosystème et des formes minérales utilisées par les végétaux.Dans les écosystèmes
forestiers,les vitesses de minéralisation de l’azoteprotéique sont généralement lentes,aboutissant
à une accumulation d’azoteorganiquequipeut représenter jusquà90%delaquantitédazote total
du sol forestier.Mais cet azoteorganique, séquestrédans labiomasse végétale ou animale,dans
lalitreou le sol,est peu accessible aux arbres qui utilisent préférentiellement l’azoteinorganique
(NH4+,NO3).
Cependant,dans les écosystèmes non perturbés,les racines des grandes essences sylvicolesdes
forêts tempérées et boréales (exemple :Pinspicéa, Chêne,Hêtre) portent généralement des ecto-
mycorhizes quipeuvent êtreformées par plusieurs centaines d’esces de champignons basidio-
mycètes (exemple :Amanites,Bolets)et ascomycètes (exemple :Truffes). Morphologiquement,on
distingue souvent parfaitement une racine courteectomycorhizée d’une racine courtenon mycorhi-
zée par laprésencedu manteau fongiqueexterne recouvrant la racine mycorhizée (figures 1et
2,p. 83). Les filaments mycéliens de cemanteau sedéveloppent d’une part vers l’intérieur de la
racine,en s’insinuant entreles cellules du cortex racinaireet d’autrepart vers l’extérieur de la racine
pour constituer un réseau extraradiculaire(figure2,p. 83). Alors quelacroissancedes hyphes àl’in-
térieur de la racine est limitée par laprésencedel’endoderme,lacroissancedes filaments externes
peut êtreextrêmement importante(jusquà1000 mdemycélium/mde racine),augmentant ainsi
considérablement le volume de sol prospecté. Si unmycéliumquiexplorece volume de sol est
capable de mobiliser des éléments minéraux inaccessibles aux racines de laplante-hôteet de les
luifournir, sous leur forme initiale ou après les avoir transfors travers les ectomycorhizes,on
comprend facilement quel’établissement d’associations symbiotiques mycorhiziennes apparaisse
comme une stratégie importantedéveloppée par les arbres afin d’assurer leur survie et leur
croissance(Harley et Smith,1983).
Les champignons ectomycorhiziens et les plantes ligneuses aveclesquelles ils sassocient appar-
tiennent àdeux groupes végétaux distincts,les thallophytes et les végétaux vasculaires respective-
ment,et ces végétaux diffèrent fondamentalement entreeux.Par exemple, vis-à-vis du carbone,les
arbres sont autotrophes alors queles champignons sont térotrophes pour cet élément.Dans les
associations ectomycorhiziennes,laplante-hôtefournit doncle carbone nécessaireau veloppe-
ment du partenairefongique. Delamême fon quepour le carbone,il est doncenvisageable que
ces organismes diffèrent dans leurs capacités à utiliser les différentes formes d’azotequi vont se
trouver dans un sol. Nous avons vu plus haut qu’il est communément admis queles arbres
Lefonctionnement des symbioses mycorhiziennes
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Figure1 LE CYCLE DE LAZOTE ET LE RÔLE POTENTIEL DES ECTOMYCORHIZES
DANS LUTILISATION DES DIFFÉRENTES FORMES DE LAZOTE DU SOL
Lecycle de l’azoteaboutit àlaformation d’azoteminéral soluble àpartir de l’azoteprotéiquecontenu dans les bris
animaux et végétaux.Laction des ectomycorhizes peut s’effectuer aux différents niveaux indiqués par les flèches en
pointillé.
Figure 2 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DUNE COUPE LONGITUDINALE DUNE RACINE COURTE
DE CONIFÈRE NON MYCORHIZÉE (a)ET ECTOMYCORHIZÉE (b)
Enabsencedemycorhization,la racine courteprésentedenombreux poils absorbants quidisparaissent après infection
et formation du manteau fongiqueexterne.
Débris
animaux
et végétaux
Norganique
insoluble
(protéines)
Norganique
soluble
(acides aminés)
Nminéral
soluble
(NH4+ /NO3)
Ectomycorhizes
MycéliumRacine
Zone
ristématique
sans mycélium
Cylindrecentral
sans mycélium
Cortex racinaire
colonisé(Réseau
de Hartig)
Manteau
Endoderme
Filaments
externes
Zone
ristématique
Poils absorbants Cortex
Endoderme
Cylindrecentral
2a2b
fabriquent leurs protéines (1) principalement àpartir de l’azoteminéraldela solution du sol.
Cependant qu’en est-il des champignons ectomycorhiziens?Présentent-ils les mêmes caractéris-
tiques ou sont-ils au contrairecapables d’utiliser des formes d’azoteplus variées,comme par
exemple des formes protéiques non accessibles aux végétaux surieurs ?Après avoir mobiliséde
l’azote, sont-ils capables de le fournir àlaplante-hôte,et sioui sous quelle forme et àquel prix pour
laplante?Et enfin,est-il possible de sélectionner des esces fongiques efficaces dans l’amélio-
ration de lanutrition azotée des arbres forestiers ?Lebut de cet article est de fairelepoint sur ces
questions en sappuyant sur les résultats obtenus au cours des recherches menées sur les ecto-
mycorhizes durant ces dernières années.
LES MYCORHIZES ET LAZOTE ORGANIQUE
Lazoteorganiquepeut se trouver principalement sous deux formes:insoluble (les protéines)ou
soluble (les petits peptides et les acides aminés (2)). Les données sur les capacités d’utilisation de
ces deux formes d’azotepar les champignons ectomycorhiziens et les ectomycorhizes ont large-
ment progresséau cours de ces dernières années et c’est dans cet ordrequenous les évoquerons
successivement.
Les protéines
Dans tout écosystème non perturbé,lapremièrtape de laminéralisation de l’azoteest l’hydrolyse
des liaisons peptidiques (3)des protéines contenues dans les bris végétaux et animaux sous l’action
d’enzymes scifiques,appelées protéases,pour produiredelazoteorganique soluble (figure1,
p. 83). Enconditionscontrôlées de laboratoire,les arbres non mycorhizés sont généralement inca-
pables de sedévelopper sur des milieux contenant des protéines insolubles comme seule source
d’azote,confirmant queleur capacitédeproduction des protéases est très faible. Par contre,la
mycorhization des esces ligneuses permet une croissancedelaplantedans ces conditions,indi-
quant quele symbiotefongique rend l’arbrecapable d’utiliser cette sourcedazoteinsoluble
(Abuzinadahet Read,1986). La premièrehypotsequel’on peut émettrepour expliquer cette
action bénéfiquedela symbioseest quelepartenairefongiqueest capable de produireet d’excré-
ter des protéases dans le milieu,cequiluipermet de mobiliser l’azoteàpartir de protéines.La
recherche de lacapacitédeproduction des protéases aeffectivement montréquunnombreconsi-
rable d’esces fongiques,dans pratiquement tous les groupes,étaient capables de produireet
d’excréter des protéases (Cohen,1980). De telles enzymes ont étédosées aussibien chez des
champignons éricoïdes comme laPézizeorangée (Hymenoscyphus ericae)(Bajwaet al.,1985) que
chez des champignons ectomycorhiziens cultivés en culturepure(Ramstedt et Söderhäll,1983;
El-Badaouiet Botton,1989 ; Zhuet al.,1990).
Après avoir mis en évidencequeles champignons ectomycorhiziens étaient capables de produire
des protéases extracellulaires,différents travaux ont étémenés pour tenter de connaîtreles condi-
tions de milieu permettant unfonctionnement optimaldeces enzymes.Les résultats obtenus mon-
trent que,chez toutes les esces fongiques étudiées jusquàprésent,l’activitéprotéasiquen’est
pas réprimée par l’ammonium,queleur pHoptimaldefonctionnement se situegénéralement autour
de 4,0-4,5(El-Badaouiet Botton,1989). Enfin,le facteur le plus important est laprésencedepro-
téines exogènes quiest absolument requisepour stimuler les activités protéases excrétées,comme
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(1) Protéine :macromolécule constituée d’une suitedacides aminés reliés entreeux par une liaison peptidique.
(2)Acide aminé :composés élémentaires des protéines; ils sont caractérisés par ungroupe amine (-NH2)et ungroupe carboxyle
(–COOH).
(3)Liaison peptidique:liaison de type amide substituée entrelegroupe carboxyle d’unacide aminé et le groupe amine de l’acide
aminé suivant.Cetteliaison sefait par élimination d’une molécule d’eau.
celaaétémontrépour Cenococcumgeophilum(figure3,ci-dessous)ou pour Hebelomacrustulini-
forme (El-Badaouiet Botton,1989). Mais lafigure 3 montreaussique toutes les protéines n’ont pas
le même effet stimulateur de l’activitépuisquelagélatine est unmeilleur inducteur quelacaséine
et l’albumine sériquebovine. Mais cet effet inducteur de lagélatine est encore très largement infé-
rieur àceluidungroupe de protéines isolées de lalitre(figure4,ci-dessous),cequi suggèreque
les champignons ectomycorhiziens sont probablement mieux adaptés àladégradation des protéines
du sol quàladégradation des protéines animales non présentes dans la rhizosphère.
Cependant les résultats de tels travaux,effectués en incubant in vitroles myceliaen présencede
protéines purifiées, sont-ils transposables sur le terrain où les protéines de lalitreou du sol ne
sont généralement pas sous une forme simple mais plutôt complexées àd’autres composés?Cette
question aétéabordée en cultivant,dans des rhizotrons,de jeunes plantules de Pin sylvestrepréa-
lablement mycorhizées par le bolet des Pins (Suillus bovinus). Cedispositif exrimentalprésente
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8
6
4
2
00246810 12
Âge (jours)
µ mole de tyrosine / min 103
Gélatine
SAB
Caséine
Ammonium (témoin)
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
0,2
0
04812 16 20
Âge (jours)
Fluorescence relative
Protéine de la litière
Gélatine
SAB
Azote ammoniacal (témoin)
Figure 3
ACTIVITÉ PROTÉASIQUE EXCRÉTÉE
APRÈS TRANSFERT DE CENOCOCCUM
GEOPHILUM ÀUNMILIEU NEUF
RENFERMANT LAZOTE UNIQUEMENT
SOUS FORME DE GÉLATINE, SAB,
CASÉINE ET AMMONIUM (TÉMOIN)
Figure4
ACTION COMPARÉE DUN EXTRAIT
DE PROTÉINES DE LA LITIÈRE
ET DES PROTÉINES COMMERCIALES,
GÉLATINE ET SAB,
SUR LA PRODUCTION
DE PROTÉASES EXOCELLULAIRES
CHEZ AMANITA RUBESCENS
Le transfert des thalles alieu au temps
zéro. Trois grammes de matrefraîche
du champignon âgé de 8jours sont
transrés sur 100 ml de milieu de
culture renfermant les protéines àla
concentration de 0,2 %. Les dosages de
l’activitéprotéasique sont effectués avec
lacaséine comme substrat.
Lemilieu de Pachlewski renfermant
l’azoteammoniacalest utilisécomme
témoin. Les protéines ont étéapportées
àlaconcentration de 0,1%.Ledosage
des activités protéasiques dans les
milieux de cultureest effectuépar
fluorescenceaveclaFITC-BSA comme
substrat.
l’avantage de pouvoir suivreledéveloppement du mycéliumextraradiculaireassocàlaplante-hôte
sans perturber le système racinaire,puis d’étudier localement l’effet du veloppement fongique sur
son environnement.Les auteurs de l’étude ont montréquecetteescefongiqueest capable de
coloniser fortement un substrat provenant d’unhorizon de fermentation d’un sol forestier et riche en
matreorganiquedéjà transformée. Cettecolonisation du substrat saccompagne d’une exportation
des éléments comme N, Pet Kinitialement présents dans lamatreorganique(Bending et Read,
1995a)et de laproduction d’activités protéases extracellulaires mesurables dans le substrat
(Bending et Read,1995b). Ces résultats sont doncfavorables àl’hypotsequin situ le mycélium
d’unchampignon ectomycorhizien soit capable d’excréter des protéases luipermettant de mobiliser
de l’azoteàpartir de protéines du sol ou de lalitre. Cependant,des travaux récents (Colpaert et
al.,1996a,1996b),effectués avecle même type de système exrimental,ont montréqueles cham-
pignons ectomycorhiziens ne pouvaient pas mobiliser de l’azotedirectement àpartir de feuilles fraî-
chement tombées sur le sol,contrairement à une esce saprophyte,le Tricholome nu (Lepista
nuda: syn. Tricholomanudum),qui s’est révélée au contraire très efficacedans lamobilisation de
l’azoteprotéique(Colpaert et al.,1996a, 1996b). L’ensemble de ces résultats suggèredoncquune
étape initiale de décomposition de lamatreorganiquepar des champignons saprophytiques est
sans doutenécessaireàlalibération de l’azoteprotéiqueàpartir de cettelitrefraîche pour que
les protéases des champignons ectomycorhiziens puissent agir dans les conditions naturelles.
Néanmoins,lacapacitédeproduction des protéases extracellulaires a très probablement une signi-
fication écologiquecar elle reflèteladistribution des champignons ectomycorhiziens dans les condi-
tions naturelles.Ainsi,l’Amanite rougissante(Amanita rubescens)et le Lactairedouceâtre(Lactarius
subdulcis),normalement présents dans les horizons organiques,ont une plus grande capacitéàpro-
duiredes protéases queCenococcumgeophilumet Hebelomacrustuliniforme qui vivent essentiel-
lement dans les horizons minéraux (tableauI, ci-dessous). Delamême fon,les esces forestres
dominantes des régions boréales que sont le Bouleau,l’Épicéaet le Pin,possèdent des ectomyco-
rhizes avecde très fortes activités protéasiques (Read,1991). Ces essences sont considérées
comme très bien adaptées aux sols organiques (Rowe,1972)car elles peuvent sedévelopper dans
cet environnement où les températures basses régnant habituellement entraînent une inhibition des
processus de décomposition et de minéralisation,conduisant à une nutrition azotée essentiellement
organique. Lassociation des esces forestres àdes champignons ectomycorhiziens particulière-
ment efficaces pour utiliser l’azoteorganiqueest sans douteindispensable pour conférer “l’adaptation”
des essences considérées àces conditions pédo-climatiques particulières.
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Tableau ICroissanceet production de protéases par quatrechampignons ectomycorhiziens
cultivés sur milieux de culture, renfermant comme sourcedazote
les protéines extraites de lalitre(milieu inducteur)ou de l’ammonium(milieu témoin).
Ledosage des protéases est effectuépar fluorométrie aveclaFITC-BSA comme substrat
(d’après El-Badaouiet Botton,1989)
Activitéprotéasique
Poids sec(mg) excrétée par thalle
(fluorescence)
Cenococcumgeophilum-induit ..... 20,544,0
- témoin .... 38,93,2
Hebelomacrustuliniforme -induit ..... 18,030,0
- témoin .... 34,62,9
Amanita rubescens-induit ..... 11,3198,0
- témoin .... 18,96,9
Lactarius subdulcis-induit ..... 8,6180,0
- témoin .... 15,45,3
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