L’ANONYMAT DES DONS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS AU QUÉBEC ET AU CANADA ESSAI THÉORIQUE SUR L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE LE DROIT POSITIF ET L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE DANS LA RÉSOLUTION DU CONFLIT Julie Cousineau Institut de droit comparé, Faculté de droit Université McGill, Montréal Juin 2011 A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of the degree of Doctor in civil law © Julie Cousineau, 2011 II TABLE DES MATIÈRES Résumé………………………………...…………………………………………….p. VIII Summary……………………………………….……………………………………….p. X Remerciements………………………………………..………………………………p. XII Introduction……………………………………………………………….…………….p. 1 Chapitre préliminaire : Mise en contexte…………………………………...…………p. 13 Section 1 : Problématique de l‘anonymat de donneurs de gamètes et d‘embryons…………………………………………………….......p. 13 Section 2 : Légitimité de l‘intervention étatique…………………………...….p. 21 Section 3 : Une norme de droit en internormativité avec l‘éthique……...…….p. 28 Chapitre 1 : L‘internormativité…un outil d‘importance dans la problématique sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons………………..p. 42 Section 1 : Du pluralisme…………………………………………………...…p. 48 1- Éloignement de l‘aspect moniste du droit positif……………...……p. 53 2- Comprendre brièvement le pluralisme et ses différentes manifestations………………………………………………………p. 56 2.1 Le pluralisme normatif au carrefour de la régulation sociale et de la normativité…………………………….…..p. 57 2.2 Le pluralisme juridique et les critères de la juridicité….…..p. 64 3- Ordre juridique et ordre normatif………………………………..….p. 76 III Section 2 : De l‘éthique de la sollicitude…………………………………..…..p. 80 1- Éthique et morale: les termes en présence…………………….……p. 91 2- L‘éthique de la sollicitude en tant que théorie morale : Fondement de la théorie……………………………………………p. 96 3- L‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique……...……….p. 102 4- Les principes directeurs de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction…………………...………..p. 114 Section 3 : Des phénomènes d‘internormativité………………………..…….p. 122 1- Changement de paradigme : de la pyramide au réseau…………....p. 126 2- Phénomènes d‘internormativité : vers l‘effacement des frontières…………………………………………………………..p. 135 2.1 Vision juridique de l‘internormativité……………………p. 136 2.2 Vision sociologique de l‘internormativité…………….….p. 141 2.3 Modèle de construction de la règle de droit?.....................p. 144 Conclusion du chapitre 1………………………………………………..……p. 146 Chapitre 2 : Les intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons……………………………………………...…..p. 150 Section 1 : Analyse de la relation parents – enfant quant au secret sur la conception avec tiers donneur…………………………..……..p. 154 1- Autonomie de l‘individu : la privatisation de la famille…...…….p. 161 2- Égalité : le secret comme source de pouvoir………………………p. 166 3- Protection des personnes vulnérables : le meilleur intérêt et le bien-être de l‘enfant…………………...…………………….…….p. 175 3.1 L‘interprétation générale du meilleur intérêt de l‘enfant en droit………………………………………….p. 179 IV a) Un principe primordial, mais non absolu pouvant être subordonné à d‘autres intérêts……....p. 181 b) Un concept au contenu nécessairement variable et évolutif………………………………………….p. 186 3.2 Révéler à l‘enfant la nature de sa conception, est-ce dans son intérêt?.................................................................p. 192 a) Contre l‘obligation de révéler : des arguments découlant d‘une perception externe à celle de l‘enfant…………………………………………….p. 193 b) En faveur de la révélation : réintégrer l‘enfant dans le processus réflectif…………………….……p. 201 4- Équilibre entre les intérêts individuels et collectifs……………….p. 209 Section 2 : Analyse de la relation donneur – enfant concernant l‘anonymat...p. 213 1- Autonomie de l‘individu……………………………………….….p. 215 1.1 Autonomie du donneur : un consentement en amont.……p. 217 1.2 Autonomie de l‘enfant : un consentement en aval…….…p. 226 2- Égalité : du donneur à l‘enfant et d‘enfants à enfants……….…….p. 230 3- Protection des personnes vulnérables : le meilleur intérêt et le bien-être de l‘enfant…………………………………...……...……p. 235 3.1 Identité, parenté et filiation : mettre en contexte les concepts liés à l‘anonymat……………………………….p. 237 3.2 Meilleur intérêt, bien-être de l‘enfant et connaissance de l‘identité du géniteur……………………………...……...p. 244 a) L‘anonymat : des points de vue en sa faveur….......p. 245 b) Abolition de l‘anonymat : dans le meilleur intérêt de l‘enfant…………………………………..p. 251 4- Équilibre entre les intérêts individuels et collectifs……………….p. 265 Conclusion du chapitre 2…………………………………………….……….p. 282 V Chapitre 3 : Perspective de droit comparé de la politique juridique applicable à l‘anonymat des dons………………………………………….……….p. 290 Section 1 : L‘anonymat à la sauce canadienne et québécoise……….……….p. 292 1- État du droit canadien : vers une reconnaissance du droit aux origines ?.........................................................................................p. 295 1.1 Portrait du cadre législatif canadien : le double guichet…p. 295 1.2 Les diverses interprétations du droit aux origines dans la loi fédérale………………………………………….…p. 302 1.3 Le jugement Pratten…………………………………...…p. 305 2- État du droit québécois : primat de la confidentialité des données et de l‘anonymat……………………………………..…..p. 307 2.1 Le régime de confidentialité instauré en vertu du Code civil du Québec…………………………..………...p. 308 2.2 Le silence de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation…………….………p. 314 3- Conflit d‘interprétation entre les deux juridictions sur la question de l‘anonymat des dons?...................................................p. 321 4- Droit canadien, droit québécois, internormativité et éthique de la sollicitude : critique…………………………………………p. 325 Section 2 : Un pays en pleine évolution, la France…………………………..p. 333 1- La distinction française : le critère médical comme condition à la procréation assistée……………………………….…………..p. 334 2- État du droit en matière de don d‘engendrement : le primat de l‘anonymat et du secret…………………….………..p. 335 3- Connexe et différent : l‘accouchement sous X……………………p. 349 4- Évolution législative : le réexamen des lois de bioéthique...……...p. 356 5- Droit français, internormativité et éthique de la sollicitude : critique………………………………………………………….…p. 366 VI 5.1 Critique de l‘évolution législative française………….…..p. 367 5.2 Critique de l‘approche juridique française…………..……p. 377 Section 3 : Le virage du Royaume-Uni, Abolition de l‘anonymat………..….p. 382 1- La loi originale de 1990 : l‘anonymat en vigueur……………...….p. 383 2- L‘évolution législative de 2004 : l‘anonymat aboli..…………..….p. 387 3- Droit britannique, internormativité et éthique de la sollicitude: critique……………………………………………………….…….p. 396 Conclusion du chapitre 3………………………………………...….………..p. 403 Conclusion de la thèse: L‘internormativité entre le droit positif et l‘éthique de la sollicitude dans la résolution du conflit sur l‘anonymat des dons d‘engendrement…………………………….…..…..p. 409 Annexe 1 : Le don de gamètes – Exemples de droit comparé……….……….……...p. 415 Sources documentaires………………………………………..……….……………..p. 416 Table de la législation…………………………………………….…………..p. 416 Textes normatifs internationaux………………………….…………..p. 416 Canada…………………………………………..…………..………..p. 416 Textes constitutionnels…………………..……………..……..p. 416 Fédéral………………………….………..…………..………..p. 416 Québec………………………….………..………….………..p. 417 Ontario………………………….………..………….………..p. 418 France…………….…………………….………..……………..……..p. 418 Royaume-Uni………………………….………..………..…….……..p. 421 VII Politiques, Lignes directrices, Déclarations de principes……………….…....p. 421 Textes internationaux…………………………....……..……....……..p. 421 Royaume-Uni………………………….………..……….……..……..p. 422 Table des jugements………………………..….………..……………..……..p. 422 Cour européenne des Droits de l‘Homme…………….………..……..p. 422 Canada…………………………….….…..……..……….…….……..p. 422 France………………………………….…………...…………..……..p. 426 Royaume-Uni………………………….……….…..………..………..p. 426 Table bibliographique………………………….…………..………..………..p. 426 Monographies, Avis, Rapports…………………………..….………..p. 426 Recueils, Ouvrages collectifs…………………………..……………..p. 435 Articles…………………………………….…………...……………..p. 445 Pages internet……………………………….…….…………....……………..p. 460 VIII RÉSUMÉ S‘il existe un consensus sur la transmission de renseignements médicaux et génétiques aux enfants issus d‘un don d‘engendrement, la divulgation d‘informations nominatives continue de semer la controverse. Tant à l‘égard de l‘enfant en quête d‘un droit aux origines, du donneur désirant le respect de son anonymat et de sa vie privée ou des parents qui aspirent au secret entourant le mode de conception de leur enfant. La problématique devient d‘actualité en raison, notamment, du fait que depuis près de vingt ans de plus en plus de pays décident de mettre fin à l‘exigence de non divulgation de l‘identité du géniteur. Les cadres législatifs canadien et québécois persistent quant à eux à maintenir la philosophie de l‘anonymat du tiers donneur. Le choix de favoriser soit l‘anonymat des donneurs, soit la quête de l‘enfant quant à ses origines et l‘identité de son géniteur a des conséquences importantes pour tous les acteurs du don de gamètes ou d‘embryons. En découle des affrontements de valeurs et des débats où l‘incertitude liée au "bon choix législatif", dans l‘optique où nous pouvions considérer l‘une ou l‘autre des positions comme étant la meilleure, requiert de s‘attarder aux fondements du processus décisionnel. Cela implique nécessairement une réflexion allant au-delà du seul législateur et engageant cette normativité qu‘est l‘éthique. Ainsi, en contexte de pluralisme normatif, comment trouver un juste équilibre entre les droits et intérêts des enfants issus de la procréation assistée, ceux des donneurs de matériel reproductif ainsi que ceux du couple y ayant recours, et maximiser les avantages de la procréation assistée tout en réduisant au minimum ses conséquences négatives? Dans la lignée du cadre d‘analyse retenu par la Commission royale sur les nouvelles technologies de la reproduction (Canada, 1993), nous proposons une étude des phénomènes d‘internormativité entre la règle de droit positif que doit adopter l‘état (dont la légitimité régulatrice est affirmée) et l‘éthique de la sollicitude. Cette internormativité est l‘instrument théorique permettant des échanges et une inter influence entre les différents types de norme. Se basant sur l‘empathie et la responsabilité, l‘éthique de la sollicitude a d‘intéressant qu‘elle définit la personne non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui. C‘est un élément vital de la problématique sous étude où les acteurs demeurent inter reliés sous différents angles, que celui-ci soit affectif, sociologique ou biologique. Au-delà des considérations morales, cela nous amène à considérer la responsabilité de chacun selon un nouvel angle de réflexion tout en cherchant à démontrer l‘impact de ce dernier sur la règle de droit positif. Plutôt que de présenter une description individuelle des intérêts des acteurs concernés par l‘anonymat selon un schéma pour ou contre, nous analysons donc la situation sous un angle relationnel. L‘éthique de la sollicitude étant basée sur l‘interdépendance des rapports entre individus, l‘enfant en étant ici le point de mire, nous en remarquons l‘apparition à deux niveaux dans la problématique : en premier lieu dans le rapport IX parents – enfant quant au secret sur le mode de conception puis, dans le lien donneur – enfant relativement à l‘obtention d‘informations nominatives. Enfin, partant de l‘hypothèse que l‘éthique de la sollicitude peut être un instrument pertinent pour guider le législateur, nous effectuons une étude comparatiste des lois canadienne et québécoise avec celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur une modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. L‘un des objectifs du recours au droit comparé est donc d‘analyser comment éthique et droit interagissent dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives. Cela nous permet ultimement de mieux comprendre, commenter et critiquer les positions adoptées par le Canada et le Québec. X SUMMARY While there may be a consensus regarding the provision of medical and genetic information to the offspring of gametes donation, the disclosure of nominative information continues to be a source of controversy—as much for a child who is looking to find out his origins, the donor who wants to maintain his anonymity and privacy, or for parents seeking information about how their child was conceived. This issue has been making the news lately as an increasing number of countries have, over the past 20 years, decided to end donor anonymity. The laws of Quebec and Canada continue to maintain the principle of donor anonymity. The choice of whether to favour donor anonymity or the child‘s attempts to learn about his origins and the identity of his progenitor has significant consequences for everyone involved in gametes and embryos donation. The clash of values and debates that have led to uncertainty about making the ―right legislative choice‖ and our ability to consider any of these positions to be the best requires thinking about the basis of the decision-making process. This means looking beyond legislation and taking ethics into consideration. In a context of normative pluralism, how does one strike a balance between the rights and interests of the offspring of assisted reproduction, the gamete donors and the couple that made use of assisted reproduction to conceive a child, while maximizing the benefits of assisted reproduction and minimizing negative consequences? Based on the analysis made by the Royal Commission on New Reproductive Technologies (Canada, 1993), we are proposing a study on internormative phenomena between the substantive rule that must be adopted by the state (whose regulatory legitimacy is affirmed) and the ethics of solicitude. This internormativity is the theoretical instrument that allows exchanges and inter influence among various types of norms. Based on empathy and responsibility, the ethics of care is of interest as it defines the person not only in terms of rights, but in terms of his relationships with others. This is a key element of the issues being examined where stakeholders maintain interrelations in a variety of areas—affective, sociological or biological. Apart from the moral considerations, this leads us to consider each party‘s responsibility from a different angle while seeking to demonstrate the latter‘s impact on substantive rule. Rather than describe the interests of anonymity stakeholders one by one in a pro/con table, we will by analyzing the situation from a relational angle. The ethics of care being based on the interdependancy of relationships between individuals, with the child at the centre, we notice it comes up at two levels: first in the parent–child relationship regarding secrecy of the method of conception then, in a donor–child relationship with respect to obtaining personal information. Lastly, based on the assumption that the ethics of care can be a relevant instrument for guiding lawmakers, we will compare Canadian and Quebec legislation with that of France and the United Kingdom. Investigating potential changes to the law requires an XI examination of legislation that has already done away with anonymity or contemplates doing so. France and the United Kingdom have long led the way in providing a legal framework for assisted reproduction. One of the objectives of the comparative law study is to analyze how ethics and law interact in the conflict and manifest themselves in various legislative approaches. This will ultimately enable us to better understand, comment and critique the positions adopted by Canada and Quebec. XII REMERCIEMENTS Je remercie en premier lieu le cadre institutionnel et académique qui m‘a soutenue tout au long de mes études universitaires. Aussi, je souhaite offrir ma gratitude à la Faculté de droit de l‘Université McGill et à l‘Institut de droit comparé auquel je suis rattachée, mais plus particulièrement au Professeure Angela Campbell, ma directrice de recherche. Elle a su m‘écouter et me rassurer dans les moments de doutes, m‘a sans cesse poussée à me dépasser et m‘a apporté l‘encadrement nécessaire à la réussite de ce projet doctoral. Ce sont là les qualités d‘une formidable directrice de thèse qui a su comprendre l‘étudiante que j‘étais. Sa confiance en moi m‘aura permis de m‘épanouir pleinement en tant que chercheure en droit. Deux autres institutions furent majeures pour moi. Tout d‘abord, le Centre de recherche en droit public à la Faculté de droit de l‘Université de Montréal où je collabore depuis 2003 et qui m‘offre depuis un environnement de travail d‘une grande richesse. Merci au Docteure Thérèse Leroux qui me suit, m‘épaule et me guide dans l‘univers de la recherche juridique depuis que j‘ai fait mes études de maîtrise avec elle. Ensuite, le Centre de recherche en droit des sciences et des techniques à la Faculté de droit de l‘Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mon stage de recherche doctoral dans cette institution prestigieuse m‘a apporté un regard dont la thèse n‘a pu qu‘être enrichie. Merci à toute l‘équipe de ce centre qui, pendant quelques mois à l‘automne 2009, m‘a accueillie avec tant de gentillesse et de bienveillance. Sans oublier ma famille pour leurs encouragements continuels dans la réalisation de cette thèse ainsi que pour leur compréhension dans les moments difficiles. À mon père dont l‘expérience et les conseils me furent précieux. À ma mère et à ma sœur dont l‘écoute, le support et la confiance n‘ont jamais failli. Cette aventure du doctorat et cinq années de travail trouvent ici leur conclusion, et cela n‘aurait pas été possible sans eux. Ils m‘ont laissé toute la liberté de réaliser mon rêve. Une pensée également pour mes amis dont l‘affection et la présence sont si précieuses. Je dois enfin souligner que l‘accomplissement de cette thèse n‘aurait pas été possible sans le soutien financier de plusieurs organismes. Mes remerciements à la Faculté de droit de l‘Université McGill pour le John Dobson Foundation Fellowship (2006) et le McGill Graduate Studies Fellowship (2007). Merci également au Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) qui m‘a octroyé à l‘automne 2007 une bourse majeure de doctorat de trois ans. En collaboration avec le Regroupement Droit et Changements, qui est dirigé par le Centre de recherche en droit public, le FQRSC est finalement l‘organisme qui m‘a permis de faire mon séjour en France au moyen d‘une Bourse pour stage international. Je ne les remercierai jamais assez de m‘avoir donné les moyens de mener à terme mes études doctorales. L’ANONYMAT DES DONS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS AU QUÉBEC ET AU CANADA ESSAI THÉORIQUE SUR L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE LE DROIT POSITIF ET L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE DANS LA RÉSOLUTION DU CONFLIT « Il était une fois un roi et une reine. Chaque jour ils se disaient : - Ah! Si seulement nous avions un enfant. Mais d'enfant, point. Un jour que la reine était au bain, une grenouille bondit hors de l'eau et lui dit: - Ton vœu sera exaucé. Avant qu'une année ne soit passée, tu mettras une fillette au monde. Ce que la grenouille avait prédit arriva. La reine donna le jour à une fille. Elle était si belle que le roi ne se tenait plus de joie. » Wilhelm et Jacob Grimm, La Belle au bois dormant1 Ce conte, normalement destiné à la littérature enfantine, nous introduit dès notre plus jeune âge à un problème qui préoccupe l‘humanité depuis longtemps. Depuis des siècles, le livre de La Genèse ordonne: « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre »2. Pourtant, dans cette mise en scène de La Belle au bois dormant, telle que dépeinte par les frères Grimm au 19e siècle, sont illustrés la hantise de l‘infertilité et le 1 Wilhelm Grimm et Jacob Grimm « La Belle au bois dormant », dans Contes de Grimm, Traduits par Pierre Durand, Illustrés par Jiřί Trnka, 14 édition, Paris, Gründ, 1983, 7 à la p. 7. 2 La Genèse 1, 28. 2 désir d‘enfants qui s‘avère parfois plus fort que tout3. Aussi, la reproduction humaine fascine. Grâce à elle, nous entrons dans le cycle de la vie et répondons à cet appel de la nature qu‘est le souhait de fonder une famille. C‘est à partir de l‘enfant, seule réalité pérenne, que la famille se définirait aujourd‘hui4, alors qu‘autrefois le couple était le fondement de la famille par les liens du mariage5. Certains iront plus loin et diront qu‘il s‘agit d‘un besoin biologique de transmettre notre patrimoine génétique aux générations futures. Cela peut dès lors apparaître comme une perpétuation de l‘être dans le temps et l‘espace et contribue à une "biologisation" du lien de filiation. Avoir des enfants n‘est par contre pas toujours chose aisée. La vie, parfois semée d‘embûches, fait en sorte que des problèmes d‘infertilité peuvent survenir et requièrent un coup de pouce afin que la nouvelle vie tant attendue voit le jour. Le détachement de la famille de la sacramentelle institution du mariage ouvre de plus les portes de la procréation aux femmes seules et aux couples homosexuels qui, selon l‘ordre naturel des choses, ne peuvent concevoir sans aide extérieure. Dans un tel contexte, quelles solutions s‘offrent aux souverains de la Belle au bois dormant afin d‘apaiser leur souffrance? Dans la version initiale du conte, attribuée à Charles Perrault et qui est parue en 1697, il est écrit qu‘ils « allèrent à toutes les eaux du monde : vœux, pèlerinages, tout fut mis en œuvre, et rien n'y faisait. Enfin, pourtant, la reine devint grosse, et accoucha d‘une 3 Catherine Philippe, « Assistance médicale à la procréation : des pratiques encouragées? », (2005) 17 Revue générale de droit médical 263 à la p. 263. 4 D. Le Gall, « Filiations volontaires et biologique. La pluriparentalité dans les sociétés contemporaines », (2003) 51 Neuropsychiatrie de l‘enfance et de l‘adolescence 118 à la p. 118. 5 Hélène Belleau, «Être parent aujourd‘hui : la construction du lien de filiation dans l‘univers symbolique de la parenté », (2004) 1 Enfances, Familles, Générations au par. 9, En ligne : <http://www.erudit.org/revue/efg/2004/v/n1/008891ar.html> (Date d‘accès: 14 novembre 2009). 3 fille »6. À chaque époque ses solutions. Avec le temps, des techniques d‘assistance à la procréation permettant de pallier à ces troubles de fertilité ou limites biologiques se sont développées. Certaines permettent justement le maintien d‘un lien biologique/génétique avec l‘un des deux parents. Pensons par exemple à l‘insémination thérapeutique avec le sperme d‘un tiers donneur qui fut introduite dans la pratique médicale dans les années trente et qui s‘est développée furtivement sur près de quatre décennies7. Avec des applications remontant à environ deux siècles, en 1791 en Angleterre grâce à John Hunter et en 1804 en France grâce à Michel-Augustin Thouret, l‘insémination artificielle est en fait la plus ancienne technique de procréation assistée. C‘est d‘autre part à partir de 1963 que les premières banques de sperme sont apparues aux États-Unis8. Le don s‘étend à présent aux ovules9, par exemple lorsque la femme n‘a pas d‘ovaires ou est trop âgée pour utiliser ses propres gamètes, et même aux embryons. Il est alors question d‘embryons surnuméraires provenant de couples ayant procédé à des traitements de fécondation in vitro, mais qui les ont donnés. L‘expression "accueil d‘embryons" est la formule retenue pour parler de cette adoption précoce. Elle ne procure 6 Charles Perrault, « La Belle au Bois dormant», dans Les Contes de Perrault suivis des Aventures du Baron de Münchhausen, Illustrés par Gustave Doré, Paris, SACELP, 1980, 34 à la p. 34. 7 A. McWhinnie, « Gamete donation and anonymity – Should offspring from donated gametes continue to be denied knowledge of their origins and antecedents? » (2001) 16:5 Human Reproduction 807 à la p. 807. 8 « Assistance médicale à la procréation », dans Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologie, Mise à jour 55 (Date d‘arrêt des textes : 1er avril 2009), Paris, Éditions Législatives, 2009, 109 à la p. 112 [« Assistance médicale à la procréation »]. 9 Celui-ci étant beaucoup plus compliqué que le don de sperme étant donné les interventions requises sur la femme et le nombre limité d‘ovocytes. À ce sujet, voir : Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire, Québec, 2009, aux pp. 32-34, En ligne : voir <http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre 2009) [Commission de l‘éthique de la science et dela technologie, « Procréation assistée »]. 4 aucuns liens génétiques entre les parents et l‘enfant, mais donne un regard plus naturel à la procréation en permettant à la femme d‘accoucher du bébé. L‘intérêt du don d‘embryon, contrairement à l‘adoption d‘enfants déjà nés, est l‘apparence d‘un lien biologique10. Bien que demeurant exceptionnelles et, dans la majorité des cas, d‘une complexité médicale évidente comportant des risques pour la mère et/ou l‘enfant, certaines de ces techniques sont aujourd‘hui chose courante au regard de leur acceptation au sein de la société11. Cela est au point qu‘elles sont souvent perçues comme des procédures de routine, sécuritaires et efficaces12. La fécondation in vitro en est peut-être un des meilleurs témoins. Par ailleurs : « [f]ruit d‘une relation interpersonnelle qui se lovait jusqu‘alors dans le secret des alcôves, l‘acte d‘engendrement s‘est aujourd‘hui technicisé. L‘avancée des connaissances dans les domaines de la médecine et de la biologie qui, dans un premier temps, a permis de dissocier reproduction et sexualité, autorise aujourd‘hui à scinder fécondation et gestation. La reproduction humaine, dans sa dimension spatiale comme dans sa dimension temporelle, apparaît ainsi comme un processus éclaté, auquel participe une pluralité d‘acteurs […] »13. 10 Ibid. à la p. 45. « Aujourd‘hui, l‘assistance médicale à la procréation s‘appuie sur un arsenal impressionnant de techniques permettant de pallier les causes les plus diverses de la stérilité. Et la société paraît bien s‘être accommodée de leur utilisation en vue de satisfaire, en marge de l‘adoption, le besoin de descendance de ceux qui ne peuvent procréer autrement. Il est vrai que les chercheurs et les praticiens n‘ont pas hésité, ces dernières années, à placer le corps social devant le fait accompli. Et les médias ont généralement présenté les résultats obtenus comme autant d‘exploits scientifiques. L‘évolution des mentalités, le déclin de la morale et une certaine forme d‘individualisme ont fait le reste. À l‘évidence, l‘assistance médicale à la procréation n‘est plus couverte de l‘opprobre dont l‘insémination artificielle fut jadis l‘objet. L‘évolution des pratiques et des techniques d‘assistance médicale à la procréation montre que celle-ci n‘est plus perçue comme un sujet tabou, mais plutôt comme un phénomène de société. » « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112. 12 Commission de l’éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 10. 13 Édith Deleury, « Droit de la filiation et progrès scientifiques », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé (1991), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, 173 à la p. 173 [Deleury, « Filiation»]. 11 5 Ce phénomène est manifeste au regard de l‘évolution de la notion de famille ces dernières années. Elle a vu apparaître des termes tels que parent génétique, sociologique ou juridique. Le couple hétérosexuel, à l‘origine de la famille nucléaire traditionnelle, n‘est plus le seul à bénéficier d‘un apport extérieur de forces génétiques. Le processus de la procréation assistée est dorénavant accessible, dans les limites de la loi, aux femmes seules et aux couples homosexuels manifestant un désir de parenté14. En découlent des représentations plurielles de la famille15. « Désormais, il est donc possible de considérer que la […] [procréation assistée] constitue un mode d‘établissement de la filiation, à part entière et autonome »16. Lorsqu‘un ménage ou un individu fait appel à un don hétérologue ou exogène provenant de personnes externes au projet parental, c‘est-à-dire celui dans le cadre duquel est exprimé un consentement au processus de procréation assistée afin de concevoir un enfant, il peut d‘une part recourir à la procréation médicalement assistée en clinique de fertilité17, privée ou en institution médicale publique, avec donneur anonyme ou non. Les techniques qui y sont pratiquées varient en fonction du type de don utilisé. Pour un don de sperme, il peut par exemple s‘agir d‘une insémination thérapeutique ou encore d‘une fécondation in vitro suivie d‘un transfert in utero. Ces deux derniers sont nécessaires lors d‘un don d‘ovules. Le don d‘embryons n‘implique quant à lui qu‘un transfert in utero suite à une fécondation in vitro ayant déjà eu lieu pour un autre couple. Dans tous les cas, 14 Ce concept se distingue de celui de la parentalité qui est l‘exercice de la fonction parentale. Si, en droit, le titulaire de l‘autorité parentale est souvent le parent, il y a des situations où ces deux réalités ne concordent pas. Pour les fins de cette thèse, nous présumons que le parent bénéficiaire de la procréation assistée exerce sa parentalité. 15 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 aux pp. 20-21. 16 Ibid. à la p. 20. 17 Distinction notamment retenue dans P. (F.) c. C. (P.), EYB 2005-86199 (C.S.), par. 14. 6 l‘anonymat du donneur dépend du régime juridique applicable ou, en l‘absence d‘un tel cadre, de la politique clinique pratiquée par les autorités médicales. Il est néanmoins certain que lorsque de futurs parents demandent à une connaissance, comme un ami ou un membre de la famille, d‘agir à titre de donneur avant de se rendre avec eux en clinique, si cette pratique est autorisée, ils auront connaissance de l‘identité du géniteur. Quant à l‘enfant, il demeure soumis au régime juridique établi en matière d‘assistance à la procréation ou à la pratique clinique en vigueur. Si la règle d‘or est celle de l‘anonymat ou que le donneur refuse que son identité lui soit communiquée, lorsqu‘il dispose de cette option, l‘enfant dépend de l‘ouverture de ses parents. Il est d‘autre part possible de procéder à une procréation "privément" assistée. Est alors exclue toute dimension médicale de l‘acte d‘engendrement. Le donneur et son identité y sont personnellement connus des receveurs. La procréation est dite "amicalement" assistée lorsqu‘une relation sexuelle intervient18 ou "artisanalement" assistée lorsque, par exemple, l‘on procède à l‘injection du sperme chez la femme au 18 Ibid.; L‘expression procréation "amicalement assistée" a été utilisée à l‘occasion des travaux de la Commission parlementaire lors de la réforme du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) en 2002 (Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6). Benoît Moore, « Les enfants du nouveau siècle : libres propos sur la réforme de la filiation », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit familial (2002), vol. 176, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, 75 à la page 88 [Moore, « Enfants du nouveau siècle »]; Au Québec, cette situation de "procréation amicale" est prévue à l‘article 538.2 al. 2 C.c.Q. qui dicte que « lorsque l'apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle, un lien de filiation peut être établi, dans l'année qui suit la naissance, entre l'auteur de l'apport et l'enfant. Pendant cette période, le conjoint de la femme qui a donné naissance à l'enfant ne peut, pour s'opposer à cette demande, invoquer une possession d'état conforme au titre. » Code civil du Québec, ibid., art. 538.2 al. 2. 7 moyen d‘une seringue19. Dans ces deux cas de figure, la loi n‘intervient pas dans les relations privées entre les parties, à moins qu‘il n‘y ait un conflit entre elles. L‘enfant en quête de ses origines est totalement soumis à la volonté de ses parents de briser le secret entourant sa conception, c‘est-à-dire le recours à l‘insémination en tant que tel, et par la suite de lui donner le nom de son géniteur, parent biologique, génétique. En l‘espèce, c‘est l‘hypothèse du don dépersonnalisé ayant lieu en clinique, où le donneur est originairement inconnu des receveurs, qui retient notre attention. Dans le cadre de cette thèse, il s‘agit tout d‘abord d‘observer dans quelle mesure des rapports d‘influence avec l‘éthique de la sollicitude orientent le législateur dans sa prise de décision quant à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. L‘éthique de la sollicitude est, à ce titre, un point central de notre approche théorique. Elle concerne l’interdépendance des individus puisque cette éthique a pour objet les relations humaines et la contextualisation des besoins de chacun. La sollicitude vise à identifier une source d’obligations dans les sentiments d’empathie pour autrui et la responsabilité qui devrait corrélativement en découler. La personne est donc définie non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui. Dans ce contexte, l‘internormativité devient le mode d‘expression de la dialectique établie entre l‘éthique de la sollicitude et la norme de droit. Notre cadre théorique, dont nous exposons notre position au chapitre 1 en nous appuyant sur la doctrine pertinente, nous permet ultimement de mieux comprendre, 19 Distinction notamment retenue dans P. (F.) c. C. (P.), supra note 17 au par. 14; Il semble que l‘hypothèse de l‘insémination réalisée privément, « dans un contexte intimiste, sans que les protagonistes n‘aient eu recours aux services d‘une clinique ou d‘une autre institution médicale » ne soit pas couverte par l‘article 538.2 al. 2. Alain Roy, « Le nouveau cadre juridique de la procréation assistée en droit québécois ou l‘œuvre d‘un législateur trop pressé », (2005) 23 L‘Observatoire de la génétique, En ligne : <http://hdl.handle.net/1866/1414> (date d‘accès: 22 avril 2009); De l‘avis de Benoît Moore, la procréation "privément assistée" doit inclure « tout type d‘assistance prodigué dans un contexte intimiste ». Moore, « Enfants du nouveau siècle » supra note 18 à la page 90. 8 commenter et critiquer la position adoptée par le Canada et le Québec. Devrait-on préserver l‘anonymat ou suivre la nouvelle tendance vers la transparence quant à l‘identité des donneurs? Comment l‘éthique de la sollicitude soutient-elle l‘une ou l‘autre de ces conclusions? Quelle influence a-t-elle avoir sur le législateur? Le deuxième chapitre constitue une analyse structurelle du problème de l‘anonymat et une critique au regard de notre cadre théorique. Pour ce faire, nous procédons à une revue de littérature, dans une approche multidisciplinaire, où sont exposés les intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs. Au terme de notre réflexion, nous en venons à distinguer, dans la problématique à l‘étude, le fait d‘informer l‘enfant des circonstances de sa naissance et son droit aux origines, c‘est-à-dire le droit d‘obtenir les renseignements nominatifs et identifiants concernant le géniteur. Non seulement ces notions sont analysées distinctement selon une approche relationnelle, mais nos conclusions ne les lient pas en droit. Informer l‘enfant de l‘utilisation d‘un tiers donneur dans le cadre du processus reproductif instaure ainsi un privilège de réserve des parents et qui découle d‘une non-imposition de divulgation à même le texte de loi. L‘importance d‘informer est plutôt une obligation morale qui doit être renforcée par la mise en place d‘un processus de responsabilisation des parents. Celui-ci prend la forme d‘une intervention préalable du milieu médical afin qu‘il informe les parents de ce qu‘implique le fait de ne rien dire à l‘enfant. Quant au droit aux origines, il a une existence propre et indépendante. Ce droit ne peut certes être exercé si l‘enfant ignore comment il a été conçu, mais l‘éthique de la sollicitude exige qu‘une fois ce pas franchi par le couple, l‘enfant doit avoir la possibilité de décider s‘il veut en savoir plus sur son 9 donneur. Ce sont ces positions que nous défendons au chapitre 2 tout en faisant les nuances nécessaires. La possibilité de procéder à une étude de terrain a été délibérément exclue de notre méthodologie. Un certain nombre d‘enquêtes ont déjà été consacrées aux donneurs et aux parents. Nous n‘en ferons pas une recension, par exemple de toutes celles ayant été publiées dans Medline ou Pubmed entre telle année et telle année. D‘autres l‘ont déjà fait20 et notre objectif est davantage de présenter les différentes positions sur l‘anonymat en fonction de notre grille d‘analyse et ce, en cherchant le plus possible à nuancer notre propos. Concernant les enfants issus d‘un don d‘engendrement, il faut savoir que : « [p]eu d‘études sur le devenir […] [des enfants] permettent de jeter un éclairage sur les liens qu‘ils entretiennent [avec leurs parents et le donneur]. En effet, les premières études sur les enfants nés de la […] [procréation assistée (PA)] ont été menées essentiellement dans une perspective épidémiologique. Si des données commencent à paraître sur le plan somatique, peu d‘analyses portent sur le lien psychique et sur les interactions parents-enfants. Cela s‘explique du fait que les cliniques ne voient que les futurs parents, qu‘elles perdent de vue dès la naissance, si ce n‘est dès la conception de l‘enfant. Il est extrêmement difficile de constituer des cohortes suffisantes et statistiquement valides. Si les études qui ont été publiées jusqu‘à présent permettent de conclure que les enfants nés de la PA présentent un développement considéré comme normal et que leur développement psychomoteur n‘est pas influencé par leur mode de procréation, il faut souligner qu‘elles présentent certaines lacunes sur le plan méthodologique et ne nous renseignent pas suffisamment sur le développement psychologique de ces enfants à l‘âge de l‘adolescence ni à l‘âge adulte. 20 Par exemple: Anne Brewaeys, « Review: Parent-child relationships and child development in donor insemination families », (2001) 7 :1 Human Reproduction Update 38 [Brewaeys, « Parent-child relationships »]. 10 À ce titre, les aspects qui semblent soulever le plus d‘inquiétudes et qui suscitent aussi des débats sont l‘accès pour l‘enfant à la connaissance de ses origines et la construction de son « roman » familial. »21 Cela ne nous pose pas de problèmes majeurs car, en plus des analyses appuyées de pourcentages, ce qui retient notre attention, ce sont les témoignages directs que rapportent certains auteurs. Ils sont peu nombreux, mais percutants par la sensibilité humaine qui s‘en dégage. Il nous faut préciser que cette thèse se tient dans les limites académiques de son auteur dont la formation est entièrement juridique. À défaut d‘un projet de recherche plus étendu impliquant psychanalystes, psychologues et autres spécialistes de l‘enfance, nous ne pouvons que nous référer à leurs écrits selon notre meilleure compréhension. Enfin, nous nous intéressons au processus décisionnel menant à l‘adoption d‘une règle de droit conciliatrice des conflits en présence. Partant de l‘hypothèse que l‘éthique de la sollicitude peut être un instrument pertinent pour guider le législateur, nous effectuons au chapitre 3 une étude comparatiste des lois canadienne et québécoise avec celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur une modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous avons par ailleurs déjà démontré que la Loi sur la procréation assistée22, adoptée par le législateur fédéral en 2004, s‘inspire des modèles législatifs adoptés par ces deux pays23. 21 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 42. 22 Loi concernant les techniques de procréation assistée et la recherche connexe, L.C. 2004, ch. 2 [Loi sur la procréation assistée]. 23 Voir : Julie Cousineau, « L‘autonomie reproductive : un enjeu éthique et légal pour le diagnostic préimplantatoire », (2008) 86 :3 R. du B. can. 421 à la p. 462 [Cousineau, « Autonomie reproductive »]. 11 Une majeure partie de la loi canadienne a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême le 22 décembre 201024. La partie de la thèse qui concerne le droit canadien demeure néanmoins pertinente. De fait, indépendamment du statut ultra vires des dispositions concernant l‘anonymat et les renseignements sur le donneur, l‘étude de droit comparé où l‘internormativité fait entrer en ligne de compte l‘éthique de la sollicitude conserve sa valeur théorique. L‘analyse du contexte législatif canadien constitue un modèle que nous ne pouvons pas ignorer puisque non seulement il fut inspiré de la France et du Royaume-Uni, mais il a été jusqu‘à tout récemment en étroite concurrence avec le droit provincial québécois qui demeure en vigueur. Nous considérons donc l‘évolution de la politique juridique de la procréation assistée, et plus spécifiquement de la question de l‘anonymat des donneurs en accordant une attention particulière aux portes d‘entrée possibles d‘un examen fait sous l‘angle de la sollicitude. C‘est donc de l‘intérieur même des systèmes juridiques étudiés que nous tirons nos enseignements et cherchons à comprendre, dans leur structure et logique législative, quelle place doit ou devrait être accordée à l‘approche relationnelle. L‘un des objectifs du recours au droit comparé est donc d’analyser comment éthique et droit interagissent dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives. Nous procédons notamment en faisant un état du droit et en analysant de plus près le discours interprétatif de la doctrine. 24 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61 (CanLII), En ligne : http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2010/2010csc61/2010csc61.html (Date d‘accès: 27 décembre 2010). 12 Nous en arrivons alors à la conclusion que l‘adoption d‘approches législatives particulières, pour lesquelles nous cherchons les portes d‘entrée de l‘internormativité afin qu‘un dialogue s‘installe entre la règle de droit et l‘éthique de la sollicitude, ne constitue pas a priori un obstacle à la mise en place de ces passerelles internormatives. En fait, ces approches législatives, dites prudente ou libérale, ne sont pas hermétiques ou composées de caractéristiques dont la présence est obligatoire. Cette plasticité ou flexibilité législative constitue en somme le garant de l‘introduction en droit d‘une internormativité avec l‘éthique de la sollicitude avec plus ou moins de facilité, à des degrés variables. Avant d‘entrer le corps d‘analyse de la thèse, nous proposons au lecteur un chapitre préliminaire dont le but est de le guider dans notre cheminement analytique. Nous y établissons les fondements de la thèse en démontrant la pertinence de la problématique ainsi que le choix de l‘approche théorique à travers laquelle la question de l‘anonymat est réfléchie. 13 CHAPITRE PRÉLIMINAIRE MISE EN CONTEXTE La mise en contexte est dans un premier temps constituée des détails de la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Puis, nous expliquons pourquoi nous croyons en la légitimité de l‘intervention étatique dans ce contexte. Enfin, nous constatons que la norme de droit doit être développée en internormativité avec l‘éthique. Cette dernière est la discipline qui impose tant les responsabilités et les obligations que les individus ont les uns envers les autres que les caractéristiques et les attitudes que les personnes ou groupes de personnes devraient adopter afin de bien vivre ensemble25. SECTION 1 : PROBLÉMATIQUE DE L’ANONYMAT DE DONNEURS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS Nous avons retenu cet angle particulier de la procréation assistée avec tiers donneur pour sa contemporanéité et le défi normatif qu‘il représente. S‘il existe un consensus sur la transmission de renseignements médicaux et génétiques non nominatifs aux enfants issus d‘un don de gamètes ou d‘embryons, la divulgation d‘informations nominatives continue de semer la controverse26. Tant à l‘égard de l‘enfant en quête d‘un 25 Elizabeth Heitman, « The Roots of Honor and Integrity in Science », dans Ruth Ellen Bulger, Elizabeth Heitman et Stanley Joel Reiser, dir., The Ethical Dimension of the Biological and Health Sciences, Seconde Édition, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 21 à la p. 22. 26 Katherine Van Heugten et Judy Hunter, « Procréation assistée », dans Gouvernement du Canada, Le meilleur des Mondes : Au carrefour de la biotechnologie et des droits de la personne, 2005 à la p. 2-19, En ligne : <http://www.biostrategie.gc.ca/HumanRights/HumanRightsF/Biotech_CH2_fr.pdf> (Date d‘accès: 14 avril 2009). 14 droit aux origines, lui reconnaissant le droit d‘obtenir des informations nominatives et identifiantes sur son géniteur, du donneur désirant le respect de son anonymat et de sa vie privée ou des parents qui aspirent au secret entourant le mode de conception de leur enfant. Nous nous concentrons ici exclusivement sur la question de la transmission d‘informations nominatives et potentiellement identifiantes. Une partie du problème de l‘anonymat est liée à l‘absence ou à la destruction des dossiers contenant les renseignements sur le donneur. L‘anonymat est alors complet et le tiers donneur peut disparaître dans la nature sans jamais laisser de traces. Nous croyons néanmoins que des dossiers ou des registres doivent être tenus afin de permettre la communication de données sur la santé du parent biologique27. Cela se justifie aisément pour des motifs médicaux. Un suivi pourrait même être nécessaire si la santé de l‘enfant est en jeu. L‘anonymat auquel nous nous intéressons est donc celui qui s‘étend au-delà des frontières de ces dossiers. La question de l‘anonymat est un enjeu lié à l‘essence même de l‘individu. Pour la personne issue d‘un don d‘engendrement et ne connaissant pas le nom de son géniteur, la quête des origines découlerait d‘un vide émotif lié à son identité et à son lien avec ses antécédents biologiques28. L‘utilisation de l‘expression "parent fantôme" est corrélativement lourde de sens et évoque bien les motifs à la source de la démarche29. Certains soulignent que : 27 Sur le sujet, voir par exemple: Stephen L. Corson et Andrea Mechanick-Braverman, « Why we believe there should be a gamete registry », (1998) 69 :5 Fertility and Sterility 809; Mark V. Sauer, « Gamete registry? A Trojan horse from those seeking regulation », (1998) 69 :5 Fertility and Sterility 812. 28 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-19. 29 Katheryn D. Katz, « Gamete registry? A Trojan horse and the legacy of the past », (1993-1994) 57 Alb. L. Rev. 733. 15 « [d]‘une manière générale, la question de l‘origine ou des origines fait partie des questions essentielles que tout enfant aborde au cours de son développement psychique, avec la découverte de son identité sexuée, sa progression vers l‘autonomie et la prise de conscience de la relation familiale dans laquelle il s‘inscrit. Il va interroger les adultes et exprimer plus ou moins ses questions pour pouvoir construire son histoire. »30 D‘autres ajoutent qu‘il ne s‘agit pas pour cet enfant d‘établir des relations avec son ou ses géniteurs, mais de se situer dans une généalogie afin de mieux comprendre sa différence et mieux s‘assumer31. Robert Leckey illustre avec originalité l‘enjeu de l‘anonymat pour les enfants issus d‘un don. L‘auteur écrit que la quête de l‘identité, dérivant de l‘absence d‘un parent, apparaît notamment dans la littérature, de la mythologie grecque à l‘œuvre de Shakespeare ou chez Harry Potter. À tous les coups, ce qui en ressort c‘est l‘importance pour tout être humain de la connaissance de soi et d‘une localisation dans le temps32. Sont alors interpellés sous plus d‘un angle les notions d‘identité, de parenté et de filiation dans un contexte social qui favorise de plus en plus l‘épanouissement personnel de l‘individu et où la biologie ne peut à elle seule y répondre. Est par contre opposé à la recherche des origines l‘anonymat du donneur. Y est corrélativement ajouté le secret œuvrant au sein de la famille quant au mode de conception et le recours à ce tiers. On vient clairement distinguer l‘anonymat du secret pour lequel c‘est toute la question de la privatisation de la famille qui entre en ligne de compte. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental ou familial, qui est la décision de concevoir des enfants, peut se développer et se concrétiser. Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE), Avis n 90 : Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation, France, 24 novembre 2005 à la p. 21, En ligne : <http://www.ccneethique.fr/docs/fr/avis090.pdf > (Date d‘accès : 11 septembre 2010) [CCNE, « Avis 90 »]. 31 Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 184. 32 Robert Leckey, « Where the parents are of the same sex‘: Quebec‘s reforms to filiation », (2009) 23 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam .62 à la p. 77. 30 16 L‘État s‘en remet alors au désir des individus. La filiation devient une affaire de volontés individuelles33. Ce n‘est là qu‘un bref aperçu des intérêts entrant en ligne de compte pour chacun des acteurs, mais ce portrait nous permet de cerner, dès le départ et dans toute sa complexité, l‘aspect humain de la problématique de l‘anonymat des donneurs. La sensibilité de cette dernière se remarque notamment dans les médias québécois. À titre illustratif, le 17 janvier 2007, l‘émission Enjeux diffusée sur les ondes de RadioCanada a présenté un reportage intitulé Orphelins génétiques34 dans le cadre duquel étaient exposés les tenants et les aboutissants de la problématique de l‘anonymat des donneurs. À lui seul, le titre frappant, pour ne pas dire sensationnaliste, du reportage exprime bien l‘émotivité du sujet. Plus récemment, un article du Devoir, dont le titre est également évocateur des enjeux du débat sur l‘anonymisation, détaillait une entrevue donnée par Margaret Somerville où elle se prononçait ouvertement en faveur du droit des enfants de connaître leurs origines biologiques35. En matière d‘adoption, Somerville croit d‘autre part que la biologie doit jouer un rôle dans la définition de la famille de l‘enfant36. 33 Alain Roy, « Évolution des normes juridiques et nouvelles formes de régulation de la famille : regards croisés sur le couple et l‘enfant », (2006) 5 Revue Internationale Enfances, Familles, Générations au para. 20, En ligne : <http://www.erudit.org/revue/efg/2006/v/n5/015777ar.html> (date d‘accès: 30 janvier 2008) [Roy, « Évolution des normes juridiques »]. 34 Voir le site de l‘émission : Radio-Canada, Enjeux : Orphelins génétiques, En ligne : <http://www.radiocanada.ca/actualite/v2/enjeux/niveau2_13054.shtml> (Date d‘accès: 14 avril 2009). 35 Pauline Gravel, « L‘entrevue – Le sens du sois », Le Devoir (7 janvier 2008) A1 et A8. 36 Voir le débat entre Margaret Somerville et Robert Leckey : Robert Leckey, « Adoptive parents aren't second best », The Globe and Mail (8 octobre 2009), En ligne : <http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/adoptive-parents-arent-second-best/article1317521/> (Date d‘accès : 22 août 2010); Margaret Somerville, «Web-exclusive commentary : A simple answer to Quebec's simple adoption question », The Globe and Mail (13 octobre 2009), En ligne : <http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/a-simple-answer-to-quebecs-simple-adoptionquestion/article1322352/> (Date d‘accès : 22 août 2010). 17 Un peu partout à travers le monde émergent également nombre d‘associations consacrées au sujet. Localement, pensons par exemple à la Canadian Donor Conception Coalition37. Elle a entre autres été fondée par Olivia Pratten, une journaliste originaire de la Colombie-Britannique née d‘un don anonyme et qui milite depuis des années dans le paysage canadien, en particulier dans sa province natale, en faveur de l‘abolition de la pratique d‘opacité. C‘est d‘ailleurs cette jeune femme qui a initié, en octobre 2008 en Colombie-Britannique, le premier recours collectif canadien contre l‘anonymat des donneurs38. L‘association française Procréation Médicalement Anonyme39 qui bouillonne de témoignages et de références sur le sujet est une autre organisation consacrée à cette question. Ses membres se battent plus spécifiquement pour la levée de l‘anonymat des donneurs de gamètes et l‘abolition de la pratique même du don d‘embryons. Des registres en ligne voient finalement le jour. Le Donor Sibling Registry40 aux États-Unis n‘en est qu‘une illustration. Bien que les cadres législatifs canadien et québécois adoptent la philosophie générale de l‘anonymat du tiers donneur41, la problématique reste d‘actualité car, depuis 37 Voir : Canadian Donor Offspring, Canadian Donor Offspring, En ligne : <http://www.canadiandonoroffspring.ca/index.html> (Date d‘accès : 31 janvier 2009). 38 Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, First ever class action lawsuit filed by sperm donor offspring in Canada, 28 octobre 2008, En ligne: <http://www.arvayfinlay.com/news/news-oct28-2008.html> (Date d‘accès: 5 janvier 2009); Pratten v. British Columbia (Attorney General), 2010 BCSC 1444 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2010/2010bcsc1444/2010bcsc1444.html> (Date d‘accès : 6 novembre 2010); Pratten v. British Columbia (Attorney General), 2011 BCSC 656 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2011/2011bcsc656/2011bcsc656.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011) [Ci après « Affaire Pratten »]. 39 Voir : Procréation Médicalement Anonyme, La Charte de l’association PMA, En ligne : <http://www.pmanonyme.asso.fr/charte.php> (Date d‘accès : 15 juillet 2009). 40 Voir : The Donor Sibling Registry, The Donor Sibling Registry, En ligne: <http://www.donorsiblingregistry.com/> (Date d‘accès : 15 juillet 2009). 41 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (4) et 18 (3); Code civil du Québec, supra note 18, art. 542. 18 près de vingt ans, de plus en plus de pays décident de mettre fin à l‘exigence de non divulgation des renseignements nominatifs42. C‘est en particulier le cas de la Suède depuis 1984 concernant les dons de sperme43 ou encore du Royaume-Uni depuis 200444. Dans ce dernier cas, les enfants de plus de 18 ans et conçus grâce à un fait à partir du 1er avril 2005 pourront, dès 2023, demander l‘accès à l‘information nominative et identifiante de leur(s) géniteur(s): nom, dernière adresse connue, etc.45 L‘État confère donc une légitimité juridique à la recherche des origines. Certains auteurs appuyaient cette position et recommandaient que la loi canadienne soit modifiée46 afin de donner préséance au droit aux origines génétiques sur le droit à la vie privée des donneurs, en faveur des enfants47. À cet égard, notons à nouveau que le premier recours collectif canadien contre l‘anonymat des donneurs fut déposé en octobre 2008 en Colombie- 42 Voir : Eric Blyth et Lucy Frith, « Donor-Conceived people‘s biographical history : an analysis of provisions in different jurisdiction permitting disclosure of donor identity », (2009) 23 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam 174; Lucy Frith, « Gamete donation and anonymity : The ethical and legal debate », (2001) 16 :5 Human Reproduction 818 [Frith, « Debate »]; J. Guibert et E. Azria, « Anonymat du don de gamètes : protection d‘un modèle social ou atteinte aux droits de l‘homme? », (2007) 36 Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction 360 aux pp. 362-363; Jean-Marie Kunstman, « CHAPITRE 1 : L‘assistance médicale à la procréation avec tiers donneur : remise en cause de l‘anonymat », dans Brigitte Feuillet-Liger, dir., Procréation médicalement assistée et anonymat :Panorama international, Bruxelles, Bruylant, 2008, 1 aux pp. 23 et suivantes, [Kunstman, « Remise en cause »]; Sénat, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée: L’anonymat du don de gamètes, France, Septembre 2008, En ligne : <http://www.senat.fr/lc/lc186/lc186.pdf> (Date d‘accès : 14 avril 2009); Pour des exemples de droit comparé, voir ANNEXE 1. 43 Frith, « Debate », supra note 42 aux pp. 818-819. 44 The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations 2004, Statutory Instrument 2004, no. 1511, En ligne: <http://www.legislation.gov.uk/uksi/2004/1511/made/data.pdf> (Date d‘accès: 28 novembre 2010). 45 Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), What you can find out about your donor or genetic siblings, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/112.html> (Date d‘accès: 20 avril 2009). 46 Considérons que les dispositions sur la transmission de renseignements concernant le donneur, à savoir les articles 15 et 18, sont depuis le 22 décembre 2010 déclarées inconstitutionnelless par la Cour suprême du Canada. Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24. 47 Josephine Johnston, « Mum‘s the Word: Donor Anonymity in Assisted Reproduction », (2002) 11:1 Health L.R. 51 à la p. 54; Lisa Shields, « Consistency and Privacy: Do these Legal Principles Mandate Donor Anonymity », (2003) 12:1 Health L.R. 39 à la p. 43. 19 Britannique48. Le Barreau du Québec s‘est également prononcé, en juin 2009, en faveur d‘un débat sur le sujet49. Nous touchons ici à la raison d‘être de cette thèse. Son bien-fondé eu égard aux enjeux sociaux de la problématique de l‘anonymat des dons ne fait pas de doute. Il existe déjà une littérature abondante qui en fait état. Ce qui nous préoccupe c‘est plutôt la divergence continuelle entre ces enjeux et la relation qu‘ils entretiennent avec l‘univers juridique. Notre interrogation première est de savoir si le droit québécois et canadien doit être modifié ou s‘il constitue un juste équilibre entre les droits et les intérêts de chacun. Il s‘agit néanmoins d‘une question piège car la polémique sur l‘anonymat des donneurs, parfois qualifiée de boîte de Pandore50, nous oblige à prendre des décisions dans un domaine où l‘émotion est parfois vive pour les acteurs impliqués. En définitive, comme le souligne Sonia Le Bris, « [p]ermettre ou refuser l‘accès aux informations nominatives contenues dans les dossiers relève […] de choix politiques, selon que l‘on s‘entend à faire prévaloir le secret et la vie privée des bénéficiaires de la procréation assistée et des donneurs ou le droit de l‘enfant à ses origines »51. Ce sont des choix non seulement très difficiles à faire puisqu‘ils impliquent obligatoirement de privilégier une partie plutôt qu‘une autre, mais aussi sensibles pour qui doit les faire. 48 Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, supra note 38; Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2010); Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 49 Barreau du Québec, Position du Barreau - Projet de loi 26 – Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, 15 juin 2009, <http://www.barreau.qc.ca/pdf/medias/positions/2009/20090615-pl-26.pdf> (Date d‘accès 15 août 2009) [Barreau du Québec, « Position »]. 50 Samantha Besson, « Enforcing the child‘s right to know her origins: contrasting approaches under the Convention on the rights of the child and the European convention on human rights », (2007) 21 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 137 à la p. 138. 51 Sonia Le Bris, « Procréation médicalement assistée et parentalité à l‘aube du 21 ième siècle », (1994) 1 C.P. du N. 133 à la p. 144. 20 Qui plus est, la complexité de la problématique de l‘anonymat est telle que c‘est la légitimité même du don de gamètes et d‘embryons qui se trouve remise en question52. Sommes-nous à tous les coups dans l‘impasse? Afin de souligner la délicatesse de la problématique, un article publié récemment pose la question à même son titre : peut-on se prononcer pour ou contre la levée de l‘anonymat dans le don de gamètes 53? Son auteur avance qu‘afin de répondre à cette interrogation « il s‘agirait de définir ce qui est favorable ou délétère à l‘épanouissement de l‘enfant conçu dans le cadre du don. Si l‘on va au-delà de cette question, il s‘agirait alors de s‘interroger à nouveau sur la légitimité de l‘AMP avec tiers donneur »54. C‘est notamment la voie adoptée par l‘Italie qui interdit le don de gamète55. Bien qu‘il s‘agisse d‘un choix culturel et politique que nous respectons, cela nous semble quelque peu extrême. Nous croyons au bien-fondé du don de gamètes et d‘embryons qui, lorsque fait de façon altruiste (à ne pas confondre avec l‘indemnisation pour le déplacement et les inconvénients subis par la procédure) et selon certaines bonnes pratiques, sert bien la finalité de l‘assistance à la procréation. Nous ne remettons donc pas en cause la légitimité du don, mais nous nous interrogeons sur la pertinence du maintien de l‘anonymat dans les lois canadienne et québécoise. 52 Catherine Labrusse-Riou, « Biomédecine, bioéthique, biodroit? L‘état du droit français », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, Colloque international, Lausanne, 17-18 octobre 1996, Zürich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1997, 9 à la p. 33; De l‘avis de l‘auteur, « ni l‘anonymat, ni sa possible levée à la demande par exemple de l‘enfant à compter d‘un certain âge, ne paraissent justifiés au regard du droit de la filiation et de l‘intérêt de l‘enfant. L‘anonymat du donneur (comme le secret souvent maintenu sur les conditions de la procréation), constitue un mensonge légal fondé sur le seul intérêt apparent du couple bénéficiaire et du donneur lui-même, à l‘exclusion de l‘intérêt de l‘enfant ici totalement occulté. Mais à l‘inverse, l‘absence d‘anonymat aurait pour effet de valoriser de façon tout à fait anormale et inhumaine un lien purement biologique de parenté ou de créer, sur cette base, une parent de fait sans effets civils personnels ou patrimoniaux. Le caractère a-humain d‘une procréation sans relation entre l‘homme et la femme qui sont la cause de l‘enfant apparaît alors, il semble bien que ce soit cela que l‘anonymat du donneur vise à nier. Pas suite, c‘est la légitimité même du don de gamète qui se trouve remise en question. » Ibid. aux pp. 32-33. 53 N. Rives, « Peut-on se prononcer pour ou contre la levée de l‘anonymat dans le don de gamètes? », (2007) 35 Gynécologie Obstétrique & Fertilité 695. 54 Ibid. à la p. 695. 55 Voir: Sénat, supra note 42. 21 Cependant, l‘important n‘est pas tant de répondre à la question de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons que la réflexion menant à la conclusion retenue. Comment trouver un juste équilibre entre les droits et intérêts des enfants issus de la procréation assistée, ceux des donneurs de matériel reproductif ainsi que ceux du couple y ayant recours56, et maximiser les avantages de la procréation assistée tout en réduisant au minimum ses conséquences négatives57? Il est de la responsabilité du législateur de trancher la question en tenant compte d‘une approche nécessairement internormative, qui fasse sa place aux dimensions éthiques. SECTION 2 : LÉGITIMITÉ DE L’INTERVENTION ÉTATIQUE Le point de départ de notre démarche théorique est la controverse entourant les modes de régulation de la procréation assistée. Il importe effectivement de déterminer dès le départ qui a le pouvoir d‘intervenir et d‘établir des limites. Déjà en 1999, la professeure Bartha Maria Knoppers proposait quatre modèles d‘encadrement des technologies impliquant la génétique humaine que nous pouvons transposer aux techniques de reproduction : le modèle des droits de la personne, le modèle législatif, le modèle administratif et le modèle du marché58. Nous affirmons néanmoins la légitimité de 56 Tracy Hampton, « Anonymity of Gamete Donations Debated », (2005) 294 :21 Journal of American Medical Association 2681 à la p. 2682 : « Governments must find ways to balance the many complex concerns of gamete donors, recipients, and offspring. ». 57 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-29. 58 Bartha Maria Knoppers et al., « Commercialization of Genetic Research and Public Policy », (1999) 286:5448 Science 2277; Voir également Bartha Maria Knoppers, « Quatre modèles pour la génétique humaine : Entre la complexité et la beauté de l‘être humain », dans Michel Venne, dir., La révolution génétique, Sainte-Foy, Les Presses de l‘Université Laval, 2001, 133 [Knoppers, « Quatres modèles »]; Bartha Maria Knoppers et Rosario Isasi, « Regulatory approaches to reproductive genetic testing », (2004) 19 :12 Human Reproduction 2695 à la p. 2700; Élodie Petit, « Éléments de réflexion sur le choix d‘un modèle de réglementation pour l‘embryon et les cellules souches embryonnaires », (2004) 45 C. de D. 371; Commission de réforme du droit du Canada, La procréation médicalement assistée – Document de travail 22 l‘intervention du législateur, de l‘État, dans ce domaine du droit et de la science caractérisé par la complexité et l‘évolution des pratiques ainsi que des perceptions au sein de la communauté scientifique et dans la population. De manière générale, dans le domaine de la procréation assistée, la norme de droit doit donc prédominer comme outil de gouvernance. Les raisons de cette conviction sont multiples, mais se résument pour l‘essentiel aux implications de la procréation assistée non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour l‘ensemble de la société. De l‘avis d‘Alain Chouraqui, un contexte d‘incertitude rend difficile la définition et la gestion de certaines normativités comme l‘éthique, dont le rôle est pourtant essentiel dans l‘encadrement de la procréation assistée. Le danger est d‘assister à un recul du rôle régulateur de l‘État désormais considéré comme inadapté. Cette situation a entraîné une désarticulation de l‘unité apparente du système juridique et une multiplication des contacts entre une régulation juridique diversifiée et le social non juridique, c‘est-à-dire celui où la normativité se distingue du juridique. Elle a donc rendu encore plus nécessaires et plus délicates les questions liées à la définition de chaque mode de régulation, de la place de la régulation juridique dans le social, et de l‘articulation des régulations juridiques et sociales59. no 65, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1992 aux pp. 111-130; Marsha Garrison, « Law making for baby making : an interpretative approach to the determination of legal parentage », (2000) 113 :4 Harv. L. Rev. 835. 59 Alain Chouraqui, « Normes sociales et règles juridiques : quelques observations sur des régulations désarticulées », (1989) 13 Droit et Société 415 à la p. 422; Alain Chouraqui, « Quelques difficultés d‘articulation du juridique et du social », dans François Chazel et Jacques Commaille, dir., Normes juridiques et régulation sociale, Paris, L.G.D.J., 1991, 285 à la p. 293. 23 Le recul du rôle régulateur de l‘État jugé inadapté, ne trouve pas pleinement sa place dans le domaine des nouvelles technologies de la reproduction. Le législateur est l‘acteur devant intervenir dans l‘encadrement des pratiques de procréation assistée. La Cour suprême du Canada le souligne d‘ailleurs dans son jugement de décembre 2010 sur la procréation assistée60. En dépit du fait que la grossesse et la naissance soient des événements biologiques, la reproduction est davantage un processus social et politique61. En plus des modifications profondes apportées au modèle familial depuis quelques années, la procréation assistée implique des enjeux de société, où se trouvent souvent des droits et des intérêts contradictoires qui ne peuvent pas être réglés qu‘au cas par cas. La problématique en cause en est un exemple flagrant. Qu‘arrive-t-il entre les droits du donneur au respect de sa vie privée et le droit de l‘enfant d‘accéder aux informations nominatives et identifiantes concernant son géniteur lorsqu‘il en ressent le besoin? D‘ailleurs, même si nous concluons au chapitre 2 qu‘une règle de droit n‘est pas l‘outil approprié afin de s‘assurer du fait que les enfants soient informés des circonstances de leur conception, cela ne veut pas dire que le législateur se retire complètement du processus analytique. Notre conclusion ne reconnaît pas l‘existence d‘un droit au secret, mais d‘un privilège de réserve visant à respecter la privatisation de la famille et qui découle du contexte de la loi en matière de procréation assistée. Il relève néanmoins d‘un choix du législateur que d‘adopter éventuellement cette position. Tel est 60 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24: « Bien que l‘acceptabilité éthique des techniques soit évidemment discutable […] on ne peut sérieusement mettre en doute la faculté du Parlement de les interdire ou de les réglementer. ». 61 Mary Jane Mossman, Families and the Law in Canada: Cases and Commentary, Toronto, EmondMontgomery, 2004 à la p. 190; Suzan A. McDaniels, « Women‘s Role, Reproduction, and the New Reproductive Technologies », dans Nancy Mandell et Anne Duffy, dir., Reconstructing the Canadian Family : Feminist Perspectives, Toronto, Butterworth, 1988, 175 aux pp. 176-177. 24 le cas de la France qui consacre un véritable droit au secret dans sa loi62. Ce privilège peut également être encadré par le législateur dans sa mise en œuvre puisqu‘en vertu de l‘éthique de la sollicitude, il doit s‘accompagner d‘une information adéquate des conséquences qui concerne les conséquences de son exercice. Bref, les enjeux liés à la procréation assistée concernent nombre de facettes de la sphère publique, du social, de l‘éthique, du juridique, du médical et de l‘économique pour ne nommer que ceux-là, et requièrent un encadrement uniformisé afin d‘aborder les questions et de résoudre les problèmes d‘une façon globale. L‘objectif étant de réguler efficacement les conditions et les conséquences de la maîtrise scientifique de la reproduction humaine63. De plus, si le droit ne prétend pas être le modèle exclusif de régulation des comportements des personnes, il présente le mode de régulation sociale accepté et acceptable dans le cadre d‘une société libre et démocratique64. Dans un article sur l‘introduction de la morale en droit, Maureen A. McTeer adopte une démarche semblable et s‘interroge sur la pertinence de l‘intervention législative afin d‘encadrer les activités scientifiques et médicales. Analysant le débat entre Devlin et Hart, elle conclut que pour en arriver à une réponse concrète, il importe de déterminer quels intérêts de société sont suffisamment importants au point de nécessiter 62 Art. 311-20 al. 1 Code civil. Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur : Rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Vol. 1, Ottawa, Ministère de Services gouvernementaux Canada, 1993 aux pp. 17-18 [Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 »]; Catherine Labrusse-Riou, « La filiation et la médecine moderne », (1986) 2 R.I.D.C. 419 à la p. 421 [Labrusse-Riou, « Médecine moderne »]. 64 Georges A. Legault, « Droit et bioéthique : l‘inscription du sens », dans Marie-Hélène Parizeau, dir., Bioéthique : méthodes et fondements, Montréal, Association canadienne-française pour l‘avancement des sciences, 1989, 97 à la page 98. 63 25 une intervention de l‘État. Elle spécifie par la suite que, parmi les intérêts publiques pouvant répondre à cette exigence, se trouvent l‘intégrité de l‘individu, le respect de toute vie humaine, l‘autonomie et le droit à la vie privée des individus « which includes the right to know and to protect one‘s genetic heritage »65. Lors de la publication du rapport final de la Commission Royale sur les nouvelles techniques de reproduction en 1993, il y fut recommandé que « [c]‘est aux gouvernements, les défenseurs de l‘intérêt public, qu‘il appartient de veiller à ce que la mauvaise utilisation des techniques de reproduction ne porte pas préjudice ni aux particuliers ni à la société dans son ensemble »66. Cette position favorisant le législateur est d‘importance puisque la Commission royale est l‘organe qui fut créé en 1989 par le gouvernement fédéral en réaction aux préoccupations grandissantes au sein de la société canadienne relativement au développement des technologies liées à la procréation assistée67. Le Barreau du Québec adopta une position similaire dans les années quatrevingt68. Roxanne Mykitiuk et Albert Wallrap renchérissent et affirment de leur côté qu‘une intervention législative peut assurer le respect des valeurs fondamentales de la société canadienne, protéger le public contre des risques à sa santé et sa sécurité et fournir 65 Maureen A. McTeer, « A Role for Law in Matters of Morality », (1995) 40 McGill L.J. 893 à la p. 898. Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur : Rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Vol. 2, Ottawa, Ministère de Services gouvernementaux Canada, 1993 à la p. 1156. 67 Pour une description du mandat de la Commission royale, voir : Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 2. 68 Barreau du Québec – Comité sur les nouvelles technologies de reproduction, « Rapport du comité sur les nouvelles technologies de reproduction », (1988) 48 :2 Suppl. R. du B. 1 aux pp. 35-36 [Barreau du Québec, « Rapport »]. 66 26 des principes de droit clairs grâce auxquels des disputes potentielles pourraient être résolues69. Nous avons fait état du conflit entourant l‘anonymat des donneurs, objet de notre réflexion, mais cette problématique issue des technologies de la reproduction n‘est certes pas la seule à générer des positions divergentes pouvant être source d‘atteintes aux personnes impliquées dans le processus. Le diagnostic préimplantatoire en est une autre70. Un danger demeure finalement qu‘une loi ayant pour objectif de réguler la procréation assistée soit limitée aux enjeux actuels et tende à clore le débat public71. Cela découle du format trop hermétique des textes législatifs qui n‘évoluent pas aussi vite que les avancées de la science et des interrogations qu‘elles suscitent. Le mouvement actuel visant l‘abolition de l‘anonymat peut en être un bon exemple. Cet argument motive certainement la position de Michèle Rivet pour qui le droit joue sûrement un rôle important dans le contexte des nouvelles technologies de reproduction, mais celui-ci ne doit pas cristalliser dans des textes de loi des questions pour lesquelles le débat éthique n‘est pas concluant ou des pratiques qui sont réglées adéquatement par d‘autres instances 69 Roxanne Mykitiuk et Albert Wallrap, « Regulating Reproductive Technologies in Canada », dans Jocelyn Downie et al., dir., Canadian Health Law and Policy, 2e Édition, Markham/Vancouver, Butterworths, 2002, 367 à la p. 430. 70 Sur le sujet, voir notre analyse dans: Julie Cousineau, Enjeux éthiques et légaux des applications du diagnostic préimplantatoire au Canada, Mémoire de maîtrise, Montréal: Faculté de droit, Université de Montréal, 2006, En ligne : <http://hdl.handle.net/1866/2459> (Date d’accès: 5 décembre 2010) [Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux »]; Julie Cousineau, « En quête d’un cadre juridique pour le diagnostic préimplantatoire au Canada…», dans Association mondiale de droit médical, Actes du 16e Congrès mondial de droit médical (CD-Rom), 7 au 11 août 2006, Toulouse (France), Les Études Hospitalières, p. 409 (texte no 96) [Cousineau, « En quête d’un cadre juridique »]; Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23; Julie Cousineau, « Le passé eugénique canadien et ses leçons au regard des nouvelles technologies génétiques », (2008) 13 :2 Lex Electronica, En ligne : <http://www.lexelectronica.org/docs/articles_2.pdf> [Cousineau, « Passé eugénique canadien »]; Julie Cousineau et Arnaud Decroix, « Diagnostic préimplantatoire et eugénisme : l‘argument de la pente glissante », Article soumis au R.D.U.S., 2011 [Cousineau et Decroix, « Argument de la pente glissante »]; Michelle Stanton-Jean et Julie Cousineau, « Le diagnostic préimplantatoire : une position internationale (UNESCO) et régionale (Commission de l‘éthique de la science et de la technologie), à paraître dans un ouvrage collectif chez Dalloz, 2011. 71 Knoppers, « Quatres modèles », supra note 58 à la p. 136. 27 que le droit positif étatique72. Pour les questions qui concernent la vie en générale, son contrôle et sa manipulation, il a par exemple été proposé de confier le mandat de fixer des balises aux comités d‘éthique. Ils représentent un lieu de réflexion et de discussion propre à établir des normes appropriées aux enjeux soulevés73. Nous croyons néanmoins cette approche inappropriée puisque non propice à l‘uniformisation des pratiques tel que cela devrait être le cas dans un domaine aussi sensible qui interpelle la finalité de la vie humaine. D‘autant plus dans la problématique sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Au-delà de la sphère légitime d‘intervention du droit et de sa fonction protectrice, une auteure met en doute sa vocation à régler le conflit de l‘anonymat. Sa levée est généralement invoquée dans un but d‘ordre psychologique et le droit n‘a rien à dire sur la manière d‘assurer l‘équilibre psychologique, voir le bonheur, des individus74. Il nous semble par contre que le caractère fondamental de la problématique requiert un encadrement standardisé par le législateur. L‘intérêt de notre démarche est justement de s‘interroger sur la meilleure façon de s‘adapter, sur le plan juridique, aux particularités de l‘anonymat. 72 Michèle Rivet, « Les nouvelles technologies de reproduction : les limites de la loi », dans Gérald-A. Beaudoin, dir., Vues canadiennes et européennes des droits et libertés : Actes des JOURNÉES STRASBOURGEOISES 1988, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, 443 à la page 468 [Rivet, « Limites »]; Voir également : Jacqueline Rubellin-Devichi, « Les procréations assistées : état des questions ». (1987) 86 :3 Rev. Trim. Civ. 457 aux pp. 457-459. 73 Édith Deleury, « Éthique, médecine et droit : des rapports qui reposent sur une confusion entre les rôles », dans Cahiers de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, Québec, Éditions Fides, 1991, 103 à la p. 109 [Deleury, « Rapports »]; D‘ailleurs, au regard de l‘internormativité, cette avenue du comité d‘éthique est considérée comme un mode de régulation intermédiaire entre la loi et la norme morale individuelle. Ibid. 74 Dominique Thouvenin, « Le droit a aussi ses limites », dans Jacques Testart, dir., Le magasin des enfants, Paris, Éditions François Bourrin, 1990, 219 aux pp. 234-235 [Thouvenin, « Limites »]. 28 À cette étape de notre réflexion, ayant établi la légitimité de l‘action publique, nous nous demandons comment celle-ci peut opérer par le biais de sa législation. Avant de présenter notre approche théorique au chapitre 1, il nous semble opportun de revisiter certaines des options qui étaient à notre disposition. SECTION 3 : UNE NORME DE DROIT EN INTERNORMATIVITÉ AVEC L’ÉTHIQUE Le Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE) nous met avant tout en garde contre les raisonnements partant de la pluralité d‘intérêts en présence. C‘est ce que par réflexe nous sommes tentés de faire, mais nous reconnaissons en partie la justesse des arguments exposés par le comité national d‘éthique français. D‘une part : « [l]a perspective du respect des personnes comme fondement du lien social peut conduire à hiérarchiser ces intérêts. […] [D‘autre part,] comparer les intérêts en présence risque de placer d‘emblée la réflexion éthique dans une perspective conflictuelle, là où la parenté et la filiation humaine devrait être le lieu par excellence de l‘alliance entre les êtres »75. Cette alliance fut d‘ailleurs un premier indice nous guidant vers l‘approche relationnelle entre les acteurs du don d‘engendre. De l‘avis du CCNE, dans la question spécifique de l‘accès aux origines, la parenté et la filiation doivent être évaluées au regard de l‘égale dignité des personnes humaines76. Toutefois, cette affirmation ne permet pas vraiment de clarifier la situation. En effet, la reconnaissance de l‘égale dignité des personnes a-t-elle 75 76 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21. Ibid. 29 pour corollaire la reconnaissance de droits égaux? À titre de principe fondateur77, car il ne s‘agirait pas en l‘espèce que de la dignité comme "droit fondamental", plusieurs droits fondamentaux sont alors en concurrence. La reconnaissance d‘un droit aux origines peutil porter atteinte au droit à la vie privée? Ainsi, la reconnaissance de l‘égale dignité des personnes ne présume pas de la solution à retenir dans l‘éventualité d‘un conflit de normes. Hisser ces droits au rang de principes fondamentaux permet leur protection accrue, mais ne résout nullement la question de la hiérarchie des normes. Si ces personnes se voient reconnaître une égale dignité, qu‘en est-il de leurs droits dans l‘hypothèse où il serait nécessaire de trancher entre des revendications antagonistes? Le processus de production législative interpelle inévitablement un examen des intérêts abstraits et des droits des personnes concernées afin de parvenir à un juste équilibre dans la norme. Selon Cyril Chabert, si « le principe d‘une conciliation des intérêts de chaque partie à un rapport familial [car c‘est bien ce dont il s‘agit en l‘espèce] ne fait guère de doute, sa pratique constitue tout l‘art du législateur »78. Cet art, comment doit-il ou peut-il être exercé dans le cadre de la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons ? Chabert ajoute quant à lui que la finalité de la 77 À ce titre, « toute personne possède une dignité inhérente que le droit doit reconnaître, respecter et préserver ». Christian Brunelle, «Volume 13 : Justice, société et personnes vulnérables – Titre 1 : Personnes, justice et personnes vulnérables – Chapitre 2 : La dignité, ce concept juridique » dans Barreau du Québec, Collection de droit 2009-2010, École du Barreau du Québec, 2009, 21 à la p. 25, <En ligne : http://www.caij.qc.ca/doctrine/collection_de_droit/2009/13/i/1674/index.html> (Date d‘accès : 19 septembre 2010); La Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) précise dans son préambule que « tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi ». Cela ne laisse toutefois pas présumer de la reconnaissance de droits égaux, mais affirme que tous ont droit à une égale protection de la loi. 78 Cyril Chabert, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d'AixMarseille, 2001 à la p. 73. 30 norme obligeant son auteur à peser ces intérêts79, l‘art du législateur dans la quête d‘un équilibre se traduit par la recherche d‘un juste équilibre entre les intérêts abstraits de tous les membres de la famille (en l‘espèce, l‘enfant et ses parents bénéficiaires d‘une aide extérieure pour procréer) ou des participants au rapport de droit (ici l‘enfant, ses parents et le ou les donneurs) et non par leur hiérarchisation80. En cela, il rejoint la position du CCNE. Pour une, Samantha Besson, si la balance ne règlera jamais totalement le conflit, cela ne veut par contre par dire qu‘elle ne peut être faite avec légitimité et efficience 81. Néanmoins, encore là, si les propos de Chabert offrent un guide intéressant en incitant à l‘équilibre plutôt qu‘à la hiérarchisation des intérêts et des droits entrant en ligne de compte, nous faisons toujours face à un manque de substance ne nous donnant pas tous les outils permettant de procéder à une analyse effective offrant le moyen de trancher entre les revendications antagonistes des enfants issus d‘un don, des parents y ayant eu recours et des donneurs de forces génétiques. Comment atteindre cet équilibre? Il n‘y a pas de solution législative unique qui puisse nous permettre de satisfaire tous les intérêts en jeu dans un contexte particulier. Le système légal le plus approprié est néanmoins celui qui, de l‘avis de certains, tient compte des inquiétudes de toutes les parties intéressées. Il existe alors deux façons de faire disent-ils. Tout d‘abord, lorsqu‘il y a un conflit entre des intérêts et des droits en compétition, la meilleure loi sera celle qui accorde la plus grande protection aux besoins les plus importants. Nous pourrions dans un 79 Ibid. à la p. 74; L‘auteur fait d‘ailleurs état de la doctrine supportant son propos et lui permettant de conclure qu‘en « définitive chacun s‘accorde sur le fait que sujet indissociable de sa famille, l‘enfant voit son intérêt abstrait intégré dans la norme par un jeu de pesée. Renforçons ce docte postulat d‘un examen parlementaire. » Ibid. à la p. 75. 80 Ibid. aux pp. 77-78. 81 Besson, supra note 50 à la p. 147. 31 deuxième temps considérer quels sont les intérêts et les droits les plus fondamentaux et leur accorder le plus de protection82. La seconde option correspond grandement à l‘approche des droits fondamentaux adoptée par Michelle Giroux. L‘auteure affirme qu‘il ne faut pas se questionner sur le pour ou le contre de la levée de l‘anonymat, mais analyser la situation sous l‘angle des droits de l‘enfant en se demandant s‘il existe un droit fondamental de connaître ses origines. « Si oui on n‘a plus qu‘à s‘assurer que les normes juridiques s‘y conforment. À défaut, les tribunaux pourront utiliser leur pouvoir d‘invalider une loi qui ne respecterait pas ce droit »83. L‘auteure en illustre d‘une part l‘existence en droit international. Puis, son exposé s‘attarde à démontrer qu‘il s‘agit d‘un droit fondamental indirectement protégé par les chartes canadienne84 et québécoise85 par les dispositions en matière de liberté, sécurité, vie privée et égalité86. Elle conclut en spécifiant que si la question se retrouvait devant les tribunaux, ils posséderaient tous les outils pour assurer la reconnaissance du droit fondamental aux origines87. 82 Shields, supra note 47 à la p. 42. Michelle Giroux, « Le droit fondamental de connaître ses origines », dans Tarra Collins et al., dir., Droit de l’enfant : Actes de la conférence internationales / Ottawa 2007, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, 353 aux pp. 357-358 [Giroux, « Droit fondamental »]. 84 Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l‘annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11. 85 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77. 86 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384. 87 Ibid. à la p. 389; Voir les pages suivantes pour le détail de sa réflexion. L‘auteure a récemment poussé son analyse afin d‘identifier les fondements du droit aux origines et la responsabilité du Canada en vertu de la Convention internationale sur les droits de l’enfant (Rés. A/RES/44/25, Doc. Off. AGNU, c. 3, 44e session). Michelle Giroux et Mariana DeLorenzi, « Putting the child first: A necessary step in the recognition of the right to identity in Canadian Law », dans Juliet Guichon, Michelle Giroux et Ian Mitchell, dir., Who Am I? Best Interests and Rights of Children of Assisted Reproduction (titre provisoire), texte accepté pour publication dans un ouvrage collectif en préparation qui sera soumis aux presses Queen's/McGill; Voir également l‘analyse faite dans : Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-24 et suivantes. 83 32 Un premier pas en ce sens a été franchi en mai 2011 en Colombie-Britannique dans l‘affaire Pratten. Madame la juge Adair de la Cour suprême de la ColombieBritannique en vient à la conclusion que les droits des enfants nés d‘un don anonyme sont violés. Elle se base sur le droit à l‘égalité reconnu à l‘article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés88 vu la différence de traitement avec les enfants adoptés – qui peuvent connaître l’identité de leur parent génétique à certaines conditions – et conclut que l’atteinte ne remplit pas les conditions de l’article 189. Dans les circonstances de l’espèce, la juge refuse toutefois de conclure à une atteinte aux droits à liberté et à la sécurité de madame Olivia Pratten en vertu de l’article 7, et donc de reconnaître qu’il existe une protection constitutionnelle du droit aux origines biologiques : « In summary, I decline to adopt Madam Justice Arbour’s analysis of s. 7 in Gosselin90, leading to the conclusion that Ms. Pratten has positive rights to liberty and security of the person, and a constitutionally protected right to know her biological origins. I conclude further that there is insufficient state action to support Ms. Pratten’s claim under s. 7. »91 Bien que certaines personnes puissent se demander si la recherche des origines constitue un véritable droit de la personne92, tenter de dénouer la problématique de 88 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) aux para.268 et 325. 90 Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, 2002 CSC 84, En ligne : <http://csc.lexum.org/fr/2002/2002csc84/2002csc84.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011). 91 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 316. 92 Jacques Beaulne, « Réflexions sur quelques aspects de la procréation médicalement assistée en droit des personnes et de la famille », (1995) 26 :2 R.G.D. 235 à la p. 261; Plus vindicativement, Marie Pratte a même statué qu‘il « est heureux que le législateur [québécois] n‘ait pas cédé aux pressions des divers groupes qui, au nom d‘un supposé droit à la vérité ou aux origines, plaidaient en faveur de la levée de l‘anonymat. » Marie Pratte, « Le nouveau Code civil du Québec : quelques retouches en matière de filiation », dans Ernest Caparros, dir., Mélanges Germain Brière, la collection Bleue, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 1993, 283 aux pp. 298-299 [Pratte, « Nouveau Code »]. 89 33 l‘anonymat des dons d‘engendrement sous l‘angle des droits fondamentaux93 présente une haute légitimité juridique en leur conférant une protection accrue. Ces droits fondamentaux peuvent d‘ailleurs être consacrés selon une approche formelle en les faisant figurer au rang supérieur dans la hiérarchie des normes grâce à une protection constitutionnelle94. Outre la réticence de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans son analyse de l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés95 et requérant de porter un regard nouveau sur la problématique, ce qui pose problème, c‘est qu‘au droit de savoir de l‘enfant s‘opposent des droits tout aussi fondamentaux qui, de surcroît, peuvent être similaires. Nous en revenons donc à la critique que nous faisons de la proposition du CCNE d‘évaluer les intérêts en présence en fonction de l‘égale dignité des personnes humaines. Pensons au droit à la vie privée ou au droit à l‘autonomie des parents ou des donneurs qui sont tout aussi fondamentaux que le droit à la connaissance des circonstances de la conception et le droit aux origines, pour autant que nous puissions affirmer que ces derniers existent96. Qui plus est, l‘autonomie de l‘enfant est de premier ordre dans la reconnaissance éventuelle de ces droits. En quoi se distingue-t-elle de celle des parents ou des donneurs? Comment procéder alors ? 93 Sophie Monnier nous invite à ne pas confondre droits fondamentaux et droits de l‘homme. « Les droits de l‘homme en raison de leur caractère inaliénable et sacré sont fondés sur le droit naturel, droit qui découle de la condition humaine et qui préexiste à la société. Droits génériques, ils s‘adressent à l‘homme abstrait universel, alors que les droits fondamentaux comprennent des droits catégoriels, et qu‘ils reconnaissent en tant que dépositaires des droits à la fois des entités, ou au contraire, l‘individu appréhendé non plus de manière abstraite et égalitaire mais de manière concrète et identitaire. Sophie Monnier, Les comités d’éthique et le droit : Éléments d'analyse sur le système normatif de la bioéthique, Paris, L‘Harmattan, 2006 à la p. 298. 94 Ibid. à la p. 300; Une autre façon de reconnaître les droits fondamentaux est par l‘approche substantielle en vertu de laquelle c‘est de la fondamentalité du droit, de sa valeur intrinsèque, et non de sa consécration en droit positif ou dans la hiérarchie des normes que dérive la qualification. Ibid. à la p. 302. 95 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 96 Besson, supra note 50 à la p. 148. 34 Il importe avant tout de retenir que le droit s‘inscrit dans le social. Il en est un construit97 ou, encore, une partie permanente de son processus98. Celui qui est appliqué au don de gamètes et d‘embryons reflète fondamentalement les valeurs dominantes de la société qui le produit et une diversité de réponses peuvent être offertes par les juristes99. « [L]es solutions juridiques ponctuelles varient [de plus] […] selon l‘époque considérée. La chose est parfaitement normale et même souhaitable. La règle juridique est essentiellement un produit de la société; elle évolue donc avec elle et ne peut rester figée »100. Une loi, nous dit Michèle Rivet, n‘est pas la réponse finale à une question donnée. Elle est temporaire et souvent ponctuelle afin de répondre à un conflit à un moment particulier de son développement. La loi en suivra l‘évolution à travers l‘interprétation qui en est faite tout comme elle peut contribuer au développement de ce même conflit101. En outre, la question de l‘accès aux origines touche à la vérité de la procréation humaine dans sa double dimension biologique et sociale102. Dans ce contexte, s‘il ne s‘agit pas d‘entrer dans des considérations liées à la tyrannie de la majorité qui cherche à imposer ses valeurs morales au détriment de celles d‘autrui, la loi ne peut demeurer statique face à l‘évolution du débat dans la société et doit s‘ouvrir à la dimension éthique de la problématique. 97 Karim Benyekhlef, Une possible histoire de la norme : Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008 à la p. 27. 98 Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 460. 99 Jean-Louis Baudouin, « Aspects juridiques », dans Marcel J. Melançon, dir., L’insémination artificielle thérapeutique : Aspects cliniques, psychologiques, juridiques, éthiques et philosophiques, Québec, Les Presses de l‘Université Laval, 1983, 113 à la p. 113. 100 Ibid. 101 Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 459. 102 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21. 35 En référant aux travaux de Jean Carbonnier et de Pierre Noreau, Marie-France Bureau souligne le doute qui existe sur la capacité d‘adaptation du droit, en tant que phénomène social d‘objectivation de la réalité, afin qu‘il colle parfaitement aux réalités sociales ou à une quelconque vérité103. C‘est donc à cette étape de notre réflexion que nous assistons à un certain recul du rôle du législateur et à son entrée dans la sociologie du droit de Guy Rocher qui a pour objet l‘approfondissement de la connaissance de la société en prenant en considération la place qu'y occupe le droit, les fonctions qu'il remplit, les rapports qu'il entretient avec les autres institutions de la société 104. Ces dernières peuvent êtres d‘autres formes de normativité. Auquel cas, c‘est lorsque l‘internormativité intervient que des rapports sont possibles entre elles. Partant du postulat qu‘il existe une "normativité sociale", concept que nous empruntons à Guy Rocher pour l‘aspect englobant de son propos face aux différentes dimensions normatives de la régulation sociale, constatons qu‘autant l‘éthique que le droit visent le contrôle des comportements sociétaux. Cela se réalise grâce à « [un] ensemble de […] normes, règles, principes, valeurs qui servent de guides, de balises ou de contraintes aux membres d‘une société, dans leurs conduites personnelles et collectives »105. Nous pouvons par conséquent affirmer que l‘éthique et le droit sont tous deux producteurs et récepteurs de normes. 103 Marie-France Bureau, Le droit de la filiation entre ciel et terre : étude du discours juridique québécois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009 à la p. 80. 104 Guy Rocher, Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Thémis, 1996 à la p. XII [Rocher, « Études »]; Elle se distingue de la sociologie pour le droit qui « a surtout voulu être au service du droit et des juristes en cherchant soit à mieux éclairer le contenu du droit par le contexte social auquel il se rapporte, soit à analyser le fonctionnement des institutions juridiques pour en corriger les défauts. » Ibid. 105 Guy Rocher, « La bioéthique comme processus de régulation sociale : le point de vue de la sociologie », dans Parizeau, supra note 64, 49 à la p. 49 [Rocher, « Régulation sociale »]. 36 Pour les mêmes raisons, nous adoptons corrélativement la définition selon laquelle une « norme est un discours (plus ou moins explicite) ou un comportement, descriptif ou prescriptif, dans la mesure où cette description ou prescription permet d‘évaluer ou de mesurer (et à la limite sanctionner) la conformité de son sujet à son objet »106. Ses formes sont multiples. Cela va du commandement au référent non obligatoire. En analysant les rapports du droit et des nouvelles technologies, quatre grandes sphères de création/application de normes peuvent être identifiées : les normes juridiques, les normes technoscientifiques, les normes éthiques et les normes socioculturelles peuvent être identifiées107. La définition retenue constitue par contre une parmi d‘autres et l‘ambiguïté sémantique originelle du terme peut faire en sorte qu‘il est difficile de le comprendre108. Il est notamment possible de noter que la norme « relève du sollen lorsqu‘elle désigne un modèle à reproduire et du sein lorsqu‘elle désigne un état habituel, conforme à la moyenne »109. Dans le contexte dans laquelle on la pose, la norme renvoie à un processus de socialisation110. Nous constatons alors qu‘elle est l‘aboutissement d‘une réflexion où les enjeux entrant en ligne de compte, au regard des acteurs concernés, mènent à l‘établissement de lignes directrices ou de modèles nécessaires au savoir vivre en commun, en société. Ceux-ci s‘appliquent tant aux conduites individuelles que collectives puisque dans toutes ces dimensions l‘individu appartient à un ensemble requérant une cohésion sociale. En retenant la définition reproduite en début de paragraphe, nous tendons vers la dimension sollen du corpus normatif qui permet d‘y inclure la 106 René Côté et Guy Rocher, en collaboration avec Andrée Lajoie et al., « Introduction », dans René Côté et Guy Rocher, dir., Entre droit et technique : enjeux normatifs et sociaux, Montréal, Éditions Thémis, 1994, 3 à la p. 8. 107 Ibid. à la p. 9. 108 Monnier, supra note 93 à la p. 21. 109 Ibid. 110 M.T. et D.L., « Norme », dans André-Jean Arnaud et al., dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1993, 399 à la p. 400. 37 recommandation qui oriente les comportements111. Cette vision des choses sert bien la démarche pluraliste que nous développons dans le cadre théorique. Les nouvelles technologies de la reproduction suscitent ainsi des enjeux qui interpellent ces deux domaines normatifs que sont l‘éthique et le droit. Ceux-ci interagissent grâce à l‘internormativité et se traduisent en l‘espèce par une norme de droit en évolution. Sûrement : « [l]e contrôle de la procréation artificielle ne s‘impose pas seulement pour des raisons économiques, sociales ou techniques, mais aussi pour rendre en pratique effectifs les interdits de nature éthique que le droit devrait formuler afin de limiter les risques psychosociaux pour l‘enfant comme pour la société, d‘un développement et d‘une banalisation sans encadrement normatif des procréations artificielles. »112 Cet extrait est évocateur de l‘enjeu relatif aux relations devant intervenir entre l‘éthique et le droit en tant qu‘instruments de régulation social dans le présent contexte. De fait, si le contrôle étatique de la procréation assistée par l‘entremise du législateur s‘impose afin de rendre effectifs les interdits de nature éthique que le droit devrait formuler, dans quelle mesure ce dernier doit-il le faire? Ou encore, est-il légitimé de le faire? Par le biais de quel intermédiaire, comment et en vertu de quels fondements113? Comment interagissent éthique et droit en pareilles circonstances? 111 Monnier, supra note 93 à la p. 22. Jean-Louis Baudouin et Catherine Labrusse-Riou, Produire l’homme : de quel droit? Étude juridique et éthique des procréations artificielles, Paris, Presses Universitaires de France, 1987 aux pp. 263-264. 113 « Que ce soit dans le but d‘élaborer des politiques en la matière ou d‘éliminer les ambiguïtés juridiques, la société doit s‘interroger sur les choix à faire face aux conflits existants et à la remise en question de certaines valeurs fondamentales et de certains principes de droit. » Commission de réforme du droit du Canada, supra note 58 à la p. 1. 112 38 René Côté et Guy Rocher soulignent qu‘au regard des phénomènes d‘incertitude croissante occasionnée par les développements technologiques, l‘importance des rapports dits d‘internormativité entre l‘éthique et le droit s‘accroît114. D‘ailleurs : « [s]i le rôle traditionnel du juriste est d‘élaborer la règle, d‘énoncer les principes et de mettre en œuvre les moyens par lesquels la société contrôle les comportements humains, il faut admettre que la tâche est de plus en plus complexe. En effet, déconcerté par le pluralisme idéologique et le développement sans précédent de la technoscience, le droit s‘avère aujourd‘hui impuissant à répondre aux nombreuses interrogations qu‘on lui soumet. Dans ce contexte, fonder les valeurs sur lesquelles doivent reposer nos actions et nos choix sociaux n‘est plus l‘apanage exclusif du droit, et l‘émergence de nouvelles normativités passe désormais aussi par l‘éthique. »115 Ceci est particulièrement vrai en procréation assistée. La sensibilité des enjeux et des choix sociaux qui en découlent ne peut être l’apanage exclusif de la loi selon une approche formelle et pragmatique. Cela requiert une approche nécessairement internormative, qui fasse sa place aux dimensions éthiques. La problématique à l‘étude en est un exemple flagrant. En effet, la décision de favoriser soit l‘anonymat des donneurs, soit la quête de l‘enfant quant à ses origines et l‘identité de son géniteur a des conséquences importantes pour toutes les parties en rapport. En découlent des affrontements de valeurs et des débats où l‘incertitude liée au "bon choix législatif"116, dans l‘optique où nous pouvions considérer l‘une ou l‘autre des positions comme étant la meilleure, requiert une réflexion allant au-delà du seul 114 Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 à la p. 27. Carmen Lavallée, « Éthique et droit en matière d‘adoption », dans Françoise-Romaine Ouellette, Renée Joyal et Roch Hurtubise, dir., Familles en mouvance: quels enjeux éthiques?, Saint-Nicolas/Sainte-Foy, Les Presses de l‘Université Laval, 2005, 209 à la p. 209. 116 Michèle Rivet souligne en ce sens que le comment d‘une intervention législative nous amène à considérer le principe de "la bonne loi". Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 459. 115 39 législateur et impliquant cette normativité qu‘est l‘éthique. Cela est tout aussi vrai quand nous considérons le choix des parents d‘informer ou non leur enfant des circonstances de sa naissance. S‘en dégage un pluralisme normatif offrant divers modes de régulation de la vie en société117 et pouvant s‘influencer mutuellement au moyen de l‘internormativité. À l‘instar d‘Yves Boisvert, citons Michel Crozier pour qui il ne faut pas moins d‘État, mais mieux d‘État118, tout en tenant compte de l‘univers éthique lié à l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Un adage classique tiré du latin dit que le droit est l‘art du juste et du bien, Jus est ars boni et aequi119. Alors que ce même droit évolue d‘une préoccupation d‘identification des personnes vers un souci de protection du sentiment d‘identité de l‘individu, celui-ci étant aiguisé par le possible déchiffrement de la vérité des origines120, c‘est tout là le défi auquel doit faire face le législateur dans son art du bien et du juste. Notamment dans la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons où sont confrontés des intérêts forcément divergents. Pour ce faire, nous proposons une étude des phénomènes d‘internormativité entre l‘éthique et le droit dans le cadre desquels ce dernier, toujours rattaché à l‘appareil étatique et à ses organes, se diffuse dans un univers normatif pluriel où se côtoient des normes de natures diverses qui interagissent et s‘influencent. Le regard éthique que nous 117 Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 à la p. 315 [Carbonnier, « Sociologie »]. 118 Yves Boisvert, « L‘éthique comme suppléance politique : une approche postmoderniste », dans Guy Giroux, dir., La pratique sociale de l’éthique, Bellarmin, 1997, 49 à la p. 73 [Giroux, « Pratique sociale »]. 119 Définition du droit donnée par le Digeste. Le petit Larousse illustré 1991, Paris, Librairie Larousse, 1990 à la p. 1046 120 L. Brunet, « Le principe de l‘anonymat du donneur de gamètes à l‘épreuve de son contexte. Analyse des conceptions juridiques de l‘identité », (2010) 20 :1 Andrologie 92 à la p. 99; L‘auteure spécifie également que « les débats actuels autour du principe de l‘anonymat du donneur ne doivent pas être abordés sur le seul terrain de la bioéthique mais dans le prolongement de la réflexion ancienne et évolutive que le droit mène sur les modes de construction juridique de l‘identité personnelle et familiale. » Ibid. 40 adoptons est plus précisément celui de la sollicitude qui est l'approche qui fut retenue par la Commission royale sur les nouvelles technologies de la reproduction121. Se basant sur l‘empathie et la responsabilité, l‘éthique de la sollicitude a d‘intéressant qu‘elle définit la personne non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui122. C‘est un élément vital de la problématique de l‘anonymat des donneurs où les acteurs demeurent inter reliés sous différents angles, que celui-ci soit affectif, biologique, sociologique ou juridique. L‘évolution historique du positionnement du corps médical face à la procréation assistée et ses exégètes montre notamment un élargissement des horizons dans l‘analyse qui en est faite. Dans les premiers balbutiements de la médecine reproductive, la priorité des cliniciens était le bien-être des couples infertiles. Depuis les années 1980, on se questionne davantage sur les effets à long terme de ces technologies sur le bien-être des enfants nés de ces traitements123. Cela inclut la question de l‘anonymat des donneurs. Or, cette ouverture doit se refléter sur le droit. Nous retrouvons finalement dans l‘éthique de la sollicitude cet élément prôné par Chabert qu‘est la quête de la conciliation plutôt que la simple hiérarchisation des intérêts opposés et ce, en trouvant des moyens novateurs de les éliminés ou de les atténuer 124. La priorisation des intérêts de l‘enfant, des parents ou des donneurs devient alors un effet du processus réflectif qui impose un passage obligé par une réconciliation des intérêts que nous 121 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 58. 122 Bartha Maria Knoppers dans Comité international de bioéthique (UNESCO), Actes : quatrième session, vol. II, Paris, France, 3-4 octobre 1996, 83 à la p. 86, En ligne : <http://portal.unesco.org/shs/fr/files/2312/105965925914VolumeII.pdf/4VolumeII.pdf> (Date d‘accès : 25 juillet 2009). 123 Anne Brewaeys, « How to care for the children? The need for large scale follow-up study », (1998) 13:9 Human Reproduction 2347 à la p. 2348; Voir également: Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret des origines / inceste / procréation médicalement assistée avec des gamètes anonymes : "ne pas l‘épouser" », (2009) 33 :1 Anthropologie et Sociétés 157 à la p. 160 [Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser »]. 124 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 60. 41 voulons équilibrée. L‘impact de l‘éthique de la sollicitude dans la production législative canadienne et québécoise ayant été peu abordé dans la littérature, bien que cette éthique fut critiquée au regard des nouvelles technologies de la reproduction 125, nous en testerons l‘efficience dans le contexte particulier de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Nous présentons dans ce chapitre préliminaire les trois principaux éléments au cœur de la thèse. Tout d‘abord, la contemporanéité de la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Puis, nous questionnant sur la balance des intérêts en présence eu égard à la pertinence de l‘anonymat, nous établissons qu‘il s‘agit d‘une responsabilité du législateur selon une approche pluraliste qui a recours à l‘internormativité en vue d‘instaurer un dialogue entre la règle de droit positif et l‘éthique de la sollicitude. Cette dernière apporte un nouvel angle de réflexion, en s‘intéressant à aux relations interpersonnelles et à l‘interdépendance entre les individus, dont le potentiel est intéressant dans le contexte de l‘anonymat. Le chapitre 1 expose la position théorique que nous adoptons. 125 Le recours à l‘éthique de la sollicitude comme cadre d‘analyse a par exemple été critiqué par Carol Bacchi et Chris Beasley, « Reproductive Technology and the Political Limits of Care », dans Margrit Shildrick et Roxanne Mykitiuk, dir., Ethics of the Body: Postconventional Challenges, Cambridge, The MIT Press, 2005, 175 aux pp. 175-177. 42 CHAPITRE 1 L’INTERNORMATIVITÉ…UN OUTIL D’IMPORTANCE DANS LA PROBLÉMATIQUE SUR L’ANONYMAT DES DONNEURS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS Nous établissons au chapitre préliminaire que dans le contexte des nouvelles technologies de reproduction, et plus spécifiquement de la problématique de l‘anonymat des donneurs, il est de la responsabilité du législateur d‘intervenir. S‘en trouve introduite la quête du "bon choix législatif". C‘est une perception fort importante car en France, où le secret et l‘anonymat sont la règle d‘or, cela était présenté jusqu‘à ce jour comme un choix de politique législative n‘étant pas la meilleure solution, mais la moins mauvaise126. « Faute de mieux » comme le souligne Laurence Brunet127. C‘est une nuance subtile porteuse de conséquences car on adhère ou non à cette solution selon sa propre éthique nous dit Frédérique Granet128. Aussi, la quête du "bon choix législatif" requiert une réflexion allant au-delà du seul législateur et impliquant cette normativité qu‘est l‘éthique129. 126 Certains parlent même d‘une « loi du moindre mal ». Geneviève Delaisi et Pierre Verdier, Enfant de personne, Paris, Éditions Odile Jacob, 1994 à la p. 249. 127 Brunet, supra note 120 à la p. 93. 128 Frédérique Granet, « Secret des origines et promesse de filiation (Procréation médicalement assistée, filiation et connaissance des origines) », dans Jean-Louis Baudouin, J. L. assisté par Sonia Lebris, dir., Actes des JOURNÉES STRASBOURGEOISES de l’Institut canadien d’études juridiques supérieures 1996 : DROITS DE LA PERSONNE : «Les bio-droits». Aspects nord-américains et européens, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, 31 à la p. 42. 129 Christian Atias le suggère ainsi : « Et si le droit, sans prétendre maîtriser les sciences et les techniques au nom d‘une vérité morale, d‘un savoir qui dispense de penser, réapprenait à les interroger au nom de l‘éthique, à les inquiéter au nom d‘une expérience éthique. Il le pourrait, s‘il cessait d‘être conçu comme pourvoyeur de réponses toutes prêtes, pour redevenir ce maître à poser les questions, que par nature il est. » Christian Atias, « Rapport entre éthique et droit », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, supra note 52, 217 à la p. 230. 43 D‘ailleurs, le droit est de plus en plus mis à contribution pour solutionner des conflits liés à des questions de morale publique et d‘éthique130. Dans ce contexte, les tribunaux estiment qu‘il appartient au législateur de trancher dans les débats philosophiques131 et émettent des décisions judiciaires adoptant une approche minimaliste. En vertu de cette dernière, « les juges évitent de se prononcer sur les aspects plus fondamentaux, philosophiques ou éthiques, que soulèvent les litiges soumis à leur pouvoir décisionnel »132. Selon une stratégie de réduction de la complexité des problématiques portées à leur attention, ils tranchent en laissant irrésolues les questions sous-jacentes les plus fondamentales133. À cet égard, Daniel Weinstock nous met en garde contre la moralisation du système judiciaire; phénomène par lequel il existe de plus en plus une tendance à confondre le type de jugement que rendent les tribunaux, surtout ceux de la Cour Suprême, avec des jugements moraux134. Si le législateur a la responsabilité de décider des questions éthiquement litigieuses, en particulier dans le cas des technologies de la reproduction, il ne peut le faire en évacuant totalement l‘éthique. Dans ce contexte, l‘internormativité est 130 André Lacroix et al., « Les transformations sociales et la théorie normative du droit », (2002-2003) 33 R.D.U.S. 3 à la p. 4. 131 Telle fut l‘opinion de la Cour suprême du Canada dans l‘affaire Tremblay c. Daigle où la haute instance de justice a spécifié que « [l]a Cour n'est pas tenue d'intervenir dans les débats philosophiques et théologiques quant à savoir si le f{oe}tus est une personne; sa tâche est plutôt de répondre à une question juridique, à savoir si le législateur québécois a attribué au f{oe}tus le statut de personne. […] Les décisions fondées sur des choix sociaux, politiques, moraux et économiques au sens large, doivent plutôt être confiés au législateur. » Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, 1989 CanLII 33 (C.S.C.), <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1989/1989canlii33/1989canlii33.html>, (Date d’accès : 1er octobre 2010). 132 Stéphane Bernatchez, « La fonction paradoxale de la morale et de l‘éthique dans le discours judiciaire », (2006) 85 R. du B. can. 221 à la p. 230. 133 Ibid. à la p. 223 134 Daniel Weinstock, « Le droit n‘est pas l‘éthique, et l‘éthique n‘est pas le droit : contre la confusion des genres », dans Pierre Noreau, Le droit à tout faire : exploration des fonctions contemporaines du droit, 2008, Montréal, Les Éditions Thémis, 185 à la p. 187. 44 l‘instrument permettant l‘instauration d‘un véritable échange entre les deux types de normativité. Cela représente d‘une part tout un défi. Jean-Louis Baudouin nous rappelle en effet que « [l]a loi n‘est qu‘un mécanisme régulateur des conflits sociaux et peut-être même le plus imparfait. En outre, la loi n‘a jamais réglé les problèmes sociaux dont les enjeux sont éthiques. L‘intervention du législateur ne peut donc en la matière faire disparaître les controverses et trancher les conflits comme par un coup de baguette magique »135. Par là même, l‘auteur pose un bémol important visant à éviter l‘idéalisation du rôle et des pouvoirs du législateur. De fait, si une réponse législative est apportée, celle-ci étant même nécessaire dans le cas de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, cela ne signifie pas pour autant que l‘enjeu éthique soit définitivement réglé. Ainsi, en dépit du cadre juridique actuel, rien n‘empêche que le débat sur l‘anonymat continue de semer la controverse et que le législateur soit amené à changer la loi. Outre notre objet d‘étude, les exemples sont nombreux. Dans un tout autre domaine, l‘aide au suicide, bien qu‘illégale136, soulève des questions et des doutes tels qu‘une Commission parlementaire spéciale sur la question de mourir dans la dignité a été mise sur pied par l‘Assemblée Nationale du Québec en décembre 2009137. 135 Jean-Louis Baudouin, « Rapport de synthèse », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, supra note 52, 205 aux pp. 214-215. 136 Code criminel, L.R. 1985, ch. C-46, art. 241 b). 137 Voir : Québec – Assemblée Nationale, Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité – Compétences actuelles, Québec, En ligne : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/commissions/csmd-39-1/index.html> (Date d‘accès : 4 septembre 2010) et Québec – Assemblée Nationale, Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité – Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité, En ligne : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CSMD/consultations/consultation-9720100525.html> (Date d‘accès : 4 septembre 2010); Le Barreau du Québec y a soumis son mémoire le 30 septembre 2010 : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes : Le Barreau du Québec réclame un meilleur accès aux soins palliatifs et prend position pour le droit de mourir avec une assistance médicale, Montréal, 30 septembre 2010, En ligne : <http://www.barreau.qc.ca/actualitesmedias/communiques/2010/20100930-soins-fin-vie.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010); Voir le rapport de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie : Commission de l‘éthique de la science et 45 Dans le contexte contemporain de transformation du droit vers une analyse postmoderne de la norme138, certains iront jusqu‘à dire que le droit, ne semblant plus pouvoir être en mesure de gérer à lui seul tout le débat public relatif à la nouvelle demande d‘éthique, est en crise139. Pour un, André Lacroix, cette sollicitation correspond à la réflexion sur la norme et les valeurs sous-jacentes ainsi qu‘à la formulation d‘un choix rationalisé lorsque la réalisation d‘une action soulève des apories quant à l‘agir140. Un autre précise que la "crise du droit" et la demande sociale d‘éthique tirent en premier lieu leur source du déclin de l‘État Providence face à un discours de "responsabilisation" de la société civile. En vertu de ce dernier, les individus, les groupes et les organisations qui profitaient du support de l‘État depuis une époque florissante de l‘économie doivent apprendre de plus en plus à s‘en passer. En second lieu, la "crise du droit" peut être interprétée comme une incapacité des mécanismes juridiques à réguler tous les domaines de la société, faisant apparaître un problème de régulation. Le rôle de l‘éthique serait alors d‘équilibrer ou de compléter la régulation que le droit ne parviendrait pas à établir par lui seul141. Certains iront ainsi jusqu‘à parler de changement de paradigme142. Effectivement : de la technologie, Document de réflexion : mourir dans la dignité – Des précisions sur les termes et quelques enjeux éthiques, Québec, 2010. 138 À ce propos, voir l‘excellent ouvrage de Benyekhlef, supra note 97. 139 André Lacroix, « L‘éthique et les limites du droit », (2002-2003) 33 R.D.U.S. 195 à la p. 204; JeanClaude Rocher, Fondements éthiques du droit 1. Phénoménologie, Paris, FAC éditions, 1993 à la page 69; Voir également : Pauline Maisani et Florence Wiener, « Réflexions autour de la vision post-moderne du droit », (1994) 27 Droit & Société 443 à la p. 445 : De l‘avis des auteurs, la crise est triple. « L‘État connaît des difficultés dans l‘exercice de sa fonction de régulation et partant dans la production des règles juridiques; la règle de droit elle-même est confrontée à une crise de rationalité suscitée par son incapacité croissante à rendre compte du réel et à le façonner; enfin l‘outil juridique voit de ce fait sa légitimité contestée comme source de régulation sociale. ». 140 Lacroix, supra note 139 aux pp. 200-201. 141 Guy Giroux, « La demande sociale d‘éthique », dans Giroux, « Pratique sociale », supra note 118, 27 à la p. 39 [Giroux, « Demande sociale »]. 142 François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications de Facultés universitaires Saint-Louis, 2000 aux pp. 13 et suivantes. 46 « [c]omme toute production sociale, le droit se transforme au gré des changements technologiques, économiques, culturels et sociaux. Or, à l‘aube du XXIe siècle, cette transformation s‘avère toute particulière en ce qu‘elle semble révéler les limites du droit comme mode privilégié et monolithique de régulation de nos sociétés. De fait, alors que le droit semblait pouvoir faire l‘économie des autres formes de normativité sociales et reléguer aux oubliettes les théories normatives morales du droit par l‘adhésion à la théorie positiviste, l‘éthique et la morale reviennent poser nombre d‘interrogations au droit et à sa transformation. »143 En raison de sa popularité grandissante, plus rien n‘échapperait à l‘éthique. Au point de la transformer en pratique sociale. Ainsi, plutôt que d‘être réservée à la conscience de chaque individu, l‘éthique imprègne, aux dires de Guy Giroux, le climat contemporain, « comme si elle allait maintenant représenter un passage obligatoire à emprunter pour la conduite de notre vie collective »144. La demande d‘éthique n‘est certes pas étrangère aux progrès considérables de la technologie et de la science, notamment en matière de procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes et incertitudes qu‘ils engendrent145. Cet état de fait force tout d‘abord à constater un éloignement de l‘approche traditionnelle de la théorie du droit qui a beaucoup contribué à distinguer le droit étatique146 de toutes les autres formes de normativité147. Cela nous mène par la suite à une 143 Lacroix et al., supra note 130 à la p. 3; Édith Deleury souligne quant à elle que le syndrome ou l‘indicateur de cette crise que traverserait le droit serait son incapacité à répondre aux multiples interrogations soulève la médecine scientifique. Deleury, « Rapports », supra note 73 aux pp. 103-104. 144 Guy Giroux, « L‘éthique : une perspective de changement ou de statu quo social ? », dans Giroux, « Pratique sociale », supra note 113, 15 à la p. 15 [Giroux, « Changement ou statut quo »]. 145 Notre réflexion sur la pente glissante dans le contexte du diagnostic préimplantatoire en est un exemple. Voir : Cousineau et Decroix, « Argument de la pente glissante », supra note 70. 146 C‘est-à-dire la théorie positiviste du droit dont Kelsen est le principal représentant. Voir : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, LGDJ, 1999. 147 Pierre Noreau, « La norme, le commandement et la loi: le droit comme objet d‘analyse interdisciplinaire », (2000) 19 :2-3 Politique et Société 153 à la p. 160; « Cette ambition visait d‘abord à différencier le droit et la morale. Or cette distinction est au cœur des désaccords qui subsistent entre le droit et la sociologie. » Ibid. 47 réflexion sur la place de l‘éthique dans le développement de la loi. Le droit que nous avons identifié comme instrument de régulation de comportement sociétaux, au même titre que l‘éthique, s‘inscrit dès lors dans un social où l‘on cherche l‘effondrement des barrières entre les divers systèmes normatifs, afin de voir émerger une internormativité. Cette dernière constitue en somme l‘outil permettant l‘établissement d‘échanges entre ces systèmes. Or, la quête d‘internormativité suppose avant tout l‘adoption de la thèse pluraliste selon laquelle plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent au même moment148 dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction. Compte tenu de toutes les subtilités liées à la compréhension du pluralisme, nous consacrons donc la première section du présent chapitre à l‘exposé de ses principales caractéristiques. Subséquemment, nous nous attardons à l‘éthique de la sollicitude et, finalement, aux manifestations définissant les phénomènes d‘internormativité. Avant de poursuivre notre réflexion, nous devons faire une mise en garde au lecteur. Tels que le soulignaient si judicieusement certains auteurs, la question de la relation entre le droit et l‘éthique n‘est pas définitivement résolue et ne le sera sans doute jamais. Les théories portant sur ces relations sont vouées à être remises en question au fur et à mesure que de nouvelles questions surgissent et que la société évolue149. Aussi, l‘approche que nous proposons est développée en fonction de notre propre vision de 148 Ainsi le pluralisme juridique est-il pour Ost et van de Kerchove « le simple fait que plusieurs systèmes juridiques coexistent au même moment. » Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 186. 149 David J. Roy et al., La bioéthique : ses fondements et ses controverses, Saint-Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique, 1995 à la p. 91. 48 l‘internormativité et pour le cadre particulier des nouvelles technologies de la reproduction, plus spécifiquement celui concernant l‘anonymat des dons d‘engendrement. SECTION 1 : DU PLURALISME Il est difficile de s‘y retrouver dans ce paradigme qu‘est le pluralisme. Il s‘agit d‘un concept polysémique, voir polymorphe, où les auteurs et les courants définitionnels sont aussi multiples que variables. À effet miroir, nous croyons d‘ailleurs qu‘il n‘y a pas qu‘une seule vision juste, mais un ensemble d‘approches étant le reflet de la personne travaillant sur le sujet. Autant juristes, sociologues, politicologues qu‘anthropologues y ajoutent leur grain de sel et, parfois même, avec un regard pluri, inter ou transdisciplinaire. Nous pouvons aller jusqu‘à parler des pluralismes dans leur dimension la plus étendue allant du juridique au normatif. Jean-Guy Belley souligne d‘ailleurs que les juristes, les historiens, les sociologues, les anthropologues ou les géographes du droit ne sont pas pluralistes de naissance; ils ou elles le deviennent par choix conscient150. Notre propre parcours académique étant juridiquement classique en droit civil et peut-être même par insécurité juridique, il nous est ardu de se détacher de la vision conservatrice et purement positiviste de ce qu‘est le droit. C‘est-à-dire comme étant composé « 1º de l‘ensemble des règles, normes et principes; 2º que l‘on trouve dans les textes qui émanent; 3º soit d‘organismes publics ou étatiques habilités à dire le droit; 4º soit de personnes, de groupes de personnes, d‘organismes privés qui agissent ou passent 150 Jean-Guy Belley, « Le droit comme terra incognita : Conquérir et construire le pluralisme juridique », (1997) 1 Can. J.L. & Soc. 1 à la p. 8 [Belley, « Terra incognita »]. 49 des ententes en vertu de pouvoirs reconnus par l‘état ou le droit de l‘État »151. Nous apprécions cette définition pour son caractère large englobant l‘ensemble des sources du droit liées aux autorités publiques. Celui-ci recouvre tant les lois émanant du législateur reconnu (codes ou lois), les règlements passés par le pouvoir exécutif ou des organismes habilités à cet effet, les jugements des tribunaux que les actes (e.g. testaments) ou ententes (e.g. contrats) par lesquels des personnes ou des groupes, des organismes (publics ou privés) créent des droits subjectifs et des obligations pour eux-mêmes ou pour d‘autres152. Alors que nous prétendons que c‘est au législateur qu‘incombe la responsabilité principale de réguler le domaine de la procréation assistée, nous croyons néanmoins que le droit participe aux phénomènes d‘internormativité avec l‘éthique. Nous avons en largement expliqué l‘importance au regard des nouvelles technologies de la reproduction. Puisque « [l]‘internormativité postule le pluralisme »153 et que nous étendons au maximum les frontières de la norme, dans son sens le plus large tel que nous l‘avons défini au chapitre préliminaire, en y reconnaissant un discours ou un comportement descriptif ou prescriptif qui existe au sein de la normativité sociale, nous en venons à l‘équation selon laquelle la "normativité = normes juridiques + normes non juridiques". Ainsi, « le droit est chargé de la conception et de la mise en œuvre d‘une action normative mais il n‘en a pas le monopole. La "stratégie légale" se confronte avec d‘autres "stratégies 151 Rocher, « Études », supra note 104 aux pp. 123-124. Ibid. 153 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 796. 152 50 sociales" qui visent, au même titre que le droit, à imposer des règles de comportement, des modèles de conduite et à influencer sur eux »154. Par défaut professionnel peut-être, puisque appartenant à la famille des avocats civilistes ayant globalement un regard de praticien, nous demeurons donc attachés au fait que le droit soit issu de l‘État et de ses organes. Nous ne pouvons par contre pas l‘enfermer dans une tour d‘ivoire ou un carcan hermétique à l‘abri de toute influence extérieure où seule la divine entité étatique dispose de légitimité réflective nécessaire à son élaboration, ni le considérer comme l‘élément unique du corpus juridique. Nous nous retrouvons alors en face d‘une sorte de paradoxe. Nous opérons tout à la fois une inclusion et une exclusion entre l‘univers juridique et l‘État. Ce dernier est à la source du droit, mais il n‘a pas l‘exclusivité du phénomène juridique dans sa totalité. Certains auteurs font également cette distinction155. André-Jean Arnaud présente par exemple le droit comme étant un des systèmes juridiques; celui qui est posé et imposé par un auteur investi du pouvoir de dire le droit en un temps et un lieu précis pour un groupe déterminé. Lorsque l‘on y fait référence, on parlera du système de droit156. La particularité du droit ne provient pas d‘un caractère formel de par sa forme écrite, mais de l‘autorité qui le développe et d‘une légitimation découlant de son interaction avec les autres formes de normativité dans la recherche d‘un consensus, la participation des personnes intéressées à son élaboration et une efficacité de son contenu157. 154 Jacques Commaille et Jean-François Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », (1985) 1 Droit & Société 117 à la p. 127. 155 M.A. et N.O.A, « Juridicité », dans Arnaud et al., supra note 110, 323 à la p. 324. 156 André-Jean Arnaud, Critique de la raison juridique 1. Où va la sociologie du droit, Introduction, En ligne : <http://www.reds.msh-paris.fr/publications/collvir/crj-html/1-introduction.htm#_Toc100025294> (Date d‘accès : 6 avril 2010) [Arnaud, « Critique »]. 157 Monnier, supra note 93 à la p. 26. 51 Les normes juridiques incluent en conséquence le droit et un ensemble plus large de normes qui sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Ainsi, les normes sociales peuvent avoir une contraignabilité et cela constitue l‘un des critères déterminant de leur appartenance à un ordre juridique ou à un ordre normatif158. Cette contraignabilité ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le pluralisme normatif. Celui-ci est effectivement inclusif des autres formes de normativité. Nous pouvons imager cela sous la forme d‘une cible dont la ligne extérieure est celle du pluralisme normatif. Le premier cercle intérieur distingue les normes juridiques du social non juridique. Le point central étant finalement le droit tel que défini dans le positivisme159. Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité où l‘internormativité intervient selon des mouvements continus d‘inter influence. Les normes peuvent tout autant s‘influencer au sein d‘un même ordre qu‘opérer des passages d‘un ordre à l‘autre. 158 Nous exposons les critères qui distinguent un ordre juridique d‘un ordre normatif au sous-point 3 de la présente section. 159 Nous référons ici à la définition que nous avons adoptée en début de section. 52 PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ Ordre normatif Ordre juridique Droit positif Dans la présente section, nous nous attardons à démontrer que notre position à l‘égard de la réglementation des nouvelles technologies de la reproduction implique forcément un éloignement du monisme du droit positif. Puis, cela nous mène à explorer les différentes dimensions du pluralisme que nous qualifions tantôt de normatif, tantôt de juridique. En dernier lieu, nous présentons les critères qui nous permettent de les distinguer. 53 1- ELOIGNEMENT DE L’ASPECT MONISTE DU DROIT POSITIF Notre réflexion concerne l‘impact de l‘éthique de la sollicitude ou la place que celle-ci occupe dans la production législative des normes applicables à la problématique de l‘anonymat des donneurs. Or, de manière générale nous percevons la production législative comme un processus dynamique allant de l‘adoption des lois par le législateur à leur évolution continuelle dans le temps. Il s‘agit d‘une démarche importante au regard de la légitimité du droit étatique. Celle-ci est perçue comme se fondant, entre autres, sur sa prééminence sur les autres sources de normativité160 qui, elles-mêmes, contribuent à l‘élaboration de la règle de droit en mutation grâce aux phénomènes d‘internormativité. Le graphique ci-dessus schématise ce processus. Normes éthiques Adoption de la règle de droit Règle de droit en évolution dans le cadre de phénomènes d’internormativité Règle de droit mutée VIE DE LA RÈGLE DE DROIT – ÉVOLUTION DYNAMIQUE DANS LE TEMPS Normes éthiques 160 Pierre Noreau, « La scolarité, la socialisation et la conception du droit : un point de vue sociologique », (1997) 38 :4 C. de D. 741 à la p. 741. 54 Jusqu‘à un certain degré nous adhérons à cette vision de la légitimité du droit en fonction de sa prééminence puisque nous continuons de l‘identifier à l‘État, lui conférant par le fait même un statut supérieur. La teneur de notre conviction se trouve par contre affaiblie et en quête de conciliation puisque nous adoptons également la position selon laquelle le droit participe « à une réalité plus large, à un ordre normatif étendu. […] [Il] n‘exerce pas de véritable monopole sur la définition des normes qui régissent chaque société à un moment précis de son développement. Il doit composer avec les normes venant d‘autres sources normatives »161. Jean-Guy Belley l‘illustre bien en ayant recours à l‘allégorie du droit soluble en vertu de laquelle la normativité juridique devient une molécule chimique se diluant dans la solution de la régulation sociale globale162. Cela participe au dynamisme évolutif de la loi qui, dès lors, doit tenir compte et interagir avec l‘environnement dans lequel elle s‘insère et s‘applique. S‘ensuit un éloignement obligé du monisme qui est la conviction qu‘il n‘y a qu‘un seul ordre juridique correspondant à un espace géographique163. Notre regard se tourne donc vers une approche sociologique devant faire éclater cette idéologie pour qui le fait du pluralisme est évacué et occulté164. Il faut briser la thèse selon laquelle le droit est un, c‘est-à-dire un tout homogène, un bloc sans fissures, parce qu‘il se confond avec l‘État et 161 Ibid. à la p. 743. Jean-Guy Belley, « Une métaphore chimique pour le droit », dans Jean-Guy Belley, dir., Le droit soluble : Contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1996, 7 aux pp. 7 et suivantes [Belley, « Métaphore » / Belley « Droit soluble »]; Cette interprétation de Belley est tirée de Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 15. 163 Roderick A. Macdonald, « L‘hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées », (2002-2003) 33 R.D.U.S. 133 à la p. 135 [Macdonald, « Hypothèse »]. 164 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 127. 162 55 que dans un milieu social donné un seul État peut logiquement trouver sa place165. La logique positiviste classique exclut du corpus juridique, donc du droit, toute règle n‘émanant pas de l‘État ou d‘un de ses organes. Dans ce contexte, la loi est omnipotente et « [l]es ordres normatifs concurrents potentiels de l‘État sont absorbés par ce dernier qui, seul, peut décréter ce qui constitue du droit. En les absorbant, l‘État les transforme et ceux-ci perdent toute originalité pour se confondre avec le droit étatique. »166. Pourtant, même si l‘État est à l‘origine du droit, et donc d‘une partie de l‘univers juridique, cet environnement juridique peut également contenir des normes qui ne sont pas des règles de droit positif telles qu‘édictées par l‘État ou ses représentants. Nous exposons ce phénomène dans les deux sous-sections qui suivent où nous étudions le pluralisme et ses différentes manifestations ainsi que la distinction entre ordre normatif et ordre juridique. Dans le dernier cas, et nous expliquons alors pourquoi, les normes éthiques dont se dote un comité d‘éthique à la recherche sont un bon exemple de normes juridiques non étatiques. Elles ne sont donc pas du droit. Qui plus est, cette absorption par le droit étatique ne devrait pas avoir lieu sans au préalable avoir établi un rapport dialectique avec l‘ordre normatif de départ, que celui-ci soit juridique ou non. Il importe ainsi de considérer que cet ordre de départ conserve son originalité et son identité propre, mais que suite à une interaction avec l‘œuvre du législateur il peut en résulter un droit nouveau. Ainsi, lorsqu‘un phénomène d‘internormativité se produit, il ne nous apparaît pas pour autant que toute trace de l‘ordre de départ est amalgamée au droit. Comme nous le constatons en troisième section, la 165 Jean Carbonnier, Flexible droit : Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2001 à la p. 18 [Carbonnier, « Flexible droit »]. 166 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 44. 56 notion d‘absorption réfère à l‘une des manifestations de l‘internormativité, mais il ne s‘agit pas du seul type d‘interaction possible. Dans le cas présent, lorsqu‘il s‘agit du droit, peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé"167 dont les frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une influence formelle. 2- COMPRENDRE BRIÈVEMENT LE DIFFÉRENTES MANIFESTATIONS PLURALISME ET SES La thèse du pluralisme est complexe et est le fruit de différents courants dans l‘histoire168. Nous ne prétendons pas ici en représenter toutes les nuances, mais nous cherchons plutôt à établir les bases de notre propre conception. Celle-ci se fonde sur les préceptes que nous avons retenus au chapitre préliminaire. À savoir, que le droit s‘inscrit dans le social au point d‘en constituer un construit169. Corrélativement, au regard des différentes dimensions normatives de la régulation sociale, il existe une "normativité sociale" faisant en sorte qu‘autant l‘éthique que le droit visent la régulation des comportements sociaux170. Ils sont tout à la fois producteurs et récepteurs de normes. En conséquence, la vision pluraliste et l‘éloignement de l‘aspect moniste du droit positif, nous mène à opérer une distinction entre le pluralisme normatif et le pluralisme juridique 167 Jean Carbonnier, Droit civil – Introduction : Les personnes – La famille, l’enfant, le couple, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 au no 41, p. 76 [Carbonnier, « Droit civil »]: « Comme s‘il éprouvait une nostalgie du droit naturel à toujours demeurer au ras des normes ou des phénomènes, le positivisme se laisse parfois emporter par un mouvement de sublimation, de transcendance. ». 168 Voir à ce propos Jean-Guy Belley, « L‘État et la régulation juridique des sociétés globales. Pour une problématique du pluralisme juridique », (1986) 18 :1 Sociologie et Sociétés 11 [Belley, « Sociétés globales »]. 169 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 27. 170 Rocher, « Régulation sociale », supra note 105 à la p. 49. 57 en tant que parties intégrantes de la régulation sociale. D‘ailleurs, le pluralisme juridique est également un objet de nature multiple constitué du droit et du social juridique. 2.1 Le pluralisme normatif au carrefour de la régulation sociale et de la normativité Le pluralisme a minima normatif se conçoit par le fait que le droit ne constitue pas la seule façon de réguler la vie de l‘homme en société171. Il s‘intéresse à la place que le droit occupe dans l‘économie normative générale, celle-ci étant caractérisée par des zones de recouvrements entre le juridique et le social172. C‘est parce que nous sommes, pour reprendre les propos de Jean Carbonnier, enserrés dans une pluralité de systèmes de normes, ou polysystémie173, qu‘il importe de comprendre l‘interaction entre ceux-ci174. Ces interactions ou zones de recouvrement relèvent justement de l‘internormativité que nous promouvons dans la présente réflexion sur l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. L‘hypothèse du pluralisme normatif est parfois qualifiée de "faux pluralisme"175. Notamment par Sébastien Lebel-Grenier dans sa thèse de doctorat où il explique que le "faux pluralisme" n‘est en fait composé que d‘une pluralité de normativités alternatives 171 Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 315. Jacques Commaille, « Normes juridiques et régulation sociales. Retour à la sociologie générale », dans Chazel et Commaille, supra note 59, 13 à la p. 15 [Commaille, « Normes juridiques »]. 173 Nous empruntons le terme à Arnaud, « Critique », supra note 156; Il existe un débat quant à la distinction en ordre et système, mais pour les besoins de cette thèse nous effectuons entre eux une synonymie. Sur la distinction, voir par exemple: David Sindres, La distinction des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, Paris, LGDG, 2008. 174 Il s‘agit de l‘hypothèse du pluralisme normatif présentée par l‘auteur. Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 à la p. 96. 175 Lauréline Fontaine, « Le pluralisme comme théorie des normes », dans Lauréline Fontaine, dir., Droit et pluralisme, Bruxelles, Bruylant et Némésis, 2007, 125 à la page 139 (note 10). 172 58 subordonnées au droit étatique ou marginalisées pour leur importance176. Comme si les normes ne relevant pas du juridique n‘avaient pas une existence propre ou étaient sans valeur puisque trop en marge du phénomène de la régulation étatique. Nous croyons néanmoins que le pluralisme normatif dispose d‘une légitimité réelle dans l‘univers auquel participe le droit. Celui-ci, malgré ses imperfections, demeure peut-être l‘expression la plus achevée de l‘idéal démocratique177, au risque de devenir porteur de vérité et discours de pouvoir178, mais la norme étatique ne dispose pas du monopole de la régulation sociale globale. Cette dernière incorpore dans son habitus tant des phénomènes juridiques pluriels que non juridiques. Cela nous ramène à notre équation initiale selon laquelle la "normativité = normes juridiques + normes non juridiques". Renvoyer à la normativité c‘est d‘ailleurs faire référence aux différents modes de régulation sociale dans lesquels s‘inscrivent différentes catégories de normes179. Un retour sur le systémisme, ou théorie des systèmes, permet de bien concrétiser l‘ensemble de ces phénomènes. La régulation en constitue en effet un élément-clé180 : 176 Sébastien Lebel-Grenier, Pour un pluralisme juridique radical, D.C.L., Université McGill, Montréal, 2002 à la p. 56; Lauréline Fontaine souligne qu‘un auteur a proposé une autre distinction entre "droit pluraliste" (« Lorsque l‘État admet qu‘il y a sous sa tutelle d‘autres organes qui créent un droit qu‘il consent à reconnaître et à intégrer »), mettant en lumière un "pluralisme sociologique", et "pluralisme juridique" (« Existence, dans les cadres de l‘État, d‘organes qui sécrètent un droit dont la force obligatoire est la même que celle du droit étatique, que cette équivalence soit reconnue et admise par l‘État ou qu‘elle lui soit imposée »). Léon Ingber, « Le pluralisme juridique dans l‘œuvre des philosophes du droit », dans John Gilissen, dir., Le pluralisme juridique, Bruxelles, Éditions de l‘Université de Bruxelles, 1972, 57 à la p. 83 tiré de Fontaine, supra note 175 à la page 139 (note 10). 177 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 835. 178 Deleury, « Rapports », supra note 73 à la p. 104; L‘auteure ajoute que nous demandons aujourd‘hui au droit d‘être en quelque sorte notre directeur de conscience et de délimiter pour nous un ordre de valeurs. Ibid. 179 Luc Bégin, « La normativité dans les comités d‘éthique clinique », dans Marie-Hélène Parizeau, dir., Hôpital et éthique. Rôles et défis des comités d'éthique clinique, Québec, Presses de l‘Université Laval, 1995, 32 aux pp. 33-34. 180 Jacques Chevallier, « La régulation juridique en question », (2001) 49 Droit & Société 827 à la p. 828 [Chevalier, « Question »]. 59 « tout système organisé, formé d‘un ensemble d‘éléments interdépendants et interagissant, serait en effet en permanence confronté aux facteurs de déséquilibre et d‘instabilité provenant de son environnement; la régulation recouvre l‘ensemble des processus par lesquels les systèmes cherchent à maintenir leur « état stationnaire », en annulant l‘effet des perturbations extérieures. »181 Talkot Parson fut le premier à proposer une théorie du "système social" (la société et ses composantes pouvant être analysées comme des systèmes sociaux), mais c‘est à Niklas Luhmann qu‘on en doit le plus haut niveau d‘abstraction182. Ce dernier a établi que tout ordre juridique peut être analysé comme un système social183. Le droit devenant un soussystème du système qu‘est la société184. Cela l‘amena à le concevoir comme étant paradoxalement tout à la fois fermé sur lui-même et ouvert sur son environnement. Fermé, car le droit est doté d‘une logique et d‘une rationalité propre en définissant l‘identité et la spécificité. Ouvert, parce qu‘il subit sans arrêt, à ses frontières, des irritants le confrontant à des situations, des contraintes de la part des autres systèmes sociaux, économiques, politiques, culturels. Tout à la fois un système juridique ou normatif en subit les influences en choisissant de les absorber et de les intégrer, mais il peut aussi décider de repousser ces éléments étrangers et les maintenir à l‘extérieur de ses frontières185. 181 Ibid.; Raymond Gassin définit un système comme « un ensemble d‘éléments en interaction, les uns avec les autres, c‘est-à-dire entretenant entre eux des relations spécifiques ». R. Gassin, « Système et droit », (1981) 3 R.R.J. 353 à la p. 356. 182 Guy Rocher, Le «regard oblique» du sociologue sur le droit, Cycle de conférences conjoint CRDP/Faculté de droit : Dans le regard de l'autre... In the Eye of the Beholder..., 23 novembre 2004 à la p. 8, En ligne : <http://www.crdp.umontreal.ca/fr/activites/evenements/041123GR_texte.pdf> (Date d‘accès : 17 août 2009) [Rocher, « Regard oblique »]; Talcot Parson, The Social System, Glencoe, Ill., Free Press, 1951; Niklas Luhmann, Law as a Social System, trad. par Klaus A. Ziegert, Oxford, Toronto, Oxford University Press, 2004 183 Rocher, « Regard oblique », supra note 182 à la p. 8. 184 Niklas Luhmann, « Le droit comme système social », (1994) 11/12 Droit & Société 53 à la p. 55. 185 Rocher, « Regard oblique », supra note 182 aux pp. 8-9. 60 Certains nous mettent en garde contre l‘utilisation du vocable "régulation"186, victime de son succès, qui est devenu un de ces mots passe-partout, omnibus187, au point que ses frontières sont de plus en plus poreuses et son contenu imprécis188. C‘est un avertissement qui dans un autre contexte pourrait peut-être s‘avérer prudent, mais que nous choisissons d‘ignorer dans le cadre de notre problématique. En démontrant dans le chapitre préliminaire que les nouvelles technologies de reproduction, et plus spécifiquement la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, requièrent une réflexion allant au-delà du seul législateur et impliquant cette normativité qu‘est l‘éthique, nous avons au contraire mis en place les fondations de sa pertinence conceptuelle au regard le pluralisme normatif. D‘ailleurs, la notion de régulation présente un intérêt afin de comprendre et d‘expliquer la demande d‘éthique à laquelle fait face la "crise du droit". Alors que les mécanismes juridiques semblent incapables de réguler tous les domaines de la société, l‘éthique arriverait en renfort afin d‘équilibrer ou de compléter ce processus189. Citant deux autre auteurs, Guy Giroux ajoute que : « [s]’il y a plusieurs façons d’appréhender la demande sociale d’éthique à notre époque, une piste féconde pour y arriver est celle de la régulation, comme nous l’avons suggéré. À ce sujet, Rouban dira par exemple, que « la demande d’éthique est liée à la crise du droit comme système de régulation entre l’individu et la collectivité ». Cohen-Tanugi dira, pour sa part, que : « La revalorisation du droit participe […] du retour du sujet et de l’éthique comme dimension essentielle des rapports sociaux. »190 186 Pour une brève analyse du terme, voir : Monnier, supra note 93 aux pp. 39-42. Jacques Chevallier, « De quelques usages du concept de régulation », dans M. Maille, dir., La régulation entre droit et politique, Paris, L‘Harmattan, 1995, 71 à la p. 95. 188 Thibaut Duvillier, « Crise de société et complexification sociétale. Crise du droit et régulation juridique », 2000 45 R.I.E.J. 27 à la p. 39. 189 Giroux, « Demande sociale », supra note 141 aux pp. 28 et 39. 190 Ibid.; Luc Rouban, « Pour une réflexion politique en matière d‘éthique », dans Procréations humaines et société techno-scientifique. Le Supplément. Revue d’éthique et théologie morale, Paris, Éditions du Cerf, 1990, 143; Laurent Cohen-Tanugi, La métaphore de la démocratie, Paris, Éditions Odile Jacob, 1989 à lap. 28. 187 61 En tant que mécanisme de contrôle des comportements sociétaux, l‘éthique est une forme de régulation que nous ne pouvons pas ignorer. Davantage, elle participe à la régulation sociale et interagit avec la règle de droit. Lorsque nous référons à la norme éthique, celleci ne remplit pas toujours les exigences du juridique afin de se qualifier comme tel191. Il n‘en demeure pas moins que l‘éthique, hors du domaine juridique, continue de correspondre à la définition de la normativité. Les normes qui s‘en dégagent, incluant la recommandation qui oriente les comportements, sont-elles moins régulatrices ? Nous ne le croyons pas. La notion plus précise de "régulation sociale"192 présente également pour nous une double vertu. Elle est d‘une part « approprié[e] pour qualifier ces phénomènes d‘interactions multiples entre social, institutions et acteurs dans le processus de production et de gestion des normes, celles-ci étant de moins en moins instituées unilatéralement et de plus en plus soumises à des appropriations multiples »193. Cela découle du fait que les sociétés industrialisées avancées constituent des systèmes sociaux complexes qui le deviennent toujours davantage. Ces systèmes sociaux ont des mécanismes de contrôle, parmi lesquels se trouve le droit, non seulement en quête d‘équilibre, mais devant également faire face à des tensions, des ruptures, des contradictions causées par la multiplicité des instances et des acteurs sociaux impliqués, et par la pluralité des stratégies sociales à l‘œuvre194. L‘éthique en est une. D‘ailleurs, les 191 Nous établissons les critères distinctifs du juridique et du normatif au point 3. Pour un historique de l‘évolution du concept de régulation sociale, voir : Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 21; Bernard-Pierre Lecuyer, « Régulation sociale, contrainte sociale et "social control" », (1986) 8 :1 Revue française de sociologie 78. 193 Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 21. 194 Jacques Commaille, « Régulation sociale », dans Arnaud et al., supra note 110, 523 aux pp. 523-524 [Commaille, « Régulation »]. 192 62 tenants du paradigme postmoderne prônent un abandon de l‘univocité du système normatif pour adopter le parti de la complexité195. Nous pouvons faire un lien avec la métamorphose subie par l‘acte d‘engendrement et auquel participe désormais une pluralité d‘acteurs. À ce stade, même la famille se voit octroyé le statut de postmoderne196. En ce qui concerne la question même du recours aux forces génétique d‘un tiers donneur et la quête des origines, la complexification des rapports humains qui interviennent alors, ceux-ci constituant le point d‘ancrage de notre analyse sous l‘angle de la sollicitude, et la nécessaire intervention du législateur démontrent le besoin d‘une interaction multiple entre le social, les institutions et les acteurs. Le niveau d‘intervention du droit s‘incarne inévitablement dans le social et s‘en trouve analysé selon une perspective pluraliste où plus d‘une approche analytique (juridique et non juridique) normalisent les comportements sociaux et doivent interagir. La perspective pluraliste et interactive constitue ainsi le second avantage du concept de régulation sociale qui inscrit le juridique dans un ensemble plus large197. Le phénomène peut prendre différentes formes et paraît s‘inscrire à trois niveaux : lors de la production du droit lui-même (il est également un processus éminemment politique), dans la coexistence d‘orientations juridiques différentes (par un éloignement du monisme législatif vers le pluralisme juridique) et, finalement, au niveau du rapport du droit avec 195 Maisani et Wiener, supra note 139 à la p. 448. Geneviève Delaisi de Parseval, Famille à tout prix, Paris, Éditions du Seuil, 2008 à la p. 27 [Delaisi de Parseval, « Famille »]. 197 Commaille, « Régulation », supra note 194 aux pp. 523-524. 196 63 les autres logiques normatives (il s‘agit ici de l‘internormativité proprement dite)198. Nous reconnaissons ici les composantes d‘un dynamisme législatif au cœur duquel notre attention est portée sur les zones de recouvrement existant entre l‘éthique de la sollicitude et le droit. Si, pour reprendre les propos de Sophie Monnier, d‘aucuns s‘accordent à reconnaître que l‘univers juridique n‘épuise pas la régulation sociale et que la normativité forme un ensemble au sein duquel la normativité juridique n‘est qu‘une espèce199, reste à déterminer quels sont les critères de la normativité et, plus particulièrement, sur quelle base en distinguer la normativité juridique200. Avant d‘aborder plus en détails, au point 3, ce qui différencie un ordre juridique d‘un ordre normatif, nous nous intéressons ci-après à la question même du pluralisme juridique. De fait, la thèse du pluralisme juridique est souvent la seule reconnue dans la doctrine. N‘avons-nous pas souligné que le pluralisme normatif est parfois qualifié de "faux pluralisme"201. Il s‘agit pourtant de celui qui contient les normes du social non juridique. Nous ne nions par contre pas l‘existence du pluralisme juridique. Celui-ci constitue plutôt à nos yeux une des manifestations du pluralisme, mais à l‘intérieur de l‘univers normatif pluriel. 198 Commaille et Perrin, supra note 154 aux pp. 125-127. Monnier, supra note 93 à la p. 20. 200 Ibid. à la p. 21; Voir également : André-Jean Arnaud, « Droit et Société : Un carrefour interdisciplinaire », (1988) 21 R.I.E.J. 7 à la p. 18. 201 Fontaine, supra note 175 à la page 139 (note 10); Lebel-Grenier, supra note 176 à la p. 56. 199 64 2.2 Le pluralisme juridique et les critères de la juridicité S‘il n‘est pas considéré comme faux par les auteurs, le pluralisme juridique n‘est pas toujours vu comme une véritable théorie des normes; c‘est-à-dire « comme un ensemble de propositions, éventuellement ordonnées et cohérentes, propres à expliciter la notion de norme juridique et les liens entre les normes »202. C‘est pourtant en tant que tel que Lauréline Fontaine tente de le poser203. Dans le même ordre d‘idées, Jean-Guy Belley montre le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit 204. Dans la présente section, nous constatons que, malgré la difficulté à cerner les concepts de norme juridique et de droit selon un tout cohérent, il s‘agit d‘une approche au contenu certes variable, mais qui, avec le pluralisme normatif, est apte à servir l‘intérêt d‘une internormativité entre l‘éthique et le droit dans son format le plus large. Les rapports dialectiques entre ces deux normativités pouvant effectivement se situer dans l‘une ou l‘autre de ces catégories du pluralisme. Lorsque nous lui attribuons la qualité "juridique", le pluralisme renvoie à la multitude des lieux de production et de gestion des normes juridiques205. Il part du postulat que le droit est essentiellement multiple et hétérogène206. Encore là, il existe pour 202 Fontaine, supra note 175 aux pp. 130-131. Ibid.; Pour ce faire, il s‘agit de l‘avis de l‘auteure de montrer selon quelles modalités le positivisme ne parvient pas à intégrer le pluralisme. Ibid. à la p. 133. 204 Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit », dans Jean Kellerhals, Dominique Manaï et Robert Roth, dir., Pour un droit pluriel : Études offertes au professeur Jean-François Perrin / Faculté de droit de Genève, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2002, 135 [Belley, « Doctrine »]. 205 Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15. 206 Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 356. 203 65 reprendre les propos de Jean Carbonnier des phénomènes de pluralisme juridique207. Notre objectif n‘est pas d‘en faire l‘inventaire détaillé, mais à tout le moins nous devons retenir qu‘il existe différents sens à la définition et que les classifications changent d‘un auteur à l‘autre. Celle de Jean-Guy Belley a le très grand avantage d‘être claire et simple, et de permettre une compréhension facile des différentes facettes du pluralisme. Cela inclut une distinction entre le pluralisme intra ou extra étatique se rattachant à la vision que nous avons du droit, c‘est-à-dire celui qui est issu de l‘État et de ses organes sans avoir pour autant détenir l‘exclusivité du juridique. D‘un point de vue strictement juridique, le pluralisme juridique constitue : « a) [l‘e]xistence simultanée, au sein d‘un même ordre juridique, de règles de droit différentes s‘appliquant à des situations identiques; b) [la c]oexistence d‘une pluralité d‘ordres juridiques distincts qui établissent ou non entre eux des rapports de droit »208. La forme "a)" renvoie à l‘affirmation du caractère pluraliste du droit étatique209 qui s‘exprime par des mécanismes juridiques différents210. Ainsi existe-t-il un droit de la famille, un droit de l‘enfant, etc. Dans ce pluralisme intra-étatique, « c‘est toujours le droit de l‘État qui s‘applique, mais son application est différenciée selon les circonstances ou les groupe visé par son action »211. Plusieurs règles de droit viseront une même situation. Plus largement, dans la forme "b)", ou extra-étatique212, il ne s‘agit plus simplement de prendre en compte la diversité des règles d‘un ordre juridique intra-étatique, mais de 207 Ibid. à la p. 358. Jean-Guy Belley, « Pluralisme juridique », dans Arnaud et al., supra note 110, 446 à la p. 446 [Belley, « Pluralisme »]. 209 Ibid. 210 Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 185. 211 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 44. 212 Ibid. à la p. 45 208 66 reconnaître qu‘il existe simultanément au moins deux ordres juridiques distincts (étatique et non étatique) et, parallèlement, analyser les rapports de droit entre eux 213. Cela suppose que l‘État n‘est plus le seul à produire la norme juridique et qu‘il existe des ordres juridiques qui lui sont distincts214. Cela rejoint les approches de François Ost et Michel van de Kerchove215 ainsi que de Jean Carbonnier216. Ajoutons que lorsqu‘il est question de plusieurs centres de production de la norme juridique, en plus de celui de l‘État, certains auteurs, dont André-Jean Arnaud, réfèrent au concept de polycentricité217. En sociologie du droit, le pluralisme juridique est finalement la « coexistence d‘une pluralité de cadres ou systèmes de droit au sein d‘une unité d‘analyse sociologique donnée (société locale, nationale, mondiale) »218. Cette vision plurielle nous mène à une interrogation sur la définition même du droit. Si nous l‘associons à l‘État, sans pour autant y limiter le social juridique, notre vision tendant alors vers un pluralisme extra-étatique, la littérature sur le pluralisme juridique n‘est pas aussi équivoque, voir tranchante. Identifier ce qui constitue l‘essence du droit s‘y avère une entreprise hasardeuse qui fut même comparée à la quête du SaintGraal219. Cette question, la plus escamotée qui soit dans notre univers juridique de l‘avis 213 Belley, « Pluralisme », supra note 208 à la p. 447. Benyekhlef, supra note 97 à la p. 45. 215 Ils font référence à la coexistence de plusieurs systèmes juridiques au même moment, ceux-ci pouvant ou non être de même nature. Ost et van de Kerchove, supra note 142 aux pp. 186-187. 216 De son avis, au même moment dans un même espace spatial, coexistent plusieurs systèmes juridiques, dont celui de l‘État, mais également d‘autres qui lui sont indépendants et pouvant le concurrencer. Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 356. 217 André-Jean Arnaud, « Présentation du dossier sur la production de la norme juridique : Le droit comme produit », (1994) 27 Droit & Société 293 à la p. 295. 218 Belley, « Pluralisme », supra note 208 à la p. 446. 219 Edward Adamson Hoebel, The law of primitive man: a study in comparative legal dynamics, Cambridge, Harvard University Press, 2006 à la p. 18. 214 67 d‘Andrée Lajoie220, ne cesse de faire de couler de l‘encre. La revue Droits : revue française de théorie juridique a par exemple consacré deux numéros entiers à cette recherche d‘une définition du droit et en a présenté près d‘une cinquantaine d‘articles dévoilant des interprétations aussi différentes les unes des autres221. Ou encore, pensons à l‘ouvrage de Denys de Béchillon Qu’est-ce qu’une règle de droit?222, explicite par son titre, qui fait plus de 300 pages. François Ost et Michel van de Kerchove se prêtent également à l‘exercice dans De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit223 tout en intitulant le chapitre concerné La définition du droit : une question sans réponse?224 Encore là, l‘en-tête du chapitre démontre par sa seule formulation le défi définitionnel tel qu‘il apparaît dans la littérature. Il est possible de faire reculer les frontières du droit au point que sa définition, en termes de contenu, est plus large que la conception que nous en avons. Jean-Guy Belley distingue par exemple la régulation juridique des autres régulations sociales en précisant qu‘une: « définition à la fois générique et opératoire du droit devrait englober toutes les pratiques de régulation sociale qui se révèlent d‘une part de type politique en ce sens qu‘elles traduisent l‘intervention des détenteurs de pouvoir ou de l‘autorité dans la dynamique de l‘action sociale, d‘autre part de type rationnel en ce qu‘elles prétendent s‘exercer en obéissant aux exigences de modèles d‘intervention institutionnalisés ou préétablis. Par sa dimension politique, la régulation juridique se distingue des autres régulations sociales qui s‘exercent sans l‘intervention des détenteurs du pouvoir. La dimension générique du droit exclut en cela toute régulation 220 Andrée Lajoie, « Contributions à une théorie de l‘émergence du droit 1. Le droit, l‘État, la société civile, public, le privé : de quelques définitions interreliées », (1991) 25 R.J.T. 103 à la p. 105. 221 « Définir le droit 1 », (1989) 10 Droits : revue française de théorie juridique; « Définir le droit 2 », (1990) 11 Droits : revue française de théorie juridique. 222 Denis de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit?, Paris, Odile Jacob, 1997. 223 Ost et van de Kerchove, supra note 142. 224 Ibid. aux pp. 267 et suivantes. 68 que les acteurs sociaux exercent entre eux de façon autonome et toute régulation fondée sur le pouvoir social diffus exercé par une collectivité sur ses membres sans intervention directe ou distincte des détenteurs du pouvoir. La manifestation du droit serait ainsi liée à l‘émergence d‘une structure de pouvoir ou d‘autorité minimalement autonomisée par rapport à la collectivité dont elle relève. Par sa dimension rationnelle, la régulation juridique se réfère à une entreprise normative qui prétend s‘exercer de façon réfléchie plutôt que spontanée, généralisée et non ad hoc, selon un processus défini de façon préalable plutôt qu‘a posteriori, selon une régularité vérifiable plutôt que de manière imprévisible et arbitraire. La manifestation du droit suppose en ce sens une intervention minimalement institutionnalisée des détenteurs du pouvoir dans la coordination des conduites et le règlement des conflits. »225 C‘est une définition qui part du postulat que toute régulation juridique n‘est pas étatique. Elle peut être fort séduisante pour qui ne limite pas la réalité du droit au seul domaine couvert par l‘État tout en l‘associant au pouvoir politique, c‘est-à-dire à l‘autorité qui s‘est vue reconnaître comme étant légitime afin d‘établir des normes par la collectivité visée qui s‘y soumet. Ce n‘est pas totalement notre cas car si le juridique dans son ensemble est uni au pouvoir politique d‘un groupe, seul le droit provient de l‘État. La définition de Belley est pour nous davantage un corollaire du pluralisme juridique en tant que tel, plutôt que d‘être exclusivement axée sur le droit qui n‘en constitue en fait qu‘une composante. Roderick A. Macdonald pousse encore plus loin l‘hypothèse en adoptant celle du pluralisme juridique critique. Il fusionne l‘ensemble de la normativité en spécifiant que tout se conçoit comme étant issu de la vie en société et tous les rapports existants sont des rapports sociaux226. Autant le social, le politique et l‘économique sont des moyens 225 Belley, « Sociétés globales », supra note 168 à la p. 27. Roderick A. Macdonald, « Les Vieilles Gardes. Hypothèses sur l‘émergence des normes, l‘internormativité et le désordre à travers une typologie des institutions normatives », dans Belley, « Droit 226 69 concurrents d‘appréhender les actions sociales227. Selon un point de vue radical qui remet en cause toutes les composantes du droit moderne, il avance que le sujet de droit est celui qui fait le droit. Il est celui qui rend possible le fonctionnement de toutes les institutions juridiques, qu‘elles soient étatiques ou autres, en leur accordant leur légitimité228. C‘est le rapport identitaire du sujet avec le social ainsi que son interprétation des connaissances qui crée l‘ordre juridique, même s‘il est étatique. Ainsi, « son appartenance à un ordre juridique quelconque s‘établit en fonction du critère identitaire du jour »229. Cela l‘amène à la conclusion que le droit vit dans l‘âme de tous les membres de la société hétérogène230. Les sujets légaux sont des sujets créatifs du droit et non pas simplement des sujets dominés par le droit. Or, il faut prendre conscience de la pluralité de ces mêmes sujets légaux afin de réaliser toute la complexité de la relation entre le droit et le soi231. La typologie des normes de Macdonald met l‘accent sur leur caractère sociologique et s‘éloigne de la théorie des sources du droit qui considère d‘abord la forme et l‘origine des normes232. Nous sommes totalement en accord avec le postulat de départ de Belley, tout comme nous corroborons Macdonald lorsqu‘il dit que l‘hypothèse du pluralisme relativise l‘ordre juridique étatique en nous invitant à voir la multiplicité d‘ordres juridiques soluble », supra note 162, 233 aux pp. 258-259 [Macdonald, « Veilles gardes »]; Voir également : MarthaMarie Kleinhans et Roderick A. Macdonald, « What is a Critical Legal Pluralism », (1997) 12 Can. J. L. & Soc. 25. 227 Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 à la p. 261. 228 Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 135. 229 Ibid. à la p. 142. 230 Ibid. à la p. 151. 231 Voir: Kleinhans et Macdonald, supra note 226. 232 Roderick A. Macdonald, « Pour la reconnaissance d‘une normativité juridique implicite et "référentielle" », (1986) 18 :1 Sociologie et sociétés 47 à la p. 53; Il distingue d‘une part, selon un axe vertical, celles qui sont implicites ou explicites (i.e. exposées avec plus ou moins d‘autorité) et, d‘autre part, selon un axe horizontal, celles qui sont codifiées (i.e exactes, canoniques et formulées) ou inférées (i.e. approximatives, et métaphoriques). Ibid. à la p. 52. 70 concurrents233. Bref, toute régulation juridique n‘est pas étatique. Lorsque ce choix normatif est adopté, il est garant de la démocratie dans laquelle nous évoluons. Il démontre que le droit formel n‘est pas l‘unique instrument de régulation pourvu d‘une légitimité juridique dont les critères sont précisés au point 3. L‘émergence de plus en plus marquée de phénomènes d‘autoréglementation dans le domaine des nouvelles technologies de la vie, de la santé ou de l‘information auxquels on attribue le statut d‘ordre juridique en est le témoin silencieux234. Pensons par exemple aux codes de déontologie dont se dotent certains comités d‘éthique. Il s‘agit d‘un des modèles proposés dans l‘encadrement des nouvelles technologies de la reproduction. Nous l‘avons toutefois rejeté au profit d‘une intervention législative qui nous semble beaucoup plus appropriée compte tenu de la sensibilité des enjeux découlant de ces techniques et ce, notamment au regard de la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Nous démontrons également en section 3 que l‘éthique de la sollicitude relève du pluralisme normatif. Cela souligne l‘intérêt de la distinction d‘avec le pluralisme juridique. La définition de Macdonald est par contre à notre avis trop inclusive car, selon l‘auteur, il y a du droit dans toutes les dimensions sociales où les sujets interviennent. Quant à Belley, s‘il nous rejoint davantage, il intègre dans le droit les deux dimensions du pluralisme juridique, à savoir le droit même et l‘ensemble des autres normes juridiques. Nous demeurons juriste plus ou moins conservateur dans notre démarche et ne les confondons pas. Encore là, il s‘agit d‘un choix que nous ne croyons pas pour autant erroné. Les conceptions du droit sont multiples et variables. La pertinence de celle que 233 234 Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 140. Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 aux pp. 25-26. 71 nous adoptons découle du fait qu‘elle répond aux besoins de l‘analyse internormative que nous appliquons à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Lorsque nous étudions la juridicité, concept au cœur d‘une analyse sur l‘essence du droit, nous pouvons d‘ailleurs constater qu‘il en existe diverses abstractions allant de la ligne de partage entre le droit et le social juridique au substantif correspondant à l‘adjectif juridique235. De l‘avis de certains, « [l]‘hypothèse du pluralisme juridique est précisément liée à un certain emploi de l‘expression «juridicité» pour se référer à une réalité plus ample que celle qui est délimitée par le droit au sens strict ou droit positif »236. Qu‘est-ce que cela implique plus exactement afin de nous aider à cerner les limites du pluralisme juridique? La juridicité provient-elle du simple caractère législatif de la norme selon une approche positiviste ou du fait qu‘elle contient un élément de sanction ou de contrainte237? Faisant un court inventaire des démarches possibles, André-Jean Arnaud se demande d‘ailleurs « [s]i l‘on souhaite donner au mot Droit une signification qui le spécifie, le fera-t-on par la désignation de critères a priori, par une recherche de sa nature ou de son essence, ou par la détermination des «frontières» qui le séparent de…ce qui n‘est pas du droit »238? Puisque nous nous intéressons à l‘impact de l‘éthique de la sollicitude sur la loi applicable à l‘anonymat des donneurs, il est pertinent de remarquer que la distinction traditionnelle entre ce qui est du droit et ce qui l‘en sépare, sur la différenciation 235 André-Jean Arnaud « Juridicité », dans Arnaud et al., supra note 110, 322 à la p. 323. M.A. et N.O.A, supra note 155 à la p. 324. 237 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 46. 238 André-Jean Arnaud, « Essai d‘une définition stipulative du droit », (1989) 10 Droits : revue française de théorie juridique 11 à la p. 11. 236 72 spécifique d‘avec la morale (celle-ci étant identifiée comme convergente à l‘éthique239), se base sur deux principaux courants de pensée : « [l]a première tendance – positiviste – tend à calquer la loi sur les […] [comportements sociaux] et l‘opinion publique : la loi ne devrait être que la codification de […] [ceux-ci] et évoluer au même rythme. Le droit serait indépendant, voir même opposé à la morale. L‘autre tendance – naturaliste – rattache davantage le droit à la morale, parfois jusqu‘à les identifier. Le droit ayant un rôle normatif, il devrait découler d‘une réflexion rationnelle sur les valeurs. Les tenants de cette école disent souvent : le droit positif est un prolongement, un ajustement, une application de la morale ou du « droit naturel ». Il y a une quasi identité entre les deux. »240 Ces deux écoles, cohabitant dans une sempiternelle dualité241, présentent des inconvénients qui rendent le droit inadapté à la porosité grandissante de ses frontières imposant inévitablement un dialogue avec les autres normativités. De fait : « [s]i l’école naturaliste s’impose assez facilement dans une société homogène, elle devient vite inadéquate dans une société pluraliste et se voit accusée de totalitarisme. Par ailleurs, l’école positiviste qui se présente sous la bannière du progrès scientifique, qui s’affirme comme le défenseur des libertés individuelles, se ramène à un pragmatisme simpliste qui cache souvent les jeux de pression, les luttes de pouvoir et la loi du plus fort. »242 239 Dans le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit il est spécifié que, sur le sens à donner au terme morale en philosophie, quant à la recherche par l‘individu de la perfection intérieure de son être, « on parle souvent de morale théorique ou d‘éthique ». P.D. « Morale », dans Arnaud et al., supra note 110, 383 à la p. 383. 240 Guy Durand, « Du rapport entre le droit et l‘éthique », (1986) 20 R.J.T. 281 à la p. 283 [Durand, « Rapport »]; Guy Durand, « Droit et régulation alternative », dans Parizeau, supra note 64, 87 à la p. 88 [Durand, « Régulation alternative »]; Guy Durand, « Histoire de la philosophie du droit. Lignes de crête », dans Cahiers de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, supra note 73, 29 à la p. 42 [Durand, « Philosophie »]. 241 H.L.A. Hart et Lon L. Fuller en sont de fidèles représentants. Voir H.L.A. Hart, « Positivism and the Separation of Law and Moral », (1957) 71 Harv. L. Rev. 593; Lon L. Fuller, « Positivism and Fidelity to Law – A Reply to Professor Hart », (1957) 71 Harv. L. Rev. 630. 242 Voir : Durand, « Rapport », supra note 240 aux pp. 283-284; Durand, « Régulation alternative », supra note 240 à la p. 88; Voir également l‘excellente étude de Carmen Lavallée dans laquelle elle décrit les raisons du déclin du droit naturel et les critiques faites au positivisme. Carmen Lavallée, « À la frontière de l‘éthique et du droit », (1993) 24 R.D.U.S. 1 aux pp. 8 à 15 [Lavallée, « Frontière »]. 73 La solution ne résiderait pas tant dans l‘opposition de ces écoles, mais plutôt dans leur conjonction243; menant à l‘adoption d‘une approche dite humaniste qui n‘oppose pas ces réalités, mais qui, après les avoir distinguées, les unit dans un rapport dialectique244. C‘est-à-dire dans ce qui constitue, à notre sens, l‘internormativité. Celle-ci ne peut néanmoins échapper à la distinction entre le droit et le social juridique qui peut parfois être désigné d‘infrajuridique245. L‘effondrement des barrières entre l‘éthique et le droit est nécessaire dans le domaine des nouvelles technologies de la reproduction afin de rendre possible cette internormativité où le droit, obligatoirement dynamique et continuellement évolutif dans le temps, s‘ouvre à l‘évolution du débat dans la société et à la dimension éthique de la problématique de l‘anonymat. Cela rend d‘autant plus difficile l‘établissement de critères d‘une juridicité aux frontières étanches alors même que nous assistons au phénomène inverse dans la société. Le droit dure du juriste246 devient flexible, souple,247 caméléon248 voir même flou249. Il a « la propriété de se laisser courber par les forces du changement social, capable d‘emprunter des formes adaptées au contexte sans perdre sa substance »250. Mou, ce "droit de régulation", selon l‘expression employée par Jacques 243 Attention, une conjonction ne veut pas dire que nous opérons une fusion. Car s‘il doit y avoir convergence entre ces deux concepts, ils demeurent distincts l‘un de l‘autre. Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 69. 244 Durand, « Rapport », supra note 240 à la p. 284; Durand, « Régulation alternative », supra note 240 à la p. 88; Durand, « Philosophie », supra note 240 à la p. 42; Lavallée, « Frontière », supra note 242 aux pp. 15-16. 245 Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 à la p. 26. 246 Jean-Guy Belley, parle de droit solide. Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 12; En plus du monisme constaté au point 1, nous constaterons en section 3 d‘autres caractéristiques de l‘approche positiviste classique adoptant le modèle de la pyramide kelsénienne. 247 Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165. 248 Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 12. 249 Mireille Delmas-Marty., Le flou du droit, Paris, Presses Universitaires de France, 1986. 250 Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 9. 74 Chevallier, est négocié, réflectif251. En cela, le droit obtient-il son caractère polycentrique252. Dans une fort élégante formulation, un auteur souligne à cet égard que ce à quoi se trouvent confrontés les juristes d‘aujourd‘hui, c‘est à produire une théorie du flou dans le droit, non à l‘évacuer253. À l‘ère du post-modernisme, nous assistons à une évolution des formes d‘intervention de l‘État dans le social qui associe les acteurs à ses démarches d‘élaboration, de normation et d‘application254. Non seulement le droit n‘est-il plus dicté par un souverain paternaliste, faisant place à la négociation dans son élaboration, mais il délaisse par moment ses aspects de commandements et de contrainte afin de devenir suggestif et non contraignant255. Alors que pour beaucoup la contrainte fonde le particularisme du droit256, Jean Carbonnier réfute le caractère contraignant de la règle en spécifiant qu‘il n‘est pas essentiel au point d‘être le signe de la juridicité257. D‘un autre point de vue, certains parleront de justiciabilité comme signe distinctif du droit. C‘est-à-dire la propriété d‘une règle à servir de fondement normatif et être appliquée par un juge dans un cas concret258. Dans ce contexte, « [c]est donc la "forme justiciable" et non pas la "forme contraignante" qui est de l‘essence du droit »259. 251 Chevalier, « Question », supra note 180 à la p. 834; Ce « droit de régulation » se présente comme l‘expression d‘un « droit post-moderne », marqué par le pragmatisme et la flexibilité. » Ibid. 252 Duvillier, supra note 188 à la p. 35. 253 Michel Maille, « Désordre, droit et science », dans Paul Amselek, dir., Théorie du droit et science, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, 87 à la page 103. 254 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 29; Voir également : Boisvert, supra note 118 aux pp. 70-71. 255 Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 30-31. 256 Monnier, supra note 93 à la p. 23. 257 Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 319. 258 H. Cousy, « Le rôle des normes non-juridiques dans le droit », dans Centre interuniversitaire de droit comparé, dir., Rapports belges au XIe Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Caracas, 29 août - 5 septembre 1982, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, 1982, 131 à la p. 132. 259 Charles Leben, « Chaïm Perelman ou les valeurs fragiles », (1985) 2 Droits : revue française de théorie juridique 107 à la p. 114; Sur la théorie de la justiciabilité, voir également : Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 aux pp. 320 et suivantes. 75 En fait, peu importe le critère adopté, nous croyons que lorsque la notion de droit est séparée de celle de l‘État, « elle perd son noyau de signification claire pour se situer dans la zone de pénombre »260. La distinction semble à première vue simple. Pourtant, si Rocher nous dit mots pour mots que ce qui fait qu‘un ensemble de règles appartiennent au droit c‘est qu‘elles s‘intègrent à un ordre juridique261, il reconnaît que le droit de l‘État occupe une place et un statut prépondérant dans les sociétés modernes. « On peut reconnaître en lui l‘archétype de tout ordre juridique. Le droit de l‘État est sans doute l‘ordre juridique le plus élaboré, poussé à sa mesure (ou démesure) extrême. »262 Il précise également qu‘il est normal, voir même nécessaire, que le juriste continue de ne considérer comme juridique que ce qui est reconnu comme tel par les appareils de l‘État. En ce sens, il demeure essentiel, nous dit l‘auteur, de distinguer l‘ordre juridique étatique des ordres juridiques non étatiques. Tous deux appartiennent à la même classe et se distinguent263. Afin d‘éviter une trop grande dissolution de la normativité juridique, un certain maintien de la différenciation entre les normes étatiques et celles qui ne présentent pas cette qualité est requis264. Il est de la sorte justifié de consacrer la norme juridique étatique au titre de droit et ce, d‘autant plus en l‘identifiant comme l‘outil de gouvernance prédominant de la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cela confirme indéniablement le fait que le droit occupe une place et un statut prépondérant. Demeurant un construit social, il se diffuse par la suite parmi d‘autres types de normativité, par exemple juridiques, et interagit avec elles sans perdre son unicité intrinsèque liée à l‘État. Nous nous permettons donc de reprendre au point 3 les critères distinctifs de Rocher sur 260 M.A. et N.O.A, supra note 155 à la p. 324. Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 136. 262 Ibid. à la p. 138 263 Ibid. aux pp. 142-143. 264 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 834. 261 76 l‘ordre juridique en les appliquant dans le cadre général du pluralisme normatif, mais en préservant la spécificité étatique du droit. En tenant compte de l‘effondrement des barrières, ce droit est finalement posé et imposé à la suite d‘un processus de négociation, de réflexion. En l‘espèce, nous le faisons avec l‘éthique de la sollicitude. Ainsi, si nous conservons certains aspects de la modernité dans notre vision du droit, parce qu‘il est attaché à l‘État politique (centralisme), ce dernier conservant par le fait même une certaine souveraineté, et parce qu‘il est le produit d‘une activité explicite d‘institutions telles que la législature (positivisme), nous admettons volontiers un éloignement significatif du monisme (il n‘y a pas qu‘un seul ordre juridique correspondant à un espace géographique)265. Ce choix, quant au regard que nous portons sur le droit, est particulier au contexte faisant l‘objet de notre recherche, celui des nouvelles technologies de la reproduction et de la procréation assistée avec tiers donneur, mais nous ne le posons pas en tant que vérité absolue. 3- ORDRE JURIDIQUE ET ORDRE NORMATIF Les propositions visant à déterminer les critères d‘identité d‘un système juridique varient d‘un auteur à l‘autre. François Ost et Michel van de Kerchove se basent par exemple sur son autonomie, celle-ci pouvant être, selon les interprétations, sociale, organique ou organisationnelle266. Plutôt que d‘en choisir une en particulier, ils optent 265 266 Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 135. Ost et van de Kerchove, supra note 142 aux pp. 188 et suivantes. 77 pour la relativité de l‘autonomie selon que divers critères se trouvent ou non réunis267. Cela porte à confusion. La proposition de Guy Rocher présente une ligne de démarcation des frontières de l‘ordre juridique, duquel nous excluons le droit lié à l‘appareil étatique, qui est claire. S‘inspirant des théories de Max Weber268, de Santi Romano269 et de Jacques Chevallier270, l‘auteur avance que dans l'ensemble du tissu social, un ordre juridique se reconnaît à cinq critères cumulatifs, concomitants, dont nous faisons état plus bas. Dans l‘approche pluraliste que nous avons développée, ces critères doivent nous permettre de distinguer les normes juridiques non étatiques de celles relevant du social non juridique et n‘appartenant qu‘au pluralisme normatif. Cet ordre normatif est beaucoup plus large, mais peut constituer un discours normatif efficace. L‘efficacité d‘une règle ou le fait qu‘elle soit plus ou moins coercitive ne la rendra par contre pas juridique pour autant271. Pour obtenir ce statut particulier, elle doit s‘intégrer dans un ordre juridique et être dotée d‘un pouvoir qui lui vient de l‘appareil qui légitimise et actualise leur potentiel normatif (ledit appareil doit être reconnu à l‘intérieur d‘une unité sociale donnée)272. C‘est une réflexion qui nous permet un éloignement du "panjurisme"273 qui accorde au droit la capacité 267 d‘emplir tout l‘univers social, dans chaque relation sociale ou Ibid. à la p. 188. Max Weber, Économie et société, trad. fr. de Julien Freud et al., sous la direction de Jacques Chavy et Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971. 269 Santi Romano, L’ordre juridique, traduction français Lucien François et Pierre Gothot, Paris, Dalloz, 1975. 270 Jacques Chevallier, « L‘ordre juridique », dans Le droit en procès, ouvrage collectif du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (C.I.R.A.P.P.), Paris, Presses Universitaires de France, 1983, 7. 271 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 135. 272 Ibid. à la p. 136. 273 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 48. 268 78 interindividuelle274. Ainsi, il existe un social normatif non juridique275. Trouve en partie écho dans cette affirmation l‘hypothèse du non-droit de Jean Carbonnier276. Le premier critère est la nécessité d‘un ensemble de règles auquel les membres d‘une unité sociale particulière (une nation, une société, une organisation, un groupe, etc.) reconnaît au minimum une contraignabilité théorique277. Nous devons alors nous retrouver face à une unité identifiable pour qui l‘obligation de suivre un comportement donné n‘est pas forcément due à une coercition. La contraignablité peut aussi découler d‘un acte de volonté des membres qui choisissent volontairement de se soumettre et d‘associer à la norme une prescriptibilité. Malgré cela, il importe, en vertu du second critère, que des agents ou des appareils soient reconnus dans l‘unité sociale comme étant spécialisés pour élaborer ou modifier les règles, les interpréter et les appliquer ou les faire respecter. Ces trois fonctions peuvent être remplies par des agents ou des appareils différents ou par les mêmes, mais ce qu‘il importe dans un troisième temps c‘est qu‘elles le soient toutes afin qu‘un contrôle complet soit exercé. L‘intervention de ces acteurs doit quatrièmement être fondée sur une légitimité. Cela provient en fait de la reconnaissance qu‘a l‘unité sociale des pouvoirs exercés par les agents ou les appareils relativement aux règles. Dans tous les cas, tant les règles que les agents ou appareils doivent faire preuve d‘une certaine stabilité278. Si les normes peuvent et doivent évoluer, elles doivent démontrer une certaine continuité dans le temps. Quant aux agents ou appareils, le cinquième critère exige que, s‘ils peuvent changer, nous devons remarquer une continuité 274 Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 à la p. 24. Belley, « Doctrine », supra note 204 à la 159; Rocher, « Études », supra note 104 aux pp. 142-143. 276 Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 aux pp. 25-26; Carbonnier, « Droit civil », supra note 167 aux pages 102 et 107-108. 277 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 134. 278 Ibid. à la p. 135 275 79 dans la composition, par exemple, des postes occupés. Ces critères viennent en somme préciser le champ d‘action de la définition de la norme que nous avons retenue. Dans le domaine de l‘éthique, seule une approche répondant à ces exigences peut être reconnue comme juridique. Un bon exemple est certainement celui des normes dont se dote un comité dans l‘évaluation de protocoles de recherche. Les cinq critères se trouvent dans ce cas remplis. Les membres d‘une unité sociale particulière et identifiable, c‘est-à-dire ceux de la communauté scientifique, reconnaissent et octroient à ces normes une contraignabilité. À défaut de les respecter la recherche ne peut avoir lieu. Des agents sont de plus identifiés pour élaborer, interpréter et appliquer ces règles. Provenant de différentes disciplines (éthiciens, juristes, médecins, etc), mais avec un domaine commun d‘application des connaissances, les agents composent le comité d‘éthique. Leur intervention est légitime puisque la communauté scientifique leur donne les pouvoirs nécessaires à l‘exercice de leurs fonctions. Celles-ci font l‘objet d‘une stabilité certaine car la composition des comités, si elle peut varier dépendamment de la nature des projets soumis et de l‘échéance du mandat de ses membres, demeure la même dans le temps. Exception faite des réformes structurelles et évaluatrices qui ne surviennent qu‘après un long processus de réflexion. Il en est de même des codes d‘éthique lorsqu‘ils sont appelés à évoluer afin de, par exemple, s‘adapter aux avancées scientifiques. L‘intérêt de la distinction entre ordre normatif et ordre juridique, lorsque appliquée à l‘éthique, est donc de savoir dans quelle sphère de la normativité se trouve la sollicitude et dans quelle mesure nous y sommes liés dans le cadre de l‘élaboration de la loi applicable à la problématique de l‘anonymat. 80 En fait, lorsqu‘on procède à une analyse sociologique visant l‘approfondissement de la connaissance de la société en prenant en considération la place qu'y occupe le droit, les fonctions qu'il remplit, les rapports qu'il entretient avec les autres institutions de la société279, la question n‘est pas tant de connaître les critères de la juridicité, mais de savoir ce que le terme "norme juridique" « implique de processus d‘intervention, de gestion du social, de procédure d‘action, de production normative, de représentations sociales, spécifiques, et ce qui lie de façon spécifique ces opérations au social »280. Ainsi, lorsque la sociologie s‘intéresse au discours du droit positif, ce n‘est pas que pour prendre connaissance de ce qu‘il permet ou prohibe, mais aussi pour « comprendre quels en sont les processus de production, les modalités d‘applications, les effets sociaux »281. Aussi est-il important de comprendre quelle est la nature du jeu internormatif entre le droit et l‘éthique. Nous abordons cette question en section 3, mais avant il importe de caractériser l‘éthique de la sollicitude au regard du pluralisme. SECTION 2 : DE L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE Dans le choix du cadre théorique, notre attention fut très tôt portée sur l‘éthique de la sollicitude ou "ethics of care" attendu que c‘est l‘approche qui fut retenue par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction dans son rapport final282. Ce n‘est certes pas là notre seule justification, mais bien ce qui a initié notre intérêt pour cette théorie. 279 Ibid. à la p. XII Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 20. 281 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 125. 282 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 58. 280 81 D‘un autre point de vue, certains auteurs penchent plutôt pour une analyse éthique utilitariste qui est caractérisée par une évaluation de l‘utilité de l‘acte en fonction de l‘ensemble de ses conséquences283. Cela se fait plus exactement en ayant recours au principe de non nuisance, ou "harm principle", découlant des travaux de John Stuart Mill284. « Ce principe veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour assurer leur propre protection. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de l‘empêcher de nuire aux autres »285. Le critère d‘analyse prend son assise dans l‘engagement à ne pas causer de tort à autrui. Cette avenue aurait été un choix pertinent dans la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons286. De fait, le principe de non nuisance se retrouve souvent dans les débats sur l‘autonomie reproductive et y est associée une grande importance au meilleur intérêt de l‘enfant. Ces deux concepts servent à fonder ou non l‘adoption d‘un système de dons anonymes. Nous le remarquons dans l‘analyse du chapitre 2. 283 Michel Métayer, La philosophie éthique : Enjeux et débats actuels, 2e édition, Saint-Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique, 2002 à la p. 84. 284 Par exemple: McTeer, supra note 65; Kristen Walker, « Should There Be Limits On Who May Access Assisted Reproductive Services? A Legal Perspective », dans Jennifer Gunning et Helen Szoke, dir., The Regulation Of Assisted Reproductive Technology, Aldershot (England), Ashgate Publishing Limited, 2003, 123; Philip G. Peters, « Harming future persons: obligations to the children of reproductive technology », (1999) 8 Southern California Interdisciplinary Law Journal 375. 285 John Stuart Mill, De la liberté, trad. Laurence Lenglet à partir de la traduction Dupont White, Gallimard, coll. Folio Essais, 1990, p. 74. 286 Pour une étude semblable, voir: Julie Wallbank, « The role of rights and utility in instituting a child‘s rights to know her genetic history », (2004) 13 :2 Social & Legal Studies 245. 82 S‘intéresser à l‘utilité de l‘anonymat en fonction de l‘ensemble de ses conséquences est loin d‘être inintéressant pour les fins de notre analyse puisque chaque acteur au processus d‘un don de gamètes ou d‘embryons en ressent les effets. Ils ne sont pas anodins et ne devraient pas nuire aux parents, aux enfants ou aux donneurs, ou selon un équilibre tenant compte des intérêts de tous. L‘éthique de la sollicitude est néanmoins plus à même d‘apporter des pistes de réponse adaptées à la polémique entourant cette question particulière des dons d‘engendrement et d‘aider les autorités publiques dans leur processus de prise de décision quant à l‘évolution de la norme de droit. L‘unique engagement à ne pas causer de tort à autrui est un peu limitatif compte tenu de la nature des rapports humains qui sont en jeu dans le contexte de l‘anonymat. Si nous sommes en quête d‘un équilibre entre les intérêts des enfants, des parents et des donneurs, il faut pousser plus loin afin de se recentrer sur les liens et les relations interpersonnelles et interdépendantes existant entre ces personnes. En fait, une étude concernant les enfants et la famille doit apprécier l‘importance de l‘interdépendance entre les différents acteurs qui composent ce "groupe" particulier d‘individus. Une éthique générale de la procréation, qui inclut les procréations assistées, doit plus précisément se comprendre dans le cadre d‘une éthique plus globale basée sur la justice dans les rapports humains287. L‘interdépendance dans les rapports entre individus, qui fonde l‘éthique de la sollicitude dans l‘établissement d‘un sentiment d‘empathie et de responsabilité à l‘égard d‘autrui, est non seulement manifeste mais nécessaire dans le cas de l‘anonymat des 287 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 286. 83 donneurs de gamètes et d‘embryons. C‘est d‘ailleurs l‘enfant qui constitue le cœur des relations d‘interdépendance à titre de personne en position de vulnérabilité. Il est certain qu‘il existe un lien particulier entre le donneur et les parents, autrement la conception ne serait pas possible, mais il n‘a pas d‘influence immédiate sur la reconnaissance potentielle d‘un droit fondamental aux origines de l‘enfant ou sur la question de la révélation à l‘enfant des circonstances de sa conception. Nous constatons effectivement au chapitre 2 que, contrairement à ce qui est souvent avancé, la préservation de l‘anonymat du don n‘encourage pas les couples à maintenir le secret sur les circonstances de la conception de l‘enfant. Bien au contraire, son abolition diminue la tendance à soulever le voile288. Or, lorsque nous soupesons d‘un point de vue d‘ensemble nos conclusions liées au secret et à l‘anonymat, cet élément nous permet, entre autres choses, de considérer que le privilège de réserve des parents contrebalance l‘abolition de l‘anonymat. Par contre, lorsque nous étudions ces deux éléments indépendamment l‘un de l‘autre selon un regard de sollicitude, nous constatons que l‘enfant est le principal acteur déterminant la ligne médiane des relations étudiées. L‘analyse relationnelle se situe donc à deux principaux niveaux. En premier lieu dans le rapport parents – enfant quant au secret sur le mode de conception. Il s‘agit alors de déterminer si les parents doivent répondre à une éventuelle revendication identitaire de l‘enfant qui ne sait rien. Sur quel fondement peut-on alors établir une responsabilité des parents à reconnaître le recours aux forces génétiques d‘un tiers? Cette reconnaissance est 288 P. Jouannet et al., « La majorité des couples procréant par don de sperme envisagent d‘informer l‘enfant de son mode de conception, mais la plupart souhaitent le maintien de l‘anonymat du donneur », (2010) 20 :1 Andrologie 29 [Jouannet et al., « Informer l‘enfant »]; T. Freeman et al., « Gamete donation: parents‘ experiences of searching for their child‘s donor siblings and donor », (2009) 24:3 Human Reproduction 505 aux pp. 505-506. 84 parfois difficile car, comme nous le constatons au chapitre 2, les parents sont souvent de fervents partisans du secret. Ils considèrent celui-ci comme partie prenante de leur intimité et, par conséquent, ils répugnent fréquemment à ce que le recours à un tiers donneur soit connu, notamment de leur enfant. La recherche des origines se manifeste en second lieu dans le lien géniteur – enfant. Du fait de son acte d‘assistance à l‘engendrement, le donneur a-t-il obligatoirement la responsabilité de répondre à la demande de l‘enfant désirant connaître son identité? Ce même enfant a-t-il également des responsabilités? Cela nous amène à nous questionner sur l‘articulation du débat autrement que selon une simple position pour ou contre comme c‘est généralement le cas dans la littérature. Nous cherchons à déterminer s‘il est nécessaire que les normes du législateur évoluent afin de reconnaître à l‘enfant non seulement un droit de savoir qu‘il est né grâce à un don d‘engendrement, mais aussi un droit à obtenir de l‘information nominative et identifiante concernant son géniteur. L‘érection de ces droits de savoir et aux origines en de véritables droits fondamentaux, conformément à l‘approche retenue par Michèle Giroux, présente toutefois certaines limites. C‘est une réflexion qui ne rend pas compte de toute la complexité des rapports émergeant en matière d‘anonymat et dont on doit tenir compte dans la recherche d‘un équilibre entre les intérêts et les besoins des acteurs en présence. Le recours à l‘éthique de la sollicitude devrait alors être d‘une grande utilité. En effet, elle permet de mieux protéger les intérêts d‘un groupe d‘individus, comme les enfants issus d‘un don d‘engendrement, en situation de possible faiblesse. Le recours à la dimension relationnelle des droits vise précisément à rééquilibrer les rapports entre les 85 acteurs impliqués dans le processus législatif. La Professeure Angela Campbell explique cette idée en spécifiant que : « [t]he challenge that arises most frequently, and is perhaps the easiest to address, relates to the historic association of rights with individualism.' The conventional understanding of rights presents the "rights-owner" as independent, self-sufficient, and unconnected to the world that surrounds her. This portrayal fails to capture the realities of most individuals, particularly women, who historically lacked the social and legal independence required to bear rights within this framework.' To overcome this difficulty, several scholars have developed an alternative understanding of rights that underscores an individual's relationships to other persons and institutions. These works contribute to rescuing the rights-based discourse from its traditional focus on individualism. »289 L‘auteure applique sa réflexion aux enfants mineurs en tant que sujets ayant besoin de protection. Pourtant, les enfants du don constituent également une population particulière en état d‘interdépendance à l‘égard de son donneur et de ses parents. Les problématiques concernant ces acteurs, notamment en matière d‘anonymat, se situent dans la sphère des liens familiaux et affectent leur santé et leur bien-être. Aussi, l‘éthique de la sollicitude est l‘approche théorique qui convient afin d‘examiner l‘impact de l‘éthique sur l‘évolution de la règle de droit. Comparée à une réflexion reposant sur les droits fondamentaux, qui s‘inscrit dans une perspective individualiste plutôt que collective290, l‘éthique de la sollicitude porte avant tout sur les relations humaines et la contextualisation des besoins de chacun, ce qui inclut de s‘intéresser aux conséquences et à la nécessité de ne pas nuire à autrui, et non 289 Angela Campbell, « Stretching the limits of "rights talk": securing health care entitlements for children, (2003) 27 Vt. L. Rev. 399 à la p. 403. 290 Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 64. 86 pas en prenant les individus isolés les uns des autres291. Comme nous le constatons cihaut, cet aspect relationnel importe au plus haut point en procréation assistée292 et, plus particulièrement, dans le contexte de l‘anonymat des dons où les acteurs sont souvent tous intimement liés les aux autres biologiquement, socialement ou affectivement. Jennifer Nedelsky expose corrélativement la conception traditionnelle des droits selon laquelle ils constituent, de nature, des barrières qui protègent leurs titulaires contre une intrusion d‘autrui, incluant l‘État. Ils définissent des frontières et ce sont ces limites, entérinées dans la loi, qui assurent l‘autonomie et la liberté individuelle. L‘auteure adopte quant à elle la thèse de l‘approche relationnelle des droits qu‘elle expose à l‘aide du concept même d‘autonomie. Traditionnellement, l‘essence de cette dernière est l‘indépendance des personnes, requérant par le fait même une protection contre les intrusions. De l‘avis de Nedelsky, l‘autonomie ne se réalise toutefois pleinement que si elle est considérée dans un contexte relationnel. Dès lors, la dépendance des individus n‘est plus l‘antithèse de l‘autonomie, mais une condition préalable au maintien et à l‘établissement de relations, par exemple entre parents et enfants, qui répondent aux besoins des autres. L‘interdépendance devient un point central de la vie politique en 291 Jonathan Herring, Medical Law and Ethics, 2e édition, Oxford, Oxford University Press, 2008 à la p. 27 [Herring, « Medical Law »]; Ruth E. Groenhout, Connected lives: human nature and an ethics of care, Oxford, Rowman & Littlefield, 2004 aux pp. 161-162. 292 « Considérer le droit d‘abord comme un moyen de revendication tout en donnant une interprétation individualiste des droits de la personne constitue un danger potentiel pour les sociétés démocratiques. Le premier aspect de ce danger est « la transmutation opérée entre le droit-responsabilité et le droit-désir » Une pression de plus en plus forte pousse les juristes à élever des désirs, parfois légitimes, au rang de droit. […] [Par exemple, du] désir d‘enfant, nous sommes passés au droit à l‘enfant, en empruntant la voie des droits et libertés fondamentales. On invoque le droit à l‘enfant comme s‘il s‘agissait d‘un droit fondamental plutôt que d‘une faculté naturelle. » Lavallée, « Frontière », supra note 242 aux pp. 64-65 citant également JeanLouis Baudouin, « Réflexion sur les rapports de la bioéthique et des droits fondamentaux », dans G. Lafrance, dir., Éthique et droits fondamentaux, Ottawa, Les Presses de l‘Université d‘Ottawa, 147 à la p. 150. 87 reconnaissant les différentes interactions ayant cours dans la société et le droit vient structurer ces rapports293. Cette vision de Nedelsky se transpose à la problématique de l‘anonymat où il nous semble malvenu de concevoir indépendamment l‘autonomie de chacun des acteurs, surtout lorsqu‘il s‘agit de l‘enfant. Nous ne nions pas que les circonstances du don d‘engendrement font en sorte que cet enfant naît de la manifestation de l‘autonomie des parents qui ont décidé d‘utiliser un tiers donneur et, pour ce dernier, d‘avoir choisi de faire un don. Pourtant, où est la protection de l‘autonomie de l‘enfant lorsqu‘il se voit imposer la décision des parents de ne rien dire, ce qui n‘est pas problématique à tous les coups nous en convenons, ainsi que lorsque le donneur refuse de se faire connaître et que l‘enfant veut en savoir plus? Dans ces circonstances, même l‘autonomie des parents et du donneur ne prend véritablement un sens que si elle est envisagée dans sa dimension interactive avec celle de l‘enfant. D‘ailleurs, en droit de la famille, en ayant recours à l‘éthique de la sollicitude, la loi ne se fonde pas sur des présupposés biologiques, mais sur des relations interpersonnelles où empathie et responsabilité sont des leitmotivs. Les enfants sont protégés non pas seulement en raison de leur statut de personnes vulnérables, mais à cause de l‘interdépendance inhérente à l‘existence humaine à l‘intérieur de la cellule familiale. C‘est un ethos qui affecte comment le droit est fait et nous inspire en matière de 293 Jennifer Nedelsky, « Reconceiving rights as relationships », (1993) 1 :1 Revue d‘études constitutionnelles 1 aux pp. 7-8. 88 procréation assistée et d‘anonymat des dons d‘engendrement294. C‘est là que l‘internormativité entre en ligne de compte. Cela nous mène à considérer, au chapitre 3, comment les différentes législations favorisant ou non l‘anonymat gèrent cette situation? Y retrouvons-nous une manifestation des principes directeurs issus de l‘éthique de la sollicitude? Accordent-elles une priorité aux relations interpersonnelles et d‘interdépendance? Dans la négative, quelle influence cela aurait-il sur l‘état du droit? Qu‘est-ce qui est nécessaire afin que telle priorité soit accordée? Dans l‘étude qu‘il présenta à la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Will Kymlicka souligne qu‘il est peu souhaitable que la Commission adopte une doctrine morale déterminée telle l‘éthique de la sollicitude et ce, pour trois raisons. Il existe tout d‘abord des désaccords profonds quant à l‘utilité relative des différentes approches théoriques afin de solutionner les problèmes liés à la procréation assistée et ceux-ci peuvent être difficilement réglés ou caractérisés. Le choix d‘une approche particulière fait courir le risque de mécontenter une large part de la population. En second lieu, nous dit l‘auteur, la route est longue entre l‘adoption d‘une théorie globale et la formulation de recommandations pratiques à l‘égard des questions précises soulevées par les nouvelles technologies de la reproduction. Les théories ne sont pas des formules préfabriquées offrant une réponse claire à des questions difficiles. Elles requièrent une interprétation et ce seul processus est tout autant source de difficultés et de controverses que l‘adoption de la théorie en soi. Les problèmes auxquels fait face une commission sur les techniques de reproductions ne peuvent qu‘empirer en raison du difficile consensus 294 Fiona Kelly, « Conceptualising the child through an ‗ethic of care‘: lessons for family law », (2005) 1:4 International Journal of Law in Context 375 à la p. 389. 89 issu de l‘outil destiné à analyser la situation. L‘auteur remarque finalement qu‘à cause des difficultés posées par l‘interprétation et l‘application rigoureuse des théories morales, qui sont basées sur des concepts fondamentaux, leur sont souvent préféré une argumentation moins rigidement structurée faisant appel à des principes intermédiaires. Ceux-ci font essentiellement appel aux points communs existant entre les différentes théories morales; à savoir l‘autonomie individuelle, l‘utilisation judicieuse des ressources, la non commercialisation de la reproduction, l‘égalité, le respect de la vie humaine, la protection des personnes vulnérables et l‘obligation de rendre des comptes295. Le choix d‘une théorie morale particulière comme l‘éthique de la sollicitude ou le principe de non nuisance ne résout peut-être pas à lui seul tous les enjeux délicats liés aux nouvelles technologies de la reproduction, et en l‘occurrence ceux issus de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, mais il fournit un cadre d‘analyse possible grâce auquel nous pouvons apporter des pistes de solution et des éléments de réponse non négligeables. En outre, au risque de nous répéter, l‘éthique de la sollicitude nous apparaît comme un regard théorique opportun compte tenu des relations humaines interdépendantes de la problématique et du fait qu‘il encourage le souci du bien-être mutuel. Cet aspect particulier confère à la sollicitude une orientation éthique plus générale et englobante d‘autres approches qui lui attribue par le fait même davantage de légitimité. 295 Will Kymlicka, « Positions de principe à l‘égard des questions éthiques soulevées par le mandat de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction », dans Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Les nouvelles techniques de reproduction : Questions d’ordre éthique, Volume 1 des volumes de recherche, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1993, 1 aux pp. 18-21 [Kymlicka, « Positions de principe »]; Les principes directeurs énumérés par Kymlicka sont détaillés aux pages 21-29; Voir également : Will Kymlicka, « Moral philosophie and public policy : the case of NRT‘s », (1993) 7 :1 Bioethics 1. 90 Qui plus est, quand bien même l‘éthique de la sollicitude forme une approche théorique précise, nous constatons ci-après qu‘elle possède une dimension politique permettant son entrée dans l‘internormativité et que la Commission royale se dota de principes directeurs afin de guider sa réflexion. Or, l‘approche basée sur des principes directeurs est celle préconisée par Kymlicka. Il précise que des désaccords peuvent intervenir dans leur application, interprétation, mais que cela n‘invalide pas l‘utilité de la démarche pour autant. Ces désaccords peuvent notamment contribuer à éclairer et même enrichir le débat public sur les conséquences éthiques de nouvelles technologies de la reproduction296. L‘auteur ajoute qu‘il ne s‘agit pas d‘adhérer à une théorie éthique pour être sûrs de nos principes directeurs, mais bien l‘inverse. Nous serons d‘autant plus certains de la valeur d‘une doctrine particulière si nous pouvons en tirer des principes intermédiaires auxquels nous adhérons déjà fortement297. En s‘inspirant de la théorie morale en général et de l‘éthique biomédicale en particulier afin d‘adopter les siens, c‘est exactement ce que fit la Commission298. Elle note d‘ailleurs l‘expression d‘un consensus à l‘égard de ces principes directeurs lors des consultations qui furent effectuées auprès de spécialistes et de citoyens299. Si l‘éthique de la sollicitude ne fait pas toujours l‘unanimité dans la littérature, tout d‘abord en faisant l‘objet de critiques sur sa nature intrinsèque en tant que théorie morale et, ensuite, quant à son utilisation au regard de la procréation assistée, nous venons d‘expliquer pourquoi il s‘agit d‘une approche théorique pertinente dans la 296 Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 aux pp. 32 et ss. Ibid. à la p. 38. 298 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 61. 299 Ibid. à la p. 67. 297 91 discussion sur l‘anonymat des dons d‘engendrement. Son impact réel dans la production législative canadienne et québécoise ayant été peu abordé dans la littérature, il est selon nous approprié de reprendre le cadre analytique retenu par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction et de le tester à la problématique qui nous préoccupe. Dans la présente section nous faisons en premier lieu une étude des termes en présence : éthique et morale. Cela nous permet de bien situer notre cadre théorique global puis, nous conduit à une analyse plus détaillée de l‘éthique de la sollicitude. Nous constatons qu‘elle se présente à la fois comme une philosophie morale et comme une théorie politique. C‘est cette dernière dimension qui retient notre attention car elle établit les fondements de l‘introduction de l‘éthique de la sollicitude dans l‘internormativité que nous abordons plus spécifiquement en section 3. Finalement, nous faisons état des principes directeurs de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction et nous analysons dans quelle mesure nous les appliquons à la question de l‘anonymat. 1- ÉTHIQUE ET MORALE: LES TERMES EN PRÉSENCE Dans les sciences de la vie, nous dit Sophie Monnier, la référence à l‘éthique est apparue sous le néologisme "bioéthique", synonyme d‘éthique biomédicale300. D‘ailleurs, ce champ particulier de la philosophie s‘introduit en droit dans les questions touchant l‘assistance à la procréation et dans toutes les interrogations éthiques liées à l‘amont de la 300 Monnier, supra note 93 à la p. 15. 92 naissance301. L‘appellation des lois dites de bioéthique en France en témoigne. Nous pourrions certes revendiquer faire de la bioéthique, mais pour des raisons liées à l‘approche que nous avons choisie, celle de la sollicitude, nous nous cantonnons dans les limites de l‘éthique tout simplement. Nous y recourons tout au long de cette thèse de façon interchangeable avec la morale. Les mots "morale" et "éthique" sont effectivement utilisés çà et là dans la littérature sur les liens entre l‘éthique et le droit. Ce sont des concepts qui peuvent être employés comme des synonymes par les auteurs ou encore distingués l‘un de l‘autre en renvoyant à des réalités distinctes302. La polysémie des termes et la pluralité des points de vue ne contribuent qu‘à complexifier notre tâche dans l‘étude de l‘internormativité entre l‘éthique et le droit303. L‘"éthique" provient de deux homonymes grecs : êthos et éthos. Le premier évoque notamment le caractère d‘un individu, le trait distinctif par lequel on le reconnaît dans sa manière d‘agir, alors que second signifie coutume, mœurs, habitude. « Initialement donc, l‘éthique renvoie non à des principes abstraits, mais au caractère produit de l‘habitude d‘une personne. Elle s‘interroge sur la manière dont un être humain s‘y prend pour acquérir ses habitudes et sur la valeur de celle-ci. »304. La "morale" provient quant à elle du latin mos (moris). Cela renvoie essentiellement à une manière de se comporter, cela étant déterminé non pas par la loi, mais par l‘usage. Mais la morale 301 Ibid. à la p. 18. Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 23. 303 Simone Goyard-Fabre, « Les rapports du droit et de la morale aujourd‘hui », dans François Dermange et Laurence Fachon, dir., Éthique et droit, Genève, Labord et Fides, 2002, 19 à la p. 19. 304 Christian Byk, Le droit international des sciences de la vie : bioéthique, biotechnologies et droit, Bordeaux, Les Études Hospitalières, 1999 à la p. 12. 302 93 veut également dire mode de vie, règles, préceptes émanant d‘un groupe en particulier ou d‘un individu. « Un être moral, c‘est donc un être qui agit selon des règles qu‘il se donne et qui lui dictent ce qu‘il faut faire de sorte que ses habitudes de conduites soient celles qui conviennent le mieux à son caractère »305. "Morale" et "éthique" peuvent en définitive se rapprocher au point que la morale déborde des frontières l‘éthique, faisant de cette dernière la science de la morale306. En adoptant ce regard des choses, la morale est tournée vers la pratique alors que l‘éthique est d‘ordre théorique. Mais l‘inverse peut aussi être soutenu en considérant la morale comme une abstraction et l‘éthique en tant que réalité concrète qui recherche les fondements de l‘action307. En fait, les critères qui visent à distinguer ces deux concepts sont nombreux et proposent de multiples interprétations : concret/abstrait, théorie/pratique, individuel/collectif, système fermé/ouvert ou dogmatique, réflexif et impératif/descriptif, appréciation du bien ou du mal/du bon ou du mauvais308. Des débats entre les auteurs sur la synonymie des termes se dégageraient deux grandes tendances. La première est française et préfère l‘utilisation du mot "morale" alors que la seconde est anglo-saxonne et renvoie au terme "éthique"309. D‘autres constatent tout simplement que suite à l‘évolution philosophique de ces deux notions, l‘utilisation du terme "éthique" a fini par remplacer celui de "morale" chez la plupart des auteurs310. 305 Ibid. à la p. 12. Ibid. 307 Monnier, supra note 93 à la p. 249. 308 Ibid. 309 Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 24. 310 Ibid. à la p. 33. 306 94 Dans le cadre de sa Stratégie nationale sur la biotechnologie, le gouvernement fédéral finança en 1994 un Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en vue de l‘éclairer sur ses décisions en matière de biotechnologie. Une partie de la réflexion s‘intéressa à ce qu‘il faut comprendre lorsqu‘on dit qu‘une action, une pratique ou une politique doit être éthiquement acceptable311. Les auteurs retiennent une interprétation fort intéressante puisqu‘ils tentent de présenter la définition la plus large possible de l‘éthique au point qu‘il s‘agit de la mise en application des valeurs morale : « l‘éthique est l‘activité qui consiste à réfléchir et à se prononcer sur ce que devraient être le comportement des personnes entre elles ou la structure des institutions et des activités humaines. C‘est donc l‘étude de situations réelles à la lumière de valeurs morales en vue de savoir quel comportement nous devrions adopter dans ces situations. Il s‘agit donc de déterminer comment nous pouvons faire les bons choix, avec toutes les complications que cela peut entraîner. »312 Nous ne nous prétendons pas philosophe. Aussi, afin d‘éviter les confusions inutiles, nous utilisons également les termes "morale" et "éthique" de façon interchangeable en les renvoyant à la réflexion quant à l‘agir humain. Si pour les fins de cette thèse nous en restons à une définition simple confondant les deux termes, cela n‘exclut pas de considérer que si : « les valeurs éthiques tirent d’abord leur origine de la conscience individuelle, cela ne change rien au fait que la conjugaison, même passagère, de certaines valeurs, par l‘entremise de compromis ou de consensus que les citoyens et des segments de la population établissent 311 Ted Schrecker et Margaret A. Somerville, « Prendre des décisions éthiquement acceptables en matière de politiques : Les défis qui attendent le gouvernement fédéral », dans Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en biotechnologie, Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie – Consultations en tables rondes, Ottawa, Hiver 1998, 80 à la p. 87, En ligne : http://strategis.gc.ca/pics/bhf/makingf.pdf> (Date d‘accès : 20 juillet 2009). 312 Ibid. à la p. 89 95 entre eux, par moments, contribue à les faire se transposer au niveau social »313. D‘une part, en constituant une expression collective puis, en implantant des interactions avec le droit. Rappelons-nous qu‘en raison de sa popularité grandissante eu égard à la "crise du droit" et aux incertitudes engendrées par les nouvelles technologies, plus rien n‘échapperait à l‘éthique au point de la transformer en pratique sociale 314. Elle se manifeste donc tant dans ses dimensions "micro" que "macro", celles-ci constituant les diverses perspectives constituant l‘univers éthique global315. En tous les cas, l‘éthique prend source dans l‘adhésion volontaire en représentant un contrôle de la société par ellemême, d‘abord au niveau des individus qui la composent, puis au niveau de leurs unités d‘appartenance, communautaires ou organisationnels316. Nous remarquons aux prochains points que l‘éthique de la sollicitude peut elle aussi prendre différentes formes. Elle est dans un premier temps une théorie morale, mais également une idée politique entrant dans la sphère des relations interpersonnelles. En référant aux différentes critiques qui ont été faites à ces deux manifestations de l‘éthique de la sollicitude, nous dégageons les fondements du cadre analytique que nous utilisons dans notre analyse de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Nous constatons alors que la vision politique de l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘édifier des 313 Guy Giroux, « L‘éthique et le droit : convergences et divergences en démocratie libérale », dans Cahiers de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, supra note 73, 27 à la p. 34. 314 Giroux, « Changement ou statut quo », supra note 144 à la p. 15. 315 Guy Durand, « Coordonnées de base de l‘éthique », (1994) 50 :3 Laval théologique et philosophique 467 à la p. 478. 316 Giroux, « Demande sociale », supra note 141 à la p. 36. 96 liens internormatifs avec l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personne. La théorie morale se concentre, quant à elle, principalement sur un individu unique. 2- L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE EN TANT QUE THÉORIE MORALE : FONDEMENTS DE LA THÉORIE L‘éthique de la sollicitude, que certains appellent également éthique du souci d‘autrui317 ou de l‘autre318, a émergé au début des années 1980 dans la philosophie anglosaxonne sous l‘appellation "ethics of care". Une auteure remarque d‘ailleurs que « [l]‘anglais n‘a qu‘un seul mot – care – là où le français les multiplie »319. Sémantiquement, le verbe anglais "care" signifie « se sentir concerné par » ou « se soucier de ». La traduction française de "sollicitude" exprime bien cette idée. Ainsi, l‘éthique de la sollicitude se situe dans le prolongement de l‘éthique du sentiment de David Hume320. D‘autres disent qu‘il s‘agit d‘une forme d‘éthique de la vertu321. Cette éthique tire principalement son origine d‘écrits d‘auteures féministes. Parmi ses plus grands promoteurs se trouve Carol Gilligan dont le livre In a Different Voice322 constitue une pierre angulaire dans ce domaine. L‘auteure se posa comme une fervente 317 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 58; La Commission fait état d‘autres expressions comme éthique du respect d‘autrui, éthique de la solidarité ou éthique de la convivialité. Ibid. 318 Bernard Hanson, « L‘éthique du soin de l‘autre », dans Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, dir., Nouvelle encyclopédie de bioéthique: médecine, environnement, biotechnologie, Bruxelles, De Boeck Université, 2001, 398 à la p. 398. 319 Patricia Paperman, « Perspectives féministes sur la justice », (2004) 54 :2 L‘Année sociologique 413 aux pp. 413-414 à la note 1. 320 Métayer, supra note 283 à la p. 40. 321 Hanson, supra note 318 à la p. 398. 322 Carol Gilligan, In a Different Voice, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1982. 97 antagoniste à l‘idée soutenue par Lawrence Kohlberg323 selon laquelle « le degré le plus élevé de raisonnement moral met en œuvre des principes de justice abstraits et impartiaux »324. Elle identifia deux modes relationnels qui constituent deux façons de penser en morale : une éthique de la sollicitude ainsi qu‘une éthique des droits et de la justice. Sans prétendre que ces approches sont strictement corrélatives au genre de l‘individu ou que tout homme et toute femme tient le même discours, elle soutint que les hommes tendent à embrasser une éthique des droits qui utilise une terminologie à consonance légale et des principes impartiaux. Le tout est intégré dans un processus de balance et de résolution des conflits où les sentiments n‘ont pas leur place. Les femmes tendent quant à elles à affirmer une éthique de la sollicitude se concentrant sur l‘attention à autrui dans un réseau de besoins reliés entre eux et où l‘on cherche à prévenir les atteintes325. Le concept de sollicitude implique un engament de l‘individu envers les personnes pour lesquelles il se fait du souci. Il ne s‘agit pas seulement de renvoyer à l‘aptitude liée à la sympathie, c‘est-à-dire la capacité de percevoir ce que l‘autre ressent et en éprouver par la suite de la compassion, mais de faire en sorte que cette dernière suscite un sentiment de 323 Lawrence Kohlberg, Essays on Moral Development, vol. 1: The Philosophy of Moral Development, New York, Harper & Row, 1981; Lawrence Kohlberg, Essays on Moral Development, vol. 2: The Psychology of Moral Development, New York, Harper & Row, 1984. 324 Paperman, supra note 319 à la p. 417. 325 D‘après l‘interprétation de Tom Beauchamp et James F. Childress, Principles of biomedical ethics, 5e éd., New York, Oxford University Press, 2001 à la p. 371; En somme, dans la thèse de Gilligan, trois caractéristiques fondamentales différencient l‘éthique de la sollicitude de l‘éthique de la justice « Premièrement, l‘éthique du care s‘articule autour de concepts moraux différents de ceux de l‘éthique de la justice de Kohlberg, à savoir la responsabilité et les liens humains plutôt que les droits et les règles. Deuxièmement, cette forme de morale est liée à des circonstances concrètes et n‘est pas formelle et abstraite. Troisièmement, cette forme de morale est mieux exprimée, non pas comme un ensemble de principes, mais comme une activité, «l‘activité du soin». » Joan C. Tronto, « Au-delà d‘une différence de genre : vers une théorie du care », dans Patricia Paperman et Sandra Laugier, Le souci des autres : Éthique et politique du care, dir., Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, 25 à la p. 28. 98 responsabilité et insuffle une motivation forte à intervenir parce que la personne se sent concernée par ce qui arrive à l‘autre. L‘agent moral ne doit pas demeurer qu‘un simple observateur, c‘est-à-dire un agent passif compatissant au sort d‘autrui, mais atteindre un rôle actif d‘intervenant à l‘égard de ce tiers326. Cela s‘accompagne d‘une injonction de ne pas blesser l‘autre327. Nous pouvons ici retrouver l‘idée générale qui se trouve au cœur du principe de non nuisance. « L‘éthique du souci de l‘autre se pose comme un but de devenir "soignant" au fond de soi, et non de se comporter en soignant »328. Le problème moral surgit de responsabilités conflictuelles et non de droits concurrents en tant que tel329. Bref, deux principaux thèmes sont au centre de l‘éthique de la sollicitude. L‘interdépendance mutuelle dans les relations et un rôle pour les émotions. Le premier renvoie au fait que beaucoup de rapports humains impliquent des personnes vulnérables, dépendantes, malades et/ou fragiles, et que la réponse morale souhaitée fasse écho à leurs besoins sans se détacher du respect des droits. Le second signifie que le jugement ou le raisonnement moral n‘est pas que l‘affaire de la raison en trouvant des règles destinées à arbitrer des intérêts conflictuels. Les sentiments visés sont ceux de l‘agent moral dans l‘expression de ses motivations ainsi que ceux qu‘il ressent en se mettant à la place de l‘autre. Cela contribue à la mise en contexte qu‘il doit opérer afin de mettre un terme ou de réduire le conflit entre les intérêts divergents plutôt que de simplement opérer un ordre 326 Métayer, supra note 283 à la p. 41. Hanson, supra note 318 à la p. 398. 328 Ibid. 329 Paperman, supra note 319 à la p. 421. 327 99 de priorité entre eux330. Toute intervention doit ultimement éviter de nuire aux relations humaines331. Ainsi, à la base, l‘éthique de la sollicitude ne s‘applique pas à ce qui est commun et généralisable, mais est en réponse à un autre être humain, unique par définition332. Les partisans de l‘éthique de la sollicitude tancent corrélativement le courant rationaliste de ne s‘intéresser en grande partie qu‘aux problématiques qui concernent la sphère publique comme les questions de droit de la personne et de justice sociale. Les adeptes d‘une éthique des droits accordent peu d‘importance aux relations interpersonnelles où s‘expriment les valeurs associées à la sollicitude (entraide, compassion, fidélité, engagement, responsabilité). Ils recherchent plutôt des normes universelles, valables pour tous et reconnues par tous. Or, une bonne prise de décision, disent les éthiciens de la sollicitude, doit aller au-delà du souci d‘impartialité et de cohérence qui, parfois, peut nous rendre aveugle aux besoins d‘autrui. Il s‘agit certes d‘une grande vertu, mais qui a ses limites. La déshumanisation des soins médicaux dans les hôpitaux suite à l‘application aveugle de règlements et sans tenir compte de situations particulières en est un bon exemple. Une attitude de détachement et de recul ne donne pas forcément accès aux informations nécessaires à la prise en considération du contexte particulier des personnes concernées en tenant compte de leurs besoins. Nous constatons d‘ailleurs au point 3 que cela peut s‘avérer tout aussi pertinent dans la sphère politique des relations interpersonnelles et des questions de justice. En fait, tant que les principes 330 Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p. 373; Robert G. Lee et Derek Morgan, Human Fertilisation & Embryology: Regulating the Reproductive Revolution, Londres, Blackstone Press Limited, 2001 à la p. 38. 331 Lee et Morgan, supra note 330 à la p. 38. 332 Hanson, supra note 318 à la p. 398; Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 à la p. 11. 100 universels laissent de la place au jugement discrétionnaire et contextuel, l‘éthique de la sollicitude ne s‘y oppose pas333. Il ne s‘agit donc pas de se passer de la justice334. Pourtant, l‘éthique de la sollicitude n‘est pas sans risques aux dires de certains. Le premier reproche lui étant fait est que la femme s‘en trouve maintenue sous domination masculine car influencée par une volonté à faire le bien associée à un altruisme et une auto-sous-estimation335. Cet argument provient du mouvement féministe même. Il se fonde sur le fait que c‘est le rôle traditionnel des femmes, en tant que personnes soucieuses et dépendantes, qui cause leur oppression et leur subordination336. Les appuis à l‘éthique de la sollicitude rétorquent qu‘il ne s‘agit pas d‘une philosophie proposée uniquement aux femmes, mais « qu‘elle vise aussi à développer «la part féminine» des hommes »337. Ainsi, il n‘est pas question pour les femmes de vivre leur vie en tant qu‘êtres indépendants, autonomes et sans obligations comme les hommes semblent le faire, mais de promouvoir les valeurs du soin et de la dépendance338. Le fait que ces critiques soient articulées par les féministes n‘est pas pertinent quant à la nature profonde de la théorie de l‘éthique du "care" parce que des auteurs prônent littéralement un abandon de la présentation de la sollicitude comme une éthique féminine339. Ce qu‘il nous semble important de retenir est la caractéristique humaine de l‘éthique de la sollicitude. 333 Métayer, supra note 283 aux pp. 42-43; Beauchamp et Childress, supra note 325 aux pp. 371-372, 375. Paperman, supra note 319 à la p. 429. 335 Hanson, supra note 318 à la p. 399; Voir également : Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p. 375. 336 Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28. 337 Hanson, supra note 318 à la p. 399. 338 Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28. 339 C‘est notamment ce qu‘elle cherche à démontrer dans Joan C. Tronto, Moral Bounderies : A Political Agument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993 [Tronto, « Moral bounderies »]. 334 101 Si l‘éthique de la sollicitude peut être désapprouvée vu une trop grande interdépendance relationnelle, voir une ingérence excessive de la part de l‘agent moral, débouchant à un étouffement de l‘autonomie de la personne en bénéficiant340, la seconde réprimande majeure concerne corrélativement le caractère vague de la notion de souci. Il peut en effet être avancé que ce ne sont pas toutes les relations de sollicitude qui sont bonnes. Elles peuvent entraîner de la manipulation et de l‘oppression. Sans une clarification de ce qu‘est une bonne attention de l‘autre cela peut difficilement constituer la base d‘une approche éthique crédible341. La sympathie que l‘on cherche à susciter chez l‘agent moral peut en effet être affectée de certaines carences pouvant provoquer l‘effet inverse de celui désiré. Étant trop sensible, l‘agent peut préférer s‘éloigner pour ne pas souffrir lui-même. Quant à la compassion, elle est susceptible de générer chez lui de la pitié qui est problématique sur le plan moral car elle peut créer une position de supériorité et cela peut entraîner un sentiment d‘humiliation chez la personne en étant l‘objet. D‘où l‘utilisation du terme sollicitude puisque, en plus de la sympathie et de la compassion, elle a vocation à provoquer un sentiment de responsabilité342. Même à cela, pour les protagonistes, il s‘agit d‘une approche qui généralement faillit à fournir des règles légales claires343. Attendu que « the ethics of care needs one or more central concepts and a set of bridging concepts to link it to the legitimate concerns of traditional theory »344, nous remarquons au point 4 que, dans le domaine des nouvelles technologies de la 340 Hanson, supra note 318 à la p. 399. Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28. 342 Métayer, supra note 283 aux pp. 41-42. 343 Garrison, supra note 58 à la p. 869. 344 Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p. 374. 341 102 reproduction, la Commission royale traduisit l‘éthique de la sollicitude en huit principes directeurs qui tentent de pallier à ces défauts. Nous ne pouvons pas prendre pour acquis que l‘application qu‘en fit la Commission à chaque cas d‘espèce est juste, mais la forme de sa réflexion s‘appuyant sur des principes directeurs a l‘avantage de faciliter la compréhension de la notion de sollicitude en lui attribuant un contenu déterminé plus à même de fournir des balises normatives claires. Avant de les analyser plus en profondeur, établissons les bases de l‘éthique de la sollicitude au-delà des frontières relationnelles individuelles. 3- L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE EN TANT QU’IDÉE POLITIQUE L‘éthique de la sollicitude se présente avant tout comme un concept moral, mais sa pratique constitue également une idée politique. Tel que requis par la nature des rapports entre l‘enfant et la famille, cette conception de l‘éthique de la sollicitude repose sur une analyse qui apprécie l‘importance de l‘interdépendance entre les différents acteurs qui composent ce "groupe" particulier d‘individus. Pour ce faire, il ne s‘agit pas que d‘importer un concept moral dans l‘ordre politique. Significativement, y appliquer l‘éthique du "care" défie comment nous concevons la justice sociale dans la prise de décision publique. La justice sociale est basée sur l‘idée que tous les membres de la société ont un accès égal aux différents bénéfices et opportunités que cette dernière offre et ce, peu importe leur position 103 sociale345. Nous pourrions considérer que le programme québécois de gratuité en matière de procréation assistée346 répond à cette définition. Ceci étant, dans la sphère publique et politique, nous devons également considérer les individus pour ce qu‘ils sont, c‘est-à-dire des personnes distinctes et particulières, et non comme des êtres relationnels abstraits. Les liens entre ces personnes doivent être moralement évalués et, lorsque cela s‘avère approprié, une attention particulière et soucieuse doit être portée aux besoins de chacun347. En l‘occurrence, nous pouvons présumer que des enfants sont indifférents à la révélation du don d‘engendrement qui a permis leur naissance et ne pas souhaiter en savoir plus sur leur géniteur, mais ce n‘est pas le cas de tous. Aussi, les acteurs du don d‘engendrement sont intimement liés les uns aux autres biologiquement, socialement ou affectivement. La conception politique de l‘éthique de la sollicitude défendue par Joan C. Tronto permet ainsi de concrétiser dans la sphère politique des relations interpersonnelles et des questions de justice les liens internormatifs entre l‘éthique de la sollicitude et le droit en les appliquant à une plus grande échelle de la population en même temps348. Certains affirment que la meilleure façon de balancer les intérêts en compétition dans la problématique de l‘anonymat est de procéder à une analyse au cas par cas349. 345 Olena Hankivsky, Social Policy and the Ethic of Care, Vancouver/Toronto, UBC Press, 2004 à la p. 30. Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, L.R.Q. c. A-5.01; Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, D. 645-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3283. 347 Virginia Held, The ethics of care: Personal, Political, and Global, Oxford, Oxford University Press, 2006 à la p. 130 348 Christian Hervé mentionne parallèlement que dans « le système en place, la dimension éthique à intégrer dans l‘approche des problèmes de santé, associée à la gestion, est de l‘ordre du politique. La vision adéquate est celle qui renforcera le plus le lien social, qui interpellera le plus nos conceptions de la responsabilité, individuelle et collective, dans le respect des normes juridiques et sociales qui font l‘état de droit, mais aussi des exigences humanitaires, éthiques. Christian Hervé, Éthique, politique et santé, Paris, Presses Universitaires de France, 2000 à la p, 47. 349 Julie L. Sauer, « Competiting Interests and Gamete Donation: The Case for Anonymity », (2009) 39 Seton Hall L. Rev. 919 à la p. 945. 346 104 Cette façon de faire, si elle possède aussi une dimension relationnelle, puisque renvoyant à la vision de l‘éthique de la sollicitude en tant que théorie morale, est à notre avis erronée et incompatible avec une intervention du législateur en matière de procréation assistée et, plus spécifiquement, pour encadrer l‘accès aux informations nominatives et identifiantes concernant le donneur. Nous insistons sur ce point dans le chapitre préliminaire où nous justifions la légitimité de l‘intervention étatique. Nous y spécifions qu‘en dépit du fait que la grossesse et la naissance soient des événements biologiques, la reproduction est davantage un processus social et politique350. En plus des modifications profondes apportées au modèle familial depuis quelques années, la procréation assistée implique des enjeux de société, où se trouvent souvent des droits et des intérêts contradictoires qui ne peuvent pas être réglés qu‘au cas par cas. En l‘occurrence, qu‘arrive-t-il entre les droits du donneur au respect de sa vie privée et le droit de l‘enfant d‘accéder à ses origines lorsqu‘il en ressent le besoin? Quel équilibre trouver entre le libre choix du couple de ne pas révéler son recours à un tiers donneur et l‘autonomie de l‘enfant qui s‘avère absente puisqu‘il ne peut consentir à la situation? Les enjeux liés à la procréation assistée concernent nombre de facettes de la sphère publique, le social, l‘éthique, le juridique, le médical et l‘économique pour ne nommer que ceux-là, et requièrent un encadrement uniformisé afin d‘aborder les questions et de résoudre les problèmes d‘une façon globale. Ceci devant se faire sous l‘angle des relations interpersonnelles et interdépendantes. Tronto suggère en ce sens que l‘éthique de la sollicitude possède les qualités nécessaires afin de permettre aux citoyens en démocratie de vivre ensemble dans une société pluraliste et que, corrélativement, ce n‘est que dans une société juste, pluraliste et 350 Mossman, supra note 61 à la p. 190; McDaniels, supra note 61 aux pp. 176-177. 105 démocratique que la sollicitude peut s‘épanouir. À cette fin, plusieurs conditions doivent être réunies. Dans un premier temps, nous devons modifier notre vision de la nature humaine au regard de l‘individu même et de ses relations avec autrui. Le simple fait que la sollicitude soit un aspect fondamental de la vie humaine a de profondes implications sur la prise de décisions politiques. Cela signifie que tous les êtres humains ne sont pas pleinement autonomes et qu‘ils vivent en interdépendance. Puisque les individus sont parfois autonomes, parfois dépendants et parfois en train de répondre aux besoins d‘autrui, nous pouvons les qualifiés d‘interdépendants. Dans la lignée du raisonnement de Jennifer Nedelsky351, ce qu‘il importe de retenir c‘est que la dépendance ne constitue pas un obstacle à l‘autonomie de l‘individu. Il s‘agit plutôt de reconnaître que cela fait partie de la nature humaine. Un des objectifs de l‘éthique de la sollicitude est justement de mettre fin à cette dépendance et non d‘en faire un état permanent. En s‘intéressant à l‘aspect interpersonnel et interdépendant des rapports humains, nous pouvons reconnaître les intérêts et besoins de tous afin d‘y répondre et qu‘un épanouissement de la personne soit possible. Partir de l‘hypothèse que nous sommes interdépendants implique de se demander comment nous pouvons résoudre des problèmes d‘atteinte à l‘autonomie. Cette interdépendance va de pair avec la reconnaissance qu‘il n‘y a pas que des intérêts qui sont en jeu, mais également des besoins. C‘est une approche qui implique une dimension interactive menant à un engagement moral des individus formant la communauté. Enfin, cette réflexion nous conduit à la seconde condition, à savoir que certaines préoccupations ne doivent pas demeurer que la responsabilité individuelle d‘individus, mais sont des enjeux de société352. 351 352 Voir Nedelsky, supra note 293. Tronto, « Moral bounderies », supra note 339 aux pp. 161-166. 106 Subséquemment, l‘éthique de la sollicitude se distingue des théories politiques libérales qui influencent majoritairement notre vision contemporaine de la justice de par leurs prémisses constitutives. Les théories libérales de la justice se fondent principalement sur l‘autonomie et l‘égalité des êtres humains. Dans leur forme la plus classique, elles débutent en imaginant un nombre d‘individus égaux et autonomes se rassemblant pour former une société politique adhérant à un contrat social. Les principes de justice émanent parallèlement du fait que tous les individus agréent raisonnablement à ce contrat social et assument pleinement et volontairement les obligations qui en découlent. L‘éthique de la sollicitude prend quant à elle ses assises dans l‘idée que des individus existent déjà dans cette société et qu‘ils sont dépendants les uns des autres pour leur survie, leur développement et leur fonctionnement social. Du fait de leur interdépendance, ils doivent tous faire face à des obligations qu‘ils n‘ont pas choisies. En résulte, pour tous les individus capables, un engagement de sollicitude à l‘égard de ceux ayant des besoins. Les théories libérales intègrent une dimension relationnelle de sollicitude, mais la différence majeure est que cette dernière demeure limitée à la responsabilité individuelle sans intervention extérieure, notamment de l‘État, alors que l‘éthique du souci d‘autrui s‘attarde à en faire une question visant toutes les personnes. Cela se remarque par exemple dans les enjeux touchant l‘éducation, les soins de santé, les personnes âgées où une intervention collective apparaît nécessaire353. Cette vision des choses rejoint celle de Jennifer Nedelsky qui prône un changement de regard sur l‘autonomie. De l‘avis de 353 Daniel Engster, The heart of justice : care ethics and political theory, Oxford, Oxford University Press, 2007 aux pp. 7-9. 107 l‘auteure, cette dernière ne se réalise pleinement que si elle est considérée dans un contexte relationnel354. D‘ailleurs, comme nous l‘introduisons en début de section, c‘est le concept même d‘autonomie qui permet d‘établir la nature des relations entrant en ligne de compte dans la problématique sur l‘anonymat et auxquelles nous appliquons l‘éthique de la sollicitude. C‘est dans cette perspective relationnelle que l‘autonomie prend un sens dans le contexte de l‘anonymat. En effet, nous constatons au chapitre 2 que l‘autonomie de l‘enfant est fréquemment invoquée en faveur de la reconnaissance d‘un droit aux origines. L‘enfant, n‘ayant pas choisi de naître des suites d‘un don de gamètes ou d‘embryons, en lui imposant l‘anonymat, peut en effet se voir contraint par des barrières dans le développement de son identité dont le géniteur serait une part intégrante. Cela porte ainsi atteinte à son autonomie personnelle dans le développement de son identité355. Pourtant, cette autonomie de l‘enfant se distingue à deux niveaux. En premier lieu dans le rapport parents – enfant puis dans le lien géniteur – enfant. Une distinction est de ce fait requise entre le secret quant au mode de conception et l‘anonymat des donneurs. Certains se demandent même s‘il ne s‘agit pas des deux composantes d‘un même droit puisqu‘il y aurait une incohérence entre la reconnaissance d‘un droit de l‘enfant d‘obtenir des renseignements nominatifs ou identifiants sur son géniteur et l‘absence préalable d‘un 354 Nedelsky, supra note 293 aux pp. 7-8. Glenn McGee, Sarah Vaughann Brakman et Andrea D. Gurmankin, « Gamete donation and anonymity : disclosure to children conceived with donor gametes should not be optional », (2001) 16 :10 Human Reproduction 2033 à la p. 2035. 355 108 droit de savoir son mode de conception356. Dans ces circonstances, y a-t-il une atteinte à l‘autonomie de l‘enfant dans la mesure où l‘enfant ne connaît même pas la situation? A priori oui. Comment peut-on exercer un droit, aussi potentiel soit-il, si on ne nous en donne pas l‘opportunité? Ces sont des questions nous permettant d‘illustrer que l‘enfant constitue le centre de gravité des relations intervenant entre les acteurs du don d‘engendrement lorsqu‘il s‘agit de la question de l‘anonymat. Tronto considère ultimement qu‘il y a une fausse dichotomie entre la sollicitude et la justice. Cette dichotomie part de la présomption que la sollicitude est particulière et la justice universelle. Malgré cela, toute théorie de la justice est incomplète si elle n‘intègre pas une part de sollicitude. La relation existant entre ces deux notions doit en être une de compatibilité et non d‘hostilité. Les qualités à la base de la sollicitude, l‘attention (reconnaissance des besoins des autres), la responsabilité (faire pour les autres ce qu‘ils feraient pour nous), la compétence (qualité du travail dans l‘exécution de la sollicitude) et la capacité de répondre à une situation (tenter de comprendre la position de l‘autre telle qu‘elle est exprimée), doivent conséquemment servir de guides à notre comportement en tant que citoyens. Elles nous dirigent vers une politique au cœur de laquelle il y a une discussion publique des besoins et une appréciation honnête de l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des individus357. Corrélativement, la quête d‘objectivité qui caractérise l‘éthique des droits vient limiter une trop grande ingérence du sentiment dont 356 Lucy Frith, « Beneath the rhetoric: The role of rights in the practice of non anonymous gamete donation », (2001) 15: 5/6 Bioethics 473 aux pp. 476-477 [Frith, « Rhetoric »]. 357 Tronto, « Moral bounderies », supra note 339 aux pp. 166-172; Dans le même sens, voir : Hankivsky, supra note 345; Ainsi, « Just as an effective legal system and well-functioning democratic institutions seem to rest on the social connectedness that civil society can provide it can be argued that respect for human rights and for principles of justice presume some degree of caring relation between persons. » Held, supra note 347 à la p. 132. 109 est faite l‘éthique de la sollicitude. Cela est en définitive rendu possible par notre recours à l‘internormativité qui met en place les conditions nécessaires à un dialogue entre la règle de droit positif et l‘éthique de la sollicitude. Certains affirment au contraire que l‘éthique de la sollicitude présente des limites politiques empêchant qu‘elle soit utilisée dans le contexte des technologies de la reproduction. C‘est ce que cherchent à démontrer Carol Bacchi et Chris Beasley en appuyant leur position sur trois principaux arguments. Les auteurs avancent tout d‘abord que la concentration première de l‘éthique de la sollicitude sur la moralité interpersonnelle (dans une dimension interactive un à un) et le développement moral individuel de ses partisans met en place une limite à son utilité politique. Les auteurs ajoutent qu‘ils trouvent la distinction entre le caractère moral individuel et interpersonnel, et la création de règles inutile car des normes morales continuent d‘être crées dans la loi et différentes législations. Les développements en biotechnologie ont mené à une prolifération des règles émanant soit de comités d‘éthique institutionnels ou autres, de commissions royales, etc. Établir une barrière entre une vision morale d‘un côté et des procédures ou des règles d‘un autre côté ne laisse que peu d‘espace à la réflexion sur les conditions que pourraient produire des décisions politiques éthiques dans ce domaine. Le deuxième argument est lié à la nature même de l‘éthique de la sollicitude. Il semble en effet difficile, de l‘avis de Carol Bacchi et de Chris Beasley, de passer d‘un souci et d‘un sentiment de responsabilité pour une personne en particulier à leur extension pour des étrangers. Croire que cela est possible suggère que toutes formes de connexion sont concevables et transférables, ce qui peut être difficile à défendre. Enfin, la confiance répétée à des sentiments tels que la sympathie et la compassion donne à l‘éthique de la 110 sollicitude un caractère normatif trop étroit. Ce qui est problématique vu l‘imprécision du terme "sollicitude". La conséquence de la conjonction entre le caractère prescriptif de la morale et le sens vague de la sollicitude est parfois des résultats politiques douteux. En définitive, la quête d‘un contenu normatif dans le paradigme de la sollicitude est en conflit avec la prétention selon laquelle cette éthique insiste sur l‘importance du contexte dans le cadre d‘une prise de décision éthique358. Nous ne sommes pas d‘accord avec cette position. Nous avons largement démontré dans notre chapitre préliminaire que les nouvelles technologies de la reproduction en général, et plus spécifiquement l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, constituent des enjeux de société requérant l‘intervention du législateur. Son rôle est de déterminer les pourtours du don d‘engendrement, que cela mène ou non à une règle de droit. Dans le dernier cas, en découle un libre choix des individus. Néanmoins, cela ne peut demeurer que dans la sphère privée des individus et doit au préalable passer par une évaluation faite par le législateur. Dans ce contexte, l‘essence de l‘éthique de la sollicitude consiste en la maximisation du sentiment de responsabilité suscité à l‘égard d‘autrui; ce sentiment ne se situant pas qu‘au niveau du processus décisionnel personnel, mais également à celui des autorités publiques359. En instaurant l‘éthique de la sollicitude en idée politique, nous ne créons pas une barrière face à la règle de droit. Nous cherchons au contraire à l‘abattre en étudiant les phénomènes d‘internormativité existant ces deux types de norme. Certains pourraient argumenter que cet autrui à l‘égard duquel on se fait du souci, dans le cas de l‘anonymat des dons d‘engendrement, ne peut pas faire l‘objet 358 Bacchi et Beasley, supra note 125 aux pp. 175-177. Patrick Healy, « Statutory Prohibitions and the Regulation of Reproductive Technologies under Federal Law in Canada », (1994-1995) 40 R.D. McGill 905 à la p. 911. 359 111 d‘une généralisation. Chaque enfant né d‘un don vit différemment sa quête d‘origine. Tout comme nous pouvons nous demander si le fait de donner accès aux informations identifiantes est obligatoirement dans le meilleur intérêt de l‘enfant. Il s‘agit d‘un critère difficile à évaluer qui est ordinairement appliqué au cas par cas. Une généralisation minimale est néanmoins nécessaire à l‘intervention du législateur et cela n‘empêche pas de s‘intéresser au contexte particulier d‘un certain groupe de personnes visées par la règle de droit et présentant des caractéristiques communes. Il s‘agit en l‘espèce de la quête d‘identité et des origines et ce, même si ce besoin peut être ressenti à des niveaux variables au sein du groupe. Un auteur remarque que la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction a reconnu que, lorsque décrite en des termes généraux, l‘éthique de la sollicitude n‘est que de peu de secours prescriptif afin de prendre des décisions pratiques sur des enjeux spécifiques360. Aussi, afin d‘atteindre son but, c‘est-à-dire faciliter l‘épanouissement des rapports humains en cherchant à favoriser la dignité humaine et le bien-être de la collectivité361, la Commission royale se dota de huit principes directeurs devant guider les actions prise au nom de l‘éthique de la sollicitude362. Nous en voyons l‘utilité au point 2 et soulignons en introduction de la présente section que dans le cadre d‘une théorique politique pareille démarche a été soutenue dans la littérature 363. Il est ici intéressant de constater que la dignité des personnes, rejetée au chapitre préliminaire comme seul critère d‘analyse face aux intérêts divergents des individus en matière 360 Ibid. Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 60. 362 Voir : Ibid. aux pp. 52-65. 363 Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 aux pp. 32 et ss. 361 112 d‘anonymat, fonde l‘éthique de la sollicitude. Plus encore, nous notons au point 4 qu‘elle est l‘un des principes directeurs de la Commission royale. Sans s‘intéresser spécifiquement à l‘approche développée par la Commission royale, une autre auteure souligne en ce sens que des principes sont importants à toute philosophie fondée sur l‘éthique de la sollicitude. Ils sont nécessaires au développement d‘une éthique qui soit publiquement défendable. Ce qui retient notre attention c‘est qu‘elle opère un parallèle avec l‘éthique de la justice : « I am not proposing that we simply fit the care ethic into pre-existing principles of justice; rather, I am suggesting that, if we take the care ethic seriously, then its values have the potential to transform our understanding and approach to principles. Principles do not necessarily have to be seen as impersonal, abstract and rigid rules. And they are not necessarily synonymous with a justice orientation. Properly conceived, principles have the capacity to explicitly encompass the aims and objectives of a care ethic. […] [They] can inform a different, more flexible framework for social policy. »364 De sa réflexion découlent trois grands principes. Tout d‘abord, la sensibilité contextuelle qui implique de tenir compte de l‘être en entier et de l‘influence du contexte dans son développement personnel. Nous retrouvons ici la difficulté de la généralisation du sentiment de sollicitude pour qu‘il soit applicable en matière de politique sociale. À ce propos, l‘auteure spécifie que cela ne devrait pas nous empêcher d‘appliquer une sensibilité contextuelle à un groupe de personnes auquel l‘individu appartient ou auquel il s‘identifie. Nous nous retrouvons alors en face d‘une pluralité d‘identités, mais dans l‘espace politique, identité et statut sont souvent directement connectés à l‘appartenance à un groupe ayant des déterminants sociaux et des expériences de vie semblables. Le but de 364 Hankivsky, supra note 345 à la p. 32. 113 la démarche est de nous permettre de nous demander les besoins de qui sont examinés, dans quelles circonstances et par qui. Cela doit, en second lieu, être combiné avec une capacité d‘écoute et de réponse aux besoins de l‘autre. Ce critère, déjà énoncé par Toronto, renvoie à un engagement mutuel dans le cadre duquel les participants peuvent décider quelle partie de leur vie fera partie de la discussion. Au-delà de la généralisation des expériences par les décideurs, il s‘agit de comprendre les personnes vulnérables affectées par le processus de prise de décision avec leurs propres termes. Ces dernières sont directement intégrées dans la réflexion afin de comprendre pourquoi elles expriment ces besoins. Finalement, il faut avoir un souci des conséquences liées à nos choix normatifs. Cela vise notamment à éviter les inégalités365. Il s‘agit en définitive d‘une démarche appropriée dans la problématique de l‘anonymat où au moins trois groupes entrent en interaction : les parents, les donneurs et les enfants. Tous ressentent et vivent différemment le processus, mais ils ont des caractéristiques fondamentales communes qui concernent leur expérience; les donneurs d‘avoir fait un don, les parents d‘y avoir eu recours et les enfants de possiblement chercher à savoir. Dans ces circonstances, l‘éthique de la sollicitude a le très grand avantage d‘amener dans la balance la prise en considération des particularités de chacun. La généralisation n‘apparaît qu‘à la conclusion, mais tout au long de la réflexion les points de vue des donneurs, des parents et des enfants sont tous considérés. Les principes directeurs, constituant la base analytique de l‘éthique de la sollicitude, nous fournissent alors des points cardinaux grâce auxquels nous pouvons équilibrer les besoins et les intérêts de tous. 365 Ibid. aux pp. 32-39. 114 Qu‘en est-il des principes directeurs issus de la Commission royale qui concernent directement l‘application de l‘éthique de la sollicitude aux nouvelles techniques de reproduction? Dans quelle mesure constituent-ils une base d‘analyse dans le cadre de la problématique sur l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons? 4- LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA COMMISSION ROYALE SUR LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION Ces préceptes furent repris et expliqués par le Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en biotechnologie dans son document Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie – Consultations en tables rondes366. Nous les reproduisons tels quels dans le tableau ci-dessous : HUIT PRINCIPES DIRECTEURS S’APPLIQUANT AUX POLITIQUES SUR LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION367 PRINCIPES DIRECTEURS DESCRIPTION 1. Autonomie de l’individu Toute personne est libre de choisir son mode de vie, surtout en ce qui touche à son corps et à ses choix fondamentaux portant, par exemple, sur sa santé, sa famille, sa sexualité et son travail. Ce principe exige que tous les membres de la société soient en mesure de prendre des décisions éclairées et donc qu‘ils soient informés des résultats, des risques et des avantages pouvant découler de leurs choix. 2. Égalité Tous les membres de la communauté ont droit à la même considération et au même respect. Ce principe exclut toute pratique sociale qui reflète ou perpétue l‘idée selon laquelle la vie de certaines personnes vaut moins que celle d‘autres personnes; il exige qu‘on tienne compte des intérêts et des points de vue des Canadiens et des Canadiennes dans toute leur diversité, ce qui implique (par exemple) qu‘on accorde 366 Ted Schrecker et al., « Biotechnologie, Éthique et Gouvernement : Rapport au Groupe de travail interministériel sur l‘éthique », dans Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en biotechnologie, Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie – Consultations en tables rondes, Ottawa, Hiver 1998, 159, En ligne : <http://strategis.ic.gc.ca/pics/bhf/biotechf.pdf> (Date d‘accès : 20 juillet 2009). 367 Ibid. à la p. 252; Inspiré par les auteurs de Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 aux pp. 62-66. 115 une attention toute particulière à l‘impact des nouvelles techniques de reproduction sur les femmes, les minorités raciales et ethniques, les Autochtones, les handicapés et les lesbiennes. L‘accès équitable aux services publics comme les soins de santé et l‘éducation découle de ce principe. 3. Respect de la vie et de la dignité humaine Toutes les formes de vie humaine (et les tissus humains en général) doivent être traités avec sensibilité et respect et non avec cynisme ou indifférence. Cela inclut les zygotes, les embryons et les fœtus; bien que la loi ne les considère pas comme des personnes, ils sont liés à la communauté par leurs origines et leur devenir potentiel. 4. Protection des personnes vulnérables La vulnérabilité est liée aux inégalités de pouvoir; on doit accorder une attention particulière au bien-être des personnes qui sont moins en mesure de subvenir à leurs propres besoins ou qui sont exposées à l‘exploitation pour diverses raisons. L‘exemple le plus commun est le bien-être des enfants. La société a la responsabilité de faire en sorte que cette vulnérabilité soit réduite lorsque c‘est possible et que les personnes vulnérables ne soient pas manipulées ou contrôlées par ceux qui sont en position de pouvoir ou d‘autorité. 5. Noncommercialisation de la reproduction La commercialisation est l‘échange d‘argent ou de biens dans le but de créer un profit ou un bénéfice. La réification est le fait de traiter des êtres humains ou des substances organiques et des tissus comme des marchandises, c‘est-à-dire comme des moyens permettant d‘arriver à un but, et non comme des buts en soi. La commercialisation implique donc nécessairement une réification, mais pas l‘inverse. Les décisions relatives à la reproduction humaine ne doivent pas découler de motivations commerciales ; la réification d‘êtres humains ou de leur corps à des fins commerciales est inacceptable. Cependant, on peut penser que les intérêts commerciaux peuvent jouer un rôle légitime dans certains domaines des soins de santé relatifs à la reproduction dans les contextes où toute réification abusive des tissus humains est impossible. 6. Utilisation appropriée des ressources Comme les besoins sont multiples et les ressources limitées, celles-ci doivent être utilisées de façon avisée et efficace; en effet, toute forme d‘utilisation des ressources visant à apporter des avantages à certaines personnes fait qu‘elles ne peuvent plus être utiles à d‘autres personnes d‘une autre façon. La société doit établir ses priorités en matière de soins de santé, par exemple, et s‘efforcer de les maintenir même dans des périodes politiquement ou économiquement difficiles. 7. Imputabilité Ceux qui sont en possession d‘un pouvoir, qu‘il s‘agisse du gouvernement, de la médecine, de la technologie ou d‘autres domaines d‘activité, sont responsables de l‘usage qu‘ils font de ce pouvoir. Une profession médicale auto réglementée, même si elle doit agir dans le sens de l‘intérêt public, n‘est pas nécessairement la mieux placée pour évaluer les implications sociales, éthiques et économiques des nouvelles techniques de reproduction et pourrait ne pas être suffisamment imputable face aux personnes qu‘elle doit desservir. 8. Équilibre entre les intérêts individuels et collectifs Il est souhaitable de protéger à la fois les droits individuels et collectifs; les droits individuels ne doivent pas automatiquement l‘emporter sur les intérêts collectifs, ni l‘inverse. Il faut évaluer les intérêts individuels des femmes ou des couples qui souhaitent recourir à des services de conception médicalement assistée ou de diagnostic prénatal (par exemple) par opposition aux intérêts collectifs de la société dans son ensemble et de groupes identifiables à l‘intérieur de la société comme par exemple les femmes, les enfants, les handicapés et les membres de minorités raciales ou ethniques. [Ce principe est explicitement reconnu à l‘article 1 de la Charte des droits et libertés.] 116 Quant à l‘élaboration de ces principes, l‘application de l‘éthique de la sollicitude étant floue au-delà de son objectif, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction précise qu‘ils furent définis selon un rapport particulier avec son mandat et permettant de prendre des décisions qui incarnent l‘idéal du souci d‘autrui. Ils proviennent de la théorie morale en générale et de l‘éthique biomédicale en particulier en se distinguant de ceux issus de la bioéthique qui s‘intéressent d‘abord à la relation médecin/patient. Puisque chacun correspond à une préoccupation légitime que peuvent avoir les personnes ou les groupes qui sont touchés par l‘emploi des nouvelles techniques de reproduction, pour les appliquer nous devons établir leur identité et voir en détail les conséquences que chaque décision ou recommandation. Les principes directeurs peuvent se recouper entre eux, mais nulle hiérarchie n‘est effectuée. Leur application, faite dans un esprit d‘interdépendance des intérêts opposés, est unique à chaque problématique issue de la procréation assistée368. L‘approche de la Commission royale fit elle aussi l‘objet de critiques. Des travaux importants portant sur la littérature féministe sur la reproduction et les technologies de la reproduction furent ignorés par les rédacteurs du rapport final369. Ou encore, des considérations provenant des féministes présentant certaines réserves à l‘égard des technologies de la reproduction y sont diluées par l‘emploi de termes tels que « certaines 368 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 aux pp. 61 et 68. 369 Annette Burfoot, « In appropriation – A critique of Proceed with care Final report of the Royal Commission on new Reproductive Technologies », (1995) 18:4 Women’s Studies International Forum 499 à la p. 500; Par exemple: Rita Arditti, Renate Duelli Klein et Shelley Minden, dir., Test-tube women, London, Pandora, 1984; Gena Corea, The mother machine, London, Women‘s Press, 1988; Renate Klein, dir., Infertility. London, Pandora, 1989; Janice Raymond, Women’s wombs, San Francisco, Harper, 1993; Patricia Spallone et Deborah Steinberg, dir., Made to order, London, Pergamon, 1987. 117 femmes croient ou pensent »370. Ces avis, s‘ils ne doivent pas être totalement ignorés, n‘occupent pas une place si importante puisque l‘éthique de la sollicitude ne doit pas être catégorisée comme une éthique féminine. C‘est plutôt une façon de penser axée sur l‘être humain et où les principes de justice doivent tenir compte des besoins et de la situation de chacun. Les reproches les plus importants concernent l‘interprétation et l‘application qu‘a faite la Commission royale de l‘éthique de la sollicitude. Les principes directeurs qu‘elle a retenus sont grandement inspirés du rapport que lui remis Will Kymlicka371. Suite à la remarque que nous avons faite en introduction de la présente section, relativement au fait que les principes intermédiaires proposés par l‘auteur découlent des points communs qu‘il a établis entre les doctrines morales majoritaires, nous pourrions être portés à croire que l‘interprétation de la Commission ne découle pas purement de l‘éthique de la sollicitude. Dans le même sens, il fut littéralement souligné que la façon dont la Commission royale a construit et appliqué l‘éthique du souci d‘autrui en réduit le concept à celui de la bienfaisance en bioéthique372. « The Commission‘s ethic of care is not oriented to listening […] ‗others‘ and their own expression of their need and desires. Its emphasis on care, without seeking to know the definition of ‗good‘ espoused by the ‗other‘, is beneficent, but highly paternalistic »373. Elle fut chapitrée de ne pas avoir expliqué le développement de ses principes directeurs pas plus que leur relation avec l‘éthique de la 370 Burfoot, supra note 369 à la p. 500. Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295. 372 Rachel Ariss, « The Ethic of Care in the Final Report of the Royal Commission on New Reproductive Technologies », (1996-1997) 22 Queen‘s L.J. 1 aux pp. 3, 18 et 21; Sur le sujet, voir : B.M. Dickens, « Un cadre pour l‘analyse éthique en reproduction. Rapports avec les systèmes légaux », dans Claude Sureau et Françoise Shenfield, Aspects éthiques de la reproduction humaine, Paris, John Libbey Eurotext, 1995, 33 à la p. 41. 373 Ariss, supra note 372 à la p. 48. 371 118 sollicitude. Ils n‘ont pas d‘ordre d‘importance et pointent fréquemment dans des directions différentes nous dit une auteure374. Ces principes furent tous considérés simultanément et classés sous la rubrique sollicitude de sorte que le groupe d‘experts n‘eut pas à admettre sa préférence pour certains d‘entre eux plutôt que pour d‘autres375. Nous ne croyons pas que cela invalide pour autant la théorie de la sollicitude développée par la Commission royale. À la lecture des principes directeurs qu‘elle a définis, nous constatons effectivement que chacun reflète une préoccupation que peuvent avoir les personnes ou les groupes qui sont touchés par l‘emploi des nouvelles techniques de reproduction. Patrick Healy reprocha à la Commission de ne pas avoir abordé certains enjeux de la procréation assistée, comme l‘eugénisme ou les limites de l‘autonomie reproductive376. Nous nous permettons néanmoins de nous demander si cette faiblesse découle vraiment de la validité de l‘approche retenue ou si cela est dû à un manque de la part de la Commission royale dans l‘étendue de son champ de réflexion. C‘est-à-dire en n‘analysant tout simplement pas certaines problématiques. Nous pouvons retrouver un écho de ces enjeux dans les principes directeurs qu‘elle a adoptés. Le vice provient plutôt de l‘absence de prise de position quant à ces problématiques. Ainsi, ce à quoi il faut porter attention c‘est à la façon d‘appliquer les principes directeurs dans la quête de solutions afin de concilier des intérêts en présence. Entrent alors en ligne de compte les trois lignes directrices d‘une approche politique de l‘éthique de la sollicitude : la sensibilité contextuelle en identifiant les personnes ou groupes de personnes concernés par la problématique, une écoute des besoins exprimés et un souci des conséquences d‘un 374 Garrison, supra note 58 à la p. 869; Voir également: Ariss, supra note 372 aux pp. 8 et 21. Ariss, supra note 372 à la p. 8. 376 Healy, supra note 359 aux pp. 912-913. 375 119 choix normatif. En l‘occurrence, l‘analyse du chapitre 2 présente une analyse structurelle de la problématique des donneurs permettant d‘identifier ces éléments. D‘ailleurs, la Commission royale elle-même admit que l‘éthique de la sollicitude ne peut résoudre tous les conflits en obtenant un consensus unanime de tous les intervenants. Cette approche implique forcément la préférence de certains principes et la subordination ou l‘exclusion de d‘autres. Certains argumentent corrélativement que l‘adoption de huit principes directeurs ne résout en rien l‘ambivalence de l‘éthique de la sollicitude afin de justifier les décisions prises par la Commission. En fait, nous dit Patrick Healy, l‘ambiguïté de l‘éthique de la sollicitude est telle que certaines recommandations de la Commission ne peuvent être justifiées de manière satisfaisante par renvoi direct à cette dernière. Dans le rapport, il est par exemple préconisé que les gamètes et les embryons ne soient pas l‘objet du commerce, mais il n‘est pas précisé que la création d‘embryons uniquement à des fins de recherche devrait être interdite. Ou encore, certaines conclusions de la Commission pourraient tout aussi bien être contredites en vertu de l‘éthique de la sollicitude377. C‘est une position que défend également Kymlicka lorsqu‘il précise que l‘éthique du souci d‘autrui existe en plusieurs versions : « [p]ar exemple, certains adepte de cette morale soutiennent que si l‘on privilégie les relations aux dépends des droits concurrents, les pouvoirs publics doivent alors considérer la femme enceinte et le fœtus comme ne faisant qu‘un et ne pas limiter des droits de la femme au nom du fœtus. En revanche, d‘autres affirment qu‘à cause de l‘accent mis sur les relations et les responsabilités, il faudrait que la loi impose à la femme enceinte le « devoir » de protéger le fœtus. »378 377 378 Ibid. aux pp. 911-914. Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 à la p. 11. 120 Pouvons-nous en dire autant dans le cas de l‘anonymat? Non. L‘analyse que nous faisons de la problématique au chapitre 2, en application des principes directeurs adoptés par la Commission, nous permet d‘en arriver à une conclusion équilibrée où les intérêts des parties sont jaugés à leur juste valeur. Les principes retenus à cette fin sont étudiés sous plus d‘un angle, allant parfois dans des directions opposées, mais c‘est dans la recherche d‘un équilibre que la balance trouve pleinement son sens. Notre objectif n‘est pas d‘analyser le travail de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction ou l‘usage qu‘elle fit de l‘éthique de la sollicitude dans l‘établissement de ses recommandations. Nous désirons plutôt nous en inspirer pour l‘intégrer dans notre démarche où le droit vit dans un pluralisme normatif certain et où les phénomènes d‘internormativité permettent la mise en place de ponts entre les différentes normativités. Les principes directeurs détaillés ci haut demeurent à notre avis une bonne base pour analyser les rapports entre individus puisqu‘ils décrivent de façon détaillée les différents points sensibles intervenant au carrefour des relations entre les acteurs d‘un don de gamètes ou d‘embryons. Notre défi est donc d‘en constater l‘articulation et la manifestation dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicables. Parmi ceux-ci l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs sont ceux qui nous semblent pertinents compte tenu de la nature des arguments invoqués afin de soutenir le secret ou la révélation du mode de conception dans la relation parents – enfant ou pour ou contre l‘anonymat au cœur du lien donneur – enfant. 121 En conclusion, à la lumière des cinq critères de la juridicité retenus par Guy Rocher, dont nous avons fait l‘inventaire en section 1 dans la distinction entre un ordre juridique et un ordre normatif, l‘éthique de la sollicitude constitue un ordre normatif. De fait, dans l‘hypothèse d‘une éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique avec des principes directeurs spécifiques aux techniques de reproduction, nous pouvons peut-être affirmer qu‘il s‘agit là d‘un ensemble de règles auquel les membres d‘une unité sociale particulière, en l‘occurrence les professionnels et personnes ayant recours à la procréation assistée, reconnaissent au minimum une contraignabilité théorique. Néanmoins, s‘il est possible d‘identifier des agents ou des appareils reconnus dans l‘unité sociale comme étant spécialisés pour élaborer ou modifier, interpréter et appliquer ou faire respecter des règles plus précises qui permettront d‘exercer un contrôle sur les activités de la procréation assistée (e.g. les membres de l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée), les principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude s‘en distinguent. Ils sont prédéterminés et doivent plutôt guider l‘adoption de règles plus précises par des agents ou appareils afin qu‘un contrôle soit exercé. D‘autre part, si nous analysons le cadre théorique éthique choisi en fonction de la définition de la norme que nous avons retenue, il relève davantage de la méthode réflective. Cela signifie que l‘éthique de la sollicitude est effectivement normative. Toutefois ses principes directeurs, ceux-ci ayant été proposés par la Commission Royale afin d‘encadrer les nouvelles technologies de la reproduction, prennent ultimement la forme d‘un discours, certes explicite, mais qui est descriptif et qui permet d‘évaluer ou de mesurer la conformité des actes relevant de la procréation assistée à ces mêmes principes. 122 Le référent non obligatoire des conclusions faites à la lumières de la sollicitude confère à cette dernière son caractère réflectif. La section 2 démontre pourquoi l‘éthique de la sollicitude est une approche théorique pertinente à l‘analyse de l‘influence éthique dans l‘évolution de la règle de droit applicable à l‘anonymat des dons d‘engendrement. Ainsi, ayant établi que cette approche constitue un ordre normatif existant dans l‘univers pluriel de la normativité, nous postulons consécutivement qu‘elle est en relation d‘internormativité avec le droit. SECTION 3 : DES PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ L‘internormativité est l‘instrument théorique approprié pour le sujet traité dans cette thèse. Il crée un pont entre les deux normativités et nous permet d‘étudier l‘impact de l‘éthique de la sollicitude sur l‘évolution de la règle de droit. De manière générale, il s‘agit dès lors « de saisir, par une appréhension du jeu des logiques juridiques avec le social, les processus d‘interaction qui s‘établissent entre logiques juridiques et logiques politiques, économiques, sociales, technologiques »379. Si des contradictions et des incohérences existent entre ces logiques normatives, elles participent avec le droit au système de régulations sociales380 et apparaissent dans un étroit rapport de concurrence ou de complémentarité381. 379 Commaille et Perrin, supra note 154 à la p. 127. Ibid. aux pp. 127-128; Voir également : Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 317; Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 16. 381 Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 315. 380 123 Nous affirmons plus précisément que, dans le contexte de la procréation assistée et de l‘anonymat des dons d‘engendrement, c‘est le législateur qui doit déterminer l‘étendue du cadre normatif applicable, utilisant la règle de droit comme outil de gouvernance lorsque nécessaire. Celui-ci ne peut néanmoins faire fi de la dimension éthique de la problématique. En l‘occurrence, sous l‘angle de la sollicitude qui constitue une méthode réflective avec ses principes directeurs devant guider et potentiellement influencer le législateur dans son processus de décision quant à l‘évolution de la norme de droit. Cela nous amène à nous interroger sur la nature exacte des mécanismes internormatifs s‘articulant autour de ces deux normativités. Une rupture avec la théorie dogmatique du droit, découlant de la "crise du droit" et cherchant à briser cette entité monolithique et cohérente en une infinité d‘atomes aux combinaisons aléatoires, nous force d‘abord à constater que ce sont des rapports internormatifs complexes qu‘entretiennent globalement l‘éthique et le droit382. Nous pouvons a priori dire qu‘ils sont en réciprocité. L‘éthique appréhendant le droit et le droit appréhendant l‘éthique383 à la différence que la règle de droit est capable de s‘approprier n‘importe qu‘elle autre règle sociale, mais que l‘inverse n‘est point vrai384. Cela découlerait de la neutralité ou plasticité du droit385. Alors que nous défendons la primauté de la règle de droit dans le cas d‘espèce lorsque requise, il ne s‘agit pas seulement pour elle de s‘approprier les normes issues de 382 Ibid. à la p. 331; Cette image employée par Carbonnier n‘est pas sans rappeler celle du droit soluble de Belley. Belley, « Métaphore », supra note 162 aux pp. 7 et suivantes. 383 Monnier, supra note 93 à la p. 485. 384 Jean Carbonnier, « Les phénomènes d‘inter-normativité », (1977) European Year-book in Law and Sociology 42 à la p. 45. 385 Ibid. à la p. 49; Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 318. 124 l‘éthique de la sollicitude qui sont constituées de principes directeurs. Nous notons un peu plus bas que l‘absorption pure et simple d‘un ordre par un autre peut constituer une des manifestations de l‘internormativité, mais ce n‘est pas ce que nous proposons. D‘ailleurs, un auteur pose la limite selon laquelle il serait illégitime de simplement faire respecter les principes et les règles de la moralité par la coercition étatique. C‘est que les lois, dit-il, par opposition à la moralité représentent des conclusions de délibérations entreprises dans des institutions démocratiques représentatives386. « La moralité […] est [quant à elle] un champ d‘éternelles contestations et controverses, tant pour ce qui est de ses fondements qu‘en ce qui a trait aux règles qui la constituent et aux jugements pratiques qu‘elle implique. Se servir du droit pour faire respecter la moralité, cela reviendrait forcément à ce que l‘État prenne parti dans des débats moraux irrésolus et sans solution »387. De plus, même si elle est source de normes, l‘éthique apparaît généralement comme un lieu de débat où principes et normes servent à alimenter la discussion. Il n‘est pas de sa nature de donner lieu à des consensus388. Cela serait davantage la fonction du droit qui ne représente par contre pas forcément l‘expression d‘un consensus éthique389. Il apparaît que le droit ne fait pas que reprendre au minimum des valeurs qui font consensus dans la société ou qui correspondent aux opinions de certains groupes de pression ou, au maximum, essayer de protéger et de promouvoir les valeurs qui servent 386 Weinstock, supra note 134 à la p. 187. Ibid. à la p. 191. 388 Ibid. à la p. p. 196 389 « Le processus juridique peut justement être vu comme le moyen de prendre des décisions légitimes là où le consensus est impossible ». Ibid. 387 125 d‘assises à une culture390. Le rôle de l‘éthique est en premier lieu d‘aider le juriste à cerner et à identifier les problèmes. Puis, d‘indiquer les méthodes de réflexion permettant d‘aller au fond d‘un problème. Tout comme se servir du droit pour simplement faire respecter la moralité reviendrait à faire en sorte que l‘État prenne parti dans des débats moraux irrésolus et sans solution. La loi est mal placée en tant qu‘elle-même pour résoudre les conflits d‘ordre moral. C‘est grâce à l‘éthique, dont la nature est propre à la discussion, que le juriste peut aller au fond d‘un problème afin de décider s‘il y a lieu d‘intervenir par le biais du droit positif étatique391. En conséquence, l‘éthique demeure le lieu privilégié des débats et sert consécutivement à alimenter la réflexion des juristes. Au regard de l‘évolution du droit, c‘est-à-dire la mise en place et l‘interprétation de ses règles, l‘éthique vise finalement l‘instauration d‘un juste équilibre entre différentes valeurs individuelles et sociales392. Ce sont ces rapports que nous étudions dans la présente section et que nous cherchons à appliquer à la problématique de l‘anonymat des donneurs. À cet égard, nous observons en premier lieu le changement de paradigme accompagnant le pluralisme. Celui-ci constitue en quelque sort une étape intermédiaire vers l‘instauration d‘une dialectique entre l‘éthique de la sollicitude et le droit. Il est d‘une part la conséquence de l‘éloignement de l‘aspect moniste du droit positif qui instaure le pluralisme comme environnement normatif pluriel. Il est de plus, à son tour, à la source de l‘internormativité 390 Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique : Histoire, concepts et outils, 2e éd., Fides, 2005 à la p. 104. 391 Michèle Rivet, « Le rôle de l‘éthique dans la réflexion juridique », dans Parizeau, supra note 64, 105 aux pp. 106-107. 392 Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 67. 126 comme instrument fondateur des liens qu‘établit le droit avec les autres normes qui l‘entourent, que celles-ci soient juridiques ou non juridiques. Un vaste ensemble de théories vise effectivement à montrer que la légitimité du droit, dont nous faisons notre outil de régulation, n‘est plus liée à sa nature intrinsèque, mais qu‘elle découle de son interaction avec son environnement et les autres normativités. Dans ce contexte, l‘éthique remplit pleinement son rôle. Néanmoins, pour que cette légitimité soit complète, un mécanisme d‘interaction entre les normes doit être mis en place et c‘est dans ce changement de paradigme que prennent vie les phénomènes d‘internormativité Nous analysons, en second lieu, les différentes formes ou manifestations que peuvent prendre les rapports d‘internormativité pour constater que tant les visions juridiques que sociologiques du phénomène ne nous sont pas pleinement applicables. Notre réflexion conduit à un modèle de construction de la règle de droit où est appréhendé l‘éthique. Ce modèle que nous présentons en dernier lieu a déjà été décrit dans la littérature. 1- CHANGEMENT DE PARADIGME : DE LA PYRAMIDE AU RÉSEAU La pertinence d‘une approche pluraliste, utilisant les phénomènes d‘internormativité face à la disparité des frontières entre les différents types de norme, s‘explique plus largement par le fait qu‘ « [o]n sait que l‘étude de la fonction du droit ne saurait plus être désormais entreprise conformément à une perspective politique, suivant un modèle pyramidal où le droit de l‘État central s‘imposerait, se diffuserait « vers le bas » à l‘ensemble des composantes du système social en vertu d‘un schéma de relation 127 unilatérale »393. Faisant parti de la grande structure sociale qu‘il entend régir, le droit ne doit pas constituer un organe moniste s‘opposant aux autres dimensions de la réalité dans laquelle il s‘insère. Il en résulte « l‘analyse d‘une normativité d‘une extrême complexité touchant les multiples interactions entre le « haut » et le « bas »394. LA RÉGULATION SELON JACQUES COMAILLE Droit étatique Phénomènes d’internormativité Normes juridiques Normes non juridiques Notre vision de l‘univers normatif pluriel où se produisent des phénomènes d‘internormativité entre le droit et l‘éthique (ici, de la sollicitude qui appartient au pluralisme normatif) colle bien à la description présentée ci haut par Jacques Commaille395. D‘une part, le modèle pyramidal tel que décrit par les théoriciens du droit, 393 Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15. Ibid. 395 Voir dans le même sens : Giroux, « Demande sociale », supra note 141 à la p. 30 : « En d‘autres termes, et pour résumer notre propos, nous dirons que l‘éthique s‘exprime sous la forme de modes d‘autorégulation de la société à partir des individus qui la composent, sans suggérer pour autant que celle-ci soit la somme, pure et simple, de ces dernier. Il s‘ensuit un mouvement de régulation de la base vers le sommet. D‘un autre côté, le droit s‘exprime sous la forme de modes d‘hétérorégulation de la société à partir des appareils législatifs et judiciaires en place. Il en découle alors un mouvement de régulation du sommet vers la base. » ; « L‘éthique tire son origine de la base la plus large possible, qui est celle des individus, pour requérir leur adhésion pleine et entière lorsqu‘ils participent à des collectifs ou à des organisations, de telle 394 128 normalement applicable dans le cadre d‘une vision positiviste classique, ne permet pas de tenir compte de la dialectique devant intervenir la règle de droit et l‘éthique de la sollicitude. De par ses caractéristiques essentielles396, la pyramide est une approche beaucoup trop hermétique pour la complexité de la réalité pluraliste que nous prônons. En vertu d‘une hiérarchie obligée, les normes y coexistent dans un rapport de supériorité ou de subordination les unes par rapport aux autres. Qui plus est, il s‘agit d‘un rapport linéaire supposant des relations à sens unique entre les différents niveaux de la pyramide et « excluant toute forme d‘inversion ou de rétroaction entre eux »397. Et enfin, les différents éléments de la pyramide arborescente s‘engendreraient par démultiplication entre eux, « à partir d‘un foyer de création originel unique »398. Kelsen en a peut-être dépeint la conception la plus radicale399. Selon sa vision, applicable au monisme positif, une norme est toujours le fruit d‘une norme supérieure et toute norme inférieure doit être conforme à la norme supérieure400. Le droit se trouve isolé (par le haut) des références morales et (par le bas) de l‘influence des autres connaissances qu‘on peut tirer de l‘observation empirique des comportements. De par la non-contradiction et la hiérarchie, le droit se caractérise par son autoréférence et assure son étanchéité ainsi que son essence distincte401. sorte que son mouvement autorégulatoire, du bas vers le haut puis s‘y projeter et s‘y exprimer. Le droit, pour sa part, […] obéit à un mouvement hétérorégulatoire, du haut vers le bas, puisqu‘il s‘applique évidemment sans nécessiter l‘adhésion libre et volontaire de ceux qu‘il sert à contrôler, d‘où le recours à la contrainte pour en assurer le respect. » Ibid. à la p. 47 396 Que nous tirons de Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 44. 397 Ibid. 398 Ibid. 399 Voir : Kelsen, supra note 146. 400 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 36. 401 Pierre Noreau, « Comment la législation est-elle possible? Objectivation et subjectivation du lien social », (2001-2002) 47 McGill L.J. 195 à la p. 199. 129 PYRAMIDE SIMPLIFIÉE DE KELSEN SUR LE DROIT ET LES RÉFÉRENCES MORALES Droit Références morales Karim Benyekhlef précise que le paradigme dominant du droit, c‘est-à-dire celui de la pyramide, disparaît au profit du réseau402. Dans ce contexte, le droit n‘est plus isolé et participe aux rapports d‘influence multilatéraux entre les normativités. La "crise du droit" qui semble ne plus pouvoir gérer à lui tout seul le débat public sur la nouvelle demande d‘éthique, manifeste en procréation assistée, se présente alors comme une crise du paradigme dominant403. Un auteur ira jusqu‘à dire que l‘« image de la pyramide savamment organisée et hiérarchisée appartient plus au monde de la mythologie qu‘à celui de la réalité »404 parce que, ajouterons-nous, l‘éthique permet d‘équilibrer ou de compléter ce que le droit ne parviendrait plus à faire par lui seul dans la régulation des différents domaines de la société. Le droit doit se transformer et évoluer. Afin que ce processus soit au fait des changements technologiques, économiques, culturels et sociaux, notamment dans la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, il 402 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 717. Lacroix, supra note 139 à la p. 208. 404 Maille, supra note 253 à la page 91. 403 130 doit interagir avec la normativité éthique qui dépasse la simple conscience individuelle. Auquel cas, nous avons retenu l‘importance de l‘éthique de la sollicitude. Pour François Ost et Michel van de Kerchove, le changement est donc en cours. D‘ailleurs, la thèse fondamentale de leur ouvrage De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du droit, essentielle dans le domaine, « est que de la crise du modèle pyramidal émerge un paradigme concurrent, celui du réseau, sans que disparaissent pour autant les résidus importants du premier, ce qui ne manque pas de complexifier encore la situation »405. Nous devons nous-même reconnaître l‘influence résiduelle de la pyramide en adoptant le postulat que la légitimité du droit étatique est perçue comme se fondant, entre autres, sur sa prééminence sur les autres sources de normativité. Ce qui démontre la disparition progressive de la pyramide est le fait que nous fondons également la légitimité du droit sur le dynamisme évolutif de la loi devant tenir compte et interagir avec l‘environnement dans lequel elle s‘insère et s‘applique. Malgré la radicalité de sa position, en tentant de répondre à la question : « [d]ans un contexte où l‘hétérogénéité est partout, est-il possible de poser un critère formel pour différencier la normativité juridique de la normativité social, politique ou économique? », Roderick Macdonald vise juste lorsqu‘il précise que de la poser en ces termes nous fait tomber dans la quête de la hiérarchie et de juridiction406 que nous cherchons éviter au profit de la dialectique et ce, même si le droit continu de bénéficier d‘un statut supérieur. 405 406 Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 14. Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 aux pp. 261-262. 131 Du point de vue de l‘ordre juridique, le droit, ne se créant plus de haut en bas et de façon monologique et unidirectionnelle, résulte donc d‘un processus complexe mettant à mal la pyramide et dans lequel interagissent ici et là les paliers normatifs et les acteurs impliqués407. Cela s‘imprègne dans la production législative qui se manifeste selon une dynamique allant de l‘adoption des lois par le législateur à leur évolution continuelle dans le temps. Il est par ailleurs possible de pousser l‘hypothèse au point d‘enlever, à l‘instar de Jean-Guy Belley, tout sens directionnel à cette image du système de droit en réseau. Ne s‘y trouvent ni verticalité ni horizontalité. Ceci peut tout autant être applicable au pluralisme normatif qui devient un énorme échangeur d‘autoroute se révélant d‘une extrême complexité et où se croisent les différents systèmes en émergence. Il s‘agit, de l‘avis de l‘auteur, d‘un faisceau de communications juridiques, ou en l‘occurrence normatives, circulant dans tous les sens sur un réseau alambiqué de voies d‘entrée et de sortie408. Parallèlement, la vision de Mireille Delmas-Marty sur l‘internormativité suppose des relations entre des ensembles normatifs non hiérarchisés entre eux, à quelque niveau qu‘ils se trouvent dans l‘espace normatif409. Pourrions-nous alors assister à possible anarchie due, non pas à l‘absence de normes, mais plutôt à leur prolifération « dans la mesure où l'effacement des formes traditionnelles [de régulation des conflits] aboutit à privilégier des formes nouvelles qui donnent un peu l'impression de s'empiler les unes sur les autres, ou de s'accumuler les unes à côté des autres, sans critère précis de répartition »410? 407 Antoine Bailleux, « À la recherche des formes du droit : de la pyramide au réseau! », (2005) 55 R.I.E.J. 91 à la p. 93. 408 Belley, « Doctrine », supra note 204 à la p. 151. 409 Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginaires du droit (II) Le pluralisme ordonné, Paris, Éditions du Seuil, 2006 à la p. 43 [Delmas-Marty, « Forces imaginaires »]. 410 Mireille Delmas-Marty, Les nouveaux lieux et les nouvelles formes de régulation des conflits, En ligne : <http://www.reds.msh-paris.fr/communication/textes/cplx01.htm#> (Date d‘accès : 3 août 2009). 132 C‘est ici qu‘entre enjeu la deuxième partie de la thèse du réseau de François Ost et Michel van de Kerchove. Entre le chaos dû à l‘effacement des frontières et le désordre, ce sont en fait les filets du réseau qui créent sa spécificité411. « Flexibles, mouvants, éphémères, ils lui donnent une apparence désordonnée. Serrés, invisibles, innombrables, ils lui confèrent une grande solidité »412. Au regard de la dilution et de la complexité de la régulation juridique, Jacques Chevallier identifie également des problèmes d‘articulation et d‘effectivité en raison de l‘existence de foyers multiples de régulation. Cela ne signifie par contre pas la fin de tout ordre. Entre les différentes instances de régulation des relations existent des champs d‘intervention qui se recoupent, même partiellement, et des rapports s‘établissent selon une logique horizontale413. De ces relations naît le "pluralisme ordonné" appliqué à l‘univers juridique, mais que nous pourrions transposer à la normativité globale et qui fut proposé par Mireille Delmas-Marty414. Les adeptes de cette hypothèse, prennent « le pari qu‘il est possible de renoncer au pluralisme de séparation […] sans adhérer pour autant à l‘utopie de l‘unité juridique du monde au nom d‘une sorte de pluralisme de fusion »415. La mise en cohérence peut premièrement passer par un processus de coordination. De fait, si l‘apport essentiel des processus d‘entrecroisement, nous explique l‘auteure, est de créer une dynamique afin d‘éviter des conflits et aider à résoudre certaines contradictions, ils ne peuvent être totalement dispensés de hiérarchie. L‘internormativité ne pourra constituer 411 Bailleux, supra note 407 aux pp. 103-104. Ibid. à la p. 104. 413 Chevalier, « Question », supra note 180 à la p. 841. 414 Delmas-Marty, « Forces imaginaires », supra note 409. 415 Mireille Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné et les interactions entre ensembles juridiques, p.1, En ligne : <http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/article_Dalloz.pdf> (Date d‘accès: 5 août 2009) [DelmasMarty, « Pluralisme ordonné »]. 412 133 une véritable mise en ordre que s‘il existe un principe d‘ordre qui réintroduit la hiérarchie pourtant évacuée par la destruction de la pyramide. « Or, cette hiérarchie sera plus ou moins stricte selon qu‘elle impose un droit identique (unification) ou se limite, assouplie par la reconnaissance d‘une marge nationale d‘appréciation, à un rapprochement des divers systèmes »416. D‘ailleurs, si le premier défi du réseau consiste à multiplier les zones d‘interaction, le deuxième est l‘aménagement de barrages pour que le droit à tout le moins ne perde pas toute forme et toute autorité417. La distinction théorique que nous effectuons entre l‘univers juridique dans son ensemble et le droit issu de l‘État, qui en fait néanmoins partie, semble ici trouver toute sa crédibilité. Le second processus entrant en ligne de compte est celui de l‘harmonisation qui inclut une idée d‘intégration plutôt que de composition ou recomposition. Cette dernière réinstaure une relation de type vertical avec des hiérarchies enchevêtrées. Cela signifie que la relation sera tantôt ascendante, tantôt descendante418. Enfin, le pluralisme ordonné pourra se faire par une unification; soit par transplantation unilatérale d‘un système à l‘autre, soit par hybridation en combinant différents systèmes en tenant compte de leur diversité419. Si l‘analyse législative et la règle de droit se trouvent en quelque sorte au sommet de la normativité sociale, c‘est-à-dire en demeurant l‘outil de régulation référentiel dans le cas particulier qui nous intéresse, celui des technologies de la reproduction et de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, elle apparaît dans un univers de pluralisme normatif où elle se diffuse et occupe « une place de plus en plus relative dans 416 Ibid. à la p. 7. Bailleux, supra note 407 à la p. 107. 418 Delmas-Marty, « Pluralisme ordonné », supra note 415 à la p. 8. 419 Ibid. à la p. 13. 417 134 l‘économie normative des sociétés marquées par l‘existence de zones de recouvrement de plus en plus importantes entre le juridique et le social »420. L‘éthique de la sollicitude est un de ces modèles sociaux pouvant servir de référant dans la gestion du conflit entre les droits et intérêts en jeu. Dans le contexte du pluralisme juridique, Étienne Leroy distingue le pluralisme faible du pluralisme fort421. Le premier se manifeste « lorsque tout l‘avantage revient à l‘État et au droit étatique, qui demeure hiérarchiquement supérieur »422 et le second apparaît « lorsque le droit étatique perd son monopole comme source de règlement de conflit. Le mode étatique de règlement de conflit est alors en concurrence avec les autres modes de règlement de conflits qui existent du mondes »423. Il pourrait être facile d‘opérer un parallèle et croire que nous effectuons ici un pluralisme de façade puisque le droit et l‘État demeurent maîtres du jeu de la régulation de la procréation assistée. Cela n‘est d‘ailleurs pas sans rappeler la critique faite au pluralisme normatif qui est caractérisé de "faux". Nous croyons néanmoins demeurer dans une situation de pluralisme fort car en vertu de celui-ci, si l‘État perd son monopole, il ne remet pas en cause la place et le rôle de l‘État en sa fonction de responsable de l‘intérêt général 424. Or, c‘est justement au nom de cet intérêt que nous mettons de l‘avant la responsabilité du législateur dans la régulation des nouvelles technologies de reproduction. D‘ailleurs, le pluralisme n‘exclut pas qu‘intervienne la régulation par l‘État. Ce qu‘il importe alors 420 Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15. Étienne Le Roy, « Oser le pluralisme juridiciaire », dans Agence de coopération culturelle et technique, Rapport introductif à la conférence des Ministres francophones de la justice, Le Caire, 1995, à la p. 16 tiré de Haoua Lamine, « Pour un pluralisme juridique plus effectif », dans Étienne Le Roy, dir., Cahiers d’Anthropologie du droit 2003 : Les pluralismes juridiques, Paris, Karthala, 2004, 157 à la p. 165. 422 Lamine, supra note 421 à la p. 165. 423 Ibid. aux pp. 165-166. 424 Ibid. à la p. 165; Voir également : Belley, « Terra incognita », supra note 150 à la p. 10. 421 135 d‘analyser est quel ordre normatif non étatique jouit du crédit suffisant afin de disposer d‘un pouvoir d‘influence sur le législateur et les acteurs, sujets de droit, avec lesquels il collabore? Quel compromis ce dernier sera-t-il prêt à faire425? Que l‘on parle d‘une pyramide de la normativité où il y a des interactions entre le haut et le bas, d‘un réseau à l‘image verticale, d‘une horizontalité hétérarchique ou d‘une structure complexe où s‘entremêlent la verticalité et l‘horizontalité426, l‘ensemble de ces théories se réunissent en deux points communs : la fin de l‘image linéaire et les dialogues constants entre les différents paliers de normativité qui attirent et retiennent notre attention. Nous en venons à considérer que la légitimité de la norme juridique, mais plus spécialement du droit, se conquiert. Elle n‘est plus ab initio, c‘est-à-dire liée aux attributs intrinsèque du droit427. Il ne se suffit plus à lui-même en imposant sa loi si nous pouvons nous exprimer ainsi. La légitimité dépend « de la recherche du consensus, de la participation des intéressés à son élaboration, de son efficacité »428. Quelles formes cela prend-t-il? 2- PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ : VERS L’EFFACEMENT DES FRONTIÈRES Nous avons à plusieurs reprises fait référence aux rapports qui se nouent et se dénouent entre les différentes logiques normatives, ordres ou systèmes de normes, en 425 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 148. Jacques Chevallier, « Vers un droit post-moderne? Les transformations de la régulation juridique », (1998) 3 R.D.P. 659 à la p. 674 : L‘auteur nous parle de figures baroques qui se manifestent par des hiérarchies discontinues ou enchevêtrées, alternatives ou inversées, formant des boucles étranges. 427 Ibid. à la p. 680. 428 Monnier, supra note 93 à la p. 26. 426 136 précisant qu‘elles participent, avec le droit, au système de régulations sociales et ce, même si des contractions et des incohérences existent entre elles. Cela table tout à la fois sur la subjectivité et l‘objectivité de la norme : « sa subjectivité puisqu‘elle dépend bien sûr de son contexte d‘élaboration, de symbolisation et d‘interprétation, mais aussi son objectivité puisque nous considérons alors cette norme comme un donné factuel. Le travail des sciences sociales aura alors pour principale tâche de contextualiser les normes, de les discuter et de les classer afin de clarifier la procédure d‘application et d‘interprétation, laissant au droit le soin de théoriser ces procédures d‘interprétation, de hiérarchisation et de classification des normes. »429 Quoiqu‘il soit une chose de constater sur le plan théorique la pluralité des ordres juridiques et normatifs, s‘en est une autre d‘en explorer de manière systématique et scientifique les rapports d‘influence430. Pour ce faire, nous intéresserons à la double distinction dont les bases ont été jetées par Guy Rocher. L‘internormativité peut être juridique ou sociologique. 2.1 Vision juridique de l’internormativité La première signification de l‘internormativité « fait référence au transfert ou passage d‘une norme ou d‘une règle d‘un système à un autre. L‘internormativité se reconnaît alors à ce qu‘une règle qui a été produite ou formulée à l‘intérieur d‘un système normatif donné se retrouve telle quelle, dans un autre ordre normatif »431. L‘exemple des normes techniques (e.g. règles relatives à la construction d‘immeubles) reçues dans le 429 Lacroix, supra note 139 à la p. 208. Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 146. 431 Guy Rocher, « Les ―phénomènes d‘internormativité‖ : faits et obstacles », dans Belley, « Droit soluble », dir., supra note 162, 25 à la p. 27 [Rocher, « Phénomènes »]. 430 137 corpus juridique et obtenant force de loi est récurrent dans la littérature 432. « Cette forme d‘internormativité peut résulter soit du fait qu‘un ordre normatif s‘approprie ou accueille une règle issue d‘un autre ordre, soit du fait qu‘une règle d‘un ordre normatif est imposée à un autre ordre »433. Nous situant à l‘intérieur d‘un ordre normatif d‘accueil, ce premier sens est un fait de contenu puisque nous retrouvons et analysons l‘internormativité dans les textes normatifs, principalement juridiques434. Toutefois, rien ne s‘oppose à ce que les phénomènes d‘internormativité s‘observent entre ordres normatifs non étatiques435. En vertu cette perspective, nous dit André Lacroix, les spécialistes du droit cherchent à le transformer de l‘intérieur en développant de nouveaux modes d‘interaction qui prendraient en compte les différents niveaux de norme. Le droit y est considéré comme une construction sociale, et non plus comme une simple donnée empirique, devant continuellement être "réinterprétée" ou recréée en fonction des valeurs sociales du moment. L‘approche demeure somme toute juridique puisque ces transformations sont réfléchies à l‘intérieur du paradigme déjà existant. De plus, en tenant compte des différents types de norme, le rapport dialectique ne déborde jamais du cadre juridique436. Le regard adopté est celui du droit par rapport à la société. Ainsi, le pluralisme d‘inspiration exclusivement juridique constate et analyse l‘influence formelle d‘autres formes de régulation extérieures à l‘État, mais ce ne sont que des faits sociaux n‘ayant 432 Voir : Cousy, supra note 258 aux pp. 136 et suivantes. Rocher, « Phénomènes », supra note 431 aux pp. 27-28. 434 Ibid. à la p. 28. 435 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 798. 436 Lacroix, supra note 139 à la p. 211. 433 138 rien à voir avec la nature de l‘institution juridique437. Il s‘agit d‘une vision qui consacre le juridique à un domaine bien limité : « celui assigné à ces passages d‘un espace vers un autre par la dogmatique juridique »438. C‘est un aller simple vers le droit étatique selon des modalités balisées. Toute norme alternative n‘est pas considérée comme étant du droit et dans ce cas, les passages d‘un espace normatif à un autre constitue tout au plus un phénomène sociologique intéressant439. De par l‘importance que nous attribuons à la relation État-droit et puisque nous qualifions l‘éthique de la sollicitude de pluralisme normatif, il est fort tentant de s‘identifier au sens premier de l‘internormativité et de ne voir en elle qu‘un fait social. Hans Kelsen reconnaissait que « les normes juridiques ne sont pas les seules normes qui règlent la conduite réciproque des hommes, c‘est-à-dire les seules normes sociale »440. Son approche se bornait néanmoins à exclure du champ juridique toute autre norme que le droit formel, les enfermant par ailleurs dans une pyramide enracinée dans sa verticalité, alors que nous en élargissons les limites. La classification que nous effectuons quant à l‘éthique de la sollicitude est le fruit de la distinction que nous opérons d‘avec le pluralisme juridique. Si nous réservons le qualificatif "droit" à la norme étatique, rien n‘empêche que d‘autres formes d‘éthique, telle que la déontologie ou les codes issus des comités d‘éthique, puissent appartenir à un ordre juridique. Ceci étant, nous ne prétendons guère appartenir à la famille des juristes pour qui la réflexion sur 437 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 150; Nous remercions ici Jean-Guy Belley qui a pris le temps d‘échanger avec nous sur le thème de l‘internormativité et pour ses explications fort éclairantes. 438 Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 830-831. 439 Ibid. à la p. 831. 440 Kelsen, supra note 146 à la p. 65. 139 l‘internormativité s‘arrête au simple examen des modalités de passage vers le droit441. C‘est quelque peu le cas dans la problématique sous études, mais uniquement parce que nous affirmons la légitimité de l‘intervention du législateur. Une loi en internormativité avec l‘éthique de la sollicitude qui concerne la procréation assistée et l‘anonymat ne constitue pas qu‘un ordre d‘accueil. L‘éthique de la sollicitude peut moduler la position adoptée par le législateur, dans le regard analytique qu‘elle propose de la question de l‘anonymat et de la réflexion qui en résulte, mais le contenu de ses principes directeurs ne migre pas vers la loi. Ils ne sont pas repris copie conforme pas le législateur. Puisque l‘éthique de la sollicitude relève de la méthode réflective, ses principes directeurs sont d‘application variable en fonction de chaque problématique étudiée et ce ne sont que les conclusions de leur application qui peuvent être retenus ou rejetés par le droit. Bien que nous considérions l‘éthique de la sollicitude et ses principes directeurs comme des normes, le législateur se laisse ou non influencer par ces conclusions. Un autre indice nous met la puce à l‘oreille quant au fait que nous nous trouvons peut-être dans l‘interprétation juridique de l‘internormativité. En affirmant que la production législative des normes se révèle comme un processus dynamique allant de l‘adoption des lois par le législateur à leur évolution continuelle dans le temps, nous collons au fait que le droit doit être continuellement "réinterprété" ou recréé en fonction des valeurs sociales du moment. Cela semble relever de la "fluctuation" des normes, des institutions et des ordres normatifs qui sont en constante mutation et amalgamés les uns par rapport aux autres442. La distance que nous prenons ici par rapport à Macdonald est 441 442 Benyekhlef, supra note 97 à la p.831. Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 à la p. 263. 140 que, pour lui, ce qui résulte des interactions entre deux ou plusieurs ordres n‘est pas la migration d‘une partie du phénomène normatif vers l‘autre, ou encore l‘absorption de l‘un par l‘autre, mais leur influence et infiltration mutuelles qui aboutissent à la création d‘un nouvel ordre juridique momentané. Le regard qu‘il porte sur ce concept rend inutile l‘idée internormative443. Cette vision des choses est certainement influencée par la vision de l‘auteur du pluralisme juridique critique où les sujets de droit sont créateurs du droit. Ils n‘y sont pas que de simples sujets assujettis au droit444. Puisqu‘il y a une pluralité de sujets, il ne peut exister qu‘une pluralité d‘ordres juridiques. De plus, la nature des rapports d‘influence entre ces ordres est elle-même influencée par ceux qui en sont les auteurs, à savoir des sujets de droit qui entrent en relation. Ces derniers sont tout à la fois influencés par les ordres juridiques et à leur source. Si la vision de l‘émergence d‘un nouvel ordre n‘est pas mauvaise, l‘évacuation de l‘internormativité n‘est pas juste puisque c‘est ce concept qui vise les phénomènes d‘interaction. Le nouvel ordre n‘en serait que le résultat. Est-il possible en fin de compte d‘imaginer une internormativité juridique élargie445? En accord avec les tenants du droit postmoderne, cette vision des choses promeut « l‘élaboration d‘un cadre conceptuel renouvelé du droit, afin d‘assurer que celui-ci soit en phase avec les réalités à réguler. Cette promotion s‘accompagne aussi d‘une approche militante, qui voit dans le droit des rapports de domination et de dominance qu‘il importe de corriger par une démocratisation accusée de la norme »446. 443 Ibid. aux pp. 262-263. Voir : Kleinhans et Macdonald, supra note 226. 445 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 832. 446 Ibid. à la p. 834. 444 141 L‘objectif est par contre de contrer la dévalorisation de la règle de droit usuelle par la prise en compte des autres espaces normatifs; c‘est-à-dire de préserver la spécificité de la norme juridique étatique447. La proposition post-moderne a en effet des limites448 et un pluralisme « tous azimuts » constitue un danger au regard de l‘évidente centralité normative et de la qualité démocratique de la règle étatique449. Il faut en conséquence développer des modalités de dialogues internormatifs entre les différents ordres en présence et qui dépassent les mécanismes d‘absorption de la norme alternative par le droit450. En faire une étude détaillée est un défi allant au-delà des limites de cette thèse. Nous nous demandons néanmoins si l‘approche adoptée sur l‘articulation et la manifestation des principes directeurs de la sollicitude dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicable est un de ces mécanismes. Est-ce là l‘origine d‘un positivisme transcendé? Il est difficile de l‘affirmer avec certitude. 2.2 Vision sociologique de l’internormativité La seconde signification de l‘internormativité, beaucoup plus étendue : « fait référence à la dynamique des contacts entre systèmes normatifs, aux rapports de pouvoir et aux modalités d‘interinfluence ou d‘interaction qui peuvent être observés entre deux ou plusieurs systèmes normatifs. Entendue dans cet autre sens, l‘internormativité ne suppose pas nécessairement le passage d‘une règle d‘un ordre normatif vers un autre. »451 447 Ibid. Maisani et Wiener, supra note 139 aux pp. 451 et suivantes. 449 Benyekhlef, supra note 97 à la p. 836. 450 Ibid. 451 Rocher, « Phénomènes », supra note 431 à la p. 28. 448 142 Bien au contraire, il peut y avoir une résistance au passage et l‘interaction peut avoir lieu sans emprunt de normes étrangères. Cette perspective, relavant de l‘analyse sociologique, s‘intéresse à la dynamique des interfaces des systèmes normatifs, c‘est-à-dire aux interactions intervenant à leurs frontières respectives 452. Dans ce contexte, l‘internormativité « s‘attache notamment à déterminer les rapports de force entre les acteurs des différents ordres normatifs afin de mieux comprendre le passage des normes d‘un univers à un autre »453. Des passeurs de normes faciliteront les échanges et les rapports afin d‘atténuer les résistances454. Nous sommes dans le rapport de la société vis-à-vis le droit au point que la forme de ce dernier n‘est plus un critère, on n‘en distingue plus les sources en tant que telles. Dans le regard qu‘il porte sur l‘interaction internormative, le sociologue ne se fie pas aux textes formels, mais spécialement aux acteurs455. « La perspective sociologique […] étend [ainsi] la notion du juridique à des formes de régulation qui n‘entrent pas dans le champ juridique du juriste, à la fois pour mieux analyser des phénomènes sociaux dans cette perspective et pour mieux mettre en lumière les rapports d‘interaction entre les faits sociaux et le droit étatique. La notion d‘ordre juridique, entendue dans ce sens, forme le pivot central de cette perspective étendue du phénomène juridique. »456 En ce sens, l‘incapacité du droit à formuler une réponse possédant une quelconque dimension éthique, aurait amené les spécialistes du droit à revoir la finalité même du droit en se détachant de la finalité de l‘État afin d‘en faire, au regard de l‘éthique, non 452 Ibid. Benyekhlef, supra note 97 à la p. 798. 454 Ibid. 455 Nous remercions à nouveau Jean-Guy Belley pour ses éclaircissements. 456 Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 150. 453 143 pas une morale publique, mais une morale collective au service des droits individuels. Le droit formel, étatique, a subséquemment pour principale fonction de contrôler la production des normes défendues par le législateur, de réorganiser la fonction de juger (ceux-ci interprétant cette morale publique) et de formaliser les modes de règlement457. Dans ce contexte, il acquiert sa légitimité par la procédure. En raison de notre vision des choses, nous ne nous situons pas totalement dans la seconde approche non plus. La forme du droit est pour nous importante. De plus, si nous concevons les acteurs comme part entière du processus dynamique de production des lois, le droit étant l‘expression de la volonté collective et l‘espace public ne pouvant plus être réduit au seul État458, nous concevons malgré tout ce droit dans son rapport à la société. Nous percevons l‘État comme étant l‘autorité dominante, mais le droit qui en est issu se dilue dans la normativité sociale globale dans laquelle s‘inscrit l‘éthique de la sollicitude et la priorité des relations interpersonnelles et d‘interdépendance. Le fait que nous croyons que l‘État n‘est pas le seul à disposer de la légitimité réflective et normative devant mener, en bout ligne, à l‘adoption d‘une loi par le législateur ou encore à un choix législatif de sa part d‘intervenir ou non en laissant certaines décisions au domaine privé des individus, nous porte à croire que nous nous situons à mi-chemin entre les deux approches de l‘internormativité. Il s‘agirait alors d‘une internomativité juridique élargie, selon une sorte de "positivisme transcendé". D‘ailleurs, tel que l‘affirme Chaïm Perelman, 457 Lacroix, supra note 139 à la p. 211; « Plutôt que d‘incarner et de réfléchir l‘éthique, le droit devient le lieu de contrôle et de sanction de cette éthique, ce qui le situe à l‘extérieur du cadre éthique, à l‘extérieur d‘une éthique de société…à l‘extérieur de toute réflexion éthique. […] [Le juriste] ne questionne pas la norme, ni son bien fondé, il en assure plutôt la formalisation et l‘interprétation selon une procédure dûment précisée par le législateur et les spécialistes. Le droit incarne alors le lieu de régulation, non pas des comportements, mais des normes. » Ibid. 458 Ibid., à la p. 216. 144 le « droit positif a pour corrélatif la notion de décision, si pas raisonnable, du moins raisonnée »459. Il n‘existe pas de références préétablies d‘un réseau entre le droit et l‘éthique de la sollicitude. De toutes les recherches que nous avons effectuées, nous n‘avons pas rencontré dans la littérature d‘analyses tentant d‘étudier une interaction internormative entre ces deux notions. Cela est notamment dû au fait que l‘éthique de la sollicitude est critiquée lorsqu‘on cherche à l‘appliquer à l‘analyse de la procréation assistée. De plus, puisque la taxinomie internormative basée sur le juridique et le sociologique ne rend pas compte de toutes les subtilités d‘élaboration de la loi et du cadre juridique applicable à la procréation assistée en général, et à la question de l‘anonymat des donneurs, il peut être intéressant de s‘en éloigner et d‘observer les efforts de conciliation qui ont déjà faits afin de décrire le rôle de l‘internormativité dans la construction de la règle de droit. 2.3 Modèle de construction de la règle de droit? Karim Benyekhlef fait une proposition en vertu de laquelle l‘amont, dans la conception de la norme alternative par des acteurs aux intérêts souvent divergents, se distingue de l‘aval, où cette même norme est appliquée et entre dans un jeu internormatif460. Plutôt que de décrire un processus de construction de la règle de droit en fonction de la manifestation temporelle de l‘internormativité, la classification de Sophie Monnier simplifie et schématise les phénomènes internormatifs entre l‘éthique et le droit 459 460 Chaïm Perelman, Éthique et droit, Bruxelles, Éditions de l‘Université de Bruxelles, 1990 à la p. 448. Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 799 et suivantes. 145 en déterminant qui est l‘auteur de la norme et de quelle nature est cette dernière. D‘ailleurs, cette vision des choses ne limite pas l‘apparition de l‘internormativité lors de l‘application de la norme. Le phénomène a lieu tout au long du processus législatif. Monnier s‘intéresse tout d‘abord à l‘appréhension du droit par l‘auteur de la norme éthique461 puis, et c‘est ce qui retient notre attention, à l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique462. Celle-ci se fait en deux étapes. En premier lieu, par la consultation éthique qui devient un prérequis à la formulation de la règle juridique. L‘essor de la consultation éthique peut assurément en faire une condition à la légitimité de la règle de droit. Cela est issu tant de l‘initiative des autorités politiques 463 que d‘un juge464. La seconde étape est la réception matérielle des normes éthiques dans l‘ordre juridique. Celle-ci, nous dit l‘auteure, se fera de façon plus ou moins transparente dans la mesure où l‘incidence des systèmes normatifs parallèles est reconnue soit de manière directe, soit de manière indirecte par l‘ordre étatique. Une distinction est faite entre les normes éthiques et déontologiques. Nous nous concentrerons sur les premières. Lorsque diffuse, l‘intégration des normes éthiques devient source d‘inspiration pour la décision du juge ou des autorités politiques. Dans ce cas, nous percevons l‘influence par le truchement d‘informations indirectes465. Lorsqu‘explicite, l‘intégration provient finalement d‘une référence expresse dans un jugement466 ou par la novation directe de la 461 Monnier, supra note 93 à la p. 484. Ibid. à la p. 502. 463 Ibid. à la p. 503. 464 Ibid. à la p. 518. 465 Ibid. à la p. 525. 466 Ibid. à la p. 529. 462 146 règle éthique en règle juridique467. Cela fait écho à ce que Guy Rocher a appelé la vision juridique de l‘internormativité. CONCLUSION DU CHAPITRE 1 Alors que nous prétendons que c‘est au législateur qu‘incombe la responsabilité de réguler le domaine des technologies de la reproduction468, nous croyons néanmoins que le droit participe aux phénomènes d‘internormativité avec l‘éthique. La nature du droit est effectivement en mutation. Aujourd‘hui considéré selon une analyse postmoderne de la norme, le droit connaît un changement de paradigme, ou une crise, qui découle de sa difficulté à gérer la nouvelle demande d‘éthique. En vertu du pluralisme normatif, le droit n‘est pas le seul à réguler la vie de l‘homme en société. Il ne peut donc plus ignorer les autres formes de normativité, dont l‘éthique qui n‘est pas étrangère aux progrès considérables de la technologie et de la science, inclusivement en procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes et incertitudes qu‘ils engendrent. Plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent alors au même moment dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction, en internormativité. Cette internormativité constitue donc l‘outil qui permet de théoriser les rapports d‘influence entre les différents types de norme. 467 Ibid. à la p. 531. « Il s‘agit de rappeler ici le fait que le droit est à la fois un instrument indispensable à la paix entre les citoyens, et personne ne peut s‘en passer, et en même temps qu‘il ne peut garantir ni perfection morale ni, moins encore, bonheur personnel ou collectif. Ceux et celles qui en seront constamment conscients seront aussi en mesure de légiférer avec un optimisme sans illusions. » Alberto Bondolfi, « Éthique et droit : quel rapport dans la gestion des nouvelles pratiques biomédicales », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, supra note 52, 245 à la p. 256. 468 147 Les normes juridiques incluent le droit et un ensemble plus large de normes qui sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Cette dernière ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le pluralisme normatif. Celui-ci étant inclusif des autres formes de normativité. Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité où l‘internormativié intervient. Peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé" dont les frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une influence formelle. Nous appliquons corrélativement l‘éthique de la sollicitude à l‘analyse sur l‘évolution de la norme de droit concernant l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cette approche, qui constitue un ordre normatif, se base sur une particularité fondamentale de la problématique de l‘anonymat, à savoir l‘interdépendance mutuelle dans les relations humaines. Elle renvoie à l‘aptitude liée à la sympathie, c‘est-à-dire la capacité de percevoir ce que l‘autre ressent et en éprouver par la suite de la compassion, qui doit susciter un sentiment de responsabilité et insuffler une motivation forte à intervenir parce que la personne se sent concernée par ce qui arrive à l‘autre. La vision politique de l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘utiliser l‘internormativité dans l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personnes alors que la théorie morale se concentre principalement sur un individu unique. Cela nous conduit à une politique publique au cœur de laquelle il y a une discussion publique des besoins et une appréciation honnête de l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des acteurs prenant 148 part au don. L‘application de l‘éthique de la sollicitude étant floue au-delà de son objectif, nous cherchons à constater l‘articulation et la manifestation des principes directeurs de la Commission royale dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicables. Parmi ceux-ci l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs sont ceux qui nous semblent pertinents. Du vaste ensemble de théories sur le changement de paradigme que vit le droit, nous retenons finalement qu‘elles visent à montrer que la légitimité du droit n‘est plus liée à sa nature intrinsèque, mais qu‘elle découle de son interaction avec son environnement et les autres normativités. D‘autre part, nous croyons que notre phénomène d‘internormativité ne se catégorise pas selon une vision strictement juridique ou sociologique. Nous nous intéressons davantage à l‘existence d‘un modèle de construction de la règle de droit selon une approche tenant du pluralisme normatif. En lien avec le rôle de l‘éthique, qui est d‘aider le juriste à cerner et à identifier les problèmes en vue d‘indiquer les méthodes de réflexion permettant d‘aller au fond d‘un problème et d‘explorer les différentes solutions applicables, c‘est sur l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique que se concentre notre intérêt. Puisque l‘éthique de la sollicitude relève davantage de la méthode réflective en tant qu‘ordre normatif, son intégration dans le droit demeure diffuse. Il n‘y a pas de référence expresse dans un jugement ou de novation directe de la règle éthique en règle juridique. En somme, si nous utilisons l‘internormativité afin d‘explorer les rapports d‘influence entre l‘éthique et le droit, c‘est l‘approche de la sollicitude qui nous indique de quelle manière procéder. Cela 149 nous précise de quelle manière la règle de droit, tout au long de son évolution dans le temps, doit tenir compte des relations interpersonnelles et d‘interdépendance. Ayant établi les fondements de notre cadre théorique, les deux chapitres qui suivent sont consacrés à son application au regard des enjeux éthique et du droit comparé. La seconde partie de la thèse que nous abordons ci-après se présente comme une analyse structurale du problème, compte tenu des intérêts en jeu dans la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, menant à une prise de position critique qui est fonction de l‘approche théorique retenue. 150 CHAPITRE 2 LES INTÉRÊTS EN JEU DANS LE DÉBAT SUR L’ANONYMAT DES DONNEURS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS « Dis maman, comment ils naissent les bébés? » Une question toute simple, naturelle et légitime que tous les enfants sont un jour amenés à poser. Malgré toutes les métaphores employées par les parents afin d‘apporter à leur enfant une explication plausible, petites graines et petites fleurs, comment peuvent-ils y ajouter que parfois de l‘aide est nécessaire pour que le petit ange vienne au monde? Qu‘un autre monsieur ou une autre madame est celui ou celle ayant été la source de vie? Doivent-ils le révéler à l‘enfant? Ce dernier peut-il savoir qui est la personne inconnue à qui il doit la moitié de son patrimoine génétique? Ou même totalement dans l‘hypothèse d‘un don d‘embryons? D‘autres questions en apparence simples, mais qui posent tout un casse-tête à ceux qui tentent d‘y répondre. Dans le chapitre 2, nous proposons une analyse originale de l‘éthique de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Plutôt que de présenter une description individuelle des intérêts des acteurs concernés par l‘anonymat selon un schéma pour ou contre, il est plus intéressant d‘analyser la situation sous un angle relationnel. Après tout, c‘est de reproduction collaborative469 dont il est question dans le don de gamètes et d‘embryons. Aussi, l‘angle relationnel permet-il d‘appliquer pleinement la logique de la sollicitude, dans le cadre d‘un environnement normatif pluriel, en vue d‘une réflexion internormative. L‘éthique de la sollicitude étant basée sur les relations interpersonnelles et 469 Nous empruntons l‘expression à John A. Robertson, « Embryos, Families, and Procreative Liberty: The Legal Structure of the New Reproduction », (1985-1986) 59 S. Cal. L. Rev. 939. 151 d‘interdépendance, au chapitre 1, nous en remarquons l‘apparition à deux niveaux dans la problématique : en premier lieu dans le rapport parents – enfant quant au secret sur le mode de conception puis, dans le lien donneur – enfant relativement à l‘obtention d‘informations nominatives. Dans les deux cas, l‘enfant est le point de mire de l‘interdépendance entre les individus. La grille d‘analyse appliquée à ces rapports découle de l‘éthique de la sollicitude telle que définie par la Commission Royale sur les techniques de reproduction et est composée des principes directeurs suivants : l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs. Ils sont retenus vu la nature des arguments invoqués afin de soutenir, d‘une part, le secret ou la révélation du mode de conception dans la relation parents – enfants et, d‘autre part, le pour ou le contre de l‘anonymat qui est au cœur du lien donneur – enfant. Certains arguments concernent parfois l‘hétéroparenté, l‘homoparenté ou la monoparenté. Nous faisons alors les distinctions nécessaires, mais notre réflexion ne s‘attarde pas à l‘un ou l‘autre de ces cas spécifiques. L‘objectif n‘est pas d‘aborder la question de l‘accès à la procréation assistée par les couples homosexuels ou les femmes seules. C‘est à l‘anonymat sous toutes ses formes que nous nous intéressons. À noter que nous n‘abordons pas la gestation pour autrui car, si cette problématique interpelle bien la question de l‘anonymat, c‘est d‘abord la légitimité de la pratique qui est en cause. Les contrats de mère porteuse sont par ailleurs sans effet en droit au Québec puisque nuls de nullité absolue470. Ce n‘est finalement qu‘au terme de l‘étude globale, pour chaque 470 Code civil du Québec, supra note 18, art. 541; Attention à la jurisprudence dans les affaires Adoption — 07219, 2007 QCCQ 21504 (CanLII), En ligne : 152 relation impliquant l‘enfant, que nous en arrivons à une position éthique définitive au Canada. À savoir, le maintien du secret pour les parents, dont à révélation à l‘enfant relève davantage de l‘obligation morale s‘imposant dans le cadre d‘un privilège de réserve, mais une abolition juridique de l‘anonymat des donneurs. Ce chapitre constitue une critique spécifique à l‘éthique de la sollicitude. Il est fort probable qu‘une autre approche éthique conduise à des conclusions différentes. Les références à notre cadre théorique ne sont toutefois pas autonomiques. Elles se retrouvent davantage dans la structure de notre pensée en vue d‘en arriver à la conclusion ci-haut énoncée. Pour ce faire, du point de vue méthodologique, nous analysons la position de chaque acteur et tâchons d‘exposer dans quelle mesure un sentiment de responsabilité doit commander, compte tenu de la recherche d‘un équilibre entre les intérêts de chacun, l‘instauration d‘un privilège de réserve et la reconnaissance du droit aux origines. Il est assez paradoxal d‘évaluer de l‘extérieur le sentiment qu‘une personne devrait éprouver. Aussi bien dire que nous lui dictons quoi ressentir afin qu‘elle intervienne, chose que l‘on pourrait nous reprocher. Nous croyons toutefois en la justesse de notre approche <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2007/2007qccq21504/2007qccq21504.html> (Date d‘accès : 14 juin 2011); Adoption — 091, 2009 QCCQ 628 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq628/2009qccq628.html> (Date d‘accès : 14 juin 2011); Adoption — 09184, 2009 QCCQ 9058 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq9058/2009qccq9058.html> (Date d‘accès : 18 janvier 2011); Adoption — 09185, 2009 QCCQ 8703 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq8703/2009qccq8703.html> (Date d‘accès : 18 janvier 2011); Adoption — 09367, 2009 QCCQ 16815 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq16815/2009qccq16815.html> (Date d‘accès : 18 janvier 2011); Adoption — 09558, 2009 QCCQ 20292 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq20292/2009qccq20292.html> (Date d‘accès : 14 juin 2011); Adoption — 10329, 2010 QCCQ 18645 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2010/2010qccq18645/2010qccq18645.html> (Date d‘accès : 14 juin 2011); Adoption — 10330, 2010 QCCQ 17819 (CanLII). En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2010/2010qccq17819/2010qccq17819.html> (Date d‘accès : 14 juin 2011). 153 théorique où l‘éthique du "care" est considérée dans sa dimension politique. À notre défense, peut-être pouvons-nous simplement rappeler que, dans la sphère publique et politique, nous devons également considérer les individus pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des personnes distinctes et particulières, et non comme des êtres relationnels abstraits. Les rapports entre ces personnes doivent être moralement évalués et, lorsque cela s’avère approprié, une attention particulière et soucieuse doit être portée aux besoins de chacun471. Il importe finalement de noter d‘entrée de jeu que la quête des origines de l‘enfant issu d‘un don d‘engendrement ne concerne pas celui-ci uniquement qu‘en tant que personne mineure. Par exemple, lorsqu‘un droit aux origines est reconnu dans la loi, celui-ci sera généralement offert à l‘enfant ayant atteint sa majorité472. Nous pourrions peut-être envisager la possibilité d‘un droit accordé au mineur âgé de plus de 14 ans, comme dans le contexte des soins de santé requis par l‘état de santé 473, ou avec l‘accord de l‘autorité parentale474. Le régime adopté au Québec en matière d‘adoption est dans cette ligne de pensée. L‘article 583 du Code civil du Québec475 prévoit que : « [l]'adopté majeur ou l'adopté mineur de 14 ans et plus a le droit d'obtenir les renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers y ont préalablement consenti. Il en va de même des parents d'un enfant adopté, si ce dernier, devenu majeur, y a préalablement consenti. L'adopté mineur de moins de 14 ans a également le droit d'obtenir les renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers, ainsi que ses parents adoptifs, y ont préalablement consenti. 471 Held, supra note 347 à la p. 130. Shields, supra note 47 à la p. 39. 473 Code civil du Québec, supra note 18, art. 14; Pour les soins non requis par l‘état de santé du mineur de 14 ans et plus, voir l‘article 17. 474 McWhinnie, supra note 7 à la p. 815. 475 Supra note 18. 472 154 Ces consentements ne doivent faire l'objet d'aucune sollicitation; un adopté mineur ne peut cependant être informé de la demande de renseignements de son parent. »476 Néanmoins, de façon générale, l‘accès aux origines n‘est pas un droit exclusif de l‘enfant. Ici, le terme "enfant" s‘applique en relation avec la quête même des origines. Le majeur, en tant qu‘enfant issu d‘un don, voudra savoir qui est ou qui sont ses donneurs. Ken R. Daniels se dit même contre l‘utilisation du terme "enfant" dans le présent contexte. Selon lui nous devrions parler de personnes conçues avec les gamètes de tiers donneurs477. SECTION 1 : ANALYSE DE LA RELATION PARENTS – ENFANT QUANT AU SECRET SUR LA CONCEPTION AVEC TIERS DONNEUR « Rien ne pèse tant qu'un secret: Le porter loin est difficile aux Dames; Et je sais même sur ce fait Bon nombre d'hommes qui sont femmes. » Jean de la Fontaine, Les femmes et le secret478 Cette fable écrite au 17e siècle par Jean de la Fontaine réfère à l‘indiscrétion des femmes. Outre une certaine misogynie s‘en dégageant, elle nous rappelle joliment qu‘il est parfois difficile de garder un secret. Surtout dans un contexte d‘infertilité où le couple, 476 Ibid. Ken R. Daniels, « An examination of the ―best interests of children‖ in the field of assisted human reproduction », (1999) 8 Eubios Journal of Asian and International Bioethics 146-148, En ligne: <http://www.eubios.info/EJ85/ej85f.htm> (Date d‘accès: 31 janvier 2008) [Daniels, « Best interest »]. 478 Source : Musée Jean de la Fontaine, Femmes et le secret – Recueil 2, Livre 8, Fable 6, En ligne : <http://www.musee-jean-de-la-fontaine.fr/jean-de-la-fontaine-fable-115.html> (Date d‘accès: 10 novembre 2009). 477 155 en détresse émotionnelle et psychologique de ne pouvoir concevoir ou au prix d‘un long processus de procréation assisté, ressent certainement le besoin de se confier à des proches479. Cela nous conduit directement au cœur de la relation parents – enfant, à savoir le secret entourant le mode de conception et plus précisément le recours à un tiers donneur. Dans la pratique, ce secret peut même être renforcé par l‘appariement effectué par la clinique de fertilité s‘il est fait en fonction de la ressemblance physique entre le futur parent et le donneur pressenti. Sont visés la couleur des cheveux et des yeux, la race, le poids et parfois le groupe sanguin. L‘objectif est de rendre le donneur invisible et d‘intégrer l‘enfant dans un modèle familial nucléaire480. Par conséquent, le recours au don d‘engendrement peut parfois être accompagné d‘un interdit d‘accès à l‘égard des femmes seules et des couples homosexuels481. Les parents adoptent bel et bien une pratique du secret lorsqu‘il s‘agit de leur utilisation des forces génétiques d‘un tiers afin de concevoir. Ils répugnent souvent que cela se sache, notamment de leur enfant. Une auteure souligne qu‘à ce jour, d‘après les estimations des Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS) français, celles-ci étant confirmées par des études réalisées notamment dans les pays 479 Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat dans l’assistance médicale à la procréation avec donneurs de gamètes », (1998) 30 Med. & Droit 23 à la p. 25 [Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat »]. 480 Guido Pennings, « The right to choose your donor: a step towards commercialization or a step towards empowering the patient ? », (2000) 15: 3 Human Reproduction 508 à la p. 508; Kunstman, « Remise en cause », supra note 42 à la p. 10. 481 Tel est le cas en France. Voir les articles L. 2141-2, L. 2141-6 et L. 2141-7 du Code de la santé publique. 156 anglo-saxons, environ 70% des enfants conçus par suite d‘un don l‘ignorent482. Suite à synthèse de 23 publications faites en 1980 et 1995, une autre auteure rapporte que la vaste majorité des parents, 70 à 100% d‘entre eux, n‘avaient pas informé l‘enfant des circonstances de sa conception et qu‘ils n‘avaient pas l‘intention de le faire dans le futur, dans une proportion de 47 à 92%483. Une brève recension des études faites sur cette question et présentée en 2001 confirme cette tendance484. Ces données générales doivent considérées pour ce quelles sont, puisque n‘étant pas rattachées à des cohortes suffisamment larges (parfois pas plus de dix enfants) permettant de tirer des conclusions reflétant le vécu d‘un maximum ou d‘une majorité d‘enfants conçus grâce à un don d‘engendrement, mais elles nous donnent le pouls de la situation, essentiellement en ce qui concerne le don de sperme. Il existe également un gommage de la vérité en matière de don d‘ovocytes485. Dans ce domaine, deux auteurs ont fait des constatations fort intéressantes quant aux différents ratios existant entre la communication à l‘entourage et à 482 Dominique Mehl, Enfants du don – Procréation médicalement assistée : parents et enfants témoignent, Paris, Éditions Robert Laffont, 2008 à la p. 247 [Mehl, « Enfants du don »]. 483 Brewaeys, « Parent-child relationships », supra note 20 à la p. 43. 484 « In a study of assisted reproduction in Europe it was found that none of the donor insemination parents had told their children the method of their conception (Cook et al., 1995). A Dutch study found that 94% of DI parents planned not to tell the child how they were conceived (Brewaeys et al., 1997). SoderströmAnttila et al. (1998) reported that only 38% of couples who had received infertility treatment would tell their children how they have been conceived (Soderström-Anttila et al., 1998). In the United States it was found that a similar percentage of couples, 73%, would not tell their child (Klock et al., 1994). A Swedish study found that, despite children being allowed identifying information about their donor when sufficiently mature, 89% of parents had not informed their children of the circumstances of their conception (Gottlieb et al., 2000). » Lucy Frith, « Gamete donation and anonymity », (2001) 16:5 Human Reproduction 818 à la p. 822 [Frith, « Donation »]; Références de ces études: R. Cook et al., « Disclosure of Donor Insemination: Parental attitudes », (1995) 65 American Journal of Orthopsychiatric Association 549; A. Brewaeys, S. Golombok et N. Naaktgeboren, « Donor insemination: Dutch parents‘ opinion about confidentiality and donor anonymity and the emotional adjustment of their children », (1997) 12 Human Reproduction 1591; V. Soderström-Abttila et al., « Health and development of children born after oocyte donation compared with that of those born after in-vitro fertilisation, and parents‘ attitudes regarding secrecy », (1998) 13 Human Reproduction 2009; S. Klock, M. Jacob et D. Maier, « A prospective study of donor insemination recipients: secrecy, privacy and disclosure », (1994) 62 Fertility & Sterility 477; C. Gottlieb, O. Lalos et F. Lindblad, « Disclosure of donor insemination to the child: the impact of Swedish legislation on couples‘ attitudes », (2000) 15 Human Reproduction 2052. 485 Voir par exemple: Sandra Jane Hahn et Martha Craft-Rosenberg, « The Disclosure Decisions of Parents Who Conceived Children Using Donor Eggs », (2002) 31 :3 Journal of Obstetric, Gynecologic, & Neonatal Nursing 283. 157 l‘enfant en ce qui concerne le recours à un tiers donneur : sur un total de 262 couples (524 personnes), 81,7% femmes et 66,7% des hommes ont informé leur entourage. Si cela était à refaire, 36,2% des femmes et 37,9% des hommes ne diraient rien autour d‘eux. Quant aux enfants, seuls 11,5% des femmes et 7,9% des hommes leur avait dit leur mode de conception. Une bonne proportion envisageait tout de même le faire486. Un des arguments à l‘encontre de l‘anonymat est justement que les parents ne disent souvent rien à l‘enfant sur les circonstances entourant sa conception. Cela se déroule dans un contexte où une discrétion absolue peut être difficile et l‘enfant peut se douter qu‘un secret le concernant pèse sur la famille487. Le recours à la procréation assistée devient à un certain niveau un secret de polichinelle, connu de tous excepté de la personne concernée. Il arrive corrélativement que l‘existence de secrets au sein de la famille mène à l‘insécurité et à l‘instabilité et, conséquemment, nuise à la relation parents – enfant. Bref, à la famille. Nous ne pouvons pas appliquer ce raisonnement à l‘ensemble des familles où il y eu recours à un don d‘engendrement. Chaque personne et chaque situation de famille sont différentes. Certains ne s‘en cachent pas et le disent ouvertement. Dans la situation inverse, il est pertinent de garder à l‘esprit que les parents ayant parfois ressenti le besoin de parler de leur démarche autour d‘eux peuvent, d‘une part, vivre dans la peur que cela soit révélé à leur enfant. Par ailleurs, lorsque celui-ci apprend les 486 S.C. Klock et D.A. Greenfeld, « Parents‘ knowledge about the donors and their attitudes toward disclosure in oocyte donation », (2004) 19 :7 Human Reproduction 1575; Voir également : Dorothy A. Greenfeld et Susan Caruso Klock, « Disclosure decisions among known and anonymous oocyte donation recipients », (2004) 81:4 Fertility and Sterility 1565: Cette étude est intéressante car elle souligne que le processus de divulgation à l‘enfant de son mode de conception n‘était pas influencé par le recours à un donneur connu ou anonyme. 487 H. K. Jørgensen et O. J. Hartling, « Anonymity in connection with sperm donation », (2007) 26 Med Law 137 à la p. 138; Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 286; Sharon R. Cohen, « The invisible man. Artificial insemination by donor and the legislation on donor anonymity: a review », (2004) 30:4 Journal of family Planning and Reproductive Health Care 270 à la p. 271. 158 circonstances entourant sa conception, il y a fort à parier qu‘il puisse être choqué et blessé par la déception de ses parents488. Pareil secret semble finalement difficile, voire impossible, à maintenir dans les contextes de la monoparenté et de l‘homoparenté. Compte tenu de la réalité biologique, l‘enfant ne peut que se douter que son père ne fait pas parti de son cercle familial immédiat. En l‘occurrence, nous ne référons qu‘au couple lesbien car l‘unique possibilité d‘établir un lien biologique avec l‘enfant dans le cadre du couple masculin est le recours à une mère porteuse, ce qui est interdit au Québec du point de vue du contrat qui est nul de nullité absolue489. Si dans la réalité absolument rien empêche un homme seul ou en situation de couple homosexuel d‘utiliser une mère porteuse, son nom pourra apparaitre comme étant celui du père à l‘acte de naissance, dans le dernier cas, le conjoint ne bénéficie d‘aucune protection lui accordant un statut parental comme c‘est le cas à l‘article 538.2 alinéa 2 du code490. Aussi, pour les opposants à l‘anonymat, ce principe est associé au secret afin d‘épargner le narcissisme blessé des couples stériles et non en tenant compte de l‘intérêt du futur enfant. Il ne s‘agit pas de renier l‘état de douleur que vivent les parents en devenir. Elle est qualifiée par les tenants de la pleine transparence comme étant probablement une des plus difficiles épreuves de l‘existence491. La logique du déni492 488 Emily Jackson, Regulating Reproduction: Law, Technology and Autonomy, Oxford/Portland, Hart Publishing, 2001 à la p. 215; Johnston, supra note 47 à la p. 52; Laura Shanner, « Viewpoint: Legal Challenges to Donor Anonymity », (2003) 11:3 Health L.R. 25 à la p. 25; Susan Golombok, « New families, old values: considerations regarding the welfare of the child », (1998) 13:9 Human Reproduction 2342 aux pp. 2343-2344; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034. 489 Code civil du Québec, supra note 18. 490 Ibid. 491 Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 258 et 262. 492 Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 262. 159 doit-elle pour autant supplanter l‘intérêt de l‘enfant dans la connaissance de ses origines? Le fait de laisser aux parents le soin d‘annoncer à l‘enfant qu‘il est né grâce à un don constitue-t-il une reconnaissance implicite de leur droit à la vie privée plutôt que du droit de l‘enfant de savoir493? Nous étudions ces questions du point de vue de la sollicitude. En l‘espèce, cette forme d‘éthique requiert un engagement des parents envers l‘enfant pour lequel ils se font du souci. Il ne s‘agit pas seulement d‘éprouver de la sympathie ou de la compassion à son égard dans sa quête identitaire, mais de déterminer si les parents doivent en ressentir un sentiment de responsabilité allant jusqu‘à exiger qu‘ils disent à l‘enfant la vérité sur les circonstances de sa naissance. Or, notre analyse, dans la balance de intérêts de chacun, nous conduit à la conclusion qu‘il s‘agit tout au plus d‘une obligation morale et que cette décision, prenant la forme d‘un privilège de réserve, demeure dans la sphère privée familiale et l‘autonomie des parents En aucun cas, cela ne se transforme en une obligation juridique. Cela n‘exclut cependant pas toute intervention du législateur. Afin d‘étayer notre position, la section 1 se divise en quatre sous sections découlant d‘une application de notre grille d‘analyse basée sur les principes directeurs identifiés par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Dans un premier temps, une réflexion sur l‘autonomie de l‘individu insiste sur la privatisation actuelle de la famille. En appliquant, dans un deuxième temps, le principe d‘égalité à la relation parents – enfant, nous identifions le secret comme une source importante de pouvoir du parent sur l‘enfant. Le troisième sous point est certainement le plus important 493 Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 478. 160 et le plus complexe puisqu‘il s‘intéresse à la protection des personnes vulnérables grâce à une meilleure compréhension et application des notions de bien-être et de meilleur intérêt de l‘enfant. Quant au don de gamètes et d‘embryons, nous concluons que « si l‘intérêt de l‘enfant ne commande pas toujours qu‘on lui révèle le secret de ses origines, il a aussi droit qu‘on ne l‘interdise pas »494. Puisque l‘éthique de la sollicitude concerne l‘interdépendance relationnelle des individus, nous terminons par un examen des intérêts individuels et collectifs où nous cherchons un équilibre entre les intérêts et les besoins de tous. C‘est à cette étape que nous procédons à une balance entre les prises de positions spécifiques à chaque principe directeur et que nous finissons par considérer le bris du secret par les parents comme un privilège de réserve et tout au plus une obligation morale. En effet, cet élément fait partie intégrante de la vie privée du couple. Tout au long de notre positionnement, nous revisitons les différents auteurs s‘étant intéressés aux enjeux éthiques du secret de la conception. Nous référons également à différentes études relevant des sciences sociales ou du milieu médical faisant part des points de vue des différents acteurs et de leurs témoignages. D‘ailleurs, afin d‘atteindre l‘équilibre que requiert l‘éthique de la sollicitude, la mise en œuvre et le respect de cette obligation morale des parents nécessite la création, si ce n‘est déjà fait, d‘un service d‘information afin qu‘ils aient une pleine connaissance de ce qu‘implique le don d‘engendrement. Cela vient baliser l‘exercice du privilège de réserve qui ne constitue pas un droit au silence. Nul droit au secret n‘est codifié dans la loi. 494 Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 186. 161 1- AUTONOMIE DE L’INDIVIDU : LA PRIVATISATION DE LA FAMILLE Au chapitre 1, nous expliquons la nécessaire distinction entre le secret et l‘anonymat en précisant qu‘il peut y avoir une atteinte à l‘autonomie de l‘enfant du don dans la mesure où il ne peut exercer un potentiel droit aux origines si on ne lui en donne pas l‘opportunité. Encore que, aucun des pays ayant adopté une politique de transparence et de non anonymat en matière de dons n‘a formalisé de système visant à s‘assurer que l‘enfant sache comment il a été conçu. La décision d‘informer l‘enfant de ces circonstances particulières est laissée aux parents495. Lors d‘une rencontre avec le Docteur Pierre Jouannet 496, praticien hospitalier consultant en biologie de la reproduction à l‘hôpital Cochin de Paris, celui-ci nous commentait néanmoins la situation des pays ayant aboli l‘anonymat, notamment en Suède, et où peu d‘enfants peuvent en réalité exercer leur droit d‘obtenir le nom de leur géniteur puisqu‘ils ne savent même pas qu‘ils sont issus d‘un don. Ce n‘est que lorsqu‘il y a anonymat que les parents font preuve d‘ouverture à l‘égard de leur enfant497. Seuls 10 à 15% des parents concernés l‘ont informé des conditions de sa conception, alors que dans bien des cas ils l‘ont dit à d‘autres498. La question n‘est pas tant de savoir si dans ces pays 495 Ibid. à la p. 477; Hampton, supra note 56 à la page 2683. Novembre 2009. 497 Voir également : N. Kalampalikis, « Enjeux psychosociaux du don de sperme : le point de vue du couple », (2010) 20 :1 Andrologie 37 aux pp. 42-43. 498 Ibid.; Dymphie van Berkel et al., « Differences in the attitudes of couples whose children were conceived through artificial insemination by donor in 1980 and in 1996 », (1999) 71:2 Fertility and Sterility 226; Gottlieb, Lalos et Lindblad, supra note 484; Dans une étude récente sur la Suède, une large proportion de parents se declarant en faveur de l‘honnêteté à l‘égard de l‘enfant. Néanmoins, i lest à deplorer qu‘elle ne constaste pas combien d‘entre eux l‘ont véritablement fait. Voir S. Isaksson et al., « Two decades after 496 162 le droit aux origines est formellement reconnu par le droit. Par contre, si la possibilité d‘obtenir le nom de son géniteur est offerte à l‘enfant et qu‘il ne peut entreprendre la démarche, parce qu‘il ne sait pas les circonstances de sa naissance, cela révèle d‘une réalité dont nous devons tenir compte. Très souvent, les parents ne révèlent le recours à un don d‘engendrement que si une politique d‘anonymat leur donne le sentiment de protéger leur lien avec l‘enfant. Dans une étude sur le sujet, l‘équipe du Docteur Jouannet a plus précisément constaté que la majorité des couples français procréant par don de sperme envisagent informer l‘enfant de son mode de conception, mais la plupart souhaitent le maintien de l‘anonymat du donneur. Cette enquête est fort intéressante car elle fut réalisée à grande échelle en 2006 dans 14 Centre d‘études de conservation des œufs et du sperme (CECOS) français auprès de trois groupes représentatifs du processus de procréation assistée avec tiers donneur : le premier contenait 227 couples venant pour un premier entretien ou en phase d‘attente du don, le second 188 couples en cours d‘AMP et finalement le troisième 119 couples ayant déjà obtenu au moins un enfant par don de sperme et à nouveau en cours de prise en charge pour un nouvel enfant. Les résultats démontrent d‘une part que les réponses des hommes et des femmes aux différents stades de prise en charge de la procréation assistée avec donneur sont très similaires. Une majorité informerait l‘enfant du fait qu‘il est issu d‘un don, mais la proportion des couples n‘envisageant pas le faire augmente quand ils progressent dans legislation on identifiable donors in Sweden: are recipient ready to be open about using gamete donation », (2011) 26:4 Human Reproduction 853. 163 leur démarche de procréation par don. Qui plus est, un quart d‘entre eux renoncerait à une procréation par don de spermatozoïdes en cas de levée de l‘anonymat. Seuls 20% à 30% des couples estimaient que des informations non identifiantes concernant le donneur (principalement médicales) pourraient être données aux parents et aux enfants499. L‘enquête de Jouannet établit que, contrairement à ce qui est souvent avancé, le maintien de l‘anonymat du don de sperme n‘encourage pas les couples à maintenir le secret sur les circonstances de la conception de l‘enfant. Bien au contraire, son abolition diminue la tendance à soulever le voile et même, réduit la demande des couples receveurs500. L‘anonymat donnerait la possibilité, à ceux qui veulent expliquer à leurs enfants les raisons d‘un recours au don de sperme, de le faire sans que cela remette en question leur rôle de père501. Dans un article publié 2005, une auteure remarque, qu‘au Canada, le don anonyme obtient la préférence des receveurs. Il y est fait mention d‘une étude de terrain menée entre avril 2003 et mars 2005 dans tous les centres de fertilité associés au milieu académique. Seulement 31% de 455 de celles qui ont utilisé un don de sperme ont choisi un donneur dont l‘identité serait dévoilée à l‘enfant. Il est par contre remarqué que l‘orientation sexuelle a une influence dans la mesure où 68% des couples lesbiens ont fait ce choix. L‘étude illustre donc que, dans un contexte d‘hétérosexualité, la majorité des femmes canadiennes choisissent des donneurs anonymes. Cela indique qu‘afin d‘inciter 499 P. Jouannet et al., Résultats d’une enquête de la Fédération des CECOS : La majorité des couples procréant par don de sperme envisagent d’informer l’enfant de son mode de conception mais la plupart souhaitent le maintien de l’anonymat du donneur, Poster. Ces données nous ont été communiquées par le Docteur Jouannet.; Plus récemment, voir : Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288; Dans le même sens : Kalampalikis, supra note 487; Freeman et al., supra note 288 aux pp. 505-506. 500 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 aux pp. 33-34. 501 M. Marzano, « L‘anonymat dans l‘insémination avec don de sperme: un regard éthique », (2010) 20 :1 Andrologie 103 à la p. 106 [Marzano, « Regard éthique »]. 164 les parents à parler, il faudrait un programme avec différents niveaux d‘anonymat afin de répondre aux besoins de chaque famille502. Les points de vue sur la corrélation entre l‘anonymat et le silence des parents divergent. Pour les uns, l‘anonymat sert à renforcer ou à cautionner le secret quant au désir de discrétion du couple et, pour les autres, non. En considérant les constats que nous venons de faire, nous croyons pour notre part qu‘effectivement la mise en place d‘un pouvoir discrétionnaire ne permet pas toujours à l‘enfant à qui est reconnu un droit aux origines de l‘exercer. Pourtant, ce qui importe à ce stade de notre analyse est que c‘est toute la question de la privatisation de la famille qui est en jeu dans cette partie du processus du don d‘engendrement. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental peut se développer et se concrétiser, et dans ce cas l‘État s‘en remet au désir des individus. La filiation devient une affaire de volontés individuelles503. Cela est lié à l‘évolution du statut de l‘individu dans la société et au primat de sa volonté dans la création de la parenté qui est désormais au premier plan504. Cette vision des choses est en accord avec le principe directeur de l‘autonomie en vertu duquel toute personne est libre de choisir son mode de vie, surtout en ce qui a trait à son corps et à ses choix fondamentaux portant sur sa santé, sa famille et sa sexualité. C‘est donc de l‘autodétermination des parents quant à leur vie familiale dont il est question ou, plus 502 Étude rapportée dans: Hampton, supra note 56 à la page 2683. Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 20. 504 Agnès Fine, « Pluriparentalités et système de filiation dans les sociétés occidentales », dans Didier Le Gall et Yamina Bettahar, dir., La pluriparentalité, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, 69 à la p. 69 [Fine, « Pluriparentalitées et système »]; Attention, au Québec, « le consentement à la procréation assistée est à lui seul insuffisant à fonder le lien de parenté; il doit être suivi, si les parents ne sont pas mariés ou unis civilement au moment de la conception ou de la conception ou de la naissance, d‘une «reconnaissance» officielle ou tacite : déclaration faite au directeur de l‘état civil ou gestes permettant de constituer une possession d‘état constante. » Marie Pratte, « La filiation réinventée : l‘enfant menacé? », (2003) 33 R.G.D 541 à la p. 573 [Pratte, « Filiation réinventée »]. 503 165 précisément, de leur autonomie reproductive comme partie intégrante de la vie privée des personnes. Le droit à la vie privée est d‘ailleurs reconnu au Canada. Il s‘agit d‘une protection explicite dans les lois québécoises505. Quant aux lois canadiennes, « il ressort de la jurisprudence […] portant sur l‘autonomie en matière de reproduction [, et découlant de l‘article 7 de la Charte canadienne506,] que les individus ont droit d‘être à l‘abri de toute intervention de l‘État en ce qui concerne les décisions personnelles fondamentales »507. Puisque le droit à la vie privée inclut le droit de préserver son intimité, et donc sa vie personnelle508, tel sera vraisemblablement le cas du choix de procréer et du moyen retenu à cette fin509. Dans sa dimension individuelle, l‘autonomie reproductive renvoie donc à l‘autodétermination dans le processus de prise de décision concernant les choix reproductifs, ce qui est beaucoup plus large que la simple liberté qui implique l‘absence d‘interférences ou la présence d‘alternatives510. La décision de recourir à un don relève en 505 Code civil du Québec, supra note 18, art. 3 al. 1 et 35 al. 2; Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77, art. 5. 506 Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84; Rappelons que la Cour suprême du Canada a en effet reconnu que l‘article 7 comprend à la fois le droit à la liberté physique et le droit de prendre des décisions personnelles sans intervention de l‘État. R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, 1988 CanLII 90 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1988/1988canlii90/1988canlii90.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010); Godbout c. Longueuil (Ville de), [1997] 3 R.C.S. 844, 1997 CanLII 335 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1997/1997canlii335/1997canlii335.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010). 507 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-9. 508 Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008 aux pp. 190-191. 509 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-9; Sur le sujet, voir également: Erin Lynne Nelson, Reproductive autonomy and the regulation of reproduction : issues in law and policy, Ph.D., Columbia University, 2007 aux pp. 148-163; Dana Hnatiuk, « Proceeding with insufficient care: A comment on the susceptibility of the Assisted human reproduction act under section 7 of the Charter », (2007) 65:1 U. Toronto Fac. L. Rev. 39. 510 Nelson, supra note 510 aux pp. 131-162. 166 conséquence de l‘autonomie des parents511. Cela inclurait le choix de le révéler ou non à l‘enfant. Qui plus est, au Québec, l‘opinion de la doctrine est plutôt en faveur du secret512. Il n‘est pas élevé au rang de droit, mais le secret bénéficie clairement d‘une reconnaissance implicite en vertu de la protection de la vie privée en matière de reproduction. Faire part de cette information à l‘enfant constituerait donc au maximum un droit ou une obligation morale qui existe indépendamment de toute règle législative513. Le caractère privé de la famille prend le pas sur l‘autonomie de l‘enfant dans cette partie du processus procréatif. Nous constatons par ailleurs au point 3 que cela concorde avec les objectifs de protection des parents quant à la perception qu‘ils ont d‘eux-mêmes et de la famille. Cette position est par contre à la source d‘inégalités entre les parents et leur enfant. 2- ÉGALITÉ : LE SECRET COMME SOURCE DE POUVOIR La possibilité pour les parents monoparentaux ou de même sexe de passer sous silence l‘utilisation des forces génétiques d‘un tiers est moindre. Dans les autres cas, soutenir l‘existence d‘une égalité entre les parents et l‘enfant semble une position difficile à défendre. De fait, la procréation assistée avec tiers donneur est le résultat d‘un processus initié par les parents dans le cadre duquel l‘enfant, et adulte en devenir, n‘a pas 511 Robertson, supra note 469 aux pp. 1002-1003; Jennifer Foster et Barbara Slater, « Privacy and Assisted Human Reproduction: A discussion Paper », (2002) 11:1 Health L.R. 56 aux pp. 56 et 58. 512 Beaulne, supra note 92 à la p. 260. 513 Frith, « Rhetoric », supra note 356 aux pp. 477-478; Eric Blyth, « Donor assisted conception and donor offspring rights to genetic origins information », (1998) 6 Int‘l. J. Child. Rts. 237 à la p. 248 [Blyth, « Offspring rights »]. 167 consenti514. Il y a un fond de vérité dans l‘affirmation selon laquelle les individus ou les couples ne font pas toujours un véritable libre choix d‘utiliser un don d‘engendrement, compte tenu de leur détresse d‘avoir un enfant leur étant en partie génétiquement lié. Pour eux, l‘adoption n‘est pas considérée comme une option. Par contre, à un niveau plus fondamental, tant les parents que le donneur sont des participants volontaires. L‘enfant n‘a quant à lui aucun contrôle sur les circonstances de sa conception ainsi que sur le silence l‘entourant, incluant l‘identité de son géniteur515. Comme solution au problème, pourrions-nous, par exemple, exiger que cette information soit indiquée à même le certificat de naissance de l‘enfant 516 ou est-ce une trop grande ingérence de l‘État dans la cellule familiale? La dernière position est celle retenue par le CCNE à l‘égard de l‘obligation de révéler leur secret 517. Il serait possible d‘inscrire au dossier médical de l‘enfant l‘information de santé concernant son donneur afin d‘éviter toute nuisance découlant de décisions médicales basées sur un historique génétique familial incorrect. Les parents n‘auraient alors pas à briser le secret. Cela devient toutefois problématique à mesure que l‘enfant grandit car, une fois adulte, il pourrait par exemple accéder à son dossier et constater qu‘il ne concorde pas avec l‘histoire familiale518. D‘ailleurs, c‘est parfois pour éviter cette situation que des parents informent leurs enfants du mode de conception. C‘est-à-dire, afin de mieux répondre au médecin et faire face à des questionnements portant sur la transmission génétique de 514 Shields, supra note 47 à la p. 42. Johnston, supra note 47 à la p. 52. 516 Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 481; Jackson, supra note 488 à la p. 216. 517 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 22. 518 McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2035. 515 168 maladies ou de risques519. Il est manifestement difficile d‘en arriver à un compromis pouvant satisfaire toutes les parties. Puisque la vulnérabilité est liée aux inégalités de pouvoirs, dans le contexte de l‘anonymat des dons, la personne vulnérable est incontestablement l‘enfant qui a été conçu grâce à la procréation assistée. Il serait extrême de considérer que ce dernier est susceptible d‘être manipulé, exploité ou contrôlé par ses parents qui sont en position d‘autorité. Il est par contre évident qu‘il y a un rapport de forces inégales entre, d‘un côté, l‘enfant en quête de vérité eu égard aux secrets de familles ou d‘éclaircissements sur les circonstances de sa naissance et, d‘un autre côté, les personnes l‘empêchant de l‘établir et, subséquemment, en vue d‘avoir accès à l‘information identifiante de son donneur520. Le silence des parents constitue donc bel et bien un secret. Dans le présent contexte, il s‘agit d‘une notion très chargée au niveau social. Pourtant, lorsque les parents refusent que l‘enfant ait connaissance du recours au tiers donneur, cela correspond à ce qui doit être tenu caché. Plus encore, leur silence réfère à ce qui est caché, voir intime. Tant de conceptions qui renvoient au sens courant de ce qu‘est un secret. Relève-t-il du mensonge? En fait, ce n‘est que lorsque que le secret a pour objet direct de tromper quelqu‘un qu‘il devient illégitime. « Mais la définition de termes comme «vérité», «mensonge» est l‘objet depuis toujours de réflexions philosophiques et éthiques variées, sinon parfois contradictoires, amplifiées de nos jours par toutes les connaissances des sciences humaines. La discussion casuistique sur la 519 Gilles Séraphin, « L‘accès aux origines : les ressorts d‘un débat passionné », (2009) 5 Esprit 82 à la p. 96. 520 Johnston, supra note 47 à la p. 52. 169 véracité et la vérité dans les échanges humains est également interminable. »521 Il n‘en demeure pas moins que nul aime être trompé. Le mensonge requiert donc l‘élément intentionnel de la tromperie. Le secret entre dans cette catégorie si l‘on tait à une personne une vérité importante qui lui est due. En matière de don d‘engendrement, la question est de savoir quelle est la «vérité» et sous quelle forme elle est due. Un secret se construit entre les membres du couple et concerne directement l‘enfant à qui on refuse l‘identité de son géniteur522. S‘agit-il pour autant d‘un mensonge? Le silence des parents est sans conteste un "non-dit" et donc un secret puisqu‘il « s‘accompagne de conduites d‘évitement ou de comportements de fuite qui mettent les enfants sur la voie de ce qu‘on leur cache »523. Puisque le tout se déroule dans le contexte médical, il faut d‘autre part avoir conscience du fait que ce secret est partagé par l‘équipe soignante. Néanmoins, de là à qualifier l‘attitude des parents de mensongère, cela requiert réflexion. Le mensonge serait alors par omission, mais il nous semble délicat d‘affirmer de façon définitive que le comportement des parents correspond à ces notions. En effet, si nous regardons de plus près certaines des motivations des parents, celles-ci étant détaillées au point 3, il manque l‘élément mal intentionné de la tromperie. Tromper c‘est abuser de la confiance d‘autrui. Les parents le font-ils quand ils veulent protéger leur enfant et leur famille? Les raisons justifiant le secret en fonction du meilleur intérêt de l‘enfant et de sa famille prennent essentiellement la forme d‘arguments de protection. Il est cependant certain qu‘en tant que savoir caché, cantonné à un nombre limité de personnes et protégé, le secret, qui jette 521 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 18. Ibid. 523 Ibid. à la p. 20. 522 170 un voile sur une vérité existante qui ne doit pas être révélée524, s‘inscrit donc dans une relation de pouvoir sur les autres525. Les travaux de Carol Smart sont très éclairants sur la place qu‘occupent les secrets de famille dans la société actuelle. L‘auteure constate en ce sens que la notion de vérité est devenue la pierre angulaire des relations modernes. La capacité à révéler ses sentiments les plus intimes est perçue comme l‘élément définitionnel d‘une intimité démocratique où l‘égalité s‘établit dans la relation entre les individus. Le fait de préserver des secrets familiaux est au mieux considéré comme étant de l‘égoïsme et, au pire, comme une source de nuisance. Le silence des parents en contexte de procréation assistée est alors clairement cité en exemple. Smart évoque alors aux travaux de John Eekelaar526 pour qui le silence sur le mode de conception n‘est qu‘une façon pour les parents de protéger leurs propres intérêts. Et cette protection n‘a pas une connotation positive car la rétention de la vérité serait une manifestation du pouvoir "générationnel" grâce auquel des personnes cherchent à contrôler et manipuler la génération suivante. L‘argument ne vise même pas une évaluation du meilleur intérêt de l‘enfant. Cela devient littéralement une question de justice. Smart met quant à elle en doute le fait que ces secrets ne se résument qu‘à une simple question de pouvoir des parents sur leurs enfants. « For example, the desire to keep paternity a secret may well be a way of protecting a child and not merely a way of saving face for an adult. »527 L‘argument de l‘auteure part du constat que les politiques et le droit en matière de famille ont une tendance grandissante à favoriser la 524 Ibid. à la p. 19 Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 217-219; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 230; Marzano, « Regard éthique », supra note 501 à la p. 106. 526 J. Eekelaar, Family Law and Personal Life, Oxford, Oxford University Press, 2006. 527 Carol Smart, « Family Secrets : Law and Understanding of Openness in Everyday Relationships », (2009) 38 :4 Journal of Social Policy 551 à la p. 555 [Smart, « Family secrets »]. 525 171 vérité génétique. Elle s‘oppose par contre à l‘imposition de cette vérité comme solution à la fin d‘une supposée autorité tyrannique imposée par des parents pour leur seul bénéfice puisqu‘à la base, les secrets de famille existent dans le cadre de relations complexes. Afin de comprendre pourquoi, elle insiste sur la nécessité de situer les "secrets reproductifs" dans leur contexte historique. « [T]his process may lead to an understanding that openness and secrecy in families are not simply matters of individual integrity but also social, legal and cultural context. Although personal morality is an issue here, it is problematic to insist that those who keep secret are manipulative or disingenuous unless one also has an understanding context. »528 Effectivement, le secret et l‘anonymat entourant le don de gamètes sont historiquement le reflet de la perception de la procédure et du statut accordé aux enfants qui en sont issus. L‘insémination thérapeutique a déjà été considérée comme un adultère et les enfants du don, de petits bâtards à l‘extrême, en étaient le fruit529. Les images de la pratique vétérinaire ou de l‘ouverture de la porte à l‘eugénisme ont également été appliquées530. Tout cela découlait, tel que l‘explique Gilles David, pionnier français de l‘insémination avec donneur, de la violation de la loi naturelle par l‘intervention du médecin dans l‘acte de conception, du fait d‘assimiler à un adultère le recours à un sperme étranger au couple et, enfin, du caractère vénal de l‘obtention du sperme531. Dans un tel contexte, il est aisé de comprendre les motivations qui ont mené à la dissimulation 528 Ibid. à la p. 557. Voir : Deborah Clapshaw, « Legal Aspects of Artificial Human Reproduction : Can the Law Afford to Play Ostrich », (1980-1983) 4 Auckland U.L. Rev. 254; Au Canada, voir l‘affaire Orford v. Orford, (1921) 58 D.L.R. 251 (Ont. S.C.). 530 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 29. 531 G. David, « Don de sperme: le lien entre l‘anonymat et le bénévolat », (2010) 20 :1 Andrologie 63 à la p. 63. 529 172 de toute vérité. Il s‘agissait de protéger à la fois la mère et l‘enfant contre l‘opprobre532. De même pour les donneurs parfois suspectés d‘être des psychopathes533. Afin de maximiser leur anonymat, des praticiens ont même procédé à des mélanges de sperme534. Néanmoins, tout comme Carol Smart, constatons que la notion même de famille évolue. De nouvelles configurations familiales apparaissent (familles recomposées, homoparentales), se transforment (ouverture à l‘adoption internationale, égalité du rôle des hommes et des femmes) ou trouvent tout simplement une nouvelles légitimité sociale (familles monoparentales)535. Le recours aux forces génétiques d‘un tiers est aujourd‘hui bien reçu dans nombre de pays qui, d‘autre part, ne conservent plus la distinction entre les enfants naturels et illégitimes536. Nous sommes passés d‘une philosophie de l‘adultère au désir d‘enfant qui prend peu à peu la forme d‘une revendication en tant que droit537. Nous n‘entrerons pas dans l‘épineux débat du droit à l‘enfant, mais nous noterons que le don d‘engendrement sert bien la finalité de l‘assistance à la procréation lorsqu‘il respecte certaines conditions. Peut-être pouvons-nous simplement souligner l‘ironie historique liée à l‘apparition récente du concept de "désir d‘enfant" à l‘ère de la contraception. « Pour les générations précédentes, le fait d‘avoir un enfant était naturel, on n‘avait pas besoin de le déclarer publiquement. En général, nos ancêtres se plaignaient d‘en avoir trop, sans même avoir le temps de les désirer. »538 Alors qu‘aujourd‘hui nous assistons à un total 532 Katheryn D. Katz, « Ghost mothers : human egg donation and the legacy of the past », (1993-1994) 57 Alb. L. Rev. 733 à la p. 768 [Katz, « Ghost mothers »]. 533 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 29. 534 Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 767; Johnston, supra note 47 à la p. 51. 535 Belleau, supra note 5 au par. 8. 536 Ibid. 537 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 aux pp. 12-13. 538 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 43. 173 renversement de vapeur dans l‘attitude des gens, dont certains clament haut et fort leur droit à l‘enfant par tous les moyens possibles. Il semble que le contexte historique ne puisse plus excuser à lui seul le secret et l‘anonymat. Pourtant, si nous en revenons à la thèse de Carol Smart, ce même contexte permet de mieux comprendre l‘importance de situer socialement la pratique du don d‘engendrement, c‘est-à-dire à l‘intérieur de rapports familiaux complexes où des secrets sont inévitables. « In families, secrets may be felt to be necessary for the preservation of relationships, and the ‗truth‘ may be taken to be less important than establishing fictions. »539 L‘introduction de la reproduction hétérologue dans le modèle de la filiation charnelle, ou par le sang, est une de ces fictions. Le contexte historique du don d‘engendrement a évolué. La demande des parents lorsqu‘ils souhaitent garder le silence semble se fonder sur des motifs leur étant beaucoup plus personnels, quoi que les revendications de protection des parents puissent être influencées par ce contexte historique. Il n‘en demeure pas moins que nous remarquons qu‘à travers le temps l‘affirmation de Smart a toujours trouvé application. En fait, « [t]he need for a certain kind of secrecy at different times in different circumstances can be interpreted as a response to social vulnerability »540. Cette vulnérabilité sociale peut tout aussi bien prendre pied dans le contexte intimiste de la famille où les relations entre les individus sont à la fois complexes et de premier ordre. La cellule familiale est certainement l‘un des principaux lieux d‘interaction sociale d‘un individu. 539 540 Smart, « Family secrets », supra note 527 à la p. 563. Ibid. à la p. 564. 174 Nous pouvons associer le raisonnement de Carol Smart à une logique basée sur l‘éthique de la sollicitude en contextualisant le concept de secret à l‘intérieur de relations humaines. Nous retrouvons donc ici un impact de l‘approche relationnelle. La réflexion de l‘auteure a une valeur certaine lorsqu‘elle conclut que, malgré une association entre la prise en importance de la vérité génétique dans la famille et la nécessité de faire preuve de transparence, cela se manifeste dans le cadre de rapports où des membres de la famille peuvent se trouver en situation de vulnérabilité541. Ceci est tout aussi vrai dans le don d‘engendrement où le silence peut être perçu comme un moyen de protéger les parents, leur enfant et la famille. Ce n‘est pas sans raisons que les parents font davantage preuve d‘ouverture que lorsque l‘anonymat est en place. La prise en compte de cette perception de la problématique contribue à l‘équilibre recherché en vertu de la sollicitude. Notamment si l‘on tient compte de toute la place occupée par l‘autonomie des parents. Néanmoins, si nous réfléchissons en termes d‘égalité entre cette autonomie et celle de l‘enfant qui n‘a pas de contrôle sur les circonstances de sa conception et le secret l‘entourant, il devient évident qu‘une relation de pouvoir apparaît. Aussi, cela nous guide vers la conclusion que l‘obligation d‘informer l‘enfant de l‘existence d‘un géniteur externe au couple constituerait plus qu‘une obligation morale. La relation de pouvoir doit alors susciter un sentiment de responsabilité chez les parents à l‘égard de l‘enfant qu‘ils font naître. En utilisant l‘internormativé, l‘éthique de la sollicitude imposerait alors au législateur qu‘il oblige les parents à informer leur enfant des circonstances de sa conception. 541 Ibid. aux pp. 557-558. 175 Si nous poursuivons l‘analyse des principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude, c‘est-à-dire en fonction du bien-être et du meilleur intérêt de l‘enfant, cette conclusion se maintient-elle? Qui plus est, la vulnérabilité liée aux inégalités de pouvoir requiert une protection des personnes vulnérable, dont l‘enfant. 3- PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES : LE MEILLEUR INTÉRÊT ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT Que signifient le "meilleur intérêt et le bien-être de l‘enfant" en procréation assistée542 et quel impact ont-ils sur le débat en cause? Ces questions délicates sont parmi les plus difficiles à déterminer. À l‘instar de Frédérique Lesaulnier, nous pourrions postuler que la réponse ne nous appartient guère à nous juristes; celle-ci relevant sans doute davantage des spécialistes de l‘enfance et notamment de la psychologie infantile543. En assumant son rôle de régulateur dans le contexte des technologies de la reproduction, l‘État se doit par contre de tenir compte de cette dimension essentielle liée à l‘enfant lorsqu‘il adopte une règle de droit. Une appréciation de sa part est par conséquent inévitable et, en vertu de l‘éthique de la sollicitude, nécessaire. Lorsqu‘elle définit le principe directeur de la protection des personnes vulnérables, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction renvoie à la notion de bien-être : 542 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-46. Frédérique Lesaulnier, « L‘enfant né d‘une procréation médicalement assistée et le secret de l‘identité de l‘auteur du don », (1998) 30 Médecine & Droit 16 à la p. 19; Voir également la critique dans : Michael King et Catherine Kratz, « La notion d‘intérêt de l‘enfant en droit : vecteur de coopération ou d‘interférence », (1992) 22 Droit et Société 607. 543 176 « des personnes qui sont moins en mesure de subvenir à leurs propres besoins ou qui sont exposées à l‘exploitation pour diverses raisons. L‘exemple le plus commun est le bien-être des enfants. La société a la responsabilité de faire en sorte que cette vulnérabilité soit réduite lorsque c‘est possible et que les personnes vulnérables ne soient pas manipulées ou contrôlées par ceux qui sont en position de pouvoir ou d‘autorité. »544 Pourtant, cette description ne permet nullement de procéder à une évaluation effective du "bien-être de l‘enfant". Elle ne fournit aucunes caractéristiques ou aucuns critères permettant de guider la prise de décision. Or, la doctrine juridique nous offre un concept similaire pouvant répondre à cette exigence, celui du meilleur intérêt ou de l‘intérêt supérieur de l‘enfant. Tous ne seront pas en accord avec l‘association que nous faisons et soutiendront que ce sont deux notions complètement différentes. La première correspondrait davantage à l‘univers de la réflexion en sciences sociales, par exemple en ce qui concerne l‘éthique de la procréation assistée545, alors que la seconde constituerait une expression proprement juridique renvoyant aux droits de l‘enfant546. La Cour suprême indique en ce que « [l]‘ «intérêt 544 Schrecker et al., supra note 366 à la p. 252. Voir par ex : Darren Langdridge, « The welfare of the child: Problems of indeterminacy and deontology », (2000) 15:3 Human Reproduction 502; Guido Pennings, « The welfare of the child – Measuring the welfare of the child: in search of the appropriation evaluation principle », (1999) 14:5 Human Reproduction 1146; B. Solberg, « Getting beyond the welfare of the child in assisted reproduction », (2009) 35 Journal of Medical Ethics 373; ESHRE Task Force on Ethics and Law including G. Pennings et al., « ESHRE Task Force on Ethics and Law 13: the welfare of the child in medically assisted reproduction », (2007) 22:10 Human Reproduction 2585: Dans cet article, les auteurs soulignent que le bien-être de l‘enfant est une préoocupation morale relativement nouvelle. Ibid. à la p. 2585. 546 Cela est la terminologie utilisée au Québec dans Claire Bernard, Robin Ward et Bartha Maria Knoppers, « ―Best interests of the child‖ exposed: A portrait of Quebec custody and protection law », (1992-1993) 11 Can. J. Fam. L. 57 à la p. 122 545 177 supérieur de l‘enfant» est un principe juridique établi en droit international et en droit canadien »547. L‘ampleur de la distinction conceptuelle nous semble toutefois plus ténue qu‘il n‘y parait car, du point de vue définitionnel, le meilleur intérêt de l‘enfant et son bien-être sont deux concepts inclusifs de l‘autre. Par exemple, en 1983, dans l‘affaire In re Goyette c. Centre des services sociaux de Montréal548, la Cour supérieure du Québec a souligné que l‘intérêt de la personne est la mesure de son bien-être et que celui-ci comprend quatre aspects : le physique, l‘émotionnel, l‘intellectuel et le spirituel549. Plus récemment, dans A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l'enfant et à la famille)550, la Cour suprême du Canada notait que « [l]e critère de « l‘intérêt supérieur » de l‘enfant a pour objet général d‘indiquer aux tribunaux les considérations qui doivent les guider lorsqu‘ils agissent au nom de personnes vulnérables ». Est-ce à dire qu‘il s‘agit de la traduction juridique du principe du bien-être de l‘enfant? De fait, les quatre éléments mentionnés ci-haut nous apparaissent comme étant constitutifs de ce qu‘est le bien-être de l‘enfant. Cela nous conduit corrélativement à l‘évaluation de ce dernier qui ne peut se faire qu‘en recherchant le meilleur intérêt de l‘enfant qui, ontologiquement, ne doit pas être subordonné aux intérêts des autres. Effectivement: « it requires a decision made with respect to a child to be justified from the point of view of a judgement avoutthe child‘s interests. Put another way : it would be inconsistent with the welfare principle to make a decision that 547 Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, 2004 CSC 4 (CanLII), En ligne: <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2004/2004csc4/2004csc4.html> (Date d‘accès: 23 novembre 2010). 548 [1983] R.J.Q. 429 (C.Q.). 549 Ibid. à la p. 434; Interprétation tirée de Barnard, Ward et Knoppers, supra note 546 à la p. 59. 550 2009 CSC 30, [2009] 2 RCS 181, 2009 CSC 30 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2009/2009csc30/2009csc30.html> (Date d‘accès : 18 juin 2011). 178 is overtly justified by reference to the way the outcome benefited some other interest or interests. I have elsewhere suggested that the development of the structures relating to the family reveals a movement from an era when children were institutionally perceived as instruments for the promotion of the interests of others (whether their parents, their wider family of their social group, which I cal ‗instrumentalism‘), to one where children‘s carers where expected to use their position further the children‘s interests. »551 Chaque concept s‘appuie en définitive sur l‘autre et le résultat analytique est en bout de ligne de même nature. D‘ailleurs, en droit britannique, le législateur réfère au "welfare principle"552 dans la même perspective que le meilleur intérêt de l‘enfant en droit québécois553. Les auteurs l‘interprétant et le confondant avec le "best interest standard" sont, dans la même lignée, nombreux554. Parmi eux, John Eekelaar remarque que la notion d‘intérêt est peut-être trop vague et que celle de bien-être, plus nuancée, permet une meilleure compréhension du test à appliquer. Pourtant, l‘essence de la réflexion demeure la même. Il ajoute en effet que « [t]he concept of well-being accord well with a rights analysis for, if people have rights to anything, it must include their right that their well-being should be respected »555. Aussi, puisque l‘internormativité se pose comme une influence mutuelle du droit et de l‘éthique, il nous semble opportun de tirer de 551 John Eekelaar, « Beyond the welfare principle », (2002) 12 Child and Family Law Quaterly 237 [Eekelaar, « Welfare principle »]. 552 Voir : Human Fertilisation and Embryology Act 1990, 1990 c. 37, art. 13 (5), En ligne: <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1990/37/data.pdf> (Date d‘accès: 28 novembre 2010); Human Fertilisation and Embryology Act 2008, 2008 c. 22, art. 14 (2) (Article modifiant l‘article 13 (5) de la loi de 1990. En ligne: <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2008/22/enacted/data.pdf> (Date d‘accès: 28 novembre 2010). 553 Voir par exemple : Children Act 1989, 1989 c. 41, art. 1, En ligne : <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1989/41/enacted/data.pdf> (Date d‘accès : 16 juin 2011). 554 Shazia Choudhry, « Best Interests in the MCA 2005 – What can Healthcare Law Learn for Family Law », (2008) 16 Health care Analysis 240; Ken R. Daniels et al., « The Bests Interests of the Child in Assisted Human Reproduction: The interplay between the State, Professionals, and Parents », dans Michael Freeman, dir., Children, Medicine and the Law, Aldershot, Dartmouth Publishing Company/Ashgate Publishing Limited, 2005, 35 [Daniels et al., « Best interests »]; John Harris, « The welfare of the child », (2000) 8 Health Care Analysis 27; Jonathan Herring, « Farewell Welfare », (2005) 27 :2 Journal of Social Welfare and Family Law 159; Stephen Parker, « The best interests of the child – principles and problems », (1994) 8 Int‘l J.L. & Fam. 26. 555 Eekelaar, « Welfare principle », supra note 551. 179 l‘enseignement juridique les éléments constitutifs nécessaires à la compréhension du bien-être de l‘enfant. Afin de procéder à notre propre évaluation de l‘intérêt de l‘enfant et de son bienêtre, il importe dans un premier temps de dresser un portrait général du principe de l‘intérêt supérieur afin d‘en comprendre le sens. Puis, nous procédons à une analyse à la lumière du secret appliqué par les parents. Nous y expliquons pourquoi la révélation du mode de conception à l‘enfant est dans son intérêt compte tenu de l‘approche théorique que nous appliquons à la problématique et dans le cadre duquel nous positionnons le concept du meilleur intérêt de l‘enfant. Un autre regard pourrait mener à une autre conclusion. 3.1 L’interprétation générale du meilleur intérêt de l’enfant en droit Il existe, en droit, deux niveaux d‘interprétation de l‘intérêt de l‘enfant et l‘un d‘entre eux est en accord avec l‘utilisation que nous en faisons. Il s‘agit de l‘intérêt in abstracto qui fonde la règle législative et peut être assimilé à l‘intérêt des enfants en général. Ce dernier justifie la mise en place ou la modification de la règle de droit. De son côté, l‘intérêt in concreto aménage un critère d‘interprétation de la loi dans le cas d‘un enfant en particulier. Cela vise à choisir, parmi toutes les possibilités qui ont été élaborées dans l‘intérêt abstrait des enfants en général, celle qui correspond le mieux à celui d‘un enfant déterminé556. S‘agissant du fondement même de la règle de droit relative à 556 Carmen Lavallée et al., Pour une adoption québécoise à la mesure de chaque enfant : Rapport du groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption, 30 mars 2007 à la p. 23, En ligne : 180 l‘anonymat, ce qui l‘inspire557, et non de son interprétation une fois qu‘elle est adoptée, c‘est à l‘intérêt abstrait que nous avons recours, à travers le regard de la sollicitude. D‘ailleurs, nous établissons parallèlement, dans la section 2 du chapitre 1 consacrée l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique, que la réflexion peut être appliquée à un groupe de personnes auquel l‘individu appartient ou auquel il s‘identifie. Il faut par contre être prudent car l‘ « intérêt [de ce groupe de personnes] doit être évalué en fonction du contexte social dans lequel […] évolue [l‘enfant né d‘un don d‘engendrement] et non sur la base de conceptions sociales qui appartiennent à d‘autres cultures ou d‘autres époques »558. Il ne s‘agit pas, dans les limites de cette thèse, de considérer l‘application législative de l‘intérêt de l‘enfant selon toutes les subtilités des différents domaines du droit, en matière de famille, de santé, etc. Nous constatons plutôt dans les paragraphes qui suivent que, même dans l‘univers juridique, la nature du meilleur intérêt de l‘enfant lui confère un statut à part. Il est composé de deux principales caractéristiques n‘en faisant pas un standard dont le contenu est déterminé d‘avance et applicable de manière uniforme à tous les cas d‘espèce. De l‘interprétation qui en est faite, découle d‘une part un principe primordial, mais non absolu pouvant être subordonné à d‘autres intérêts. Il s‘agit d‘autre part d‘une notion au contenu nécessairement variable et évolutif. <http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/adoption-rap.pdf> (Date d‘accès: 27 janvier 2008); Cette classification provient initialement du travail de Chabert, supra note 78 aux pp. 53 et ss. 557 Chabert, supra note 78 à la p. 73. 558 Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 26. 181 a) Un principe primordial, mais non absolu pouvant être subordonné à d’autres intérêts À l‘échelle internationale, la Convention relative aux droits de l’enfant559 requiert que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale »560. Il s‘agit d‘un principe juridique561, mais plus spécifiquement d‘un principe général d‘interprétation et d‘action562 qui consacre « le critère du meilleur intérêt de l‘enfant comme étant celui devant présider aux décisions qui le concerne »563. Néanmoins, puisque ce n‘est pas un principe de justice fondamentale564, l‘article 3 de la Convention est d‘application nuancée. Il prévoit que l‘intérêt supérieur de l‘enfant doit être une considération primordiale et non la considération primordiale dans les décisions qui le concerne565. Cela signifie donc que les intérêts d‘autres personnes, à savoir les parents et le donneur, peuvent être considérés comme égaux ou supérieurs à ceux de l‘enfant566. Cela pourrait être le cas du respect de la vie privée des parents comparativement à la nécessité de dire à l‘enfant comment il a été conçu. 559 Supra note 87 (Ci-après : « la Convention »). Ibid., art. 3 al. 1; Pour une analyse intéressante de cet article, voir Philip Alston, « The best interests principle: toward a reconciliation of cultures and human rights », (1994) 8 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 1. 561 Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547. 562 Renée Joyal, « La notion d‘intérêt de l‘enfant, sa place dans la convention des Nations Unies sur les droits de l‘enfant », (1991) 62 Rev. I.D..P. 785 à la p. 788. 563 Michel Tétrault, Droit de la famille, 3e éd., Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2005 à la p. 1233. 564 Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547. 565 Tétrault, supra note 563 à la p. 221; Voir également : Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 239. 566 Claire Breen, « Poles apart? The best interests of the child and assisted reproduction in the antipodes and Europe », (2001) 9 Int‘l J. Child. Rts. 157 à la p. 165; Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à la p. 35. 560 182 Bien que le Canada ait signé la Convention le 28 mai 1990 et l‘ait ratifiée le 11 décembre 1992567, elle n‘a aucune application directe au Canada. La Convention n‘a pas été mise en vigueur par le Parlement568, c‘est-à-dire qu‘elle n‘a pas été explicitement intégrée dans le droit interne par le biais d‘une loi spécifique569. Par conséquent, elle ne peut donner ouverture à un droit d'action devant un tribunal canadien570. La Cour suprême dans l‘arrêt Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration)571 a par contre statué qu‘il est légalement légitime d‘avoir recours aux dispositions contenues dans de tels textes dans le processus d‘interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire572. Nous pouvons toutefois déterminer si les dispositions législatives canadiennes actuelles concernant le secret et l‘anonymat des donneurs sont conformes aux valeurs et principes de la Convention. Nous pensons en particulier aux dispositions de celle-ci qui protègent les droits de l‘enfant et son intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur son avenir573. Cette protection répond à des intérêts à court terme, mais également aux effets à plus long terme de la procédure et de l‘anonymat sur le développement de l‘enfant en tant que personne issue d‘une procréation assistée. Nous sommes ici confrontés à une source d‘internormativité puisque le Canada est présumé 567 Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 523; L‘auteure spécifie également que le gouvernement du Québec s‘est déclaré lié par la Convention le 9 décembre 1991. Ibid. 568 Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii699/1999canlii699.html> (Date d‘accès: 16 janvier 2011). 569 Carmen Lavallée, « La Convention internationale relative aux droits de l‘enfant et son application au Canada », (1996) 3 R.I.D.C. 605 à la p. 613 [Lavallée, « Convention »]. 570 Jean-François Noël, La Convention relative aux droits de l'enfant, Ministère de la justice du Canada, 2009, En ligne : http://www.justice.gc.ca/fra/pi/fea-fcy/bib-lib/util-tool/theme-topic/conv2a.html (Date d‘accès: 1er juillet 2010). 571 Supra note 568. 572 Ibid.; Interprétation du jugement dans : Jacques Chamberland, « L‘application de la Convention relative aux droits de l’enfant par les tribunaux canadiens depuis l‘Arrêt Baker : erre d‘aller ou accélération », Conférence « Mise en œuvre des droit de l’enfant : perspectives nationales et internationales », Montréal, 18-20 novembre 2004 à la p. 4, En ligne : <http://www.canadiancrc.com/PDFs/Chamberland_fr.pdf> (Date d‘accès: 11 janvier 2008); Lavallée, « Convention », supra note 569 aux pp. 627-629. 573 Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration), supra note 568; Sur le sujet, voir : Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 183 vouloir se conformer à la Convention574. Celle-ci acquiert donc une légitimité certaine à défaut d‘être légalement contraignante. Par ailleurs, le contenu de la Convention reçoit déjà une application partiellement de la part du Canada qui a adopté plusieurs dispositions afin de garantir les droits de l‘enfant575. Au Canada, en matière de technologies de la reproduction, tout comme dans la législation britannique, le législateur réfère au bien-être de l‘enfant et requiert sa prévalence. La notion prend son assise dans les principes directeurs de la Loi sur la procréation assistée576. En vertu de l‘article 2 a), « la santé et le bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions concernant l'usage de celles-ci ». Dans ces circonstances, le bien-être de l‘enfant s‘avère un pilier majeur de la prise de décision du législateur puisqu‘il constitue un principe éthique directeur devant guider l‘interprétation même du texte de loi. Nous retrouvons ici la claire influence de la protection des personnes vulnérables telle qu‘établie par la Commission Royale sur les nouvelles techniques de reproduction dans le cadre de son éthique de la sollicitude. À cette occasion, nous pouvons clairement considérer que le pluralisme normatif prend toute sa signification et que l‘internormativité a produit son effet. Il nous semble par contre, qu‘encore là, si la santé et le bien-être des enfants issus 574 Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 2009 à la p. 428 : La présomption de conformité au droit intenational : « [L]e législateur est censé ne pas vouloir légiférer d‘une manière inconciliable avec des obligations internationales de l‘État. Entre deux sens possibles d‘une disposition, il faut préférer celui qui est conforme à ces engagements. » 575 Voir : Gouvernement du Canada, Troisième et quatrième rapports du Canada sur la Convention relative aux droits de l'enfant - soumis aux Nations Unies le 20 novembre 2009, En ligne : <http://www.pch.gc.ca/ddp-hrd/docs/pdf/canada3-4-crc-reports-nov2009-fra.pdf> (Date d‘accès : 14 juin 2011). 576 Supra note 22. 184 des techniques de procréation assistée doivent prévaloir, ils ne doivent pas constituer la seule et unique préoccupation à entrer en ligne de compte. Le législateur québécois a finalement édicté dans le Code civil du Québec577 divers principes généraux de protection parmi lesquels se trouve celui du meilleur intérêt de l‘enfant. L‘article 33 prescrit que « [l]es décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation »578. L‘article 3 de la Loi sur la protection de la jeunesse579 crée une exigence semblable. Ces articles de loi s‘intègrent à une législation de protection580. Malgré la reconnaissance de l‘enfant à titre de sujet de droit, au même titre que l‘adulte, et la prise en considération du meilleur intérêt de l‘enfant, d‘autres garanties sont nécessaires. Il est un sujet particulier ayant besoin de protection581. L‘article 33 n‘est pas créateur de droit pour l‘enfant582, mais cet intérêt de l‘enfant « est devenu en droit civil québécois la pierre angulaire des décisions prises à son endroit »583. C‘est la considération primordiale à laquelle toutes les autres 577 Supra note 18. Ibid., art. 33. 579 L.R.Q. c. P-34.1; Il précise que « les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l'être dans l'intérêt de l'enfant et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation. » 580 Bernard, Ward et Knoppers, supra note 546 à la p. 122. 581 Sur le sujet, voir : Deleury et Goubau, supra note 508 aux pp. 533-538. 582 Tétrault, supra note 563 à la p. 1235. 583 C.G. c. V.F., [1987] 2 R.C.S. 244, 1987 CanLII 20 (C.S.C.), <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1987/1987canlii20/1987canlii20.html> (Date d‘accès: 16 janvier 2011). 578 185 doivent rester subordonnées584, mais cela ne signifie pas que nous pouvons invoquer cette notion pour n‘importe quoi, n‘importe comment. Les autres conditions de la loi doivent être respectées. « [L]‘intérêt de l‘enfant, tout important qu‘il soit, n‘est pas dictatorial »585. Encore une fois, puisque d‘autres intérêts ou considérations peuvent le subordonner, l‘intérêt de l‘enfant ne peut être qualifié de principe de justice fondamentale586. Nous en avons d‘ailleurs eu une démonstration flagrante en matière de gestation pour autrui. La Cour du Québec a établi, en janvier 2009, que la conjointe du père biologique d‘un enfant ainsi conçu ne peut l‘adopter et ce, même si la mère légale, c‘està-dire celle ayant accouché, donne un consentement spécial à la procédure587. Ainsi, face à l‘illégalité du projet, le juge a rejeté la demande d‘adoption en reconnaissant que cette décision ne va pas obligatoirement dans le sens du meilleur intérêt de l‘enfant. L‘adoption ne peut avoir lieu que dans l‘intérêt de l‘enfant et aux conditions prévues par la loi588. Néanmoins, cet intérêt ne peut justifier la violation des autres conditions de la loi. Le juge ne pouvait donc reconnaître ou donner des effets légaux à un contrat qui est illégal 589. La mère biologique n‘apparaissant pas sur l‘acte de naissance et ayant renoncé à ses droits, l‘enfant n‘a conséquemment pas de mère légale ayant le pouvoir d‘exercer l‘autorité parentale. À la lumière de ce jugement, des questions fondamentales se posent. Devrait- 584 King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87, 1985 CanLII 59 (C.S.C.), <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1985/1985canlii59/1985canlii59.html> (Date d‘accès: 16 janvier 2011). 585 A. Mayrand, « Égalité en droit familial québécois », (1985) 19 R.J.T. 249 à la p. 277 Extrait tiré de Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 554. 586 Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547. 587 Le mécanisme utilisé par les parents est celui de l‘article 555 du Code civil du Québec, supra note 18. 588 Ibid., art. 543 al. 1. 589 Adoption — 091, supra note 470. 186 on continuer d'interdire les contrats de gestation pour autrui? Dans l'affirmative, devraiton prévoir ce qu‘il adviendra des enfants issus de telles ententes? Une fois l'enfant né, le fait de lui donner une filiation maternelle devrait-il l'emporter sur les autres considérations? L‘enfant disposera-t-il d‘un droit aux origines? Dans notre évaluation des liens parents – enfant et donneur – enfant en vertu de l‘éthique de la sollicitude, le caractère subordonné ou subordonnant de l‘intérêt de l‘enfant est d‘importance. De fait, malgré notre conclusion qu‘il est dans l‘intérêt de l‘enfant et de son bien-être de lui révéler les circonstances de sa conception dans ce point 3 de la section 1, cela ne passe pas le test de la balance que nous effectuons au point 4 entre les intérêts individuels et collectifs. Il s‘agit d‘une claire influence internormative du principe juridique sur l‘éthique de la sollicitude. b) Un concept au contenu nécessairement variable et évolutif Lorsque le législateur québécois a procédé à la réforme du droit de la famille en 1980 et qu‘il a adopté le critère du meilleur intérêt de l‘enfant590, il ne l‘a pas défini. Le législateur s‘est contenté d‘énoncer à titre indicatif que ―l‘on peut prendre en considération‖ certains besoins. « Autrement dit, l‘intérêt de l‘enfant est à la mesure de son bien »591. Cela nécessite deux précisions. Les décisions dans l‘intérêt de l‘enfant sont tout d‘abord celles où l‘on cherche à favoriser les conditions les plus propices à son épanouissement et à son développement harmonieux dans la sécurité de son intégrité 590 591 Loi instituant le nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39. In re Goyette c. Centre des services sociaux de Montréal, supra note 548 à la p. 434. 187 physique et psychologique592. À cet effet, il faut adopter une vision d‘ensemble et analyser les besoins de l‘enfant sans en favoriser un au détriment des autres 593. De plus, dans un concept aussi vaste que celui de l‘intérêt de l‘enfant, bien que certaines balises dont la liste n‘est pas exhaustive viennent guider la prise décision, il faut être plus précis quant à son contenu. Cela porte à confusion car il importe de définir plus avant la nature des besoins de l‘enfant et, tout à la fois, considérer le fait que l‘intérêt de l‘enfant doit demeurer une notion floue à contenu variable afin de s‘adapter aux situations où elle trouve application. Une commission parlementaire sur la protection de la jeunesse a proposé une définition conceptuelle des différents besoins identifiés par le législateur québécois. Les besoins d‘ordre physique sont « [l‘] alimentation, [le] repos, [la] santé [physique ainsi que psychologique] et [la] croissance »594. De l‘ordre de l‘affectif, relèvent « [les] liens d‘amour et d‘amitié, [le] sentiment d‘appartenance, [le] sentiment d‘identification et de sécurité émotive »595. De leur côté, les besoins intellectuels peuvent en être un « [d‘]apprentissage, [d‘]appartenance, [de] cognition, [de] scolarisation ou [de] créativité »596. Finalement, les besoins sociaux peuvent se traduire par « [une] appartenance au milieu familial, [une] ouverture au monde extérieur, [la] famille, [le] développement de l‘aptitude à s‘insérer et à participer socialement ou [par une] 592 Protection de la jeunesse-1544, [1992] R.J.Q. 617, 637 (C.A.). Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 540. 594 Commission parlementaire spéciale sur la protection de la jeunesse, Rapport de la Commission spéciale sur la protection de la jeunesse, Québec, Ministre des Communications, 1982 à la p. 53. Étude citée dans Ministère de la santé et des services sociaux, Manuel de référence sur la Loi sur la protection de la jeunesse, Québec, Ministère de la Santé de et des Services sociaux, Direction des communications, 1989 à la p.40. 595 Ibid. 596 Ibid. 593 188 intégration aux valeurs de la société »597. Nous soulignons les besoins pouvant correspondre à la quête des origines. Bien que générales et non spécifiques à chaque cas d‘espèce concernant l‘enfant, ces définitions demeurent assez complètes au regard des différentes facettes de l‘être humain. L‘intérêt de l‘enfant est donc une notion à contenu variable598. En droit, il s‘agit de l‘aptitude de certaines notions de se mouvoir, de rester ouvertes face au changement; cette ouverture étant voulue par le législateur dans le cadre d‘une technique de rédaction juridique599. Au regard de l‘intérêt de l‘enfant, cela implique notamment de tenir compte de « la fluidité d‘une situation qui évolue sans cesse avec l‘âge des enfants et à laquelle il faut même intégrer la perspective de leur avenir adulte »600. Cette caractéristique est nécessaire dans le cadre de la problématique en cause. En effet, « pour ce qui est de la connaissance de ses origines, l‘intérêt supérieur de l‘enfant peut changer avec le temps, plus particulièrement selon l‘âge »601. Non seulement il faut intégrer la perspective de l‘avenir d‘adulte de l‘enfant, c‘est-à-dire en tenant compte de l‘impact de l‘anonymat dans son développement personnel602, mais il ne faut pas prendre pour acquis que le non anonymat soit forcément dans l‘intérêt de l‘enfant. 597 Ibid. Jean Carbonnier, « Les notions a contenu variable dans le droit français de la famille », dans Chaïm Perelman et Raymond Vander Elst, dir., Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, S.A., 1984, 99 aux pp. 104-105. 599 Ibid. aux pp. 99-100. 600 Ibid. à la p. 104. 601 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-21. 602 Dans l‘affaire Droit de la famille 143, (T.J., 1984-05-22), SOQUIJ AZ-84031143, J.E. 84-554, la Cour a néanmoins considéré que « l‘intérêt de l‘enfant doit être évalué par rapport à l‘immédiat et à un avenir raisonnablement prévisible ». Jean-Louis Baudouin et Yvon Renaud, Code civil du Québec annoté, Livre premier : Des personnes, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005 à la p. 72. 598 189 Le recours à une notion à contenu variable pose par contre tout un défi lorsque les décisions concernant l‘enfant mettent en cause des intérêts contradictoires comme c‘est le cas dans la problématique de l‘anonymat des donneurs. Comment en arriver à un consensus? Aucun guide sur la démarche n‘existe et le résultat varie d‘un enfant à l‘autre603. C‘est d‘ailleurs là que l‘on retrouve le principal jugement au caractère flou du meilleur intérêt de l‘enfant dont l‘indétermination expose à des conflits d‘interprétation604. « À ce propos, il nous suffira de citer les innombrables mots d‘une doctrine préoccupée, lui reconnaissant sans doute la vocation du ―principe général de droit‖, mais le qualifiant de ―notion clef … (qui) ouvre sur un terrain vague‖, de ―boîte où chacun met ce qu‘il souhaite trouver‖, de ―notion protéiforme… notion fonctionnelle et opératoire, tantôt instituante, tantôt rebelle… notion subversive‖, de ―notion fluide‖, ―passe-partout‖ et ―attrape-tout‖, semblant ―totalement inutilisable en pratique‖. »605 En matière de procréation assistée, on lui reproche notamment d‘être vague et subjectif; en résultant de possibles préjudices contraires au bien-être de l‘enfant606. Cela est notamment dû au fait qu‘il est difficile de définir le meilleur intérêt d‘enfants qui n‘existent pas encore ou qui n‘existeront peut-être jamais. Les défenseurs de l‘autonomie reproductive y confrontent d‘ailleurs la notion de bien-être de l‘enfant en affirmant que celui-ci est maximisé dans la mesure où la seule autre option pour l‘enfant née grâce à ces techniques serait de ne pas exister du tout607. Pour d‘autres, tenter de prédire le futur bien- 603 Tétrault, supra note 563 à la p. 1235. Chabert, supra note 78 à la p. 19. 605 Ibid. 606 Walker, supra note 284 à la p. 131. 607 Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 239; Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à la p. 37. 604 190 être d‘un enfant qui grandira devient un exercice ridicule compte tenu du nombre de variables entrant en ligne de compte608. Il n‘en demeure pas moins qu‘en droit canadien, la constitutionnalité du critère du meilleur intérêt de l‘enfant, ou du moins sa conformité avec les principes de la Charte canadienne609, fut confirmée en 1993 par la Cour suprême dans l‘arrêt Young c. Young610. Dans cette affaire, l‘intimé attaquait la constitutionnalité du critère en alléguant son imprécision et le pouvoir discrétionnaire conféré au juge dans son évaluation. Ces arguments furent rejetés parce qu‘ « il est manifeste que l'existence d'un large pouvoir discrétionnaire des juges est essentielle à la mise en œuvre adéquate de l'objectif de protéger l'intérêt de l'enfant »611. La Cour ajouta que le critère de l'intérêt de l'enfant n‘est à ce point incertain qu'il ne donne aucune indication susceptible d'éclairer l'examen des facteurs pertinents aux fins de la prise d'une décision612. Cela est tout aussi vrai dans l‘évaluation que fait le législateur en matière de secret des dons d‘engendrement. Nous faisons également l‘exercice au point 3.2. John Eekelaar, un spécialiste du droit de la famille britannique, souligne pour sa part que le principe du meilleur intérêt ou du bien-être de l‘enfant est historiquement justifié alors que l‘enfant est passé du statut d‘objet de droit, où il était instrumentalisé, à celui de sujet de droit, où on le reconnaît comme étant une personne ayant besoin de protection. Face aux 608 Langdridge, supra note 545 aux pp. 502-503. Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 610 [1993] 4 R.C.S. 3, 1993 CanLII 34 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1993/1993canlii34/1993canlii34.html> (Date d‘accès : 5 décembre 2010). 611 Ibid. 612 Ibid. 609 191 critiques exprimées dans la littérature concernant le caractère vague et subjectif, l‘auteur propose qu‘il ne faille pas uniquement justifier des décisions qu‘en vertu de ce point de vue. Une décision juste, dit-il, devrait pouvoir être défendue de multiples points de vue613. Dans cette optique, plusieurs principes directeurs d‘éthique de la sollicitude sont étudiés en l‘espèce. De l‘avis de certains auteurs, l‘intérêt de l‘enfant doit demeurer un concept flou. René Côté et Guy Rocher soulignent que : « l‘énoncé législatif d‘une règle de droit constitue toujours une forme de compromis entre des tendances et des courants sociaux. La formulation floue permet au législateur d‘édicter une norme dans laquelle le plus grand nombre pourra lire dans le texte ce qu‘il y cherche. La norme floue est utilisée comme un instrument de consensus social. »614 L‘intérêt de l‘enfant évolue d‘autre part en fonction des situations dans le cadre desquels il est appliqué et du temps. Ce dernier point est important car nous n‘en avons pas la même conception que nos grands-parents et il serait irréaliste de croire que notre vision actuelle des besoins de l‘enfant n‘évoluera pas. Comme le spécifient si bien Édith Deleury et Dominique Goubau, il ne serait pas bon d‘enfermer cette notion dans le carcan d‘un texte législatif trop détaillé car sa raison est précisément de demeurer flexible. Cela ne signifie par contre pas que des balises légales permettent une objectivisation et une atténuation du caractère par trop discrétionnaire615. C‘est en ce sens que le Code civil du Québec616 dresse, à l‘article 33, une liste de besoins visant à guider les décisions 613 Eekelaar, « Welfare principle », supra note 551. Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 à la p. 23. 615 Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 541. 616 Supra note 18, art. 33. 614 192 concernant un enfant (les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant) et qu‘il identifie d‘autres critères laissant place à la particularité de chaque situation (l‘âge de l’enfant, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation). Le flou du concept est donc d‘à propos dans l‘évaluation de la protection des personnes vulnérables en vertu de l‘éthique de la sollicitude. Cela nous permet d‘analyser l‘intérêt de l‘enfant en fonction de toutes les circonstances propres à la problématique de du secret et de l‘anonymat. Ayant éclairci la notion de meilleur intérêt en vue d‘analyser le principe directeur de protection des personnes vulnérables, voyons à présent comment cela se traduit au regard du secret sur les circonstances de la naissance de l‘enfant. 3.2 Révéler à l’enfant la nature de sa conception, est-ce dans son intérêt? Lorsque l‘on tente de répondre à cette question, les points de vue divergent. Dans les deux sous sections qui suivent, nous les départageons en démontrant qu‘il est finalement dans l‘intérêt de l‘enfant qu‘on lui annonce les circonstances de son engendrement. En effet, seule l‘analyse visant l‘abolition du secret permet de respecter pleinement une application du principe du meilleur intérêt de l‘enfant selon une logique de sollicitude. Ce n‘est que dans ce contexte que l‘enfant est réintégré dans le processus de réflexion et où il apparaît comme un acteur à part entière de la procréation assistée avec tiers donneur. 193 Nous ne nions toutefois pas une part de subjectivité dans l‘analyse que nous faisons du meilleur intérêt de l‘enfant. La subjectivité est en fait inhérente au test du meilleur intérêt de l‘enfant. D‘ailleurs, si nous identifions les variables objectives de la question du secret, et éventuellement de celle de l‘anonymat, nous en sommes l‘interprète. a) Contre l’obligation de révéler : des arguments découlant d’une perception externe à celle de l’enfant L‘effet recherché en n‘obligeant pas à révéler le recours à la procréation assistée et au tiers donneur en est un de protection. Tout d‘abord des parents en ce qui concerne leur autonomie, leur intimité conjugale617, donc leur vie privée, et la perception qu‘ils ont d‘eux même618. Lorsque la procréation assistée a lieu dans un contexte d‘infertilité, il s‘agit effectivement d‘une réalité vécue différemment selon qu‘il s‘agisse d‘un homme ou d‘une femme. Pour le premier, cela peut s‘apparenter à une forme d‘impuissance619 alors que, pour la seconde, la situation peut être vécue comme un malheur affectant son identité de femme620. Cela peut s‘étendre à la vision que les autres ont d‘eux et être à l‘origine d‘opprobre, surtout si la procréation avec donneur n‘est pas acceptée au sein de la 617 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 272. Johnston, supra note 47 à la p. 51; Cohen, supra note 487 à la p. 271. 619 Sur les différents types de réaction dans le contexte de l‘infertilité masculine et le recours à l‘insémination avec donneur, voir : Michela Marzano, « Une approche philosophique de l‘insémination avec don de sperme », (2009) 5 Esprit 115 aux pp. 118 et ss. 620 Agnès Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? Pluriparentalités, genre et système de filiation dans les sociétés occidentales », (2002) 21 :1 Spirale 19 à la p. 25 [Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? »]; L‘ouvrage de Dominique Mehl fourmille de témoignages de cette nature. Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 15 et ss.; Voir également les travaux de Carolyn McCleod et Julie Ponesse, « Infertility and moral luck : The politics of women blaming themselves for infertility », (2008) 1 :1 The international journal of feminist approaches to bioethics 126. 618 194 population621. Certains ajoutent même qu‘une des raisons possibles de l‘augmentation du recours aux techniques procréatives pourrait provenir de l‘image véhiculée dans la société, associant la fertilité à l‘incompétence sexuelle. Les parents voulant alors épuiser toutes les options possibles avant de se tourner vers l‘adoption et ce, afin d‘avoir un enfant bien à eux622. Comme la possibilité du secret et de l‘anonymat camoufle le tout, l‘illusion peut être presque parfaite à leurs yeux. Cela ne se fonde sur aucunes données scientifiques quantifiables, mais notre sentiment est que cette vision des choses est de moins en moins vraie si nous observons l‘intérêt que la procréation assistée soulève actuellement. Il n‘y a qu‘à constater la popularité du programme québécois de gratuité de la procréation assistée623. Les gens sont de plus en plus informés et peuvent faire la différence entre l‘infertilité et la qualité d‘homme ou de femme. Cela n‘empêche par contre pas les que les débats liés à la procréation assistée soulèvent des passions et qu‘aucun contrôle n‘est possible sur les sentiments que ressentent les parents. C‘est là que le facteur humain entre en ligne de compte car le deuil de l‘infertilité ne se fait pas automatiquement. À la naissance d‘un enfant grâce à un don, le facteur médical est levé, mais ce n‘est pas nécessairement le synonyme d‘une thérapeutique réussie. Si un autre enfant est désiré, un passage obligé par 621 Johnston, supra note 47 à la p. 51; Jennifer A. Baines, « Gamete donors and mistaken identities: the importance of genetic awareness and proposals favouring donor identity disclosure for children born from gamete donations in the United States », (2007) 45 :1 Fam. Ct Rev 116 à la p. 119. 622 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 47. 623 Voir par exemple : Jocelyne Richer, «Fécondation in vitro: les listes d'attente vont encore s'allonger», Cyberpresse (15 novembre 2010), En ligne : <http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebeccanada/sante/201011/15/01-4342955-fecondation-in-vitro-les-listes-dattente-vont-encore-sallonger.php> (Date d‘accès: 27 novembre 2010). 195 la médecine est nécessaire. L‘enfant du don est ainsi tout à la fois la concrétisation d‘une réussite et la traduction d‘un échec que doivent gérer les couples624. Au second niveau, c‘est l‘unité et l‘équilibre de la famille qui sont protégées625. Cela peut par exemple se justifier en fonction de motifs religieux ou culturels 626, mais en général le secret est là dans le but de mettre à l‘abri la relation entre l‘enfant et le parent avec lequel il n‘a pas de lien biologique627 afin d‘en faire un égal628. La peur du rejet et d‘une concurrence affective ou éducative à l‘égard de l‘enfant semble forte lorsque le secret est révélé, surtout si cette prise de connaissance entraîne une prise de contacts réguliers avec le géniteur. Le rejet concerne le parent par l‘enfant lui-même629, mais également de ce dernier par les autres membres de la famille630. Alors que les donneurs doivent séparer la procréation biologique de la filiation, les receveurs doivent au contraire réunir la procréation et la filiation à partir d‘un don reçu631. L‘entrée en parenté, selon l‘expression de Dominique Mehl, n‘est pas toujours évidente. Surtout lorsque l‘enfantement comporte une part d‘artifice. Cela requiert un véritable travail d‘élaboration mentale. L‘auteure rapporte par exemple les propos d‘une femme pour qui l‘expérience fut difficile. Elle ne se sentait pas la maman à part entière de l‘enfant et avait une peur qu‘on le lui retire632. La mise à distance du biologique n‘a donc rien d‘évident et peut être 624 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 244-245. Johnston, supra note 47 à la p. 51; Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59; Séraphin, supra note 519 à la p. 97. 626 Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59. 627 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20. 628 McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034. 629 Séraphin, supra note 519 aux pp. 96-96 ; Voir les témoignages dans : Mehl, « Enfants du don », supra note 482. Par exemple à la p. 280. 630 Baines, supra note 621 à la p. 119. 631 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 236. 632 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 143. 625 196 au prix d‘un effort de l‘esprit et d‘un travail sur soi. Cela explique notamment pourquoi l‘appariement physique peut s‘avérer si important633. Il s‘agit d‘une réflexion que Mehl a développée en lien avec l‘anonymat, mais qui est tout aussi pertinente en ce qui concerne le secret. Au chapitre 3, nous constatons en ce sens, qu‘en France, la mise au placard du donneur et le fait qu‘il soit complètement écarté de la vie de l‘enfant en étant exempt de toute responsabilité crée un réel malaise puisque la philosophie juridique de ce pays fait grandement reposer la filiation sur la vérité biologique. Le secret peut tout autant s‘appuyer sur la conviction d‘ainsi offrir à l‘enfant la possibilité d‘une vie normale634 ou du moins l‘imiter autant que possible635. Il s‘agit par contre d‘un argument plus ardu, pour ne pas dire impossible, à défendre en contexte d‘homoparenté ou de monoparenté. Le modèle familial n‘est alors certes pas traditionnel, et le secret utopique au regard de l‘enfant qui constate bien qu‘un des personnages nécessaires à sa venue au monde est absent de son roman familial. Autrement, le couple hétérosexuel peut à l‘extrême s‘imaginer que leur enfant a été conçu naturellement 636. Malgré leur reconnaissance et leur gratitude à la clinique et au donneur, les receveurs tentent souvent d‘oublier le fait qu‘ils ont eu recours à des services de procréation assistée 633 Ibid. à la p. 145; Dans son avis, la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec recommandait en ce sens que « les seuls critères admissibles pour la sélection des donneurs, outre les critères médicaux, soient des critères physiques en vue de l‘appariement avec l‘un des parents intentionnels dans le cas où le bien-être de l‘enfant semble le justifier. » Commission de l’éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 55. 634 Elizabeth Siberry Chestney, « The Right to Know One‘s Genetic Origin: Can, Should, or Must a State Extends This Right to Adoptees Extend an Analogous Right to Children Conceived With Donor Gametes », (2001-2002) 80 Tex. L. Rev. 365 à la p. 366. 635 Baines, supra note 621 à la p. 120; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034. 636 E. Lycett et al., « School-aged children of donor insemination: a study of parents‘ disclosure patterns », (2005) 20:3 Human Reproduction 810 à la p. 817 [Lycett et al., « School-aged »]; Cohen, supra note 487 à la p. 271. 197 « et ce, même si l‘équipe médicale, lors de la rencontre initiale, conseille aux futurs parents de révéler très tôt à leur enfant son origine biologique »637. Bien que cela demeure à prouver, certains soutiennent que la prétention, selon laquelle tous les secrets sont dommageables, pourrait être mise en doute par la psychanalyse et ce, tout particulièrement dans le contexte de la sexualité et de la procréation638. Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et fervente militante de la transparence, l‘affirme explicitement: tout non-dit n‘est pas voué à devenir pathogène, pas plus que le fait de vider les placards de leurs secrets de famille soit susceptible de régler d‘un coup de baguette magique tous les problèmes. Le secret devient nocif lorsque deux types de circonstance le verrouillent : « si, en premier lieu, l‘enfant ou l‘adolescent ne peut comprendre ce qui lui est caché parce qu‘il n‘a aucune piste ou – dans le cas où ses parents lui diraient qu‘il a été conçu par un don de gamètes – parce que ce qu‘ils transmettent se résume à peu de chose (comment par exemple fantasmer sur une paillette de sperme congelé?). Et si, en second lieu, la souffrance qu‘il perçoit chez l‘un ou l‘autre de ses parents le porte à fantasmer « à côté de la plaque » : il peut par exemple imaginer qu‘il est né d‘un adultère ou qu‘il a été adopté, ne pouvant évidemment pas deviner que ses parents ont recouru à un don de gamètes! »639 Ces propos ne devraient-ils pas plutôt nous conduire à croire à la nocivité du silence et du secret? À défaut d‘avoir des compétences en psychologie, en psychanalyse ou autre domaine nécessaire à la compréhension profonde du psychisme humain, nous nous permettons de souligner avec emphase le sérieux de la question. En effet, comme le 637 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 27. 638 F. Shenfield et S.J. Steele, « What are the effects of anonymity and secrecy on the welfare of the child in gamete donation », (1997) 12:2 Human Reproduction 392 à la p. 394. 639 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 263. 198 souligne Catherine Labrusse-Riou, ce qui importe, c‘est moins l‘objet des secrets de famille, partout présents, que leur fonction. S‘ils mènent à la disparition d‘un élément fondateur ou structurel du lien familial, leurs effets pervers peuvent se transmettre de génération en génération640. Ces propos demeurent certes hypothétiques car il n‘est pas assuré que tous les enfants nés d‘un don vivent ces situations, mais la seule existence d‘hypothèses pouvant nuire à l‘enfant et son développement doit nous alerter et nous amener à légiférer avec précaution. Grâce au secret, la famille se trouve d‘autre part protégée contre les intrusions émotives ou juridiques du donneur, de la donneuse de gamètes ou du couple offrant ses embryons in vitro641. « Pas de tierce personne dans le paysage procréatif, telle semble être une préoccupation qui réunit les candidats au don. »642 L‘enfant ne sachant rien, il n‘y a pas de risques de voir de "tiers parent" s‘incruster dans la famille et cela a pour effet de rassurer les membres de la famille. Cet argument présente par contre une faiblesse réelle. En réalité, pareille intrusion semble peu probable car de manière générale c‘est le donneur qui a peur à d‘une immixtion dans sa vie privée; situation qui est souvent soutenue et protégée par l‘existence de dispositions législatives niant l‘existence de liens de filiation entre le géniteur et l‘enfant. Les motivations de son don sont multiples. Besoin de se rassurer sur sa propre fertilité, fantasme du patriarche (c‘est-à-dire la volonté de "semer" des enfants), besoin de réparation d‘une histoire personnelle (par exemple, face à 640 Catherine Labrusse-Riou, « L‘anonymat du donneur : étude critique du droit positif français », dans A. Sériaux, dir., Le droit, la médecine et l’être humain : Propos hétérodoxes sur quelques enjeux vitaux du XXIe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d‘Aix-Marseille, 1996, 81 à la p. 94 [Labrusse-Riou, « Étude critique »]. 641 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20; Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59. 642 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 272. 199 l‘infertilité d‘un proche)643. Cela peut aussi être tout simplement monétaire lorsque la compensation financière est permise. Aussi, nous admettons qu‘il n‘est pas totalement impossible que le donneur tente de s‘immiscer dans la vie de l‘enfant. Pensons à l‘homme ou à la femme en manque d‘enfants ayant déjà fait un ou des dons et reportant son espoir sur cette autre descendance que nous pourrions qualifier de biologique vu l‘absence de liens sociaux et affectifs. Il pourrait également s‘agir d‘une question de santé pour le donneur en quête de sang ou de tissus compatibles pour un de ses enfants naturels644. Ceci est un exemple du concept du bébé médicament645 que l‘on retrouve normalement dans le contexte du diagnostic préimplantatoire. C‘est en troisième lieu l‘enfant qui serait protégé par le secret entourant les circonstances de sa naissance646. Une étude anglaise publiée en 1995 a par exemple trouvé que 70% des mères d‘enfants nés par insémination, sur un total de 45 familles, ont justifié leur décision de ne rien dire à ces derniers au motif que cela les protègerait. Bon nombre d‘entre elles craignaient notamment qu‘il soit dévastateur pour l‘enfant d‘apprendre que l‘homme qu‘il considère comme son père ne lui soit pas génétiquement lié. La crainte que de la colère soit manifestée en l‘absence d‘informations sur l‘identité 643 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 120-121. Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60. 645 Il s‘agit de concevoir un enfant par fécondation in vitro et de sélectionner des embryons en raison de leur immuno-compatibilité dans le but qu‘ils servent de donneur pour un frère ou une sœur malade. Nous retrouvons cette application du DPI par exemple dans des cas de leucémie où un don de moelle osseuse peut aider au traitement ou pour certaines maladies du sang pour lesquelles on peut utiliser des cellules de sang de cordon. Dans ces circonstances, on cherchera également à s‘assurer que l‘embryon désiré est exempt de la maladie dont est atteint le membre de la famille. 646 Johnston, supra note 47 à la p. 51; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034. 644 200 du donneur et la difficulté à aborder le sujet avec l‘enfant sont d‘autres motivations pour ne rien dire647. Sur ce point, nous devons souligner que le droit n‘est jamais parfait. On craint ici la colère de l‘enfant qui apprend qu‘on lui a menti. Néanmoins, il y a dans le Code civil du Québec648 une disposition qui peut tout autant affecter le père qui découvre que celui qu‘il croyait être son enfant ne lui est pas génétiquement lié. L‘article 530 prévoit en effet que les actions relatives à la filiation sont interdites si l‘enfant a une possession d‘état conforme à son acte de naissance. En instaurant une présomption irréfragable, le législateur québécois cherche à stabiliser la filiation et la situation familiale de l‘enfant, peu importe ce qu‘en pense le parent qui découvre la vérité. Concernant cet enfant que les parents prétendent protéger via le secret, nous devons souligner que si ce que les parents croient être dans le meilleur intérêt de leur enfant est important, cela ne veut pas dire que leur opinion représente véritablement l‘intérêt actuel des enfants issus d‘un don, en particulier lorsqu‘ils sont devenus adultes649. D‘un autre côté, il ne faut pas croire que chaque personne conçue par don en percevra inévitablement les torts de la même façon ou au même degré. Certains pourraient ne pas croire ou ressentir qu‘ils ont subi une atteinte du fait de ne pas avoir été informés de leurs origines650. Même parmi ceux qui argumentent en faveur d‘une grande ouverture dans la reconnaissance de la conception par procréation assistée, il en est qui 647 R. Cook et al., supra note 484 à la p. 553. Supra note 18. 649 Johnston, supra note 47 à la p. 51. 650 Jacqueline A. Laing et David S. Oderberg, « Artificial reproduction, the ‗welfare principle‘, and the common good », (2005) 13 :3 Med. L. Rev. 328 à la p. 343. 648 201 croient qu‘il n‘est pas certain que de savoir puisse causer des problèmes psychologiques651. Si les arguments présentés ici sont convaincants et peuvent fonder une position en faveur de l‘autonomie des parents et le maintien du secret, ils sont en somme incomplets puisqu‘ils correspondent à des points de vue externes à celui des enfants issus d‘un don. En éthique de la sollicitude cela est inacceptable et il faut tenter de se mettre à leur place. Une telle perspective soutien davantage la révélation du mode de conception que nous étudions ci-après. b) En faveur de la révélation : réintégrer l’enfant dans le processus réflectif Une des principales raisons pour la transparence des parents dans leur démarche reproductive à l‘égard de l‘enfant est que cela est une part importante d‘une communication ouverte et honnête avec lui. D‘un point de vue thérapeutique, en découle une diminution des tensions au sein de la famille entre ceux qui savent et ceux qui ignorent le recours au tiers donneur652. Dans le cas contraire, c‘est la confiance au sein de la famille qui se trouve ébranlée653. Une étude britannique réalisée en 2005 montrait en ce sens que parmi les raisons invoquées par les parents se trouvaient la peur que l‘enfant apprenne accidentellement la véritable nature du secret ainsi qu‘un désir d‘être honnêtes et ouverts. La découverte accidentelle était perçue comme semblant poser un plus grand danger à la relation parents – enfant qu‘une réaction négative de la part de ce dernier quant à la prise de connaissance même du don. Pour d‘autres, cela est même un droit de 651 Frith, « Debate », supra note 42 à la p. 821. Johnston, supra note 47 à la p. 52; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034; Golombok, supra note 488 à la p. 2344. 653 Cohen, supra note 487 à la p. 271; Johnston, supra note 47 à la p. 53. 652 202 l‘enfant654. Perturbés ou touchés par les témoignages d‘enfants en quête de leurs origines, comme ceux que nous présentons en section 2, les parents agissent aussi afin de devancer les questionnements éventuels de leur enfant655. Le secret à l‘égard du mode de conception n‘est-il pas en bout de ligne inadéquat? Un homme a déjà témoigné : « [c]‘est vrai que, au tout début, je préférais qu‘il y ait le moins de personnes possibles au courant. Je ne voulais pas non plus y mêler la famille. Ça ne me dérange pas que sa marraine, les amis proches soient au courant. Mais, par rapport à la famille, je trouvais ça un peu malsain. Sans savoir pourquoi exactement. Et puis, comme tous les secrets, tu dis à quelqu‘un :"Je vais te dire quelque chose mais surtout ne le répète pas." Et, de fil en aiguille, l‘information se propage, sous le sceau du secret bien entendu. Finalement je me suis dit que c‘était assez ridicule de dire à un tel que c‘était par FIV, à un autre que c‘était par IAD, et à un autre encore que c‘était par voies naturelles. Donc, en fin de compte, je me suis dis : "Autant que tout le monde soit au courant." »656 Nous ne pouvons ni présumer ni généraliser de la réalité familiale de tous les parents qui ont eu recours à un don en se basant sur ce seul témoignage. Les raisons motivant la transparence des parents peuvent aller d‘une hostilité de principe aux secrets de famille à une obligation imposée par les circonstances657. Il demeure qu‘il doit être difficile de vivre avec un secret, qui peut en devenir un de polichinelle, dans un contexte aussi important que la naissance d‘un enfant. Surtout lorsque cela amène une pluralité de mensonges. Qui plus est, lorsque la révélation du don est faite à l‘enfant, cela peut résulter d‘un engrenage qui a conduit les parents à d‘abord rechercher du soutien autour 654 Lycett et al., « School-aged », supra note 636 à la p. 817. Séraphin, supra note 519 à la p. 96. 656 Témoignage tiré de Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 254. 657 Ibid. à la p. 267. 655 203 d‘eux auprès de leur famille ou de leurs amis, car soulignons-le la procréation assistée est un parcours du combattant, pour finalement se sentir obligés de le dire à l‘enfant par peur d‘un intempestif retour de la rumeur658. Sans émettre de jugement à l‘égard du souhait de discrétion des parents, désir qui est d‘ailleurs parfaitement compréhensible659, le fait que l‘information puisse se propager dans l‘entourage ne doit-il pas nous conduire à nous demander si cela ne constitue pas au fond une forme de politique de l‘autruche à l‘égard de l‘enfant? Car un enfant a « des antennes extraordinaires pour entendre le non-dit »660 et pour sentir que quelque chose le concernant lui est délibérément caché, même s‘il ne peut identifier exactement ce que c‘est661. Des "squelettes dans le placard" peuvent nuire à l‘enfant et à sa relation avec ses parents par la création de zones d‘inconfort lorsque des questions, provenant d‘une curiosité naturelle à propos de l‘histoire familiale, sont posées et restent sans réponses satisfaisantes662. Il n‘est pas étonnant que l‘anonymat protège le confort psychologique des couples. Cela n‘empêche par contre pas qu‘ils craignent que le non-dit devienne préjudiciable à l‘équilibre de leurs enfants663. Des auteurs spécifient sur ce point que « [l]es cures analytiques d‘enfants et d‘adultes montrent à quel point est mortifère le nondit qui touche la question des origines. Il porte atteinte en effet à la nature symbolique de 658 Ibid. Nous devons même le plus grand respect aux couples en mal d‘enfants. Comme l‘exprime si bien Dominique Mehl : « Personne ne peut savoir ce qui se niche au fond de l‘inconscient de ceux qui n‘ont jamais rien révélé à personne de leurs difficultés procréatives et dont les enfants ignorent tout des conditions de leur naissance. Vivent-ils sereinement une dissimulation qui leur permet d‘être au monde comme tous les parents? Ou étouffent-ils, comme Phoenix, sous le poids du mensonge? Le mystère demeure, à notre grand regret, puisque trois quarts des familles ayant procréé par don ont choisi de se taire, rendant leurs vécus et leurs sentiments hors d‘accès. » Ibid. à la p. 285. 660 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 264. 661 Cohen, supra note 487 à la p. 271; Golombok, supra note 488 à la p. 2344. 662 McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034; Golombok, supra note 488 aux pp. 2343-2344. 663 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 287-288. 659 204 la transmission de la vie, du don de la vie. »664 Favoriser le secret n‘est-ce pas justement donner trop d‘importance au recours à un tiers donneur et à la problématique de l‘anonymat au point d‘en amplifier inutilement les effets665? Comme nous le soulignons déjà au point précédent, dans l‘analyse contre la révélation du mode de conception, ces questions restent du domaine de l‘hypothèse et doivent faire l‘objet d‘études plus approfondies, mais ne serait-ce que de les énoncer doit, à notre avis, constituer un son de cloche quant aux dangers du manque de transparence. Qui plus est, cette réflexion n‘est applicable qu‘au contexte du couple hétérosexuel. Il faut se demander si la réalité du secret diffère lorsque les familles sont constituées de parents de même sexe ou en situation de monoparenté. Des contextes où l‘enfant peut aisément constater que sa famille ne correspond pas au modèle biologique où sont présents un père et une mère. En plus de ces observations, doit être considérée toute la question de la consanguinité. Dans la pratique, des règles sont souvent instaurées afin de limiter le nombre d‘enfants pouvant naître d‘un même donneur. La clinique québécoise OVO spécifie par exemple qu‘un même donneur de sperme ne peut donneur naissance qu‘à 10 enfants maximum666. Néanmoins quand on lit dans les journaux des titres du genre : « L'homme aux 120 enfants : Les donneurs de sperme engendrent sans le savoir des 664 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 264. Merci à Chantal Collard, Anthropologue à l‘Université Concordia, pour cette réflexion lors d‘une rencontre avec elle en janvier 2010. 666 Voir : OVO Fertilité, Nos services – Don de gamète, En ligne : <http://www.cliniqueovo.com/ovofertilite/index.asp?page=Don_de_gamete> (Date d‘accès : 5 avril 2010); Ces limites peuvent prendre deux formes : nombre maximal d‘enfants qui peuvent naître d‘un même donneur ou le nombre maximal de familles que ce dernier peut aider. L‘auteure spécifie toutefois que ces limites ne se fondent sur aucunes études empiriques et qu‘il n‘en existe que très peu. Neroli Sawyer, « Sperm donor limits that control for the ‗relative‘ risk associated with the use of open-identity donors », (2010) 25 :5 Human Reproduction 1089 à la p. 1090. 665 205 dizaines de rejetons »667, on ne peut que s‘inquiéter de la situation. Non seulement l‘américain dont il est question dans cet article est qualifié de « version humaine du prolifique taureau Starbuck », en faisant du même coup un super étalon humainement dépersonnalisé, mais à la lecture du texte on se rend compte que ses enfants se trouvent partout à travers le monde. Cette situation est exceptionnelle, mais réelle. Tout comme il en est de ce cas britannique de jumeaux séparés à la naissance pour une adoption qui ont fini par se retrouver et se marier sans avoir connaissance de leur situation fraternelle668. La peur d‘une rencontre incestueuse entre frère et sœur est aussi une réalité dont nous devons tenir compte669. Au Canada, la Loi sur la procréation assistée670 prévoit notamment que : « [s]ur demande écrite de deux personnes qui sont fondées à croire qu'au moins l'une d'elles est issue d'une technique de procréation assistée au moyen du matériel reproductif humain ou d'un embryon in vitro d'un donneur, l'Agence [canadienne de contrôle de la procréation assistée] les informe du fait qu'elle a ou non en sa possession des renseignements qui indiquent qu'elles sont génétiquement parentes et, le cas échéant, de la nature du lien de parenté. »671 L‘argument du grand nombre d‘enfants est parfois utilisé pour protéger le donneur et favoriser son anonymat672, mais le plus important n‘est-il pas d‘éviter les unions consanguines? Pour que cela soit possible, encore faut-il que l‘enfant sache qu‘il a été 667 Agence France-Presse, L'homme aux 120 enfants : Les donneurs de sperme engendrent sans le savoir des dizaines de rejetons, 20 avril 2009, En ligne : <http://www.ledevoir.com/societe/sante/246593/lhomme-aux-120-enfants> (Date d‘accès : 5 avril 2010). 668 BBC News – UK, Parted-at-birth twins 'married', 11 janvier 2008, En ligne: <http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/7182817.stm> (Date d’accès: 5 avril 2010). 669 Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 157; Séraphin, supra note 519 à la p. 87. 670 Supra note 22. 671 Ibid. art. 18 (4); Sur ce point, il est à déplorer que l‘article 18 ait été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24) car le droit québécois ne prévoit pas d‘équivalent. 672 Eric Blyth et al., « The implication of adoption for donor offspring following donor-assisted conception », (2001) 6 Child and Family Social Work 295 à la p. 299. 206 conçu grâce à un don et ce, indépendamment de la question de l‘identité du géniteur. Et même si les probabilités qu‘une telle rencontre se produise sont minimes673, la peur qu‘elles engendrent ne justifieraient-elles pas qu‘on force le sceau du secret? Le droit est là pour régler la vie en société. Au-delà de sa stricte fonction instituante, il s‘applique à des individus rationnels certes, mais qui ont aussi leur part d‘irrationalité qui prend la forme de craintes que le droit peut contribuer à atténuer. Quant aux enfants en question, leur réaction face à la vérité sur leur conception est variable. Dans l‘étude de Jean-Loup Clément, sont exprimés des sentiments allant de l‘adultère à la fierté674. Les quelques enquêtes qui s‘intéressent à leur réaction face à la vérité sur la conception montrent que les plus jeunes réagissent généralement avec curiosité et un désir d‘en savoir plus675. Des auteurs soulignent corrélativement qu‘il est possible de les informer d‘une manière sensible et à un âge approprié sans que cela nuise 673 En France, lors de la création des CÉCOS dans les années 70, le Professeur Georges David avait demandé l‘avis de généticiens des populations d‘évaluer ce risque. À l‘époque, on estimait déjà qu‘à moins de multiplier inconsciemment le nombre d‘enfants nés d‘un même donneur, le risque était inférieur à celui lié aux naissances naturelles résultant de relations non maritales. Pierre Jouannet, « Procréer grâce à un don de sperme : accueillir et transmettre sans gêne », (2009) 5 Esprit 102 à la p. 110. 674 J.-L. Clément, « L‘insémination artificielle avec donneur: les enfants donnent leur avis », (2010) 20 :1 Andrologie 45 à la p. 49 [Clément, « Insémination artificielle »]; Pour de plus amples détails, voir : JeanLoup Clément, Mon père, c’est mon père : l’histoire singulière des enfants conçus par insémination artificielle avec donneur, Paris, L‘Harmattan, 2006. 675 Freeman et al., supra note 288 aux pp. 505-506. Les auteurs renvoient à : R. Snowden, « The family and artificial reproduction », dans D.R. Bromham, M.E. Dalton et J.C. Jack, dir., Philosophical Ethics in Reproductive Medicine, Manchester, Manchester University Press, 1990; A. Rumball et V. Adair, « Telling the story: parents‘s scripts for donor offspring », (1999) 14:5 Human Reproduction 1392; F. Lindblad, F. Gottlied et O. Lalos, « To tell or not to tell: what parents think about telling their children that they were born following donor insemination », (2000) 21:4 Journal of Psychosomatic Obstetrics and Gynaecology 193; K. Vanfraussen, I. Ponjaert-Krisofferse et A. Bawaeys, « An attempt to reconstruct children‘s donor concept: a comparison between children‘s and lesbian parent‘s attitudes towards donor anonymity », (2001) 16:9 Human Reproduction 2019 [Vanfraussen, Ponjaert-Krisofferse et Bawaeys, « Comparison »]; K. Vanfraussen, I. Ponjaert-Krisofferse et A. Bawaeys, « Why do children want to know more about the donor? The experiences of youngsters raised in lesbian families », (2003) 24:1 Journal of Psychosomatic Obstetrics and Gynaecology 31; E. Lycett et al., « Offspring created as a result of donor insemination: a study of family relationships, child adjustment, and disclosure », (2004) 82:1 Fertility & Sterility 172; Lycett et al., « School-aged », supra note 636. 207 à l‘harmonie des relations familiales. Il appert par contre que plus cela est fait tard, plus peuvent en découler des conséquences négatives676. Jean-Loup Clément précise que : « [ l]a révélation du mode de conception induit obligatoirement un bouleversement des données objectives de l‘histoire personnelle de l‘enfant. Plus il a été informé tardivement, plus il est obligé de relire et de reconstituer son histoire personnelle. Les éléments précis de son mode de conception et la décision de ses parents d‘avoir utilisé ce procédé puis de l‘avoir gardé secret jusqu‘à cet âge-là ont une dimension que l‘enfant à des difficultés à concevoir. »677 D‘autres craignent néanmoins qu‘en bas âge, les enfants n‘aient pas la maturité et le discernement nécessaires pour comprendre. Un processus qui devra donc être repris à certains stades de développement de la personne678. Il est en définitive impossible d‘affirmer avec certitude que le fait de ne pas révéler le mode de conception à l‘enfant répond aux besoins de tous les enfants nés grâce à un don d‘engendrement. Cela dépend de la situation de chaque enfant. En témoignage devant une commission spéciale du Parlement français en décembre 2010, Christophe Masle, le président de l‘Association des Enfants du Don basée à Lyon en France, spécifie en ce sens que : « [q]uel qu‘ait été notre mode de conception, nous devons tous nous y adapter. On pense trop souvent, à tort, que les difficultés rencontrées par les personnes issues d'un don proviennent de leur mode de conception. Or, elles sont sensiblement les mêmes que celles des personnes conçues naturellement. Que nous connaissions ou non nos géniteurs, nous avons tous, à un moment donné, éprouvé des doutes quant à notre avenir, 676 Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 244; Sur comment aborder cette question avec l‘enfant, voir par exemple: K.R. Daniels et P. Thorn, « Sharing information with donor insemination offspring : A child-conception versus family building approach », (2001) 16 :9 Human Reproduction 1792. 677 Clément, « Insémination artificielle », supra note 674 à la p. 48. 678 Shenfield et Steele, supra note 638 à la p. 394. 208 rencontré des difficultés relationnelles avec nos parents, nos amis ou la personne qui partage notre vie, pensé que notre vie aurait pu être différente. La part d'inconnu qui nous est propre à nous, enfants issus de don, peut se révéler une richesse. Nous poussant à nous interroger sur nous-mêmes, elle peut nous amener à être au final davantage nous-mêmes – le questionnement n'est pas nécessairement synonyme de difficultés. Elle peut aussi être source de mystère, amenant à penser qu‘on ne parviendra à se construire pleinement qu'une fois connue l‘identité de son géniteur. »679 Il ressort de cet extrait que le questionnement sur le mode de conception n‘est pas unique aux enfants conçus grâce à un don d‘engendrement et qu‘il n‘est pas nécessairement source de difficultés. Toutefois, puisque nous référons à l‘intérêt in abstracto et que nous le positionnons dans le cadre de l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique, une certaine généralisation s‘impose. Aussi, s‘il n‘est pas garanti que tous les enfants souffriront des non-dits instaurés au sein de la famille, le simple fait que cela puisse constituer une possibilité nous force, du point de vue de l‘éthique relationnelle de la sollicitude, à prôner la transparence et la levée du secret concernant le mode de conception. D‘ailleurs, ce n‘est que dans le cadre d‘une analyse en faveur de la levée du secret que l‘enfant est véritablement réintégré dans le processus réflectif et que nous respecte l‘éthique de la sollicitude. Nous abondons donc dans le même sens qu‘Édith Deleury lorsqu‘elle affirme que « si l‘intérêt de l‘enfant ne commande pas toujours qu‘on lui révèle le secret de ses origines, il a aussi droit qu‘on ne l‘interdise pas »680. 679 Christophe Masle, président de l‘Association des Enfants du Don, Compte rendu – Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Mercredi 15 décembre 2010 – Séance de 14 heures, Compte rendu n° 03, Présidence de M. Alain Claeys, Assemblée nationale, France, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-csbioethique/10-11/c1011003.asp> (Date d‘accès : 30 décembre 2010). 680 Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 186. 209 Ce n‘est par contre pas la seule considération devant entrer en ligne de compte. Seule une vision d‘ensemble permet d‘en arriver à une réponse définitive en ce qui concerne la prérogative de réserve dont dispose les parents. C‘est alors que nous déterminons la portée de la transparence dont doivent faire preuve les parents et la nature normative de cette obligation. 4- ÉQUILIBRE ENTRE LES INTÉRÊTS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS La balance entre les intérêts individuels et collectifs nous convie à nous demander dans quelle mesure la société, en tant que bénéficiaire et pourvoyeur des services de procréation assistée avec tiers donneur, doit exiger des parents qu‘ils divulguent à l‘enfant son mode de conception. L‘éthique de la sollicitude s‘intéresse à l‘engagement des parents envers l‘enfant pour lequel ils se font du souci, mais également l‘engagement de la société envers ces mêmes parents et le respect de leurs intérêts. En permettant l‘accès aux services de procréation assistée, nous avons également pour responsabilité de respecter les intérêts de toutes les parties en présence. Les conclusions découlant des principes directeurs d‘égalité et de protection des personnes vulnérables tendent vers la création d‘une obligation morale de faire part à l‘enfant des circonstances de sa conception. Ceci étant, cette obligation ne doit pas pour autant être de nature législative. Nous soutenons la position en faveur de l‘autonomie des parents dans leur décision de dire ou non à l‘enfant qu‘il a été conçu grâce à un donneur. Si pareille obligation vient à se retrouver dans un texte de loi, nous craignons une trop grande ingérence de l‘État dans la sphère privée des individus en matière familiale. Nous 210 avons fait mention de la possibilité d‘indiquer le recours aux forces génétiques d‘un tiers à même le certificat de naissance de l‘enfant. Néanmoins, cela dilue l‘autonomie des parents en leur imposant une divulgation à l‘enfant sans qu‘ils aient leur mot à dire. Du point de vue de l‘éthique de la sollicitude, l‘équilibre entre la nécessité d‘être transparent à l‘égard de l‘enfant, relativement aux circonstances de sa naissance, et le respect de l‘autonomie des parents passe davantage par une responsabilisation de ces derniers concernant leur obligation morale envers leur enfant. L‘objectif est de les conscientiser à l‘importance de la transparence à l‘intérieur de la famille et des dangers du secret particulier qui concerne les questions d‘engendrement, notamment par la mise en place d‘un "counseling" offert par le milieu médical. En 2006, l‘Association médicale mondiale (AMM) recommandait en ce sens d‘encourager la famille à parler de la situation à l‘enfant, indépendamment du fait de savoir si la loi du pays autorise ou non que ce dernier soit informé sur le donneur. L‘argument de protection réapparaît lorsque l‘AMM ajoute qu‘il « est difficile de garder des secrets dans les familles et l'enfant peut pâtir d'informations sur l'origine de sa conception données maladroitement et sans soutien approprié »681. Dès lors, en entourant le privilège de réserve des parents (qui n‘est pas un droit au secret) d‘un "counseling" approprié, nous répondons aux objectifs de l‘éthique de la sollicitude où l‘on cherche à harmoniser autant que possible les besoins et les intérêts de tous. 681 Association Médicale Mondiale (AMM), Prise de Position de l'AMM sur les Technologies de Procréation Assistée, Adoptée par l'Assemblée générale de l'AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, octobre 2006 au par. 13, En ligne : <http://www.wma.net/fr/30publications/10policies/r3/index.html> (Date d‘accès : 11 mars 2010). Voir également la Recommandation 29. 211 D‘ailleurs, est-il bien réaliste de penser que la responsabilisation des parents passe par l‘imposition d‘une règle de droit obligeant le bris du silence? Comment s‘assurer de son respect? Comment sera-t-elle sanctionnée? Y aurait-il vraiment lieu d‘imposer une sanction en pareil cas? Cela ne nous semble pas un mécanisme approprié. Non seulement y aurait-il atteinte à l‘autonomie des parents, mais de simplement établir une norme directive dans la loi ne garantirait pas, à notre avis, une mise en œuvre réelle, par ces parents, d‘une transparence à l‘égard de leur enfant. Des chercheurs ont d‘autre part fait quelques constatations qui soutiennent notre position. Leur étude, se déroulant en Suède, visait à comprendre ce qui est dit lorsque des parents brisent le silence. Or, même s‘ils informent l‘enfant des circonstances de sa naissance, souvent ils ne lui précisent pas qu‘il a le droit d‘obtenir de l‘information sur l‘identité de son géniteur et ce, alors même que c‘est prévu dans la loi. Aussi, de l‘avis des auteurs, il devient évident qu‘il y a une grande différence entre les intentions de la loi et comment les parents agissent lorsque vient le temps discuter des circonstances de la conception. Afin de pallier à cette situation, il est suggéré de mettre en place un système d‘information et de support des parents ainsi que de susciter une débat éthique chez les professionnels afin qu‘ils prennent conscience de la situation682. Cela démontre en définitive qu‘une obligation positive dans la loi n‘est pas toujours nécessairement la meilleure solution. Elle n‘est certes pas adaptée à la question du secret sur le recours au don d‘engendrement car si les parents informent l‘enfant de l‘utilisation d‘un tiers donneur, l‘information transmise peut demeurer incomplète quand la loi permet la transmission d‘informations nominatives. 682 A. Lalos, C. Gottlied et O. Lalos, « Legislated right for donor-insmination children to know their genetic origin: a study of parental thinking », (2007) 22:6 Human Reproduction 1759 aux pp. 1766-1767. 212 Afin d‘assurer pleinement la mise en place de ce "counseling", la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie recommande qu‘il ne relève plus de l‘autorégulation et qu‘il soit offert de façon systématique. De leur avis, ce "counseling" devrait s‘adresser tant aux donneurs de gamètes qu‘aux personnes qui feront appel à un don de gamètes ou d‘embryons afin de les sensibiliser à l‘importance pour l‘enfant de connaître ses origines et aux répercussions de la levée de l‘anonymat 683. C‘est à la base une bonne recommandation qui permettrait une uniformité dans la pratique du milieu médical ainsi qu‘une reconnaissance déontologique. Elle demeure néanmoins trop vague car qu‘est-ce qui ne doit plus relever de l‘autoréglementation exactement? Le fait de d‘exiger la mise en place d‘un cadre formel et législatif de "counseling" ne serait-il pas trop strict? Il s‘agit effectivement d‘un domaine où des modifications peuvent être requises et une loi n‘est alors pas une bonne formule. Est-ce simplement l‘exigence d‘un "counseling" qui doit être consacrée par le législateur, auquel cas nous sommes pour, ou également son cadre procédural? Dans le dernier cas, la loi peut prévoir quelles informations importantes doivent être données aux futurs parents et même aux éventuels donneurs, mais cela ne peut aller plus loin. La façon de faire doit demeurer du domaine de l‘autoréglementation du milieu médical qui est certainement le mieux placer pour en décider. L‘équilibre auquel nous en venons ci-haut concerne le lien parents – enfant. Néanmoins, la question du secret ne constitue qu‘une des facettes de la problématique de l‘anonymat. L‘autonomie de l‘enfant, par son choix d‘en savoir plus sur le donneur, et la 683 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 50. 213 place accordée à son meilleur intérêt reviennent en force dans sa relation avec le donneur où nous concluons à la nécessité de lever l‘anonymat. En section 2, nous expliquons pourquoi nous en arrivons à cette conclusion qui se distingue clairement de cette retenue en matière de secret quant au mode de conception. D‘ailleurs, rien n‘oblige à ce que notre réflexion appliquant l‘éthique de la sollicitude mène à des conclusions de même nature dans les deux cas. Les relations interpersonnelles et d‘interdépendance analysées sont différentes et les enjeux étudiés, à savoir le secret et l‘accès à l‘identité du donneur, s‘ils sont liés, ne sont pas les mêmes. SECTION 2 : ANALYSE DE LA RELATION DONNEUR CONCERNANT L’ANONYMAT – ENFANT La connaissance des origines est un enjeu de taille dont il peut être laborieux de saisir l‘importance. Pour la majorité des gens, nous qui connaissons nos parents, cela est quelque chose d‘acquis. Ce n‘est pas le cas de tous684. La loi doit-elle pour autant exiger que les informations nominatives et identifiantes concernant le donneur soient transmises à l‘enfant né grâce à un don de gamètes ou d‘embryons? La France croit tellement en la légitimité de l‘anonymat que des auteurs l‘ont qualifié de principe éthique. Notamment car le législateur a transformé en norme de droit une pratique clinique qui étaient en vigueur de longue date. Ailleurs, l‘anonymat n‘est pas un dogme, mais une notion discutée et évolutive685. Une multitude d‘arguments sont invoqués afin de soutenir une réponse que l‘on veut de plus en plus positive au sein de la population. Michelle Giroux précise par exemple que le droit aux origines s‘exprime à travers l‘exigence du respect de 684 685 Besson, supra note 50 à la p. 138. Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 250 et 253. 214 l‘identité (comme composante du droit à la vie privée et du droit au respect de la vie familiale) ou encore, sous l‘angle de l‘intérêt de l‘enfant. Les concepts de dignité, de liberté, d‘intégrité et d‘égalité sont également invoqués686. Nous concluons en section 1 à la légitimité de l‘autorité parentale dans la décision d‘informer ou non l‘enfant des circonstances de sa conception. L‘anonymat requiert quant à lui un tout autre examen. Notre réflexion sous l‘angle de la sollicitude nous porte d‘ailleurs à croire qu‘il doit être aboli. Afin d‘appuyer notre propos, nous appliquons la même grille d‘analyse basée sur les principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude pertinents à la problématique. Aussi, nous en venons à distinguer la nature de l‘autonomie du donneur et de l‘enfant puis nous disséquons les différentes facettes de l‘égalité entre ces acteurs. C‘est notamment à ce niveau que nous retrouvons le parallèle souvent fait entre l‘adoption et la procréation assistée. En troisième point, certainement aussi complexe que dans notre analyse du secret où nous en retrouvons les fondements théoriques, notre attention est portée sur l‘analyse de l‘intérêt de l‘enfant. Cela nous amène notamment à faire des distinctions importantes entre identité, parenté et filiation tels qu‘ils existent en droit et dans l‘univers social externe à la normativité juridique. Quant à son application à l‘anonymat en tant que tel, selon l‘angle relationnel, nous constatons, à nouveau, que seule une conclusion réintégrant le discours des enfants du don est valable. Le plus souvent, les arguments en faveur de l‘anonymat proviennent effectivement de points de vue extérieurs à l‘enfant. Notre examen se conclut par la quête d‘un équilibre entre les intérêts individuels et collectifs de l‘enfant et du donneur et où 686 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 373-374. 215 nous constatons l‘impact de l‘éthique de la sollicitude sur les exigences légales qui doivent être rattachées à l‘adoption du système de dons non anonymes. 1- AUTONOMIE DE L’INDIVIDU Il s‘agit d‘analyser la teneur de l‘autonomie du donneur et de l‘enfant né grâce à cet apport de forces génétiques. L‘autonomie des parents n‘entre alors pas en ligne de compte. En introduction de thèse, nous limitons notre réflexion aux dons faits en milieu médical. Nous avons par contre spécifié que l‘anonymat dépend du régime juridique applicable s‘il en existe un. Autrement, nous devons en référer à la politique interne de la clinique qui peut ou non favoriser la transmission d‘informations nominatives et identifiantes sur le géniteur. Si le milieu médical pratique le don dépersonnalisé, il arrive donc que le couple ait connaissance de l‘identité du donneur. En pareilles circonstances, le privilège de réserve dont bénéficient les parents ne peut s‘étendre à la rétention de l‘identité du donneur ou ce qui y est lié. Nous exposons effectivement dans la présente section pourquoi l‘éthique de la sollicitude requiert une levée de l‘anonymat. Notre conclusion de chapitre établit par ailleurs que dès que les parents ont brisé le sceau du secret, l‘enfant doit pouvoir obtenir les renseignements dont il a besoin. Il en va du respect de son autonomie. Ainsi, peu importe que cela découle de la loi ou d‘une politique interne du milieu médical, dans la mesure où la pratique clinique doit être celle du don non anonyme, si les parents ont informé l‘enfant de son mode de conception, rien ne doit s‘opposer à l‘accès de ce dernier à ses origines. La clinique de fertilité a corrélativement la responsabilité d‘avoir un système permettant pareil accès et les parents ne peuvent s‘y opposer. Leur autonomie n‘est donc en jeu lorsqu‘il s‘agit du droit aux origines. Qui plus 216 est, lorsque nous introduisons l‘éthique de la sollicitude au chapitre 1 et que nous justifions l‘approche relationnelle, nous soulignons déjà qu‘il existe un lien particulier entre le donneur et les parents, mais que celui-ci n‘a pas d‘influence immédiate sur la reconnaissance potentielle d‘un droit fondamental aux origines. Cela apparaît également lorsqu‘un couple se présente avec son propre donneur. Dans ce cas, si la pratique est autorisée, le don est dit "dirigé". Il est certain que dans cette hypothèse le couple connaît l‘identité du donneur. Quant à l‘enfant, il demeure soumis au régime juridique applicable s‘il en est un. Néanmoins, si la règle d‘or est celle de l‘anonymat ou que le donneur refuse que son identité soit communiquée (il peut parfois avoir le choix), mais que les parents savent qui est le géniteur, l‘enfant dépend alors de l‘ouverture de ceux qui l‘ont mis au monde. Ce cas de figure est quelque peu différent du premier. Nonobstant, s‘il n‘y a pas d‘anonymat en vigueur, ce qui doit être le cas en vertu de l‘éthique de la sollicitude, nous appliquons le même raisonnement qu‘au paragraphe précédent. Peu importe que le donneur soit une relation personnelle des parents. Tant que les procédures ont lieu en milieu médical, les arguments sont les mêmes. Toutefois, force est de constater qu‘il arrive que l‘anonymat soit favorisé par les autorités législatives ou médicales en place. Rien n‘empêche que le géniteur, qui est une connaissance des parents, accepte malgré tout de dire qui il est à l‘enfant. Dans le cas contraire, nous remarquons encore une fois que l‘autonomie des parents n‘entre pas en ligne de compte et qu‘elle se distingue de celle appliquée à la question du secret. Les parents doivent se soumettre à l‘autonomie du donneur dans la mesure où ce dernier est la personne directement concernée par les renseignements recherchés. Est autre chose l‘atteinte à l‘autonomie de 217 l‘enfant et à laquelle devrait être subordonnée celle du donneur. C‘est d‘ailleurs ce que nous démontrons dans la présente section sous l‘angle de la sollicitude. Il est difficile de trancher en faveur ou contre l‘anonymat dans cette seule et unique sous-partie de l‘analyse du lien donneur – enfant. D‘ailleurs, comme nous le constatons en section 1, les principes directeurs découlant de l‘éthique de la sollicitude s‘entrecroisent et sont même interdépendants. Le point 1 sur l‘autonomie de l‘individu jette plutôt les bases du lien en cause dans la question du droit aux origines en positionnant l‘enfant et le géniteur par rapport au don ainsi que l‘un au regard de l‘autre. Ces acteurs ne sont pas considérés selon une base individuelle, mais comme étant les membres d‘un groupe ayant des points communs lorsqu‘il y a un don. Certes, le ressenti des conséquences de l‘anonymat est vécu à des niveaux variables au sein du groupe, mais nous faisons autant de distinctions que possible dans notre réflexion du lien donneur – enfant. Globalement, en ce qui concerne la question de l‘autonomie, nous constatons alors que le donneur est le seul à pouvoir exercer un quelconque consentement en amont de la procédure. Celui de l‘enfant n‘apparaît qu‘en aval dans le choix d‘accéder ou non à des informations nominatives et c‘est notamment pour cette raison qu‘une législation ou une pratique clinique conforme à l‘éthique de la sollicitude implique la fin de l‘anonymat. 1.1 Autonomie du donneur : un consentement en amont La nature de l‘autonomie du donneur de gamètes ou d‘embryons lorsqu‘il participe à des programmes de procréation assistée dans une clinique de fertilité est ombrageuse. Il semblerait tout d‘abord douteux qu‘il puisse prétendre à un quelconque 218 droit de propriété sur ces éléments biologiques. L‘objectif n‘est pas de trancher l‘épineuse question de la qualification juridique des gamètes et des embryons, débat qui est souvent fait au nom de l‘inviolabilité de la personne humaine et de son indisponibilité, mais en raison de leur potentiel reproducteur et porteur de vie, nous n‘admettons pas qu‘ils soient considérés comme de simples choses faisant en sorte que le donneur puisse exiger un contrôle total sur leur devenir. Cela est en complète contradiction avec le principe de la sollicitude exigeant le respect de la vie et de la dignité humaine687. Ce principe n‘est pas dans les quatre que nous avons retenus pour analyser les relations parents – enfant et donneur – enfant, mais il fait malgré tout partie de l‘approche théorique que nous avons arrêtée. Nous ne pouvons totalement l‘écarter au seul motif qu‘il ne fait pas l‘objet d‘une application étendue dans le cadre de la problématique de l‘anonymat. Plus largement, en raison des personnes qui en sont issues, nous ne croyons pas que les gamètes et les embryons soient assimilables aux autres éléments biologiques du corps humain comme le sang ou les organes688. Ils s‘en détachent par leur caractère spécifiquement procréatif. Il nous apparaît finalement qu‘une fois que le don est fait, il n‘appartient plus au donneur, selon les limites de son consentement préalable, de décider de la direction des gamètes ou des embryons. Son geste constitue en quelque sorte un abandon dont les fondements sont renforcés par le caractère altruiste de l‘acte. Au nom de cette autonomie, le donneur peut-il malgré tout exiger l‘anonymat? Certains pensent que oui689. De fait, ce n‘est pas tant la direction des gamètes et des 687 Voir: Beaulne, supra note 92 à la p. 242. Cette position est notamment observée en France. Irène Théry, « L‘anonymat des dons d‘engendrement est-il vraiment «éthique»? », (2009) 5 Esprit 133 à la p. 140 [Théry, « Éthique »]. 689 Robertson, supra note 469 à la p. 1018. 688 219 embryons dont il est question, mais d‘éléments parallèles, c‘est-à-dire des renseignements nominatifs et identifiants les concernant. Ils relèvent de la vie privée690 et de l‘autodétermination du géniteur. Il lui appartiendrait de décider dans quelles circonstances il sera ou non connu de l‘enfant691. Les arguments à ce niveau sont nombreux, mais parmi les plus importants notons qu‘il peut ne pas être prêt à entrer en contact avec l‘enfant et ce, même si aucune relation n‘est créée entre eux à long terme. Cela peut également causer des problèmes avec sa famille qui ne sait pas qu‘il a fait un ou des dons692. À ce jour, il n‘y a pas de jurisprudence canadienne statuant directement sur le droit à la vie privée des donneurs de matériel reproductif. La Cour suprême du Canada a quant à elle reconnu que l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés693 comprend à la fois le droit à la liberté physique et le droit de prendre des décisions personnelles sans intervention de l‘État694. « Ce droit à la vie privée en ce qui concerne les décisions personnelles ne fait [par contre] pas l‘objet d‘une définition large, et il se limite aux décisions qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux 690 Sauer, supra note 349 à la p. 943; Guido Pennings, « The right to privacy and access to information about one‘s genetic origins », (2001) 20 Med Law 1 à la p. 11 [Pennings, « Right to privacy »]. 691 Naomi Cahn, « Children‘s Interests and Information Disclosure: Who Provided the Egg and Sperm? Or Mommy, Where (and Whom) Do I Come From? », (2000-2001) 2 Geo. J. Gender & L. 1 à la p. 21; Collen J. Goode et Sandra J. Hahn, « Oocyte Donation and In Vitro Fertilization: The Nurse‘s Role With Ethical and Legal Issues », (1993) 22:2 Journal of Obstetric, Gynecologic, & Neonatal Nursing 106 à la p. 108. 692 Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 141; Mary Lyndon Shaley, « Collaboration and Commodification in Assisted Procreation: Reflections on an Open Market and Anonymous Donation in Human Sperm and Eggs », (2002) 36:2 Law & Soc‘y Rev. 257 à la p. 266. 693 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 694 R. c. Morgentaler, supra note 506; Godbout c. Longueuil (Ville de), supra note 506; L‘article 7 de la Charte trouve, au Québec, son équivalent dans l‘article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77. Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc., [1998] 1 R.C.S. 591, 1998 CanLII 817 (C.S.C.), <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1998/1998canlii817/1998canlii817.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010). 220 participant de l‘essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l‘indépendance individuelles »695 Or, si nous nous référons à l‘arrêt R. c. Mills696 : « [l]e droit de ne pas être importuné par l‘état comporte la capacité de contrôler la diffusion de renseignements confidentiels. […] Ces préoccupations en matière de vie privée sont à leur plus fort lorsque des aspects de l’identité d’une personne sont en jeu, comme dans le cas des renseignements «relatifs au mode de vie d’une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses »697. La décision du donneur de refuser de divulguer son identité peut clairement en être une qui participe à la jouissance de l‘indépendance individuelle. Dans cette lignée, l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés698 fut appliqué par la Cour supérieure de justice de l‘Ontario, en 2007, à l‘encontre d‘une loi qui ouvrait rétroactivement les dossiers confidentiels d‘adoption afin de permettre l‘accès aux informations identifiantes sans le consentement des personnes visées699. En plus de reconnaître le droit à la vie privée des parents biologiques en matière d‘adoption, la Cour a clairement affirmé que le droit aux origines n‘est pas : 695 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-28; Texte citant : Godbout c. Longueuil (Ville de), supra note 506; Sur l‘interprétation du droit à la vie privée dans la jurisprudence québécoise, voir : The Gazette (Division Southam inc.) c. Valiquette, [1997] R.J.Q. 30, 1996 CanLII 6064 (QC C.A.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/1996/1996canlii6064/1996canlii6064.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010) : Ce droit inclut « le droit à l‘anonymat et à l‘intimité, le droit à l‘autonomie dans l‘aménagement de sa vie personnelle et familiale ou encore le droit au secret et à la confidentialité. ». 696 [1999] 3 R.C.S. 688, 1999 CanLII 637 (C.S.C.), En ligne: <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii637/1999canlii637.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010). 697 Ibid. 698 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 699 Cheskes v. Ontario (Attorney General), 2007 CanLII 38387 (ON S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2007/2007canlii38387/2007canlii38387.html> (Date d‘accès : 13 juin 2010); Dans sa version actuelle, le Règlement de l’Ontario sur la divulgation de renseignements sur l’adoption (Règl. de l‘Ont. 112/09) ne prévoit que la divulgation d‘informations non identificatoires sauf consentement de la personne concernée. 221 « a constitutionally protected right under Canadian law. Claims by adoptees seeking unqualified access to adoption records have been repeatedly refused by Canadian courts and quasi-judicial bodies such the Information and Privacy Commissioners. The right to access information has always been subordinated to the right to maintain personal privacy.»700 Dans l‘affaire Pratten, en référant à cette jurisprudence, la juge Adair en vient à la même conclusion. Néanmoins, son analyse vise plutôt à déterminer s‘il y a eu atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité d‘Olivia Pratten qui sont aussi codifiés à l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés701,702. Elle souligne plus spécifiquement que « [t]he potential implications of a free-standing constitutional right to know one‘s biological origins are uncertain and may be enormous. In my view, they go far beyond anything that might be required to address Ms. Pratten‘s complaints in this case. »703 L‘innovation du jugement Pratten se trouve principalement dans la reconnaissance d‘une inégalité, sous l‘égide de l‘article 15 (1), entre les enfants adoptés et ceux nés d‘une procréation assistée par donneur anonyme lorsque les premiers disposent d‘un régime d‘accès à l‘identité de leur parent biologique à certaines conditions. La question du droit à la vie privée des donneurs n‘est donc pas directement abordée dans le jugement. Pourtant, nous ne pouvons pas conclure que la Cour suprême de Colombie-Britannique le rejette puisqu‘elle s‘abstient de conclure que le droit aux origines jouit d‘une reconnaissance et d‘une protection constitutionnelle dans les circonstances de l‘espèce. 700 Ibid. au para. 116; Voir également : Infant Number 10968 v. Ontario, 2006 CanLII 19946 (ON SC), En ligne : <http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2006/2006canlii19946/2006canlii19946.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011); Infant Number 10968 v. Her Majesty the Queen in right of Ontario, 2007 ONCA 787 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/en/on/onca/doc/2007/2007onca787/2007onca787.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011). 701 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 702 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 316. 703 Ibid. au para. 290. 222 Pour le moment, concernant le droit à la vie privée des donneurs de forces génétiques, un statut quo semble demeurer. Néanmoins, il y a tout lieu de penser que la question n‘en restera pas là et il faut se demander quel parallèle pourra véritablement être opéré entre les affaires ontarienne et de la Colombie-Britannique. Quel sera l‘impact de cette reconnaissance du droit à l‘égalité des enfants nés d‘une procréation assistée en matière d‘anonymat sur l‘existence du droit fondamental aux origines ou la primauté du droit à la vie privée des donneurs? Quelle influence ce jugement, très axé sur l‘intérêt de l‘enfant, aura-t-il sur la jurisprudence portant sur le droit à la vie privée des parents en matière d‘adoption? Et vice et versa. Si une porte a été ouverte dans l‘affaire Pratten, il existe malgré tout entre ces affaires des différences d‘analyse et de contexte. La peur d‘une chute significative du nombre de donneurs favorise également le maintien d‘un système de dons anonymes. Cela part entre autres de l‘hypothèse que les donneurs seront découragés s‘ils savent qu‘un jour un enfant puisse les contacter704. Il faut néanmoins regarder les études suggérant semblable conclusion avec précaution. Guido Pennings soulignait, en 2001, que des recherches indiquaient que le nombre de donneurs diminuerait de 80% dans la plupart des pays occidentaux lorsqu‘ils aboliront l‘anonymat. La plupart de ces enquêtes ont par contre été conduites dans le pool actuel de donneurs, ceux-ci ayant été recrutés dans le contexte de l‘anonymat. De nouveaux donneurs n‘auraient peut-être pas la même attitude. Il est également possible que d‘autres groupes de donneurs, avec différentes caractéristiques et d‘autres motifs, seront attirés par 704 Cohen, supra note 487 à la p. 271. 223 un système de don incluant leur identification705. Par exemple, sur la question spécifique des dons de sperme, une telle baisse a initialement été remarquée en Suède, mais le nombre de donneurs a remonté. Le phénomène le plus intéressant est une modification de leur profil. Ceux étant plus jeunes se font à présent moins nombreux et ceux étant mariés et ayant plus de 30 ans ont augmentés706. Un fait semblable a actuellement lieu au Royaume-Uni707. Afin d‘en arriver à un pareil résultat, il faut changer les stratégies de recrutement des donneurs et, de l‘avis de certains, cela ne représente pas un obstacle insurmontable708. Nous n‘entrons pas dans les détails techniques du recrutement709, mais nous tenons à souligner que si le nombre d‘enfants pouvant naître d‘un même donneur est limité et qu‘une protection législative ne faisant pas de ce dernier un parent légal est instaurée, c‘est donc un argument qui peut être contré710. Enfin, s‘il est régulièrement avancé que la levée de l‘anonymat pourrait diminuer le nombre de donneurs, cette mesure aurait en fait pour conséquence de diminuer la demande des couples receveurs711. 705 Guido Pennings, « The Reduction of Sperm Donor Candidates Due to the Abolition of the Anonymity Rule: Analysis of an Argument », (2001) 18:11 Journal of Assisted reproduction and Genetics 617 aux pp. 617-618; Guido Pennings, « Commentary on Craft and Thornhill: new ethical strategies to recruit gamete donors », (2005) 10: 3 Reproductive Biomedicine Online 307 à la p. 307 [Pennings, « Commentary »]. 706 Johnston, supra note 47 à la p. 51; Hampton, supra note 56 à la p. 2681; Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 246; Cohen, supra note 487 à la p. 271. 707 Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Press release: Number of sperm donors up following anonymity law changes, Londres, 3 mai 2007, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/465.html> (Date d‘accès: 6 avril 2010) [HFEA, « Number of sperm donors »]; Micheal Day, « Number of sperm donors rises in UK despite removal of anonymity », (2007) 334:971 British Medical Journal 334; Concernant les dons d‘ovules, voir par contre: Sandra Brett et al., « Can we improve recruitment of oocyte donors with loss of donor anonymity? A hospital-based survey », (2008) 11:2 Human Fertility 101; Ilke Turkmendag, Robert Dingwall et Thérèse Murphy, « The removal of donor anonymity in the UK: The silencing of claims by would be parents », (2008) 22 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 283 à la p. 297. 708 Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 246. 709 Un angle intéressant à analyser est celui du rapport compensation / anonymat. Voir par exemple: Ian Craft et Alan Thornhill, « Would ‗all-inclusive‘ compensation attract more gamete donors to balance their loss of anonymity », (2005) 10 :3 Reproductive Biomedicine Online 301; Pennings, « Commentary », supra note 705; Ken Daniels, « Recruiting gamete donors: response to Craft and Thornhill », (2005) 10:4 Reproductive Biomedine Online 430. 710 Johnston, supra note 47 à la p. 51. 711 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 33. 224 Il existe une autre réalité que nous ne pouvons pas ignorer. Des auteures notaient en 2002 que, suite aux tests nécessaires en vue de s‘assurer de la qualité du sperme selon les lignes directrices de Santé Canada712, seulement 3 ou 4% des tous les dons étaient acceptés en fonction de critères basés sur l‘âge, l‘histoire médicale ou la qualité713. L‘étude de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec spécifie quant à elle que ce sont 10% des donneurs de sperme qui sont retenus714. Compte tenu du faible taux de dons de sperme conservés dans les banques canadiennes, une diminution si minime soit-elle pourrait être remarquée. Qui plus est, il était estimé en 2002 que plus de 80% du sperme utilisé dans les cliniques de fertilité ontariennes provenaient de donneurs américains715. Cela soulève la question du respect d‘un droit aux origines dans le cas où les gamètes proviennent de donneurs ou de banques étrangères. Il n‘est pas certain que ces banques tiennent les dossiers requis. Et qu‘en est-il lorsque le gamète est acheté sur Internet? Pareille pratique semble douteuse, mais ce n‘est pas impossible. Encore là, un cadre normatif est requis. L‘autonomie du donneur se situe avant toute chose dans sa décision de procéder ou non à un don d‘engendrement716. Il demeure ainsi libre de choisir son mode de vie, surtout en ce qui a trait à son corps et à ses choix fondamentaux portant sur sa santé, sa famille et sa sexualité. Cette autonomie est pleinement respectée si le donneur est bien informé des conséquences de son acte et même renforcée par l‘adoption de garanties 712 Voir également le Règlement sur le traitement et la distribution du sperme destiné à la reproduction, (1996) 130 Gaz. Can. II, 1712 (no 11, 1996-05-07). 713 Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60. 714 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 31. 715 Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60. 716 Shields, supra note 47 à la p. 42. 225 législatives717. Dans ces conditions, nous avons des doutes à propos d‘une réelle violation de l‘autonomie du donneur par la simple existence d‘un système de dons ouverts. Quant à la qualifier de reproductive à 100%, encore là nous sommes sceptiques. La décision de procéder à un don concerne certes des éléments reproducteurs du corps humain, mais en aucun cas le donneur a l‘intention de se reproduire. Il procréé, mais ne s‘investit pas dans une relation de parenté, c‘est-à-dire de filiation. Il serait finalement difficile de prétendre à un droit à l‘anonymat per se. Dans un système fermé, il ne peut exister qu‘à partir du moment où l‘individu accepte d‘y participer718. C‘est un raisonnement qui apparaît applicable aux dons de sperme plutôt qu‘aux dons d‘ovules et d‘embryons qui demeurent peu fréquents. Le nombre d‘enfants nés d‘un don de sperme ces dix dernières années au Québec est estimé à 1600 719. Lors de son enquête pour l‘avis qu‘elle a rendu à l‘automne 2009, la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec remarquait d‘un autre côté que : « [s]ur les 22 cliniques privées et centres hospitaliers qui offrent des services de PA au Québec, cinq proposent un programme de don d‘ovules. Trois d‘entre elles tentent de recruter des donneuses anonymes mais, comme des volontaires se présentent rarement, elles proposent aussi à leurs clients de trouver eux-mêmes une donneuse, que ce soit dans leur entourage, au moyen de petites annonces ou même grâce à Internet. »720 Afin de préserver l‘anonymat, deux cliniques offrent un programme de dons croisés en vertu duquel une receveuse se présente avec une donneuse qu‘elle a elle-même recrutée et 717 Par exemple: Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2. Shields, supra note 47 à la p. 42. 719 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 32. 720 Ibid. à la p. 34. 718 226 un jumelage est par la suite opéré avec une autre "paire"721. Il demeure, qu‘au Québec, la grande majorité des donneuses d‘ovules sont recrutées par les demandeurs. À titre illustratif, en 2007, uniquement cinq donneuses se sont présentées d‘elles-mêmes722. Quant aux d‘embryons, il demeure rare au Canada puisqu‘il n‘existe qu‘un seul programme offrant ce service et celui-ci n‘existe pas encore au Québec. D‘ailleurs, peu de canadiens sont enclins à donner leurs embryons. L‘ouverture à un tel don se manifesterait davantage une fois le projet d‘enfant réalisé723. Non spécifiquement au Québec, il serait même plus facile de donner des embryons quand ils ont initialement été produits avec la participation d‘un tiers. « Comme si un embryon porteur d‘une partie seulement du capital génétique du couple était moins investi qu‘un embryon constitué à partir de leur double hérédité. »724 1.2 Autonomie de l’enfant : un consentement en aval Analyser l‘autonomie d‘un enfant à naître apparaît de prime abord comme une contradiction puisqu‘il s‘agit d‘un concept qu‘aucun sujet humain déjà vivant n‘incarne. Le respect de l‘autonomie de l‘enfant, implique globalement de ne lui infliger aucun dommage, de préserver ses capacités ultérieures d‘agir et de ne rien faire qui puisse contraindre son développement futur. Rien dans l‘avenir de cet enfant ne peut pourtant, en principe, être déterminé par des décisions antérieures à sa naissance. S‘il peut sembler 721 Ibid. à la p. 35. Ibid. 723 Ibid. aux pp. 38-39. 724 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 73. 722 227 paradoxal de parler de l‘autonomie d‘un enfant à naître, de l‘avis de certains auteurs, il peut l‘être plus encore de limiter en son nom celle du parent. Aussi étrange cela soit-il, il ne faudrait pas oublier que l‘autonomie et la liberté des enfants sont secondes dans l‘ordre chronologique. Affirmer l‘autonomie de l‘enfant implique que les parents aient décidé d‘en avoir un725. Ce raisonnement n‘est par contre pas un motif suffisant pour faire primer entièrement l‘autonomie du parent ou de toute autre personne impliquée dans la procréation assistée car l‘autonomie de l‘enfant, malgré son paradoxe ontologique, existe bel et bien tout au long du processus dans lequel nous la posons. Nous n‘analysons pas la question de l‘anonymat des donneurs selon une perspective individuelle à des personnes incarnées, mais en référant au groupe des personnes concernées, conformément à l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique. Nous pouvons présumer de leur existence et de leur autonomie même si les individus ne sont pas nommément identifiés à un moment précis à un endroit donné et que nous ne pouvons pas prendre pour acquis les conséquences de l‘anonymat sur chacun. Une réflexion analogue est applicable à la question du meilleur intérêt de l‘enfant. Il n‘est donc pas pertinent de se soucier de la chronologie dans laquelle se manifeste l‘autonomie de l‘enfant et du donneur, mais plutôt de se préoccuper de leur équilibre dans le contexte de l‘anonymat. En conséquence, en ce qui concerne l‘enfant issu d‘un don, certains estiment qu‘en vertu de son autonomie il devrait lui revenir de choisir quelles informations sur son 725 Monique Canto-Sperber et René Frydman, Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites?, Librairie Générale Française, 2009 aux pp. 51-52. 228 donneur sont importantes pour son développement et son identité726, si besoin est. C‘est là une des principales revendications d‘Olivia Pratten dans le cadre de son recours collectif en Colombie-Britannique727. Cela relève de sa vie privée728 car il s‘agit d‘un concept qui ne concerne pas que la restriction de circulation de l‘information entre les individus, mais aussi la sélection d‘informations données à une personne. Si un individu a le droit de cacher certains éléments le concernant pour le maintien d‘une certaine image de soi, il a aussi le droit d‘obtenir ceux qui lui permettront (du moins, ceux qu‘il considère importants à cet effet) de se faire une représentation de son histoire lorsqu‘un problème identitaire se fait ressentir. L‘identité est notamment construite en interaction avec les autres qui détiennent certains renseignements729. Aussi, si un sentiment prenant la forme d‘un manque identitaire apparaît, il peut être frustrant de savoir que quelqu‘un ou une institution en sait plus que vous-même sur votre intimité730. Lorsqu‘un lien familial se décuple, il devient de plus en plus subjectif. Sa reconnaissance relève d‘un choix personnel et individuel. « De même que la représentation du gamète s‘avère purement subjectif, de même l‘attente vis-à-vis des divers acteurs de l‘enfantement résulte d‘une histoire et d‘un choix intime. Mais, pour que 726 Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 139; Cohen, supra note 487 à la p. 271; Shanner, supra note 488 aux pp. 52-53. 727 Voir : Olivia Pratten v. Attorney General of British Colombia and College of Physicians and Surgeons of British Colombia, Writ of Sommons, Supreme Court of British Colombia, Vancouver registry : S087449, October 24, 2008, En ligne : <http://www.arvayfinlay.com/news/Writ%20of%20Summons%20and%20Statement%20of%20Claim.pdf> (Date d‘accès : 10 décembre 2010). 728 Cahn, supra note 691 à la p. 21. 729 Pennings, « Right to privacy », supra note 690 aux pp. 5-6. 730 Geneviève Delaisi de Parseval, « Accès aux origines ou anonymat? », dans René Frydman et Muriel Flis-Trèves, dir., Origines de la vie…Vertiges des origines, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, 7 à la p. 8 [Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat »]; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 273; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 162. 229 l‘élection soit possible, encore faut-il qu‘une partie du tableau ne soit pas interdite. »731 Selon une jolie formulation, Dominique Mehl spécifie donc qu‘il appartient à l‘enfant de décider d‘insérer ou non son géniteur dans son "kaléidoscope familial" et, pour ce faire, nous devons lui en donner les moyens732. Dire que la levée de l‘anonymat a des effets négatifs en encourageant la rencontre avec le donneur, au risque de conséquences négatives avec la famille733, est un argument fallacieux car l‘objectif de l‘ouverture est au contraire de mettre l‘information à la disposition de l‘enfant qui pourra choisir ou non de rencontrer son géniteur dans l‘hypothèse où il en ressent le besoin. Le secret entourant le geste même du don et son utilisation par les parents demeure peut-être une affaire personnelle, privée, en tant que choix parental qui s‘inscrit dans un espace de liberté. L‘anonymat est par contre aux antipodes et s‘en distingue en ce qu‘il constitue également un secret, mais détenu par une institution et protégé par la loi734. L‘autonomie de l‘enfant est alors violée en l‘empêchant de décider s‘il désire ou non en savoir plus. Il lui est impossible d‘exprimer le seul consentement dont il doit disposer dans le cadre de la procédure. Ayant mis en évidence les éléments constitutifs de l‘autonomie du donneur et de l‘enfant, nous nous devons de les mettre en relation tel que l‘exige une approche de sollicitude où les individus sont identifiés comme interdépendants. Notre première constatation concerne les limites du principe d‘égalité. 731 Dominique Mehl, « Un lien subjectif », dans Frydman et Flis-Trèves, supra note 730, 13 à la p. 24 [Mehl, « Lien subjectif »]. 732 Ibid. 733 Sauer, supra note 349 aux pp. 940-941. 734 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 286. 230 2- ÉGALITÉ : DU DONNEUR À L’ENFANT ET D’ENFANTS À ENFANTS Nous pouvons affirmer que dans tous les cas, l‘enfant n‘a pas choisi d‘avoir un donneur comme ascendant. L‘égalité devient une question de faits que nous pouvons analyser objectivement. À l‘issue de la procréation assistée, si l‘enfant en constitue indéniablement un acteur, il n‘a pas accepté d‘y prendre part comme le font les parents et le donneur. Dans le lien donneur – enfant, dès lors qu‘un système de dons anonymes est en vigueur, il y a lieu de mettre en doute l‘existence d‘une quelconque égalité entre ces deux parties. Le géniteur a toujours la possibilité de ne pas participer au processus reproductif de tiers. Nous ne pouvons pas en dire autant de l‘enfant qui ne dispose pas du pouvoir de choisir quelle information sur son géniteur est importante pour son développement et son identité. Du moins, lorsqu‘il s‘agit d‘un anonymat complet sans possibilité de consentement du donneur de donner accès à ses informations nominatives et identifiantes. Il est alors plus ardu de justifier que toutes les parties de la procréation assistée ont eu droit à la même considération et au même respect. En fait, qu‘un système de dons anonymes ou non soit en place, le donneur potentiel peut toujours refuser d‘y prendre part. Ce qui n‘est pas le cas de l‘enfant qui se voit tout simplement imposer les circonstances dans lesquelles il a été conçu. Il ne choisit pas de naître ou non. L‘application du principe d‘égalité requiert conséquemment, à défaut d‘obtenir le consentement des enfants à venir, que l‘on tienne compte de l‘opinion de ceux qui essaient à présent de faire entendre leur voix sur le sujet et ce qu‘ils vivent. Envisager qu‘il appartient au donneur de décider dans quelles circonstances il sera ou non connu de l‘enfant institue en fin de compte un rapport de forces inégal. 231 Sous un autre angle, y a-t-il une inégalité entre les enfants adoptés et ceux issus de la procréation assistée lorsqu‘un régime d‘anonymat complet est en vigueur? Tel semble être l‘avis de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec qui recommandait, à l‘automne 2009, que « le gouvernement du Québec amende le Code civil du Québec pour résoudre l‘inégalité de droit entre les enfants adoptés et les enfants issus de dons quant à l‘accès à leurs origines en appliquant les mêmes pratiques qu‘en matière d‘adoption »735. Tel qu‘exposé au chapitre 3, dans l‘état du droit québécois, le Code civil du Québec736 est en effet beaucoup plus ouvert en matière d‘adoption en permettant l‘obtention de renseignements visant à retrouver les parents si ces derniers y consentent737. L‘enfant de la procréation assisté ne peut disposer d‘un pareil privilège, sauf exception de santé et encore là, l‘information médicale n‘est donnée qu‘au professionnel de la santé sans divulgation d‘informations nominatives738. Afin d‘expliquer cette différence de traitement, plusieurs s‘entendent sur la relativité du parallèle entre l‘adoption et les nouvelles technologies de la reproduction. De par la réalité qui distingue ces deux pratiques, le secret est d‘une part plus exceptionnel en matière d‘adoption739. Cette dernière « vise [d‘autre part] à pallier la carence d‘une famille alors qu‘un enfant est déjà au monde […] [et, d‘un autre côté,] les PMA visent la 735 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 50; Le jugement Pratten de mai 2011 est dans le même sens. Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 736 Supra note 18. 737 Ibid., art. 583; Attention, cette disposition législative est appelée à évoluer. Voir : Avant-projet de loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et d'autorité parentale, 39e législature, 1re session (13 janvier 2009), En ligne sur : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/projets-loi/projets-loi-39-1.html?expiree=true#avant-projets-loi> (Date d‘accès : 19 mars 2010); Voir également les arguments présentés par Olivia Pratten dans le cadre de sa poursuite en Colombie-Britannique : Olivia Pratten v. Attorney General of British Colombia and College of Physicians and Surgeons of British Colombia, supra note 727. 738 Code civil du Québec, supra note 18, art. 542. 739 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 19. 232 mise au monde d‘un enfant afin de fonder une famille »740. Est en ce sens distingué le rapport à l‘abandon. L‘adoption apparaît comme une solution à la détresse du ou des parents biologiques qui n‘avait pas prévu cette naissance. La procréation assistée avec tiers donneur est quant à elle motivée par un puissant désir d‘enfant et est le résultat de la démarche altruiste d‘une personne qui fait don de ses forces génétiques pour aider autrui. Le géniteur n‘abandonne personne, puisque l‘enfant n‘est pas "donné" à d‘autres, et peut être considéré comme n‘ayant à son actif qu‘un acte positif. La prise en compte du lien découlant de la gestation entre la mère et l‘enfant contribue à la conception d‘un plus grand sentiment d‘abandon chez l‘adopté. À l‘opposé, le facteur gestatif renforcit le lien existant entre la mère et l‘enfant en procréation assistée quand il s‘agit d‘un don d‘ovules ou d‘embryons741. Une auteure souligne même que la levée de l‘anonymat est beaucoup moins difficile psychologiquement pour l‘enfant né d‘un don qu‘en matière d‘adoption742. Les études sur comment les adoptés et les enfants issus d‘un don vivent leurs problèmes identitaires sont souvent en conflit, mais elles indiquent à tout le moins que certains enfants du don font l‘expérience d‘un sentiment de perte vu le manque d‘informations sur le donneur. Par contre, l‘impression d‘abandon n‘est pas forcément le même et il est possible que l‘enfant de la procréation assistée comprenne plus facilement la situation743. 740 Le Bris, supra note 51 à la p. 145; Voir également à la p. 146. Baines, supra note 621 à la p. 118; Barreau du Québec, « Rapport », supra note 68 à la p. 26; Beaulne, supra note 92 à la p. 262; Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258; Le Bris, supra note 51 aux pp. 145-146; Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821; Golombok, supra note 488 à la p. 2344; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2033; Benoît Moore, « Quelle famille pour le XXIe siècle? Perspectives québécoises », (2003-2004) 20 Can. J. Fam. L. 57 aux pp. 69-70 [Moore, « Perspectives québécoises »]; Siberry Chestney, supra note 634 à la p. 382. 742 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258. 743 Cahn, supra note 691 à la p. 10. 741 233 En pareilles circonstances, certains invoquent l‘article 522 du Code civil du Québec744 qui précise que « [t]ous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance »745. C‘est un argument possible, mais qui est confronté au fait que l‘accès aux origines, au Canada et au Québec, n‘a pas été formellement élevé au niveau de droit fondamental. Qui plus est, force est de reconnaître l‘existence de différences entre les deux situations tant dans leurs objectifs que dans leurs conséquences. Rappelons néanmoins que, de l‘avis de Michèle Giroux, l‘accès aux origines est un droit fondamental indirectement protégé par les chartes canadienne746 et québécoise747 par les dispositions en matière de liberté, sécurité, vie privée et égalité748. Si la question se retrouvait devant les tribunaux, ils posséderaient tous les outils pour assurer la reconnaissance de ce droit749. De plus, récemment, la Cour suprême de la ColombieBritannique a reconnu l‘égalité des enfants nés d‘un don anonyme et ceux qui sont adoptés en vertu de l‘article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés750,751. 744 Supra note 18. Ibid., art. 522; Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 365; En France, l‘article 310 Code civil contient une disposition semblable : « Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d‘eux. ». 746 Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84. 747 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77. 748 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384. 749 Ibid. à la p. 389; Voir les pages suivantes pour le détail de son analyse. 750 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 751 « In other words, as compared with individuals who are adopted, Ms. Pratten and other donor offspring are denied equal benefit of the law, based on the manner of their conception. They have neither the opportunity nor the right to learn about their biological origins, and, as compared with adoptees, there is no requirement either to collect as much information as possible about the medical and social history of the donor offspring‘s biological family or to preserve that information for the child. » Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 224. 745 234 La proposition du législateur canadien étudiée au chapitre 3, qui est dans la lignée du double guichet de Guido Pennings752, était plus proche du système d‘adoption en permettant la divulgation de l‘identité du donneur s‘il y consent753. Le double guichet est la possibilité pour le donneur de consentir ou non à la divulgation de son identité et, dans le cas des parents, de choisir entre un donneur anonyme ou non. Quoique, comme rien n‘est parfait, « [u]n des inconvénients inhérents à cette solution est que l‘on crée alors deux types d‘enfants : ceux qui pourront connaître l‘identité de leur donneur biologique, et ceux qui ne le pourront pas »754. Nous pourrions ultimement référer à l‘inégalité existant entre les enfants conçus grâce aux forces génétiques d‘un tiers demeurant anonyme et ceux dont les parents sociologiques/psychologiques correspondent aux parents biologiques755. Concernant l‘application de l‘article 522 du Code civil du Québec756, s‘il est possible entre l‘adoption et la procréation assistée, dans ce cas cela nous semble exagéré. Même si une disposition législative exclut tout lien de filiation entre l‘enfant né d‘un don d‘engendrement et son géniteur, l‘enfant dispose généralement des mêmes droits et de la même protection que celui né de façon naturelle, notamment en ce qui concerne l‘exercice de l‘autorité parentale. Procéder à la comparaison de ces situations équivaut à remettre en cause le recours même à la procréation assistée avec tiers donneur. Ce que nous rejetons en soutenant la légitimité du don de gamètes et d‘embryons. 752 Guido Pennings, « The ‗double track‘ policy for donor anonymity », (1997) 12:12 Human Reproduction 2839. 753 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (4) et 18 (3). 754 Beaulne, supra note 92 à la p. 260; Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 248. 755 Besson, supra note 50 à la p. 140. 756 Supra note 18. 235 Les principes d‘autonomie et d‘égalité se rejoignent donc fortement dans la relation donneur – enfant en démontrant, notamment, l‘inadéquation des consentements de ces deux acteurs du processus reproductif. En outre, comparativement à l‘analyse que nous effectuons au regard du secret du parent, il est ici difficile de mettre de l‘avant la sphère privée du donneur afin qu‘elle prévale sur l‘autonomie de l‘enfant. Certes, le couple pourrait également décider de ne pas recourir à un don de gamètes ou d‘embryons afin de concevoir, et ainsi s‘éviter d‘être confronté à la question de la divulgation, mais dans la mesure où nous considérons que cette procédure répond bien aux objectifs des technologies de reproduction, il nous semble difficile d‘appliquer cet argument. Pour le couple, la conséquence serait de ne pas avoir d‘enfants leur étant génétiquement liés ou de ne pas pouvoir vivre la grossesse, alors que de son côté le donneur est là pour aider et non pour se reproduire. C‘est un point de vue délicat puisque ouvrant la porte à la question du droit à l‘enfant, mais c‘est une distinction qu‘il nous semble pertinente. Aussi, une fois que l‘enfant est là et que les parents ont brisé le sceau du secret, comment se traduit son meilleur intérêt quant à l‘anonymat de son donneur? 3- PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES : LE MEILLEUR INTÉRÊT ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT Tout comme dans le contexte du secret, la personne vulnérable touchée par la problématique de l‘anonymat est l‘enfant. Les points 1 et 2, sur l‘autonomie et l‘égalité, nous l‘ont démontré. 236 Néanmoins, avant de débuter notre analyse du meilleur intérêt de l‘enfant nous devons faire deux constats. D‘une part, la connaissance des origines est-elle véritablement dans le meilleur intérêt de l‘enfant757? Un auteur pose élégamment la question en lien direct avec la fonction du droit au regard de l‘anonymat : « [é]trangeté de notre époque qui met le droit en fer de lance partout et à tout propos. Droit d’accès à son dossier médical, droit de connaître son histoire, droit commun de l’humanité… Ce droit de savoir ne dérive-t-il pas vers un droit pour nos enfants de juger leurs parents et sur ce qui a été fait avant leur naissance? Cela concorde-t-il avec l’intérêt supérieur de l’enfant? »758 Une appréciation du bien-être de l‘enfant peut à première vue soutenir l‘une ou l‘autre des positions; à savoir anonymat ou non759. Cela peut en partie être dû au caractère flou du principe760. D‘ailleurs, il n‘est pas dit que tous les enfants souffrent de l‘anonymat de leur donneur. Ce n‘est pas un fait que nous pouvons prendre pour acquis. Par exemple, dans une étude publiée en 2001 concernant 41 jeunes âgés de 7 à 17 ans et qui sont nés d‘un don d‘engendrement dans le cadre de familles lesbiennes, des auteurs en sont venus à la conclusion que les enfants d‘une même famille ont différents points de vue de la nécessité d‘en savoir plus sur le donneur. Le besoin d‘informations diffère d‘un enfant à l‘autre. Plus même, dans cette étude, il a été considéré que, parce que la majorité des enfants dans les familles étudiées n‘étaient pas assez matures ou âgés, déterminer si l‘information concernant le donneur est d‘une importance vitale à leur bien-être est difficile à 757 Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 141; Sauer, supra note 349 à la p. 940. B. Chevallier, « Donner ses gamètes: savoir pourquoi sans savoir pour qui », (2010) 20 :1 Andrologie 72 à la p. 74. 759 Daniels, « Best interest », supra note 477. 760 Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 240. 758 237 déterminer761. À défaut d‘une spécification au cas par cas, nous croyons que l‘accès à l‘identité du donneur est dans l‘intérêt général des enfants du don. Afin d‘exposer plus en détails notre position pour cette partie précise de l‘analyse, nous référons en premier lieu à des auteurs qui ont cherché à définir les notions clés d‘identité, de parenté et de filiation. L‘objectif est de les distinguer afin de mieux comprendre la portée véritable d‘une analyse portant sur le meilleur intérêt et le bien-être de l‘enfant dans le contexte de l‘anonymat. En second lieu, tout en distinguant les arguments en faveur ou contre l‘anonymat, nous renvoyons à la littérature qui s‘est intéressée à ce que désirent et pensent les donneurs et les enfants. 3.1 Identité, parenté et filiation : mettre en contexte les concepts liés à l’anonymat Certains auteurs classent la quête identitaire de chaque personne dans ses besoins psychosociaux. Il s‘agit du processus par lequel l‘enfant prend conscience de qui il est, ce qu‘il est ainsi qu‘à quelle société et culture il appartient. Ne pas savoir contribue parfois à une certaine confusion généalogique762. De manière générale, l‘identité réfère donc à que nous savons et ressentons. C‘est un cadre organisateur qui réunit en un seul et même élément notre passé et notre présent jusqu‘à nous offrir un aperçu de notre futur. L‘identité couvre toutes sortes d‘appartenance, notamment au biologique, mais également 761 Vanfraussen, Ponjaert-Krisofferse et Bawaeys, « Comparison », supra note 675 à la p. 2023. Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à la p. 38; Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821; Le concept de « genealogical bewilderment » a été créé par H.J. Sants, « Genealogical Bewilderment in Children with Substitute Parents », (1964) 37 British Medical Journal of Medical Psychology 133. 762 238 à la famille, la société, la culture, la politique, etc763. Elle est toujours à construire. Pour l‘enfant du don, lorsqu‘il ressent un vide identitaire, cela consiste à intégrer dans son histoire les "liens du sang"764. L‘identité demeure néanmoins un concept complexe qui n‘est pas défini dans la loi et qui peut difficilement l‘être puisqu‘il fait l‘objet d‘approches variées 765. Même l‘article 8 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant766 reste vague sur ce point en se limitant à en énumérer qu‘un nombre limité d‘éléments. Il y est stipulé que : « 1. Les États parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale. 2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d'entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. Sont compris dans l‘identité de la personne sa nationalité, son nom et ses relations familiales. Si les deux premiers éléments sont facilement compréhensibles, le dernier porte à confusion et est susceptible d‘interprétations diverses, notamment eu égard au droit d‘obtenir de l‘information nominative et identifiante sur le donneur. 763 Besson, supra note 50 à la p. 141. Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 272. 765 En application à la problématique de l‘anonymat, voir par exemple: Sarah Wilson, « Identity, genealogy and the social family : the case of donor insemination », (1997) 11 Int‘l J.L. Pol. & Fam. 270 aux pp. 280 et ss. 766 Supra note 87 [Ci après « la Convention »]. 764 239 Une interprétation étroite et historique de cette disposition de la Convention ne peut servir de fondement normatif au droit aux origines767. Cet article a été conçu pour réunifier les familles séparées. Il est issu d‘une proposition de l‘Argentine afin de contrer les actions militaires visant à enlever des nouveau-nés à leurs parents pour les confier à des couples qui appuyaient le régime militaire768. Les auteurs du Manuel d‘application de l‘UNICEF indiquent par contre que l‘expression "relations familiales" signifie que l‘identité d‘un enfant dépasse le cadre de sa famille immédiate et donc de ses parents légaux769. Cela peut être une interprétation valable, mais puisque l‘article précise que cela doit être tel que reconnu par la loi, il reste à déterminer quelle signification les États accordent aux rapports familiaux et aux parents dans leur loi. L‘utilisation du terme "parent" cause tout autant de problèmes dans la quête des origines en tant que droit de la personne. C‘est une représentation renvoyant à des réalités qui ne concordent pas toujours avec l‘univers juridique. La question de l‘anonymat se retrouve souvent au chapitre de la filiation dans les textes législatifs et force est de reconnaître qu‘un géniteur n‘est pas forcément un parent au sens de la loi. Au Québec, le projet parental avec assistance à la procréation est par exemple formé dès lors qu'une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d'avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d'une personne qui n'y est pas partie770. Sont considérés comme étant les 767 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-22. J. Fortin, Children’s Rights and the Developing Law, London, Butterwoths, 1998 à la p. 314; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20; Besson, supra note 50 à la p. 143. 769 R. Hodgkin et P. Newel, Manuel d’application de la Convention relative aux droits de l’enfant, New York, Fonds des Nations Unies pour l‘enfance, 2002 à la p. 125; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-22; Besson, supra note 50 à la p. 143. 770 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538. 768 240 parents la femme qui a donné naissance à cet enfant771 et, le cas échéant, la personne qui a formé, avec cette femme, le projet parental772. De plus, l‘évolution sociale de la famille a amené à une désarticulation entre le projet conjugal et le projet parental. Le premier n‘est plus un pré requis à la réalisation du second. « Devenir parent est désormais perçu comme un choix personnel, une expérience existentielle marquante et ne requiert plus nécessaire une union conjugale stable. »773 Nous retrouvons ici une explication supplémentaire à la privatisation actuelle de la famille. Dans l‘organisation des rapports entre individus, afin de veiller au bon fonctionnement de la société, selon un modèle organisé et cartésien reflétant certaines valeurs de société, le droit instaure malgré tout les principes de la filiation entre les parents et l‘enfant où coexistent des droits et des responsabilités774. Elle est traditionnellement rattachée par les juristes à l‘état de la personne qui est le moyen de l‘identifier et de la reconnaître de manière stable et certaine. Cela est indispensable au bon fonctionnement de l‘institution étatique qui suppose que les individus puissent être distingués les uns des autres, en les inscrivant dans un linéage, et d‘assurer la transmission du patrimoine familial775. Dans ces circonstances, alors que la filiation représente la reconnaissance publique d‘un lien existant entre un individu et un ou plusieurs de ses ascendants776, le donneur n‘a pas sa place et il ne lui appartient guère de 771 La maxime Mater est quam gestation demonstrat serait par contre mise à l‘épreuve dans l‘hypothèse où serait reconnue la validité légale des contrats de mères porteuses. 772 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.1 al. 1; Pour une étude approfondie du statut de parent en droit, voir : Angela Campbell, « Conceiving Parents Through Law », (2007) 21 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 242 [Campbell, « Conceiving »]. 773 Belleau, supra note 5 au par. 10. 774 « Dans nos pays de tradition romaine et de droit écrit, la filiation, au contraire des systèmes de Common law, est enserrée dans un réseau de normes juridiques qui traduisent de façon, en général assez cohérente, les structures de la famille et de la parenté et qui s‘ordonnent en fonction d‘un certain nombre de valeurs fondatrices ». Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 424. 775 Brunet, supra note 120 à la p. 95. 776 Le Gall, supra note 4 à la p. 95. 241 pourvoir à l‘accomplissement de l‘autorité parentale. D‘ailleurs, tel n‘est pas le motif pour lequel on a recours à ses services afin de concevoir. C‘est un raisonnement que nous pourrions transposer à l‘interprétation de l‘article 7 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant 777 qui est fréquemment identifié comme fondement du droit aux origines. Cette disposition prévoit que : « 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. 2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride. » Certains invoquent ainsi le droit des enfants issus d‘un don de connaître leur géniteur qui devient par le fait même leur parent au sens de la Convention. Le terme est interprété largement afin d‘y inclure les parents génétiques, les parents biologiques et les parents psychologiques qui ont pris soin de l‘enfant778. Il paraît néanmoins y avoir certains troubles légaux dans le recours à l‘article 7. Le libellé de cette disposition comporte d‘une part une limite rédactionnelle importante selon laquelle le droit de connaître ses parents ne peut être revendiqué que "dans la mesure du possible". Cela ouvre la porte à des exceptions d‘origine législative 777 Supra note 87 [Ci après « la Convention»]. Hodgkin et Newel, supra note 769 à la p. 117; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-21; Besson, supra note 50 à la p. 143. 778 242 faisant en sorte que le droit de connaître ses parents n‘est pas absolu, mais relatif779. Il faut d‘ailleurs savoir qu‘au moment de l‘élaboration de la Convention, compte tenu des pratiques condamnables dans certains pays, il s‘agissait avant tout de s‘opposer aux enlèvements d‘enfants et de leur voir reconnaître le droit d‘avoir des parents780. De l‘avis de certains, « dans la mesure du possible » ne signifie pas « dans la mesure du souhaitable », « dans la mesure où ça ne nous dérange pas trop » ou « dans la mesure du légalement possible », mais bien « dans la mesure du matériellement possible » ou « dans la mesure où on le peut ». Ce n‘est qu‘à cette condition que la Convention trouve sa portée781. Cette analyse, malgré son bien fondée, d‘autant plus sous un angle de sollicitude, risque de se voir opposer l‘objectif initial de l‘article 7. Et que dire de l‘utilisation même du terme "parent" dans la Convention qui se trouve sans aucun doute mis à l‘épreuve782 faute de définition? Dans la procréation assistée avec les forces génétiques d‘un tiers, celui-ci n‘est qu‘un géniteur et non un parent. Cela demeure somme toute relatif et dépend de l‘interprétation que nous faisons du terme parent afin de l‘identifier. Est-ce celui ou celle dont l‘enfant porte le nom? Celui ou celle dont il hérite du bagage génétique? Celui ou celle qui en assume la charge au quotidien? Est-ce le conjoint ou la conjointe de l‘autre parent?783 « Autant de 779 Le Bris, supra note 51 à la p. 187. Hélène Gaumont-Prat, « Le principe de l‘anonymat dans l‘assistance médicale à la procréation et la révision des lois de bioéthique », dans Droit de la famille – Éditions du Juris-Classeur, Janvier 2001, 11 à la p. 15 [Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique »]; Breen, supra note 566 à la p. 164; Fortin, supra note 768 à la p. 314; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20. 781 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 130. 782 Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 240; Au Québec, cette position est également soutenue par Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 783 Belleau, supra note 5 au par. 2; Voir également Le Bris, supra note 51 à la p. 145. 780 243 composantes de la parentalité qui sont dissociées dans d‘autres sociétés, mais se recouvraient jusqu‘à une date récente dans nos sociétés »784. La filiation est un construit social785. Elle ne se limite pas à ce qu‘en dit le droit, celui-ci privilégiant la logique substitutive à la logique additionnelle786, et à la certitude qu‘il apporte quant au statut juridique des personnes entre elles. De fait : « [l]a filiation juridique est un système normatif complexe construit autour d‘un modèle qui combine nature et volonté. La procréation, fait biologique, est la donnée première mais non exclusive, à laquelle se combinent la volonté et la réalité affective et sociale. [Or, l]‘irruption de la médecine dans le domaine de la reproduction humaine, dominée jusqu‘alors par les lois de la nature, a permis de dissocier ce qui jusqu‘alors paraissait ne pouvoir l‘être. »787 Le don de gamètes ou d‘embryons opère ainsi une distinction entre le parent biologique/génétique788 et le parent social/juridique789. D‘autant plus dans le contexte de l‘anonymat où un découplage a lieu entre la filiation juridique et la filiation biologique 790. Sexualité, fécondation, gestation et parturition se dissocient en autant de séquences qui ne s‘incarnent plus forcément par les mêmes personnes nous dit Dominique Mehl 791. La problématique à l‘étude nous rappelle conséquemment que « même lorsque le droit tranche clairement et sans ambiguïté, la tension entre le sang et la volonté est bien 784 Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? », supra note 620 à la p. 33. Belleau, supra note 5 au par. 5. 786 Le Gall, supra note 4 à la p. 121. 787 Marie-France Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation et procréation médicalisée : une coexistence difficile », (2006) 1 Dr. et Cult. 123 au para. 10, En ligne : <http://droitcultures.revues.org/861> (Date d‗accès : 28 novembre 2010) [Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation »]. 788 Nous utilisons ces deux termes de façon synonyme. 789 Ibid. à la p. 126. 790 Ibid. à la p. 131. 791 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 292. 785 244 présente dans les faits »792. Compte tenu de la nature particulière du don, c‘est-àdire "d‘éléments de vie"793, un certain rattachement humain existe entre l‘enfant et son géniteur. En fait : « [l]‘importance des origines dans le développement de l‘identité prend source dès l‘enfance de l‘individu, notamment dans le cadre de la filiation. Elle « n‘est pas qu‘un mécanisme d‘autorité parentale, elle comporte également une dimension identitaire »794. Une perspective internormative du droit impose donc de s‘ouvrir aux différentes dimensions de la filiation et, en l‘occurrence, sous un angle de la sollicitude en s‘écartant des seuls individus juridiques pour s‘intéresser à la personne humaine 795, c‘est-à-dire l‘enfant du don, et à ce qu‘elle ressent. Cette ouverture analytique concerne le processus dynamique de production législative et la réflexion que cela requiert en s‘intéressant au discours éthique. C‘est que nous tâchons de mettre en pratique ci-après. 3.2 Meilleur intérêt, bien-être de l’enfant et connaissance de l’identité du géniteur Compte tenu de ce que souhaite l‘enfant du don en cherchant à connaître l‘identité de son géniteur, lorsque ce désir se manifeste, il est raisonnable de conclure que l‘adoption d‘un système non anonyme est davantage en mesure de répondre à ses 792 Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? », supra note 620 à la p. 36. Nous empruntons l‘expression Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25. 794 Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 24; Daniel Gutman ajoute sur ce point qu‘il « existe actuellement une véritable mutation des fonctions de l‘état civil. Alors que celui-ci n‘était naguère envisagé que comme moyen de preuve de l‘identité civile, il occupe désormais un rôle reconnu dans la constitution de l‘identité psychologique. » Daniel Gutman, Le sentiment d’identité : Étude de droit des personnes et de la famille, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000 à la p. 207 795 Nous empruntons l‘expression à Thouvenin, « Limites », supra note 74 à la p. 223. 793 245 besoins796. Afin de nuancer notre propos, nous faisons un retour sur les points de vue en faveur de l‘anonymat, puis nous nous intéressons à l‘importance même du non anonymat pour le bien-être de l‘enfant. Nous constatons alors que l‘anonymat serait d‘abord garant de l‘intérêt de la famille et, conséquemment, dans l‘intérêt de l‘enfant. Cet argument n‘est toutefois pas en harmonie avec l‘éthique de la sollicitude car il se fonde sur des points de vue externes à l‘enfant. Celui-là même qui est au cœur de la relation donneur – enfant et qui est la personne vulnérable à protéger. Le choix de l‘anonymat se base sur la position des donneurs et des parents. Or, pouvons-nous véritablement prétendre à une réflexion éthique qui prend ses assises dans les rapports interpersonnels et l‘interdépendance des individus et ce, en en excluant le principal intéressé? La réponse ne peut être que négative. Même si ce ne sont pas tous les enfants du don qui ressentent une crise identitaire en l‘absence d‘informations nominatives et identifiantes sur leur géniteur, l‘intérêt de l‘enfant doit remettre en perspective les points de vue de ce dernier et, par conséquent, en vertu de l‘éthique de la sollicitude, nous mener à la conclusion que la levée de l‘anonymat est la solution à retenir. a) L’anonymat : des points de vue en sa faveur L‘anonymat est de loin le choix de la majorité des donneurs de sperme. Dans une étude française récente, pays où l‘anonymat est actuellement la règle, 79,3% des 193 donneurs interrogés déclarent être en accord avec la législation actuelle. Près de 70% ne souhaitent pas de changement et 60,6% déclarent qu‘ils renonceraient à leur don en cas 796 C‘est également la conclusion à laquelle en vient la juge Adlair dans l‘affaire Pratten. Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para, 247. 246 d‘une évolution de la loi vers une levée de l‘anonymat 797. Leur profil est intéressant. Ce sont des hommes occupant des positions professionnelles relativement favorisées, qui sont curieux des questions sociales et qui développent une argumentation réfléchie. La nécessité d‘un geste altruiste dans ce pays exclut la motivation financière. Le plus souvent, ils ont été sensibilisés par la stérilité de proches798. En ce qui concerne l‘anonymat, ces donneurs ne souhaitent apparemment aucun engagement au-delà de leur don et ne veulent assumer aucune responsabilité, chose qu‘ils font déjà avec leurs propres enfants. L‘anonymat permet à chacun de rester autonome au-deçà du don. Pour le donneur, une dépersonnalisation du produit biologique vers une limite au geste est ainsi possible afin de permettre au futur père de s‘investir dans la fonction paternelle799. Il est intéressant de constater que le discours en faveur de l‘anonymat est souvent soutenu par les professionnels de la procréation assistée parce qu‘ils ont eux-mêmes été donneurs800. Le don féminin est plus délicat car l‘engagement des femmes en vue de faire un don de gamètes est sans commune mesure à celui des hommes, ne serait-ce sur le plan médical. Aussi, pour certaines receveuses d‘ovules, il paraît inconcevable de ne pas pouvoir mettre un visage, d‘être interdite de rencontre et d‘échange avec une personne qui leur offre d‘elle-même. Ce besoin de transparence n‘implique cependant pas trop de proximité. Si la donneuse est la mère biologique, les receveuses sont les mamans. Distinction subtile, mais qui n‘est pas vide de sens sur le plan humain. Inversement, 797 J.-M. Kunstmann et al., « En France, la majorité des donneurs de spermatozoïdes souhaite le maintien de leur anonymat », (2010) 20 :1 Andrologie 53 aux pp. 55-56. 798 Ibid. à la p. 4. 799 Ibid. à la p. 5. 800 Lori B. Andrews et Lisa Douglass, « Alternative Reproduction », (1991-1992) 65 S. Cal. L. Rev. 623 à la p. 660; Ce n‘est par contre pas la seule raison. Sur le sujet, voir : E.V. Haimes, « Do clinicians benefit from gamete donor anonymity? », (1993) 8 :9 Human Reproduction 1518. 247 d‘autres refusent d‘associer une quelconque histoire aux gènes801. D‘où un soutien à l‘anonymat. Pour les donneuses également, plus que pour les donneurs, il semble difficile de n‘être réduites qu‘à un geste abstrait et désincarné. Demeure néanmoins que leur perception de leur propre don est variable. Allant d‘une conception très neutre, comparable à un don d‘organes, vers une potentialité bien plus importante de cette cellule reproductrice qui s‘apparente à un don de vie ou d‘hérédité802. Une tendance se remarque néanmoins chez elles à s‘appliquer à désigner le gamète comme une cellule neutre. Elles ne donnent pas des bébés selon les termes souvent utilisés dans les témoignages rapportés par Mehl en France en 2008803. L‘un d‘entre eux accroche particulièrement le sourire aux lèvres par l‘innocence de sa comparaison : « Le psychiatre du CÉCOS m‘a demandé : "Vous n‘avez pas l‘impression de donner des enfants?" Je lui ai dit : "Écoutez, quand vous mangez une omelette, vous ne mangez pas des poussins. Donc, moi, je donne un œuf, pas un enfant." »804 La peur d‘une intrusion s‘applique à l‘anonymat sous un autre angle, celui des parents vis-à-vis du géniteur805. Cet argument concerne en premier lieu le secret puis, s‘étend à la question de l‘anonymat en vue de préserver l‘unité familiale806 car une 801 Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 19; Voir les témoignages que l‘auteure présente sur ce point dans : Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 133 et ss. 802 Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 19. 803 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 157 et ss. 804 Ibid. à la p. 163. 805 Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20. 806 Cahn, supra note 691 à la p. 15; Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 18; Marzano, « Regard éthique », supra note 501 aux pp. 107-108; Brigitte Feuillet, « La filiation de l‘enfant né d‘un assistance médicale à la procréation », dans Pierre Jouannet et Catherine Paley-Vincent, dir., L’embryon, Le fœtus, 248 ingérence du géniteur (fantastiquement ou réellement) peut être source d‘un rejet du parent, voir même à l‘origine d‘un conflit de loyauté chez l‘enfant. Une étude québécoise a d‘ailleurs démontré que, dans le choix du type de procréation, de futures mères lesbiennes préféraient un donneur anonyme pour éviter la formation d‘une famille triparentale807. Bien que dans ce contexte il soit ardu de cacher à l‘enfant les circonstances entourant sa conception, le donneur anonyme est malgré tout perçu comme garant de la sécurité des liens familiaux. Les auteurs précisent à cet égard qu‘il « peut être menaçant pour les couples d‘élaborer un projet familial en l‘absence de certitude que le donneur ne prétendra pas que l‘enfant a été conçu au terme d‘une relation sexuelle pour ainsi réclamer ses droits parentaux au cours de la grossesse ou de la première année de vie de l‘enfant »808. Ce n‘est néanmoins pas toujours vrai puisque dans la même étude des couples ont expliqué avoir eu recours à un donneur connu en raison de leur souhait de connaître l‘histoire de sa vie et sa personnalité, et même permettre à l‘enfant d‘avoir des liens avec son père biologique. Selon des degrés divers, une implication du donneur dans la vie de l‘enfant était souhaitée809. Cette étude ramène le lien donneur – parents alors que nous ne considérons pas l‘autonomie des parents comme déterminante dans la reconnaissance d‘un droit aux origines. La crainte de ces derniers ne peut par contre être ignorée puisqu‘elle constitue l‘une des facettes du lien donneur – enfant. L’enfant – Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et lois de bioéthique : Une réflexion transdisciplinaire médicale, juridique, éthique et patrimoniale, Paris, Éditions ESKA, 2009, 257 à la p. 261 [Feuillet, « Filiation »]; Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 299. 807 Annie Leblond de Brumath et al., « Facteurs décisionnels reliés au statut biologique et au mode de procréation chez des futures mères lesbiennes », (2006) 5 Revue Internationale Enfances, Familles, Générations aux par. 53-55, En ligne : <http://www.erudit.org/revue/efg/2006/v/n5/015780ar.html> (Date d‘accès : 1er février 2010). 808 Ibid. au par. 70 ; Rappelons ici que « lorsque l'apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle, un lien de filiation peut être établi, dans l'année qui suit la naissance, entre l'auteur de l'apport et l'enfant. Pendant cette période, le conjoint de la femme qui a donné naissance à l'enfant ne peut, pour s'opposer à cette demande, invoquer une possession d'état conforme au titre. » Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2 al. 2. 809 Leblond de Brumath et al., supra note 807 aux par. 56-60. 249 Les parents ont peur d‘une intrusion du géniteur. Pourtant, lorsque la famille est monoparentale ou homoparentale, situation où le secret est par ailleurs d‘avance impossible, nous pourrions imaginer préserver un droit de l‘enfant à une filiation paternelle en levant l‘anonymat du donneur et en permettant à l‘enfant de se faire établir une relation à son égard810. Cela part d‘une bonne intention, mais est inconcevable en droit. En termes d‘égalité entre les donneurs, nous ne pouvons pas en exempter de leurs responsabilités dans le contexte hétérosexuel et non dans les autres cas. Reconnaître cela imposerait de remettre en cause l‘entière institution du don de forces génétiques. De fait, comme nous postulons que le donneur ne peut contrôler la destination de ses gamètes, il ne peut davantage choisir que celles-ci n‘iront, par exemple, qu‘à des couples hétérosexuels en vue d‘être épargné de toute implication à l‘égard de l‘enfant. Soit nous admettons le don dans tous les types de parenté avec ce que cela implique, c‘est-à-dire une inégalité admise en droit pour les enfants d‘être élevés par un père et une mère, soit nous en limitons l‘accès qu‘à l‘hétérosexualité comme cela est le cas dans certains pays811. En plus d‘éviter une éventuelle implication du donneur dans la sphère familiale, l‘anonymat est parfois préféré au don direct qui peut être source d‘inconfort pour les donneurs et les parents. D‘une part, pour la relation existant entre eux et, d‘autre part, en nuisant à la création du lien parents – enfant. Parmi les témoignages recueillis par Dominique Mehl un a retenu notre attention. Il s‘agit du cas d‘une jeune femme qui avait 810 811 Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 436. Voir : Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 aux pp. 592 et ss. 250 besoin d‘un don d‘ovocytes et qui était au départ très hostile à l‘anonymat, mais qui a fini par s‘y résoudre afin de mettre au monde son fils: « [a]u départ, ce qui me chiffonnait beaucoup, c‘était l‘anonymat. Déjà à l‘époque, je me disais : "Ce n‘est pas possible, on ne peut pas faire ça à un enfant." Donc, j‘ai trouvé une donneuse pour aller en Belgique. C‘était une amie très proche, une amie très proche. Elle a accepté parce que, au départ, elle trouvait que c‘était presque normal, mais je crois qu‘au fil du temps il y a quelque chose qui a dérapé. Elle a commencé à avoir peur pour sa propre fertilité et aussi peur que les gens sachent qu‘elle était la mère génétique de l‘enfant. Elle voulait le faire mais elle ne voulait pas que ça se sache. Et moi, qu‘est-ce que je pouvais faire? Je lui disais : "Même si j‘essaie de me plier à tes exigences, l‘enfant s‘il te ressemble, je fais quoi? Je lui mets un masque de Mickey quand on reçoit des amis communs, je le cache, je le fais garder, personne ne le verra jamais? Je le fais opérer?" Ça posait un vrai problème. Parce que finalement, bien que le don soit direct, je rentrais dans une notion de secret et ce n‘était pas compatible. Elle est venue avec moi en Belgique, avec son mari. Mais elle n‘a pas fait de don. On est pas allés jusqu‘au bout. »812 Ce cas est particulier en ce que la donneuse était une relation intime de la receveuse. Il est peu probable que pareil scénario se reproduise lors d‘un don non anonyme fait en clinique lorsque les gamètes appartiennent à un étranger. Cependant, compte tenu de la rareté des ovules, même si l‘anonymat est en vigueur, c‘est une situation que nous ne pouvons pas ignorer dans l‘hypothèse où une femme se présente en clinique avec sa propre donneuse. Peut-être un anonymat complet est-il préférable ou encore, selon la formule du don croisé. Cet extrait permet en fin de compte de remarquer que si l‘anonymat n‘est pas si indiscutable, il apparaît parfois comme un choix par défaut 813. Dans d‘autres circonstances, l‘apparition d‘un problème d‘infertilité amène même à un changement de 812 813 Témoignage tiré de Dominique Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 122. Ibid. à la p. 124. 251 perspective idéologique. Alors que le ou les parents se croyaient pour sa levée, ils se mettent à se poser des questions814. Ces positions se placent encore d‘un point de vue externe à l‘enfant du don. Or, nous constatons que lorsque nous regardons ses revendications, l‘analyse prend un tout autre tournant. Seule la réintégration pleine et entière dans le processus analytique permet de respecter l‘esprit de l‘éthique de la sollicitude et, dans cette perspective, l‘anonymat doit être aboli. b) Abolition de l’anonymat : dans le meilleur intérêt de l’enfant Certains croient qu‘une trop grande importance est accordée à la génétique dans le développement de l‘identité. Celle-ci est forgée par d‘autres éléments tout aussi importants comme l‘histoire de l‘individu, sa famille et le contexte social dans lequel il évolue815. Pierre Jouannet affirme même que son expérience auprès d‘hommes et de femmes en mal d‘enfant lui a permis de constater qu‘il y a d‘autres façons d‘aborder l‘origine des êtres humains et les liens intergénérationnels qui les unissent. Sans minimiser le rôle essentiel joué par la dimension biologique de l‘engendrement et les donneurs, l‘auteur spécifie que la procréation par don peut aussi résulter du désir ou du choix d‘un homme et d‘une femme de marquer leur union en se perpétuant dans une descendance malgré la stérilité. Le projet d‘enfant se trouve favorisé par rapport au 814 815 Ibid. à la p. 149. Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 140; Sauer, supra note 349 à la p. 940. 252 simple support biologique. Le lien existant entre le parent et l‘enfant est l‘acte fondateur de l‘existence de ce dernier et est irremplaçable816. Il existerait par contre trois axes à la filiation qui nous recentrent sur la relation entre le donneur et l‘enfant. Tout d‘abord, la filiation biologique qui est issue de la procréation par intervention des produits du corps et de la continuité chromosomique. Ensuite, la filiation instituée, ou juridique, qui est définie par la loi et qui fixe les conditions juridiques de la parenté. C‘est elle qui va nommer les parents, père et mère de l‘enfant, faisant de celui-ci le fils ou la fille. Un dépassement biologique grâce aux lois est alors possible, le lien de filiation n‘exigeant aucunement un lien biologique voir génétique pour être fondé. Enfin, la filiation narcissique qui, pour sa part, concerne l‘axe psychique de la personne, relève de l‘ordre de l‘imaginaire et autour de laquelle se construit notre identité. Cela se bâtit donc avec le temps puisque la filiation narcissique n‘est jamais donnée. Elle découle des liens qui se forgent entre les individus d‘une même famille817. Dans cette dernière acception, la filiation c‘est « l‘inscription de son histoire, l‘enracinement dans son passé mais c‘est aussi la projection dans un avenir qui permet seul de dépasser la mort »818. C‘est à ce niveau que se trouve l‘identité narrative, découlant des travaux de Paul Ricœur819 et retenue par Irène Théry pour comprendre les 816 Jouannet, supra note 673 à la p. 107. Janine Noël et Pierre Verdier dans Pierre Verdier et Michel Soulé, dir., Le secret sur les origines, problèmes psychologiques, légaux, administratifs, Paris, éd. E.S.F., 1986 cités dans Deleury, « Filiation», supra note 13 aux pp. 183-184; Israël Nisand, « Vertige de l‘origine. Origine d‘un vertige », dans Frydman et Flis-Trèves, supra note 730, 177 aux pp. 180-181; Bernard Golse, « L‘accès aux origines : des tests génétiques à la levée de l‘anonymat », dans Jouannet et Paley-Vincent, supra note 806, 251 aux pp. 251252. 818 Noël et Verdier, supra note 817. 819 Paul Ricoeur, Soi-même comme une autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990. 817 253 revendications à un droit aux origines, où chacun met en intrigue sa propre vie 820. Quoi qu‘il en soit, il paraîtrait important de ne pas hiérarchiser ces trois types de filiation qui sont en interaction constante821. De manière générale, il a été rapporté que : « les études publiées à ce jour permettent de conclure que les connaissances relatives aux effets à long terme du don de gamètes sur le développement des enfants demeurent incomplètes et que l‘absence de lien génétique entre un parent et son enfant ne vient pas nécessairement compromettre le développement d‘une relation positive entre eux. »822 Cela suggère qu‘un fort désire de parenté est plus important qu‘un lien génétique dans le développement de liens familiaux positifs et que les enfants du don ne semblent pas forcément souffrir d‘effets négatifs dans leur développement socio-émotionnel823. Constater l‘existence de bonnes relations entre les parents et les enfants est une chose. Importante certes, mais qui n‘évacue pas pour autant le besoin de savoir de certains enfants824. Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste française très active dans le mouvement pour l‘abolition de l‘anonymat, fonde quant à elle son opinion en se basant sur son expertise clinique en affirmant qu‘on ne peut faire le deuil que du connu. C‘est-àdire, d‘un père disparu ou d‘une mère qui vous a abandonné bien que cela demeure difficile. Il en va tout autrement lorsqu‘il s‘agit d‘un "rien", que cela soit d‘un dossier 820 I. Théry, « Anonymat des dons d‘engendrement : le grand malentendu du débat français », (2010) 20 :1 Andrologie 110 à la p. 115 [Théry, « Grand malentendu »]. 821 Golse, supra note 817 à la p. 252. 822 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 la p. 44; Voir également : Golombok, supra note 488 à la p. 2344. 823 Golombok, supra note 488 à la p. 2344. 824 Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 162. 254 vide ou d‘une paillette de sperme congelé, du non-dit, du non-symbolisable825. « [U]n travail de deuil ne peut se faire que grâce à un élaboration fondée sur des traces réelles. »826. Qui plus est, de l‘avis de l‘auteure, un dispositif qui reconnaît le statut de quelqu‘un pour, dans le même temps, l‘annuler, met en œuvre un mécanisme psychique pathologique bien connu qui s‘appelle le déni. La conséquence d‘une pareille attitude est un risque de retour du refoulé sous forme de questions ou de symptômes qu‘on ne peut ignorer. C‘est donc l‘anonymat même qu‘on entretient sur l‘identité du donneur qui lui donne une place considérable. Le géniteur peut alors être idéalisé et l‘anonymat devient contre-productif827. Les témoignages des enfants en quête de leur histoire sont percutants. S‘en est même gênant et embarrassant de leur imposer l‘anonymat. Par exemple : « Je ne ressemble à aucun de mes parents. Ni à mon père, et pour cause. Ni non plus à ma mère, qui est petite avec des cheveux châtains alors que je suis blonde aux yeux verts. Tous les jours quand je me regarde dans la glace, j‘ai l‘impression d‘être un mystère. Ça arrive aussi dans les conceptions naturelles mais, dans ce cas, on sait à quoi se raccrocher. Moi, je ne sais pas. Je peins depuis que je suis toute petite. Je fais beaucoup d‘autoportraits et, pour moi, l‘autoportrait ne va pas sans une grande part d‘ombre. Déjà l‘arbre généalogique qu‘on fait en primaire m‘a posé tout un tas de problèmes. Je me suis fait gronder par la maîtresse par ce que je ne pouvais pas remplir la case de mon père. »828 825 Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat dans l‘assistance médicale à la procréation avec donneurs de gamètes, ou le dogme de l‘anonymat «à la française» », (2006) 51 :1 Droit et Cultures 197 à la p. 199; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 254; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 165. 826 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 255. 827 Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 aux pp. 9-10; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 190 à la p. 251. 828 Témoignage tiré de Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 241; D‘autres se trouvent sur le site de l‘Association Procréation Médicalement Anonyme. Voir : Procréation Médicalement Anonyme, Témoignages, En ligne : <http://www.pmanonyme.asso.fr/temoignages.php> (D‘accès : 31 mars 2010). 255 Ou encore : « I feel intense grief and loss, for the fact that I do not know my genetic father and his family. There is no closure for me, as I assume these people are not dead. In addition there is no comfort for this, as there is little social recognition of this significance or grief. I live with the uncertainty of a reunion being possible, though unlikely, and of even unknowingly passing my biological father or siblings in the street. I wonder if we would recognise each other. I wonder if they think of me, and if they do how and where there would communicate this. »829 S‘en suivent des termes tels que honte et bâtard. Une adhésion à l‘adage « pas de père, pas de repère ». Une croyance en un vide du côté biologique, bien que l‘aspect symbolique de la parenté soit riche et plein. Un inconfort avec le terme froid et médical de géniteur830. Le plus aberrant est que certains de ces enfants ne savent même pas pourquoi ils ressentent de la honte831. Nous retrouvons le même genre de témoignages au Canada. À l‘occasion de l‘adoption de la Loi sur la procréation assistée832, Olivia Pratten833 et Barry Stevens, deux personnalités très actives contre l‘anonymat, ont témoigné de leur détresse devant le Comité permanent de la santé. Madame Pratten dit notamment : « Premièrement et surtout, l'anonymat nous prive de la dignité de pouvoir décider par nous-même si nous voulons connaître la personne qui a contribué à notre conception. Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-13 accorde au donneur le droit de choisir de s'identifier ou non, alors que le 829 Segment du témoignage de Joanna Rose dans : Rose & Anor v Secretary of State for Health Human Fertilisation and Embryology Authority, [2002] EWHC 1593 (Admin) (26 July 2002), En ligne: <http://www.bailii.org/ew/cases/EWHC/Admin/2002/1593.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). 830 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 242. 831 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 252. 832 Supra note 22. 833 Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, supra note 38; Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2010); Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 256 donneur est un adulte pleinement consentant. Ainsi, des décisions qui se répercuteront sur notre vie à jamais sont prises avant même notre naissance. Si un donneur refuse d'accorder plus d'importance aux éventuels besoins d'un enfant qu'il contribuera à créer qu'à ses besoins propres, il ne devrait jamais être considéré comme un candidat acceptable pour faire un don de gamètes. Quant à moi, je ne considère pas le donneur comme mon père, mais il a néanmoins un lien biologique avec moi. Ce qu'il représente à mes yeux est extrêmement personnel. Personne n'a le droit de décider à ma place de ce que je devrais ou ne devrais pas ressentir à son égard. Depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours voulu savoir qui il était. J'avais l'impression d'être au centre d'un casse-tête dont il manquait certains morceaux. J'avais besoin de ces morceaux pour comprendre l'ensemble du tableau. J'ai du mal à imaginer comment certains peuvent prétendre qu'il est anormal de vouloir connaître ses origines ou encore de dire que ceux d'entre nous qui veulent des changements sont une minorité. Si personne ne s'intéressait à ses origines, la généalogie n'existerait pas et les pratiques relatives à l'adoption n'auraient jamais été modifiées. Les historiens disent souvent qu'on ne peut pas savoir où l'on va à moins de savoir d'où l'on vient. Demandons quel message notre façon de procéder envoie aux personnes conçues par un don de gamètes, lorsqu'on laisse les donneurs disparaître à jamais dans la nature sans révéler leur identité. Est-ce que des personnes issues de tels dons ne seront-elles pas portées à penser que leur père ou leur mère biologique avait honte d'avoir fait un don et de l'être qu'il a contribué à créer? Je me suis souvent demandé si mon père biologique était un homme bien intentionné qui n'avait pas été pleinement renseigné ou s'il s'agissait d'un irresponsable qui n'avait jamais pensé aux conséquences de sa décision. Il n'est pas acceptable de traiter les dons de gamètes comme des dons d'argent anonymes que l'on fait aux organismes de charité à Noël. […] Le sperme ne sauve pas le sperme; il crée la vie. Même si mon père biologique n'avait pas de responsabilités financières ou juridiques envers moi comme c'est le cas des parents, il avait le devoir moral et éthique de répondre à mes questions. Seuls les donneurs qui sont prêts à être identifiés lorsque l'enfant aura atteint l'âge de la majorité devraient être acceptés. Des donneurs parfaitement consentants responsables et prêts à rendre des comptes doivent devenir la norme de la communauté médicale et du gouvernement qui devrait d'ailleurs les assujettir à des règlements. 257 Je suis choquée que la naissance d'enfants résultant d'une aventure, d'une liaison extraconjugale, est la justification dont certains ont besoin pour justifier le maintien d'un système de don de gamètes anonyme. Jusqu'où ira-t-on pour excuser cet acte irresponsable? Je prononce des discours à des conférences sur les donneurs depuis l'âge de 15 ans et je puis vous dire que le nombre de gens qui apparaissent comme par miracle croît non seulement au Canada, mais à l'échelle mondiale. Je fais partie d'une organisation internationale de descendants qui s'est donné pour mission de défendre les intérêts de la génération à venir pour qu'elle ne soit pas dans la même situation que nous—sans information et sans voix au chapitre. On nous a souvent répété que, comme les enfants adoptés, nous devrions être reconnaissants. Si tel est le cas, pourquoi me prive-t-on de la possibilité de remercier le donneur pour ce don de vie? Mon père biologique pourrait essentiellement être n'importe lequel des 30 millions d'hommes de race blanche du groupe sanguin A positif qui habitent cette planète. J'aime le père qui m'a élevé, mais cela n'efface pas en moi le sentiment de n'être l'enfant de personne. En termes clairs, le fait de ne jamais pouvoir voir le reflet de cette personne sans visage et sans nom dans mes traits ou ceux de mes enfants est un boulet que je traînerai toute ma vie. »834 Barry Stevens poursuit sur la même lancée835. Il nous semblait nécessaire de reprendre un si long extrait de ce témoignage car il illustre très bien l‘essence des arguments invoqués contre l‘anonymat tels qu‘exprimés par les enfants. Il en ressort également un concept fondamental : la notion de dignité de la procréation et de la naissance836. Il apparaît effectivement dans les propos d‘Olivia Pratten une volonté de rendre toute sa noblesse au geste qu‘a fait le donneur. Que la société le reconnaisse, mais 834 Olivia Pratten, Témoignages, Comité permanent de la santé, 37e Législature, 2e Session, Lundi 2 décembre 2002, En ligne : <http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=610545&Language=F&Mode=1&Par l=37&Ses=2#Int-359651> (Date d‘accès : 31 mars 2010). 835 Celui-ci a même fait un téléfilm sur le sujet du nom de Offspring. Pour de plus amples informations, voir : Téléfilm Canada, Catalogue, <http://www.telefilm.gc.ca/data/production/prod_740.asp?cat=TV&g=DOC&y=2002> (Date d‘accès : 31 mars 2010). 836 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 272. 258 également le donneur en tant que tel car son don fut source de vie. Il en découle forcément un certain lien entre l‘enfant et celui qui a permis sa naissance. La jeune femme se demande par exemple si son "père biologique" est un homme bien intentionné ou encore un irresponsable inconscient des conséquences de sa décision. Tout autant, elle ne comprend pas pourquoi on la prive de remercier son géniteur pour le don de vie qu‘il a fait. Ces propos demeurent chargés d‘émotions, mais il en ressort un élément essentiel, à savoir la nature particulière du don d‘engendrement qui est le point central du discours d‘Olivia Pratten. Imposer l‘anonymat c‘est nier cela et ne pas respecter ce que Geneviève Delaisi de Parseval et Pierre Verdier ont qualifié de dignité de la procréation et de la naissance. Une dignité qui requiert tout autant de respect de l‘autonomie de l‘enfant. Bien sûr, ce ne sont là que quelques exemples. Ils ne sont pas représentatifs de ce que vivent, ressentent et pensent tous les enfants du don. En effet, si ces témoignages sont frappants comparativement aux enfants qui ne cherchent pas à connaître leurs origines, c‘est que ces derniers ne mènent pas un combat, ne se constituent pas en association et évoquent peu le sujet. Leurs témoignages sont plus rares837. Même parmi ceux qui militent pour une plus grande transparence, certains reconnaissent qu‘il n‘est pas certain que de ne pas être informés des circonstances de la conception et de l‘identité du donneur puisse causer des problèmes psychologiques. Cela est en partie dû au faible nombre d‘études sur le sujet838. Le lien de causalité entre l‘intervention d‘un tiers donneur anonyme et la souffrance de l‘enfant n‘est pas affirmé avec certitude. La douleur et la revendication qui en résulte découleraient le plus souvent des mauvaises conditions dans 837 838 Séraphin, supra note 519 à la p. 90. Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821. 259 lesquelles l‘individu a été informé des circonstances de sa naissance839. Rapportant deux témoignages semblables à ceux que nous avons exposés, un auteur leur apporte une nuance en spécifiant qu‘ils proviennent d‘une prise de connaissance du recours à un tiers donneur dans de mauvaises conditions. Lorsque la chose pose problème à l‘enfant, c‘est soit qu‘il l‘a appris au mauvais moment, soit qu‘il a toujours su mais sous le signe de l‘interdit d‘en parler. La conclusion de l‘auteur est que nous devons pousser davantage dans le sens de créer de bonnes conditions plutôt que de s‘aligner sur des cas exceptionnels pour en tirer des règles générales. S‘il est dit que l‘exception confirme la règle, il n‘est pas dit qu‘elle doive la définir. Le problème de ces jeunes, dit-il, est qu‘ils ont du mal à reconnaître le lien de transmission humaine grâce auquel ils existent et ont grandi, avec ses manques et ses jouissances. Devant cette difficulté, ils cherchent à surplomber ce lien par un savoir fétiche qui leur évite l‘épreuve du manque et leur donne l‘illusion qu‘avec ce savoir ils seront comblés. L‘ignorance du donneur devient tout naturellement la cause de leur problème existentiel840. Ce sont là des considérations complexes qui dépassent de loin les limites de notre expertise en droit et en éthique. Il semble cependant important de retenir que le fort retentissement des témoignages des enfants du don : « n‘est pas dû seulement au dynamisme associatif des intéressés, à la valorisation de leurs récits dans des travaux de sciences sociales et au soutien médiatif friand d‘histoires à sensation. Leur effet sur les gouvernants est certainement à proportion des doutes tus mais persistants 839 Thomas Dumortier, « L‘anonymat du don et l‘AMP : un enjeu institutionnel », dans Jouannet et PaleyVincent, supra note 806, 295 aux pp. 296-297. 840 C. Dudkiewicz-Sibony, « Don anonyme, secret du don et symbolique », (2010) 20 :1 Andrologie 68 aux pp. 69-70. 260 qui ont dû accompagner la banalisation progressive des pratiques d‘assistance médicale à la procréation. »841 Il existe d‘autre part une forte tendance dans la littérature à considérer l‘ouverture et l‘honnêteté comme préférables842 et que « l‘accès aux origines contribue à inscrire l‘individu dans une histoire et dans une transmission. C‘est déjà prendre en compte, d‘une certaine manière, l‘appartenance à l‘espèce humaine »843. Sous un autre angle, c‘est reconnaître que l‘enfant est né du désir de ses parents, mais aussi grâce à l‘action d‘une autre personne844. Cela permet à l‘enfant de comprendre son histoire unique et spécifique ainsi que sa place dans le monde, incluant ceux qui sont venus avant et ceux qui suivront845. L‘objectif n‘est pas de perturber le géniteur, mais de permettre le développement complet de l‘identité de l‘enfant lorsqu‘il ressent le besoin de savoir. Ce ne sont pas tous les enfants qui voudront un accès à l‘information nominative concernant leur donneur, mais beaucoup veulent savoir grâce à qui ils ont pu naître. De plus, s‘ils ne souhaitent pas nécessairement une relation à long terme avec le donneur, ils sont nombreux à ressentir de la curiosité846. « L‘expression "père biologique", voir celle de "vrai père" souvent entendue, est ici trompeuse; c‘est d‘ailleurs un lapsus qu‘on rencontre davantage chez les professionnels (dans les congrès, ou chez les commentateurs) que chez les intéressés! »847 841 Brunet, supra note 120 aux pp. 93-94. Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821. 843 Francis Kernaleguen, « Les principes fondamentaux des lois « bioéthique »», dans Brigitte Feuillet-Le Mintier, dir., Les lois de «bioéthique» à l’épreuve des faits : réalités et perspectives – Actes du colloque pluridisciplinaire des 12 et 13 novembre 1998, Paris, Presses Universitaires, 1999, 35 à la p. 41 844 Lyndon Shaley, supra note 692 à la p. 268. 845 Siberry Chestney, supra note 634 à la p. 375. 846 Cahn, supra note 691 à la p. 9. 847 Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 9. 842 261 On peut souvent lire que les enfants conçus grâce à un don sont loin de chercher un nouveau parent chez le donneur lorsqu‘ils veulent le connaître. On ne peut pas généraliser cette affirmation. L‘hypothèse du fantasme à l‘égard de ce "parent biologique" qu‘est le donneur, par exemple en présence d‘un conflit familial entre les parents et l‘enfant, est tout à fait probable. Certains auteurs soutiennent par contre que les enfants nés d‘un don d‘engendrement sont surtout curieux de leur géniteur, désirant voir sa photo ou être informés de ses motivations. Leur demande constitue, aux dires de Geneviève Delaisi de Parseval, un moyen de se comprendre et d‘étayer leur sentiment d‘identité de façon plus stable848. Contrairement à l‘image qui en est dépeinte par les adhérents à l‘anonymat, une autre auteure avance en ce sens que les enfants du don ne sont pas des partisans du tout génétique. Ils sont informés, suivent les progrès scientifiques et comprennent que l‘identité n‘est ni forgée sur un terrain totalement neutre ni prisonnière d‘un carcan prédéfini849. Le débat origines / anonymat se poserait en somme davantage en termes d‘histoire que d‘origines850 car : « [l]‘identité de tout sujet se construit par la capacité qu‘il peut avoir de mettre en intrigue son passé, de traduire son histoire sous forme de récit; encore faut-il que pour cela l‘histoire ait un début… Une saine éthique de la reproduction suppose ainsi de pouvoir connaître l‘identité de ceux qui ont participé à leur mise au monde »851. Cela concerne donc la dimension existentielle de la venue au monde et lorsque le droit de savoir est barré à double tour, c‘est enlever à l‘enfant la possibilité de se demander de qui 848 Ibid.; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 254; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 160; Voir également : Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 322. 849 Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 16; Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 327. 850 Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 11; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 190 à la p. 256; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 165; Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 16. 851 Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 11. 262 il vient852. Un passé à saveur de gruyère et une généalogie pleine de trous ne remplissent pas cet objectif. Bien au contraire, une loi faisant la promotion de l‘anonymat ferait, aux dires de Geneviève Delaisi de Parseval et de Pierre Verdier, alliance à la fois avec le mensonge et avec le déni853. Les auteurs poursuivent en disant qu‘il est parfaitement arbitraire d‘affirmer que le meilleur moyen de protéger les couples et leurs futurs enfants est de leur imposer l‘anonymat. En fait, on ne peut rien dire de façon définitive car il est encore trop tôt pour savoir ce qu‘il en est de ces enfants854. En attendant, une prudence et un respect des valeurs et des choix de chacun s‘imposent855. Les témoignages des enfants militants ne sont pas uniformes. Quoique, au-delà des différences entre le désir de voir le visage d‘un donneur et la souffrance parfois exprimée d‘un rejet par le parent psychologique qui n‘assume pas sa stérilité et sa paternité, se dessine un besoin de découvrir une partie de son histoire. Se pose également le problème de savoir si la connaissance du nom des donneurs permet réellement de mieux connaître ses origines et de répondre à la question « qui suis-je? ». Les chercheurs sont eux-mêmes partagés sur cette question856. 852 Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 264-265. Ibid. à la p. 264; Voir également l‘expertise du Dr. Diane Ehrensaft dans le jugement Pratten de la Cour supreme de la Colombie-Britannique. Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) aux para. 90 et suivants. 854 Pour une étude récente, voir : Patricia P. Mahlstedt, Kathleen LaBounty et William Thomas Kennedy, « The views of adult offspring of sperm donation: essential feedback for the development of ethical guidelines within the practice of assisted reproductive technology in the United States », (2010) 93 :7 Fertility and Sterility 2237. 855 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 268; Voir également : Cohen, supra note 487 à la p. 271; Jouannet, supra note 673 à la p. 108: L‘auteur souligne dans le même sens qu‘il est souvent affirmé que le maintien de l‘anonymat serait extrêmement dommageable pour l‘épanouissement, le développement et la construction de la personnalité de l‘enfant. Toutefois, on ne sait pas sur les résultats de quelles études reposent ces affirmations. Dans ces circonstances, la prudence est à notre avis encore de mise. 856 Marzano, « Regard éthique », supra note 501 aux pp. 108-109. 853 263 Nous comprenons le message que certains enfants cherchent à transmettre lorsqu‘ils disent qu‘ils sont privés d‘une partie de leur histoire lorsqu‘un système d‘anonymat est en place. Cette référence à l‘histoire individuelle renvoie à la curiosité de savoir d‘où ils viennent et de qui ils proviennent. Hannah Arendt dit en ce sens que de « [r]épondre à la question qui, c‘est raconter une histoire »857. Un exemple connexe est la fascination qu‘exerce la généalogie sur certaines personnes. Certes, il peut être tout à fait possible pour un enfant né d‘un don de tracer les grandes lignes de son arbre généalogique sans que des liens génétiques entrent en ligne de compte. Nous le soulignons à plusieurs reprises dans la thèse, ce ne sont pas toutes les personnes issues d‘un don d‘engendrement qui ressentent le besoin de coller un visage et un nom à ce "parent biologique", voir même de le rencontrer. La suppression de l‘anonymat ne permet que de transmettre des informations objectives, à savoir des informations nominatives et identifiantes. Nous expliquons au point 4 pourquoi la responsabilité du donneur est limitée à ces éléments et n‘implique pas une obligation de rencontrer l‘enfant ou de répondre à ses questions. Il en va de l‘autonomie du donneur. Aussi, d‘affirmer que l‘enfant cherche son "histoire" est à double tranchant. Le mot "histoire" est bien choisi car l‘histoire d‘une personne est ce qui la rattache à son passé. Obtenir l‘identité du donneur et d‘autres informations de nature identifiante pourrait permettre de combler ce vide dans l‘arbre généalogique. Cela peut-il pourtant combler tout le vide identitaire d‘une personne? Nous nous permettons d‘émettre des doutes et nous nous posons sérieusement la question. Ce ne sont pas tous les enfants qui obtiendront satisfaction du seul fait d‘avoir 857 Citation tirée de : Mission d‘information sur la révision des lois de bioéthique, Président : M. Alain Claeys, Rapporteur : Monsieur JeanLeonetti, Rapport d’information, Assemblée nationale (Document no 2235), France, 20 janvier 2010, En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i2235-t1.pdf (Date d‘accès: 14 novembre 2010). 264 accès aux données nominatives et identifiantes. De fait, il n‘est pas du tout certain que cet accès fasse en sorte que l‘enfant ait en main l‘histoire de sa conception. Nécessairement, s‘il en est à cette étape du processus, c‘est qu‘il est déjà informé des particularités entourant sa venue au monde et possède des éléments de l‘histoire de sa conception. Cela ne permet toutefois pas d‘être informé des motivations du donneur ou, plus encore, de sa personnalité et de la conscience qu‘il a de la portée de son geste. La curiosité humaine étant ce qu‘elle est, il n‘y a pas de frontières prédéfinies de ce qu‘est pour un enfant du don le souhait de découvrir son "histoire". Ce qui constitue l‘histoire de la personne est unique à chaque individu. D‘autre part, nous pouvons appliquer le même raisonnement au concept "d‘origines". L‘origine est le commencement, le point de départ. Le terme est plus précis car cela peut renvoyer plus distinctement à la provenance de quelqu‘un, à son ascendance. Par contre, cette recherche n‘est pas pour autant terminée par le seul accès aux données objectives. Cela demeure encore variable en fonction de chacun. En définitive, si nous conservons les termes "histoire" et "origines", à chaque fois que nous y faisons référence, nous devons garder leurs limites à l‘esprit, c‘est-à-dire qu‘il ne s‘agit pas de référents uniformes applicables à toutes les personnes en quête de leur identité et d‘une réponse automatique à la question "qui suis-je?". À notre avis, le meilleur intérêt des enfants du don, d‘un point de vue internormatif de la sollicitude, est en fin de compte de leur laisser le choix, si le secret est levé, de décider s‘ils veulent ou non obtenir des informations nominatives. Fut une époque où la détresse des enfants du don n‘émouvait personne car on considérait alors 265 qu‘un secret conforme à l‘intérêt des adultes était forcément bon pour l‘enfant858. Cela n‘a toutefois plus lieu d‘être et, sous l‘angle de l‘éthique de la sollicitude où nous réintégrons l‘enfant dans la réflexion, celui-ci doit aujourd‘hui disposer d‘un pouvoir décisionnel d‘accéder ou non à l‘identité de son géniteur s‘il en ressent le besoin. Que l‘intérêt de l‘adulte prédétermine celui de l‘enfant sans lui laisser de place est en contradiction avec notre approche conceptuelle. Nonobstant notre conclusion, qui concerne cette partie précise de l‘analyse, les enjeux en cause vont plus loin que la satisfaction des demandes pourtant raisonnables de l‘enfant lorsqu‘il ressent le besoin d‘en savoir plus que des renseignements de nature médicale. L‘intérêt de l‘enfant, s‘il est primordial, n‘est pas la seule considération à entrer en ligne de compte. Nous devons aussi nous intéresser aux intérêts du donneur859. 4- ÉQUILIBRE ENTRE LES INTÉRÊTS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS L‘analyse de l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs s‘inscrit dans notre démarche d‘éthique de la sollicitude. Mais de toute façon, les nouvelles configurations familiales issues des évolutions sociales (familles recomposées ou homoparentales) ou formatées par l‘assistance à la reproduction interpellent le corps social tout entier. Nous avons constaté qu‘une réflexion sur ce qui fait une famille et ce qui fait un parent est entreprise afin de réévaluer l‘ensemble des rapports sociaux 858 859 Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 156. Baudoin et Labrusse-Riou, supra note 112 à la p. 53. 266 intrafamiliaux860. Dans le cas du don de gamètes ou d‘embryons et de l‘anonymat cela s‘impose car la société considère à la base qu‘elle a un devoir d‘aider les couples et les individus à concevoir, à tout le moins en contexte d‘infertilité861. En retour, elle se trouve prise à témoin par les témoignages d‘enfants, poignants disons-le, qui réclament le droit d‘avoir de l‘information nominative et identifiante sur leur géniteur au nom d‘un droit aux origines. Des auteurs considèrent que de donner des informations non nominatives constitue déjà un compromis entre le meilleur intérêt de l‘enfant et celui du donneur862. Par ailleurs, en adoptant l‘anonymat pour protéger la paix des familles, c‘est également l‘équilibre de la société qui est visée863. D‘autres ajoutent que l‘affirmation du principe de l‘anonymat dans la loi n‘est pas contradictoire avec l‘exigence de transparence. L‘enjeu ne serait pas d‘entourer d‘une opacité une série d‘événements liés à la procréation assistée, mais d‘organiser un secret autour d‘un élément tout à fait spécifique qui est l‘identité du donneur. « Plutôt qu‘une négation de la transparence, il faut voir ici une possibilité de modulation du secret. »864 C‘est une position qui se défend, mais lorsque nous abordons la question de l‘anonymat sous l‘angle de l‘éthique de la sollicitude et de la priorité des relations entre les acteurs du don, un autre point de vue s‘impose. Compte tenu de la nature de son geste, 860 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 295. Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 268. 862 Joan Bercovitch, « Civil Law Regulation of Reproductive Technologies: New Laws for the New Biologiy? », (1985-1986) 1 Can. J. Women & L. 385 à la p. 394. 863 Claude Sureau, « Racines enfouis, racines révélées », dans Frydman et Flis-Trèves, supra note 730, 113 à la p. 113. 864 Marie-Hélène Mouneyrat, « Éthique du secret et secret médical », (2001/2) 97 Pouvoirs 47 à la p. 48. 861 267 la personne faisant un don de gamètes ou d‘embryons doit se faire du souci pour l‘enfant qui naîtra de son don et pouvant ressentir un vide identitaire. Dans la mesure où le géniteur peut choisir en aval de participer ou non au processus reproductif d‘un tiers, il en résulte une responsabilité en vertu de laquelle il doit accepter de communiquer ses informations nominatives et identifiantes. L‘équilibre entre les intérêts du donneur et ceux de l‘enfant commande ainsi une abolition de l‘anonymat. Le donneur peut voir sa vie privée respectée en décidant de ne pas donner. Il n‘en est pas de même de l‘enfant qui n‘exprime aucun choix. Il doit disposer de celui de choisir d‘accéder ou non aux informations nominatives du donneur. Après tout, « [l]e refus est un choix qui s‘inscrit dans un processus actif »865. Il constitue également une décision qui contribue à la construction de l‘identité. Répétons-le, ce ne sont pas tous les enfants qui ont besoin de savoir l‘identité de leur donneur afin de donner un sens à leur identité866. Leur position peut évoluer dans le temps. Certains se montrent même en faveur de l‘anonymat, l‘opposition dans la réalité d‘un nouveau parent étant par trop déstabilisante867. Cela peut s‘étendre aux familles monoparentales et homoparentales. D‘ailleurs, les situations où l‘enfant ne connaît pas ses origines biologiques ne se limitent pas au don de forces génétiques et, même dans ces cas, il n‘est pas dit que l‘enfant en souffrira. Pensons au cas des enfants adultérins qui sont élevés par le conjoint de la mère comme s‘ils étaient leur enfant. À l‘inverse, il y en a même qui ne veulent pas savoir. Carol Smart fait en ce sens une étude très intéressante sur la loi et la régulation des secrets de famille en Grande-Bretagne. À un moment de son 865 Séraphin, supra note 519 à la p. 91. Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 245. 867 Clément, « Insémination artificielle », supra note 674 à la p. 51. 866 268 analyse, elle réfère à une décision judiciaire868 où l‘on expose l‘histoire de ce garçon qui a été élevé par celle qu‘il croyait être sa grand-mère. Vers l‘âge de 10 ans, un homme prétendant être son véritable père biologique s‘est présenté. Ce dernier désirait faire un test d‘ADN afin de prendre l‘enfant sous sa garde. Cela impliquait cependant pour l‘enfant la perte de sa symbolique familiale présente. Il ne voulait pas savoir la vérité869. Toutefois, si nous considérons l‘ensemble des conclusions qui découlent des principes d‘autonomie, d‘égalité et de protection des personnes vulnérables, cela n‘empêche pas qu‘une analyse de tous les intérêts en présence, en vertu des différents principes de l‘éthique de la sollicitude, montre la nécessité d‘adopter un système de dons non anonymes. Aussi, contrairement à ce qu‘affirmaient Jean-Louis Baudouin et Catherine Labrusse-Riou dans les années 80, il n‘apparaît pas forcément contradictoire de s‘efforcer d‘une part d‘intégrer l‘enfant dans la famille et de tout faire pour que le mari de sa mère soit considéré en droit et en réalité comme son véritable père et, d‘autre part, de mettre en place un système qui, en lui-même, permet la recherche de ce qui n‘a été qu‘un simple géniteur870. Pour que l‘accès aux origines soit possible, sans mettre à mal l‘édifice juridique de la filiation existant, nous devons poser les bonnes questions. Tout d‘abord, quelle responsabilité doit-on imputer au donneur eu égard au geste qu‘il a fait? Dans quelle mesure doit-il répondre au besoin identitaire de l‘enfant qui en est issu sans que cela 868 Re D (Paternity), [2007] 2 F.L.R. 26. Carol Smart, « Law and regulation of family secrets », (2010) 24 :3 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 397 aux pp. 406-408. 870 Baudouin et Labrusse-Riou, supra note 112 à la p. 53; Dans le même que notre opinion, voir également : Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258; Feuillet, « Filiation », supra note 806 à la p. 270. 869 269 conduise aux obligations qui sont normalement échues au titulaire de l‘autorité parentale? De plus, un statut particulier doit-il être accordé au géniteur dans la loi afin de reconnaître cette "parenté additionnelle ou parallèle"871 à laquelle notre système de filiation bilatéral occidental est peu enclin à donner droit de cité872? Il ne peut être question que d‘une responsabilité limitée, concernant le partage des informations de natures médicales et nominatives (ne s‘agissant en l‘espèce que d‘éclaircir l‘identité des géniteurs873), car l‘objectif même du don d‘engendrement est de permettre à autrui de concevoir. Un auteur spécifie même que la communication de l‘identité fait partie d‘une conduite socialement responsable du donneur874. C‘est judicieusement que des États s‘occupent d‘organiser dans la loi le lien de filiation existant entre les receveurs et l‘enfant et ce, en spécifiant qu‘il n‘y en a pas avec le donneur875. Afin d‘être en accord avec la logique appliquée dans le contexte du secret, où cette question est considérée comme une partie du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental peut se développer et se concrétiser, la filiation juridique doit éviter que pareille lien s‘établisse entre le donneur et l‘enfant. Le projet parental se forme par l‘union des consentements à la procréation assistée à laquelle ne participe pas le donneur en dehors du cadre de son don. Le consentement du géniteur ne se résume qu‘à l‘acceptation des implications limitées de son acte compte tenu de sa nature particulière. La levée de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons n‘équivaut pas à 871 Nous empruntons ces termes à Le Gall, supra note 4 à la p. 119. Ibid. 873 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258. 874 K.R. Daniels, « The Social Responsibility of Gamete Providers », (1998) 8 Journal of Community & Applied Social Psychology 261 à la p. 264; De l‘avis de l‘auteur, la responsabilité sociale est l‘emphase sur les conséquences, les implications et l‘impact des actions sur ceux qui sont affectés par elles. Ibid. à la p. 262. 875 Par exemple : Code civil du Québec, supra note 18, art. 538-538.2. 872 270 reconnaître des droits parentaux et des responsabilités876. Il serait illogique de créer un intérêt patrimonial de l‘enfant envers le géniteur. Aussi, nous ne pourrions pas trouver en l‘espèce une application de la logique du In loco parentis877, le donneur n‘agissant pas en lieu et place d‘un parent. En droit canadien, ce concept s‘applique notamment en matière de pension alimentaire lorsqu‘il y a un divorce. Cela permet de considérer les beaux-parents comme responsables d‘enfants à charge à l‘égard desquels ils tiennent lieu de parents 878. C‘est dans Chartier c. Chartier879 que la Cour suprême a considéré que le lien parental formé pendant le mariage subsiste même si l‘époux, au moment de la rupture, cesse de tenir lieu de parent à l‘égard de l‘enfant. La cour y détermine certains critères à respecter880. Au surplus, comme cela heurte les principes du droit civil prévus aux articles 585 et 599 du Code civil881 qui mettent le devoir d‘entretien et l‘obligation alimentaire à l‘égard d‘un enfant qu‘à la charge de ses père et mère, on considère que le In loco parentis est une mesure exceptionnelle qui doit être interprétée restrictivement. On ne saurait donc s‘en inspirer afin de faire du donneur un parent. 876 Cahn, supra note 691 à la p. 5. Réflexion initiée par Campbell, « Conceiving », supra note 772 aux pp. 257 et ss. 878 Loi sur le divorce, 1985, ch. 3 (2e suppl.), art. 2 (2). 879 [1999] 1 R.C.S. 242, 1999 CanLII 707 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii707/1999canlii707.html> (Date d‘accès : 11 février 2011). 880 Ibid. : « L‘enfant participe-t-il à la vie de la famille élargie au même titre qu‘un enfant biologique? La personne contribue-t-elle financièrement à l‘entretien de l‘enfant (selon ses moyens)? La personne se charge-t-elle de la discipline de la même façon qu‘un parent le ferait? La personne se présente-t-elle aux yeux de l‘enfant, de la famille et des tiers, de façon implicite ou explicite, comme étant responsable à titre de parent de l‘enfant? L‘enfant a-t-il des rapports avec le parent biologique absent et de quelle nature sont-ils? ». 881 L.Q., 1991, c. 64. 877 271 Par ailleurs, afin de respecter autant que possible l‘autonomie du donneur, un accès aux informations nominatives ne doit pas impliquer une obligation de rencontrer l‘enfant né des suites du don à moins qu‘il y consente882. Cette responsabilité limitée implique corrélativement que le donneur ne dispose d‘aucun droit sur l‘enfant883. Il ne peut savoir si des enfants ont été conçus avec son ou ses dons et, s‘il y en a, combien884. C‘est un fait. La famille actuelle est en mutation. Les familles adoptives et recomposées sont des exemples de situations où l‘enfant peut avoir plus de deux visages parentaux significatifs. Le droit se trouve confronté à une multitude de réalités qui ont mené à de grands changements dans les représentations de notre système de filiation885. Au Québec, l‘une d‘entre elles est peut-être le concept de projet parental qui crée un aparté à la possession constante d‘état qui ne s‘est jamais souciée de l‘état d‘esprit des parties lors de la conception. Ainsi, en procréation assistée, lorsque la possession d‘état est invoquée comme mode d‘établissement de la filiation, il faut désormais une preuve de l‘intention des parties avant la conception886. Pourtant, cette introduction n‘a pas trahi toute la logique à la base de notre système de filiation dont l‘ordre procréatif était basé sur 882 Besson, supra note 50 à la p. 146; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258; Sauer, supra note 349 à la p. 943. 883 Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258. 884 Sauer, supra note 349 à la p. 943. 885 Fine, « Pluriparentalitées et système », supra note 504 à la p. 72; Sur le sujet, voir : Roxanne Mykitiuk, « Beyond conception : legal determinations of filiation in the context of assisted reproductive technologies », (2001) 39 :4 Osgoode Hall L.J. 771. 886 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.1; En matière de filiation par le sang, voir l‘article 524; Marie Christine Kirouack, « Le projet parental et les nouvelles règles relatives à la filiation: une avancée ou un recul quant à la stabilité de la filiation ? », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec 2005, Volume 229, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, 369 à la p. 438; Michelle Giroux, « FASCICULE 30 – Filiation de l‘enfant né d‘une procréation assistée », dans Pierre-Claude Lafond et Alain Roy, dir., JurisClasseur Québec : Personnes et familles, Montréal, Lexis Nexis, 2010, 30/1 à la p. 30/13. 272 la biparenté, l‘unicité de la maternité et de la paternité, et en limitant au père la possibilité d‘instaurer une filiation en fonction de la volonté887. Quant au statut du donneur en droit, il ne doit pas être considéré comme un parent ni s‘insérer dans la filiation juridique de l‘enfant888. Le géniteur ne fait pas un don de parenté889. C‘est notamment pour cette raison que la France exige de ses donneurs de sperme qu‘ils soient déjà pères890. Ainsi, ils n‘ont pas de projet d‘enfant et aucune volonté de devenir père dans l‘acte d‘aide à la procréation puisqu‘ils sont déjà pères. En ressortent l‘aspect altruiste de l‘acte et la volonté d‘aider891. L‘anonymat ne protège pas la parenté qui peut de toute façon être mise à mal par la révélation du secret de la conception par don. La filiation n‘est pas plus à l‘abri grâce au seul anonymat car il n‘y a que le droit qui puisse le faire en arrangeant l‘absence de liens juridiques entre le donneur et l‘enfant892. Néanmoins, afin de garantir une stabilité dans l‘exercice de l‘autorité parentale, le droit ne devrait procéder à un réaménagement des rôles que dans des conditions bien précises. Même lors d‘un divorce, lorsque la loi permet l‘octroi d‘une pension alimentaire ou l‘obtention d‘un droit d‘accès pour celui qui tient lieu de parent en vertu du principe In loco parentis, le droit n‘instaure pas de lien de filiation893. En l‘espèce, même s‘il ne s‘agissait que d‘une logique additive, sans y attribuer des obligations liées à l‘exercice de l‘autorité parentale, nous entrevoyons 887 Bureau, supra note 103 à la p. 184. Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 24. 889 Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 91. 890 Art. L1244-2 al. 1 Code de la santé publique. 891 Kunstman, « Remise en cause », supra note 42 à la p. 8. 892 Guibert et Azria, supra note 42 aux pp. 364-365. 893 Voir : Loi sur le divorce, supra note 878; Marie Pratte souligne qu‘une réflexion est nécessaire sur ce point au Québec : Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 602. 888 273 d‘avance les conflits que cela pourrait occasionner en vue de, par exemple, réclamer des aliments. Une confusion légale des rôles entre le géniteur et les titulaires de l‘autorité parentale serait alors envisageable au point que l‘enfant pourrait demander à ce que le parent génétique assume la pleine responsabilité de son geste. Même si nombre d‘enfants soulignent ne pas rechercher un nouveau père ou une nouvelle mère chez le donneur, le cas de figure énoncé n‘est pas impossible894 et doit être évité en droit. La génétique ne devrait conduire à la parenté légale que lorsque le ou les géniteurs assument les pleines responsabilités pour le bien-être de l‘enfant895. Dans un contexte plus général, soulignons la théorie de l‘attachement qui est pour beaucoup dans la reconnaissance législative d‘un parent896. En vertu de cette théorie, « it is more parental responsiveness, rather than biological relatedness, that is considered to be important for the development of secure attachment relationships »897. Or, même dans un système de dons pleinement transparents, une distinction demeure entre agir en tant que parent et contribuer à la création d‘un enfant898. Les définitions législatives de la parenté se basent sur les prémisses qu‘il s‘agit d‘un statut exclusif et binaire, c‘est-à-dire que le droit ne reconnaît qu‘une seule paire de parents à la fois899. Si la première affirmation nous semble juste, nous n‘affirmons pas qu‘il doive y avoir une seule paire de parents dans tous les cas de figure relevant de la filiation. Le projet de loi québécois sur l‘adoption sans rupture du lien de filiation 894 Pierre Jouannet souligne que lorsqu‘on écoute les enfants issus d‘un don de sperme « lors de leurs entretiens approfondis, on peut se demander si leur demande n‘est pas de développer parfois des liens plus étroits et plus continus au-delà des aspects juridiques. » Jouannet, supra note 673 à la p. 111. 895 Lyndon Shaley, supra note 692 à la p. 268. 896 Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 756. 897 Golombok, supra note 488 à la p. 2343. 898 Cahn, supra note 691 à la p. 26. 899 Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 754. 274 d’origine, ce qui correspond à l’adoption simple et ouverte, est un pas dans cette direction900. Une auteure souligne néanmoins que si le droit doit s‘adapter pour suivre l‘évolution de la société et des techniques, il ne peut se transformer que dans la mesure où un certain ordre social demeure intact901. En ce qui concerne la reproduction avec les forces génétiques d‘un tiers, la reconnaissance, en droit, du statut de parent au donneur est inappropriée902 puisque contraire au rôle du parent nommé dans la loi, à l‘objectif même de la procédure et à l‘encontre de l‘autonomie du donneur et des parents qui, nous le remarquons ci-haut, favorisent souvent l‘anonymat. Le géniteur ne souhaite ni que l‘enfant fasse irruption momentanément dans sa vie, ni se voir imposer une relation quelconque avec lui, sauf s‘il y consent903. Il n‘est pas impossible d‘imaginer une personne faisant des dons répétitifs dans le but de réaliser un fantasme reproductif904, mais la majorité du temps il est logique de penser que le donneur n‘envisage pas devenir parent par le fait de son geste. Cela concorde avec l‘éventail des motivations que le donneur peut avoir. Chez les donneuses d‘ovules, cela va par exemple de l‘altruisme à 900 Voir : Avant-projet de loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et d'autorité parentale, supra note 737. 901 Bureau, supra note 103 à la p. 181. 902 Geneviève Delaisi de Parseval à fait une proposition contraire : « La particularité du montage de l‘AMP avec dons pourrait cependant, avec peu de dommage, accorder aux enfants ainsi conçu une filiation complète, filiation qui serait fondée sur le cumul des filiations et non sur la substitution de l‘une à l‘autre. Geneviève Delaisi de Parseval, « La pluriparentalité occultée : psychodynamique de la parentalité dans les cas d‘aide médicale à la procréation avec dons de gamètes », dans Le Gall et Bettahar, supra note 504, 113 à la p. 123. 903 Pour un exemple des craintes manifestées par les donneurs à ce niveau, voir : Lucy Frith, Eric Blyth et Abigail Farrand, « UK gamete donors‘ reflections on the removal of anonymity: implications for recruitment », (2007) 22 :6 Human Reproduction 1675 aux pp.1676-1677; Sur l‘expérience de donneurs anonymes qui ont acceptés de révéler leur identité à l‘enfant : V. Jadva et al., « Sperm and oocyte donors‘ experiences of anonymous donation and subsequent contact with their donor offspring », (2010) Human Reproduction Advance Access published December 21, 2010, En ligne : http://humrep.oxfordjournals.org/content/early/2010/12/21/humrep.deq364.full (Date d‘accès: 23 janvier 2011). 904 Telle pourrait être la motivation de certains donneurs souhaitant un système de non anonymat. Jadva et al., supra note 903. 275 aider les autres aux considérations financière ou encore les deux905. Du côté des donneurs de spermes, ont déjà été identifiés le désir général d‘aider les autres, le désir spécifique d‘aider autrui à devenir parent ou de connaître la joie d‘être parent, la transmission des gènes906. En retour du fait qu‘il n‘est pas un parent en droit, le donneur ne peut exiger une quelconque paternité ou maternité. Le don d‘engendrement est investi d‘une grande valeur morale et sociale, mais n‘implique ni droit ni devoir à l‘égard de l‘enfant à naître907. Quant aux parents, ils ne désirent pas plus voir ce tiers s‘imposer dans leur famille sans y avoir été convié. La logique substitutive est donc toujours justifiée dans ce cas et ce, même si nous nous trouvons en contexte d‘homo ou de monoparenté dont nous ne remettrons pas en cause la légitimité dans le contexte de la présente thèse. Ainsi, la personne ayant sollicité le don « s‘engage par avance à se déclarer le «parent» au sens de la filiation, avec tous les droits, devoirs et interdits qui constituent cette relation juridique idéalement indissoluble, et toutes les responsabilités concrètes que cela implique en matière d‘exercice de l‘autorité parentale »908. Un auteur spécifie qu‘« [a]ppréhender la parenté comme biologique c‘est donc dénier le dispositif de parentalisation sociale que le droit s‘évertue à symboliser, mis en place en préalable d‘un processus de parentalisation psychologique, né de la relation parent-enfant sur lequel insistent les psychologues »909. Cela signifie que le droit cherche 905 Nancy J. Kenney et Michelle L. McGowan, « Looking back: egg donors‘ retrospective evaluations of their motivations, expectations, and experiences during their first donation cycle », (2010) 93 :2 Fertility and Sterility 455 à la p. 458. 906 K. Daniels et al., « Short Communication: Previous semen donors and their views regarding the sharing of information with offspring », (2005) 20 :6 Human Reproduction 1670 à la p. 1672. 907 Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111; Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 142. 908 Ibid. 909 Gérard Neyrand, « Mutations sociales et renversement des perspectives sur la parentalité », dans Le Gall et Bettahar, supra note 504, 21 aux pp. 22-23. 276 à introduire dans ses principes tout l‘aspect social de la parenté. Elle n‘est pas que biologique et conceptualise, au-delà des liens du sang, l‘attachement qui se développe dans la relation parent – enfant. Entre ainsi en ligne de compte la parenté psychologique. L‘auteur ajoute par contre que la procréation assistée a exacerbé une contradiction qui traverse le champ de la parenté. Celle-ci oppose, nous dit-il, l‘importance de plus en plus grande accordée au biologique comme preuve de parenté, tant au niveau biomédical (e.g. avec l‘empreinte génétique) que psychologique (e.g. discours sur l‘importance des origines), à la légitimité de la définition socio-juridique (mariage, adoption) et éducative (possession d‘état) de la parenté910. « Dévolu à la gestion des contradictions, le droit en est conduit à produire des énoncés divergents, qui réfèrent à des principes différents de régulation juridique […], et voit d‘autant plus se brouiller ses repères que les PMA viennent accentuer le besoin de référence à l‘expertise psychologique et sociale sans que celui-ci apporte de réponse satisfaisante. Le droit se retrouve alors tiraillé entre des références divergentes : les nécessités sociales d‘institution de la filiation au regard des attitudes et pratiques des acteurs, les normes sociales et traditions morales qui lui sont attachées, les débats contradictoires entre les producteurs de savoir quant aux conditions de l‘équilibre psychique de l‘enfant, enfin la certitude nouvelle qu‘apporte la science en matière de filiation. »911 Le fait de d‘attribuer aux enfants nés d‘un don de gamètes ou d‘embryons une filiation selon le modèle charnel participerait à cet illogisme car elle appartiendrait à l‘ordre des filiations volontaires auxquelles se rapporte l‘adoption. La solution proposée, apparemment plus juste au plan du droit et au plan psychologique, serait celle de l‘adoption par le conjoint stérile de l‘enfant de son conjoint qui naîtrait par procréation 910 911 Ibid. à la p. 39. Ibid. aux pp. 39-40. 277 assistée912 ou même d‘une adoption par les deux parents dans le cas d‘un embryon. En contexte québécois, il s‘agit là d‘une proposition superflue car la Code civil913 prévoit déjà que le projet parental ou familial jette les bases de la filiation du couple ou de la femme seule faisant une procréation assistée sans qu‘un tel lien juridique soit reconnu à l‘égard du géniteur914. D‘ailleurs, il ne nous semble pas nécessaire de pousser jusque-là, c‘est-à-dire l‘adoption, dans la mesure où le projet parental conserve le caractère volontaire de l‘acte d‘engendrement. Après tout, l‘objectif de la procréation assistée n‘est-elle pas d‘intégrer pleinement l‘enfant dans sa famille. Marie-France Bureau, dans son ouvrage sur le droit de la filiation dans le discours juridique québécois, souligne en ce sens que la celle dite par le sang est bien souvent établie en dehors de tout lien génétique. Est prise à témoin la présomption de paternité915 qui a traditionnellement servi à l‘établir sur la base d‘une vraisemblance et non pas sur la base d‘une vérité biologique, et sur une communauté de sang. Le concept de possession d‘état916 constitue une autre limite réelle à la confusion entre les liens biologiques et filiation dans le droit positif917. Ne serait-il pas approprié d‘imaginer un système juridique de filiation hybride918 ne mettant pas à sac tous les principes fondateurs du cadre actuel et où la notion d‘origine est isolée de celle de la filiation919? Il nous semble que oui et cela est en accord avec l‘objectif du recours aux forces génétiques d‘un tiers pour concevoir. 912 Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 90-91. Supra note 18. 914 Ibid., art. 538-538.2. 915 Ibid., art. 525; Semblable présomption existe également en contexte de procréation assistée. Ibid., art. 538.3. 916 Ibid., art. 523-524. 917 Bureau, supra note 103 aux pp. 67-68. 918 Voir dans le même sens : Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 197-199; La doctrine juridique québécoise témoigne également d‘une tendance à considérer ces filiations comme hybrides, mibiologique mi-volontaire. Bureau, supra note 103 à la p. 183. 919 Brunet, supra note 120 à la p. 97. 913 278 L‘important pour nous est de retenir que l‘objectif d‘un système de filiation n‘est pas d‘asseoir la vérité biologique, mais d‘organiser la reproduction sociale920. Des liens sociaux se créent entre les parents et l‘enfant et la filiation instaure le cadre des rapports juridiques entre eux. Thérèse Callus souligne en ce sens que « la filiation comporte la sécurité juridique. Elle assure non seulement une identité pour l‘enfant, mais aussi, du moins à l‘égard de la filiation maternelle, l‘existence d‘un responsable légal pour lui»921. Cette sécurité juridique s‘étend à la protection du lien parents – enfant et vient consolider le donneur dans son rôle de fournisseur de forces génétiques. L‘objectif d‘aider autrui à concevoir est ainsi pleinement atteint et le donneur protégé. Il devrait l‘être d‘autant plus par une disposition législative confirmant l‘absence de liens juridiques entre l‘enfant et lui. Bref, si la filiation « a la nature comme modèle, elle n‘en est pas toujours l‘exacte reproduction »922 et cela se justifie pleinement. Si l‘on en revient aux requêtes des enfants du don, l‘on ne peut pourtant totalement évacuer les dimensions génétiques et biologiques, notamment en dehors du contexte assisté de la reproduction humaine où un test d‘ADN peut servir à rétablir le véritable état d‘un enfant. Cela se reflète également dans l‘évolution du débat sur l‘anonymat où nous avons clairement un tiraillement entre différents pôles. Aussi, la filiation narcissique, celle contribuant au développement identitaire de l‘individu conçu grâce à un don qui veut savoir l‘identité de son géniteur, doit être reconnue dans la loi, mais pas sous n‘importe quelle appellation. Un auteur ne nous dit-il pas que le juridique 920 Pierre Verdier, « Loi, vérité et filiation : le droit peut-il organiser le déni de l‘origine? », dans Le Gall et Bettahar, supra note 504, 125 à la p. 125; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 95. 921 Thérèse Callus, « La «filiation» en droit anglais », (2010) 6 Recherches familiales 59 à la p. 59 [Callus, « Filiation »]. 922 Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 551. 279 ne fonde pas le sujet, il campe son fonctionnement923. Le juridique s‘adresse à l‘être social de chaque personne, c‘est-à-dire à sa part visible qui forme des relations avec d‘autres, en lui permettant de s‘intégrer à la société924. Distinguer dans l‘univers législatif les différents types de filiation est inapproprié et y incorporer l‘expression "filiation narcissique" pourrait donner lieu à des complications dues à une confusion juridique des rôles dans un système de filiation déjà complexe. « Les donneurs procréent mais ne se reproduisent pas. »925 En l‘espèce, ce qu‘il faut c‘est associer la personne sociale à son sujet psychique, symbolique, qui est composé de l‘intimité de tous et chacun, là où se forge l‘identité926. Afin d‘y donner un écho en droit, il ne s‘agit donc pas de nier le biologique, dont le gène contient une vérité pour l‘enfant qui le porte, mais plutôt de ne lui accorder que la partie qui lui revient en se rappelant que le biologique ne peut recouvrir l‘ensemble927. Une auteure nous dit d‘ailleurs qu‘il n‘y a qu‘une filiation, celle qu‘institue tel ou tel système de parenté, telle ou telle loi. « Il n‘y a de filiation que sociale. »928 Tout comme l‘engendrement est un acte éminemment social et non un acte simplement naturel929. Mais cela ne doit pas forcément mener à un gommage de l‘ascendance génétique ou corporelle d‘une personne conçue par don 930. Une place peut être accordée en droit au donneur. Il suffit d‘être clair sur son positionnement par rapport 923 Christian Flavigny, « Les «nouvelles parentalités»: de la procréation à la création-«pro» », (2004) 33 Champ Psychomatique 29 à la p. 33. 924 Nisand, supra note 817 à la p. 182. 925 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 199; L‘auteure s‘est inspirée de Monica Konrad, « Ova donation and symbols of substance : Some variation in the theme of sex, gender and the partible person », (1998) 4 Journal of the Royal Anthropological Institute 643. 926 Nisand, supra note 817 à la p. 182. 927 Anne Cadoret, « La filiation et l‘aide médicale à la procréation », (2006) 51 :1 Droit et culture 179 à la p. 184; Il est intéressant de souligner qu‘à l‘inverse, de l‘avis de Catherine Labrusse-Riou, « notre droit semble avoir perdu l‘art d‘articuler les critères biologiques, affectifs et institutionnels de la filiation sans que l‘on sache pour autant vers quels modèles nouveaux il s‘oriente et se reconstruit. » Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la 99. 928 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 191. 929 Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 114. 930 Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 191. 280 à l‘état de l‘enfant qui a des parents. À cet effet, il semble que la formulation actuelle de "droit aux origines" soit habilement et finement formulée. Bien que les termes "droit à l‘histoire"931 ou "droit à la connaissance de son histoire" soient également appropriés. C‘est une position qui accorde de la valeur à l‘opinion selon laquelle l‘habileté à réclamer un lignage ancestral paternel ou maternel ne signifie pas que ces derniers sont des parents932, tout en reconnaissant la pluriparentalité selon un regard multidisciplinaire933. La filiation juridique, la seule officiellement reconnue en vue d‘organiser les rapports entre les personnes934, n‘empêche pas l‘existence d‘autres dimensions dans l‘univers social. Cela constitue une claire manifestation de l‘internormativité. Nous ne pouvons pas nier qu‘une homogénéisation de la terminologie parentale soit utopiquement souhaitable. Ne serait-ce que du point de vue des justiciables à qui s‘applique la loi. Si nul n‘est censé ignoré la loi, cela ne veut pas dire que tous en comprennent les subtilités. Nous craignons néanmoins la confusion des rôles si le donneur est considéré, en droit, comme un parent. Seul le couple ou la personne ayant 931 Ibid. à la p. 256. Jennifer M. Calverley, New reproductive technology and the sociology of law: socio-legal issues regarding determination of parenthood and rights of the children conceived, M.A., The University of Western Ontario, 2000 à la p. 49. 933 Si nous n‘adoptons pas cette classification puisque pour les fins de cette thèse nous associons, en droit, le statut de parent à l‘exercice des fonctions parentales (ceci découle de la filiation qui est le lien de droit unissant l‘enfant à ses parents et dont découle des droits et obligations), il est pertinent de souligner qu‘Anne Cadoret distingue la pluriparentalité de la pluriparenté. La première concerne les fonctions parentales alors que la seconde renvoie au statut de parent. « Traditionnellement, un statut de parent suppose l‘exercice de fonctions parentales; alors que le contraire – l‘exercice de fonctions parentales – n‘entraîne pas un statut de parent, comme nous le voyons des beaux-parents des familles recomposées ou les assistances maternelles. Cependant, se fait jour une revendication de la part de certaines personnes exerçant des fonctions parentales à obtenir un statut de parent. Il me semble alors nécessaire de distinguer ces termes et d‘employer «pluriparenté» et non «pluriparentalité», lorsqu‘un statut de parent est demandé. » Anne Cadoret, « Constructions familiales et engagement », dans Ouellette, Joyal et Hurtubise, supra note 115, 89 à la p. 94 (note 17). 934 Dans son ouvrage Droit Civil paru aux Presses Universitaire de France, Jean Carbonnier souligne que la filiation est avant tout le moyen de nommer ceux qui sont les plus aptes à assurer la socialisation de l‘enfant, à le pousser en avant par l‘autorité parentale et l‘héritage. Renvoi fait par Feuillet, « Filiation », supra note 806 à la p. 259. 932 281 développé un projet de procréation assistée peut être reconnu comme tel. Ne pas opérer une homogénéisation dans les autres disciplines peut également créer une confusion, mais compte tenu de la finalité du don d‘engendrement, nous considérons comme valables les distinctions multidisciplinaires du concept de filiation et constituant le reflet de la réalité que vit un enfant. Rappelons qu‘elles sont au nombre de trois : la filiation biologique, la filiation instituée qui seule produit des effets de droit et, enfin, la filiation narcissique. Nous concluons sur cette citation d‘Irène Théry qui reprend bien l‘essence de notre propos : « mettre fin à l‘anonymat des dons, c‘est conforter juridiquement pour la première fois les places respectives de chacun, en assumant l‘AMP avec tiers donneur comme un acte social digne et responsable, qu‘il n‘y a pas à dénier ou cacher. Le sens profond de cet acte est que le donneur ne saurait prétendre être le parent de l‘enfant qu‘il a aidé à engendrer, car cette place est par définition réservée à ceux qui ont sollicité et reçu le don d‘engendrement. […] Au lieu d‘être perçus plus ou moins explicitement comme des rivaux pour une seule place […] donneurs et parents sont appréhendés comme des individus jouant des rôles différents et occupant des places complémentaires, se confortant mutuellement. »935 Cela permet d‘inclure pleinement en droit, par le biais de l‘internormativité, la conception interpersonnelle et interdépendante des relations humaines telles qu‘elles doivent apparaître en vertu d‘une éthique de la sollicitude. Chaque acteur a la place qui lui revient et un équilibre est instauré entre les intérêts de tous. L‘enjeu à terme, nous explique l‘auteure, est la quête sans issue du "vrai" parent au profit d‘une approche différente de l‘identité où l‘on se concentre sur l‘histoire biographique. Une nouvelle 935 Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111. 282 perspective éthique des dons avec tiers donneurs nous amène ainsi à chercher des réponses à des nouvelles questions : qu‘y a-t-il donc d‘immoral dans les actes de dons pour qu‘on désire tant les cacher? Pourquoi a-t-on peur des donneurs? Pourquoi n‘a-t-on de considération pour eux? Le tout se traduit par un refus des interrogations essentialistes au profit d‘une conception des enjeux moraux centrée sur l‘action et les relations 936. C‘est un regard de la situation qui tend vers une éthique de la sollicitude et dont l‘influence, en droit, se remarque par la consécration légale de la notion d‘origine personnelle qui représente l‘aboutissement de l‘évolution qui a mis la filiation au service du sentiment d‘identité937. Au lieu de séparer le don, la procréation physique et l‘inscription de l‘enfant dans une filiation en trois scènes indépendantes, elles sont réunies au sein de l‘acte d‘engendrement qui représente une unique action complexe à plusieurs partenaires938. + CONCLUSION DU CHAPITRE 2 L‘analyse des intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons en vertu d‘une éthique de la sollicitude, nous permet d‘en arriver aux deux conclusions suivantes : 1- Dans le cadre de la relation parents – enfant, le privilège de réserve des parents quant au secret doit être maintenu. Il ne s‘agit pas d‘un droit. D‘un autre côté, l‘importance d‘informer l‘enfant du recours à un don constitue une obligation morale dont le respect 936 Théry, « Éthique », supra note 688 à aux pp. 145-146. Brunet, supra note 120 à la p. 97. 938 Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 149. 937 283 passe par un encadrement du privilège au moyen d‘un important mécanisme d‘information et de support des parents afin de les responsabiliser. 2- Dans le cadre de la relation donneur – enfant, un système de dons non anonymes doit être adopté afin de permettre à l‘enfant d‘en savoir plus sur son géniteur lorsqu‘il est informé des circonstances de sa naissance et qu‘il ressent un vide identitaire. Les deux sections du chapitre 2 nous offrent une bonne compréhension des diverses dimensions de la problématique, à savoir le secret et la communication de l‘identité. Ceci étant, seule une analyse d‘ensemble des rapports intervenant entre les parents, le donneur et l‘enfant respecte totalement l‘éthique de la sollicitude afin d‘en arriver à un juste équilibre. À noter que nous utilisons à plusieurs reprises des arguments à portée psychanalytique, mais il importe de ne pas confondre l‘éthique de la sollicitude avec l‘approche psychanalytique du droit. Anne-Marie Savard est l‘une des chercheures du Québec à s‘être intéressée à cette théorie. Elle souligne que les juristes qui l‘adoptent : « reprochent au droit sa méconnaissance de la dimension humaine et de l‘inconscient dans les montages juridiques et s‘opposent également à la conception objective et froide avec laquelle il est étudié. […] L‘approche psychanalytique du droit constitue donc une critique du droit moderne, mais elle est également une manière très originale de porter un regard nouveau sur le champ de la normativité en situant l‘inconscient et le désir au cœur des effets normatifs. »939 939 Anne-Marie Savard, « La filiation et la codification au Québec », (2005) 45 :1-2 C. de D. 411 à la p. 415; Soulignons également le travail de Marie-France Bureau qui s‘est interrogée sur l‘impact de la psychanalyse sur la règle de droit et les juristes. Bureau, supra note 103 aux pp. 207 et ss. 284 L‘auteure s‘interroge corrélativement sur le caractère institutionnel de la filiation dans la production du sujet. Elle est élaborée comme un lien de pouvoir dans un rapport avec cette instance tierce qu‘est l‘État et est médiatisée par le relais du droit. Savard note par contre que l‘évolution du droit québécois de la filiation a fait disparaître ce caractère institutionnel en abolissant la filiation légalement établie au profit d‘une filiation qui ne peut être que prouvée. Elle note finalement que la filiation devient une affaire de volonté et de choix. Au regard de l‘approche psychanalytique du droit, cela la conduit à remettre en question certaines des évolutions du législateur québécois dans ce domaine940. Notamment le recul de l‘importance de la présomption de paternité et la conséquence qu‘il n‘est plus qu‘un tierce moyen de preuve, l‘acte de naissance et la possession d‘état bénéficiant d‘une plus grande reconnaissance juridique. Cette présomption n‘a donc plus de valeur instituante dans le développement de l‘identité de la personne. La présomption ne fonde plus la filiation et n‘est désormais qu‘une façon secondaire de la prouver. L‘auteure critique également l‘article 130 alinéa 2 du Code civil du Québec941 qui concerne les déclarations tardives à l‘acte de naissance. En outre, cela n‘est permis que s‘il y a un consentement de l'enfant âgé de 14 ans ou plus, en l'absence d'un lien de filiation établi en faveur d'une autre personne par un titre, une possession constante d'état ou une présomption légale, et enfin, en l'absence d'objection de la mère. Or, nous dit Anne-Marie Savard, le droit de la filiation permet par cette disposition que l’état de l’enfant soit négocié entre les parties visées et il n’y a pas de fonction instituante. L‘objectif de l‘auteure est d‘ouvrir l‘esprit des juristes qui conçoivent la filiation d‘un 940 941 Savard, supra note 939 (voir l‘intégralité du texte). Supra note 18. 285 point de vue positiviste afin qu‘ils réalisent qu‘il ne s‘agit pas que d‘un ensemble de règles techniques, mais qui participent à la construction de l‘individu942. Il s‘agit d‘une analyse dont nous ne mettons pas en cause la pertinence et l‘originalité, mais dont nous nous distinguons. En d‘autres termes, nous avons également reproché au droit positif sa méconnaissance de la dimension humaine et de l‘inconscient dans les montages juridiques ainsi que sa conception objective et froide. En aucun cas toutefois nous n‘avons vu dans la psychanalyse une vérité ayant vocation à dire ou à faire le droit943. Au contraire, nous avons à plusieurs reprises souligné le fait qu‘il n‘est pas certain que tous les enfants ressentent une crise identitaire due à l‘anonymat. Ainsi donc, à la différence d‘une approche de type psychanalytique qui est davantage centrée sur le développement de l‘individu, l‘éthique de la sollicitude met également l‘accent sur l‘interdépendance entre les individus concernés. On cherche à susciter un sentiment de responsabilité chez qui se fait du souci tout en visant au maximum un équilibre des besoins et des intérêts. L‘internormativité est de plus l‘instrument que nous utilisons en vue d‘intégrer ces principes dans la norme de droit positif. C‘est au chapitre 3 que nous en étudions les rapports d‘influence avec la norme de droit dont nous avons fait notre instrument de régulation privilégié dans la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. Permettre le maintien du silence et du secret fait en définitive contrepoids à l‘abolition de l‘anonymat et instaure un certain équilibre entre les intérêts des donneurs, 942 943 Savard, supra note 939 (voir l‘intégralité du texte). Bureau, supra note 103 à la p. 208. 286 des parents et des enfants. Le phénomène grandissant de privatisation de la famille soutient d‘une part la préservation de la prérogative des parents dans leur choix de dire ou non à l‘enfant qu‘il est le fruit d‘un don de gamètes ou d‘embryons. Cela présente d‘un autre côté un avantage certain pour le donneur alors qu‘il existe toujours une réelle résistance au sein de la population et chez les donneurs, qui ont des perceptions variées de leur geste, contre la levée de l‘anonymat. L‘autonomie du donneur s‘exerce dans sa décision de faire ou non un don et ce, en toute connaissance de cause des implications de son geste. Cette autonomie du donneur ne s‘étend pas à la décision de préserver l‘anonymat car c‘est là qu‘elle empiète injustement sur celle de l‘enfant. Pourtant, la réalité des parents est telle qu‘ils préfèrent se taire sur le fait du don et la conception de leur enfant lorsqu‘aucun anonymat n‘existe944. Nous ne pouvons pas l‘ignorer. L‘identité du donneur se trouve du même coup, jusqu‘à un certain niveau, protégée. Il est tout à fait concevable qu‘avec le temps les parents cessent d‘avoir cette attitude. Néanmoins, en attendant que cela se produise, que le débat avance et les craintes des donneurs s‘amenuisent, notre vision des choses permet de maintenir un équilibre entre les intérêts de tous. À ce niveau, la réaction des parents fait écho aux peurs des donneurs. Quant aux enfants, comme le remarque Dominique Mehl, lorsque le voile est levé, la question de l‘identité surgit immédiatement945. De l‘avis de certains, la levée du secret, qui permet d‘accélérer le processus de deuil de l‘infertilité946, ne devrait pas susciter chez 944 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 aux pp. 33-34; Freeman et al., supra note 288 aux pp. 505-506. 945 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 253. 946 Chez les hommes, la pratique de l‘insémination avec donneur suscite paradoxalement chez l‘homme stérile un blocage du deuil de sa stérilité. La mise en secret de la conception de l‘enfant en est le symptôme. À ce sujet, voir : J.-C. Mazzone, « Le deuil de la fertilité dans l‘insémination avec sperme de donneur (IAD) », (2010) 20 :1Andrologie 76. 287 l‘enfant cette quête de l‘origine génétique. L‘opprobre sur le mode de conception de ces enfants "en mal-être", qui pensent avoir besoin, pour se construire, de l‘accès à l‘identité du donneur à travers son histoire familiale et personnelle, serait davantage le reflet de l‘errance de notre société dans la sacralisation du gène au détriment des vraies valeurs de l‘amour et de la famille947. Il ne serait par contre pas légitime de légiférer en généralisant une position établie à partir du fait vécu d‘un isolat d‘individus, qu‘il s‘agisse d‘un vécu positif ou négatif948. Aussi, il nous semble plus juste de souligner que chaque enfant réagira différemment selon son tempérament, sa vision de sa famille et sa relation avec ses parents949. Sa position peut d‘autre part évoluer dans le temps. Une fois que la ligne de transparence liée au secret est franchie, nous croyons que, en se fondant l‘approche de sollicitude et des relations interpersonnelles et interdépendantes, l‘enfant doit disposer du choix de savoir ou non qui est son donneur. Par ailleurs : « [m]ême si quelques études ont trouvé que l‘absence d‘information sur les modalités de la conception n‘avaient pas forcément d‘effet négatif sur la situation des familles ou sur le développement des enfants, il est de plus en plus souvent recommandé aux parents de ne pas maintenir ce secret, ne serait-ce parce qu‘une révélation tardive pourrait être très mal vécue par l‘enfant. »950 Des auteurs ont en ce sens avancé l‘idée qu‘abolir l‘anonymat enverrait le message qu‘il est inacceptable de ne rien dire à l‘enfant à propos de sa conception951 et, espérons-le, 947 L. Monteil et G. Bourrouillou, « Connaître ses «origines génétique» et…ne rien savoir! », (2010) 20 :1 Andrologie 83 à la p. 84. 948 Rives, supra note 53 à la p. 698. 949 Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 253. 950 Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 34. 951 Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 138. 288 aurait pour effet d‘entraînement de créer une philosophie d‘ouverture et de mettre consécutivement un terme à la philosophie du secret952. Nous comprenons la plus grande aisance des parents de briser le sceau du secret lorsque l‘anonymat existe et cela pouvant aller jusqu‘à un renoncement au don en cas d‘abandon du secret et de l‘anonymat. Quoiqu‘il soit peut-être préférable de l‘avis de certains qu‘il y ait moins d‘enfants nés par don et que dans l‘intérêt ces derniers, ils aient accès à l‘identité de leur géniteur s‘ils en ressentent le besoin953. En maintenant le privilège de réserve des parents, nous demeurons en harmonie avec la privatisation de plus en plus grande de la famille et nous respectons l‘autonomie des parents. Par contre, en instaurant une obligation morale, dont la mise en œuvre passe par un processus d‘information et de responsabilisation, nous espérons que s‘installera à long terme une philosophie d‘ouverture propre à répondre aux besoins et intérêts des enfants dans leur quête des origines. En définitive, la balance que nous effectuons entre le privilège de réserve des parents et l‘abolition de l‘anonymat a certes pour effet de diluer l‘effet ou la portée de ce dernier, mais cela n‘en fait pas pour autant des positions contradictoires. L‘éthique de la sollicitude doit s‘analyser en prenant en compte l‘ensemble des rapports humains entrant en ligne de compte, mais n‘oublions pas qu‘à la base le secret concerne le lien parents – enfant et que l‘anonymat appartient à la relation donneur – enfant. Ce sont deux contextes différents qui, bien qu‘interreliés, peuvent faire l‘objet d‘un cadre normatif qui n‘est pas le même. 952 953 Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 483. Robertson, supra note 469 à la p. 1018. 289 Nous avons d‘ailleurs déjà démontré qu‘au regard du secret, c‘est toute la question de la privatisation de la famille qui est en jeu dans cette partie du processus du don d‘engendrement. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental peut se développer et se concrétiser, et dans ce cas l‘État s‘en remet au désir des individus. La filiation devient une affaire de volontés individuelles954. Au demeurant, la prérogative des parents de briser ou non le silence ne constitue qu‘un privilège. Ils n‘ont pas un droit au secret codifié à même la loi. De fait, si du point de l‘éthique de la sollicitude nous faisons de la révélation à l‘enfant des circonstances de sa conception une obligation morale dont l‘objectif est de responsabiliser les parents dans l‘exercice de leur privilège et ce, au moyen d‘un "counseling", instaurer un droit irait à l‘encontre de la logique de notre approche théorique. L‘objectif est justement de tendre vers une attitude d‘ouverture des parents et des donneurs afin que la quête des enfants et le respect de leurs droits prennent un véritable sens. C‘est de reconnaître un droit au secret des parents d‘un côté et un droit aux origines de l‘autre qui constitueraient des propositions antagonistes à la lumière de l‘éthique de la sollicitude. 954 Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 20. 290 CHAPITRE 3 PERSPECTIVES DE DROIT COMPARÉ DE LA POLITIQUE JURIDIQUE APPLICABLE À L’ANONYMAT DES DONS Une analyse internormative de droit comparé sur les liens entre l‘éthique et le droit n‘est pas chose aisée. Si une influence éthique est visible, le droit n‘est pas automatiquement le reflet de la réflexion éthique qu‘on fait de la problématique. Relativement au droit français, Dominique Thouvenin mentionnait, à l‘époque de l‘adoption des lois de bioéthique, en 1994, que « si toute loi traduit les choix d‘une société en termes de morale sociale, pour autant un texte de loi ne saurait être assimilé à une règle morale. Il n‘a pas pour fonction de dire comment se conduire face à telle ou telle situation, mais bien plus de fixer les conditions des relations entre individus. »955 Or, dans la façon de fixer les conditions de l‘anonymat entre les acteurs du don d‘engendrement, nous estimons que le législateur doit accorder une priorité aux liens interpersonnels et d‘interdépendance tel qu‘explicité en matière d‘éthique de la sollicitude. Nous concluons en ce sens, au chapitre 2, que la révélation du secret constitue une obligation morale balisant l‘exercice d‘un privilège de réserve et que l‘anonymat doit être renversé. L‘internormativité est l‘instrument permettant l‘émergence d‘un véritable échange l‘éthique et le droit. Nos objectifs étant d‘observer dans quelle mesure des rapports 955 Dominique Thouvenin, « Les lois no 94-548 du 1er juillet 1994, no 94-653 et no 94-654 du 29 juillet 1994 ou comment construire un droit de la bioéthique », dans Recueil Dalloz, 1995 à la p. 149 (par. 19-20), En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009) [Thouvenin, « Droit de la bioéthique »]. 291 d‘influence avec l‘éthique de la sollicitude peuvent orienter le législateur dans sa prise de décision quant à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons et, ultimement, nous permettre de comprendre, commenter et critiquer la position adoptée par le Canada et le Québec, nous effectuons au chapitre 3 une étude comparatiste des lois canadienne et québécoise avec celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur une modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous avons par ailleurs déjà démontré que la Loi sur la procréation assistée956 s‘inspire des modèles législatifs adoptés par ces deux pays957. En l‘occurrence, nous considérons la culture juridique et donc l‘évolution de la politique juridique de la procréation assistée, et plus spécifiquement de la question de l‘anonymat des donneurs, en accordant une attention particulière aux portes d‘entrée possibles d‘un examen fait sous l‘angle de la sollicitude. C‘est donc de l‘intérieur même des systèmes juridiques étudiés que nous tirons nos enseignements et cherchons à comprendre, dans leur structure et logique législative, quelle place doit ou devrait être accordée à l‘approche relationnelle et dans quelle mesure une dialectique internormative est possible. Nous procédons notamment en faisant un état du droit et en analysant de plus près le discours interprétatif de la doctrine. 956 957 Supra note 22. Voir : Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23 à la p. 462. 292 Cela permet ultimement de constater qu‘effectivement, dans le cadre du conflit sur l‘anonymat, éthique et droit se manifestent dans diverses approches législatives. Du reste, il est surprenant de noter que ces modèles, prudent et libéral, ne sont pas appliqués partout avec la même flexibilité. Plutôt que d‘être lié à la forme même de la loi, cela découle davantage de la culture juridique présente dans chaque pays. Ainsi le droit civil québécois a-t-il évolué différemment du droit civil français dont il tire son origine. Dépendamment de l‘état du droit en vigueur, en ce qui concerne la question de l‘anonymat et le cadre plus général de la procréation assistée, une approche est appliquée par un législateur à des degrés divers. Le modèle prudent à la française est strictement appliqué et rend plus difficile l‘ouverture internormative à l‘approche relationnelle. À l‘opposé, le Royaume-Uni qui n‘a pourtant pas reçu de façon formelle l‘éthique de la sollicitude, en diffuse grâce à l‘approche libérale certains principes directeurs et avec beaucoup plus de facilité. Les législations canadienne et québécoise sont quant à elles au centre du spectre et ne s‘opposeraient pas à l‘utilisation de l‘approche relationnelle afin de suivre l‘évolution du débat sur l‘anonymat conformément à l‘éthique du "care", SECTION 1 : L’ANONYMAT À LA SAUCE CANADIENNE ET QUÉBÉCOISE La présente section de notre analyse est consacrée à un examen approfondi de la question de l‘anonymat dans les paysages législatifs canadien et québécois. En introduction de la thèse, nous mentionnons qu‘une majeure partie de la loi fédérale a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême le 22 décembre 2010958. Il est propice de 958 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24; Cela est la conclusion d‘un épisode juridique initié par le Québec en décembre 2004 lorsque, de manière concomitante au Projet de loi no 89 293 rappeler que notre analyse du droit canadien demeure pertinente. De fait, indépendamment du statut ultra vires des dispositions concernant l‘anonymat et les renseignements sur le donneur, l‘étude de droit comparé où l‘internormativité fait entrer en ligne de compte l‘éthique de la sollicitude conserve sa valeur théorique. L‘analyse du contexte législatif canadien constitue un modèle que nous ne pouvons pas ignorer puisque non seulement il fut inspiré de la France et du Royaume-Uni, mais il a été jusqu‘à tout récemment en étroite concurrence avec le droit provincial qui demeure en vigueur. Il n‘y (P.L. 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d’autres dispositions législatives, 1ere session, 37e lég., Québec), les autorités gouvernementales ont annoncé leur intention de saisir la Cour d‘appel au moyen d‘un renvoi relativement à la constitutionnalité des articles 8 à 12 de la Loi sur la procréation assistée (supra note 22; Renvoi à la Cour d’appel relatif à la Loi sur la procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D. 1177-2004, G.O.Q. 2004.II.62). Selon les autorités québécoises, ces dispositions, qui entendent réglementer la procréation médicalement assistée impliquant exclusivement du matériel reproductif humain, ne portent pas, dans leur nature véritable, sur le droit criminel en vertu de l‘article 91 (27) de la Loi constitutionnelle de 1867 (30 & 31 Vict., R.-U., c. 3). Le Québec invoque alors une compétence provinciale exclusive en matière d'établissement, d'entretien et d'administration des hôpitaux; en matière de propriété et de droit civil; en matière de nature locale ou privée et en matière d'éducation et de formation des intervenants en santé. Il se fonde sur les paragraphes 7, 13 et 16 de l'article 92 et sur l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ibid.) et souligne sa compétence relative aux activités cliniques ou de recherche pour lutter contre l‘infertilité. Par ailleurs, il n‘est pas contesté que les interdictions liées au clonage humain ou à la sélection du sexe pour des raisons non médicales peuvent être reliées au droit criminel, permettant ainsi l‘exercice de la compétence fédérale en la matière. Le partage de compétence entre le fédéral et le provincial repose essentiellement sur le rattachement ou non de ces pratiques au champ du droit criminel. Ce rattachement permet alors de justifier des prérogatives fédérales que tentent de limiter les autorités provinciales favorisant alors les aspects médicaux de certains actes. Le renvoi fut modifié en février 2006 afin d‘élargir la portée de la contestation de la validité constitutionnelle de la loi fédérale. La question soumise à examen visait dorénavant les articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 la Loi sur la procréation assistée (supra note 22; Modification au décret n° 1177-2004 du 15 décembre 2004 concernant un renvoi à la Cour d’appel relatif à la Loi sur la procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D. 73-2006, G.O.Q. 2006.II.1290). Dans son arrêt déposé le 19 juin 2008, la Cour d‘appel a donné raison au gouvernement du Québec en affirmant que la Loi sur la procréation assistée (supra note 22) excède la compétence du Parlement du Canada en matière de procréation assistée selon la Loi constitutionnelle de 1867 (supra); Renvoi fait par le gouvernement du Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d'appel, L.R.Q., ch. R-23, relativement à la constitutionnalité des articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 de la Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004, ch. 2 (Dans l'affaire du), 2008 QCCA 1167 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2008/2008qcca1167/2008qcca1167.html> (Date d‘accès : 13 février 2011). Par la suite, le procureur général du Canada a demandé la permission d‘en appeler à la Cour suprême. La requête en formulation d‘une question constitutionnelle a été accordée en novembre 2008. Après plus d‘une année et demie de délibération, dans un complexe jugement de près de 200 pages, la Cour suprême départage ainsi la constitutionnalité des dispositions de la loi fédérale : les articles 8, 9, 12, 19 et 60 sont constitutionnels; les articles 10, 11, 13, 14 à 18, les par. 40(2), (3), (3.1), (4) et (5), et les par. 44(2) et (3) excèdent la compétence législative du Parlement du Canada suivant la Loi constitutionnelle de 1867 (supra); les paragraphes 40(1), (6) et (7), les art. 41 à 43, les par. 44(1) et (4), les art. 45 à 53, 61 et 68 sont constitutionnels dans la mesure où ils se rattachent à des dispositions constitutionnelles (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24). 294 a toutefois pas lieu de s‘interroger sur l‘introduction de l‘éthique de la sollicitude dans le jugement de la Cour suprême car il s‘agit d‘une question exclusivement juridique qui relève du droit constitutionnel et où l‘éthique n‘a pas sa place. Nous présentons dans un premier temps l‘état du droit canadien qui laisse place à diverses interprétations sur la reconnaissance d‘un droit aux origines dans la loi. Pour notre part, nous croyons que la Loi sur la procréation assistée959 reconnaît, jusqu‘à un certain degré, tant le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers donneur. L‘objectif étant la recherche d‘un compromis960. Puis, nous nous intéressons à l‘état du droit québécois qui accorde clairement la priorité à la confidentialité des données et à l‘anonymat. Comme il s‘agit d‘une double juridiction et que le Québec est plus restrictif que le législateur fédéral, dans l‘hypothèse où les dispositions de la loi canadienne concernant les renseignements sur le donneur avaient été reconnues constitutionnelles, il y aurait eu lieu de s‘interroger sur l‘existence d‘un conflit de normes entre la législation fédérale et le Code civil du Québec961 qui est beaucoup plus restrictif. Nous faisons dans un troisième temps cet examen. Ces réflexions nous mènent ultimement à une critique de la situation législative où nous constatons qu‘il n‘est pas accordé, au Canada et au Québec, la place que devrait occuper l‘éthique de la sollicitude dans l‘élaboration et l‘évolution de la loi. Au niveau fédéral, cela est d‘autant plus étonnant puisque l‘angle des relations interpersonnelles et d‘interdépendance est 959 Supra note 22. Glenn Rivard et Judy Hunter, The Law of Assisted Human Reproduction, Markham, Lexis Nexis Canada, 2005 aux pp. 62 et 71. 961 Supra note 18. 960 295 l‘approche qui fut retenue par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction dans son rapport final962. 1- ÉTAT DU DROIT CANADIEN : VERS UNE RECONNAISSANCE DU DROIT AUX ORIGINES ? Dans l‘état du droit, nous présentons dans un premier temps le double guichet tel que détaillé par les autorités canadiennes dans la Loi sur la procréation assistée963. Le double guichet est la possibilité pour le donneur de consentir ou non à la divulgation de son identité et, dans le cas des parents, de choisir entre un donneur anonyme ou non. Nous constatons par la suite que la question des origines est interprétée différemment dans la littérature s‘intéressant aux fondements et à la structure de la loi. Le système de dons canadien est ainsi basé, dépendamment des auteurs, sur la reconnaissance du droit aux origines ou sur le primat du droit à la vie privée du donneur. 1.1 Portrait du cadre législatif canadien : le double guichet Dans la foulée des recommandations de la Commission Baird964, la Loi sur la procréation assistée965 prévoit que les bénéficiaires d‘une procréation assistée avec tiers donneur, l‘enfant qui en est issu et même ses descendants disposent de la possibilité d‘obtenir des renseignements médicaux concernant le géniteur. Son identité ou les 962 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 58. 963 Supra note 22. 964 Voir : Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 aux pp. 499-503, 1263-1269. 965 Supra note 22. 296 renseignements susceptibles de l‘identifier ne peuvent toutefois être communiqués que si le donneur y a consenti par écrit966. Sont identifiés comme des renseignements médicaux : « a) l'identité, les caractéristiques personnelles, l'information génétique et les antécédents médicaux des donneurs de matériel reproductif humain ou d'embryons in vitro, ainsi que des personnes ayant eu recours à une technique de procréation assistée ou qui sont issues d'une telle technique; b) la garde du matériel reproductif humain ou de l'embryon in vitro donné ainsi que l'utilisation qui en est faite. »967 Il faut prendre garde à la portée de cet article car il associe l‘identité d‘un donneur à un renseignement médical. Cette disposition législative doit être lue dans un esprit de globalité et de cohérence avec les autres articles de la loi, dont ceux exigeant l‘anonymat du donneur, à moins qu‘il ait donné son consentement par écrit. Dans la négative, les bénéficiaires de la procréation assistée, l‘enfant qui en est issu ou ses descendants peuvent tout de même obtenir des renseignements personnels concernant le tiers donneur (e.g. ses antécédents médicaux, sa taille, son poids, la couleur de ses yeux), mais ceux-ci ne peuvent en aucun cas permettre de l‘identifier nominativement. Quant au donneur, il est pertinent de noter qu‘une confusion est également possible dans l‘utilisation que fait le législateur du concept. Les références croisées aux termes "donneur" et "tiers" entre la loi et ses règlements sont troubles pour qui ne 966 Ibid., art. 15 (4) et 18 (3); Ces articles n‘étaient pas en vigueur lorsque la Cour suprême a rendu son jugement le 22 décembre 2010. Sur l‘entrée en vigueur de la loi, voir : Loi concernant les techniques de procréation assistée et la recherche connexe – Décret fixant au 22 avril la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2004-49, GAZ. C. 2004.II.478 : En vertu de ce décret, les dispositions de la loi sont entrées en vigueur le 22 avril 2004, à l‘exception des articles 8, 12, 14 à 19, 21 à 59, 72, 74 à 77 967 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 3. 297 s‘attarde pas attentivement à la compréhension des articles. De fait, le donneur est d‘une part défini dans la loi comme : « a) [s]'agissant du matériel reproductif humain, s'entend de la personne du corps de laquelle il a été obtenu, à titre onéreux ou gratuit; b) s'agissant d'embryons in vitro, s'entend au sens des règlements »968. Ce n‘est pas très clair. Qui est considéré comme un donneur dans le cadre du projet de procréation assistée de la personne ou du couple faisant appel à ces techniques? Est-ce à dire que le couple peut également être donneur du matériel reproductif auquel il a recours? Le don est alors autologue ou endogène. La question est fort légitime puisque dans le contexte québécois, la loi ne légifère que la procréation assistée avec don hétérologue ou exogène, c‘est-à-dire avec les gamètes ou les embryons provenant de personnes externes au projet parental. Il faut donc regarder plus avant la Loi sur la procréation assistée969. En vertu de l‘article 8, il est interdit d'utiliser du matériel reproductif humain (sperme ou ovule) dans le but de créer un embryon ou d'utiliser un embryon in vitro sans le consentement écrit du donneur, fourni conformément aux règlements, à cette utilisation970. Le règlement d‘application de l‘article 8, précise que le consentement à l‘utilisation du matériel reproductif ou de l‘embryon vise, entre autres, les besoins reproductifs du donneur lui-même (individu ou couple bénéficiaire de la procréation 968 Ibid. Ibid. 970 Ibid., art. 8 (1) et (3); Sur l‘entrée en vigueur de la disposition sur le consentement : Loi sur la procréation assistée – Décret fixant au 1er décembre 2007 la date d'entrée de l’article 8 en vigueur de la Loi, TR/2007-67, GAZ. C. 2007.II.1699; Soulignons que l‘exigence du consentement s‘applique aux manipulations faites au Canada peu importe où le matériel ou l'embryon in vitro a été obtenu au départ; celui-ci pouvant avoir été importé de l‘étranger. Procréation assistée Canada, Foire aux questions – Qu’en est-il du sperme, des ovules et des embryons in vitro importés d’un autre pays? Doivent-ils également respecter les dispositions de l’article 8 de la Loi ?, En ligne : <http://www.ahrcpac.gc.ca/faq/index.php?qid=49&lang=fra> (Date d‘accès : 10 février 2009); En l‘espèce, le retrait du consentement visant l‘annulation du don pourra être fait jusqu‘à ce que le tiers n'ait accepté par écrit le don de sperme, d'ovules ou d'embryons. Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi), DORS/2007-137, art. 5 (3) et 14 (2) b). 969 298 assistée) ou ceux d‘un tiers. L‘article 1 de ce même règlement nous permet de constater que le tiers est en fait un bénéficiaire. Il est présenté comme : a) S‘agissant de matériel reproductif humain : (i) une personne autre que le donneur ou l‘époux ou le conjoint de fait du donneur, (ii) un couple dont aucun des époux ou conjoints de fait n‘est le donneur; b) s‘agissant d‘un embryon in vitro : (i) une personne autre que le donneur de l‘embryon in vitro visé au paragraphe 10 (1), (ii) un couple qui n‘est pas le donneur de l‘embryon in vitro visé au paragraphe 10 (1) »971. Cet article 10 (1) identifie le donneur comme étant « a) la personne qui, au moment où l‘embryon in vitro a été créé, quelle que soit la source du matériel reproductif humain utilisé pour ce faire, n‘a pas d‘époux ni de conjoint de fait; b) […] les personnes qui forment un couple d‘époux ou de conjoints de fait au moment où l‘embryon in vitro a été créé, quelle que soit la source du matériel reproductif humain utilisé pour ce faire »972. Au sens de la loi, dans le cadre du don d‘engendrement, le donneur est donc bel et bien la personne de qui provient le matériel reproductif. Ce que les dispositions sur le consentement nous permettent de comprendre c‘est que le couple lui-même et des tiers sont des receveurs. Néanmoins, tous doivent consentir. La loi n‘utilise pas la terminologie du receveur. Or, pour les fins de cette thèse, c‘est en tant que fournisseur de forces génétiques que nous identifions que le tiers donneur anonyme. Il est tiers car externe au projet parental et de procréation assistée ainsi que donneur car contribuant à la mise en œuvre du désir d‘enfant. Les renseignements médicaux concernant le tiers donneur anonyme doivent être contenus dans un registre tenu par l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation 971 972 Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi), supra note 970, art. 1. Ibid., art. 10 (1). 299 assistée973. Ceux-ci lui sont communiqués par les titulaires d‘une autorisation974 et dans la mesure prévue par règlement975. Cela signifie qu‘un règlement doit déterminer quels renseignements médicaux doivent être transmis à l‘Agence, combien de temps ils doivent être conservés, etc976. Si la loi ne prévoit aucune obligation de suivi dans ses dispositions internes, elle octroie au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer la tenue de dossiers par le titulaire d‘une autorisation977. Une telle obligation pourrait ainsi se retrouver dans un règlement. 973 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 17. Cet article n‘était pas en vigueur lorsque la Cour suprême a rendu son jugement le 22 décembre 2010. 974 La Loi sur la procréation assistée (ibid.) opte pour le modèle des actes interdits (ibid., art. 5 à 9) et des activités réglementées (ibid., art. 11 à 13). Les premiers sont ceux « qui ne doivent pas être accomplis, quelles que soient les circonstances » (Monique Hébert et al., Résumé législatif – Projet de loi C-6 : Loi sur la procréation assistée, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, 17 février 2004 à la p. 3, En ligne : <http://www.parl.gc.ca/37/3/parlbus/chambus/house/bills/summaries/c6-f.pdf> (Date d‘accès : 4 février 2009), parce que « considérés inacceptables au plan éthique ou [parce qu‘ils] pourraient poser un risque important à la santé et à la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, ou les deux » (Santé Canada, La santé et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, En ligne : <http://www.hc-sc.gc.ca/hl-vs/reprod/hc-sc/legislation/safety-securite-fra.php> (Date d‘accès : 4 février 2009). Les activités réglementées sont quant à elles celles « qui ne peuvent être exercées que conformément à la Loi et au règlement » (Monique Hébert et al., supra). La conception d‘enfants grâce aux gamètes ou aux embryons provenant de personnes externes au projet parental relève d‘ailleurs de la seconde catégorie (Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 10). La Loi sur la procréation assistée (ibid.) prescrit en ce sens la constitution de l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée qui, dans le cadre de sa mission, est chargée de « protéger et promouvoir la santé et la sécurité ainsi la dignité humaine et les droits de la personne au Canada » puis de « promouvoir l‘application de principes éthiques » (ibid., art. 22). C‘est elle qui dispose du pouvoir de délivrer, à toute personne ayant les qualifications réglementaires, une autorisation précisant les activités réglementées qu'elle est habilitée à exercer (ibid., art. art. 24 (1) a) et 40 (1). C‘est par contre le gouverneur en conseil qui détient le pouvoir pour désigner les catégories d‘activités pouvant faire l‘objet d‘une autorisation ainsi que pour établir les modalités d‘exercice de toute activité réglementée (ibid., art. 65), incluant le don de gamètes et d‘embryons. Concernant l‘entrée en vigueur des dispositions relatives à l‘Agence, voir : Loi sur la procréation assistée – Décret fixant au 12 janvier 2006 la date d'entrée en vigueur de certains articles de la Loi, TR/2005-42, GAZ. C. 2005.II.1033. En vertu de ce décret, les articles 21 à 24, sauf les alinéas 24(1)a), e) et g), ainsi que les articles 25 à 39, 72, 74, 75 et 77, sont entrés en vigueur le 12 janvier 2006. 975 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (2) a), 65 (1) n), o). 976 Voir à ce sujet : Santé Canada, Atelier sur l’autorisation et la réglementation des activités réglementées en vertu de la Loi sur la procréation assistée et sur les obligations des titulaires d’autorisation en ce qui a trait aux renseignements médicaux – Compte rendu de réunion, 2007, En ligne : <http://www.hcsc.gc.ca/hl-vs/alt_formats/hpb-dgps/pdf/reprod/2007-licensing-autorisation-obligations/2007-licensingautorisation-obligations-fra.pdf> (Date d‘accès: 7 avril 2009); Santé Canada, Atelier pour les patients/clients – Rapport de réunion, 2006, En ligne : <http://www.hc-sc.gc.ca/hl-vs/alt_formats/hpbdgps/pdf/reprod/2006-patient-meeting-reunion-fra.pdf> (Date d‘accès: 7 avril 2009). 977 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 65 (1) n). 300 Néanmoins, en vertu de l‘article 16 (1) de la Loi sur la procréation assistée978 toute personne dispose d‘un droit d‘accès aux renseignements la concernant. En effet, tout individu doit avoir accès, sur demande, aux renseignements médicaux la concernant qui relèvent du titulaire d‘une autorisation ou de toute autre personne ayant obtenu les renseignements979. Ce droit concerne principalement les donneurs et les personnes ayant recours à une procréation assistée. Il leur permet de demander la correction des renseignements les concernant qui, selon eux, sont erronés ou incomplets; d'exiger, s'il y a lieu, qu'il soit fait mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées; d'exiger que les personnes ou organismes à qui les renseignements ont été communiqués dans les deux ans précédant la demande de correction ou de mention soient avisés de la correction ou de la mention. Cela ne constitue pas une porte d‘entrée pour l‘enfant afin d‘obtenir des renseignements le concernant en ce qui a trait à ses origines. Bien qu‘il n‘ait pas été en vigueur lorsque la Cour suprême a rendu son jugement le 22 décembre 2010, il importe de noter que le registre instauré en vertu du régime fédéral n‘a pas été conçu avec une portée rétroactive. En conséquence, il était prévu que n‘y figurent pas les renseignements sur les personnes issues d‘un don avec tiers donneur anonyme et qui a été fait avant sa création980. Dans cette situation, Procréation assistée Canada suggèrent aux enfants désireux de connaître l‘identité de leur donneur de se renseigner sur la politique de divulgation de la clinique où les parents sont allés ou de la banque de gamètes à laquelle ils ont eu recours. S‘il est peu probable qu‘ils obtiennent 978 Ibid. Ibid., art. 16 (1). 980 Procréation assistée Canada, Foire aux questions – J’ai été conçu grâce à un don de sperme anonyme. J’aimerais connaître qui était le donneur; comment puis-je faire?, En ligne : <http://www.ahrcpac.gc.ca/faq/index.php?qid=70&lang=fra> (Date d‘accès : 12 février 2009). 979 301 des renseignements nominatifs, selon la politique de l‘établissement, ils pourront peutêtre avoir accès à d‘autres renseignements personnels981. Par ailleurs, lorsqu‘un donneur est désormais ouvert de faire connaître son identité, cela lui est possible dépendamment des circonstances dans lesquelles le don a été fait, même si celui-ci remonte déjà à quelques années. Tel que spécifié par Procréation assistée Canada, s'il s'agissait d'une clinique de fertilité ou d'une banque de sperme, le donneur peut demander à ce que son dossier soit modifié pour inscrire son consentement à la divulgation de son identité si une demande à cet effet est présentée les bénéficiaires ou l‘enfant du don. Autre possibilité, le donneur peut afficher ses données dans un registre volontaire en ligne982. Soulignons finalement que la position du législateur canadien de favoriser l‘anonymat du donneur, sauf avec son consentement, a donné lieu à des débats. Par exemple, dans le document Assistance à la procréation : bâtir la famille983, rapport faisant suite aux premières ébauches législatives du gouvernement fédéral en matière de procréation assistée, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes se prononça ouvertement contre l‘adoption d‘un système de dons anonyme984. De plus, « [o]n December 10, 2002, a 6-5 vote in the House Standing Committee on Health narrowly defeated an amendment to Section 18 (3) of the Assisted Human Reproduction Act that would allow the adult offspring of donor conception to have access to identifying 981 Ibid. Procréation assistée Canada, Foire aux questions – J’ai donné du sperme il y a plusieurs années et je songe maintenant à dévoiler mon identité à mes descendants éventuels. Est-ce possible?, En ligne : <http://www.ahrc-pac.gc.ca/faq/index.php?qid=66&lang=fra> (Date d‘accès : 12 février 2009). 983 Comité permanent de la santé – Chambre des communes du Canada, Assistance à la procréation : bâtir la famille, Décembre 2001, p. 22, En ligne : <http://www2.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/371/HEAL/Reports/RP1032041/healrp02/healrp02-f.pdf> (Date d‘accès : 6 avril 2009). 984 Ibid. 982 302 information about their genetic origins »985. À tout le moins peut-on noter que le Gouvernement fédéral tint compte de l‘enjeu. Des personnes ayant eu peu ou pas d‘informations à propos de leur donneur vinrent témoigner de leur détresse à diverses étapes du processus ayant mené à l‘adoption de la loi986. Le problème est que peu d‘échos furent reçus de la part des personnes ayant utilisé le matériel reproductif de donneurs987. Non seulement la position du législateur canadien est controversée, mais tel que nous le constatons ci-après, différentes interprétations en sont faites quant à l‘existence d‘un droit aux origines. 1.2 Les diverses interprétations du droit aux origines dans la loi fédérale Pour certains auteurs, dont Michelle Giroux, la loi fédérale repose sur le postulat que le droit aux origines existe988 parce que des renseignements nominatifs seront transmis avec le consentement du donneur. Avec plus de nuance, Alain Roy souligne que le législateur semble maintenant plus sensible à la quête identitaire des personnes issues du processus de procréation assistée avec tiers donneur, alors qu‘il n‘accordait autrefois 985 Shanner, supra note 488 à la p. 25 Par exemple : Témoignages, Comité permanent de la santé, 37e Législature, 2e Session, Lundi 2 décembre 2002, En ligne: <http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=37&Ses=2&Do cId=610545&File=0> (Date d‘accès : 31 mars 2010); Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, Président: L’honorable Micheal Kirby, mercredi 25 février 2004 et jeudi 26 février 2004, Fascicule no 2 : Troisième et quatrième réunions concernant: Le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe, 37e Législature, 3e Session, 2004, En ligne : <http://www.parl.gc.ca/37/3/parlbus/commbus/senate/com-e/socie/pdf/02issue.pdf> (Date d‘accès : 26 mai 2010). 987 Rivard et Hunter, supra note 960 à la p. 55. 988 Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 365; Dans une publication plus récente, l‘auteure tempère toutefois son propos en spécifiant que le droit aux origines requiert une garantie explicite dans les lois canadiennes. Voir : Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 986 303 que très peu d‘importance à la connaissance des origines biologiques. Cela s‘explique par le fait que : « [c]onscient du besoin fondamental des personnes issues d‘une procréation assistée de s‘approprier leur histoire génétique, le législateur fédéral a créé en 2004 une agence gouvernementale (l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée) dont l‘un des mandats sera de voir à la tenue d‘un registre national où devront figurer les renseignements relatifs aux donneurs de matériel reproductif humain. L'Agence devra communiquer à l‘enfant issu de la procréation assistée l'identité du donneur, dans la mesure où ce dernier y aura préalablement consenti. »989 Tout en mettant le lecteur en garde du danger que cela représente pour l‘enfant du don, Lisa Shields est d‘un tout autre avis; selon elle, la facture actuelle de la loi a pour effet de créer un droit légal à l‘anonymat, en faveur des donneurs990. L‘interprétation d‘une reconnaissance du droit aux origines se trouve atténuée par une autre disposition législative statuant que l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée « peut communiquer l'identité d'un donneur à un médecin si elle l'estime nécessaire pour contrer tout risque pour la santé ou la sécurité d'une personne ayant eu recours à une technique de procréation assistée, d'une personne issue d'une telle technique ou d'un descendant d'une telle personne. Le médecin ne peut […] [quant à lui] communiquer cette identité. »991 En fait, le compromis recherché par le législateur repose, notamment, sur la prémisse que « [c]omme le donneur sait avant le don que des renseignements non nominatifs seront divulgués à ses enfants et que des renseignements 989 Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 10. Shields, supra note 47 aux pp. 39-40 et 43. 991 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (7); Cela ressemble fortement à la position adoptée par le Québec. Pourrions-nous toutefois autoriser le médecin à divulguer l‘identité du donneur si celui-ci y a consenti dans le cadre des articles 15 (4) et 18 (3)? 990 304 nominatifs ne seront fournis qu‘avec son consentement, il risque peu de pouvoir alléguer une violation de son droit à la vie privée »992. Une autre raison ayant motivé l‘approche adoptée par le législateur canadien découle du fait qu‘un donneur pourrait être considéré comme un parent, avec les obligations qui en découlent, en vertu du droit familial de certaines provinces993. Dans ce contexte, il semble que nous puissions avancer que la Loi sur la procréation assistée994 reconnaît jusqu‘à un certain degré chacun des droits, tant à l‘égard de l‘enfant que du tiers donneur; d‘où la recherche d‘un compromis995. Même s‘il ne s‘agit pas d‘une reconnaissance explicite, c‘est à notre avis le sens véritable de la règle de droit qui correspond le plus à l‘intention du législateur fédéral lors de son élaboration996. Cette loi se fonde énormément sur la quête d‘un compromis entre les intérêts de tous acteurs au processus de procréation assistée. S‘agit-il d‘une approche de sollicitude? Par ailleurs, il faut prendre garde de bien distinguer l‘application de la règle, qui vise ici clairement l‘impossibilité d‘obtenir l‘identité du donneur en l‘absence de son consentement, de son interprétation, où l‘on se demande s‘il en découle un droit aux origines. Il s‘agit d‘un des fondements de la théorie de l‘interprétation des lois997. Ainsi, 992 Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-27 – 2-28. Rivard et Hunter, supra note 960 à la p. 57. 994 Supra note 22. 995 Rivard et Hunter, supra note 960 aux pp. 62 et 71. 996 Côté, avec la collaboration de Beaulac et Devinat, supra note 574 à la p. 9. 997 Ibid. aux pp. 9-10 : Concernant la distinction entre l‘application de la règle de droit et son interprétation, l‘auteur souligne que la première consiste à tirer, de la survenance de faits concrets, les conséquences prescrites par la règle. L‘interprétation est quant à elle l‘établissement du sens et de la portée de la règle que le texte énonce. « Dans la théorie officielle, l‘activité d‘interprétation précède l‘application et détermine les résultats de celle-ci. Par contre, les résultats ne l‘application ne doivent pas, en principe, influer sur l‘interprétation, car l‘interprète, en portant un jugement de valeur sur les conséquences de l‘application, se substituerait alors au législateur. Si le «sens véritable» d‘un texte, le sens voulu par le législateur conduit, dans un cas donné, à des résultats anormaux, le remède consiste, selon la doctrine officielle, à d‘adresser au législateur pour obtenir la modification du texte. » 993 305 entre la divulgation obligatoire des toutes les informations et la seule transmission des informations non nominatives998, accorder le choix au donneur, au moment du don, soit de rester anonyme, soit d‘accepter que son identité soit révélée quand l‘enfant aura 18 ans constitue de l‘avis de certains un juste milieu. Néanmoins, comme nous le soulignons au chapitre 2, « [u]n des inconvénients inhérents à cette solution est que l‘on crée alors deux types d‘enfants : ceux qui pourront connaître l‘identité de leur donneur biologique, et ceux qui ne le pourront pas »999. Nous constatons au point 2 que le compromis adopté par le législateur québécois favorise quant à lui la confidentialité des données de la procréation assistée. Auparavant, quelques mots doivent être consacrés à l‘affaire Pratten qui est unique en son genre au Canada. 1.3 Le jugement Pratten Le 19 mai 2011, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu un jugement historique au Canada en matière d‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons1000. C‘est la première fois qu‘une cour de justice, sans reconnaître l‘existence d‘un droit aux origines, atteste formellement d‘une inégalité entre les enfants nés d‘un 998 Les renseignements nominatifs étant tout de même au dossier, mais demeurant inaccessibles, sauf pour des motifs exceptionnels. 999 Beaulne, supra note 92 à la p. 260 (note 129). 1000 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 306 don anonyme et ceux qui sont adoptés et ce, en vertu de l‘article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés1001. Ceci étant, nous devons relativiser l‘importance de ce jugement dans le cadre de notre analyse. D‘une part, aucun rattachement avec la loi fédérale, qui faisait partie des contestations initiales d‘Olivia Pratten, n‘est désormais possible. De plus, cela concerne le droit de la Colombie-Britannique auquel les tribunaux du Québec ne sont pas liés. Il est plus que probable que le jugement servirait à établir le contexte interprétatif de la loi advenant une contestation de l‘article 542 du Code civil du Québec1002 face aux dispositions en matière d‘adoption1003 et à la lumière des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés1004. Néanmoins, l‘influence sur les tribunaux du Québec ne pourra formellement aller plus loin. Finalement, au-delà de ces considérations, notons principalement que le jugement adopte l‘approche basée sur les droits fondamentaux de la personne de l‘enfant en vertu des droits constitutionnels garantis. En soit, cela est tout à fait logique car il n‘est pas de la responsabilité du tribunal de remettre en cause l‘état du droit en se basant sur des principes éthiques. C‘est le rôle du législateur. Ce qui demeure fort intéressant est que la juge fait du meilleur intérêt de l‘enfant une des pierres angulaires de son raisonnement juridique. Une distinction apparaît clairement d‘avec l‘approche relationnelle de la sollicitude, mais il est à prévoir, si les fondements du jugement sont maintenus, que cela ait un impact dans la balance entre les 1001 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. Supra note 18. 1003 Ibid., art. 582-584. 1004 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84. 1002 307 intérêts de tous les acteurs du don d‘engendrement. Cela pourra influencer le législateur dans la priorisation de l‘accès aux origines. 2- ÉTAT DU DROIT QUÉBÉCOIS : PRIMAT DE CONFIDENTIALITÉ DES DONNÉES ET DE L’ANONYMAT LA Au Québec, le régime applicable aux renseignements des donneurs dans le contexte d‘une procréation assistée se trouve au chapitre du Code civil1005 consacré à la filiation par le sang1006, qui se distingue de la filiation par l‘adoption. Bien qu‘en constituant sous chapitre distinct, c‘est une classification à première vue étrange car la loi, lors du recours à un tiers donneur, organise une filiation copiée en grande partie sur le modèle charnel, là où aucun lien de sang n‘existe1007. Depuis la réforme de 20021008, dans le cadre de laquelle le législateur a notamment permis de forger des liens de filiation avec des parents de même sexe et ce, par différents modes de procréation assistée, incluant la relation sexuelle1009, nous assistons d‘ailleurs à une désexualisation de la filiation1010. En fait, la recherche de la réalité biologique n‘a jamais été l‘objectif des règles entourant 1005 Code civil du Québec, supra note 18. Malgré l‘appellation de filiation par le sang, il faut noter que dans le système de filiation romaniste, dont s‘inspire le Québec, la filiation est fondée sur le principe de reconnaissance volontaire. On accorde alors une place importante à la réalité psychosociale que vit l‘enfant et la possession constante d‘état peut supplanter la vérité biologique. À l‘opposé, le système germanique est basé sur le principe de la descendance. Dans cette perspective, le lien de sang joue un rôle primordial dans la détermination judiciaire du lien de filiation. Alexandra Obadia, « L‘incidence des tests d‘ADN sur le droit québécois de la filiation », (2000) 45 R.D. McGill 483 à la p. 496. 1007 Sur ce sujet, voir : Bureau, supra note 103 aux pp. 67et ss. et 187 et ss. 1008 Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, supra note 18; Cette loi est venu modifier des dispositions importantes du Code civil du Québec (supra note 18) en matière de filiation, incluant la procréation assistée. 1009 Voir Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2 al. 2 et 539.1; À ce moment, fut retirée du cadre juridique québécois l‘appellation de « procréation médicalement assistée » pour référer dans tous les cas à la « procréation assistée ». 1010 Tétrault, supra note 563 aux pp. 1093-1094; Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 554; Moore, « Enfants du nouveau siècle » supra note 18 à la page 78. 1006 308 l‘établissement de la filiation au Québec1011, mais plutôt d‘inclure ces filiations issues d‘actes de volonté dans la tradition de l‘engendrement charnel. Dans la présente section nous dressons tout d‘abord un tableau des règles édictées dans le Code civil1012. De plus, comme le Québec a contesté la constitutionnalité de la loi fédérale depuis 20041013, il importe de s‘intéresser à la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation1014 que le gouvernement a adoptée afin de la remplacer sur le territoire de la province. 2.1 Le régime de confidentialité instauré en vertu du Code civil du Québec1015 Plus restrictivement que dans la loi canadienne, l‘article 542 du Code civil du Québec1016 prévoit que : « les renseignements personnels relatifs à la procréation assistée d‘un enfant sont confidentiels. Toutefois, lorsqu‘un préjudice grave risque d‘être causé à la santé d‘une personne ainsi procréée ou de ses descendants si elle est privée des renseignements qu‘elle requiert, le tribunal peut permettre leur transmission, confidentiellement aux autorités médicales concernées. L'un des descendants de cette personne peut également se prévaloir de ce droit si le fait d'être privé des renseignements qu'il requiert risque de causer un préjudice grave à sa santé ou à celle de l'un de ses proches. » 1011 Kirouack, supra note 886 à la p. 377. Code civil du Québec, supra note 18. 1013 Voir : D. 1177-2004, supra note 958; D. 73-2006, supra note 958; Renvoi fait par le gouvernement du Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d'appel, L.R.Q., ch. R-23, relativement à la constitutionnalité des articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 de la Loi sur la procréation assistée, supra note 958; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24. 1014 Supra note 346. 1015 Supra note 18. 1016 Ibid. 1012 309 Cet interdit, applicable à la procréation ayant lieu dans un contexte médical 1017, vise la transmission de toute information concernant le donneur qui permet de l‘identifier1018. Dans ses commentaires, le Ministre de la justice du Québec spécifie notamment qu‘avec l‘article 542, le législateur, en déclarant confidentiels les renseignements nominatifs1019 relatifs à la procréation assistée, « respecte le droit à la vie privée des parents et enfants concernés, sauf une « exception de santé » bien circonscrite »1020. C‘est également la position adoptée par Monique Ouellette lorsqu‘elle affirme que l‘article 542 constitue une application du droit au respect de la réputation et de la vie privée tel que reconnu aux articles 3 et 35 du Code civil du Québec1021 1022 . L‘absence de distinction entre renseignements personnels et médicaux laisse toutefois penser qu‘il demeure impossible de transmettre, en dehors du contexte d‘exception, des informations concernant par exemple le profil génétique du donneur. D‘ailleurs, de l‘avis de certains, il est établi que 1017 Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 593; Tétrault, supra note 563 à la p. 1175; « Dans les autres cas (assistance privée, sous quelque forme que ce soit), il n‘y aura pas de confidentialité légale quant au donneur. Cela ni signifie pas, toutefois, qu‘une filiation pourra être établie à son égard, quand bien même pourrait être prouvé avec une certitude absolue le lien de procréation : tout dépendra alors de la forme sous laquelle aura été réalisée la contribution. » Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau, Le droit de la famille au Québec, 5e édition, Québec, Les Presses de l‘Université Laval, 2005 à la p. 239. 1018 Ceci réfère à la définition de « renseignements personnels » contenue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P-39.1, art. 2. 1019 La notion de renseignements nominatifs a été modifiée en 2006 pour une application du concept de renseignements personnels. Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et d’autres dispositions législatives, L.Q., 2006, c. 22, art. 177. 1020 Baudouin et Renaud, supra note 602 à la p. 182. 1021 Supra note 18, art. 3 al. 1 : « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée; art. 35 al. 2 : « Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d‘une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l‘autorise. »; Le droit à la vie privée est également expressément reconnu à l‘article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée. » 1022 Monique Ouellette, « Le Code civil du Québec et les nouvelles techniques de reproduction », dans Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Les aspects juridiques liés aux nouvelles techniques de reproduction, vol. 3, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1993, 693 à la p. 706 [Ouellette, « Nouvelles techniques »]; Voir également : Beaulne, supra note 92 à la p. 259. 310 la communication d‘informations nominatives et non nominatives concernant le donneur est interdite1023. Sonia Lebris souligne que le « Code civil du Québec, qui tend en général à favoriser la parenté sociologique, sans pour autant avoir donné une définition de la parenté, a opté en faveur de la confidentialité des renseignements nominatifs relatifs à la […] [procréation assistée], et a même entouré cette confidentialité de garanties supplémentaires »1024. De plus, pour Marie Pratte, « [p]rotéger la confidentialité des renseignements nominatifs relatifs à la procréation médicalement assistée est une position réaliste, qui respecte la volonté et la vie privée de chacun des participants, et assure l‘intimité et la paix familiale »1025. Quant à Monique Ouellette, entre, d‘une part, l‘opinion de ceux prônant l‘oubli du passé et l‘ignorance des liens génétiques (la véritable famille de l‘enfant étant sa famille sociale et juridique) et, d‘autre part, les opposants au secret, le législateur a finalement opté pour le compromis; les deux thèses étant appuyées par le meilleur intérêt de l‘enfant1026. Analysant les possibilités qu‘offre la procréation assistée, Benoît Moore constate que si le législateur québécois semble axer son régime sur l‘intérêt de l‘enfant, il reconnaît maintenant aux parents une marge de liberté en acceptant une certaine "privatisation" de la filiation1027. Cela recoupe leur appréciation dans la divulgation du mode de conception. 1023 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 363. Le Bris, supra note 51 à la p. 146. 1025 Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 299. 1026 Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 706. 1027 Moore, « Perspectives québécoises », supra note 741 à la p. 75. 1024 311 En 1988, dans son rapport sur les nouvelles techniques de reproduction, le Barreau du Québec a recommandé le maintien de la règle générale de l‘anonymat et du secret des origines afin de respecter la confidentialité du recours aux technologies de reproduction (le secret professionnel étant d‘ailleurs protégé par le droit québécois 1028) ainsi que la vie privée de toutes les parties. Ce dernier élément inclut le secret à l‘intérieur de la famille qui fait de la possibilité ou de l‘opportunité de révéler à l‘enfant les origines de sa naissance une décision personnelle. Le Barreau a néanmoins reconnu que des exceptions s‘appliquent lorsque la recherche des origines est nécessaire pour sauver une vie humaine ou lorsque l‘impossibilité de retrouver ses géniteurs entraîne pour l‘enfant des troubles psychologiques majeurs. Dans les deux cas, la recommandation du Barreau était conditionnelle à l‘obtention d‘une autorisation d‘un juge de la Cour supérieure et sans que des retrouvailles soient obligatoires. Celles-ci ne pourraient avoir lieu que dans les cas les plus graves, si le donneur y consent et selon les modalités les moins perturbantes possibles1029. Selon la position en définitive adoptée par le législateur québécois, le régime introduit par l‘article 5421030 diffère de celui retenu en matière d‘adoption, « notamment en ne donnant pas ouverture à la recherche des parents génétiques, en ne permettant pas aux proches de la personne ainsi procréée d‘invoquer un préjudice grave à leur santé et en ne levant la confidentialité que par l‘intermédiaire des autorités médicales 1028 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77, art. 9; Code des professions, L.R.Q. c. C-26, art. 87(3); Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2, art. 19. 1029 Barreau du Québec, « Rapport », supra note 68 aux pp. 26-27, 28-29 (recommandations 14 à 16). 1030 Code civil du Québec, supra note 18, art. 542. 312 concernées »1031. Ainsi, les données transmises ne seront qu‘à caractère médical, que si leur ignorance risque de causer un préjudice grave à la santé et suivant l‘intervention du tribunal et d‘un tiers1032. Ce dernier élément rend d‘une part le compromis recherché par le législateur beaucoup plus restrictif que dans la loi fédérale. Il restreint d‘autre part l‘hypothèse d‘interprétation du terme "santé" à la lumière de la jurisprudence sur l‘article 5841033 en matière d‘adoption pour y inclure la santé psychologique1034. En effet, selon Monique Ouellette, « si l‘obsession qui cause le trouble est provoquée justement par la nécessité de connaître le ou les parents biologiques, donneurs de gamètes, […] l‘information ne peut être communiquée parce qu‘elle est nominative et que la transmission doit être faite aux autorités médicales et non à la personne elle-même »1035. Qui plus est, si le second alinéa de l‘article 5421036 utilise le terme "droit" dans cette procédure d‘exception, il ne s‘agit que d‘un droit relatif et non d‘un droit absolu aux origines1037. Les informations obtenues concernant le donneur sont davantage la conséquence d‘un droit d‘obtenir des informations essentielles à la santé que d‘un droit à l‘identité1038. Il est finalement intéressant de noter que le Code civil du Québec1039 protège explicitement les intérêts du donneur en tant que tierce partie au processus reproductif. 1031 Commentaires du ministre dans Baudouin et Renaud, supra note 602 à la p. 182; Sur le caractère confidentiel des dossiers d‘adoption, voir le Code civil du Québec, supra note 18, art. 582-584. 1032 Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 707. 1033 Code civil du Québec, supra note 18, art. 584. 1034 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 364. 1035 Monique Ouellette, Droit de la famille, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1995 à la p. 90; Nous analyserons plus en détail cet aspect de la problématique dans les sections ci-dessous. 1036 Code civil du Québec, supra note 18, art. 542. 1037 Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 707. 1038 Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 1039 Supra note 18. 313 Confirmant que le géniteur n‘assume aucun statut parental, l‘article 538.2 alinéa 1 spécifie que la contribution au projet parental d‘autrui par un apport de forces génétiques à la procréation médicalement assistée ne permet de fonder aucun lien de filiation entre l‘auteur de la contribution et l‘enfant issu de cette procréation1040. « Le Code civil, par cette disposition, opte donc pour une filiation sociale ou volontaire plutôt que pour une filiation génétique. »1041 De fait, si la filiation par le sang ouvre la porte l‘établissement de la vérité biologique, comme en témoigne l‘article 535.1 du Code civil du Québec1042 en tant que mode de preuve par analyses génétiques lorsqu‘une filiation fait l‘objet d‘une action en justice, ses fondements reposent principalement sur la vérité sociale et affective de l‘enfant1043. Cela va jusqu‘à l‘occultation de la filiation biologique réelle lors du recours aux forces génétiques d‘un tiers1044. Un auteur en conclu qu‘il s‘agit de la 1040 Au Canada, en plus du Québec, seuls l‘Alberta, Terre-Neuve, le Labrador et le Yukon disposent de dispositions législatives semblables. Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 1041 Moore, « Perspectives québécoises », supra note 741 à la p. 67. 1042 Supra note 18, art. 535.1 : « Le tribunal saisi d'une action relative à la filiation peut, à la demande d'un intéressé, ordonner qu'il soit procédé à une analyse permettant, par prélèvement d'une substance corporelle, d'établir l'empreinte génétique d'une personne visée par l'action. Toutefois, lorsque l'action vise à établir la filiation, le tribunal ne peut rendre une telle ordonnance que s'il y a commencement de preuve de la filiation établi par le demandeur ou si les présomptions ou indices résultant de faits déjà clairement établis par celui-ci sont assez graves pour justifier l'ordonnance. Le tribunal fixe les conditions du prélèvement et de l'analyse, de manière qu'elles portent le moins possible atteinte à l'intégrité de la personne qui y est soumise ou au respect de son corps. Ces conditions ont trait, notamment, à la nature et aux dates et lieu du prélèvement, à l'identité de l'expert chargé d'y procéder et d'en faire l'analyse, à l'utilisation des échantillons prélevés et à la confidentialité des résultats de l'analyse. Le tribunal peut tirer une présomption négative du refus injustifié de se soumettre à l'analyse visée par l'ordonnance. » Si l‘article 535.1 du Code civil du Québec (ibid.) prévoit explicitement la possibilité que le tribunal ordonne les prélèvements nécessaires aux fins d‘analyses d‘ADN nécessaires à la preuve de la filiation (lors d‘une contestation ou d‘un établissement), le texte de loi ne dit rien sur l‘existence potentielle d‘un droit aux origines. Cet article est applicable si l‘identité du géniteur est connue afin que l‘enfant puisse invoquer son droit à l‘établissement de sa filiation. A.P. c. L.D., [2001] R.J.Q. 16. Aucun article n‘impose cependant aux parents de révéler l‘identité du donneur et ce, même s‘ils ont brisé le secret quant au mode de procréation de l‘enfant. 1043 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 356; Obadia, supra note 1006 aux pp. 520-521. 1044 « La possibilité de procréation assistée avec apport extérieur au couple a toujours été rendue possible par l‘occultation légalement acceptée de la véritable filiation biologique et par son remplacement par une filiation fictive, remplacement non vérifié judiciairement, par opposition à l‘adoption, et liée, dans le cas de la procréation médicalement assistée, à un secret des origines sans failles. » D.-Castelli et Goubau, supra note 1017 à la p. 238; Voir également : Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 292. 314 nouvelle approche à la filiation, soit celle de la « parentalité » ou du « parent d‘intention »1045. 2.2 Le silence de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation1046 Tout en reconnaissant la nécessité de prévenir l‘infertilité et de promouvoir la santé reproductive, cette loi « vise à protéger la santé des personnes et plus particulièrement celle des femmes ayant recours à des activités de procréation assistée qui peuvent être médicalement requises et celle des enfants qui en sont issus, dont la filiation est alors établie en vertu des dispositions du Code civil »1047. À cette fin, elle prétend encadrer les « activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée de manière à assurer une pratique de qualité, sécuritaire et conforme à l‘éthique. Elle vise aussi à favoriser l‘amélioration continue des services en cette matière. »1048 En outre, par activités de procréation assistée, le texte réfère à : « tout soutien apporté à la reproduction humaine par des techniques médicales ou pharmaceutiques ou par des manipulations de laboratoire, que ce soit dans le domaine clinique en visant la création d‘un embryon humain ou dans le domaine de la recherche en permettant d‘améliorer les procédés cliniques ou d‘acquérir de nouvelles connaissances. 1045 Beaulne, supra note 92 à la p. 254. Supra note 346; Sanctionnée le 19 juin 2009, la loi est partiellement en vigueur depuis le 5 août 2010. Voir : Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée (2009, c. 30) — Entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi, D. 643-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3229. Le règlement correspondant est également entré en vigueur : Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée, D. 644-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3278; Quant à la gratuité des services de procréation assistée, nous en retrouvons les détails dans : Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, supra note 346. 1047 Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, supra note 346, art. 1 al. 1. 1048 Ibid., art. 1 al. 2. 1046 315 Sont notamment visées les activités suivantes : l‘utilisation de procédés pharmaceutiques pour la stimulation ovarienne; le prélèvement, le traitement, la manipulation in vitro et la conservation des gamètes humains; l‘insémination artificielle avec le sperme du conjoint ou le sperme d‘un donneur; le diagnostic génétique préimplantatoire; la conservation d‘embryons; le transfert d‘embryons chez une femme. Toutefois, les procédés chirurgicaux qui visent à rétablir les fonctions reproductrices normales d‘une femme ou d‘un homme ne sont pas visés »1049 Dans sa première version, le projet de loi1050 n‘ajoutait rien sur la question des origines, ni même sur le traitement des informations de santé du donneur. Lors des consultations particulières et auditions publiques à la Commission permanente des affaires sociales en mars 2006, Édith Deleury, professeure émérite à la Faculté de droit de l‘Université Laval et présidente de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec, souleva pourtant la question du droit aux origines en soulignant que l‘on devrait remettre aussi en question les dispositions du Code civil du Québec1051 afin de s‘accorder avec le régime existant en matière d‘adoption1052. À l‘opposé, le Dr. François Bissonnette, obstétricien gynécologue à la clinique OVO de Montréal, s‘est ouvertement prononcé en faveur de la confidentialité1053. Dans le mémoire qu‘elle déposa 1049 Ibid, art. 2 (1). Voir : P.L. 89, supra note 958. 1051 Supra note 18, art. 542. 1052 Voir : Québec – Assemblée nationale, Commission permanente des affaires sociales, « Consultations particulières sur le projet de loi n° 89 ― Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d'autres dispositions législatives », dans Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, vol. 39, no 6, (30 mars 2006), En ligne : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cas-37-2/journal-debats/CAS060330.html> (Date d‘accès: 2 juillet 2010); C‘est également la recommandation de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie que dirige Professeure Deleury. Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 50. 1053 Québec – Assemblée nationale, Commission permanente des affaires sociales, « Consultations particulières sur le projet de loi n° 89 ― Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d'autres dispositions législatives », dans Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, vol. 39, no 4, (28 mars 2006), En ligne : 1050 316 au même moment, la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) qualifia quant à elle ce silence de faiblesse et suggéra la création d‘un mécanisme des donneurs de gamètes permettant aux enfants nés de ces dons de connaître leur identité tant humaine que génétique ou médicale1054. Légèrement remanié, le projet de loi fut représenté en décembre 2007 1055, puis en avril 20091056, en incluant cette fois un chapitre destiné à l‘encadrement des renseignements relatifs aux activités de procréation assistée. Si le régime applicable au cas d‘espèce demeure celui institué en vertu du Code civil du Québec1057, nous pouvons remarquer que la confidentialité des données demeure la philosophie dominante dans l‘esprit du législateur québécois. Tout d‘abord, en vertu de l‘article 42 : « Sous réserve du chapitre IV [(c'est-à-dire à des fin d‘inspection et de surveillance)], les renseignements contenus dans les formulaires, documents, rapports ou avis fournis au ministre en vertu de la présente loi ne doivent pas permettre d‘identifier une personne ayant eu recours à des activités de procréation assistée ou un enfant qui en est issu. Le ministre peut transmettre ces renseignements à toute personne ou à tout organisme à des fins d‘étude, de recherche ou de statistiques dans la mesure où ces renseignements ne permettent pas d‘identifier un centre de procréation assistée. »1058 <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cas-37-2/journal-debats/CAS060328.html> (Date d‘accès: 2 juillet 2010). 1054 Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), Mémoire de la Fédération du Québec pour le planning des naissances présenté à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d'autres dispositions législatives, 2006 à la p. 10, En ligne : voir http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/commissions/CAS/mandats/Mandat-3717/memoires-deposes.html (Date d‘accès: 2 juillet 2010). 1055 P.L. 23, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere session, 38e lég., Québec, 2007. 1056 P.L. 26, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere session, 39e lég., Québec, 2009. 1057 Supra note 18, art. 542. 1058 Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, supra note 346, art. 42. 317 Ensuite, selon l‘article 44 : « À des fin de surveillance continue de l‘état de santé des personnes ayant recours à des activités de procréation assistée ainsi que des enfants qui sont est issus, le ministre recueille des renseignements personnels ou non, conformément à la Loi sur la santé publique (L.R.Q., chapitre S-2.2). Parmi les renseignements recueillis, ceux qui permettent d‘identifier une personne ayant eu recours à des activités de procréation assistée ou un enfant qui en est issu ne peuvent être communiqués, même avec le consentement de la personne concernée, qu‘aux fins de la Loi sur la santé publique. »1059 Ainsi, nuls renseignements personnels concernant le donneur ne peuvent être transmis directement au couple bénéficiaire du don ou à l‘enfant qui en est issu1060. La seule possibilité demeure celle créée en vertu du Code civil du Québec1061 concernant l‘exception de santé advenant un préjudice grave et ne levant la confidentialité que par l‘intermédiaire des autorités médicales concernées1062. Une situation qui a d‘ailleurs soulevé des inquiétudes au Barreau du Québec en juin 20091063, marquant ainsi une évolution importante dans la position de l‘ordre professionnel des avocats depuis 20 ans. À cet égard, les autorités québécoises se sont récemment intéressées à l‘impact de la procréation assistée. À l‘automne 2007, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a donné à la Commission de l'éthique de l‘éthique de la science et de la technologie le mandat de susciter auprès d‘experts et de membres du public une 1059 Ibid., art. 44 Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée, supra note 1046, art. 15 (2). 1061 Supra note 18. 1062 Ibid., art. 542 al. 2. 1063 Voir : Barreau du Québec, « Position », supra note 49. 1060 318 discussion ouverte et pluraliste sur les enjeux éthiques de la procréation assistée1064. Cette discussion devait ultimement mener à la présentation de recommandations. Il fut décidé de se concentrer sur le don de gamètes (sperme et ovules) et le don d'embryons, la gestation pour autrui (mère porteuse) et le diagnostic préimplantatoire (DPI). Dans le cadre de son évaluation éthique, dont le rapport a été rendu public à l‘automne 2009, la Commission a ainsi procédé, entre le 3 septembre et le 3 octobre 2008, à une consultation publique électronique. Des consultations d‘experts eurent également lieu. En plus d‘un appel de mémoires auprès d‘une vingtaine d‘organismes, des audiences se tinrent à Montréal les 25 et 26 septembre 2008 ainsi qu‘à Québec le 3 octobre de la même année. À cette occasion, 15 experts provenant de diverses disciplines ont exposé leurs préoccupations et leurs positions relativement aux principaux enjeux éthiques de la procréation assistée1065. Dans le questionnaire destiné à la consultation publique, il fut notamment demandé de donner une priorité à la question de l‘anonymat 1066. Un total de 1066 questionnaires ont été remplis en ligne. Les répondants sont majoritairement des femmes 1064 Québec – Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Les travaux : Procréation assistée, En ligne : <http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=12&Itemid=23> (Date d‘accès : 2 juillet 2010). 1065 Ibid. 1066 « Question 25. L'anonymat des donneurs et le droit de connaître ses origines : L'État peut assurer l'anonymat des donneurs d'ovule et de sperme afin de protéger leur vie privée et permettre qu'il y ait peutêtre un plus grand nombre de dons pour répondre aux demandes des parents. Mais, ce faisant, il va à l'encontre du droit de l'enfant issu de la procréation médicalement assistée de retracer ses parents biologiques ou, éventuellement, de connaître la femme qui l'a porté. L'État, en tant que gardien de l'intérêt général, devrait-il plutôt privilégier le droit de tout enfant de connaître ses origines, comme c'est déjà le cas pour l'enfant adopté ? » Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Questionnaire utilisé lors de la consultation publique électronique sur la procréation assistée Tenue du 3 septembre au 3 octobre 2008, Québec, 2009, En ligne : voir <http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre 2009). 319 (82%) qui ont entre 30 et 44 ans (43%) et entre 18 et 29 ans (28%). Si près de la moitié (45%) des personnes ayant participé disent avoir eu au moins un enfant à la suite d‘une conception naturelle et que 20% ont eu recours à une technique de procréation assistée, il semble que les enfants issus de dons d‘engendrement aient été les grands absents de cette consultation. Les catégories identitaires les plus fortement représentées sont : les personnes hétérosexuelles dans un couple sans problème de fertilité (46 %); les personnes hétérosexuelles dans un couple infertile (28 %); les personnes hétérosexuelles célibataires sans problème de fertilité (12 %); les professionnels de la santé (11 %); les personnes homosexuelles désirant au moins un enfant (7 %); les personnes ayant parmi leurs proches une personne vivant avec une maladie génétique grave (5 %)1067. Les réponses furent partagées au sein de la population. Sur une échelle de 1 à 5, dont le niveau d‘importance va selon l‘ordre croissant des chiffres, nous remarquons un partage dans l‘intérêt que suscite la question de l‘anonymat et de la recherche des origines. Le pourcentage de répondants selon le degré d‘importance fut le suivant : 1 (importance la plus faible) : 11%; 2 : 10%; 3 : 25%; 4 : 23%; 5 (importance la plus élevée): 27%; abstention : 4%. La Commission souligne qu‘en découlent des commentaires contradictoires. Ainsi, la connaissance des origines serait justifiée pour être informé des antécédents médicaux, de l‘identité du donneur dans l‘intérêt psychologique des enfants ou pour éviter des problèmes de consanguinité, ou encore, afin que le géniteur 1067 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Consultation publique électronique sur la procréation assistée : Rapport adressé à la Commission de l’éthique de la science et de la technologie – Synthèse d’une étude réalisée par Florence Piron et Julie Dussault, Département d’information et de communication, Groupe de recherche-action sur la participation et la consultation publique, Université Laval, Québec, 2009 à la p. 5, En ligne : voir <http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre 2009). 320 assume certaines responsabilités. À l‘inverse, l‘anonymat est priorisé par d‘autres répondants dans le but de ne pas créer de lien de filiation entre les donneurs et les enfants issus d‘un don d‘engendrement, éviter les poursuites légales contre le donneur ou parce qu‘il s‘agit d‘une question de nature personnelle1068. Il est donc évident qu‘il existe une confusion entre l‘accès à l‘identité du donneur et le concept de filiation. Nous retrouvons ici l‘exemple parfait de l‘embrouillement que nous cherchons à éviter au chapitre 2 par la reconnaissance, en droit, du statut parent au donneur alors qu‘anonymat et filiation juridique n‘ont rien à voir l‘un avec l‘autre. Qui plus est, nous constatons que les répondants favorisant un droit aux origines en donnent une définition beaucoup plus large que la conception que nous en avons. De fait, dans le cadre de cette thèse, nous en limitons l‘application à l‘accès aux renseignements nominatifs et identifiants. Nous ne remettons pas en cause le fait que l‘enfant doit pouvoir accéder aux informations de nature médicale concernant le donneur. Nous soutenons même cette position qui ne fait pas partie de la quête des origines de l‘individu. En comparant l‘ensemble des priorités accordées aux questions de procréation assistée, les auteurs remarquent finalement qu‘avec l‘anonymat des donneurs et le droit de connaître ses origines, les enjeux ayant reçu les cotes les plus faibles sont ceux relatifs à l‘égalité des personnes seules et des homosexuels, et finalement, les enjeux relatifs au choix des caractéristiques du donneur. Par conséquent, ces questions apparaissaient comme moins importantes aux yeux des participants1069. Cela confirme la position québécoise sur le sujet et la décision du législateur de favoriser la vie privée du donneur. 1068 1069 Ibid. à la p. 20. Ibid. à la p. 23. 321 L‘exception de santé constitue un pas dans la direction des intérêts de l‘enfant, mais cette information est de nature médicale et n‘est transmise qu‘au personnel médical. Ayant présenté l‘état du droit quant à l‘anonymat des donneurs dans les paysages canadien et québécois, force est de constater les différences existant entre les deux régimes. Le Code civil du Québec1070 étant plus restrictif que la Loi sur la procréation assistée1071 existe-t-il un conflit d‘interprétation ou de normes entre les deux juridictions? Le jugement de la Cour suprême du Canada qui rend ultra vires les articles 15 (4) et 18 (3) de la Loi sur la procréation assistée1072 rend cette question théorique1073. Par contre, compte tenu de l‘importance du sujet et de la différence entre les positions canadienne et québécoise, quelle aurait été la réponse si la constitutionnalité du régime fédéral en matière de renseignement sur les donneurs avait été maintenue? 3- CONFLIT D’INTERPRÉTATION ENTRE LES DEUX JURIDICTIONS SUR LA QUESTION DE L’ANONYMAT DES DONS? Les différences entre les régimes québécois et canadien ne vont pas sans créer des conflits d‘interprétation souligne Michelle Giroux1074. De l‘avis de l‘auteure, sous l‘angle de la présomption de validité des lois et, par conséquent, de l‘incompatibilité entre le Code civil du Québec1075 et la Loi sur la procréation assistée1076, « le C.c.Q. semble 1070 Supra note 18. Supra note 22. 1072 Ibid. 1073 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24. 1074 Michelle Giroux, « Le droit fondamental de connaître ses origines biologiques : impact des droits fondamentaux sur le droit de la filiation », (2006) R. du B. / Numéro thématique hors série 257 aux pp. 266267 [Giroux, « Impact des droits fondamentaux »]. 1075 Supra note 18. 1071 322 incompatible avec la loi fédérale puisqu‘il va à l‘encontre de son objet ou esprit. En effet, le premier part du principe de la confidentialité des données, et la seconde a comme fondement le droit d‘accéder aux informations sur les origines. Alors, en cas de litige, la loi fédérale devra prévaloir. »1077 Afin de bien comprendre la nature de cet argument, il importe de revisiter quelques préceptes de droit constitutionnel et d‘interprétation des lois. Ainsi, en vertu du principe de la prépondérance fédérale utilisé en droit constitutionnel, il est établi que la législation qu‘adopte validement l‘autorité centrale est prépondérante et prime sur toute législation provinciale également valide, les rendant incompatibles1078. Il s‘agit d‘un principe de droit non écrit puisqu‘il n‘est pas inscrit dans la Constitution. La jurisprudence l‘a néanmoins appliqué de façon constante1079. Cette primauté des lois fédérales ne rend pas automatiquement inopérante toute législation provinciale dans le même domaine; en l‘occurrence, en ce qui concerne la question de l‘anonymat des donneurs. Pour que cela survienne, encore faut-il qu‘il y ait un conflit de normes entre ces deux lois. Cela n‘est envisageable que si le degré d‘incompatibilité fait en sorte que le conflit est irréductible, tel que l‘application concomitante ou complémentaire 1076 Supra note 22. Giroux, « Impact des droits fondamentaux », supra note 1074 à la p. 293; Rappelons que dans une publication plus récente, l‘auteure tempère toutefois son propos en spécifiant que le droit aux origines requiert une garantie explicite dans les lois canadiennes. Voir : Giroux et DeLorenzi, supra note 87. 1078 Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002 à la p. 457. 1079 Ibid.; Les auteurs renvoient aux exemples suivants : Affaire des cessions volontaires, [1894] A.C. 189 aux pp. 200-201; A.-G. Canada c. A.-G. British Columbia, [1930] A.C. 111 à la p. 118; A.-G. British Columbia c. Smith, [1967] R.C.S. 702; P.G. Canada et Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770 à la p. 794. 1077 323 impossible1080. Le fait que la loi provinciale comporte des exigences plus sévères que la loi fédérale, ou des exigences additionnelles, n‘entraîne pas automatiquement d‘incompatibilité opérationnelle1081. Il en va par contre autrement lorsque l‘observance des deux législations entraîne des obligations contradictoires. Il faut donc que l‘observance d‘une loi entraîne l‘inobservance de l‘autre. La conséquence du conflit de lois n‘est pas un vice radical qui rendrait la loi provinciale nulle comme l‘est une loi invalide. Elle n‘est qu‘inopérante et privée d‘effet1082. En matière d‘interprétation des lois, la présomption de validité établit également que, lorsqu‘une loi provinciale est inconciliable avec une loi fédérale, elle n‘est pas invalidée, mais rendue inopérante et privée d‘effets en droit. L‘expression abrogation tacite, parfois utilisée pour décrire le phénomène, n‘est donc pas appropriée. PierreAndré Côté précise toutefois que le « principe de l‘effet utile voudrait que l‘on prête au législateur l‘intention non seulement de ne pas adopter des lois invalides, mais qui de plus ne soient pas sans effet en raison d‘un conflit avec une loi fédérale »1083. La présomption de « validité opérationnelle » des lois provinciales, telle que nommée par l‘auteur1084, n‘aurait toutefois pas été applicable en l‘espèce. 1080 Brun et Tremblay, supra note 1078 aux pp. 457-458; Le degré d‘incompatibilité a été établi dans Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161 à la p. 191. 1081 Brun et Tremblay, supra note 1078 à la p. 458; C‘est une exigence qui découle notamment de Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 aux pp. 963-964. 1082 Brun et Tremblay, supra note 1078 à la p. 461. 1083 Côté, avec la collaboration de Beaulac et Devinat, supra note 574 à la p. 438. 1084 Ibid. 324 Il nous apparaît effectivement difficile d‘affirmer l‘existence d‘un conflit de lois entre le Code civil du Québec1085 et la Loi sur la procréation assistée1086 en matière d‘anonymat1087. Le code est certes plus restrictif, mais cela ne semble pas suffisant pour défendre l‘existence d‘un conflit opérationnel évident à la face même de ces deux législations. Aussi, pouvons-nous affirmer que l'application de la loi provinciale aurait eu pour effet de déjouer l'intention du Parlement fédéral1088 ou de contrecarrer son objectif1089? Nous croyons que la Loi sur la procréation assistée1090 reconnaît, jusqu‘à un certain degré, tant le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers donneur. L‘objectif étant la recherche d‘un compromis1091. Le législateur canadien permet la communication de l‘identité du donneur si ce dernier y consent et le législateur québécois n‘autorise que la transmission d‘information de nature médicale dans le cadre de son exception de santé. En étant plus restrictif, le Code civil du Québec1092 n‘aurait pas contrecarré ou n‘aurait pas forcément déjoué l‘intention du législateur fédéral puisqu‘il permet la divulgation d‘une certaine information. Nous conclurons en nous demandant si loi provinciale ne comporte pas simplement que des exigences plus sévères que dans la Loi sur la procréation assistée1093. 1085 Supra note 18. Supra note 22. 1087 Toutefois, si nous appliquons le raisonnement de Michelle Giroux quant à l‘existence d‘un droit fondamental aux origines indirectement reconnu par les textes constitutionnels canadien et québécois, nous pourrions toutefois conclure que le droit québécois pourrait être légitimement contesté pour cause d‘incompatibilité avec le droit aux origines. Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384. 1088 Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, 1990 CanLII 157 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1990/1990canlii157/1990canlii157.html> (Date d‘accès: 4 novembre 2010). 1089 Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67 (CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2001/2001csc67/2001csc67.html> (Date d‘accès : 4 novembre 2010). 1090 Supra note 22. 1091 Rivard et Hunter, supra note 960 aux pp. 62 et 71. 1092 Supra note 18. 1093 Supra note 22. 1086 325 Les points 1 à 3 dressent un tableau détaillé de l‘état du droit canadien et québécois. Nous y constatons que la loi fédérale reconnaît, jusqu‘à un certain degré, tant le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers donneur. Quant à la loi québécoise, elle se concentre irrémédiablement sur le droit à la vie privée du donneur en interdisant la transmission d‘informations relatives à la procréation assistée, sauf exception de santé. Qui plus est, il n‘existe pas, selon notre interprétation des textes juridiques, de conflit d‘interprétation entre eux. Nous concluons notre analyse par une critique de la place accordée à l‘éthique de la sollicitude dans l‘évolution du cadre législatif canadien et québécois. 4- DROIT CANADIEN, DROIT QUÉBÉCOIS, INTERNORMATIVITÉ ET ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE : CRITIQUE Nous constatons, en premier lieu, que nulle part dans la doctrine canadienne et québécoise analysant la question juridique de l‘anonymat des dons d‘engendrement il n‘est fait de référence à la terminologie de notre cadre théorique. Ni l‘internormativité ni l‘éthique de la sollicitude n‘y apparaissent explicitement. Certes, quelques phénomènes d‘internormativité sont observables à l‘échelle nationale. La Loi sur la procréation assistée1094 contient à son article 2 des principes qui démontrent une influence directe de l‘éthique et qui doivent guider l‘interprétation du texte législatif. Le plus évident est le fait que la santé et le bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions concernant l'usage de celles-ci. C‘est d‘ailleurs là une application du principe directeur de "protection des personnes vulnérables" que nous 1094 Ibid. 326 utilisons dans notre grille d‘analyse de l‘éthique de la sollicitude en matière de procréation assistée. Néanmoins, malgré cette absence terminologique, les législateurs canadien et québécois ont-ils adopté une dimension relationnelle tenant compte de l‘interdépendance entre les individus? Y ont-ils accordé une priorité dans le processus législatif? En consacrant au rang de règle de droit l‘anonymat des donneurs, sauf exception, il nous apparaît évident que les législateurs canadien et québécois n‘ont pas accordé à l‘approche relationnelle toute la place qu‘elle devrait occuper. Dans le lien parents – enfant, relation qui au Québec est reconnue et renforcée par des dispositions assurant la filiation de l‘enfant et des parents et, excluant définitivement tout doute à ce sujet concernant le donneur1095, tous s‘entendent sur le maintien du secret du mode de conception. Un auteur fait en ce sens référence à la "privatisation" de la filiation et à l‘autonomie des parents, mais de manière générale cela ne fait même pas l‘objet d‘un débat. Qu‘il n‘y ait pas de renvoi direct à l‘éthique de la sollicitude dans ce contexte importe peu car le résultat est de toute façon le même. Le secret des parents est favorisé et prend la forme d‘un privilège de réserve balisé par une obligation morale et un "counseling". Procréation assistée Canada consacre d‘ailleurs une partie de son site Internet à ce point afin de conscientiser et de responsabiliser le donneur quant aux conséquences du don1096. Bref, le privilège de réserve des parents n‘a pas à être codifié dans la loi. En n‘imposant pas la divulgation du mode de conception, nous ne pouvons 1095 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538 à 539. Procréation assistée Canada, Donneurs : Counseling des donneurs, En ligne: <http://www.ahrcpac.gc.ca/v2/donors-donneurs/counselling-counseling-fra.php> (Date d‘accès 4 novembre 2010). 1096 327 que présumer qu‘il est dans l‘intention du législateur de laisser cela à la discrétion des parents. C‘est davantage au lien donneur – enfant que nous devons nous intéresser car c‘est là que se trouve l‘intervention du législateur afin de faire évoluer la règle de droit. Nous concluons au chapitre 2 que l‘équilibre entre les intérêts des donneurs et ceux des enfants issus d‘un don d‘engendrement commande la suppression de l‘anonymat. Or, où positionner l‘approche du législateur en matière de dons de gamètes et de renseignements nominatifs? Dans quelle mesure est-elle en harmonie avec l‘éthique de la sollicitude? De fait, ci haut, nous émettons l‘opinion selon laquelle la Loi sur la procréation assistée1097 reconnaît jusqu‘à un certain degré chacun des droits, tant à l‘égard de l‘enfant et ses origines que du tiers donneur et sa vie privée. C‘est justement ce "à un certain degré" qui retient notre attention. À première vue, cela donne l‘impression qu‘un équilibre est atteint entre les intérêts de tous les acteurs en présence. D‘ailleurs, la formule du double guichet laisse aux parents l‘autonomie de choisir entre un donneur anonyme ou non. Ce dernier a également son mot à dire en acceptant ou non que son identité soit dévoilée. Ce n‘est toutefois pas respectueux de l‘éthique de la sollicitude qui a pour objet l‘interdépendance des individus et donc, les relations humaines et la contextualisation des besoins de chacun. La sollicitude consiste à identifier une source d‘obligation dans les sentiments d‘empathie pour autrui et la responsabilité qui devrait corrélativement en découler. La personne est donc définie non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui. Si nous analysons de plus près les intérêts et les besoins de chaque acteur, nous constatons que le double guichet, principalement dans le lien donneur – 1097 Supra note 22. 328 enfant, ne respecte pas cette logique puisque la prise en compte de l‘enfant en tant qu‘acteur interdépendant n‘est pas pleine et entière. Force est de conclure que, malgré l‘existence d‘un phénomène d‘internormativité, le législateur fédéral n‘accorde pas une si grande priorité à l‘approche relationnelle dans l‘élaboration de sa règle de droit. Nous ne pouvons donc pas affirmer que la loi canadienne utilise une approche internormative avec l‘éthique de la sollicitude. Si elle le faisait, cela mènerait à une abolition du double guichet. Le droit québécois est encore plus strict et la relation donneur – enfant, outre son respect de la logique filiale excluant tout lien de filiation juridique entre eux 1098, n‘y reçoit aucun écho en ce qui concerne un droit aux origines qui se fonde sur l‘éthique de la sollicitude. Dans la doctrine, les opinions sont variées sur les raisons ayant motivé le législateur. Cela va du respect de la vie privée du donneur, au respect de la famille, en passant par l‘intérêt de l‘enfant. Néanmoins, cela se ramène toujours à la protection de l‘identité du donneur qui est totale. L‘exception de santé ne permet de lever la confidentialité que par l‘intermédiaire des autorités médicales qui ne pourront rien divulguer à l‘enfant. Telle que décrite par le législateur québécois, cette exception est à ce point restrictive, stricte et non soucieuse des relations interpersonnelles qu‘elle ne permet pas d‘interpréter la condition du préjudice grave à la santé pour y inclure la santé psychologique puisque de toute façon on restreint la divulgation aux autorités médicales. 1098 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2. 329 Quant à l‘avis rendu par la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec1099, s‘il a été sollicité par les autorités gouvernementales, il ne correspond en rien à un souhait du législateur de prioriser les relations d‘interdépendance entre les acteurs du don d‘engendrement. Comme ce fut le cas au niveau fédéral avec la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, nous considérons toutefois que l‘avis de la Commission québécoise de l‘éthique de la science et de la technologie fait partie de la première étape du modèle de construction de la règle de droit, tel que décrit en section 3 du chapitre 1, lorsque l‘éthique est appréhendée par l‘auteur de la norme juridique. Cela concorde d‘ailleurs avec la mission de la Commission québécoise qui est d‘être « un lieu d‘élaboration et d‘expression des choix collectifs […] [qui] agit également comme un organe d‘information et de sensibilisation auprès du grand public, du gouvernement et des milieux spécialisés »1100. Elle « conseille le gouvernement et les organismes concernés relativement aux besoins de formation en éthique de la science et de la technologie »1101. Par contre, pour ce qui est de l‘éthique de la sollicitude, la seconde étape du modèle de construction de la règle de droit est, nous semble-t-il, inexistante. En effet, non seulement l‘avis de la Commission ne réfère nullement à l‘éthique de la sollicitude, mais nous ne constatons pas d‘intégration dite "diffuse" de ses principes directeurs dans la loi afin qu‘il y en ait une réception matérielle. 1099 Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9. Québec – Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, La CEST – LA MISSION : Réfléchir /Animer /Baliser, En ligne : http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=3&Itemid=8 (Date d‘accès : 4 novembre 2010). 1101 Ibid. 1100 330 La question du droit aux origines n‘est pourtant pas complètement absente du discours juridique québécois. Dans l‘affaire A.P. c. L.D.1102, le tribunal a tenu pour acquis que dans les circonstances de l‘espèce, c‘est-à-dire le refus de se soumettre à un test d‘ADN en matière de paternité, qu‘il était l‘intérêt de l‘enfant de connaître ses parents biologiques et il a affirmé « le droit fondamental à connaître ses parents »1103. Il est par contre impératif de faire une distinction entre les faits de l‘affaire et le don d‘engendrement. La Cour a spécifié que dans le contexte des faits de A.P. c. L.D.1104 et, de façon générale, il est dans l‘intérêt d‘un enfant de voir sa filiation reconnue1105. C‘est pour cette raison que le juge a ordonné, en présence d‘une action concernant l‘état de l‘enfant, que le père potentiel ou "affirmé" se soumette à une analyse permettant, par prélèvement de substance corporelle, d‘établir l‘empreinte génétique de ces personnes. Le raisonnement développé dans A.P. c. L.D.1106 ne peut être appliqué au contexte du don de forces génétiques concernant l‘aspect spécifique de l‘anonymat. La filiation de l‘enfant n‘est alors nullement remise en cause et, relativement au donneur, il ne s‘agit pas de faire reconnaître un parent légal. Bien que les deux concepts soient souvent confondus, la question de l‘anonymat se distingue de celle de la filiation puisque le géniteur n‘est pas un parent au sens de la loi1107. Ce dernier est un ancêtre directe alors que le parent agit en tant que père ou mère en assumant les responsabilités de gardien de l‘enfant. La majorité du temps, ces deux rôles s‘incarnent en une seule et même personne, mais pas 1102 A.P. c. L.D., supra note 1042. Ibid. au par. 42. 1104 Ibid. 1105 Michelle Giroux, « Test d‘ADN et filiation à la lumière des développements récents : dilemmes et paradoxes », (2002) 32 R.G.D. 865 à la p. 882. 1106 Supra note 1042. 1107 Quoique la question de la procréation amicalement assistée, prévue au paragraphe 2 de l‘article 538.2 du Code civil du Québec (supra note 18) puisse soulever des questions sur ce point. 1103 331 toujours1108. Il ne serait pas dans la logique du don d‘engendrement et de la loi elle-même d‘accorder au géniteur le statut de parent. Il est néanmoins pertinent de souligner que dans A.P. c. L.D.1109, le juge accorde, dans son raisonnement, une place primordiale à l‘intérêt de l‘enfant et met au second rang l‘inviolabilité du parent à subir un test génétique1110. Sans prétendre qu‘il en découle une réflexion de type sollicitude basée sur les relations interpersonnelles et interdépendantes, cela pourrait avoir une influence certaine sur la primauté d‘un droit fondamental aux origines en matière de dons d‘engendrement et d‘anonymat. Dans cette affaire, le juge cherche la solution la plus juste et la plus équitable en cas de conflits entre deux droits fondamentaux en se fondant sur l‘article 1 de la Charte canadienne1111 et l‘article 9.1 de la Charte québécoise1112, 1113. Il est donc possible que, dans la balance entre les intérêts de tous les acteurs participant à la problématique de l‘anonymat, une priorité soit accordée à l‘accès aux origines plutôt qu‘au droit à la vie privée du donneur. La question demeurant somme toute doctrinale et à constater le refus de la juge dans l‘affaire Pratten de reconnaître une protection constitutionnelle du droit aux origines1114, une analyse basée sur l‘internormativité et l‘éthique de la sollicitude viendrait en définitive soutenir l‘approche des droits fondamentaux de la personne de l‘enfant telle qu‘initiée dans A.P. c. 1108 Giroux et DeLorenzi, supra note 87. Supra note 1042. 1110 Ibid. au para. 39. 1111 Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84. 1112 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77. 1113 A.P. c. L.D., supra note 1042 au para. 40. 1114 Voir Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011); Ce jugement se base également sur le meilleur intérêt de l‘enfant. 1109 332 L.D.1115 et qu‘adoptent déjà d‘autres auteurs en se fondant sur les textes constitutionnels1116. En reconnaissant dans la loi un droit aux origines, l‘enfant se situe au bout du compte dans son arbre généalogique s‘il en ressent le besoin. Un trait est également tiré sur ces visions du droit qui organisent le mensonge dans l‘organisation filiale de l‘enfant lorsque le don d‘engendrement se trouve classifié dans le système de filiation charnelle. Marie Pratte dit par exemple du système juridique québécois que le législateur masque la vérité biologique et respecte la volonté du couple stérile et du donneur en permettant la constitution d‘une filiation paternelle mensongère. Le montage serait sans faille et l‘illusion parfaite : le droit reconnaît la paternité du conjoint infertile et nie celle du géniteur1117. Pourtant, en permettant l‘accès à l‘identité du géniteur et en faisant une distinction avec le statut de parent, le législateur n‘a pas à bouleverser toutes les règles en matière de filiation, respecte l‘objectif du don et la nécessité de mettre l‘information nominative et identifiante sur le géniteur à la disposition de l‘enfant si celui-ci en constate la nécessité. En introduction de cette thèse, nous mentionnons que de s‘interroger sur une modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous 1115 Supra note 1004. Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 384 et ss.; Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-24 à 2-29. 1117 Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 551. 1116 333 avons par ailleurs déjà démontré que la Loi sur la procréation assistée1118 s‘inspire des modèles législatifs adoptés par ces deux pays1119. Aussi, dans les deux sections qui suivent, nous procédons à l‘analyse internormative de ces pays afin de mieux commenter et critiquer la position adoptée par le Canada et le Québec. SECTION 2 : UN PAYS EN PLEINE ÉVOLUTION, LA FRANCE L‘éthique de la sollicitude impose l‘abolition de l‘anonymat. Quoiqu‘en pleine évolution législative, la France ne répond pas à cette condition. Afin de démontrer clairement notre propos, nous exposons dans un premier temps l‘état du droit détaillé applicable à la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement en France. Nous remarquons notamment que la procréation assistée avec tiers donneur ne peut que constituer un remède médical à l‘infertilité. La loi encadre des activités médicales et, en aucun cas, le don de gamètes ne constitue une option de procréation selon le libre choix des couples. Nous découvrons, dans un deuxième temps, une institution tout à la fois connexe et différente en ce qui concerne les débuts de la vie et l‘anonymat des ascendants : l‘accouchement sous X. Cela a un impact direct sur la question des origines. Finalement, avant de procéder à l‘analyse critique au regard de l‘éthique de la sollicitude par le biais de l‘internormativité, nous faisons état du contexte actuel d‘évolution du droit puisque la France est en pleine révision de sa loi en matière de bioéthique. 1118 1119 Supra note 22. Voir : Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23 à la p. 462. 334 1- LA DISTINCTION FRANÇAISE : LE CRITÈRE MÉDICAL COMME CONDITION D’ACCÈS À LA PROCRÉATION ASSISTÉE La législation française en matière de bioéthique se différencie avant tout par la distinction qu‘elle opère entre l‘assistance médicale à la procréation (AMP) et la procréation médicalement assistée (PMA). La première intervient en amont du processus reproductif et réfère aux techniques d‘aide à la procréation1120, et la seconde se manifeste lorsque l‘enfant est conçu1121. La ligne de temps influence l‘appellation juridique utilisée1122, mais celle-ci traduit, dans les deux cas, les moyens mis en œuvre et la finalité des techniques visant à soutenir les couples dans leur démarche parentale. Les conditions d‘accès à l‘AMP à la française sont très strictes. Seuls les couples hétérosexuels ayant un projet parental peuvent y avoir recours et les actes effectués afin de les aider à avoir des enfants sont, en vertu de la loi, médicaux1123. C‘est également pour cette raison que le législateur distingue l‘AMP et de la PMA, c‘est-à-dire afin de souligner que la loi régit des activités médicales et non la procréation elle-même1124. Concernant les gamètes, les donneurs doivent entre autres avoir déjà procréé (s‘ils sont en couple, le consentement du conjoint est également recueillis)1125 et le don dirigé est 1120 Elle est définie à l‘article L. 2141-1 al. 1 du Code de la santé publique : « L'assistance médicale à la procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis de l'Agence de la biomédecine. ». 1121 La procréation médicalement assistée est identifiée à l‘article 311-19 du Code civil qui fait référence à l‘absence de lien de filiation en cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur. 1122 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112. 1123 Voir les articles l‘art. L. 2141-2, L. 2141-6 et L. 2141-7 du Code de la santé publique. 1124 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112. 1125 Art. L. 1244-2 Code de la santé publique. 335 interdit1126. Dans ce dernier cas, l‘objectif du législateur est d‘affirmer l‘impossibilité pour le couple receveur de désigner nominativement la personne dont il souhaite recevoir les gamètes. Cela vise notamment le don intra familial1127. Les conditions d‘accès à l‘assistance médicale à la procréation mettent la table à la sévérité du régime adopté en matière de don d‘engendrement où l‘anonymat est, en l‘état actuel du droit, maître mot. 2- ÉTAT DU DROIT EN MATIÈRE DE DON D’ENGENDREMENT : LE PRIMAT DE L’ANONYMAT ET DU SECRET En France, les dons de gamètes et d‘embryons sont soumis à la règle de l‘anonymat au même titre que l‘ensemble des dons d‘organes ou des produits du corps humain1128. Certains soulignent pourtant que les gamètes, s‘ils sont sans doute des objets, conservent une fonction corporelle spécifique ne permettant pas de les assimiler au sang ou aux autres organes. Leur vocation naturelle est d‘être à l‘origine d‘un autre être humain et à la source d‘informations (e.g. génétiques) sur les êtres humains, donneurs, enfants et receveurs, etc.1129 Il n‘y a pas que deux personnes d‘impliquées, mais au minimum trois : le donneur, le receveur et l‘enfant1130. L‘anonymat est donc déterminé en 1126 Art. L. 1211-3 (principe général) et L. 1244-7 al. 1 Code de la santé publique. « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7. 1128 Valérie Depadt-Sebag, « Le don de gamètes ou d‘embryons dans les procréations médicalement assistée : d‘un anonymat imposé à une transparence autorisée », dans Recueil Dalloz, 2004 à la p. 891, En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009). 1129 Catherine Labrusse-Riou, « L‘échange de gamètes humains : de la pratique au droit », (1995) LAENNEC 16 à la p. 16 [Labrusse-Riou, « Échange »]. 1130 Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111. 1127 336 vertu de la règle générale des articles 16-8 du Code civil1131 et de L. 1211-5 du Code de la santé publique1132. Le cas particulier du don d‘embryons est couvert par l‘article L. 21416 du Code de la santé publique1133. Ces dispositions législatives précisent que l‘unique dérogation à l‘anonymat est l‘exception de santé où seul le médecin a accès aux renseignements requis. Les règles générales du don et de l‘utilisation des produits du corps humain prévoient ainsi, qu‘en cas de nécessité thérapeutique, exclusivement les médecins peuvent se voir transmettre de l‘information permettant d‘identifier le donneur. Les normes spécifiques au don d‘engendrement opèrent par contre un resserrement en stipulant qu‘un médecin visé par l‘exception de santé ne peut accéder qu‘aux données non identifiantes et ce, s‘il en va de la santé d‘un enfant conçu à partir de gamètes issus de don 1134. Une disposition semblable existe pour les dons d‘embryons1135. L‘interprétation de l‘exception de santé suscite des doutes dans la doctrine. Le concept de nécessité thérapeutique serait plus restreint que celui de nécessité médicale, mais une interrogation demeure quant à savoir si une nécessité thérapeutique englobe 1131 Art. 18-6 Code civil : « Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur. En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. ». 1132 Art. L. 1211-5 Code de la santé publique : « Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique. ». 1133 Art. L. 2141-6 al. 3-4 Code de la santé publique : « Le couple accueillant l'embryon et celui y ayant renoncé ne peuvent connaître leurs identités respectives. Toutefois, en cas de nécessité thérapeutique, un médecin pourra accéder aux informations médicales non identifiantes concernant le couple ayant renoncé à l'embryon. ». 1134 Art. L. 1244-6 Code de la santé publique. 1135 Art. L. 2141-6 al. 4 Code de la santé publique. 337 celle d‘ordre psychologique1136. Pareille interprétation, où l‘enfant est malade des suites du secret, ne pourrait pourtant donner lieu, en vertu de la loi, qu‘à une communication d‘informations non identifiantes puisque « [l]‘identité du donneur (ou du couple dans l‘accueil d‘embryon) n‘est connue que de l‘équipe médicale et conservée sous forme codée dans le dossier »1137. Les dossiers de procréation médicalement assistée sont complètement séparés de l‘ensemble des dossiers médicaux de l‘hôpital et sont conservés dans les Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS) qui sont les seuls à pouvoir opérer le décodage1138. Cela fait d‘ailleurs souvent dire que l‘anonymat n‘est que partiel parce que dirigé vers certains individus alors que d‘autres 1136 Marie-France Nicolas-Maguin, « L‘enfant et les sortilèges : réflexions à propos du sort que réservent les lois sur la bioéthique au droit de connaître ses origines », dans Recueil Dalloz, 1995 à la p. 75, En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009). 1137 F. Dreifuss-Netter, « La connaissance des origines en droit français », (2002) 9 : Suppl 2a Archives Pédiatriques 277 à la p. 278s [Dreifuss-Netter, « Connaissance »]. 1138 Voir art. R. 1244-5 Code de la santé publique : « Pour remplir les obligations prévues à l'article L. 1244-6, les organismes et établissements de santé autorisés pour les activités mentionnées au d du 1° et au c et d du 2° de l'article R. 2142-1 conservent des informations sur le donneur. Le dossier du donneur contient, sous forme rendue anonyme : 1° Les antécédents médicaux personnels et familiaux nécessaires à la mise en oeuvre de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ; 2° Les résultats des tests de dépistage sanitaire prévus aux articles R. 1211-25 et R. 1211-26 ; 3° Le nombre d'enfants issus du don ; 4° S'il s'agit d'un don de sperme, la date des dons, le nombre de paillettes conservées, la date des mises à disposition et le nombre de paillettes mises à disposition ; 5° S'il s'agit d'un don d'ovocyte, la date de la ponction et le nombre d'ovocytes donnés ; 6° Le consentement écrit du donneur et, s'il fait partie d'un couple, celui de l'autre membre du couple ; Les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa, conformément à l'article L. 2142-11, sont responsables de la bonne tenue du dossier et de l'exactitude des informations qui y sont consignées. Ce dossier est conservé pour une durée minimale de quarante ans et quel que soit son support sous forme anonyme. L'archivage est effectué dans des conditions garantissant la confidentialité. Le donneur doit, avant le recueil ou le prélèvement des gamètes, donner expressément son consentement à la conservation de ce dossier. Les informations touchant à l'identité des donneurs, à l'identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à ces informations. »; Voir également : art. R. 1244-6 Code de la santé publique : « En vue de se conformer aux prescriptions de l'article L. 1244-4 et pour permettre l'accès aux informations médicales dans les conditions prévues à la deuxième phrase de l'article L. 1244-6, l'établissement ou l'organisme conserve toute information relative à l'évolution des grossesses induites par un don de gamètes, y compris leur éventuelle interruption, la date de naissance et l'état de santé des nouveau-nés et des enfants. ». 338 possèdent l‘information identifiante1139. « Ce détenteur du secret est donc placé en situation de puissance, de toute puissance même, du fait de ses obligations légales et ce vis-à-vis des principaux intéressés que sont donneurs et receveurs. »1140 Qui plus est, le caractère fondamental du principe d‘anonymat en matière d‘AMP est renforcé par l‘adoption d‘une disposition dans le Code pénal français en vertu de laquelle « [l]e fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende »1141. Le droit québécois ne fait pas de mention explicite de la protection du secret des parents, mais l‘état du droit français permet de bien constater une opacité distinctive entre le mode de conception et la question de l‘anonymat. De fait, « [l]es époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l'intervention d'un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation »1142 (Nous soulignons). Les parents 1139 « Il ne s‘agit d‘un anonymat absolu qu‘entre donneur et receveur et d‘un anonymat relatif à l‘égard de l‘institution médicale, tiers instruit. » Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 14. 1140 Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 83. 1141 Art. 511-10 Code pénal. Le législateur français réglemente beaucoup par renvoi. Aussi, cet article de loi est repris à l‘article L. 1273-3 Code de la santé publique. Il faut noter qu‘en France il n‘y a pas de partage des compétences comme au Canada. Aussi, il n‘y a pas lieu de se demander si le législateur est intervenu dans le domaine de la procréation assistée en vertu d‘une compétence en matière de droit pénal (la France ne distingue pas le droit pénal du droit criminel) ou civil. 1142 Art. 311-20 al. 1 Code civil; Voir également art. 1157-2 Code de procédure civile : « Les époux ou concubins qui recourent à une assistance médicale à la procréation nécessitant l'intervention d'un tiers donneur, prévue à l'article 311-20 du code civil, y consentent par déclaration conjointe devant le président du tribunal de grande instance de leur choix ou son délégué, ou devant notaire. La déclaration est recueillie par acte authentique hors la présence de tiers. 339 n‘ont donc aucune obligation légale de dévoiler à l‘enfant son mode de conception qui demeure entièrement lié à la sphère privée du couple. Bien au contraire, cela leur est certifié dans la loi. L‘encadrement législatif de l‘anonymat des dons dans trois codes différents ainsi que cette garantie législative d‘un droit au secret quant au mode de conception confirment en somme le caractère essentiel de ces deux principes en France pour en arriver à un gommage total de l‘acte d‘engendrement afin de l‘insérer dans le processus naturel de la vie1143. L‘entérinement par le législateur du principe d‘anonymat s‘inscrit dans la continuité d‘une longue tradition découlant de la pratique médicale en matière de procréation assistée1144. Dès le milieu du 19e siècle et jusque dans les années 70, en France, les dons de sperme étaient pratiqués de manière clandestine du fait des réactions d‘ordre moral qu‘ils suscitaient. La création des CECOS eut pour objectif de répondre à une triple finalité : faciliter, encadrer l‘insémination artificielle avec donneur et développer les recherches sur la procréation humaine1145. En 1973, lors de la mise en place de ces organismes par Georges David, leur charte prévoyait déjà l‘anonymat. En l‘absence d‘une loi spécifique, le secret absolu de l‘identité des donneurs s‘était élevé au statut de règle de conduite chez les praticiens. L‘anonymat faisait l‘objet d‘un large Expédition ou copie de l'acte ne peut être délivrée qu'à ceux dont le consentement a été recueilli. ». 1143 Marcela Iacub, « La construction juridique de la nature dans la reproduction hors-nature : les fécondations artificielles dans les lois de bioéthiques », dans F. Ronsin, H. Le Bras et E. Zucker-Rouvillois, dir., Démographie et politique, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 1997, 161 aux pp. 166-167 : L‘auteure ajoute que l‘assistance médicale à la procréation n‘a pas pour fonction d‘imiter la nature mais de se substituer totalement à celle-ci jusqu‘à constituer un crime parfait. « L‘AMP suppose que le monde des faits ne pose plus d‘interdits aux manipulations du droit et ce qui plus important encore : la puissance de la loi est si absolue, ses moyens d‘action sont si sournois qu‘elle arrive à cacher ses propres mécanismes en les attribuant à une instance tierce, la nature, qui n‘est autre chose que la loi elle-même. » Ibid. à la p. 169. 1144 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-8; Kunstman, « Remise en cause », supra note 42 à la p. 2. 1145 Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 13. 340 consensus tant parmi les spécialistes de la procréation assistée que dans l‘opinion public. Ce qui fait dire à certains que c‘est en fait un principe déontologique qui été entériné par les lois de 19941146. D‘autres conservent l‘appellation de principe éthique1147 ou bioéthique de la loi française1148. En réalité, il ne s‘agit pas que de la codification de la pratique médicale dans le domaine de la procréation assistée. Le principe d‘anonymat n‘est pas né des lois de bioéthique car il existait depuis longtemps en matière de don de sang, don de sperme, d‘accouchement sous X ainsi qu‘en ce qui concerne la propriété littéraire et artistique1149. Dans l‘esprit du législateur de l‘époque, deux principaux fondements soutirent l‘adoption du précepte de l‘anonymat. Il s‘agissait tout d‘abord de renforcer la règle de la gratuité du don des éléments et produits du corps humain1150, en coupant toute relation entre donneurs et receveurs. En découle un corollaire indispensable de la convention de non patrimonialité1151 pour tout don d‘élément ou produit du corps humain. L‘anonymat en constituerait même un rempart indispensable. Le second principe à protéger était l‘oblativité du don, c‘est-à-dire l‘abandon désintéressé à autrui sans risque de retour. Cela vise à empêcher la constitution d‘un lien personnel entre l‘enfant et le donneur, qui ne saurait être considéré comme un parent. Il s‘agit également de protéger le projet parental 1146 Mouneyrat, supra note 864 à la p. 50; À cette époque, le don de sperme était anonyme et le don d‘ovocyte pratiqué avec des donneuses amenées par le couple. Dreifuss-Netter, « Connaissance », supra note 1137 à la p. 278s; Pour une description des principes éthiques établis par les CECOS, voir : Derek J. Jones, « Artificial Procreation, Societal Reconceptions : Legal Insight from France », (1988) 36 Am. J. Comp. L. 525 aux pp. 533-537. 1147 Rives, supra note 53 à la p. 696. 1148 Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 81. 1149 Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 11. 1150 Principe consacré aux articles 16-6 Code civil et L. 1211-4 Code de la santé publique. 1151 Celui-ci est codifié à l‘article 16-1 Code civil. 341 familial1152. En France, de manière générale, en ce qui concerne les éléments ou les produits du corps humain, « alors que le don passe par le transfert à autrui de biens de valeur symbolique qui témoignent des liens qui unissent les personnes, la loi empêche la création d‘une telle relation »1153. Il n‘est donc pas étonnant qu‘en plus d‘imposer l‘anonymat soit interdit le don dirigé. L‘absence de liens est ainsi soulignée par l‘ignorance des destinataires du don et de l‘origine de celui-ci1154. Qui plus est, suite à l‘adoption des lois de bioéthique, le Conseil constitutionnel considéra, en 1994, qu‘aucun motif d‘inconstitutionnalité n‘affectait le principe d‘anonymat en matière de don d‘engendrement1155. Il fut jugé que « l‘interdiction de donner les moyens aux enfants de connaître l‘identité des donneurs ne portait pas atteinte à la protection de la santé garantie par le préambule de la Constitution de 1946 et que les dispositions prises en matière de filiation ne portaient pas atteinte à aucun principe à valeur constitutionnelle »1156. Concernant les conséquences juridiques pour le tiers donneur, qu‘il s‘agisse de sperme ou d‘ovules1157, une protection à son égard est prévue en vertu du droit français grâce à une exclusion de tout lien de filiation entre l‘auteur d‘un don et l‘enfant qui en est 1152 Dreifuss-Netter, « Connaissance », supra note 1137 à la p. 279s; Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 13; Guibert et Azria, supra note 42 aux pp. 363-364; Granet, supra note 128 à la p. 37. 1153 Thouvenin, « Droit de la bioéthique », supra note 955 à la p. 149 (par. 109). 1154 Ibid.; Kernaleguen, supra note 843 à la p. 40. 1155 Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, En ligne : <http://www.conseilconstitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-par-date/1994/94343/344-dc/decision-n-94-343-344-dc-du-27-juillet-1994.10566.html> (Date d‘accès : 4 novembre 2009). 1156 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7. 1157 « Filiation et procréation médicalement assistée », dans Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologie, supra note 8 à la p. 986 [« Filiation et procréation »]. 342 issu. Aucune action en responsabilité ne peut être intentée contre le donneur 1158. À ce niveau, l‘état du droit est presque le même qu‘au Québec, mais la position de certains auteurs français sur les fondements de cet article est fort intéressante car elle laisse entendre qu‘il y a un manque de cohérence dans le droit de la filiation en France. Caroline Bris note par exemple qu‘en excluant tout lien entre l‘enfant et le donneur, toute l‘importance de ce dernier, dont l‘acte va permettre de conférer la vie et de procréer, est niée par le législateur. De son avis, la terminologie employée pour nommer le "père biologique" n‘en fait qu‘un géniteur à qui on enlève tout droit et qui se trouve par là même déchargé de toute responsabilité. Cela va jusqu‘à effacer son intervention. L‘élément sensible concerne le statut à octroyer à ce donneur qui, en bout de ligne, a permis de procréer. Ce "tiers" semble être un individu quelque peu gênant au regard du schéma familial traditionnel français. Le fait que le législateur ait du mal à lui laisser une place et le relègue à une simple fonction utilitaire dérange car, compte tenu des fondements du système de filiation, que nous voyons ci-après, il devrait en principe être un parent. L‘auteure ajoute qu‘en combinant l‘article 311-19 du Code civil à l‘article 16-8 qui prévoit l‘anonymat, « le législateur fait disparaître de la vie de l‘enfant celui qui a permis sa naissance. Ainsi, il évoque l‘existence du père biologique, le relègue au rang de tiers donneur et fait comme si le père désigné par le droit, le père "socio-affectif" était le père biologique »1159. Le parent non lié génétiquement à l‘enfant, et reconnu par la loi, est-il alors également de trop? 1158 Art. 311-19 Code civil. Caroline Bris, « L‘assistance médicale à la procréation : quelle incidence sur le droit de la filiation? », (2006) 21 Revue générale de droit médical 133 aux pp. 138-139; Un entretien en octobre 2009 avec Catherine Labrusse-Riou nous a mené à un constat semblable. 1159 343 Cet appel à l‘incohérence du droit de la filiation français découle du fait que, depuis 1972, année de la grande loi applicable au domaine filial, le législateur tend, règle générale, à établir la filiation juridique à partir de la biologie et que les filiations ne correspondant pas à la "vérité" ont vocation à être contestées en justice. Cela se base sur le postulat qu‘il n‘est pas dans l‘intérêt de l‘enfant de maintenir une filiation légale qui ne correspond ni à la vérité biologique, ni à la vérité sociologique1160. Or, dans le contexte des dons de gamètes et d‘embryons, il y a dissociation du corps et de la personne dans ses facultés reproductrices, et cela vient ébranler le droit français qui se fonde d‘abord sur la matérialité des actes et non sur les intentions qui les motivent1161. Même la grande réforme de 20051162 contribue au maintien de cette philosophie en supprimant les derniers filtres par lesquels devaient passer les actions en recherche de paternité et de maternité. Désormais, si une action relative à la filiation est déjà engagée1163, cette dernière « se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l‘action »1164. L‘importance de la vérité biologique, en termes d‘expertise génétique, est affirmée en matière de filiation en rendant celle-ci de plein droit, sauf s‘il existe un motif légitime de ne pas l‘ordonner1165. D‘autre part : « [e]ncore faut-il se trouver dans le cadre d‘un procès : à la différence d‘autres législations, la loi française affirme que l‘identification d‘une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que sur décision du juge saisi d‘une action tendant à l‘établissement ou à la 1160 Françoise Dekeuwer-Défossez, « La filiation en cas d‘assistance médicale à la procréation », dans Feuillet-Le Mintier, supra note 843, 209 aux pp. 210 et 217. 1161 Labrusse-Riou, « Échange », supra note 1129 à la p. 17. 1162 Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, JORF n°156 du 6 juillet 2005 page 11159, texte n° 19. 1163 Art. 318-337 Code civil. 1164 Art. 310-3 Code civil. 1165 Cass. 1re civ., 28 mars 2000; « Filiation et procréation », supra note 1157 à la p. 981. 344 contestation d‘un lien de filiation (art. 16-11 issu de la loi du 29 juillet 1994). Les expertises «privées» sont donc prohibées […]. »1166 De manière générale, Laurence Brunet remarque que rien ne s‘oppose à ce que le contentieux de la filiation soit au service de la manifestation de la vérité biologique1167. Outre l'exigence d'un cadre judiciaire, il existe néanmoins des limites à la vérité biologique et, parmi celles-ci, se trouve l‘absence de lien de filiation entre un tiers donneur et l‘enfant issu d‘une procréation médicalement assistée1168. Dans ce contexte, le recours à l‘analyse génétique est impossible. Il nous est particulièrement ardu de saisir l‘ampleur de l‘ambiguïté que suscite la législation française en matière de don d‘engendrement et de filiation, surtout quand nous concevons que, lorsque le législateur colle la filiation des enfants nés d‘un don sur le modèle de la filiation charnelle, ou parle sang, celui-ci tend à faire correspondre l‘objectif de la procréation assistée de l‘enfant avec sa réalité sociale. Le système québécois de filiation est construit sur un modèle en apparence semblable lorsqu‘il s‘agit de la procréation assistée. Certains auteurs soulignent pourtant que, en France, un droit spécial, en marge du droit commun, est créé1169. Le Titre VII – De la filiation, concernant la filiation charnelle1170 et qui est inclus dans le Livre 1 – Des personnes du Code civil français, consacre en ce sens une section particulière à la procréation médicalement assistée dans son chapitre sur les dispositions générales applicable à la filiation. Ce titre 1166 Hugues Fulchiron, « Égalité, vérité, stabilité dans le nouveau droit français de la filiation », (2006) 146 Droit & Patrimoine 44 à la p. 50. 1167 Brunet, supra note 120 à la p. 95. 1168 Fulchiron, supra note 1166 aux pp. 50 et suivantes; Sur l‘importance accrue de la vérité affective dans le droit de la filiation : Florence Millet, « La vérité affective ou le nouveau dogme de la filiation », (2006) 7 La semaine juridique – Édition générale 303. 1169 Bris, supra note 1159 à la p. 136. 1170 Expression équivalente de « filiation par le sang ». 345 se distingue explicitement de l‘adoption qui se trouve au Titre VIII. De plus, nulle mention n‘est faite des procréations assistées faites dans un contexte endogène. Auquel cas, le législateur, « voile totalement l‘existence d‘actes scientifiques nécessaires à la conception et assimile [totalement] la filiation de ces enfants à la catégorie de filiation dite «charnelle» »1171. Cette assimilation aurait ainsi pour conséquence de superposer au droit commun de la filiation un droit spécial applicable aux enfants issus d‘une procréation assistée exogène1172. Il en est de même au Québec. La filiation de la procréation assistée, qui ne concerne pas la procréation autologue, se trouve au chapitre du Code civil1173 consacré à la filiation par le sang, qui se distingue de la filiation par l‘adoption. Bien qu‘en constituant sous chapitre distinct, c‘est une classification à première vue étrange car la loi, lors du recours à un tiers donneur, construit une filiation copiée en grande partie sur le modèle charnel, là où aucun lien de sang n‘existe. Tel que noté en section 1, la recherche de la réalité biologique n‘a par contre jamais été l‘objectif des règles entourant l‘agencement de la filiation au Québec1174, mais plutôt d‘inclure ces filiations issues d‘actes de volonté dans la tradition de l‘engendrement charnel. Peut-être est-ce là la distinction qui nous échappe. Ce n‘est pas tant la forme du modèle de filiation que ses fondements qui sont source de malaise en France puisque la vérité biologique y occupe, en droit, une plus grande place qu‘au Québec. Si nous 1171 Bris, supra note 1159 à la p. 139. Ibid. à la p. 137. 1173 Code civil du Québec, supra note 18. 1174 Kirouack, supra note 886 à la p. 377. 1172 346 poursuivons la comparaison entre les deux systèmes législatifs, qui se ressemblent du point de vue de la forme et du contenu, la contradiction apparaît plus clairement pour qui n‘est pas familié avec la nature du droit français de la filiation. Ainsi, même si l‘article 310-19 du Code civil et l‘article 538.2 alinéa 1 du Code civil du Québec1175 prévoient tous deux une exclusion de responsabilité du donneur, qui n‘est pas considéré comme un parent aux yeux de la loi, puisque la France donne la priorité à la biologie dans la constitution de son système de filiation, il est possible d‘y voir de l‘incohérence. Le recours à l‘anonymat participe à ce mouvement en visant l‘origine de l‘enfant et le donneur lui-même1176. Contrairement à ce qu‘il se passe au Québec, le fait que le législateur français s‘attache à pourvoir cette négation totale de lien avec le géniteur d‘une super filiation avec les titulaires du projet parental1177,1178 est somme toute de moindre importance. De plus, que la procréation réalisée grâce à un donneur cherche à fonder la filiation qui en résultera sur la volonté du ou des bénéficiaires du don pose problème1179. En France, on considère que la volonté ne devrait pas se confondre avec le biologique. Elle ne peut donc servir de fondement à un lien de filiation. Au Québec, la 1175 Supra note 18. « [S]i l‘on se tourne vers le droit de la filiation charnelle (ce que demeure l‘assistance médicale à la procréation), force est de constater que ce dispositif, fondé sur l‘anonymat du donneur et l‘irrecevabilité de la filiation, contredit ouvertement un droit commun où la vérité biologique prévaut, sans pour autant bâtir le système des fictions institutionnelles puisque tout repose sur la seule volonté parentale et médicale ». Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 97. 1177 Voir l‘article 311-20 al. 2 et 4 Code civil qui dictent que « [l]e consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d'effet. […] [De plus, c]elui qui, après avoir consenti à l'assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l'enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l'enfant. »; Au Québec, pour l‘équivalent, voir l‘article 539 du Code civil du Québec, supra note 18 : « Nul ne peut contester la filiation de l'enfant pour la seule raison qu'il est issu d'un projet parental avec assistance à la procréation. Toutefois, la personne mariée ou unie civilement à la femme qui a donné naissance à l'enfant peut, s'il n'y a pas eu formation d'un projet parental commun ou sur preuve que l'enfant n'est pas issu de la procréation assistée, contester la filiation et désavouer l'enfant. Les règles relatives aux actions en matière de filiation par le sang s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux contestations d'une filiation établie par application du présent chapitre. ». 1178 Granet, supra note 128 à la p. 43. 1179 Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 429. 1176 347 volonté des parents, par le biais de leur projet parental1180, est au contraire une condition préalable à l‘établissement de la filiation d‘un enfant né d‘une procréation assistée. Il n‘y a pas cette dichotomie de cohérence entre vérité biologique, vérité affective ou sociale et projet parental comme fondements du système de filiation. En conclusion du chapitre 2, nous allons même jusqu‘à contester la nécessité de l‘anonymat comme garant de la parenté des receveurs et ce, dans la mesure où nous ne considérons pas le donneur comme un parent1181. Peut-être même que la condition d‘accès française à la procréation assistée, c‘està-dire la visée thérapeutique, contribue à cette vision des choses. De fait, il existe des différences entre nos deux régimes puisque le Québec conçoit l‘hypothèse de la procréation amicalement assistée1182, qui n‘existe tout simplement pas en France. En effet, dans ce pays, si une insémination est privément assistée, réalisée hors du cadre légal et avec un donneur connu, rien ne s‘oppose à la confirmation d‘un lien de filiation à l‘égard du donneur et à la solution du conflit de filiation applicable en vertu du droit commun1183. C‘est une position qui, bien que nous ne soyons pas en accord avec elle puisque cela correspond avec une réalité qu‘on ne peut pas ignorer (même en France la procréation amicalement assistée est pratiquée dans l‘intimité des individus), découle directement des conditions françaises d‘accès à l‘assistance à la procréation qui doit se 1180 Voir l‘article 538 du Code civil du Québec, supra note 18 : « Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu'une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d'avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d'une personne qui n'est pas partie au projet parental. ». 1181 « Imposer la filiation au donneur aurait pour conséquence d‘éliminer tout fondement relationnel et volontariste de la filiation au profit du seul fait biologique, alors que les anthropologues nous montrent qu‘à elle seule la biologie n‘est jamais suffisante à fonder le lien social ». Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 436. 1182 Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2 al. 2. 1183 Catherine Labrusse-Riou, « Filiation », dans Répertoire de droit civil Dalloz, 1995 à la p. 55. 348 faire pour des motifs médicaux. Cette particularité fait dire à certains auteurs que l‘assistance médicale à la procréation est une forme médicalisée d‘infidélité1184. Pis encore, le critère thérapeutique est même considéré par des auteurs comme une incohérence en soi car dans le cas d‘une procréation hétérologue, le don n‘est pas fait dans une perspective médicale, puisqu‘il ne traite pas la cause de la stérilité. Cela ne fait que proposer au couple une autre forme de procréation plutôt que de guérir l‘homme ou la femme souffrant d‘une déficience physique l‘empêchant de procréer1185. Il ressort par contre clairement de l‘état du droit que le législateur hésite à fonder l‘intervention médicale sur la seule volonté du couple demandeur1186. En dehors de son cadre légal en matière d‘assistance médicale à la procréation, il existe en France une autre institution qui a un impact direct sur la question des origines. Il s‘agit de l‘accouchement sous X. 3- CONNEXE ET DIFFÉRENT : L’ACCOUCHEMENT SOUS X L‘institution de l‘anonymat est de longue date en France. Depuis 1941, il est possible pour les femmes d‘accoucher sans que leur identité soit déclinée. L‘actuel article 326 du Code civil prévoit en effet que « [l]ors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». Originairement, l‘accouchement sous X fut mis en place afin d‘assurer la seule prise en charge caritative 1184 Frédérique Dreifuss-Netter, « La filiation de l‘enfant issus de l‘un des partenaires du couple et d‘un tiers », (1996) RDT Civ. 1, En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 5 novembre 2009). 1185 Depadt-Sebag, supra note 1128 à la p. 891. 1186 Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation », supra note 787 au para. 54. 349 d‘enfants nouveau-nés abandonnés aux fins d‘éviter, entre autre chose, l‘infanticide. Cette tradition d‘assistance s‘est par la suite doublée d‘une protection de la maternité secrète à travers divers textes1187. Distinctivement de la procréation médicalement assistée, l‘accouchement sous X a connu une modification de son régime juridique avec l‘adoption de la Loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État1188. Dans cette dernière, « [l]e législateur a tenté d‘améliorer la procédure de recherche des origines personnelles, sans, pour autant, souhaiter remettre en cause le droit de l‘accouchement sous X. Ainsi, il ne confère pas à une personne «le droit» de connaître ses origines »1189. Il permet simplement la réversibilité du secret de l‘identité en reconnaissant l‘importance pour toute personne de connaître ses origines 1190. Afin d‘encadrer la procédure, est ainsi mis en place le Conseil National pour l‘Accès aux Origines Personnelles (CNAOP)1191. En laissant les conditions de la levée du secret au consentement de la mère, la loi édicte notamment que : 1187 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 9. JORF du 23 janvier 2002, page 1519, texte n° 2. 1189 Laurence Azoux Bacrie, « Accès à la connaissance des origines personnelles et médiation », dans Gérard Teboul, dir., Procréation et droits de l’enfant – Actes de Rencontres internationales organisées les 16, 17 et 18 septembre 2003 par l’Observatoire international du droit de la bioéthique et de la médecine, Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2004, 95 à la p. 98. 1190 Ibid. à la p. 99. 1191 Voir : France – Ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles, En ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/> (Date d‘accès : 15 septembre 2009); Le CNAOP est régi par les dispositions L. 147-1 à L. 147-11 du Code de l’action sociale et des familles. 1188 350 « [l]e Conseil national pour l'accès aux origines personnelles reçoit : 1° La demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant formulée: - s'il est majeur, par celui-ci ; - s'il est mineur, et qu'il a atteint l'âge de discernement, par celui-ci avec l'accord de ses représentants légaux ; - s'il et majeur placé sous tutelle, par son tuteur ; - s'il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs; 2° La déclaration de la mère ou, le cas échéant, du père de naissance par laquelle chacun d'entre eux autorise la levée du secret de sa propre identité; 3° Les déclarations d'identité formulées par leurs ascendants, leurs descendants et leurs collatéraux privilégiés; 4° La demande du père ou de la mère de naissance s'enquérant de leur recherche éventuelle par l'enfant. »1192 Il demeure par contre que « [l] 'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit »1193. La femme qui demande la préservation du secret de son identité lors de son accouchement doit malgré tout être informée des conséquences juridiques de sa requête et de l‘importance, pour toute personne, de connaître ses origines et son histoire1194. 1192 Art. L. 147-2 Code de l’action sociale et des familles; Le concept d‘enfant ayant atteint l‘âge de discernement fut introduit dans le droit par la Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, JORF n°55 du 6 mars 2007, page 4215, texte n° 7, art. 11; Sur ce point, voir l‘enquête commandée par le CNAOP et publiée au printemps 2010 : Conseil National pour l‘Accès aux Origines Personnes – Groupe de travail sur les personnes mineures et l‘âge de discernement, Les demandes d’accès aux origines personnelles émanant de personnes mineures : l’âge de discernement, France, Mars 2010, En ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-mineurs-2010-def.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010). 1193 Art. L. 147-7 Code de l’action sociale et des familles; Attention, depuis la Loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation (JORF n°0015 du 18 janvier 2009, page 1062, texte n° 1), « l‘enfant qui aurait retrouvé l‘identité de sa génitrice pourra agir en justice pour établir sa maternité légale, si le délai pour agir n‘est pas expiré (dix ans à compter de sa majorité) et si, surtout, il est dépourvu de tout lien de filiation ». Brunet, supra note 120 à la p. 97. 1194 Art. L. 222-6 al. 1 Code de l’action sociale et des familles; « Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les 351 Le rapport annuel 2008 du CNAOP fait état de quelques statistiques intéressantes concernant l‘accouchement sous X. Entre le 12 septembre 2002 et le 31 janvier 2009, 3 892 demandes d‘accès aux origines personnelles ont été enregistrées (3 471 au 31/12/2007) et 2 932 dossiers ont fait l‘objet d‘une clôture, soit 75,3 % (2288 au 31/12/2007, soit 65,9%) Deux types de clôture sont présentés. D‘abord, les clôtures provisoires au nombre 1 818, dont 1 394 pour identification impossible et 419 pour refus de communication de l‘identité. Puis, les clôtures définitives au nombre de 1 119, dont 1 018 suite à une communication d‘identité et 101 suite à des désistements 1195. Les résultats partiels d‘une enquête sur le profil des mères, ceux-ci concernant une période allant du 1er juillet 2007 et le 30 juin 2008, montrent quant à eux que seulement une petite partie de ces femmes ont laissé leur identité dans le dossier de l‘enfant1196. En 2003, la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l‘Homme s‘est penchée sur la validité de l‘accouchement anonyme dans l‘affaire Odièvre c. France1197. Se basant sur les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli. » Ibid. 1195 Ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille et de la Solidarité, Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnes – Rapport d’activité 2007-2008, France, 2008 aux pp. 4-5, En ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/CNAOP_Rapport_d_activite_2007_08_V2.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010). 1196 Voir : Catherine Villeneuve–Gokalp (Institut national d‘études démographiques), Étude sur les mères de naissance qui demandent le secret de leur identité lors de leur accouchement – Enquête CNAOP-INED Rapport d’étape : résultats partiels, France, Mars 2010, En ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/Bilan_mars.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010). 1197 Requête no 42326/98, Arrêt, Strasbourg, 13 février 2003, En ligne : <http://www.coe.int/T/F/affaires_juridiques/Coop%E9ration_juridique/Droit_de_la_famille_et_droits_des_ enfants/Arr%EAts/odi%E8vre%20-%2042326jnv.gc%2013022003f.asp> (Date d‘accès : 12 septembre 2010). [Ci après « affaire Odièvre »]. 352 des libertés fondamentales1198, Pascale Odièvre, née sous X et cherchant à obtenir toutes les informations concernant sa venue au monde en plus des données non identifiantes déjà en sa possession, demande l'obtention de renseignements sur des aspects éminemment personnels de son histoire et de son enfance. Tel que rapporté dans le jugement, elle affirme que la recherche de son identité fondamentale fait partie intégrante de sa « vie privée », mais également de sa « vie familiale », c‘est-à-dire celle de sa famille naturelle avec qui elle pourrait établir des liens affectifs si la loi française ne l'en empêchait pas 1199. La requête fut pourtant rejetée par la majorité et le dispositif français de l‘accouchement sous X validé. Si le droit de connaître ses origines relève bel et bien du droit à la vie privée édicté à l‘article 8, les juges concluent qu‘il n‘a pas été violé par la France puisque l‘enfant né sous X en France peut avoir accès aux informations identifiantes de la mère si elle y consent et ce, par l‘intermédiaire d‘un organisme indépendant. La Cour a notamment estimé que les États parties à la Convention européenne disposaient d‘une marge d‘appréciation importante pour concilier le droit aux origines avec les intérêts légitimes pouvant justifier l‘anonymat. En l‘espèce, il a été jugé qu‘il y a un juste équilibre des intérêts en cause : celui de la mère au secret et celui de 1198 Rome, 4.XI.1950, art. 8 et 14, En ligne : <http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFran%C3%A7ais.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010) [Ci-après la « Convention européenne »] : « Article 8 Droit au respect de la vie privée et familiale : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Article 14 Interdiction de discrimination : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » 1199 Odièvre c. France, supra note 1197 par. 9-14 et 25-27. 353 l‘enfant à la connaissance de ses origines1200. Les arguments du droit au respect de la vie familiale et de la discrimination sont quant à eux rejetés par la Cour. Ce raisonnement est-il applicable à l‘anonymat en vigueur dans le cadre de la procréation assistée? Y a-t-il lieu de modifier le régime juridique applicable aux dons d‘engendrement afin qu‘il rejoigne celui de l‘accouchement sous X, à défaut d‘avoir une abolition complète de l‘anonymat du tiers donneur? Les réponses sont variables. Certains considérèrent que l‘enfant né sous X et l‘enfant adopté ont été abandonnés par leurs parents d‘origine alors que celui né suite à un don de gamètes ou d‘embryon existe grâce au désir de ceux qui voulaient être ses parents et qui sont désignés comme tels par la loi. Pour d‘autres, l‘opposition entre l‘accouchement anonyme et les techniques de procréation assistée n‘est pas aussi tranchée qu‘il n‘y paraît d‘abord. Pour cette raison, une extension du modèle du CNAOP serait indiquée1201. La distinction entre abandon et désir d‘enfant revient donc en force dans la différence des régimes appliqués à la procréation assistée. Dans son rapport de 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d‘État transpose la logique développée par la Cour européenne des droits de l‘homme dans l‘affaire Odièvre au contexte du don d‘engendrement. Il souligne que : « [d]ans le cas de l‘assistance médicale à la procréation avec donneur, la question de la protection de la vie privée ne se pose pas, et celle de la sauvegarde des intérêts matériels du donneur pas davantage puisque la loi 1200 Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 375; Conseil d‘État, Les études du Conseil d’État : La révision des lois de bioéthique, Paris, La documentation Française, 2009 à la p. 54. 1201 Hélène Gaumont-Prat, « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation» Commentaire de l‘avis no 90 du CCNE du 26 janvier 2006 », (2006) Médecine & Droit 88 à la p. 89. 354 garantit expressément le donneur contre toute revendication d‘ordre civil (art. 311-19 du code civil). Les seuls intérêts qui puissent contrebalancer le droit à la connaissance des origines sont la préservation de la vie familiale au sein de la famille légale, l‘intérêt moral et familial du donneur et, accessoirement, l‘impact positif de l‘anonymat sur le nombre de dons. Il n‘est pas certain que dans la logique de la Cour, ces éléments soient proportionnés à l‘atteinte que porte l‘anonymat au droit à la connaissance des origines. »1202 Dans cette réflexion, le Conseil d‘État opère nettement une différenciation entre les circonstances de l‘accouchement sous X et le recours à un tiers donneur. Cela est en lien avec la distinction que nous constatons déjà au chapitre 2 entre la procréation assistée et l‘adoption. D‘ailleurs, le Conseil d‘État, considère qu‘en contexte de don de gamètes ou d‘embryons il y a lieu d‘être plus exigent et d‘abolir l‘anonymat. Il n‘y a pas qu‘une simple extension du modèle du CNAOP. Pour notre part, nous croyons que cette distinction n‘a en définitive que peu d‘importance car la réflexion présentée par la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l‘Homme, telle que transposée par le Conseil d‘État, ne relève pas de l‘approche relationnelle définie au chapitre 1. Notre conclusion est certes la même que celle à laquelle en arrive Conseil d‘État, à savoir la levée de l‘anonymat, mais ce qui importe en l‘espèce c‘est le processus réflectif utilisé. Or, le rapport de proportionnalité que nous appliquons à la question des origines est différent puisque se basant sur une approche internormative où la personne est considérée non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui considérant son interdépendance et le sentiment de responsabilité que cela doit engendrer. D‘ailleurs, si nous analysons de près la réflexion du Conseil d‘État, nous pouvons clairement constater que les relations parents 1202 Conseil d‘État, supra note 1200 à la p. 54. 355 – enfant et donnneur – enfant sont soupesées dans une même balance de proportionnalité. Nous soulevons aussi la question de l‘égalité entre les enfants abandonnés et ceux nés d‘un don, mais à la différence que cela concerne tout particulièrement l‘anonymat. Or ici, des éléments concernant surtout le lien parents – enfant quant au secret sont mis dans une même quête d‘équilibre avec l‘anonymat. Bref, est absente cette distinction analytique préalable qui devrait être faite entre le secret (lien parents – enfant) et l‘anonymat (lien donneur – enfant). C‘est comme si cette étape avait tout simplement été sautée si l‘on prétend apporter à la problématique un regard d‘éthique de sollicitude. À l‘heure du réexamen des lois de bioéthique, la question de l‘anonymat des dons revient sur toutes les lèvres. Ce n‘est d‘ailleurs pas la première fois. En 2006, un projet de loi présenté par Valérie Pécresse proposait notamment l‘instauration d‘un doubleguichet1203. Il ne s‘agit toutefois pas d‘une reconnaissance à proprement parler d‘un droit à la levée de l‘anonymat et à la connaissance de l‘identité du donneur 1204. En 2007, un autre projet de loi allait encore plus loin et affirmait l‘accès à l‘identité des père et mère de naissance en tant que droit1205. Enfin, le 20 octobre 2010, Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre française de la Santé et des Sports, a présenté aux Conseil des ministres le projet de loi sur la bioéthique1206. C‘est ce dernier que nous analysons ci-après. 1203 Proposition de loi AN no 3225, 2006, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/12/pdf/propositions/pion3225.pdf> (Date d‘accès: 29 octobre 2010); Sur ce projet de loi : G. David, « À propos de la proposition de loi (juin 2006) relative à la possibilité de lever l‘anonymat des donneurs de gamètes », (2007) 35 Gynécologie Obstétrique & Fertilité 486. 1204 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7. 1205 Proposition AN no 3790, 2007, <En ligne : http://www.assembleenationale.fr/12/pdf/propositions/pion3790.pdf> (Date d‘accès: 29 octobre 2010). 1206 Proposition AN no 2911, 2010, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/projets/pl2911.pdf> (Date d‘accès : 29 octobre 2010); France – Conseil des ministres (extraits), La bioéthique, 20 octobre 2010, En ligne : <http://www.gouvernement.fr/gouvernement/labioethique> (Date d‘accès: 21 octobre 2010). 356 4- ÉVOLUTION LÉGISLATIVE : LE RÉEXAMEN DES LOIS DE BIOÉTHIQUE Tel qu‘initialement présenté en octobre 2010, le projet de loi français sur la bioéthique1207 opère un virage important en vue de se distancer du sacro-saint principe éthique de l‘anonymat. L‘article 14 présente dans un premier temps les principes généraux applicables en matière de procréation assistée avec tiers donneur. L‘anonymat est maintenu avec pour tempérament l‘exception de la nécessité thérapeutique où l‘identité du donneur peut être transmise au corps médical et donc, uniquement aux médecins. Le projet de loi autorise néanmoins la transmission d‘informations non identifiantes, cela n‘étant pas incompatible avec l‘anonymat, et tend à diminuer la portée de ce dernier en permettant aux enfants majeurs de connaître l‘identité de leur donneur si ce dernier y consent. Il ne s‘agit pas d‘un double guichet car les couples ne pourront pas choisir de recourir ou non à un donneur anonyme. L‘article 15 impose conséquemment d‘informer les donneurs et les receveurs de la possibilité qu‘une demande d‘accès à son identité soit faite. Le tiers en question est défini à l‘article 16 comme « toute personne, autre que les parents de l‘enfant, dont les gamètes ont permis la conception de celui-ci dans le cadre d‘une assistance médicale à la procréation ». Il consentira expressément, par écrit, à la demande d‘accès à son identité d‘un enfant après en avoir été informé. Cette demande lui sera transmise par une Commission d‘accès aux données non identifiantes et à l‘identité du donneur de gamètes qui sera mise en place auprès du ministre chargé de la santé. Il est intéressant de constater que le consentement n‘est pas donné au moment du 1207 Ibid.; Suite à sa présentation devant le Conseil des ministres, une Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi a été créée par l‘Assemblée nationale française. Sur l‘évolution du projet de loi, voir : France – Assemblée Nationale, Société : bioéthique – Travaux préparatoires, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/bioethique.asp> (Date d‘accès : 30 décembre 2010). 357 don, mais postérieurement à la demande d‘accès. Cela montre la réticence française à l‘égard de la levée de l‘anonymat qui demeure la règle applicable. En vue d‘harmoniser l‘ensemble de la législation française, les articles 17 et 18 prévoient finalement des modifications législatives dans le Code civil et le Code pénal. Dans l‘étude d‘impact, les rédacteurs du projet de loi font un survol de l‘ensemble des options à leur disposition. Tout en distinguant formellement les deux situations1208, ils soulignent d‘une part la tendance déjà prise en France en matière d‘accouchement sous X avec la création du CNAOP. Ils précisent d‘autre part que « la réflexion éthique sur l‘assistance médicale à la procréation semble être aujourd‘hui parvenue à un point de maturité où il apparaît que les « gamètes » ne sauraient être soumises à un régime juridique identique à celui des autres éléments et produits du corps humains, dans la mesure où elles transmettent l‘hérédité biologique »1209. Comme eux, il n‘est pas faux de considérer qu‘au total, le juriste est ramené à une question classique de conflit d‘intérêts. « Le souci du désir des parents ne doit-il pas être contrebalancé par le souci des enfants, jusqu‘ici peut-être trop méconnu, conformément à l‘idée que l‘intérêt de l‘enfant doit être l‘élément déterminant pour aménager les conséquences de l‘assistance médicale à la procréation ? »1210 Quant à l‘analyse même des options, le double guichet est rejeté. Est notamment tenu compte de l‘opinion de l‘avis 90 du Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE) qui recommande de respecter l‘anonymat des donneurs et des receveurs tout en 1208 Proposition AN no 2911, supra note 1206 aux pp. 64-65 de l‘étude d‘impact. Ibid à la p. 63 de l‘étude d‘impact. 1210 Ibid. 1209 358 favorisant, ou encourageant, la levée du secret du mode de conception et en permettant l‘accès de l‘enfant à des informations non identifiantes. La pratique du double guichet pourrait paraître une voie permettant le libre choix. Néanmoins, le fait de soumettre les enfants au choix des parents est, de l‘avis du CCNE, source de discrimination entre les enfants informés et ceux qui ne le sont pas1211. C‘est clairement au détriment de l‘intérêt de l‘enfant en faisant primer celui des adultes. Il n‘y a là rien de nouveau. Nous l‘avons déjà souligné au chapitre 2 dans l‘analyse de la relation donneur – enfant. L‘accès aux données non identifiantes est présenté dans l‘étude d‘impact du projet de loi comme un socle minimal. Quant à l‘accès optionnel à l‘identité du donneur cela a, de l‘avis des auteurs, l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir l‘intérêt des adultes. « Elle permet aux demandeurs, même dans l‘éventualité où le donneur ne consentirait pas à révéler son identité, de se confronter à la réalité d‘un consentement ou d‘un refus, après avoir entamé une démarche dont l‘issue n‘est pas abstraitement déterminée par la loi. »1212 En ce qui concerne le secret, l‘étude d‘impact signale que cela ne peut être encadré par le législateur et doit demeurer dans les secrets de famille, même si cela peut être préjudiciable à l‘enfant. Ce secret peut néanmoins s‘inscrire dans la procédure d‘accompagnement de l‘assistance médicale à la procréation1213. 1211 CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 24. Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 64 de l‘étude d‘impact. 1213 Ibid à la p. 58 de l‘étude d‘impact. 1212 359 En somme, la position adoptée dans le projet de loi français constituerait, selon ses auteurs, une évolution plus ou moins conséquente souhaitée par les instances qui se sont exprimées dans le cadre des travaux préparatoires au réexamen de la loi de bioéthique de 20041214. Afin d‘appuyer leurs propos, les auteurs du projet de loi de bioéthique réfèrent dans un premier temps au rapport de l‘Office parlementaire d‘évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST). Les rapporteurs y soulignent que : « La levée de l‘anonymat sur les dons de gamètes demandée par les enfants issus d‘IAD est une revendication légitime au regard du droit à connaître ses origines. […] La solution du double guichet pour intéressante qu‘elle soit car elle repose sur la volonté des personnes n‘est pas satisfaisante au regard des droits de l‘enfant qui se verrait exclu de toutes possibilité de connaître ses origines biologiques, si les parents et le donneur ou la donneuse ont opté pour l‘anonymat, pour autant les rapporteurs n‘excluent pas totalement cette option. Il conviendrait : - soit de s‘inspirer de la loi espagnole qui permet un accès aux motivations et données non identifiantes sur le donneur, à la majorité, si l‘enfant le demande, - soit de s‘inspirer de la législation britannique qui autorise la levée totale de l‘anonymat à la majorité si l‘enfant le demande, et qui permet à ceux qui ont fait un don avant l‘application de la loi de s‘inscrire, s‘ils le souhaitent, sur un registre pour que leur identité puisse être révélée, si l‘enfant en fait la demande à sa majorité, - de prévoir que l‘identification du donneur ou de la donneuse ne peut en aucun cas avoir une incidence sur la filiation de l‘enfant issu du don, même si l‘enfant ne dispose pas de filiation paternelle ou maternelle. »1215 1214 Ibid. à la p. 60 de l‘étude d‘impact. Rapport n° 1325 de l‘Office parlementaire d‘évaluation des choix scientifiques et technologiques : Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialette, Rapporteurs, L’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, Tome 1 (Rapport), France, 17 décembre 2008 aux pp. 137-138, En ligne: <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-off/i1325-tI.pdf> (Date d‘accès : 29 octobre 2010). 1215 360 S‘il ressort de ce rapport une volonté claire de remettre à l‘ordre du jour les droits de l‘enfant et la protection de ses intérêts, ce que l‘état du droit français actuel ne fait pas compte tenu de son caractère très strict, peu d‘indices nous sont laissés sur le raisonnement à adopter. À cet égard, le rapport de l‘OPECST ne renvoie d‘aucune façon à une priorisation des relations interpersonnelles et d‘interdépendance. Dans la perspective des États généraux de la bioéthique de 2009, auxquels il est également fait référence dans l‘étude d‘impact du projet de loi, trois instances ont été saisies afin de présenter un rapport sur le bilan, les lacunes et les besoins de la réforme qui avait été entreprise lors du réexamen de 2004. Tout d‘abord, le Conseil d‘État à qui fut demandée une réflexion globale sur la loi, ensuite l‘Agence de biomédecine pour une étude juridique de droit comparé et, enfin, le CCNE qui fut invité à soumettre un mémoire identifiant les questions, les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques qui pourraient conduire à une évolution législative1216. Avant d‘aborder les rapports rendus par ces organismes, il est pertinent de préciser que la formule des États généraux, basés sur des "forums citoyens"1217 formés préalablement aux questions de bioéthique, fut critiquée. Ces forums étaient censés garantir une discussion libre, instruite et contradictoire. Par contre, l‘utilisation de débats publics avec des citoyens "formés" par avance en vue d‘éclairer le législateur est, de 1216 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 114. Il y en a eu trois au total. À Marseille le 9 juin 2009 sur le thème de la recherche sur l‘embryon humain et les cellules souches embryonnaire, le diagnostic prénatal et préimplantatoire. Le second à Rennes le 11 juin 2009 concernant l‘assistance médicale à la procréation. Finalement à Strasbourg le 16 juin 2009 quant aux prélèvements et greffes d‘organes, de tissus, de cellules, ainsi que sur la médecine prédictive et l‘examen des caractéristiques génétiques. France – États généraux de la bioéthique, Présentation générale des forums citoyens, En ligne : <http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/les-forums-citoyens.html> (Date d‘accès : 21 octobre 2010). 1217 361 l‘avis de certain, discutable. Les parlementaires sont censés représenter démocratiquement la Nation et ils sont supposés être déjà compétents pour légiférer. Ils disposent de nombreux travaux de réflexion ou de recherche, rapports officiels ou avis émanant d‘institutions diverses1218. C‘est un point qui peut se défendre. Il nous semble par contre que ces États généraux s‘intègrent, sur une plus grande échelle mais dans le même sens que l‘avis rendu par la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec1219, dans la première étape du modèle de construction de la règle de droit lorsque l‘éthique est appréhendée par l‘auteur de la norme juridique. Ils ont mis en place un dialogue visant à aiguiller le législateur français. En introduction du rapport final, les auteurs précisent que : « La volonté générale que doit exprimer la loi n‘est pas la somme, la juxtaposition abstraite de volontés ou de désirs particuliers parfois antagonistes. Résultant d‘un échange, elle doit pouvoir trouver l‘occasion de se façonner par le débat et par l‘effet d‘une réflexion collective, invitant chacun à s‘accorder avec tout autre sur des principes qui transcendent son intérêt immédiat. Ces principes que le droit incorpore et qui fondent la loi relative à la bioéthique (consentement, anonymat et gratuité, indisponibilité du corps humain…), il ne suffit pas de les invoquer. Leur institution n‘implique pas leur légitimité, parce que ces principes ne s‘imposent pas comme s‘impose un argument d‘autorité. Ces principes valent d‘abord par l‘assentiment réfléchi qu‘ils suscitent. »1220 1218 « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 114. Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9. 1220 États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, Rapport final, 1er juillet 2009 à la p. 5, En ligne : <http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/uploads/rapport_final.pdf> (Date d‘accès: 30 octobre 2010). 1219 362 En vue d‘établir une démocratie participative organisée1221, les États généraux ont ainsi été l‘occasion de permettre à tous et chacun de se forger une opinion sur les thèmes en débat. En remettant en cause et en suscitant une réflexion sur les principes fondateurs de la loi, le législateur français a instauré un pont entre l‘éthique et le droit. L‘élargissement du débat au-delà du cercle des spécialistes a été, selon les rédacteurs du rapport, l‘occasion d‘élever les points de vue afin de s‘accorder sur les principes que le droit a mission de traduire1222. Dominique Thouvenin s‘est quant à elle questionnée sur la nécessité d‘organiser des États généraux de la bioéthique alors que le CCNE dispose déjà d‘une mission de délibération publique en termes éthiques sur des problèmes de société générés par les progrès issus de la recherche et susceptibles de nécessiter l‘adoption de nouvelles règles1223. Il rend des avis parmi lesquels nous avons déjà fait mention de celui concernant l‘anonymat des donneurs. Or, ces avis concernent tant les aspects éthiques soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé que les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance. Le deuxième volet analytique inscrit dans la mission du CCNE et ajouté en 1994, ne concerne plus que la pertinence de telle ou telle technique, mais aussi ses usages sociaux. L‘évolution progressive du CCNE a fait en sorte qu‘il intervient de plus en plus fréquemment dans le processus législatif lui-même et non plus en tant que source d‘inspiration des règles légales futures. Les États généraux étaient donc nécessaires afin de permettre à tous les 1221 Brunet, supra note 120 à la p. 94. États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, supra note 1120 à la p. 10. 1223 Dominique Thouvenin, «Les institutions nationales de la bioéthique : fonctionnement et compétences », (2009) 1050 Revue politique et parlementaire (Bioéthique : entre loi, morale et progrès) 167 à la p. 169. 1222 363 citoyens de s‘exprimer, notamment sur la question de l‘anonymat, et que le débat ne soit pas confisqué par les experts1224. C‘est dans le cadre du forum de Rennes que fut soulevée la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. La position citoyenne a été en faveur d‘un libre accès aux informations non identifiantes, mais sans la levée de l‘anonymat. Le refus du tout génétique et le fait que l‘enfant doive se référer à un seul couple dans "son histoire" motivent cette position. Les donneurs ne sauraient être assimilés à des parents. À l‘issue des États généraux, ce qu‘il importe surtout c‘est la responsabilisation du don en informant les donneurs des conséquences de leur geste et les couples de ce qu‘implique le secret1225. C‘est exact, le donneur n‘est pas un parent. Le dernier point ne pose pas de problèmes non plus puisque nous observons un souci relationnel minimal avec l‘emphase sur la responsabilisation des donneurs. Toutefois, la position générale d‘accès aux seules informations non identifiantes sans levée de l‘anonymat ne concorde pas avec l‘aspect interdépendant mis en lumière en éthique de la sollicitude. Le Conseil d‘État commence quant à lui par affirmer, quelle que soit la solution retenue, qu‘il n‘est pas concevable d‘imposer une filiation entre l‘enfant et le donneur. En cela, il n‘y a rien de nouveau par rapport au droit français qui protège déjà cet élément. Constatant que l‘anonymat absolu ne peut plus rester en vigueur, la transmission d‘informations non nominatives est un socle minimal afin de répondre aux besoins et demandes des enfants ainsi que des associations concernées par la question des origines. 1224 1225 Ibid. aux pp. 173-175. États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, supra note 1120 aux pp. 44-45. 364 L‘option retenue est néanmoins celle d‘un régime combinant un accès de tout enfant majeur le sollicitant à certaines catégories d‘informations non identifiantes et la possibilité d‘une levée de l‘anonymat si l‘enfant le demande, et si le donneur y consent. Cela est présenté comme ayant l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir l‘intérêt des adultes. S‘il est envisageable que le donneur refuse, il apparaît impossible au Conseil d‘État de lui imposer de révéler son identité1226. C‘est certes une position discutable lorsque nous cherchons véritablement à prioriser les relations interpersonnelles et d‘interdépendance conformément à l‘éthique de la sollicitude telle qu‘analysée au chapitre 2. Le conseil d‘orientation de l‘Agence de biomédecine prend note et n‘ignore pas la sensibilité de la quête des origines. En raison de la complexité de l‘enjeu et du fait que de nombreuses questions n‘ont pas de réponses si aisées qu‘on voudrait le croire, il préfère toutefois rester prudent1227. Il ne s‘agit pas d‘une position formelle en faveur du maintien de l‘anonymat, mais la prudence suggère nettement ce choix. De son côté, l‘avis rendu par le CCNE dans le cadre des États généraux de la bioéthique ne constitue qu‘un compte rendu des enjeux soumis à l‘attention de la population dans le cadre du processus de consultation. Le comité national d‘éthique ne 1226 Conseil d‘État, supra note 1200 aux pp. 54-55. Contribution du Conseil d‘orientation de l‘Agence de la biomédecine au débat préparatoire à la révision de la loi de bioéthique, Leçons d’expérience (2005-2008) et questionnement, 20 juin 2008 à la p. 49, En ligne : <http://www.agence-biomedecine.fr/uploads/document/Rapport2008-CO-bioethique.pdf> (Date d‘accès: 13 novembre 2010). 1227 365 fait aucune prise de position1228. Sa position est plutôt détaillée dans son avis no 901229 que nous voyons ci haut et auquel renvoie l‘étude d‘impact du projet de loi français. Un dernier document retient finalement notre attention. Il s‘agit du rapport de la mission d‘information parlementaire rendu en janvier 2010. Il y est considéré que la levée de l‘anonymat fragiliserait la procédure d‘accouchement sous X et s‘inscrit dans une vision biologique de la famille. C‘est pourquoi la majorité des membres de la mission ont préconisé le maintien du dispositif actuel1230. Ayant fait état de l‘évolution législative proposée en France, de l‘anonymat absolu vers la transmission de renseignements non nominatifs et l‘identité du géniteur si y consent, nous pouvons désormais procéder à l‘analyse critique, au moyen de l‘internormativité, en fonction de l‘éthique de la sollicitude. Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE), Avis n 105 : Questionnement pour les États généraux de la bioéthique, Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation, France, 9 octobre 2008, En ligne : < http://www.ccne-ethique.fr/docs/avis_105_CCNE.pdf> (Date d‘accès : 14 novembre 2010). 1229 CCNE, « Avis 90 », supra note 30. 1230 Mission d‘information sur la révision des lois de bioéthique, Président : Monsieur Alain Claeys, Rapporteur : M. Jean Leonetti, supra note 857 à la p. 110. 1228 366 5- DROIT FRANÇAIS, INTERNORMATIVITÉ ET ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE : CRITIQUE1231 L‘éthique de la sollicitude fut au départ proposée comme cadre d‘analyse dans le contexte canadien par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. L‘objectif, en transposant l‘analyse de la sollicitude en droit comparé au moyen de l‘internormativité, est de déterminer comment nous en arriverions à des résultats différents si on priorisait l‘approche relationnelle. De fait, en l‘état actuel du droit, tout comme au Canada et au Québec, il est évident que cette approche n‘est pas mise de l‘avant car l‘anonymat est posé en principe presque absolu. La France est toutefois un terrain propice à cette exploration car il s‘agit d‘un pays en pleine évolution législative sur la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cela nous conduit à une double réflexion. En premier lieu, en ce qui concerne l‘évolution législative actuelle par un examen des documents présentés à l‘Assemblée Nationale et au Sénat puis, relativement à l‘impact qu‘a l‘approche juridique française sur l‘éventualité d‘inclure dans ce processus une internormativé avec l‘éthique de la sollicitude. 1231 En avril 2010, l‘éthique de la sollicitude est entrée dans le débat public français suite à une entrevue donnée par Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, dans le cadre de laquelle elle explique que nous devons être une société du care qui prend soin de chacun. Cela n‘est pas sans remous et la polémique est actuellement lancée. Un député affirme par exemple que cette conception « qui s'enracine dans une conception féministe -différentialiste américaine réclamant un État plus attentif aux minorités n'est en rien adaptée à la société française d'aujourd'hui dont le modèle de l'État providence est à bout de souffle ». Voir : «La gauche que veut Martine Aubry», Médiapart, 15 avril 2010, En ligne : http://www.mediapart.fr/journal/france/020410/la-gauche-que-veut-martine-aubry (Date d‘accès: 23 octobre 2010); Samuel Laurent, « La "société du care" de Martine Aubry fait débat », Le Monde, 14 mai 2010, En ligne : <http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/05/14/la-societe-du-care-de-martine-aubryfait-debat_1351784_823448.html> (Date d‘accès: 23 octobre 2010); « Manuel Valls rejette une société du "care" prônée par Martine Aubry », AFP, 14 mai 2010, En ligne : <http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h6BS3krpQnWk_mgmnWgdXuZ7C3Pw> (Date d‘accès: 23 octobre 2010). Nous nous détachons de ce débat puisque notre modèle de l‘éthique de la sollicitude et de l‘internormativité n‘est appliqué qu‘au contexte particulier des technologies de la reproduction. Nous ne prétendons aucunement que l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique doit être reprise par les autorités gouvernementales dans l‘ensemble de ses décisions. 367 5.1 Critique de l’évolution législative française Le projet de loi sur la bioéthique1232 présenté en octobre 2010 est une avancée certaine, mais demeure restrictif en ne permettant aux enfants issus d‘un don d‘obtenir le nom de leur géniteur que si celui-ci y consent au moment de la demande. Il ne s‘agit pas d‘un double guichet, mais la discrimination entre les enfants qui auront accès à l‘identité de leur donneur et ceux qui ne pourront en disposer existe également dans cette hypothèse non respectueuse de l‘éthique de la sollicitude. L‘un des principaux arguments invoqués par les promoteurs du projet de loi est que l‘accès optionnel à l‘identité du donneur a l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir l‘intérêt des adultes1233. Nous ne pouvons pas être en accord avec cette affirmation, car si effectivement cela est plus complaisant à l‘égard de l‘intérêt de l‘enfant, celui de l‘adulte, en l‘occurrence celui du donneur, continue de prévaloir en imposant son choix à l‘enfant. Les considérations d‘autonomie et d‘égalité dans le lien donneur – enfant ne sont pas respectées. Par surcroît, constatons les allers et retours continuels des autorités françaises dans l‘étude de leur projet de loi. Tout d‘abord, un recul total en revenant à la position actuellement en vigueur dans la loi. De fait, de novembre 2010 à février 2011, dans le cadre des travaux préparatoires de l‘Assemblée Nationale, le projet de loi a été soumis à une première lecture à la Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi relatif 1232 1233 Proposition AN no 2911, supra note 1206. Ibid. à la p. 64 de l‘étude d‘impact. 368 à la bioéthique présidée par monsieur Alain Claeys1234. Suite à l‘audition d‘experts ainsi que de divers témoins et des discussions du texte même, un rapport a été déposé le 26 janvier 2011. La position de l‘auteur, monsieur Jean Leonetti, sur la question globale de l‘anonymat est de privilégier une approche qu‘il qualifie de pragmatique et éthique. Au terme de sa réflexion, l‘amendement proposé est tout bonnement l‘abrogation des nouvelles dispositions du projet de loi1235. Parmi les arguments soulevés, la crainte que la levée de l‘anonymat présente le risque majeur de remettre en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation revient en force1236. Cette crainte peut pourtant être apaisée par l‘adoption d‘une terminologie appropriée dans la loi, car effectivement le donneur n‘est pas un parent au sens juridique du terme, et des dispositions excluant tout lien de filiation entre le géniteur et l‘enfant. Ces dernières sont d‘ailleurs déjà prévues par le législateur français1237 qui prévoit en plus une super filiation1238. 1234 France – Assemblée Nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/qui/xml/organe.asp?id_organe=/13/tribun/xml/xml/organes/425550.xml> (Date d‘accès : 13 février 2011). 1235 France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (Première lecture) : Texte de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique, Annexe au rapport (no 3111), 13e législature, 26 janvier 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta-commission/r3111a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); Ces modifications ont été retenues par l‘Assemblée Nationale et transmises au Sénat pour étude: France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture (Texte adopté no 606), 13e législature, 15 février 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0606.pdf> (Date d‘accès : Date d‘accès : 25 juin 2011). 1236 Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique (no 2911), Tome 1 : Exposé général – Travaux de la Commission, Assemblée Nationale, France, 13e législature, 26 janvier 2011 à la p. 42, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/rapports/r3111-tI.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011) [Leonetti, « Document no 2911»]. 1237 Art. 311-19 Code civil. 1238 Art. 311-20 Code civil. 369 Jean Leonetti n‘a pas tort sur un point : l‘argument du droit aux origines peut aisément être retourné car la levée de l‘anonymat aurait pour effet de développer le secret de famille1239. Un secret qui, nous le constatons au chapitre 2, vise la révélation à l‘enfant des circonstances de sa conception. C‘est ce qu‘il ressort des études de Pierre Jouannet, que nous examinons également ci haut et dont l‘auteur est allé témoigner devant la Commission spéciale. Notre analyse théorique en conclusion du chapitre 2 ne considère pourtant pas l‘existence du privilège de réserve des parents comme étant antagoniste à la proposition de reconnaître le droit aux origines et ce, tant que la nécessité d‘informer l‘enfant apparaît comme une obligation morale renforcée d‘un "counseling" offert par le milieu médical auprès des parents. La France n‘envisage par contre nullement de modifier la teneur du droit au secret qui est codifié à l‘article 311-20 al. 1 du Code civil afin de le faire correspondre à notre proposition où le privilège de réserve fait contrepoids au droit aux origines. D‘ailleurs, du point de vue de la sollicitude, la reconnaissance du droit aux origines confronte le droit au secret tel qu‘actuellement codifié en France. Une réforme complète du système français, afin qu‘il reflète la philosophie de notre approche théorique, nécessite ici un ajustement majeur où la discrétion des parents passe du statut de droit à celui de privilège. Au surplus, que Jean Leonetti considère sa position, et donc celle de la Commission spéciale, comme éthique et pragmatique est somme toute relatif car elle n‘est pas au diapason avec l‘éthique de la sollicitude. Nous nous demandons corrélativement à quelle éthique il fait référence. Pas à celle des relations interpersonnelles et d‘interdépendance semble-t-il. 1239 Leonetti, « Document no 2911 », supra note 1236 à la p. 43. 370 L‘auteur conclut en soulignant qu‘en : « tout état de cause, la levée de l‘anonymat n‘étant pas, par principe, rétroactive, le projet de loi n‘apportera pas de réponse satisfaisante à ceux qui, aujourd‘hui, réclament l‘accès à l‘identité de leur donneur. Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la levée de l‘anonymat est non seulement discutable sur le plan éthique mais également contreproductive sur la plan pratique. »1240 Il s‘agit là d‘une erreur. Prévoir la rétroactivité de l‘anonymat est en effet discutable et problématique, ne serait-ce que sur le plan pratique car on ne peut garantir que les cliniques ont en leur possession l‘information demandée. Toutefois, il s‘agit là d‘un commentaire qui ne voit pas plus loin que l‘instant présent. Certes, il est ardu de promettre aux enfants nés d‘un don et qui recherchent aujourd‘hui l‘identité de leur géniteur qu‘ils obtiendraient satisfaction de la codification du droit aux origines. Mais n‘y a-t-il pas lieu de prendre en considération les générations futures comme le fait le Royaume-Uni? En se basant sur l‘éthique de la sollicitude, il est au contraire justifié de mettre dès maintenant en place les infrastructures nécessaires à l‘exercice d‘un droit aux origines. Bref, nous voyons ici un exercice internormatif entre l‘éthique du "care" et l‘évolution d‘une règle de droit. Le projet de loi présenté en première lecture au Sénat prévoit donc l‘abrogation des articles 14 à 18 suggérés dans le projet de loi initial1241. Les tribulations ne s‘arrêtent toutefois pas là car deux commissions furent formées au Sénat et chacune est arrivée avec 1240 Ibid. à la p. 44. France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale relatif à la bioéthique (no 304), 15 février 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-304.pdf> (Date d‘accès : Date d‘accès : 25 juin 2011). 1241 371 ses propres conclusions. Tout d‘abord, la Commission des affaires sociales qui a soumis, en mars 2011, un rapport sous la plume de monsieur Alain Milon1242, conjointement à une nouvelle version du projet de loi qui remet de l‘avant la levée du voile sur l‘identité du donneur1243. Monsieur François-Noël Buffet, au nom de la Commission des lois, a de son côté rendu un avis, également en mars 2011, visant le maintien de l‘anonymat1244. Dans son rapport, Alain Milon souligne avant tout que la dignité humaine constitue le fondement des lois de bioéthique françaises en instaurant une limite à l‘action de l‘État, à la liberté individuelle et au principe d‘autonomie1245. Cette même autonomie est néanmoins un élément essentiel de la dignité humaine. « Elle suppose la capacité de choisir pour soi-même de manière libre et éclairée »1246. Un des objectifs de cette philosophie est de remettre l‘être humain au premier plan. Dans ce contexte, l‘auteur considère que le « respect de l‘autonomie des personnes passe aussi par le souci de ne pas laisser la science se substituer à l‘humain »1247. En découlerait un écho à la demande des enfants nés d‘un don d‘engendrement d‘avoir le choix de connaître ou non leur géniteur. « On atteint là la limite des pouvoirs de la médecine, qui ne peut pas décider seule de ce 1242 Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique (no 388), Sénat, France, 30 mars 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/rap/l10-388/l10-3881.pdf> (Date d’accès : 25 juin 2011) [Milon, « Document no 388 »]. 1243 France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique, Texte de la Commission des affaires sociales (1) (no 389), 15 février 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10389.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1244 François-Noël Buffet, Avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique (no 381), Sénat, France, 29 mars 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/rap/a10-381/a10-3811.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1245 Milon, « Document no 388 », supra note 1242 à la p. 13. 1246 Ibid. à la p. 17. 1247 Ibid. à la p. 18. 372 qui est l‘intérêt de la personne »1248. S‘agit-il d‘une ouverture à une perspective de sollicitude? Par ailleurs, cette introduction du rapport Milon est intéressante car elle nous permet de rappeler, tel que souligné au chapitre préliminaire, qu‘une analyse basée sur la seule dignité des personnes ne présume pas de la solution à retenir dans l‘éventualité d‘un conflit de normes car, en matière d‘anonymat, plusieurs droits fondamentaux antagonistes entrent en ligne de compte. D‘un autre côté, la dignité humaine est l‘un des principes directeurs de la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction1249. Ainsi, la Commission des affaires sociales du Sénat rétablit la levée de l‘anonymat. Celle-ci est toutefois plus étendue que dans le projet de loi initial du Gouvernement puisqu‘il s‘agit d‘une levée automatique de l‘anonymat sur simple demande d‘un enfant né après le 1er janvier 2014 et devenu adulte1250. Milon spécifie que « [l]a Commission a estimé que la levée automatique constituait la méthode la plus susceptible de permettre un don responsable et qu‘elle éviterait les ruptures d‘égalité en autorisant toutes les personnes issues d‘un don qui le souhaiteraient à avoir accès à leurs origines »1251. S‘en suivent une série d‘articles visant à rencontrer cet objectif et à assurer une information adéquate du donneur. L‘approche de la Commission des affaires sociales du Sénat quant au droit aux origines est intéressante. Elle dénote une volonté manifeste des autorités françaises de remettre l‘enfant au cœur du processus législatif en matière d‘anonymat et dans la relation 1248 Ibid. à la p. 19. Nous référons ici à notre tableau en section 3 du chapitre 1. 1250 France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique, Texte de la Commission des affaires sociales (1) (no 389), supra note 1243, art. 14. 1251 Milon, « Document no 388 », supra note 1242 à la p. 71. 1249 373 donneur – enfant. Néanmoins, force est de reconnaître un illogisme frappant si nous observons d‘un point de vue relationnel des liens d‘interdépendance : aucune mention n‘est faite d‘une éventuelle modification du droit au secret des parents tel qu‘actuellement codifié aux articles 311-20 du Code civil et 1157-2 du Code de procédure civile. En l‘état, la France met de l‘avant des propositions contradictoires. D‘ailleurs, au sein même du Sénat, on n‘a pas semblé s‘entendre sur la question de l‘anonymat. L‘avis de François-Noël Buffet, rendu parallèlement au rapport Milon, dénote que la Commission des lois soutien la position des députés de l‘Assemblée Nationale et que l‘anonymat devrait être maintenu. Ainsi justifie-t-il cette position : « Les demandes sont peu nombreuses (25 par an en moyenne) et ne justifient pas de prendre le risque d‘une baisse des dons consécutive à la levée de l‘anonymat. Surtout, autoriser, par cette levée de l‘anonymat, le donneur à prendre une place dans l‘histoire personnelle et familiale de l‘enfant, fût-ce avec son consentement, installe au cœur de la filiation, un primat biologique, qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien. »1252 S‘en suit donc que, de son côté, la Commission des lois maintien la suppression des articles 14 à 181253. Que dire de plus que ce nous exprimons déjà dans notre critique de la première version parlementaire? Lorsque François-Noël Buffet dit que le principe d‘anonymat est protecteur des intérêts des parents et, indirectement, des enfants, comme ceux des 1252 1253 Buffet, supra note 1244 à la p. 15. Ibid. à la p. 33, 374 donneurs1254, il est évident que nous ne nous trouvons pas dans une logique de sollicitude. L‘emphase semble davantage mise sur la protection des parents qui protège par ricochet l‘intérêt de l‘enfant1255. Il nous est difficile de voir comment ce dernier est ramené dans le débat afin que sa relation avec les autres acteurs du don d‘engendrement prenne un sens. Le plus surprenant semble être l‘ignorance du Sénat du malaise fondé sur l‘existence du donneur qu‘on veut cacher puisqu‘il ébranle le fondement biologique du système de filiation en France où l‘intention liée à l‘acte devient secondaire. On cache le géniteur afin que la vérité affective et sociologique de l‘enfant corresponde à sa vérité biologique et ce, même s‘il existe une exclusion de la responsabilité du donneur1256 et une super filiation empêchant au parent ayant consenti à la procréation assistée de remettre en cause son engagement1257. Pourtant, François-Noël Buffet craint que la levée de l‘anonymat entraîne une biologisation de la famille, ce qu‘il faudrait éviter dit-il, puisque cela diminue la part que les parents ont prise à l‘engendrement non seulement biologique, mais aussi affectif et social de leur enfant1258. Ce n‘est pas faux comme argument, mais encore là, cela s‘oppose à la vision actuelle de la filiation à la française. Qui plus est, si nous avons aussi exprimé notre préoccupation d‘une confusion des rôles, cela n‘est pas un obstacle infranchissable du point de vue juridique. En présence de garanties déjà fortes du lien de filiation, avons-nous besoin de l‘anonymat en plus? Surtout lorsque l‘éthique de la sollicitude maintient le privilège des parents de garder le secret? L‘auteur précise que « [f]aute pour les parents de disposer de la protection que leur offre l‘anonymat ou 1254 Ibid. à la p. 38. Ibid. à la p. 39. 1256 Art. 310-19 Code civil. 1257 Art. 311-20 al. 2 et 4 Code civil. 1258 Buffet, supra note 1244 à la p. 38. 1255 375 d‘avoir la maîtrise sur la levée de l‘anonymat, il est à craindre que certains se protègent en taisant la vérité sur le recours au tiers donneur. Si une telle situation prévalait, la levée de l‘anonymat risquerait de se retourner contre l‘intérêt des enfants eux-mêmes. »1259 Ici encore, l‘existence du privilège des parents les protège, tout comme le donneur compte tenu de la réaction du couple face à une levée de l‘anonymat, et l‘obligation morale qui l‘accompagne avec son processus d‘information vise la protection de l‘intérêt de l‘enfant. Certes nous pouvons avoir peur que les donneurs soient principalement confrontés à des individus en souffrance, dont la demande sera supérieure à ce qu‘ils pourront offrir1260, mais la levée de l‘anonymat a des limites et la responsabilité du donneur tout autant. Ce dernier n‘a pas à avoir l‘obligation de rencontrer et d‘entretenir des liens avec l‘enfant qui devra alors aller chercher l‘aide nécessaire à son bien-être intérieur. Cela nous permet de faire la remarque que tout processus entrepris par l‘enfant se doit d‘être accompagné d‘un suivi rapproché par des professionnels. Tout ce débat a finalement eu pour conclusion que le texte envoyé par le Sénat pour une seconde lecture à l‘Assemblée Nationale maintient la suppression des articles 14 à 18 du projet de loi d‘octobre 20101261. À la Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi de bioéthique, toujours présidée par monsieur Alain Claeys, monsieur Jean Leonetti a déposé, le 11 mai 2011, un nouveau rapport dont les motivations restent les 1259 Ibid. à la p. 39. Ibid. 1261 France – Sénat, Projet de loi modifié par le Sénat relatif à la bioéthique (Texte adopté no 95), 8 avril 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/tas10-095.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); Texte ainsi renvoyé devant l‘Assemblée Nationale pour une seconde lecture : France – Assemblée Nationale, Projet de loi modifié par le Sénat, relatif à la bioéthique (no 3324), 13e législature, 8 avril 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/projets/pl3324.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1260 376 mêmes1262. La principale évolution liée aux propositions des instances antérieures est un nouvel article concernant la règlementation de la conservation des données détenues par les CÉCOS1263. En date du dépôt de cette thèse, la suite des débats en 2e lecture à la Commission des affaires sociales du Sénat1264 et devant la Commission mixte paritaire1265 demeure en l‘état. 1262 Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, adopté avec modifications par le sénat en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 3403), Assemblée Nationale, France, 13e législature, 11 mai 2011, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/rapports/r3403.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1263 Ibid. à la p. 77; France – Assemblée nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (deuxième lecture), texte de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique annexe au rapport (no 3403), 13e législature, 11 mai 2011, art. 18 bis et 18 ter, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/ta-commission/r3403-a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique, adopté avec modifications par l’assemblée nationale en deuxième lecture (Texte adopté no 671), 13e législature, 31 mai 2011, art. 18 bis et 18 ter, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0671.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). Ces modifications ont été retenues par l‘Assemblée Nationale et transmises au Sénat pour étude en seconde lecture. Voir : France – Sénat, Projet de loi adopté avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique, (no 567), 31 mai 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-567.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1264 Voir : Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 571), Sénat, France, 1er juin 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/rap/l10-571/l10-5711.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Sénat, Projet de loi adoptée avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique, texte de la commission des affaires sociales (1) (no 572), 1er juin 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-572.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Sénat, Projet de loi modifié par le sénat en deuxième lecture relatif à la bioéthique (Texte adopté no 139), 9 juin 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/tas10-139.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Assemblée Nationale, Projet de loi modifié par le sénat en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 3526), 13e législature, 10 juin 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/projets/pl3526.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 1265 Jean Leonetti et Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire (1) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique (no 3536 – Assemblée Nationale et no 637 – Sénat), Assemblée Nationale, France, 13e législature, 15 juin 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r3536.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France, Assemblée Nationale – Sénat, Projet de loi relatif à la bioéthique, texte élaboré par la commission mixte paritaire (no 3536 – Assemblée Nationale et no 638 – Sénat), 13e législature, 15 juin 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta-commission/r3536-a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (Texte adopté no 690), 13e législature, 21 juin 2011, En ligne : < http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0690.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Sénat, Projet de loi relatif à la bioéthique (Texte définitif)(Texte adopté no 146), 23 juin 2011, En ligne : < http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2010-2011/638.html> (Date d‘accès : 25 juin 2011). 377 5.2 Critique de l’approche juridique française Le malaise français concernant l‘anonymat du donneur, compte tenu de la logique retenue en matière de filiation qui est fondée surtout sur le biologique, tirerait avantage de la levée du voile1266. D‘une part, cela permettrait d‘intégrer dans le processus de révision législatif la dimension d‘interdépendance des individus. Dans la suite des modifications législatives apportées en 2002 en ce qui concerne l‘accouchement sous X, la notion d‘origine serait d‘autre part plus fermement isolée de celle de filiation et permettrait de réintégrer le donneur comme un acteur à part entière du l‘acte procréatif. « En détachant de la sorte l‘origine personnelle de l‘orbite de la filiation, le droit valide l‘autonomie de l‘identité psychologique et sociale de la personne par rapport à son identité statutaire. »1267 Même si le mécanisme de l‘accouchement sous X conserve un anonymat dépendant de la volonté de la mère1268, la loi de 2002 a d‘important qu‘elle n‘officialise pas un partage de parenté entre parents adoptifs et parents de naissance. « Elle traduit de 1266 Cela pourrait entraîner une disparition de l‘exigence thérapeutique dans l‘accès à la procréation assistée. Si la Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi relatif à la bioéthique n‘entend pas permettre aux femmes seules et aux couples de même sexe d‘accéder à la procréation assistée, il apparaît dans son rapport une volonté de mettre fin à la distinction en assistance médicale à la procréation et procréation médicalement assistée pour ne retenir que la dernière expression. Leonetti, « Document no 2911», supra note 1236 aux pp. 57-62. En bout de ligne, force est de constater qu‘il ne s‘agit là que d‘une clarification conceptuelle et non d‘un véritable élargissement du champ d‘application de la procréation assistée. Il n‘est pas certain que cela mettra un terme au malaise français pas plus qu‘à l‘emphase mise sur le biologique et la génétique comme fondements de la filiation. 1267 Brunet, supra note 120 à la p. 97. 1268 Soulignons que des discussions sont actuellement en cour en France afin de modifier le régime de l‘accouchement sous X afin qu‘il devienne un accouchement dans la discrétion. Tel fut le résultat d‘une mission parlementaire menée par Brigitte Barèges en novembre 2010. Voir : Brigitte Barèges, Député de Tarn-et-Garonne (Rapporteur), RAPPORT - MISSION PARLEMENTAIRE sur l'accouchement dans le secret, Assemblée Nationale, France, 12 novembre 2010, En ligne : <http://www.brigittebareges.com/uploads/files/Rapport%20mission%20accouchement.pdf> (Date d‘accès : 14 juin 2011); Une certaine jurisprudence pourrait également remettre en cause cette institution. Le 26 janvier 2011, la cour d‘appel d‘Angers a en effet reconnu à des grands-parents le droit de se voir attribuer la garde de leur petite-fille née sous X. Voir : Barreau de Toulouse, L’accouchement sous X serait-il inhumain ? Cour d’appel d’Angers du 26 janvier 2011 : vers la fin de l’accouchement sous X ?, En ligne : <http://www.avocats-toulouse.com/spip.php?article1286> (Date d‘accès : 14 juin 2011). 378 manière subtile une forme de pluriparentalité non juridique (dans les cas où l‘enfant rencontre ses parents de naissance), tout en maintenant l‘exclusivité juridique de la filiation (les parents adoptifs demeurent les seuls vrais parents de l‘enfant. »1269 C‘est d‘ailleurs la philosophie pluriparentale que nous prônons en fin de chapitre 2, c‘est-à-dire selon une approche multidisciplinaire. Nous ne reviendrons pas sur le débat distinguant l‘adoption de la procréation assistée, mais nous constatons ici que le législateur français dispose d‘un précédent en matière d‘accès aux origines. Celui-ci s‘avère un premier pas pouvant l‘inspirer dans sa conception globale de la filiation ainsi que l‘aider à dissiper le dérangement qu‘ont certains auteurs à l‘égard de l‘effacement complet du donneur dans le modèle de la filiation charnelle ou par le sang. Qui plus est, en procédant à une différenciation complète de la filiation et de l‘anonymat, le législateur français respecterait la disposition d‘exemption de responsabilité qu‘il a adoptée à l‘égard du donneur1270 et qui constitue déjà une base à la division conceptuelle. À celle-ci s‘ajoute l‘impossibilité pour le parent receveur de remettre en cause son engagement à l‘égard de l‘enfant né d‘une procréation assistée1271. De par ces articles de loi, le législateur a déjà introduit dans le corpus légal français des fondements où la filiation se base sur la volonté et non sur une corrélation entre la filiation légale et la réalité biologique et génétique. La levée de l‘anonymat vise justement à accorder à cette dernière la place qui lui revient dans la vie de l‘enfant. Ni plus, ni moins. Le donneur n‘est pas un parent au sens de la loi. 1269 Cécile Ensellem, « Accouchement sous X et assistance à la procréation avec donneur. Prises de position sur l‘accès aux origines et les fondements de la parentalité », (2007) 4 Recherches familiales 111 à la p. 116. 1270 Art. 311-19 Code civil. 1271 Art. 311-20 al. 2 et 4 Code civil, 379 La France a fait un excellent constat en soulignant que, dans le débat sur l‘anonymat des dons, le juriste est ramené à une question classique de conflit d‘intérêts. Il est tout autant légitime de se demander si « [l]e souci du désir des parents ne doit-il pas être contrebalancé par le souci des enfants, jusqu‘ici peut-être trop méconnu, conformément à l‘idée que l‘intérêt de l‘enfant doit être l‘élément déterminant pour aménager les conséquences de l‘assistance médicale à la procréation ? »1272 Il est d‘à propos que les rédacteurs du projet de loi utilisent le mot "souci" dans leur étude d‘impact car c‘est le lien que nous voulons créer avec la norme de droit positif. Cela nous ramène à la façon dont le conflit d‘intérêts doit être tranché. Se demander comment nous en arriverions à des résultats différents si on priorisait les relations interpersonnelles nous amène, oui, à une prise de position différente, celle que nous effectuons au chapitre 2 et dont la France s‘éloigne, mais également à nous interroger sur le processus législatif devant nous mener à cette même conclusion. Comment l‘éthique de la sollicitude, par le biais de l‘internormativité, doit-elle entrer en ligne de compte en France? L‘une de nos premières observations est que la démarche française, dans son projet de loi d‘octobre 2010, est dans la suite de son profil législatif en matière de technologies de reproduction. Cela se confirme même par l‘examen subséquent du débat parlementaire et sénatorial du document. Nos travaux de maîtrise sur le diagnostic préimplantatoire (DPI) nous ont permis de dégager différentes approches législatives à l‘échelle internationale1273. Celle de la France est dite prudente. Pour Melanie Latham: 1272 Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 63 de l‘étude d‘impact. Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; supra note 23. 1273 380 « the French legal system is a finely balanced codified system, which attempts to cater for all eventualities before they arise. In cases before the courts the law is applied rather than interpreted and is meant to be read as a coherent whole. Any change to the law thus has the potential to upset that balance which has discouraged legal commentators from endorsing change. NRTs law would have had repercussions for this balance especially as the medicine behind it appeared to be continually throwing up new legal quandaries that needed to be resolved. Moreover, codified law necessitated a parliamentary and public consensus that on NRTs proved difficult to obtain. It was most difficult therefore for the French to legislate on NRTs. »1274 En matière DPI, nous remarquions que par volonté de tout prévoir et sous réserve d‘une autorisation de l‘Agence de la biomédecine, la législation française anticipe, dans son Code de la santé publique, quelles applications du DPI peuvent faire l‘objet d‘une autorisation et établit une liste des conditions et des circonstances d‘accès. La seule façon de les modifier est de repasser par le processus législatif. En affirmant que l‘option choisie dans le projet de loi permettrait à l‘enfant, « même dans l‘éventualité où le donneur ne consentirait pas à révéler son identité, de se confronter à la réalité d‘un consentement ou d‘un refus, après avoir entamé une démarche dont l‘issue n‘est pas abstraitement déterminée par la loi »1275, cela entre dans la ligne directe d‘une position prudente. C‘est une terminologie que nous retrouvons également dans le rapport soumis par l‘Agence de biomédecine dans le cadre des États généraux. La position de la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique est encore plus prudente en montrant un retour à la case départ et une abrogation des propositions du projet de loi. Et que dire des allers-retours qui s‘en suivent 1274 Melanie Latham, « Regulating the new reproductive technologies: A cross-channel comparison », (1998) 3 Medical Law International 89 à la p. 92. 1275 Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 64 de l‘étude d‘impact. 381 en première lecture au Sénat et à l‘occasion du second examen devant la Commission spéciale? L‘hésitation à adopter l‘une ou l‘autre des positions est manifeste du climat législatif axé sur la crainte. Cela se dégage nettement de l‘analyse que nous effectuons au point 5.1. Qui plus est, nous nous demandons si la difficile différenciation entre la filiation et l‘anonymat, la parenté et la biologie, ne pousse pas le législateur à un excès de prudence dans la problématique en cause. Une ouverture totale à l‘internormativité, qui permettrait d‘introduire l‘éthique de la sollicitude dans la seconde étape du modèle de construction de la règle de droit, requiert donc du législateur français qu‘il s‘éloigne de son approche législative actuelle pour s‘ouvrir pleinement au facteur humain de la problématique. La question de l‘anonymat des dons, du privilège de réserve des parents au droit aux origines, diffère grandement de celle des applications du diagnostic préimplantatoire en ce qu‘il ne s‘agit pas de déterminer lesquelles seront permises par la loi. Dans le processus réflectif du législateur, il demeure malgré tout que celui-ci a de la difficulté à ouvrir la porte aux relations interpersonnelles et ce, même progressivement compte tenu des conséquences possibles de l‘abandon de l‘anonymat et de la complexité des questionnements que cela soulève. Des interrogations qui suscitent des incertitudes avec lesquelles le législateur préfère garder ses distances. Aussi, en matière d‘anonymat, l‘approche prudente prend la forme d‘une législation d‘autoprotection face aux craintes que suscite le don d‘engendrement. Il est fort délicat de dire qu‘à tous points de vue la position française est mauvaise car le cadre juridique adopté par un législateur dépend de nombreux facteurs comme la 382 pratique déjà en place dans le pays (nous pensons ici à celle des CÉCOS qui de longue date est l‘anonymat des dons) ou les valeurs dominantes au sein du groupe (le fait de considérer l‘accès à la procréation assistée comme une visée thérapeutique, par exemple). Nous pensons par contre que, dans la problématique en cause, la France retirerait de grands bénéfices de s‘inspirer de l‘éthique de la sollicitude tout en l‘intégrant au processus législatif au moyen de l‘internormativité. Cette approche théorique est pertinente compte tenu des relations humaines interdépendantes de la problématique et du fait qu‘elle encourage le souci du bien-être mutuel déjà présent en France. SECTION 3 : LE VIRAGE BRITANNIQUE, ABOLITION DE L’ANONYMAT PAR LE ROYAUME-UN La loi britannique, adoptée en 19901276, a fait l‘objet d‘un vaste processus de révision en 20081277. C‘est néanmoins en 2004 qu‘est entrée en vigueur la modification réglementaire majeure en matière d‘anonymat des dons de gamètes 1278 ayant lieu dans une clinique agrée. Le droit anglais en matière de technologies de la reproduction ne concerne effectivement pas la procréation privément assistée qui demeure assujettie aux règles du droit commun. Dans la présente section, nous présentons dans un premier temps l‘état du droit tel qu‘il était avant que le législateur britannique opère un virage à 180 degrés et abolisse l‘anonymat. Aussi, dans un deuxième temps, nous tâchons de comprendre ce qui a motivé 1276 Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552. Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552. 1278 The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations 2004, supra note 44. 1277 383 le législateur dans cette prise de décision. Concernant l‘analyse critique à la lumière de l‘éthique de la sollicitude, et sur laquelle nous concluons, quelques précisions s‘imposent. Dans l‘étude du droit français, nous transposons l‘éthique de la sollicitude au moyen de l‘internormativité en ayant pour objectif de déterminer comment nous en arriverions à des résultats différents si on priorisait la logique de la sollicitude puisque dans ce pays l‘anonymat est fort présent. À l‘opposé, le Royaume-Uni a déjà mis un terme à l‘anonymat. La réflexion est néanmoins plus que jamais pertinente puisque cet État a une approche aux technologies de la reproduction qui est très libérale et qui tend au départ à favoriser l‘autonomie reproductive des parents. Or, il y a lieu de se demander si, par l‘abolition de l‘anonymat, nous ne retrouvons pas dans la législation britannique une certaine priorité de l‘interdépendance des individus et donc, des relations interpersonnelles. Le résultat est certes le même, mais quelle fut la motivation de la législation britannique? En quoi pouvons-nous l‘associer à notre cadre théorique? 1- LA LOI ORIGINALE DE 1990 : L’ANONYMAT EN VIGUEUR Jusqu‘en 2004, les dons d‘engendrement effectués au Royaume-Uni étaient considérés comme anonymes1279. La Human Fertilisation and Embyology Authority (HFEA), l‘autorité régulatrice britannique, était quant à elle la gardienne de l‘identité du donneur. En effet, déjà en 1990, la loi prévoyait la création d‘un registre, sous la 1279 Concernant les enfants nés avant 1991, voir : Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Conceived before 1 August 1991, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5552.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), If you were onceived before 1 August 1991, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5524.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). 384 responsabilité de la HFEA, des donneurs et des enfants nés grâce à ces dons1280. L‘inscription sur le registre était néanmoins aux seuls fins de l‘autorité de contrôle et de régulation de la procréation assistée et l‘identité du donneur ne pouvait être dévoilée aux tiers que dans quelques cas précis prévus par la loi1281. Cette dernière prévoyait bien l‘accès à certaines informations lorsque l‘enfant atteint sa majorité et qu‘il demande de consulter de registre1282, les donneurs étant priés de fournir des renseignements non identifiants (e.g. origine ethnique, situation professionnelle1283), mais il n‘existait aucun moyen d‘en connaître l‘identité1284. Parallèlement, la loi de 19901285 prévoyait, lors de son adoption, les dispositions applicables au statut légal des parents de l‘enfant né suite à un don d‘engendrement. Une auteure remarque que ces dispositions législatives prennent comme point de repère la filiation nucléaire (et, par conséquent, hétérosexuelle)1286. L‘article 27 de la loi précise qu‘est déclarée mère la femme qui accouche. Si elle est mariée, une présomption de paternité s‘applique d‘autre part à son conjoint, sous réserve de son consentement au 1280 Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 31. Voir le Human Fertilisation and Embryology (Disclosure of Information) Act 1992, 1992 c. 54, En ligne: http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1992/54/data.pdf (Date d‘accès: 28 novembre 2010). 1282 Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 31 (3). 1283 Ibid., art. 31 (5); Voir également: Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Conceived between 1 August 1991 – 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5553.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010) [HFEA, « Conceived between 1 August 1991 – 1 April 2005 »]; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), If you were conceived between 1 August 1991 and 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5553.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). 1284 Sur l‘état du droit concernant l‘anonymat avant la réforme de 2004, voir : Ruth Deech, « Family Law and Genetics », (1998) 61 Mod. L. Rev. 697; Frith, « Debate », supra note 42; Robert L. Stenger, « The law and assisted reproduction in the United Kingdom and United States », (1994-1995) 9 J.L. & Health 135; Kristina Stern, « The regulation of assisted conception in England », (1994) 1 Eur. J. Health L. 53; Wilson, supra note 765; Thérèse Callus, « De l‘anonymat assuré à l‘anonymat affaibli: la (r)évolution du droit anglais en matière de procréation médicalement assistée », dans Feuillet-Liger, supra note 42, 179 [Callus, « Révolution »]; Lee et Morgan, supra note 330 aux pp. 231-237. 1285 Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552. 1286 Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 183; Callus, « Filiation », supra note 921 à la p. 60. 1281 385 transfert du matériel génétique1287. Dans le cas des concubins, est père celui qui se livre au traitement avec sa conjointe et qui y a consenti1288. En aucun cas le donneur ne peut être considéré comme le père de l‘enfant1289. Attention par contre, si la loi, dans ces circonstances, place la parenté sociale au-dessus du lien génétique, ces dispositions législatives ne s‘appliquent qu‘à la procréation assistée se déroulant dans le contexte médical. L‘hypothèse de la procréation amicalement assistée n‘est pas couverte et demeure assujettie aux règles du droit commun1290 que nous n‘abordons pas. Si le législateur a voulu se prétendre le gardien de l‘intérêt des enfants en adoptant ces mesures, c‘est avant tout l‘intérêt des adultes à cacher l‘intervention d‘un tiers dans la procréation qui était au cœur de ses préoccupations en 1990 1291. Cela était d‘ailleurs en accord avec le rapport de la Commission Warnock1292 qui se pencha dans les années 80 sur l‘encadrement des technologies de la reproduction et favorisa l‘anonymat 1293. En 1287 Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 28 (2). Ibid., art. 28 (3). 1289 Ibid., art. 28 (6). 1290 Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 183; Pour une analyse détaillée du droit anglais quant aux principes de filiation, voir : Callus, « Filiation », supra note 921 aux pp. 58 et suivantes. 1291 Callus, « Révolution », supra note 1284 aux pp. 186-187; Eric Blyth et Lucy Frith, « The UK‘s gamete donor ‗crisis‘ – a critical analysis », (2008) 28:1 Critical Social Policy 74 à la p. 75 [Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ »]. 1292 En juillet 1982, fut créé le Committee of Inquiry into Human Fertilisation and Embryology. Sous la présidence de Mary Warnock, ce dernier rendit public en 1984 les résultats de sa consultation sur la recherche sur l‘embryon et la reproduction humaine assistée. « The Warnock Report reviewed the ethical issues associated with new reproductive techniques and stated the Committee‘s opinions (both majority and minority opinions, in some cases) about what policymakers ought to adopt in designing oversight. » Erik Parens et Lori P. Knowles, « Reprogenetics and Public Policy: Reflections and Recommendations – A special supplement to the Hastings Center Report », (2003) Hastings Center Report S1 à la p. S15; Ce rapport influença grandement le législateur britannique en jetant les bases du Human Fertilisation and Embryology Act. Peter R. Brinsden, « Has clinical practice been changed by the Human Fertilisation and Embryology Act », (2000) 3 Human Fertility 116 à la p. 116; Latham, supra note 1274 à la p. 91; Parens et Knowles, supra à la p. S15; Stenger, supra note 1284 aux pp. 139-147; Agneta Sutton, « The British Law on Assisted Reproduction: A Liberal Law by Comparison with Many Other European Laws », (1996) 12:2 Ethics & Medicine 41 à la p. 41. 1293 Department of Health and Social Security, Report of the Committee of Inquiry into Human Fertilisation and Embryology ("The Warnock Report"), Cm 9314, July 1984 à la p. 15, En ligne: 1288 386 effet, à l‘époque, le don de gamètes n‘était pas interdit, mais ne faisait l‘objet d‘aucun encadrement. L‘enfant était considéré comme illégitime aux yeux de la loi et le conjoint de la femme qui consentait à la procréation assistée ne disposait d‘aucune responsabilité légale à l‘égard de l‘enfant. C‘était le donneur qui était considéré comme le père légal. Selon la pratique alors instaurée, le nom du conjoint était indiqué sur l‘acte de naissance, mais cela signifiait commettre une infraction en donnant une fausse information. Les problèmes liés à la paternité légale ont contribué au désir de garder la pratique secrète et l‘anonymat pouvait être considéré comme nécessaire afin de protéger le donneur d‘une éventuelle responsabilité parentale et de garantir son attribution au conjoint de la femme qui accouchait1294. L‘anonymat a donc été en vigueur au Royaume-Uni pendant près d‘une quinzaine d‘années. Puis, en 2004, le virage fut radical. Désormais, tout donneur de gamètes ou d‘embryons doit savoir que l‘enfant peut obtenir des informations nominatives et identifiantes le concernant s‘il est informé des circonstances de sa conception; le privilège de réserve des parents prenant la même forme que dans les lois canadienne et québécoise. C‘est que nous abordons plus en détails ci-après. <http://www.hfea.gov.uk/docs/Warnock_Report_of_the_Committee_of_Inquiry_into_Human_Fertilisation _and_Embryology_1984.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Cohen, supra note 487 à la p. 270. 1294 Ibid.; Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 à la p. 75; Frith, « Debate », supra note 42 à la p. 820; Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 285; Sur le contexte entourant l‘adoption de la loi de 1990, voir également: Catherine Donovan, « Genetics, Fathers and Families: Exploring the Implications of Changing the Law in Favour of Identifying Sperm Donors », (2006) 15 Social & Legal Studies 494 aux pp. 495 et ss. 387 2- L’ÉVOLUTION LÉGISLATIVE DE 2004 : L’ANONYMAT ABOLI The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations 20041295 est entré en vigueur au 1er juillet 2004. Si nous effectuons une lecture de l‘état du droit en parallèle avec le Human Fertilisation and Embryology Act 20081296, nous constatons ce qui suit en ce qui concerne les informations identifiantes du donneur, malgré l‘absence d‘une obligation de mettre l‘enfant au courant des circonstances de sa conception. À l‘époque du projet de loi, fut d‘ailleurs rejetée l‘option d‘indiquer le recours à un tiers donneur à même le certificat de naissance. Des auteurs expliquent ainsi ce choix du législateur britannique: « Arguably, the enforcement of the child‘s right to know at the price of other rights (parents and donors) would have been a mistake. The interests of parents, resultant children, and donors must be balanced against each other. »1297 La loi de 2008 préserve dans un premier temps l‘obligation de la HFEA de tenir un registre contenant des renseignements concernant le donneur de gamètes ou d‘embryons1298. L‘enfant conçu grâce à ce don peut y avoir accès dans certaines circonstances. S‘il a 16 ans, il a par exemple la possibilité d‘être informé du fait que d‘autres enfants sont nés du même donneur. Néanmoins, ce n‘est qu‘à partir de 18 ans qu‘il peut obtenir les données nominatives concernant son géniteur1299. L‘obligation de l‘autorité administrative de répondre à la demande d‘un enfant ne s‘applique cependant 1295 Supra note 44. Supra note 552. 1297 Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 303. 1298 Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 24 (nouvel art. 31 de la loi de 1990). 1299 Ibid., art. 24 (nouvel art. 31 ZA de la loi de 1990). 1296 388 pas si les gamètes ou les embryons utilisés ont été obtenus à une époque où le donneur pouvait refuser que son identité soit communiquée1300. Cela signifie donc que la possibilité pour un enfant d‘accéder à ses origines, quant à l‘identité de son donneur, n‘est pas rétroactive. Dans ces circonstances, c‘est le régime de départ de l‘anonymat qui s‘applique. Le règlement de 2004 vient, dans un deuxième temps, préciser l‘étendue des informations que peut obtenir l‘enfant. Dans tous les cas où une demande d‘accès au registre est faite, l‘article 2 prévoit qu‘il lui est possible d‘être avisé de : « (a) the sex, height, weight, ethnic group, eye colour, hair colour, skin colour, year of birth, country of birth and marital status of the donor; (b) whether the donor was adopted; (c) the ethnic group or groups of the donor‘s parents; (d) the screening tests carried out on the donor and information on his personal and family medical; (e) where the donor has a child, the sex of that child and where the donor has children, the number of those children and the sex of each of them; (f) the donor‘s religion, occupation, interests and skills and why the donor provided sperm, eggs or embryos; (g) matters contained in any description of himself as a person which the donor has provided; (h) any additional matter which the donor has provided with the intention that it be made available to an applicant history »1301. 1300 Ibid. The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations 2004, supra note 44, art. 2 (1) et (2). 1301 389 Cela peut même concerner des éléments inclus dans le registre depuis sa création au début des années 90, mais ne sont pas visés l‘identité du géniteur ou des renseignements qui puissent permettre de le nommer1302. Cette disposition s‘élargie dans le cas des enfants nés d‘un don fait depuis le 1 er avril 2005. À leur majorité, donc au plus tôt en 2023, ils pourront être instruits des éléments déjà énoncés, mais également de : « (b) the surname and each forename of the donor and, if different, the surname and each forename of the donor used for the registration of his birth; (c) the date of birth of the donor and the town or district in which he was born; (d) the appearance of the donor; (e) the last known postal address of the donor. »1303 Les données transmises sont finalement limitées à celles demandées dans la requête d‘accès de l‘enfant1304. Soulignons ici que lorsque c‘est le régime de départ qui s‘applique, c‘est-à-dire celui de l‘anonymat, il est toujours possible pour le donneur de consentir à la communication de ses renseignements identifiants. Le gouvernement 1302 Ibid. Ibid., art. 2 (3). 1304 Ibid., art. 2 (4); Voir également: Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Conceived after 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5554.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), If you were conceived after 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5526.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Apply for information about your donor, Dernière mise à jour: 30 mars 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/113.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). 1303 390 britannique a, à cette fin, financé la mise en place d‘un registre facultatif1305 qui vise à mettre en contact, s‘ils le souhaitent, les donneurs et leurs enfants et à faciliter la recherche par l‘enfant de son géniteur1306. En ce qui concerne le lien de filiation établi sous la loi de 2008, peu importe le type de don, la loi maintient que la mère est la femme qui accouche1307. Dans ce contexte, l‘accouchement se traduit en acte juridique1308. Quant à la paternité, si la femme est mariée, son époux est présumé être le père légal de l‘enfant, à moins qu‘il puisse être prouvé qu‘il n‘a pas consenti au transfert de l‘embryon crée grâce au don 1309. Dans les autres cas, c‘est-à-dire lorsque la mère n‘est pas mariée au moment du don, une distinction est faite entre les traitements de fertilité effectués avant avril 2009 et ceux réalisés par après. Aussi, si la mère a bénéficié d‘un don avant cette date, l‘homme qui a été traité avec elle et qui a consenti au traitement est considéré comme le père légal 1310. Depuis avril 2009, le droit a par contre changé en ce qui concerne l‘hypothèse des femmes non mariées et celles en couple lesbien. Dans ces cas, le père ou le second parent est la personne dont le nom apparaît le formulaire de consentement de parenté. Tant la 1305 Voir : UK Donor Link, UK Voluntary Information Exchange and Contact Register Following Donor Conception Pre 1991, En ligne: <http:www.ukdonorlink.org.uk> (Date d‘accès : 12 décembre 2010). 1306 Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 188; Françoise Shenfield, « Don de gamète, la fin de l‘anonymat: la position britannique. Une position récente, dans le contexte européen », (2008) 18 :2 Andrologie 146 à la p. 147; Voir également : HFEA, « Conceived between 1 August 1991 – 1 April 2005 », supra note 1283; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Can you be anonymous as a sperm, egg or embryo donor?, Dernière mise à jour: 10 novembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/1973.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). 1307 Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 33 (1). 1308 Callus, « Filiation », supra note 921 à la p. 60. 1309 Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 35. 1310 Voir plus haut; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Your legal responsibilities as a sperm, egg or embryo donor, Dernière mise à jour: 10 novembre 2010, <En ligne: http://www.hfea.gov.uk/1972.html> (Date d‘accès : 12 décembre 2010) [HFEA, « Legal responsibility »]. 391 mère que cette autre personne doivent y consentir1311. Si les deux femmes sont unies par un "civil partnership", une présomption de parenté semblable à la présomption de paternité s‘applique1312. Ces règles ne concernent que les traitements de fertilité ayant lieu dans une clinique agrée. L‘hypothèse de la procréation amicalement assistée demeure donc, sous l‘empire de la nouvelle loi, soumise aux règles du droit commun1313. Concernant le statut du donneur, il n‘apparaît pas comme un parent en droit britannique. La loi prévoit que lorsqu‘un homme est déjà identifié comme le père de l‘enfant, aucune autre personne n‘est traitée comme tel1314. Il en est de même lorsqu‘il s‘agit du couple lesbien. C‘est-à-dire, que lorsqu‘une femme est considérée comme l‘autre parent, aucun homme ne peut être vu comme le père de l‘enfant1315. Nous retrouvons ici la logique binaire de la parenté que nous identifions en droit civil. La réforme de 2004 a été entreprise suite à une consultation publique menée par le gouvernement du Royaume-Uni sur la question de l‘anonymat des donneurs1316. La réponse à cette consultation était plutôt en faveur de la levée de l‘anonymat 1317. Le processus consultatif concernait tous les types d‘informations sur le donneur, c‘est-à-dire tant les informations identifiantes que celles non nominatives. Seules les dernières nous 1311 Ibid.; Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 36-37 et 43-44. Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 42. 1313 HFEA, « Legal responsibility », supra note 1310. 1314 Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 38 (1). 1315 Ibid., art. 45 (1). 1316 Department of health, Donor information consultation: Providing information about gamete or embryo donors, Londres, 2001, En ligne: <http://www.dh.gov.uk/prod_consum_dh/groups/dh_digitalassets/@dh/@en/documents/digitalasset/dh_401 8774.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Department of health, Donor information: Providing information about gamete or embryo donors: Responses to consultation, Londres, 2003, En ligne sur: <http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/www.dh.gov.uk/en/Consultations/Responsestoconsultations/ DH_4071838> (Date d‘accès : 12 décembre 2010) [Department of Health, « Responses to consultation »]. 1317 Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 188. 1312 392 intéressent puisque nous considérons, dès le départ, que l‘enfant devrait et a le droit d‘obtenir des données non identifiantes concernant le donneur lorsque ses parents l‘ont informé des circonstances de sa conception. Sur les 237 répondants, nous pouvons en tracer le portrait suivant. Certains étaient directement concernés par la problématique des dons : 9 donneurs de sperme, 7 donneuses d‘ovules, 2 donneurs d‘embryons, 39 bénéficiaires d‘un don de sperme, 18 bénéficiaires d‘un don d‘ovules, un bénéficiaire d‘un don d‘embryons, 13 enfants nés d‘un don de sperme, 2 enfants nés d‘un don d‘ovules et 2 enfants né d‘un don d‘embryons. Parmi les répondants, 113 l‘ont fait à titre individuel, mais 33 étaient associés à une organisation et 18 cliniques ont participé à la consultation. Finalement, 73 personnes ont déclaré avoir un intérêt professionnel pour les traitements de fertilité, qu‘il s‘agisse de chercheurs, de professionnels travaillant dans des cliniques, de membres de comités d‘éthique, de professeurs en droit ou en éthique, de bioéthiciens ou de travailleurs sociaux travaillant dans le milieu de l‘adoption1318. Relativement à l‘identité du donneur et les informations nominatives, 3 questions furent posées. Tout d‘abord: « [s]hould offspring be able to obtain identifying information about future donors? » 132 répondants se déclarèrent pour, 70 contre et 23 étaient indécis sur ce point. Les raisons invoquées au soutien de ces positions sont fidèles aux motifs que nous exposons au chapitre 2. Il s‘agissait ensuite de savoir, si la réponse à la première question est positive, « what identifying information should offspring be able to obtain about the donor? » Globalement, 108 réponses soutenaient la disponibilité du nom du 1318 Department of Health, « Responses to consultation », supra note 1316 à la p. 2. 393 donneur, 106 visaient la date de naissance et 88 l‘adresse du donneur au moment du don. Les autorités britanniques cherchaient finalement à determiner si: « should identifying information be provided to donor offspring only with the agreement of the donor, or in all cases? » Dans ce cas, les réponses étaient plutôt partagées. 87 répondants affirmèrent que l‘information nominative ne devrait être communiquée qu‘avec le consentement du donneur. 93 répondants considérèrent au contraire qu‘elle devrait l‘être dans tous les cas et 58 s‘abstinrent de répondre1319. Malgré des dissidences, la tendance lors de la consultation, qui s‘est déroulée de décembre 2001 à juillet 2002, était donc en faveur de la levée de l‘anonymat1320. Le tableau ci-après nous montre en ce sens les réponses qui furent données par groupe d‘individus. SOMMAIRES DES RÉPONSES PAR GROUPE D’INDIVIDUS1321 Enfants nés d’un don Receveurs Donneurs Pour 11 38 8 Contre 3 (autres réponses pas claires) 13 9 Transmission d’informations nominatives Indécis 5 Divulgation de l’identité Dans tous les cas 12 18 3 Avec le consentement du donneur 4 16 11 1319 Ibid. aux pp. 4 à 7. Une étude auprès d‘anciens donneurs démontre pourtant le contraire et leur souhait majoritaire du maintien de l‘anonymat. Voir : K. Daniels et al., supra note 906. 1321 Tableau inspiré de Department of Health, « Responses to consultation », supra note 1316 à la p. 8. 1320 394 À la même époque, le comité d‘éthique de la HFEA émit l‘opinion selon laquelle il importe d‘encourager l‘ouverture dans l‘intérêt des enfants et donc, de décourager le maintien du secret dans la mesure où la vie privée de la famille doit être respectée. Les parents ne peuvent être forcés à révéler le recours à un tiers donneur. Un courant en faveur de l‘accès aux origines s‘annonçait1322. Une auteure spécifie même qu‘il existait au Royaume-Uni un discours promouvant le droit de l‘enfant de connaître ses origines et qui influença grandement la décision du législateur d‘abandonner l‘anonymat. Celui-ci insistait sur les parallèles entre les enfants nés d‘une procréation assistée et ceux qui sont adoptés. En dépit des différences entre le contexte social et biologique de l‘adoption et de la procréation assistée, l‘adoption a servi de modèle puisque les deux régimes sont désormais sur la même longueur d‘onde1323. Est-ce qu‘annonce le jugement Pratten1324? Le changement réglementaire était de plus une réaction à l‘affaire Rose & Anor v. Secretary of State for Health Human Fertilisation and Embryology Authority1325, 1326 . Cette cause concernait un enfant, devenu adulte, né suite à un don de gamètes fait avant l‘adoption de la loi de 1990 et un autre enfant qui lui est né en 1996, donc suite à l‘entrée en vigueur de la loi. Étant privés de renseignements, même non nominatifs, sur leur donneur, les demandeurs prétendaient notamment que leur droit à la vie privée, en vertu de l‘article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés 1322 Shenfield, supra note 1306 à la p. 147. Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 284. 1324 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 1325 Supra note 829. 1326 Penelope Beem et Derek Morgan, « What‘s Love Got to Do With It? Regulating Reproductive Technologies and Second Hand Emotions », dans Sheila A.M. McLean, dir., First Do No Harm: Law, Éthics and Healthcare, Aldershot, Ashgate, 2006, 369 à la p. 372. 1323 395 fondamentales1327, avait été violé. Selon eux, en vertu de cette disposition, l‘État a une obligation positive : « i) to collect and make available to A.I.D. offspring and their parents certain non-identifying information about the donor including blood type, medical history, social and family background, religion, skills and interests, occupation, reasons for donation, willingness to be approached for identification and willingness to provide updating information; and ii) to establish a voluntary mechanism to facilitate the exchange of information and contact between willing A.I.D. offspring and willing donors, such as a voluntary contact register. »1328 Après avoir examiné les diverses décisions internes et européennes, la Cour a conclu que l‘article 8 était mis en cause concernant les renseignements nominatifs et non nominatifs, même si en l‘espèce l‘identité du donneur n‘était pas demandée. Le tribunal a toutefois posé un bémol important dans son jugement car il a spécifié que la question de savoir si l‘article 8 avait été violé était tout à fait différente et ne faisait pas partie de cette cause1329. Le dernier élément est d‘importance pour nous : la Cour a associé l‘accès aux origines, et donc à toute information concernant le donneur, au droit à la vie privée. Malgré cela, en ne tranchant pas la question de fond de la violation, ce jugement ne nous laisse pas de marge d‘appréciation de la proportionnalité à examiner en vue de transposer notre cadre théorique. Thérèse Callus souligne finalement que le règlement de 2004 a vite suivi ce jugement. Cela était une réponse inévitable compte tenu de l‘importance du droit à la vie 1327 Supra note 1198 [Ci-après la « Convention européenne »]. Rose & Anor v Secretary of State for Health Human Fertilisation and Embryology Authority, supra note 829. 1329 Pour des interprétations du jugement : Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 189; Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-23 et 2-24. 1328 396 privée énoncé à l‘article 8 de la Convention européenne. L‘auteure ajoute que l‘entrée en vigueur, en 2000, du Human Rights Act 19981330 fait en sorte que toute loi doit respecter les droits énoncés dans la Convention européenne et que le gouvernement britannique doit prendre les mesures nécessaires au bon respect de ces droits. La jurisprudence européenne indique de plus la tendance vers une reconnaissance étendue de l‘article 8, y compris le droit d‘avoir accès aux informations qui permettent à une personne de déterminer les circonstances de sa naissance et de sa vie d‘enfant1331, 1332 . L‘affaire Odièvre1333 étudiée dans le contexte français nous montre toutefois qu‘il ne s‘agit pas d‘un droit absolu, quoiqu‘il ne puisse être violé sans un motif proportionné et nécessaire1334. 3- DROIT BRITANNIQUE, INTERNORMATIVITÉ ET ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE: CRITIQUE Ce ne sont pas tous les auteurs qui sont en accord avec l‘évolution britannique en matière d‘anonymat. D‘ailleurs, le changement législatif anglais ne fut pas bien reçu dans tous les milieux. Tel fut le cas chez les cliniciens pratiquant en matière de fertilité et au sein de leurs organisations professionnelles (la British Fertility Society, la British Medical 1330 1998 c. 42, En ligne : <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1998/42/data.pdf> (Date d‘accès : 17 décembre 2010). 1331 Gaskin c. Royaume-Uni, Requête no 10454/83, Arrêt, Strasbourg, 7 juillet 1989, En ligne : <http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=gaskin&sessio nid=63672548&skin=hudoc-fr> (Date d‘accès : 17 décembre 2010). 1332 Callus, « Révolution », supra note 1284 aux pp. 189-190. 1333 Supra note 1197. 1334 Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 190; Pour une analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l‘Homme, voir notamment: Besson, supra note 50; Richard J. Blauwhoff, « Tracing down the historical development of the legal conept of the rights to know one‘s origins – Has ‗to know or not to know‘ ever been the legal question », (2008) 4 :2 Utrecht Law Review 99 aux pp. 105-112; Brunet, supra note 120 aux pp. 97-99; Jill Marshall, « Giving birth but refusing motherhood : inauthentic choice or self-determining identity? », (2008) 4 :2 International Journal of Law in Context 169; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-23. 397 Association et le Royal College of Obstetricians and Gynaecologist)1335. En 2006, des membres de la HFEA s‘élevèrent contre l‘abolition de l‘anonymat en invoquant divers motifs. Tout d‘abord, la levée du voile serait responsable de la baisse du nombre de donneurs. Ensuite, cela pose des risques particuliers en matière de dons d‘ovocytes en cas de non grossesse chez la donneuse qui pourrait regretter son geste au fil des années. Enfin, les parents sont beaucoup plus mal à l‘aise à informer leur enfant des circonstances de sa conception1336. Il n‘est pas utile de décortiquer en profondeur ces motifs car ils réfèrent à des arguments que nous soulevons déjà au chapitre 2. Il est néanmoins évident que l‘accueil favorable du nouveau règlement ne fut unanime. De l‘avis de certains, l‘un des principes de base de la HFEA est le droit des personnes requérant des traitements de procréation assistée de recevoir une réponse adéquate à leur demande. Un autre fondement de la législation britannique est l‘importance du bien-être de l‘enfant. Ces deux préceptes ne sont pas nécessairement en conflit, mais en pratique, nous disent-ils, la position du Gouvernement britannique sur ce qui contribue au bien-être de l‘enfant (c‘est-à-dire avoir accès à l‘identité de son donneur) est en train de miner le programme de don de gamètes et le droit des parents d‘obtenir de l‘assistance pour concevoir1337. L‘argument de ces auteurs se base notamment sur le manque déjà existant de donneurs1338 ou encore sur les effets négatifs de l‘abolition de l‘anonymat sur des parents qui préfèrent alors garder le secret. 1335 Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 aux pp. 77-78. Ibid. à la p. 78 1337 Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 304. 1338 Nous soulignons pourtant au chapitre 2 qu‘au lieu d‘une diminution du nombre de donneurs de sperme, si le phénomène a d‘abord été observé, il a remonté grâce à une modification des profils de ces derniers. HFEA, « Number of sperm donors », supra note 707; Day, supra note 707; Concernant les dons d‘ovules, voir par contre: Brett et al., supra note 677; Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 297. 1336 398 Ceci étant, l‘application de notre cadre théorique de la sollicitude, du moins dans sa dimension éthique telle que nous l‘analysons au chapitre 2, soutient la position adoptée par le législateur britannique. Tâchons de déterminer s‘il initie des phénomènes d‘internormativité et donc, si nous retrouvons dans le fonctionnement interne du système juridique en matière de procréation assistée les principes directeurs propres à l‘approche relationnelle que nous retenons. Tout comme au Canada, au Québec et en France, il importe avant tout de souligner que, lors de son évolution réglementaire, le législateur britannique a respecté la première étape du modèle de construction de la règle de droit lorsque l‘éthique est appréhendée par l‘auteur de la norme juridique. Une affaire juridique devant leurs tribunaux a certes motivé les autorités anglaises à se conformer au cadre européen en matière d‘accès aux origines, mais plus simplement, la consultation initiée en 2001 fut l‘occasion de mettre en place dialogue visant à aiguiller le législateur. C‘est vers l‘étape 2 que se porte notre regard, lorsque les normes éthiques sont reçues dans l‘ordre juridique. Nous constatons en section 2 que la France adopte en matière de nouvelles technologies de la reproduction une approche dite prudente qui, en raison de fondements de la loi existante, est mal adaptée à l‘érection d‘une dialectique entre l‘élaboration de la règle de droit et la prise en compte des relations interpersonnelles et d‘interdépendance. Le Royaume-Uni tend quant à lui vers une approche de type libéral. À la différence, elle est : « flexible[…] et pragmatique[…]. Elles réglementent dans l‘intérêt du patient, de la santé publique et des préoccupations de la société. Elles incluent aussi bien des interdictions générales tel le clonage reproductif, la création d‘hybrides ou la rémunération des donneurs d‘embryons. Elles 399 prônent le développement scientifique sécuritaire à l‘intérieur de balises éthiques. »1339 Un bref retour sur nos travaux de maîtrise en matière de diagnostic préimplantatoire (DPI)1340 permet de mieux comprendre la traduction législative qu‘a faite le législateur britannique de ces caractéristiques. C‘est-à-dire, dans la structure même de la loi applicable aux techniques de procréation assistée. Nous constations alors1341 que si la loi britannique soumet l‘utilisation d‘un embryon à l‘obtention préalable d‘une licence, c‘est la HFEA qui en définit les paramètres et les lignes directrices à suivre pour une technologie particulière tel le DPI. Puisque la loi utilise des termes généraux, elle ne limite pas d‘avance toutes les manipulations sur l‘embryon1342 et ne détermine pas ce qui est acceptable en listant précisément les actes réglementés. C‘est plutôt à l‘autorité administrative que revient le rôle d‘en restreindre l‘exercice en mettant en place des balises. Pour ce faire, la HFEA a un souci d‘adaptation et de consultation1343 au fur et à mesure que les débats sur les applications du DPI suscitent des réactions. L‘autorité a fait l‘exercice une première fois 1339 Dorothy C. Wertz, Marie-Hélène Régnier et Bartha Maria Knoppers, « La recherche sur les cellules souches dans une société pluraliste: Les conséquences du projet de loi canadien ». (2003) 1:1 GenÉdit 1 à la p. 2, En ligne: <http://www.humgen.umontreal.ca/int/GE/fr/2003-1.pdf> (Date d‘accès : 12 décembre 2010). 1340 Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23. 1341 Notre étude originale remonte à 2006, avant l‘adoption de la nouvelle loi. L‘analyse que nous présentions demeure toutefois pertinente puisque la structure de la loi est restée passablement la même. 1342 Parens et Knowles, supra note 1292 aux pp. S15-S16: « The decision to articulate the purposes of embryo usage rather than specific techniques has ensured that the act can incorporate novel techniques that were not envisaged when the act was drafted. ». 1343 Voir : Brinsden, supra note 1292 à la p. 118; Angus Dawson, « The Human Fertilisation and Embryology Authority: Evidence Based Policy Formation in a Contested Context », (2004) 12:1 Health Care Analysis 1 à la p. 3. 400 en 20011344 et s‘est par la suite intéressée aux applications du DPI. Ainsi, la loi est permissive tout en imposant un contrôle du fait qu‘elle interdit de faire quoi que ce soit sans une licence, mais en laissant la possibilité de pouvoir en octroyer une même pour les activités controversées. Si la HFEA doit œuvrer à l‘intérieur de certaines limites prévues par la loi, elle s‘est vue octroyer une autonomie considérable pour contrôler les procédures d‘autorisation et déterminer ce qu‘il peut être fait en vertu de ces autorisations1345. Autant nous pouvons considérer cette autonomie comme une qualité permettant une réponse rapide du cadre normatif aux développements scientifiques et sociaux1346, autant certains soulignent la difficulté d‘en délimiter l‘étendue1347. À terme, la décision de procéder à un DPI est l‘aboutissement d‘une importante réflexion considérant notamment le bien-être de l‘enfant. La HFEA ne dicte pas comment répondre à cette exigence mais fournit des balises sur la façon de faire1348. Malgré une licence permettant d‘effectuer un DPI pour une maladie précise et avec un test déterminé (l‘autorisation ne vise pas le bénéficiaire du DPI), la décision clinique dépend de l‘évaluation de l‘équipe multidisciplinaire qui tient compte de divers facteurs telle la perception qu‘ont les parents de la maladie génétique dont ils veulent éviter la 1344 Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) et Human Genetic Commission Joint Working Party on Preimplantation Genetic Diagnosis, Outcome of the Public Consultation on Preimplantation genetic diagnosis, London, Novembre 2001, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/cps/rde/xbcr/SID3F57D79B-FEB79DDD/hfea/PGD_outcome.pdf> (Date d‘accès : 12 décembre 2010). 1345 Austen Garwood-Gowers, « Contemporary issues in the regulation of artificial reproduction and embryology in the UK », (2004) 21 Law and Human Genome Review 67 à la p. 68; Kerry Petersen, « The Regulation of Assisted Reproductive Technology: A Comparative Study of Permissive and Prescriptive Laws and Policies », (2002) 9 Journal of Law and Medicine 483 à la p. 485; Sutton, supra note 1292 à la p. 42; Dawson, supra note 1343 aux pp. 2-3. 1346 Petersen, supra note 1345 à la p. 485; Parens et Knowles ont par ailleurs noté que la loi britannique « has to work within certain parameters when granting licences but at the same time has considerable freedom. » Parens et Knowles, supra note 1292 à la p. S16. 1347 Garwood-Gowers, supra note 1345 à la p. 68. 1348 Stuart Lavery, « Preimplantation genetic diagnosis and the welfare of the child », (2004) 7:4 Human Fertility 295 à la p. 296. 401 transmission1349. Or, l‘autonomie reproductive des parents, c‘est-à-dire la liberté de choix des embryons en fonction de critères établis par les individus, est également une caractéristique de l‘approche libérale. Si elle est importante, elle n‘est toutefois pas absolue. Le cadre normatif adopté par le législateur en matière d‘anonymat se détache forcément de ce que nous venons de décrire puisqu‘au fond cela appelle simplement une position positive ou négative, anonymat ou pas. Pourtant, à y regarder de plus près, certains des éléments décrits ci haut se rattachent aux principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude et une attention particulière portée aux acteurs. Il apparaît que si l‘éthique de la sollicitude n‘a pas formellement ni nommément été reçue par le législateur britannique, celui-ci, en adoptant de manière générale l‘approche libérale, accorde de l‘importance aux relations interpersonnelles et d‘interdépendance et procède à de l‘internormativité. La loi est proactive plutôt qu‘en mode défensive face aux questions que suscite la problématique de l‘anonymat. L‘avantage de l‘approche libérale au regard de certains principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude est qu‘elle permet plus de lassitude dans leur appréciation en vue d‘influencer le législateur. Pensons tout d‘abord à l‘autonomie reproductive des parents qui est un pivot en ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire. Dans le contexte de l‘anonymat, il nous semble que c‘est davantage l‘intérêt de l‘enfant qui 1349 Cela est encore en vigueur dans le Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Code of practice, 8th edition, 2009, Londres, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/docs/8th_Code_of_Practice%282%29.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010). [HFEA, « Code of practice »]. 402 ressort. En effet, l‘approche libérale n‘est pas synonyme de laisser faire selon le bon vouloir des couples et des donneurs. La législation britannique prévoit non seulement la mise en place d‘un important dispositif de "counseling" afin d‘orienter la prise de décision du ou des parents1350 (ce qui vise certainement l‘exercice du privilège de réserve en matière de secret), mais accorde une place majeure au bien-être de l‘enfant, incluant le besoin d‘avoir le support parental requis à cet effet1351. Même si le critère du bien-être de l‘enfant est appliqué in concreto1352 et se pose en condition à l‘octroi d‘un traitement de procréation assistée, celui-ci vient balancer l‘autonomie des parents. À la base même de la loi, il y a une quête d‘équilibre entre tous ces éléments en fonction des liens existant entre les acteurs prenant part au processus procréatif. Cela a forcément dû orienter le législateur lorsqu‘il a aboli l‘anonymat. Des auteurs soulignent finalement que l‘un des effets de la modification de 2004, quant à l‘abandon de l‘anonymat, fut l‘ébranlement du model médical de la donation en tant que technique médicale dans le cadre duquel les implications sociales du don (i.e. la conception de l‘enfant, de la famille et de la parenté) sont minimisées ou même ignorées1353. Cela serait donc une conséquence favorable de l‘approche libérale. De fait, ne constatons-nous à la section 2 que le malaise français concernant l‘anonymat du donneur, compte tenu de la logique définie en matière de filiation qui est fondée surtout sur le biologique, tirerait avantage de la levée du voile. D‘une part, cela permettrait d‘intégrer dans le processus de révision législatif la dimension d‘interdépendance des 1350 Voir : Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552; HFEA, « Code of practice », supra note 1349. 1351 Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 14 (2) (Article modifiant l‘article 13 (5) de la loi de 1990. 1352 Alors qu‘au chapitre 2 nous expliquons l‘applique in abstracto. 1353 Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 à la p. 78. 403 individus. La notion d‘origine serait d‘autre part isolée de celle de filiation et permettrait de réintégrer le donneur comme acteur à part entière du l‘acte procréatif. Le RoyaumeUni opère déjà ces distinctions. CONCLUSION DU CHAPITRE 3 L‘analyse de droit comparé nous permet de constater toute la complexité des rapports internormatifs existant entre l‘éthique et le droit. Ils varient d‘un système législatif à l‘autre. En tous les cas, nous remarquons que, dans l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique, la première étape du processus d‘élaboration de la règle de droit est respectée. Il s‘agit de la consultation éthique qui prend différentes formes dépendamment des pays, consultation publique ou États Généraux. L‘objectif est alors de prendre le pouls de la population afin d‘orienter le législateur. Le défi se trouve plutôt à la seconde étape lorsqu‘il est question de la réception matérielle des normes éthiques dans l‘ordre juridique. Nous soulignons au chapitre 1 que celle-ci se fera de façon plus ou moins transparente dans la mesure où l‘incidence des systèmes normatifs parallèles est reconnue soit de manière directe soit de manière indirecte par l‘ordre étatique. Lorsque diffuse, l‘intégration des normes éthiques devient source d‘inspiration pour la décision du juge ou des autorités politiques. Dans ce cas, nous 1354 percevons l‘influence Monnier, supra note 93 à la p. 525. par le truchement d‘informations indirectes1354. 404 Lorsqu‘explicite, l‘intégration provient finalement d‘une référence expresse dans un jugement1355 ou par la novation directe de la règle éthique en règle juridique1356. Puisque l‘éthique de la sollicitude relève davantage de la méthode réflective en tant qu‘ordre normatif, son intégration dans le droit demeure diffuse. Il n‘y a pas de références expresses dans un jugement ou de novation directe de la règle éthique en règle juridique. En somme, si nous utilisons l‘internormativité afin d‘explorer les rapports d‘influence entre l‘éthique et le droit, c‘est l‘approche de la sollicitude qui nous indique de quelle manière procéder. Celle-ci nous précise de quelle manière la règle de droit, tout au long de son évolution dans le temps, doit tenir compte des relations entre les acteurs du don. En outre, nous faisons l‘exercice au chapitre 2. Quoique la réception des principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude puisse se faire de façon diffuse, c‘est-à-dire sans référence terminologique directe, ni le législateur canadien ni le législateur québécois ne leur accorde la priorité qu‘ils devraient occuper dans l‘élaboration et l‘évolution de la loi en matière d‘anonymat. Cela viendrait pourtant soutenir l‘approche des droits de la personne de l‘enfant qu‘adoptent déjà d‘autres auteurs en se fondant sur les textes constitutionnels1357. L‘affaire Pratten1358 est une application historique de cette approche au niveau de l‘égalité entre les enfants nés d‘un don et ceux qui sont adoptés. Néanmoins, puisque la juge refuse, en l‘espèce, de reconnaître une protection constitutionnelle au droit aux origines, notre étude s‘avère un 1355 Ibid. à la p. 529. Ibid. à la p. 531. 1357 Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 384 et ss.; Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-24 à 2-29. 1358 Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011). 1356 405 soutien de plus vers une éventuelle modification de la loi et ce, en réintégrant l‘aspect éthique de la problématique. Notre réflexion de droit comparé nous permet au final de constater que les structures législatives canadienne et québécoise ne font pas obstacle à l‘adoption d‘une dimension relationnelle tenant compte de l‘interdépendance entre les individus. En maîtrise, nous notions que la loi canadienne est un amalgame intéressant. Du fait qu‘elle interdit les manipulations sur l‘embryon, sauf avec une autorisation et en conformité avec la réglementation, la formulation de la loi canadienne ressemble beaucoup à celle de la loi anglaise. Il n‘en va cependant pas de même en ce qui concerne la gestion des activités réglementées, auquel cas, elle rejoint davantage la législation française. Pensons par exemple à l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée dont les fonctions ressemblent fortement à celles de l‘Agence de la biomédecine française. Les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil suggèrent par ailleurs une volonté du législateur d‘opter pour une approche prudente à l‘image de la France. Dans cette optique, il revient au législateur d‘encadrer les applications du diagnostic préimplantatoire (DPI) et à l‘Agence de veiller à la seine gestion des autorisations1359. En matière de DPI, nous avions tout lieu de penser que les autorités canadiennes auraient adopté l‘approche prudente en prévoyant d‘avance quelles applications et quels types de maladie peuvent faire l‘objet d‘une autorisation. La structure de la loi est en ce sens. Néanmoins, en ce qui concerne l‘anonymat de donneurs de gamètes et d‘embryons, 1359 Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23. 406 le débat est tout autre puisqu‘il n‘est pas question de déterminer d‘avance des applications d‘une technologie de procréation assistée. Selon divers degrés ou différentes modalités, il s‘agit d‘encadrer le privilège des parents d‘informer l‘enfant de l‘utilisation d‘un tiers donneur ainsi que l‘accès aux informations nominatives et identifiantes concernant ce dernier, conformément à l‘éthique de la sollicitude. Au terme de notre analyse, nous remarquons toutefois que la forme de la loi n‘est pas si déterminante de l‘apparition ou non de phénomènes d‘internormativité avec l‘approche relationnelle. Rien n‘aurait empêché que les autorités canadiennes prennent exemple sur le modèle libéral britannique dans l‘évolution de la règle de droit en matière d‘anonymat et procèdent à de l‘internormativité avec l‘éthique de la sollicitude. En raison de l‘inspiration mixte de la loi fédérale, nous aurions très bien pu concevoir que le législateur se laisse influencer par le modèle français dans certains domaines et par le modèle britannique dans d‘autres. La question du droit aux origines par opposition au DPI se prête très bien à cet exercice. En outre, si le cadre législatif applicable au DPI aurait clairement été un équivalent de l‘approche prudente française, d‘autres éléments de la loi n‘y collent pas forcément. Par exemple son ouverture à la gestation pour autrui dans la mesure des limites provinciales1360. Il peut en être de même concernant le droit aux origines. Plus encore, les parallèles que nous effectuons en section 2 entre les lois québécoise et française démontrent clairement que la forme de la loi ne laisse pas présumer comment une approche législative est appliquée. Même si dans la forme les 1360 Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 6. 407 autorités québécoises légifèrent de façon très semblable à la France, ses fondements législatifs ne sont pas les mêmes. Notamment en matière de filiation où le législateur n‘opère pas de confusion entre la filiation et la connaissance de l‘identité du donneur. Plus globalement, l‘absence de l‘exigence thérapeutique comme condition d‘accès à la procréation assistée est une autre preuve que le droit québécois, malgré ses ressemblances civilistes au droit français, n‘adopte pas une législation qui n‘en est une que de protection et de réaction face aux enjeux de la procréation assistée. En l‘état actuel du droit, la loi concernant l‘anonymat s‘inspire grandement du modèle prudent français, mais rien n‘empêche qu‘il s‘en détache avec plus d‘aisance. Les approches prudente et libérale ne sont donc pas hermétiques ou composées de caractéristiques dont la présence est obligatoire en tout. Elles sont appliquées à des degrés variables et, selon où la loi en général se trouve sur le spectre, des phénomènes d‘internormativité peuvent se manifester avec plus ou moins de facilité à la deuxième étape de notre modèle de construction de la règle de droit. En l‘espèce, l‘influence de l‘éthique de la sollicitude sur la norme adoptée par le législateur est plus ou moins diffuse. La rigidité de la loi française en matière de bioéthique demandera par exemple plus de travail au législateur afin qu‘il se laisse aller à une pareille dialectique avec l‘éthique de la sollicitude. Au Royaume-Uni, les fondements de la loi semblaient au contraire déjà prédisposés à accorder de l‘importance aux relations interpersonnelles et d‘interdépendance. L‘adoption d‘une approche législative laisse présager d‘une certaine façon d‘encadrer les technologies de la reproduction, mais la culture juridique de chaque État, c‘est-à-dire ce qui constitue ses assises législatives, les utilise à chaque fois différemment selon une flexibilité ou une élasticité variable. Cette même culture juridique 408 est néanmoins évolutive. Pensons par exemple à la réforme entreprise par le Québec en 2002 et où le caractère médical de la procréation assistée a été évacué de la loi applicable à ce domaine. D‘ailleurs, la même année, la France franchissait un pas important en matière d‘accouchement sous X. En conclusion, par ces constats, nous atteignons notre objectif, par une analyse comparatiste, d‘analyser comment éthique et droit interagissent dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives. Cela nous permet également de mieux comprendre l‘articulation des positions canadienne et québécoise et potentiellement d‘affirmer que, lorsqu‘un regard relationnel est requis, l‘application de notre cadre théorique offre la possibilité de souligner certaines faiblesses des fondements législatifs sur lesquels s‘appuie la loi. 409 CONCLUSION DE LA THÈSE L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE LE DROIT POSITIF ET L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE DANS LA RÉSOLUTION DU CONFLIT SUR L’ANONYMAT DES DONS D’ENGENDREMENT Le premier constat que nous faisons en conclusion de cette thèse est que la problématique de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, aussi passionnante et contemporaine soit-elle, pose un défi de taille au législateur. De fait, alors qu‘il lui incombe de réguler le domaine des technologies de la reproduction, il nous est impossible de concevoir que la règle de droit en matière d‘identité du donneur adoptée par le Canada, jusqu‘à ce qu‘elle soit déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême1361, et le Québec reste figée dans le temps. À l‘image de ceux à qui elle s‘applique, la règle de droit est pour ainsi dire vivante et en continuelle mutation. Elle est appelée à évoluer au rythme du débat que suscite son objet, en l‘occurrence les questions du secret et du droit aux origines qui soulèvent de véritables passions, et ne peut demeurer statique. Ce droit vivant quitte donc sa tour d‘ivoire, se libère du carcan que lui impose le positivisme pur et s‘ouvre à tout ce qui l‘entoure, incluant les autres formes de normativité. Tout cela fut au départ une conviction, une intuition, mais qui s‘associe au bouleversement que vit actuellement le droit. Nous soulignons en ce sens, en conclusion du chapitre 1, que la nature de ce dernier est en pleine révolution. Aujourd‘hui considéré selon une analyse postmoderne de la norme, le droit connaît un changement de paradigme, ou une crise, qui découle de sa difficulté à gérer la nouvelle demande 1361 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24. 410 d‘éthique. En vertu du pluralisme normatif, le droit n‘est pas le seul à réguler la vie de l‘homme en société. Il ne peut donc plus ignorer les autres normativités, dont l‘éthique qui n‘est pas étrangère aux progrès considérables de la technologie et de la science, inclusivement en procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes et aux incertitudes qu‘ils engendrent. Plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent alors au même moment dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction, en internormativité. Cette internormativité constitue en définitive l‘outil qui permet de théoriser les rapports d‘influence entre les différents types de norme. Cette vision des choses requiert que nous dressions un tableau de notre propre vision du droit alors qu‘il en existe une multitude de conceptions et de définitions. La nôtre, en lien avec le contexte dans laquelle nous la posons, découle en partie de notre formation juridique civiliste et du fait que nous appartenons à la famille des avocats ayant un regard de praticien. Aussi, pour nous, les normes juridiques incluent le droit et un ensemble plus large de normes qui sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Cette dernière ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le pluralisme normatif. Celui-ci étant inclusif des autres formes de normativité. Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité où l‘internormativié intervient. C‘est le mécanisme par lequel se produisent des échanges entre les différents niveaux de normes. Peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé" dont les frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une influence formelle. La légitimité du droit n‘est donc 411 plus liée à sa nature intrinsèque, mais découle de son interaction avec son environnement et les autres normativités. En nous interrogeant sur l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique, notre regard se porte vers l‘éthique de la sollicitude dont la dimension politique rend possible une discussion publique des besoins et une appréciation honnête de l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des individus prenant part au don. Dans ce contexte, notre réflexion vise à constater l‘articulation et la manifestation des principes directeurs de la Commission royale dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicable. Parmi ceux-ci nous retenons l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs. Il s‘agit donc d‘étudier l‘anonymat non pas selon un schéma pour ou contre, mais sous un angle relationnel. Celui-ci permet d‘appliquer pleinement la logique de la sollicitude, dans le cadre d‘un environnement normatif pluriel, en vue d‘une réflexion internormative. D‘ailleurs, l‘éthique de la sollicitude étant basée sur les relations interpersonnelles et interdépendantes, au chapitre 1, nous remarquons que cela est non seulement manifeste, mais nécessaire en matière d‘anonymat des dons d‘engendrement. Le caractère particulier des dons de gamètes et d‘embryons en tant qu‘éléments porteurs de vie et le fait qu‘un enfant en résulte, un enfant en situation de possible faiblesse, justifient l‘utilisation de l‘approche relationnelle. En situation d‘anonymat, la personne née grâce à un don est tributaire des décisions d‘autrui et le respect de ses besoins ainsi que de ses intérêts passe par une analyse de l‘interaction et de l‘interdépendance des 412 acteurs du don. Celle-ci apparaît à deux niveaux : en premier lieu dans le rapport parents – enfant quant au secret sur le mode de conception puis, dans le lien géniteur – enfant relativement à l‘obtention d‘informations nominatives. Dans les deux contextes, l‘enfant est donc le point de mire de l‘interdépendance entre les individus. D‘un point de vue d‘ensemble, nous en arrivons à la conclusion que : 1- Dans le cadre de la relation parents – enfant, le privilège de réserve des parents quant au secret doit être maintenu. Il ne s‘agit pas d‘un droit. D‘un autre côté, l‘importance d‘informer l‘enfant du recours à un don constitue une obligation morale dont le respect passe par un encadrement du privilège au moyen d‘un important mécanisme d‘information et de support des parents afin de les responsabiliser. 2- Dans le cadre de la relation donneur – enfant, un système de dons non anonymes doit être adopté afin de permettre à l‘enfant d‘en savoir plus sur son géniteur lorsqu‘il est informé des circonstances de sa naissance et qu‘il ressent un vide identitaire. Il importe de rappeler que la balance que nous effectuons entre le privilège de réserve des parents et l‘abolition de l‘anonymat a certes pour effet de diluer l‘effet ou la portée de ce dernier, mais cela n‘en fait pas pour autant des positions contradictoires. L‘éthique de la sollicitude doit s‘analyser en prenant en compte l‘ensemble des relations entrant en ligne de compte, mais n‘oublions pas qu‘à la base le secret concerne le lien parents – enfant et que l‘anonymat appartient au contexte donneur – enfant. Ce sont deux situations 413 différentes qui, bien qu‘interreliées, peuvent faire l‘objet d‘un cadre juridique qui n‘est pas le même. Ceci étant, l‘analyse éthique présente certaines limites. En effet, dès le de départ, nous avertissons le lecteur que cette thèse se situe dans le cadre de l‘expertise académique de son auteur dont la formation est entièrement juridique. À défaut d‘un projet de recherche plus étendu impliquant psychanalystes, psychologues et autres spécialistes de l‘enfance, nous ne pouvons que nous référer à leurs écrits selon notre meilleure compréhension en supposant que l‘enfant né d‘un don d‘engendrement ne ressentira pas forcément à tous les coups un vide identitaire. Aussi, afin de donner sa pleine valeur à l‘éthique de la sollicitude, un élargissement du projet et une collaboration multidisciplinaire avec de tels spécialistes serait fort précieuse. De fait, nous réalisons que dans la problématique de l‘anonymat des dons il est difficile de trancher clairement puisque la position n‘est pas toujours toute blanche ou toute noire. Nous le constatons clairement dans l‘analyse du meilleur intérêt de l‘enfant. En droit comparé, lorsqu‘il s‘agit de procéder à une internormativité avec nos conclusions éthiques, nous remarquons tout d‘abord que, dans l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme juridique, la première étape du processus d‘élaboration de la règle de droit est respectée. Il s‘agit de la consultation éthique qui prend différentes formes dépendamment des pays, consultation publique ou États Généraux. L‘objectif est alors de prendre connaissance de la pensée et de l‘opinion qui se dégagent au sein de la population afin d‘orienter le législateur. Le défi se trouve plutôt à la seconde étape lorsqu‘il est question de la réception matérielle des normes éthiques dans l‘ordre 414 juridique, laquelle est clairement influencée par l‘approche juridique adoptée par un pays. Notre analyse du chapitre 3 démontre par contre qu‘il ne s‘agit de catégories étanches et que le droit canadien (du moins, celui-ci sur le plan théorique) et québécois pourrait évoluer afin de prioriser l‘approche relationnelle. En conclusion, dans cette thèse, nous mettons au jour et démontrons la pertinence d‘introduire en droit un approche relationnelle au moyen de l‘internormativité. Cela permet de jeter un regard nouveau sur une problématique à la fois au passé riche, d‘une grande contemporanéité et qui continue de semer la controverse face à l‘évolution du débat sur l‘anonymat dans la société. En utilisation l‘éthique de la sollicitude, notre objet d‘étude ne porte plus que sur les acteurs du don selon une perspective individualiste, mais surtout sur les liens existant entre ces personnes. Grâce à l‘internormativité, les relations entre les parents et l‘enfant puis entre le donneur et l‘enfant deviennent dynamiques aux yeux de la loi et permettent de réintégrer dans le processus analytique cet enfant qui en est souvent écarté. La valeur de cette thèse est donc à la fois théorique et pratique. Non seulement nous croyons permettre un avancement du droit applicable à la problématique de l‘anonymat, mais notre analyse relationnelle offre un outil de plus aux décideurs politiques qui voudraient compléter l‘approche déjà existante en matière de droit de la personne. D‘ailleurs, nous pouvons nous demander si nos conclusions seraient les mêmes lorsque la question de l‘anonymat se pose en contexte de gestation pour autrui. 415 ANNEXE 1 LE DON GAMÈTES – EXEMPLES DE DROIT COMPARÉ1362 Légende1363 Don de gamètes interdit (Italie) Principe de l‘anonymat (France, Danemark, Espagne) Principe de l‘anonymat abandonné (Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse) Affirmation du droit à la connaissance des origines génétiques (Allemagne) 1362 Carte : <http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/99/Europe_blank_map.png/1000pxEurope_blank_map.png> (Date d‘accès : 6 juillet 2009) 1363 Source : Sénat, supra note 42. 416 SOURCES DOCUMENTAIRES TABLE DE LA LÉGISLATION Textes normatifs internationaux Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Rome, 4.XI.1950, En ligne : <http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F49E22-3E27564DBE86/0/FrenchFran%C3%A7ais.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010). 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