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curriculum
Forum Med Suisse 2012;12(42):805–807
Entérocoques multirésistants
Maja Weisser, Andreas F. Widmer
Universitätsspital Basel
Introduction
Les entérocoques sont des commensaux intestinaux hu
mains et animaux. Anciennement appelés streptocoques
du groupe D, ils constituent actuellement une espèce à
part entière. Moins de 1% du microbiome de l’adulte est
composé d’entérocoques [1]. Ils se rencontrent princi
palement dans l’intestin grêle. En plus de nombreuses
espèces apathogènes sont importantes pour l’être hu
main les deux espèces Enterococcus faecalis et Entero-
coccus faecium [2, 3], pouvant être à l’origine d’infec
tions cliniquement non négligeables (endocardite,
infections urinaires, infections de sondes, abcès intra
abdominaux, etc.).
Sous la pression de sélection antibiotique, il peut se pro
duire chez la personne malade une multiplication intes
tinale d’entérocoques résistants avec contamination de
la peau, des muqueuses et des sites d’insertion de ca
théters, avec risque d’infections invasives et de trans
missions nosocomiales [4, 5]. E. faecalis et E. faecium
ont ici un comportement totalement différent. E. faecalis
est du point de vue génétique moléculaire plus proche
des autres streptocoques et provoque surtout des infec
tions urinaires, abcès abdominaux et endocardites, alors
qu’E. faecium est un pathogène à problème nosocomial
causant quant à lui des infections de sondes, des infec
tions compliquées abdominales et de corps étrangers.
Le traitement des infections à entérocoques invasives est
difcile en raison de la faible afnité des antibiotiques
bêtalactames pour les protéines entérococciques liant
la pénicilline. En cas de résistance à l’ampicilline, il faut
passer à la vancomycine ou à la daptomycine, en asso
ciation à un aminoglycoside dans les graves infections.
Les entérocoques résistant à la vancomycine (VRE) ne
peuvent généralement être traités que par daptomycine
ou linézolide, mais les résultats cliniques à ce propos ne
sont pas très nombreux.
Epidémiologie
En 1980 déjà a été observée une transition d’ E . faecalis
ampicillinosensible vers E. faecium ampicillinorésistant
(AREfm) dans des hôpitaux américains [6]. 10 ans plus
tard sont apparus les premiers VRE, provoquant actuel
lement 25% des septicémies à entérocoques nosoco
miaux aux EtatsUnis.
La principale espèce d’entérocoques résistant à la van
comycine (VRE) est E. faecium, plus rarement E. faecalis,
mais cette résistance peut également se manifester
dans d’autres espèces (par ex. E. rafnosus, E. avium,
E. durans). Plusieurs gènes (VanA, VanB, VanC, VanD et
VanE) peuvent intervenir dans la résistance à la vanco
mycine (tab. 1 p). Alors que VanC et VanE ont des ré
sistances lowlevel intrinsèques (chromosomiques),
présentes en première ligne chez E. casseliavus et
E. gallinarum, VanA et VanB sont transmis par de petits
éléments génétiques mobiles, appelés transposons [8].
Les phénotypes VanA et VanB sont plus fréquents aux
EtasUnis, le phénotype VanC en Europe. Dans les épi
démies nosocomiales, c’est surtout le génotype VanA qui
a été observé.
L’ apparition et la dissémination des VRE VanC en Europe
est le fait de l’utilisation de l’avoparcine comme stimu
lateur de croissance dans l’élevage de bétail. L’ avopar
cine est un glycopeptide extrait de Streptomyces candi-
dus très proche de la vancomycine. Elle a été interdite
en 1997. Ensuite de quoi, les VRE VanC ont diminué
dans les hôpitaux européens [9]. Les infections invasives
à VRE VanC ne se voient pratiquement plus [10].
La présence de VRE dans les infections invasives est
très variable d’une région à l’autre en Europe. Le rapport
annuel de l’European Centre for Disease Control (ECDC)
sur les résistances aux antibiotiques 2010 (EARSNet)
montre que l’incidence d’ E . faecium résistant à la van
comycine est la plus élevée en Irlande (25–50%) et la
plus basse en Suède, Finlande, Hollande, Roumanie et
Bulgarie (<1%) (www.ecdc.europa.eu; g. 1 x) [11].
Quintessence
P La principale espèce d’entérocoques résistant à la vancomycine (VRE)
est E. faecium, plus rarement E. faecalis, mais cette résistance peut égale
ment se manifester dans d’autres espèces.
P Plusieurs gènes (VanA, VanB, VanC, VanD et VanE) peuvent intervenir
dans la résistance à la vancomycine.
P La connaissance du type de résistance a une importance capitale pour
le contrôle de l’infection.
P Parmi les mesures préventives d’une infection à VRE gurent une
bonne hygiène des mains pour tous les patients, la désinfection de routine
de l’environnement du patient, le dépistage des patients à haut risque de
VRE, l’isolement des patients VREpositifs et les tests de dépistage pour
l’identication des VRE au laboratoire.
P Le traitement des infections à entérocoques invasives est difcile en rai
son de la faible afnité des antibiotiques bêtalactames pour les protéines
entérococciques liant la pénicilline.
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N’étant pas membre de l’UE, la Suisse n’est pas repré
sentée dans cette statistique. Mais elle a aussi un pro
gramme national de surveillance de la résistance aux
antibiotiques en ligne (www.anresis.ch). Il montre qu’en
Suisse en 2010 pratiquement 100% des E. faecalis isolés
chez des patients hospitalisés étaient sensibles à l’am
picilline et à la vancomycine, alors qu’E. faecium pré
sentait des résistances de >80% pour l’ampicilline et
d’env. 5% pour la vancomycine, en fonction de la géo
graphie (tab. 2a et b p). Au début 2011, il y a eu une
première épidémie avec 31 VRE documentés provenant
d’un hôpital régional de Suisse occidentale. Il s’est agi
de 4 souches isolées en clinique et de 27 frottis [12].
L’ incidence plus élevée d’AREfm à l’hôpital est épidé
miologiquement importante car ils ont un arrièreplan
génétique commun, le complexe clonal 17 (CC17) [13].
Ces souches se caractérisent par une virulence plus
marquée et la formation plus abondante de biolm. En
plus de l’ampicilline, ces germes sont souvent également
résistants à d’autres antibiotiques (garamycine highlevel,
doxycycline, quinolones). La crainte est qu’avec l’inté
gration du gène VanA l’épidémiologie pourrait rapide
ment basculer. Des AREfm sont décrits dans des hôpitaux
européens depuis l’an 2000 [14].
A l’Universitätsspital Basel, nous observons depuis
2004 une progression régulière des infections invasives
à E. faecium ampicillinorésistant. Ici aussi, un clone noso
comial a pu être identié par Mulitlocus Sequence Ty
ping (MLST). Nous avons également pu montrer que les
patients à risque en hématologie et médecine intensive
sont colonisés par des AREfm hospitaliers dans les 2 se
maines suivant leur admission, qu’ils perdront après
leur sortie à quelques exceptions près [15].
Mesures préventives contre les infections
à VRE (contrôle de l’infection)
La connaissance du type de résistance a une importance
décisive pour le contrôle de l’infection. Alors que les
gènes VanA et VanB transmis par plasmides peuvent pro
voquer une épidémie, les gènes VanC et VanE chromo
somiques ne sont pratiquement pas transmissibles. Dans
une étude à l’Universitätsspital Basel, nous avons pu dé
montrer que le risque de transmission des VRE du phé
notype VanC ne justie pas une mise en isolement [10].
Dans la recherche des VRE au laboratoire, la distinction
entre VanA/B et VanC peut se faire par la résistance
phénotypique car à l’antibiogramme les VRE VanA sont
résistants à la vancomycine et à la teicoplanine alors
que les VanB sont souvent sensibles à la teicoplanine in
vitro. Les nouveaux milieux de culture tels que ChromID™
VRE ne laissent pousser que les entérocoques VanA et
VanB et inhibent la multiplication des VanC, ce qui fait
que toute autre identication génétique est superue.
Le risque d’acquisition de VRE nosocomiaux dépend de
plusieurs facteurs:
1. T raitement antibiotique préalable: les céphalospo
rines et glycopeptides surtout – avec un arrièreplan
épidémiologique donné sont un facteur de risque
de colonisation/infection à VRE [16, 17].
2. D urée d’hospitalisation >72 heures.
3. M aladie de base chronique (surtout dialyse, cancers,
transplantation, hospitalisation aux soins intensifs,
corps étrangers) [18].
4. P ression de colonisation: la prévalence ponctuelle
journalière de patients colonisés par VRE dans l’envi
ronnement du patient inuence considérablement le
risque d’acquisition de VRE [19]. Si elle dépasse 50%
c’est le facteur dominant.
5. E xposition: l’environnement immédiat du patient est
contaminé à plus de 50% par «ses» entérocoques.
Contrairement aux bactéries Gram négatives, le VRE
contamine presque toujours les surfaces, les sols, l’ar
m ature, les barrières et draps de lit dans la chambre
Figure 1
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low-level, type VanC1/C2/C3
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d’un patient colonisé par VRE [20]. Ils peuvent être
à l’origine d’une transmission de VRE, tout comme
les appareils médicaux et claviers d’ordinateurs [21].
Le contrôle de l’infection dans le but de réduire la trans
mission de VRE dans un hôpital comprend donc les fac
teurs cidessous:
1. H ygiène des mains très soigneuse pour tous les
patients.
2. C ontrôle environnemental par désinfection de routine
de tout ce qui touche au patient.
3. Dépistage des patients à haut risque de VRE.
4. Mise en isolement des patients VREpositifs.
5. Présence d’un test de dépistage avec rapide turn
aroundtime pour identication des VRE au labora
toire.
6. Une décolonisation n’est pas recommandée car elle
n’a jamais fait la preuve de son efcacité.
En 1995, les Centers for Disease Control and Prevention
(CDC) américains ont publié des recommandations de
prévention de la transmission de VRE qui ont été actua
lisées en 2007 [22]. Elles comprennent le dépistage des
patients à haut risque (par ex. des services d’hématolo
gie/oncologie ou aux soins intensifs) et l’isolement des
porteurs. Des recommandations du même type ont été
publiées par SwissNoso pour la Suisse [23].
Les épidémies à VRE restent d’actualité tout comme
celles dont il a été question au printemps et en automne
2011 [12]. Mais elles peuvent être enrayées par un
contrôle adéquat de l’infection. Les AREfm se dissé
minent eux aussi mais le mécanisme de leur transmis
sion n’est pas encore entièrement élucidé et leur dissé
mination est difcile à combattre. Les AREfm et les VRE
posent en outre un dé thérapeutique car même de
nouvelles substances comme la daptomycine perdent
de leur activité suite à l’apparition rapide d’une résis
tance.
Correspondance:
Prof. Dr Andreas Widmer
Deputy Head Division of Infectious Diseases & Hospital
Epidemiology
Head, Hospital Epidemiology
University Hospital
CH-4031 Basel
widmera[at]uhbs.ch
Références
Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la
version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch.
Ta bleau 2a
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