Entérocoques multirésistants

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Entérocoques multirésistants
Maja Weisser, Andreas F. Widmer
Universitätsspital Basel
Quintessence
P La principale espèce d’entérocoques résistant à la vancomycine (VRE)
est E. faecium, plus rarement E. faecalis, mais cette résistance peut égale­
ment se manifester dans d’autres espèces.
P Plusieurs gènes (VanA, VanB, VanC, VanD et VanE) peuvent intervenir
dans la résistance à la vancomycine.
P La connaissance du type de résistance a une importance capitale pour
le contrôle de l’infection.
P Parmi les mesures préventives d’une infection à VRE figurent une
bonne hygiène des mains pour tous les patients, la désinfection de routine
de l’environnement du patient, le dépistage des patients à haut risque de
VRE, l’isolement des patients VRE­positifs et les tests de dépistage pour
l’identification des VRE au laboratoire.
P Le traitement des infections à entérocoques invasives est difficile en rai­
son de la faible affinité des antibiotiques bêtalactames pour les protéines
entérococciques liant la pénicilline.
Introduction
Les auteurs ne
déclarent aucun
soutien financier ni
d’autre conflit
d’intérêt en
relation avec cet
article.
Les entérocoques sont des commensaux intestinaux hu­
mains et animaux. Anciennement appelés streptocoques
du groupe D, ils constituent actuellement une espèce à
part entière. Moins de 1% du microbiome de l’adulte est
composé d’entérocoques [1]. Ils se rencontrent princi­
palement dans l’intestin grêle. En plus de nombreuses
espèces apathogènes sont importantes pour l’être hu­
main les deux espèces Enterococcus faecalis et Enterococcus faecium [2, 3], pouvant être à l’origine d’infec­
tions cliniquement non négligeables (endocardite,
infections urinaires, infections de sondes, abcès intra­
abdominaux, etc.).
Sous la pression de sélection antibiotique, il peut se pro­
duire chez la personne malade une multiplication intes­
tinale d’entérocoques résistants avec contamination de
la peau, des muqueuses et des sites d’insertion de ca­
théters, avec risque d’infections invasives et de trans­
missions nosocomiales [4, 5]. E. faecalis et E. faecium
ont ici un comportement totalement différent. E. faecalis
est du point de vue génétique moléculaire plus proche
des autres streptocoques et provoque surtout des infec­
tions urinaires, abcès abdominaux et endocardites, alors
qu’E. faecium est un pathogène à problème nosocomial
causant quant à lui des infections de sondes, des infec­
tions compliquées abdominales et de corps étrangers.
Le traitement des infections à entérocoques invasives est
difficile en raison de la faible affinité des antibiotiques
bêtalactames pour les protéines entérococciques liant
la pénicilline. En cas de résistance à l’ampicilline, il faut
passer à la vancomycine ou à la daptomycine, en asso­
ciation à un aminoglycoside dans les graves infections.
Les entérocoques résistant à la vancomycine (VRE) ne
peuvent généralement être traités que par daptomycine
ou linézolide, mais les résultats cliniques à ce propos ne
sont pas très nombreux.
Epidémiologie
En 1980 déjà a été observée une transition d’ E. faecalis
ampicillinosensible vers E. faecium ampicillinorésistant
(AREfm) dans des hôpitaux américains [6]. 10 ans plus
tard sont apparus les premiers VRE, provoquant actuel­
lement 25% des septicémies à entérocoques nosoco­
miaux aux Etats­Unis.
La principale espèce d’entérocoques résistant à la van­
comycine (VRE) est E. faecium, plus rarement E. faecalis,
mais cette résistance peut également se manifester
dans d’autres espèces (par ex. E. raffinosus, E. avium,
E. durans). Plusieurs gènes (VanA, VanB, VanC, VanD et
VanE) peuvent intervenir dans la résistance à la vanco­
mycine (tab. 1 p). Alors que VanC et VanE ont des ré­
sistances low­level intrinsèques (chromosomiques),
présentes en première ligne chez E. casseliflavus et
E. gallinarum, VanA et VanB sont transmis par de petits
éléments génétiques mobiles, appelés transposons [8].
Les phénotypes VanA et VanB sont plus fréquents aux
Etas­Unis, le phénotype VanC en Europe. Dans les épi­
démies nosocomiales, c’est surtout le génotype VanA qui
a été observé.
L’apparition et la dissémination des VRE VanC en Europe
est le fait de l’utilisation de l’avoparcine comme stimu­
lateur de croissance dans l’élevage de bétail. L’avopar­
cine est un glycopeptide extrait de Streptomyces candidus très proche de la vancomycine. Elle a été interdite
en 1997. Ensuite de quoi, les VRE VanC ont diminué
dans les hôpitaux européens [9]. Les infections invasives
à VRE VanC ne se voient pratiquement plus [10].
La présence de VRE dans les infections invasives est
très variable d’une région à l’autre en Europe. Le rapport
annuel de l’European Centre for Disease Control (ECDC)
sur les résistances aux antibiotiques 2010 (EARS­Net)
montre que l’incidence d’ E. faecium résistant à la van­
comycine est la plus élevée en Irlande (25–50%) et la
plus basse en Suède, Finlande, Hollande, Roumanie et
Bulgarie (<1%) (www.ecdc.europa.eu; fig. 1 x) [11].
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Tableau 1
Classification des entérocoques les plus importants cliniquement.
Phénotype
VanA
VanB
Résistance intrinsèque
low-level, type VanC1/C2/C3
Espèce
E. faecium
E. faecalis
E. faecium
E. faecalis
E. gallinarum
E. casseliflavus
E. flavescens
Concentration mini­
male inhibitrice, mg/l
Vancomycine
64–100
Teicoplanine
16–512
4–1000
0,5–1
2–32
0,5–1
Conjugaison
Positive
Positive
Négative
Mobile genetic
element
Tn1546
Tn1547 or
Tn1549
…
Expression de la
résistance
Inductible
Inductible
Constitutive
Localisation
Plasmide
Plasmide
Chromosome
Target
D­Ala­D­Lac
D­Ala­D­Lac
D­Ala­D­Ser
Potentiel épidémique +++
++
0
Acquisition
Nosocomiale
Communauté, surtout chaîne
alimentaire
Nosocomiale
Figure 1
Pourcentages de souches d’Enterococcus faecium résistantes à la vancomycine
dans les pays participants 2010 (ECDC).
N’étant pas membre de l’UE, la Suisse n’est pas repré­
sentée dans cette statistique. Mais elle a aussi un pro­
gramme national de surveillance de la résistance aux
antibiotiques en ligne (www.anresis.ch). Il montre qu’en
Suisse en 2010 pratiquement 100% des E. faecalis isolés
chez des patients hospitalisés étaient sensibles à l’am­
picilline et à la vancomycine, alors qu’E. faecium pré­
sentait des résistances de >80% pour l’ampicilline et
d’env. 5% pour la vancomycine, en fonction de la géo­
graphie (tab. 2a et b p). Au début 2011, il y a eu une
première épidémie avec 31 VRE documentés provenant
d’un hôpital régional de Suisse occidentale. Il s’est agi
de 4 souches isolées en clinique et de 27 frottis [12].
L’incidence plus élevée d’AREfm à l’hôpital est épidé­
miologiquement importante car ils ont un arrière­plan
génétique commun, le complexe clonal 17 (CC17) [13].
Ces souches se caractérisent par une virulence plus
marquée et la formation plus abondante de biofilm. En
plus de l’ampicilline, ces germes sont souvent également
résistants à d’autres antibiotiques (garamycine highlevel,
doxycycline, quinolones). La crainte est qu’avec l’inté­
gration du gène VanA l’épidémiologie pourrait rapide­
ment basculer. Des AREfm sont décrits dans des hôpitaux
européens depuis l’an 2000 [14].
A l’Universitätsspital Basel, nous observons depuis
2004 une progression régulière des infections invasives
à E. faecium ampicillinorésistant. Ici aussi, un clone noso­
comial a pu être identifié par Mulitlocus Sequence Ty­
ping (MLST). Nous avons également pu montrer que les
patients à risque en hématologie et médecine intensive
sont colonisés par des AREfm hospitaliers dans les 2 se­
maines suivant leur admission, qu’ils perdront après
leur sortie à quelques exceptions près [15].
Mesures préventives contre les infections
à VRE (contrôle de l’infection)
La connaissance du type de résistance a une importance
décisive pour le contrôle de l’infection. Alors que les
gènes VanA et VanB transmis par plasmides peuvent pro­
voquer une épidémie, les gènes VanC et VanE chromo­
somiques ne sont pratiquement pas transmissibles. Dans
une étude à l’Universitätsspital Basel, nous avons pu dé­
montrer que le risque de transmission des VRE du phé­
notype VanC ne justifie pas une mise en isolement [10].
Dans la recherche des VRE au laboratoire, la distinction
entre VanA/B et VanC peut se faire par la résistance
phénotypique car à l’antibiogramme les VRE VanA sont
résistants à la vancomycine et à la teicoplanine alors
que les VanB sont souvent sensibles à la teicoplanine in
vitro. Les nouveaux milieux de culture tels que ChromID™­
VRE ne laissent pousser que les entérocoques VanA et
VanB et inhibent la multiplication des VanC, ce qui fait
que toute autre identification génétique est superflue.
Le risque d’acquisition de VRE nosocomiaux dépend de
plusieurs facteurs:
1. Traitement antibiotique préalable: les céphalospo­
rines et glycopeptides surtout – avec un arrière­plan
épidémiologique donné – sont un facteur de risque
de colonisation/infection à VRE [16, 17].
2. Durée d’hospitalisation >72 heures.
3. Maladie de base chronique (surtout dialyse, cancers,
transplantation, hospitalisation aux soins intensifs,
corps étrangers) [18].
4. Pression de colonisation: la prévalence ponctuelle
journalière de patients colonisés par VRE dans l’envi­
ronnement du patient influence considérablement le
risque d’acquisition de VRE [19]. Si elle dépasse 50%
c’est le facteur dominant.
5. Exposition: l’environnement immédiat du patient est
contaminé à plus de 50% par «ses» entérocoques.
Contrairement aux bactéries Gram négatives, le VRE
contamine presque toujours les surfaces, les sols, l’ar­
mature, les barrières et draps de lit dans la chambre
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Tableau 2a
Test de résistance des souches invasives d’entérocoques.
E. faecalis
6552 souches
E. faecium
2086 souches
Sensibles %
N
Sensibles %
N
Aminopénicillines
98,5
3586
16,8
1122
Gentamicine HLAR*
74,2
1062
67,2
402
Tétracyclines
25,5
2184
76,2
407
Vancomycine
99,8
2126
95,7
740
Réf.: www.anresis.ch; 14.4.2011; souches d’entérocoques isolées à l’hôpital en 2010.
Tableau 2b
Enterococcus faecium, 2086 souches isolées à l’hôpital en 2010, différences géographiques.
Suisse orientale
Suisse occidentale
Suisse centrale
Sensibles %
N
Sensibles %
N
Sensibles %
N
Aminopénicillines
20,5
478
17,2
296
11,2
348
Gentamicine HLAR*
88,6
35
81,9
166
51,2
201
Tétracyclines
66,7
174
86,0
171
75,8
62
Vancomycine
91,1
258
98,3
310
98,3
172
* High­level­Aminoglycosid­Resistance.
d’un patient colonisé par VRE [20]. Ils peuvent être
à l’origine d’une transmission de VRE, tout comme
les appareils médicaux et claviers d’ordinateurs [21].
Le contrôle de l’infection dans le but de réduire la trans­
mission de VRE dans un hôpital comprend donc les fac­
teurs ci­dessous:
1. Hygiène des mains très soigneuse pour tous les
patients.
2. Contrôle environnemental par désinfection de routine
de tout ce qui touche au patient.
3. Dépistage des patients à haut risque de VRE.
4. Mise en isolement des patients VRE­positifs.
5. Présence d’un test de dépistage avec rapide turn­
around­time pour identification des VRE au labora­
toire.
6. Une décolonisation n’est pas recommandée car elle
n’a jamais fait la preuve de son efficacité.
En 1995, les Centers for Disease Control and Prevention
(CDC) américains ont publié des recommandations de
prévention de la transmission de VRE qui ont été actua­
lisées en 2007 [22]. Elles comprennent le dépistage des
patients à haut risque (par ex. des services d’hématolo­
gie/oncologie ou aux soins intensifs) et l’isolement des
porteurs. Des recommandations du même type ont été
publiées par Swiss­Noso pour la Suisse [23].
Les épidémies à VRE restent d’actualité tout comme
celles dont il a été question au printemps et en automne
2011 [12]. Mais elles peuvent être enrayées par un
contrôle adéquat de l’infection. Les AREfm se dissé­
minent eux aussi mais le mécanisme de leur transmis­
sion n’est pas encore entièrement élucidé et leur dissé­
mination est difficile à combattre. Les AREfm et les VRE
posent en outre un défi thérapeutique car même de
nouvelles substances comme la daptomycine perdent
de leur activité suite à l’apparition rapide d’une résis­
tance.
Correspondance:
Prof. Dr Andreas Widmer
Deputy Head Division of Infectious Diseases & Hospital
Epidemiology
Head, Hospital Epidemiology
University Hospital
CH-4031 Basel
widmera[at]uhbs.ch
Références
Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la
version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch.
Forum Med Suisse 2012;12(42):805–807
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