Une autre piste dans la compréhension des facteurs généti-
ques favorisants est représentée par la mise en évidence d’une
association entre des allo-antigènes spécifiques des cellules B et
le RAA ou la cardiopathie rhumatismale
[2]
. Initialement, des
anticorps monoclonaux ont été développés en immunisant des
souris par des lymphocytes B provenant de patients atteints de
RAA
[24]
. Un de ces anticorps, appelé D8/D17, réagissait avec un
pourcentage plus élevé de lymphocytes B de patients ayant un
RAA ou une cardiopathie rhumatismale qu’avec les témoins.
Cette augmentation de l’expression du marqueur D8/D17 à la
surface des lymphocytes B, présente chez moins de 10 % des
contrôles, a été retrouvée chez 90 à 100 % des patients dans des
études effectuées aux États-Unis, en Russie, en Géorgie, au
Mexique, au Chili et en Israël
[2, 4]
. Il a été mis en évidence une
augmentation, plus modérée, de l’expression de D8/D17 chez
les parents au premier degré. Les anticorps monoclonaux
D8/D17 se fixent sur une protéine non-HLA à la surface des
lymphocytes B et réagissent aussi avec le muscle cardiaque et
squelettique, ou encore avec la protéine M recombinante, ce qui
suggère que l’antigène D8/D17 agirait comme un site de
fixation pour le streptocoque A à la surface des lymphocytes
B
[2]
. Mais cette association n’a pas été retrouvée dans une étude
récente aux États-Unis
[25]
. En Inde, avec la même méthodologie
initiale, d’autres anticorps monoclonaux (PG-12A, PG-13A,
PG-20A) dirigés contre les lymphocytes B ont été trouvés et sont
apparus plus discriminants que les anticorps D8/D17 pour faire
la différence entre malades et témoins
[26]
.
Mécanismes immunologiques
Histologiquement, le nodule d’Aschoff cardiaque est caracté-
ristique : destruction fibrinoïde des fibres de collagène, dépôts
de C3 et d’immunoglobulines, infiltration cellulaire par des
histiocytes d’allure épithélioïde et des lymphocytes T CD4
+
et
CD8
+
. Les lymphocytes T CD8
+
cytotoxiques sont capables
d’entraîner la lyse des cellules myocardiques en culture.
La réponse auto-immune déclenchant le RAA pourrait être
initiée par un mécanisme de mimétisme moléculaire (antigéni-
cité croisée) entre des épitopes présents sur la bactérie patho-
gène et des épitopes présents sur des tissus humains cibles
[15]
.
Les produits de dégradation du streptocoque auraient une
structure moléculaire proche des tissus humains (notamment de
celui des valves cardiaques), ce qui serait à l’origine d’une
réponse immunologique de type auto-immun
[15]
. Les similitu-
des structurales et immunologiques entre la protéine M du
streptocoque et la myosine (à la fois les molécules alpha-
hélicoïdales et coiled-coil) apparaissent essentielles dans le
développement de la cardite du RAA
[2]
. Expérimentalement, des
rats Lewis immunisés avec des protéines M ou des fragments
sélectionnés de la protéine M développent une atteinte cardia-
que à la fois myocardique et valvulaire
[27, 28]
. Les lymphocytes
T des rats ainsi immunisés prolifèrent en présence de la protéine
M du streptocoque A, en présence de la myosine du cœur mais
pas en présence de la myosine du muscle squelettique
[29]
.
Les lymphocytes T CD4
+
des patients ayant une cardiopathie
valvulaire du RAA prolifèrent aussi en présence de la protéine
M du streptocoque A
[2]
. La réponse des lymphocytes T vis-à-vis
de la myosine cardiaque, normalement séquestrée en position
intracellulaire, pourrait être accentuée par la production de
cytokines pro-inflammatoires, faisant intervenir des superanti-
gènes du streptocoque dans la physiopathologie du RAA
[30]
.
Toutefois, c’est l’atteinte valvulaire qui est responsable de la
gravité de la cardite du RAA et la myosine est absente des valves
cardiaques. Le mécanisme de l’atteinte valvulaire reste incertain.
L’atteinte initiale de la valve pourrait être due à la présence de
la laminine, qui est une autre molécule alpha-hélicoïdale coiled-
coil, présente dans la membrane basale et autour de l’endothé-
lium vasculaire du tissu valvulaire cardiaque. En effet, la
laminine est reconnue par les lymphocytes T dirigés contre la
myosine et la protéine M
[31]
. De plus, les anticorps dirigés
contre le tissu valvulaire cardiaque reconnaissent aussi le
N-acétylglucosamine du carbohydrate du groupe A
[2]
. Ces
anticorps sont augmentés chez les patients atteints de RAA et
restent élevés chez ceux ayant une valvulopathie mitrale
résiduelle. Nous ne savons pas si l’atteinte valvulaire initiale est
due aux anticorps ou à la réponse immunitaire à médiation
cellulaire, mais les lésions qui se développent ensuite semblent
déterminées par les lymphocytes T et les macrophages qui
infiltrent le tissu valvulaire
[32]
.
Il a été démontré de longue date que les animaux immunisés
par des antigènes streptococciques développaient des anticorps
sériques pouvant se fixer aux astrocytes
[4]
. Le sérum de patients
atteints d’une chorée de Sydenham contient des anticorps qui
sont spécifiques des cellules caudales. L’absorption de ce sérum
par des antigènes de paroi streptococcique élimine la réactivité
avec les cellules caudales.
Il a été mis en évidence, au sein de 33 lignées de streptoco-
ques A de sérotype M18 responsables d’épidémies de RAA (mais
pas au sein de 13 lignées de streptocoques A non-
M18 responsables de pharyngites), des gènes de bactériophages
appelés speL et speM qui pourraient produire des toxines
pyrogènes jouant un rôle de superantigène
[33]
.
Relations entre rhumatisme articulaire aigu
et rhumatisme poststreptococcique
La question de l’individualité du RPS par rapport au RAA en
tant que maladie reste discutée. Certains auteurs
[34]
les rassem-
blent au sein d’une même entité pathologique, en se basant
notamment sur l’augmentation de l’expression du marqueur
D8/D17 à la surface des lymphocytes B dans les deux entités.
D’autres auteurs pensent qu’il s’agit de deux entités pathologi-
ques distinctes, notamment en se basant sur des différences
génétiques. En effet, il a été observé chez l’enfant, par rapport
à une population témoin, une augmentation de fréquence de
certains allèles du gène HLA DRB1, mais ceci de manière
différente dans les 2 entités cliniques : augmentation de HLA
DRB1.01 dans le RPS, augmentation de HLA DRB1.16 dans le
RAA
[22]
. Toutefois, ce résultat n’a pas été confirmé dans l’étude
italienne de Simonini et al.
[23]
qui a comparé 33 enfants classés
en RPS et 200 témoins. Ces auteurs n’ont retrouvé aucune
relation entre RPS et HLA DRB1.01, ni avec un autre allèle HLA
DRB1.
■Rhumatisme articulaire aigu
Aspects cliniques
L’âge du premier épisode de RAA se situe habituellement
entre 3 et 17 ans, et en moyenne vers 9 ans
[35]
. Le début,
parfois progressif, plus typiquement brutal, survient 2 à
3 semaines après une pharyngite. En fait, à l’interrogatoire, la
pharyngite est retrouvée chez 70 % des enfants les plus âgés et
des adultes, mais chez seulement 20 % des plus jeunes enfants.
La présentation clinique du RAA
[1, 2, 4, 36]
n’est pas univoque,
car les différents signes de la maladie ont une intensité variable
et s’associent entre eux de manière variable.
Signes généraux
La fièvre est habituelle, sinon constante, allant de 38 à 40 °C,
sans périodicité particulière, mais avec parfois des acmés au
moment des poussées articulaires. Elle est importante pendant
environ une semaine, puis décroît pour disparaître en 2 à
3 semaines au total. La prise précoce d’antipyrétique diminue la
fièvre, mais il peut persister une tachycardie plus importante
que ne le voudrait l’élévation thermique. Chez l’enfant, des
douleurs abdominales sont possibles en début d’évolution, et
peuvent simuler une appendicite aiguë.
Atteinte articulaire
Elle est présente chez 2/3 des enfants et chez la plupart des
adolescents et des adultes
[15]
. Classiquement, elle entraîne une
polyarthrite aiguë migratrice et fugace, atteignant avec prédilec-
tion les grosses articulations d’abord aux membres inférieurs
puis aux membres supérieurs. L’atteinte (unilatérale ou bilaté-
rale) des genoux (76 %) et des chevilles (50 %) est la plus
fréquente
[4]
. Viennent ensuite par ordre de fréquence les
atteintes des coudes, poignets, hanches et des petites articula-
tions des pieds (12-15 %). Puis celles des épaules et des petites
articulations des mains (7-8 %). L’atteinte isolée des petites
articulations des pieds ou des mains est très rare (1 %). On peut
aussi avoir une atteinte rachidienne lombosacrée (2 %) ou
14-201-A-10
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Rhumatisme articulaire aigu et rhumatisme poststreptococcique
4Appareil locomoteur