1 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Quelles que soient les nuances introduites dans la formulation finale du résumé, l’essentiel du rapport dresse un tableau qui ne laisse guère de place au doute : l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre issus de l’activité humaine, principalement de gaz carbonique (CO2), est en train de transformer le climat de la planète à un rythme extrêmement rapide, sans précédent dans l’histoire récente de la planète. Réchauffement du climat: c'est bien l'homme et c'est encore plus grave PAR MICHEL DE PRACONTAL ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 3 SEPTEMBRE 2013 Les scientifiques du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) en sont désormais convaincus : l’homme est le principal acteur du réchauffement climatique observé depuis les années 1950. Dans une version préliminaire de leur nouveau rapport que Mediapart a pu consulter, les experts écrivent que l’influence humaine sur le climat est «sans équivoque » et se manifeste «à l’échelle globale et dans la plupart des régions ». Les experts du Giec considèrent comme pratiquement certain que, dans la plupart des régions, les épisodes de froid extrême, à l’échelle saisonnière, seront plus rares tandis que les épisodes de grande chaleur seront plus fréquents. Il y aura aussi plus de vagues de chaleur et de canicules, tandis que des hivers très froids resteront possibles, mais rares. D’ici 2100, la température de surface de la planète pourrait monter de 1,5 à 3 °C, selon le rythme d’augmentation des émissions de CO2 (les estimations les plus hautes allant jusqu’à 4,8 °C). Dans le même temps, le niveau des océans pourrait s’élever de 0,28 mètre à près d’un mètre (et même jusqu’à plus de 2 mètres selon certaines projections jugées peu probables par les experts). Pollution atmosphérique en Russie. © Serguei Dorokhovsky [[lire_aussi]] Le nouveau rapport du Giec sera le cinquième depuis 1990, et paraît six ans après le précédent, daté de 2007. La phrase sur la responsabilité humaine doit figurer dans la partie stratégique du rapport, le résumé à l’intention des décideurs, destiné à inspirer les politiques environnementales. Ce texte de vingt à trente pages ne sera rédigé définitivement qu’au dernier moment, lors d’une réunion à Stockholm du 23 au 26 septembre. Comparé au précédent rapport paru en 2007, ce document met nettement plus l’accent sur la responsabilité humaine dans le changement climatique. « Depuis 1950, on a observé des changements dans tout le système climatique : l’atmosphère et l’océan se sont réchauffés, l’extension et le volume de la neige et de la glace ont diminué et le niveau des mers a monté, écrivent les experts. La plupart de ces changements sont inhabituels ou sans précédent à l’échelle de décennies ou de millénaires. » Il pronostique aussi une élévation plus importante du niveau d’eau des océans, qui ne dépassait pas 0,59 mètre dans l’estimation de 2007. L’écart est dû à une meilleure prise en compte de la fonte des calottes claciaires du Groenland et de l’Antarctique, dont l’observation a fait de très gros progrès depuis quelques années. Mais le corps du document ne devrait connaître que des modifications mineures. Il constitue une somme exceptionnelle de connaissances scientifiques sur les mécanismes physiques du changement climatique, soit plus de deux mille pages écrites et révisées par 209 auteurs et 50 éditeurs d’une quarantaine de pays. Précisons par ailleurs qu’en plus du document qui paraîtra le 30 septembre, le Giec publiera au printemps 2014 deux autres volets : l’un sur les impacts du changement climatique ; l’autre sur les mesures à prendre pour en atténuer les conséquences. Le rapport confirme un point qui peut sembler paradoxal : le rythme du réchauffement s’est légèrement ralenti pendant les 15 dernières années 1/4 2 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr (même si le climat continue de se réchauffer). La température moyenne de surface a augmenté de près d’un degré (0,89 °C) entre 1901 et 2012. Mais alors que la hausse moyenne de 1951 à 2012 a été de 0,12 °C par décennie, elle n’est que de 0,05 °C par décennie depuis 1998. Ce ralentissement ou « hiatus » du réchauffement a été exploité par les climatosceptiques pour nier la réalité du phénomène, mais il peut s’expliquer par le rôle des océans. Ceux-ci absorbent une partie de la chaleur en excès, car il se produit des échanges thermiques entre les couches supérieures de l’océan et les eaux plus profondes. sont absorbés par la fonte des glaces, et 1 % va dans l’atmosphère. Par conséquent, ce n’est pas parce que le réchauffement ralentit en surface qu’il est en train de s’arrêter. » Dans tous les cas de figure, la température de la planète va continuer d’augmenter : comme les gaz à effet de serre retiennent une partie des rayons du Soleil réfléchis par la Terre et les renvoient vers le sol, la planète accumule plus d’énergie qu’elle n’en émet vers l’espace. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 % depuis le début de l’ère industrielle, passant de 278 ppm (parties pour million) en 1750 à 379 ppm en 2005 et à 390,5 ppm en 2011. Les concentrations en méthane (CH4) et en protoxyde d’azote (N2O) ont aussi augmenté très fortement. Pour ces trois gaz, les concentrations actuelles excèdent celles qui ont été mesurées dans les carottes glaciaires depuis 800 000 ans, et leurs taux d’augmentation en un siècle sont sans précédent depuis 22 000 ans. Du fait du hiatus du réchauffement, les experts considèrent qu’une augmentation de température moyenne ne dépassant pas 1,5 °C est possible, alors que le rapport 2007 jugeait très peu plausible une hausse inférieure à 2 °C. Les scientifques ne sont pas encore unanimes sur le mécanisme précis qui explique le hiatus. Un article paru ces jours-ci dans la revue Nature l’attribue au refroidissement de la température de surface du Pacifique équatorial. Le phénomène La Niña, dû à un renforcement des alizés, se traduit par une remontée d’eau froide en surface dans le Pacifique tropical. Ce phénomène se produit en alternance avec El Niño, qui produit l’effet inverse, le tout sur un rythme approximativement décennal. Le Groenland apparaît menacé, l'Antarctique est instable Le rapport du Giec considère plusieurs scénarios d’évolution des émissions de CO2. Le moins plausible est celui d’une réduction drastique des émissions permettant de stabiliser la concentration en CO2. Il est plus vraisemblable que celle-ci continuera d’augmenter. Les estimations les plus probables se situent entre 1,5 et 3 °C. Dans un scénario avec fortes émissions (dit RCP8.5), la concentration en CO2 doublerait avant la fin du siècle, ce qui entraînerait une hausse de la température moyenne de l’ordre de 3 °C Le refroidissement entraîné par La Niña expliquerait le hiatus du réchauffement, selon les auteurs de l’article qui est paru trop tard pour être inclus dans le rapport du Giec. « Dans la période de réchauffement accéléré de 1970 à 1990, la variabilité du Pacifique tropical expliquait 25 % du réchauffement total », explique Yu Kosaka, de la Scripps Institution of Oceanography (université de Californie, San Diego), coauteur de l’article de Nature. Lorsque le cycle va s’inverser, d’ici quelques années, le réchauffement devrait à nouveau s’accélérer. «La température de surface est un indicateur utile, mais partiel, explique Valérie Masson-Delmotte, climatologue au CEA. Il faut savoir que 93 % de l’excès de chaleur dû à l’effet de serre sont stockés dans les océans ; 3 % sont retenus par les sols, 3 % 2/4 3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr ou plus en 2100. Une telle hausse moyenne pourrait se traduire par une montée du thermomètre de l’ordre de 10 °C aux pôles. Ces trois techniques ont transformé complètement le tableau des connaissances sur l’évolution des calottes polaires. Les nouvelles observations ont montré que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique fondent à un rythme accéléré sous l’action du changement climatique. D’après les estimations du Giec, le Groenland perdait 34 milliards de tonnes de glace par an entre 1992 et 2001 ; ce nombre est passé à 215 milliards de tonnes dans la période 2002-2011. Pour l’Antarctique, la perte était estimée à 30 milliards de tonnes par an de 1992 à 2001, et serait passée à 147 milliards de tonnes par an dans la décennie 2002-2011. Les glaces du Groenland, en voie de disparition © Eric Rignot Le point sur lequel le rapport de 2013 apporte le plus d’éléments nouveaux est le bilan de la fonte des glaces polaires et la contribution de celle-ci à la hausse du niveau des océans. Le rapport de 2007 avait été critiqué par les glaciologues parce qu’il ne prenait pas suffisamment en compte la fonte des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland. Il n’expliquait pas non plus suffisamment le rôle des océans. Ce dernier est désormais beaucoup mieux connu, grâce à la multiplication des bouées qui mesurent la température de surface de la mer et celle de l’air, la pression atmosphérique, les courants de surface, la salinité, etc. Ces bouées permettent de valider les modèles d’analyse de la circulation océanique. Une autre estimation, publiée fin 2012 par un consortium de 47 glaciologues (voir notre article ici), donne un bilan total à peu près équivalent, mais avec un contraste plus fort entre les deux calottes : le Groenland fondrait au rythme de 263 milliards de tonnes par an, 5 fois plus vite qu’au début des années 1990 ; pour l’Antarctique, la perte serait de 81 millions de tonnes par an. En fait, la situation de l’Antarctique est assez différente de celle du Groenland, car elle est hétérogène : la région est du continent ne fond pas, elle est même en léger bénéfice ; les pertes viennent principalement du nord de la péninsule antarctique et de l’ouest du continent (région de la mer d’Amundsen). L’étude de l’évolution des calottes glaciaires a également accompli des progrès considérables ces dernières années, grâce à l’apport de nouveaux instruments de mesure. Trois méthodes, utilisant des satellites d’observation, permettent de quantifier les variations de masse des calottes glaciaires : Schématiquement, le Groenland apparaît plus menacé, du moins à l’échelle d’un siècle. Va-t-il disparaître ? « Non, mais il pourrait devenir nettement plus petit, estime la climatologue Catherine Ritz (Laboratoire de glaciologie LGGE, CNRS, Grenoble). Le Groenland peut trouver un nouvel équilibre avec une taille plus restreinte. Il y a 125 000 ans, alors que le niveau des océans était plus élevé de 6 mètres que le niveau actuel, il y avait encore de la glace au Groenland. » • l’altimétrie, qui consiste à mesurer la hauteur d’une couche de glace grâce à un écho laser ou radar ; • la gravimétrie, dans laquelle on mesure très précisément le champ de gravitation de la Terre pour en déduire la masse d’une couche de glace (ces mesures sont faites par un système de deux satellites appelés GRACE) ; Le cas de l’Antarctique est encore plus complexe : « La dynamique du continent antarctique n’est pas encore tout à fait comprise, poursuit Catherine Ritz. Il existe un point faible dans l’Antarctique ouest, le glacier Thwaites. S’il se déstabilise, la perte de glace s’accélérera fortement, mais on ne sait pas aujourd’hui quelle est la situation exacte de ce glacier. » • l’interférométrie, qui permet d’estimer la perte de masse en mesurant la vitesse d’écoulement de la glace quand elle se détache. 3/4 4 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Bien sûr, l’énorme quantité de glace perdue par les deux calottes polaires contribue à l’élévation du niveau des mers (la contribution du Groenland étant plus importante que celle de l’Antarctique). Deux autres facteurs s’ajoutent : la fonte des glaciers et la dilatation thermique des océans. Selon les données du rapport du Giec, le niveau de l’océan s’élève actuellement d’environ 3 millimètres par an. Schématiquement, un tiers de cette élévation est due à la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique, un tiers à celle des glaciers et un tiers à la dilatation thermique de l’eau. Quel que soit le scénario, les conséquences de l’influence humaine sur le climat sont en train de devenir une réalité concrète, comme le constate le climatologue Hervé Le Treut (Institut Pierre-Simon Laplace), qui a participé à la rédaction de deux des précédents rapports du Giec : [[lire_aussi]]« Depuis une décennie, l’image est devenue de plus en plus nette, dit-il. On n’est plus dans la situation initiale, où l’enjeu principal était de savoir s’il y avait ou non un changement climatique. C’est une affaire réglée, même si les climato-sceptiques continuent d’affirmer le contraire. La question importante, aujourd’hui, est de savoir comment on va s’adapter au changement. Quelles sont les mesures importantes à prendre ? Quelle culture faut-il développer dans telle région ? Comment arbitrer l’usage des différentes sources d’énergie ? C’est une discussion plus concrète, mais aussi plus difficile, qui porte sur des choix pratiques. Les échecs des dernières conférences en témoignent. Mais ils ne sont pas forcément définitifs : la Chine et l’Inde, premier et troisième émetteurs de CO2, sont aussi très vulnérables au changement climatique, et ont intérêt à agir. » Le rythme de 3 mm par an aboutirait à une hausse de 30 centimètres d’ici la fin du siècle. Il est probable que ce rythme va s’accélérer pendant les décennies à venir. L’élévation probable du niveau des océans d’ici 2100 serait d’un peu moins d'1 mètre dans le scénario avec les émissions les plus fortes (RCP8.5). Les experts estiment que la limite d’un mètre ne serait dépassée que si l’Antarctique se déstabilisait très fortement, entraînant l’effondrement de nouveaux secteurs de couche glaciaire. En revanche, à l’échelle de deux ou trois siècles, le niveau des mers pourrait monter de plusieurs mètres. Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 32 137,60€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. 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