L`Improvisation : au théâtre comme ailleurs

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L’Improvisation : au théâtre comme ailleurs
En fait, le titre de ma contribution n’est pas « l’improvisation au théâtre et
ailleurs », mais comme ailleurs. Nuance, en cela que je vais me permettre
d’élargir un peu le propos et, peut-être, y exprimer une opinion sujette à
controverses.
D’abord, il n’y a pas de raison que l’improvisation ait un statut différent au
théâtre que dans les autres expressions. (D’où au théâtre comme ailleurs).
Ensuite, je ne crois guère à la réalité de l’improvisation. Voilà l’objet du
délit d’opinion sujette à controverse. Dans les 15 minutes qui me sont
imparties, je ne pourrais pas développer toute mon argumentation, mais
ainsi il y aura au moins ensuite matière à conversation.
En premier lieu, il conviendrait de s’entendre sur, précisément, ce que l’on
entend par improvisation. À consulter les dictionnaires, on peut lire
évidemment que l’improvisation c’est l’action d’improviser.
Alors improviser, c’est composer sur le champ et sans préparation. On parle
aussi de création spontanée à propos d’improvisation. Il faudra revenir sur
ce rapprochement improvisation - création.
Un impromptu (en musique, en danse, comme au théâtre) : petite pièce
composée sur le champ et, en principe, sans préparation, là aussi.
Voilà pourquoi, en second lieu, il ne convient pas, en la matière selon moi,
de séparer le théâtre des autres arts du spectacle, notamment la musique et la
danse.
La danse est aux origines du théâtre comme on le verra mais, de nos jours,
elle se présente comme un aboutissement, comme synthèse contemporaine :
espace sonore, espace scénique, espace gestuel + maintenant la voix et la
parole.
Juste petite visite éclair à la musique et à la danse. Je ne viens pas ici en
concurrence avec d’autres beaucoup plus compétents que moi sur le sujet.
En musique, l’improvisation peut se voir comme exécution et/ou création
spontanée, ni préparée ni notée. L’interprétation a été pendant longtemps
synonyme de création spontanée. Le résultat de ces compositions éphémères
survivait grâce à la transmission orale qui entraînait des versions
successives en constante évolution de langage. Avec la notation à
l’occidentale, se crée la mémorisation d’une musique qu’on finira par
qualifier de savante. Mais aussi ne dit-on pas, par ailleurs, que la musique
est vivante quand elle donne l’impression d’être improvisée.
(Notion d’improvisation partielle où la démarche de l’interprète se surajoute
à celle du compositeur, qui peut prévoir et intégrer cette forme
d’intervention).
L’improvisation est aussi une qualité de l’interprétation, mais, individuelle
ou collective, elle doit respecter toujours des règles conventionnelles de
langage, sans l’observation desquelles le produit sonore reste inintelligible.
Que dire d’une spontanéité sous contrainte ? Car, contrairement à ce que
l’étymologie pourrait laisser entendre, improviser ici c’est prévoir, refuser le
hasard, organiser à l’avance, faire face à l’imprévu, écarter ce qui survient à
l’improviste. En effet, quand l’imprévu se glisse dans une improvisation
musicale, la cacophonie - le non-sens sonore - l’emporte sur la musicalité
Maintenant juste un mot à propos de la danse, car on ne peut l’éviter en
parlant du théâtre. De nos jours, l’indépendance de la danse à l’égard de la
musique s’affirme. Déjà une simple percussion avait suffi à Serge Lifar pour
représenter Icare. On peut aussi noter l’introduction de la musique concrète
dans la « Symphonie pour un homme seul » de Béjart.
Merce Cunningham est allé plus loin : l’espace n’a plus de centre, le hasard
et l’improvisation s’intègrent à une chorégraphie dont la notation est aussi
complexe qu’un calcul de probabilités. Les événements sonores de John
Cage obéissent aux mêmes principes, dans une durée sans commencement
ni fin. Pas étonnant que ces deux-là se soient rencontrés.
Quand aux pièces actuelles, elles présentent une très grande diversité de
langage. Il y a ici des gens beaucoup plus compétents que moi pour en
parler.
Ouvrons maintenant la porte au théâtre.
L’improvisation au théâtre est une technique qui vise à faire exécuter par
l’acteur, dans l’instant, quelque chose d’imprévu : imprévu qui curieusement - peut d’ailleurs être prémédité par l’intermédiaire d’un
canevas, (équivalence avec la musique et la danse). Oxymoron sémantique :
deux mots incompatibles ou contradictoire (comme un silence assourdissant,
par exemple), en l’occurrence ici deux acceptions contradictoires : un
imprévu prémédité.
L’improvisation théâtrale est une notion historiquement familière à travers
la Commedia dell’arte. Mais il est hautement probable qu’elle n’a pas
attendu le XVIe siècle occidental pour exister.
Notre culture va chercher l’origine de son théâtre en Grèce. Et les origines
du théâtre grec sont obscures, (c’est tout dire pour la précision). Ces
origines, d’ailleurs, sont sans doute en grande partie différentes pour les
quatre genres dramatiques pratiqués dans l’Athènes classique lors des fêtes
de Dionysos : dithyrambe, tragédie, drame satyrique et comédie.
Le plus ancien est le dithyrambe, présent dans le nord-ouest du Péloponnèse
dès le début du VIe siècle. C’est un poème en l’honneur d’un dieu ou d’un
héros, chanté par un chœur, qui exécute en même temps une danse animée
en tournant autour d’un soliste, alternant couplets et refrains. Dès cette
époque au moins, le dithyrambe est lié au culte de Dionysos. Vers le milieu
du siècle, un poète attique, Thespis d’Icaria, aurait ajouté la parole au chant,
en chargeant un acteur de réciter un ― prologue ‖ et un ― récit ‖. Thespis
aurait été le vainqueur du premier concours tragique, établi par Pisistrate en
534. De ce poète presque mythique jusqu’à Eschyle ne subsistent que
quelques noms, quelques titres, une poignée de vers.
Il y avait plusieurs types de dionysies :
Les grandes dionysies, urbaines, sont les plus imposantes des trois fêtes de
Dionysos (les deux autres sont les lénéennes et les petites dionysies
champêtres). Apparues à Athènes au VI siècle, elles sont vite célébrées avec
éclat dans toutes les cités de quelque importance, l’origine religieuse
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s’effaçant peu à peu au profit de la fonction politique : assurer le renom de
la cité en renforçant le sentiment communautaire. Elles se déroulent vers la
fin du mois de mars et durent six jours . La foule se rend en procession au
sanctuaire de Dionysos pour en sortir la statue et l’amener dans l’enclos
sacré du théâtre. Les deux jours suivants sont consacrés à un concours de
dithyrambes. À la fin de ces trois premiers jours, un nouveau cortège se
forme. Enfin, les trois derniers jours sont consacrés aux représentations
théâtrales : le matin, trois tragédies et un drame satyrique (tétralogie) ;
l’après-midi, une comédie — le tout entrecoupé de cérémonies diverses —,
à la suite de quoi un jury désigné par le sort proclame le nom du vainqueur
parmi les trois poètes admis à concourir.
Ainsi, le théâtre serait né de musiques, chants et de danses autour de la
statue de Dionysos. Où l’on peut penser que l’improvisation, du moins au
tout début, avait une certaine place.
Si nous sautons les siècles et survolons, le théâtre romain, les mystères et
autres spectacles du Moyen Age, les tréteaux de foire nous arrivons alors au
XVI siècle, avec justement la commedia dell’arte, où les Italiens donnent à
la vieille tradition de la farce un développement remarquable.
C’est à Patrick Pezin, spécialiste de cette période notamment, qu’il faudrait
en demander les détails.
Je me contenterai de quelques aspects. Les acteurs développent avec verve
sur un canevas un dialogue improvisé entre des personnages stéréotypés. Là
encore cette notion d’improvisation reste relative. Théâtre de professionnels,
la commedia dell’arte favorise la mise en scène de situations dynamiques :
l’acteur est roi, tout est jeu. Le sujet compte peu dans cette création
collective, bien que le scénario soit affiché derrière la scène et que les
acteurs le consultent avant leur entrée. Le canevas est donc le fil conducteur.
Il assure l’unité et la variété en organisant la succession de thèmes travaillés
au fil des répétitions. La structure de la pièce est assez libre : la plupart du
temps, deux jeunes gens s’aiment qui devront, au deuxième acte, bousculer
tous les obstacles avec l’aide de valets conquérants et, au troisième acte,
triompher de toutes les embûches. Le spectacle est souvent précédé d’un
prologue au public sous forme de parade et suivi d’un adieu au spectateur.
La mise en scène de ce théâtre de l’action est naturellement visuelle. Le
public demande au canevas de lui proposer tous les rebondissements
possibles. Sa participation nourrit le jeu et cimente la tradition.
Les personnages ainsi fixés d’avance, le canevas de la pièce accroché dans
la coulisse se contente de décrire succinctement les péripéties de l’action et
de régler les entrées et les sorties des comédiens. À chacun des acteurs (ils
sont titulaires de leur rôle) d’interpréter et de développer le thème comme il
l’entend, en se fiant tantôt à l’improvisation gestuelle et parlée, et tantôt en
reprenant des répliques et des jeux de scène préétablis. Comme on le voit, le
rôle du comédien est capital : aussi attache-t-il souvent son nom au
personnage qu’il interprète.
Sautons encore les siècles : Il y aurait à dire sur les matchs d’improvisation
qui firent florès il y a quelques années. Je ne sais si cela existe encore. Je
n’y ai guère porté d’intérêt si ce n’est pour remarquer qu’il s’agissait plutôt
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d’un marché de dupes où des gens montés en boucles tentaient de nous faire
croire à la spontanéité.
Autre aspect : Alain Gautré aurait sans doute à nous dire sur les rapports du
clown à l’improvisation. Ce dont je ne suis pas capable.
Que dire encore ? Que de nos jours, l’improvisation a pris de l’importance
dans différentes méthodes de formation de l’acteur : Stanislavski –
Grotowski – Actor studio. Elle est un peu devenu le mythe d’un certain
théâtre contemporain.
L’improvisation, vécue par l’acteur comme occasion de liberté, de création
spontanée, instantanée, de l’expression du moi profond est illusoire.
Illusoire, le corps consacré comme source d’un nouveau langage, plus vrai,
plus sincère
Il faut, de mon point de vue, regarder avec une grande prudence ces
rapprochements : improvisation et spontanéité - improvisation et création improvisation et vérité, à travers le théâtre (valable pour musique et danse).
On parle encore d’improvisation comme mode de tout un travail
préparatoire à la création d’un spectacle. (Living theatre, Grotowski, Actuel,
Théâtre du Mouvement …) : c’est en réalité une approche de construction
par tâtonnements successifs, essais erreurs mis à l’épreuve d’une sélection
aussi claivoyante que possible.
Il y aurait aussi beaucoup à dire de l’exorbitante pression de la littérature sur
le théâtre qui est dans son essence bien davantage un fomentateur d’images
mentales qu’un colporteur de blabla littéraire. Mais c’est ici hors sujet.
En fait, l’improvisation n’aurait-elle pas mieux à faire avec la fête. Dans sa
lettre à d’Alembert (dite sur les spectacles - 1758), Rousseau juge le théâtre
dangereux, voire inutile. Il conclut sa lettre : « Quoi ! ne faut-il donc aucun
spectacle dans une république ? Au contraire, il en faut beaucoup ». Oui,
mais alors quel genre de spectacle ? Il répond : « Plantez au milieu d’une
place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez
une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle : rendezles acteurs eux-mêmes … »
(Dionysies mais aussi le happening 1960 - il faut que tout puisse arriver,
même si, là encore, c’est plutôt illusoire).
Où est la différence ? En principe, au théâtre il y a une œuvre. Ce n’est pas
le cas pour la fête où il n’y a même pas ce schéma directeur qui oriente les
improvisations de la commedia dell’arte.
Ainsi, il y a différents types, certes sous une notion générale de spectacle,
certains avec règles du jeu comme dans un match sportif, ou
ordonnancement comme une revue militaire. Mais, le théâtre, jusqu’à
preuve du contraire, se donne pour fin une œuvre quel qu’en soit le statut.
C’est toute la différence.
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Pour conclure, et pour toutes ces raisons, je suis tenté de mettre en question
l’improvisation au théâtre comme ailleurs (pour reprendre mon titre) dans le
domaine qui nous intéresse ici.
En vérité, nous sommes agis par le fantasme d’improvisation, cette pseudo
occasion de liberté. On ne se libère pas si facilement de soi, de son tourner
en rond, de son monter en boucle. On peut à la rigueur se désinhiber
quelque peu. La spontanéité comme phénomène qui se produit sans cause
apparente, sans avoir été provoqué, « naturel », non réfléchi, sans calcul, est
une vue de l’esprit. La croyance en un corps comme source d’autre langage,
plus vrai, plus sincère : illusion aussi
Des pratiques, très en vogue il y a déjà un certain temps, comme la Gestalt
Thérapie, la Bioénergie … etc, ont montré qu’on pouvait faire surgir certes
des données subconscientes ou refoulées, mais formatées par les
expériences vécues.
Ce fantasme d’improvisation libératrice suppose une réserve infinie de
possibles dans le cerveau. En fait, improviser au mieux c’est faire monter de
ces choses implicites + ou – conscientes en nombre considérable mais
limité. (10 11 neurones - 10 14 synapses). La plupart du temps, improviser
c’est refaire sensiblement la même chose, certes repeinte en d’autres
couleurs, sans plus, et le plus souvent simple répétition.
Quant à l’improvisation comme création : c’est un abus de langage. Les
hommes construisent ou rafistolent des espèces de puzzles qu’ils appellent
créations. Il y en a de plus réussis que d’autres voilà tout. Seul Dieu crée,
s’il existe. Au fait, Dieu existe-t-il ? Et s’il n’existe pas, alors : y a-t-il
quelque chose de créé ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
(Leibniz)
Existons-nous vraiment ou ne somme-nous nous-mêmes qu’une illusion ?
(Borges).
Une illusion comique bien sûr aurait précisé notre cher Pierre Corneille.
Je vous remercie.
Matières à conversation
Théâtre du Lierre
Octobre 2004
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