Synthèse - John Libbey Eurotext

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Synthèse
Pollen de l’air et risque
d’allergie : l’évolution récente *
BERNARD CLOT
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MétéoSuisse
Station aérologique
Ch. de l’Aérologie
CP 316
CH -1530 Payerne
Suisse
<[email protected]>
Tirés à part :
B. Clot
Résumé. Les facteurs météorologiques et climatiques influencent à la fois la végétation et la
présence de pollen dans l’air. Les changements qui affectent ces facteurs ont donc des répercussions
directes et indirectes sur la distribution et la phénologie des plantes ainsi que sur la production,
l’émission et la dispersion du pollen. En lien avec le réchauffement climatique, on observe de nettes
tendances au déplacement de la floraison des espèces hivernales et printanières vers des dates plus
précoces, à la prolongation de la saison des pollens estivaux comme les graminées et à l’augmentation des quantités de pollen de fin d’été. Le réchauffement permet également l’extension vers le
nord de l’aire de répartition de plantes méditerranéennes dont le pollen est allergisant, par exemple
la pariétaire. De nombreux autres facteurs agissent également sur la production et la dispersion du
pollen, et en particulier l’intervention humaine dans l’environnement. Ainsi, de nombreuses
espèces dont le pollen est allergisant sont plantées en grand nombre ou introduites accidentellement. À l’échelle locale ou régionale, la gestion du territoire a souvent des conséquences plus
sensibles que le changement climatique sur l’exposition au pollen : l’urbanisation ou des changements de pratiques agricoles, par exemple, modifient considérablement la distribution des végétaux
dans une région et donc l’exposition au pollen en qualité, quantité et fréquence. L’extension rapide
de l’aire de répartition de certaines plantes envahissantes, et en particulier de l’ambroisie, est une
réelle préoccupation. Dans ce cas, les effets du changement climatique et des activités humaines se
conjuguent pour favoriser la dispersion de la plante et la production de pollen. Les graines de
l’ambroisie sont en effet dispersées par les transports de terre, les déplacements des véhicules, les
semences contaminées, les constructions... Le réchauffement climatique favorise l’ouverture de la
végétation et la création de niches écologiques pour cette plante. De plus, l’augmentation des
concentrations de gaz carbonique et des températures augmente la production de pollen et
prolonge la durée de floraison de l’ambroisie.
Mots clés : climat ; hypersensibilité ; pollen.
Abstract
doi: 10.1684/ers.2008.0177
Recent changes in airborne pollen and allergy risk
Weather and climate factors influence the development of vegetation and airborne pollen.
Changes affecting these factors have both direct and indirect consequences for plant distribution and phenology and thus for the production, release and dispersion of pollen. Clear trends
linked to climate warming show earlier flowering of late winter and spring species, a longer
summer pollen season (e.g., grasses) and increased quantities of pollen in late summer. Climate
warming also leads to the northward extension of the distribution area of Mediterranean plants
with allergenic pollen (e.g., pellitory). Many other factors influence pollen production and
dispersion. Human intervention in the environment plays an important role, through both
extensive planting and accidental introduction of many plant species with allergenic pollen. At
a local or regional scale, land use often influences pollen exposure more than climate change.
For example, urbanization and changes in agricultural practices considerably modify the
distribution of plants in an area and thus the quality, quantity and frequency of pollen exposure.
One important concern is the rapid extension of the distribution area of some invasive plants,
short ragweed in particular: climate change and human activities jointly support its spread and
pollen production. Ragweed seeds are spread through soil transport and moving vehicles,
contaminated seeds, construction, etc. Climate warming promotes open vegetation and the
creation of ecological niches for ragweed. In addition, increasing CO2 concentrations and
temperatures increase pollen production and prolong its flowering period.
Article reçu le 2 septembre 2008,
accepté le 29 septembre 2008
Key words: climate; hypersensitivity; pollen.
* Ce texte est la version rédigée d’une communication présentée dans le cadre du Congrès national d’asthme et d’allergie - « De l’enfant à
l’adulte, de la recherche à la clinique », qui s’est tenu à Paris à l’Institut Pasteur du 18 au 20 juin 2008, sous le patronage de la Société française
de santé et environnement (SFSE).
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B. Clot
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L
a prévalence des allergies au pollen a fortement augmenté au
cours des dernières décennies pour atteindre des valeurs
comprises entre 15 et 20 % selon les pays [1]. Le spectre des
pollens auxquels des personnes sont sensibilisées s’est également
étendu : avant les années 1980, la majorité des pollinoses était
due au pollen des graminées (Poaceae) ; puis les pollens d’arbres
ont progressivement pris de l’importance, à commencer par le
bouleau (Betula sp.). Pourtant, l’abondance dans l’air d’Europe
centrale de chacun des pollens incriminés n’a probablement pas
changé suffisamment pour expliquer ces changements [2].
Les changements intervenus dans l’environnement au cours
de la même période sont nombreux, et le plus médiatisé d’entre
eux est certainement le réchauffement climatique, dont la réalité
ne fait plus de doute depuis la parution du quatrième rapport de
l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) [3]. Le
climat détermine la végétation qui peut croître dans une région.
La production du pollen est fortement dépendante des conditions
météorologiques à différents moments du cycle annuel. En particulier, la température influence fortement la vitesse de croissance
des plantes en première partie de saison et détermine le moment
de la floraison. Enfin, les conditions météorologiques qui prévalent pendant la floraison déterminent le moment précis de la
libération du pollen dans l’air et favorisent ou non sa dispersion.
Le taux d’humidité de l’air et la vitesse et la direction du vent
prennent alors une grande importance. L’influence des paramètres météorologiques provoque d’importantes variations
d’une année à l’autre, tant dans les dates de début et de fin de
floraison que dans l’abondance du pollen [4].
Matériel et méthode
Dans toute l’Europe, la mesure des concentrations de pollen
dans l’air est réalisée à l’aide de capteurs volumétriques de type
Hirst selon des méthodes standard ; les observations phénologiques sont également effectuées de façon comparable [1].
Résultats et discussion
En raison de la grande influence du climat et du temps sur les
organismes vivants, les changements observés dans la phénologie et la distribution de nombreuses espèces de plantes ont été
mis en relation avec le changement climatique intervenu à
l’échelle globale [5]. L’influence du réchauffement des températures sur le plus important allergène de l’air, le pollen, et ses
conséquences sur les allergies sont maintenant bien documentées [6-9].
Changements dans le calendrier pollinique
Les tendances observées sur la végétation par les réseaux
phénologiques concordent avec les mesures aérobiologiques.
En bonne corrélation avec les hivers doux qui ont dominé depuis
la fin des années 1980, le pollen des espèces qui fleurissent à la
fin de l’hiver ou au début du printemps, en particulier de nom-
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breux arbres, montre une forte tendance à l’anticipation ; ce
déplacement peut dépasser un mois. La durée de la présence
dans l’air du pollen des différentes espèces d’arbres, si elle varie
fortement d’une année à l’autre, ne change en revanche pas à
long terme. La précocité de la saison pollinique des espèces
fleurissant à la fin du printemps ou en été, en particulier les
graminées, est moins importante que celle des arbres, mais bien
réelle. En raison de la persistance plus fréquente de conditions
favorables en début d’automne, la floraison des espèces tardives
comme l’armoise (Artemisia sp.) ou l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia) dure plus longtemps. La saison pollinique dans son
ensemble se trouve ainsi prolongée à son début et à sa fin
[2, 9-11].
Quantités de pollen
Les conséquences du changement climatique sur l’abondance du pollen sont moins claires, les très importantes variations interannuelles masquant souvent les tendances. Une augmentation des quantités de pollen d’arbres est souvent
enregistrée, alors qu’aucune tendance générale ne se dessine
pour les Graminées. Le pollen des autres herbacées est souvent
en augmentation, mais aussi en diminution dans certaines stations. D’autres paramètres que le changement climatique interviennent dans ces évolutions, en particulier la modification de
l’utilisation du sol. Comme les capteurs de pollen sont presque
tous situés en ville et qu’au cours des dernières décennies,
l’urbanisation a parfois profondément modifié les sources de
pollen, la situation mesurée en ville ne reflète pas toujours la
situation en périphérie, en particulier dans le cas de certaines
plantes rudérales ou pionnières, qui bénéficient des environnements perturbés [2, 10].
Nouveaux pollens, nouvelles allergies
Des déplacements d’aires de répartition de la végétation en
raison du réchauffement climatique sont déjà observés et on
s’attend à ce qu’ils s’amplifient [5]. Les populations d’Europe
centrale seront ainsi exposées à la présence de nouveaux pollens,
dont certains comme la pariétaire (Parietaria sp.) sont connus
comme allergisants en Méditerranée. D’autres plantes déjà présentes bénéficieront du réchauffement et deviendront plus abondantes, en particulier des adventices ou des rudérales comme les
chénopodes (Chenopodium sp.). Un climat plus favorable permettra aussi l’introduction ou la multiplication de plantes d’intérêt ornemental ou horticole. Certaines d’entre elles sont bien
connues pour l’allergénicité de leur pollen et devraient être
évitées, voire interdites. C’est le cas par exemple du cèdre du
japon (Cryptomeria japonica), des cyprès (Cupressus sp.), de
certains palmiers, mais aussi du platane (Platanus sp.) et de
l’olivier (Olea sp.) [10].
Ambroisie, le pire pollen
L’extension rapide de l’aire de répartition de l’ambroisie
(Ambrosia artemisiifolia) en Europe et dans d’autres parties du
monde est un autre élément essentiel dans le développement
futur des allergies, car le pollen de cette plante envahissante est
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Pollen de l’air et risque d’allergie : l’évolution récente
l’un des plus allergisants [1, 10, 12, 13]. Dans ce cas, la combinaison des influences directe et indirecte des activités humaines
est particulièrement sensible :
– influence directe : les graines d’ambroisie sont dispersées
presque exclusivement par les activités humaines, qui fournissent
par ailleurs à cette plante des milieux favorables pour germer et
se multiplier ;
– influence indirecte : des concentrations de gaz carbonique
plus élevées augmentent la production de pollen par l’ambroisie,
tandis que l’accroissement des températures prolonge sa floraison et donne plus de chances aux graines d’atteindre leur
maturité [14].
Il n’est pas nécessaire d’attendre que l’ambroisie ait envahi
toute une région pour que les effets négatifs de sa présence soient
sensibles : l’importance de la présence de petites populations
locales d’ambroisie sur l’exposition de la population a été clairement montrée [10]. Il est donc important de repérer assez tôt
l’arrivée de cette plante et de mener des actions préventives.
Autres aspects à considérer
Parmi les changements environnementaux induits par l’être
humain, la pollution n’est pas des moindres à avoir un effet sur la
santé. Dans le cadre des allergies, elle intervient au moins de
deux façons. D’une part, elle favorise l’allergie en irritant les
muqueuses (ozone, par exemple) et en modulant le système
immunitaire (particules fines de diesel, par exemple) ; d’autre
part, elle modifie le contenu biochimique du pollen, qui renferme plus de certains allergènes et de substances proinflammatoires dans des régions fortement polluées. Il a été
suggéré que des stress hydriques ou thermiques en relation avec
le changement climatique pourraient avoir le même effet, de
nombreux allergènes étant des protéines de stress. Cette hypothèse méritera d’être étudiée de façon plus approfondie, de
même que les conséquences de l’exposition simultanée ou successive à différents types de pollution et d’allergènes, autant sur la
sensibilisation que sur l’expression des symptômes [15, 16].
Par ailleurs, il a récemment été mis en évidence que les
quantités d’allergènes contenues dans le pollen peuvent varier
considérablement d’une année à l’autre [17]. Cela justifie
d’autant plus les travaux visant à mesurer les quantités d’allergènes dans l’air et à les comparer aux concentrations polliniques
[18]. Au lieu de la mesure des porteurs d’allergènes dans l’air
(grains de pollen, par exemple), c’est donc celle des concentrations d’allergènes eux-mêmes qui commence à intéresser les
chercheurs. Les allergènes peuvent en effet également être portés
par des particules plus petites que le pollen (fragments ou éléments du contenu cellulaire du grain de pollen, allergènes secondairement attachés à d’autres aérosols, autres fragments de plantes). Aujourd’hui, cette mesure n’est pas généralisée en raison des
difficultés techniques et des coûts.
Conclusion
L’exposition aux pollens est plus longue – la saison est
globalement prolongée –, plus intense – les concentrations de
certains pollens ont augmenté –, et plus variée – par la présence
de « nouvelles » plantes dont le pollen est allergisant. Les risques
de développer ou de manifester une allergie au pollen deviennent donc plus importants. Il ne faut pourtant pas en déduire que
l’augmentation de la prévalence des pollinoses au cours des
dernières décennies a été provoquée par ces seuls changements,
qui ne représentent qu’une des multiples facettes de la problématique des allergies. L’augmentation de certains types de pollution semble renforcer ces risques, en agissant à la fois sur le
pollen et sur nos défenses.
Il est intéressant de constater que dans la plupart des cas
cités, l’être humain intervient comme un facteur direct ou indirect des modifications de l’environnement. S’il semble difficile de
résoudre à court terme certains problèmes globaux comme le
réchauffement climatique, on peut à tout le moins penser qu’il
devrait être possible à l’échelle locale ou régionale d’éviter
d’introduire ou de laisser se multiplier des plantes exotiques dont
le pollen est connu pour être allergisant. En effet, le pollen peut
dans certaines circonstances être transporté à longue distance par
le vent, mais sa dispersion est avant tout locale ou régionale. n
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