Synthèse Pollen de l’air et risque d’allergie : l’évolution récente * BERNARD CLOT Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. MétéoSuisse Station aérologique Ch. de l’Aérologie CP 316 CH -1530 Payerne Suisse <[email protected]> Tirés à part : B. Clot Résumé. Les facteurs météorologiques et climatiques influencent à la fois la végétation et la présence de pollen dans l’air. Les changements qui affectent ces facteurs ont donc des répercussions directes et indirectes sur la distribution et la phénologie des plantes ainsi que sur la production, l’émission et la dispersion du pollen. En lien avec le réchauffement climatique, on observe de nettes tendances au déplacement de la floraison des espèces hivernales et printanières vers des dates plus précoces, à la prolongation de la saison des pollens estivaux comme les graminées et à l’augmentation des quantités de pollen de fin d’été. Le réchauffement permet également l’extension vers le nord de l’aire de répartition de plantes méditerranéennes dont le pollen est allergisant, par exemple la pariétaire. De nombreux autres facteurs agissent également sur la production et la dispersion du pollen, et en particulier l’intervention humaine dans l’environnement. Ainsi, de nombreuses espèces dont le pollen est allergisant sont plantées en grand nombre ou introduites accidentellement. À l’échelle locale ou régionale, la gestion du territoire a souvent des conséquences plus sensibles que le changement climatique sur l’exposition au pollen : l’urbanisation ou des changements de pratiques agricoles, par exemple, modifient considérablement la distribution des végétaux dans une région et donc l’exposition au pollen en qualité, quantité et fréquence. L’extension rapide de l’aire de répartition de certaines plantes envahissantes, et en particulier de l’ambroisie, est une réelle préoccupation. Dans ce cas, les effets du changement climatique et des activités humaines se conjuguent pour favoriser la dispersion de la plante et la production de pollen. Les graines de l’ambroisie sont en effet dispersées par les transports de terre, les déplacements des véhicules, les semences contaminées, les constructions... Le réchauffement climatique favorise l’ouverture de la végétation et la création de niches écologiques pour cette plante. De plus, l’augmentation des concentrations de gaz carbonique et des températures augmente la production de pollen et prolonge la durée de floraison de l’ambroisie. Mots clés : climat ; hypersensibilité ; pollen. Abstract doi: 10.1684/ers.2008.0177 Recent changes in airborne pollen and allergy risk Weather and climate factors influence the development of vegetation and airborne pollen. Changes affecting these factors have both direct and indirect consequences for plant distribution and phenology and thus for the production, release and dispersion of pollen. Clear trends linked to climate warming show earlier flowering of late winter and spring species, a longer summer pollen season (e.g., grasses) and increased quantities of pollen in late summer. Climate warming also leads to the northward extension of the distribution area of Mediterranean plants with allergenic pollen (e.g., pellitory). Many other factors influence pollen production and dispersion. Human intervention in the environment plays an important role, through both extensive planting and accidental introduction of many plant species with allergenic pollen. At a local or regional scale, land use often influences pollen exposure more than climate change. For example, urbanization and changes in agricultural practices considerably modify the distribution of plants in an area and thus the quality, quantity and frequency of pollen exposure. One important concern is the rapid extension of the distribution area of some invasive plants, short ragweed in particular: climate change and human activities jointly support its spread and pollen production. Ragweed seeds are spread through soil transport and moving vehicles, contaminated seeds, construction, etc. Climate warming promotes open vegetation and the creation of ecological niches for ragweed. In addition, increasing CO2 concentrations and temperatures increase pollen production and prolong its flowering period. Article reçu le 2 septembre 2008, accepté le 29 septembre 2008 Key words: climate; hypersensitivity; pollen. * Ce texte est la version rédigée d’une communication présentée dans le cadre du Congrès national d’asthme et d’allergie - « De l’enfant à l’adulte, de la recherche à la clinique », qui s’est tenu à Paris à l’Institut Pasteur du 18 au 20 juin 2008, sous le patronage de la Société française de santé et environnement (SFSE). Environnement, Risques & Santé − Vol. 7, n° 6, novembre-décembre 2008 431 B. Clot Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. L a prévalence des allergies au pollen a fortement augmenté au cours des dernières décennies pour atteindre des valeurs comprises entre 15 et 20 % selon les pays [1]. Le spectre des pollens auxquels des personnes sont sensibilisées s’est également étendu : avant les années 1980, la majorité des pollinoses était due au pollen des graminées (Poaceae) ; puis les pollens d’arbres ont progressivement pris de l’importance, à commencer par le bouleau (Betula sp.). Pourtant, l’abondance dans l’air d’Europe centrale de chacun des pollens incriminés n’a probablement pas changé suffisamment pour expliquer ces changements [2]. Les changements intervenus dans l’environnement au cours de la même période sont nombreux, et le plus médiatisé d’entre eux est certainement le réchauffement climatique, dont la réalité ne fait plus de doute depuis la parution du quatrième rapport de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) [3]. Le climat détermine la végétation qui peut croître dans une région. La production du pollen est fortement dépendante des conditions météorologiques à différents moments du cycle annuel. En particulier, la température influence fortement la vitesse de croissance des plantes en première partie de saison et détermine le moment de la floraison. Enfin, les conditions météorologiques qui prévalent pendant la floraison déterminent le moment précis de la libération du pollen dans l’air et favorisent ou non sa dispersion. Le taux d’humidité de l’air et la vitesse et la direction du vent prennent alors une grande importance. L’influence des paramètres météorologiques provoque d’importantes variations d’une année à l’autre, tant dans les dates de début et de fin de floraison que dans l’abondance du pollen [4]. Matériel et méthode Dans toute l’Europe, la mesure des concentrations de pollen dans l’air est réalisée à l’aide de capteurs volumétriques de type Hirst selon des méthodes standard ; les observations phénologiques sont également effectuées de façon comparable [1]. Résultats et discussion En raison de la grande influence du climat et du temps sur les organismes vivants, les changements observés dans la phénologie et la distribution de nombreuses espèces de plantes ont été mis en relation avec le changement climatique intervenu à l’échelle globale [5]. L’influence du réchauffement des températures sur le plus important allergène de l’air, le pollen, et ses conséquences sur les allergies sont maintenant bien documentées [6-9]. Changements dans le calendrier pollinique Les tendances observées sur la végétation par les réseaux phénologiques concordent avec les mesures aérobiologiques. En bonne corrélation avec les hivers doux qui ont dominé depuis la fin des années 1980, le pollen des espèces qui fleurissent à la fin de l’hiver ou au début du printemps, en particulier de nom- 432 breux arbres, montre une forte tendance à l’anticipation ; ce déplacement peut dépasser un mois. La durée de la présence dans l’air du pollen des différentes espèces d’arbres, si elle varie fortement d’une année à l’autre, ne change en revanche pas à long terme. La précocité de la saison pollinique des espèces fleurissant à la fin du printemps ou en été, en particulier les graminées, est moins importante que celle des arbres, mais bien réelle. En raison de la persistance plus fréquente de conditions favorables en début d’automne, la floraison des espèces tardives comme l’armoise (Artemisia sp.) ou l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia) dure plus longtemps. La saison pollinique dans son ensemble se trouve ainsi prolongée à son début et à sa fin [2, 9-11]. Quantités de pollen Les conséquences du changement climatique sur l’abondance du pollen sont moins claires, les très importantes variations interannuelles masquant souvent les tendances. Une augmentation des quantités de pollen d’arbres est souvent enregistrée, alors qu’aucune tendance générale ne se dessine pour les Graminées. Le pollen des autres herbacées est souvent en augmentation, mais aussi en diminution dans certaines stations. D’autres paramètres que le changement climatique interviennent dans ces évolutions, en particulier la modification de l’utilisation du sol. Comme les capteurs de pollen sont presque tous situés en ville et qu’au cours des dernières décennies, l’urbanisation a parfois profondément modifié les sources de pollen, la situation mesurée en ville ne reflète pas toujours la situation en périphérie, en particulier dans le cas de certaines plantes rudérales ou pionnières, qui bénéficient des environnements perturbés [2, 10]. Nouveaux pollens, nouvelles allergies Des déplacements d’aires de répartition de la végétation en raison du réchauffement climatique sont déjà observés et on s’attend à ce qu’ils s’amplifient [5]. Les populations d’Europe centrale seront ainsi exposées à la présence de nouveaux pollens, dont certains comme la pariétaire (Parietaria sp.) sont connus comme allergisants en Méditerranée. D’autres plantes déjà présentes bénéficieront du réchauffement et deviendront plus abondantes, en particulier des adventices ou des rudérales comme les chénopodes (Chenopodium sp.). Un climat plus favorable permettra aussi l’introduction ou la multiplication de plantes d’intérêt ornemental ou horticole. Certaines d’entre elles sont bien connues pour l’allergénicité de leur pollen et devraient être évitées, voire interdites. C’est le cas par exemple du cèdre du japon (Cryptomeria japonica), des cyprès (Cupressus sp.), de certains palmiers, mais aussi du platane (Platanus sp.) et de l’olivier (Olea sp.) [10]. Ambroisie, le pire pollen L’extension rapide de l’aire de répartition de l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia) en Europe et dans d’autres parties du monde est un autre élément essentiel dans le développement futur des allergies, car le pollen de cette plante envahissante est Environnement, Risques & Santé − Vol. 7, n° 6, novembre-décembre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Pollen de l’air et risque d’allergie : l’évolution récente l’un des plus allergisants [1, 10, 12, 13]. Dans ce cas, la combinaison des influences directe et indirecte des activités humaines est particulièrement sensible : – influence directe : les graines d’ambroisie sont dispersées presque exclusivement par les activités humaines, qui fournissent par ailleurs à cette plante des milieux favorables pour germer et se multiplier ; – influence indirecte : des concentrations de gaz carbonique plus élevées augmentent la production de pollen par l’ambroisie, tandis que l’accroissement des températures prolonge sa floraison et donne plus de chances aux graines d’atteindre leur maturité [14]. Il n’est pas nécessaire d’attendre que l’ambroisie ait envahi toute une région pour que les effets négatifs de sa présence soient sensibles : l’importance de la présence de petites populations locales d’ambroisie sur l’exposition de la population a été clairement montrée [10]. Il est donc important de repérer assez tôt l’arrivée de cette plante et de mener des actions préventives. Autres aspects à considérer Parmi les changements environnementaux induits par l’être humain, la pollution n’est pas des moindres à avoir un effet sur la santé. Dans le cadre des allergies, elle intervient au moins de deux façons. D’une part, elle favorise l’allergie en irritant les muqueuses (ozone, par exemple) et en modulant le système immunitaire (particules fines de diesel, par exemple) ; d’autre part, elle modifie le contenu biochimique du pollen, qui renferme plus de certains allergènes et de substances proinflammatoires dans des régions fortement polluées. Il a été suggéré que des stress hydriques ou thermiques en relation avec le changement climatique pourraient avoir le même effet, de nombreux allergènes étant des protéines de stress. Cette hypothèse méritera d’être étudiée de façon plus approfondie, de même que les conséquences de l’exposition simultanée ou successive à différents types de pollution et d’allergènes, autant sur la sensibilisation que sur l’expression des symptômes [15, 16]. Par ailleurs, il a récemment été mis en évidence que les quantités d’allergènes contenues dans le pollen peuvent varier considérablement d’une année à l’autre [17]. Cela justifie d’autant plus les travaux visant à mesurer les quantités d’allergènes dans l’air et à les comparer aux concentrations polliniques [18]. Au lieu de la mesure des porteurs d’allergènes dans l’air (grains de pollen, par exemple), c’est donc celle des concentrations d’allergènes eux-mêmes qui commence à intéresser les chercheurs. Les allergènes peuvent en effet également être portés par des particules plus petites que le pollen (fragments ou éléments du contenu cellulaire du grain de pollen, allergènes secondairement attachés à d’autres aérosols, autres fragments de plantes). Aujourd’hui, cette mesure n’est pas généralisée en raison des difficultés techniques et des coûts. Conclusion L’exposition aux pollens est plus longue – la saison est globalement prolongée –, plus intense – les concentrations de certains pollens ont augmenté –, et plus variée – par la présence de « nouvelles » plantes dont le pollen est allergisant. Les risques de développer ou de manifester une allergie au pollen deviennent donc plus importants. Il ne faut pourtant pas en déduire que l’augmentation de la prévalence des pollinoses au cours des dernières décennies a été provoquée par ces seuls changements, qui ne représentent qu’une des multiples facettes de la problématique des allergies. L’augmentation de certains types de pollution semble renforcer ces risques, en agissant à la fois sur le pollen et sur nos défenses. Il est intéressant de constater que dans la plupart des cas cités, l’être humain intervient comme un facteur direct ou indirect des modifications de l’environnement. S’il semble difficile de résoudre à court terme certains problèmes globaux comme le réchauffement climatique, on peut à tout le moins penser qu’il devrait être possible à l’échelle locale ou régionale d’éviter d’introduire ou de laisser se multiplier des plantes exotiques dont le pollen est connu pour être allergisant. En effet, le pollen peut dans certaines circonstances être transporté à longue distance par le vent, mais sa dispersion est avant tout locale ou régionale. n Références 1. Huynen M, Menne B, Behrendt H, et al. Phenology and human health : allergic disorders. Report of a WHO meeting, Rome, Italy, 16-17 January 2003. 2. Clot B. 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