2 économie-québec - Centre justice et foi

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ÉCONOMIE-QUÉBEC
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par
Jacques PARIZEAU *
I1 y a vraiment très longtemps que l'on discute des faiblesses ou des insuffisances du développement économique
du Québec. C'est là un des plus vieux thèmes de notre littérature économique et sociale. Encore faut-il reconnaître que,
jusqu'à récemment, ces considérations intervenaient fort peu
dans les discussions portant sur des politiques économiques
canadiennes. Jusqu'à il y a environ une dizaine d'années, les
économistes et les hommes politiques au Canada étaient trop
imbus de l'orthodoxie keynésienne pour accorder aux problèmes de structures, et singulièrement de structures régionales, une attention suffisante. Cela se reflétait d'ailleurs par
la faiblesse en nombre et en qualité des statistiques régionales, alors que l'appareil statistique national a été prodigieusement amélioré dans les dix années qui ont suivi la deuxième
guerre mondiale, reflétant ainsi le genre de préoccupation des
politiques économiques de cette époque.
Dans ces conditions, l'accent mis au Québec sur des problèmes économiques d'envergure provinciale passait pour une
forme d'esprit de clocher: il n'était pas très respectable de s'y
engager.
Ottawa et le problème des structures régionales
Rien n'a autant contribué à faire réapparaître un intérêt
certain chez les gouvernements et les économistes que la récession qui commence en 1957. Jusqu'en 1961, le revenu réel
par habitant au Canada tombe régulièrement. Le chômage
augmente, évidemment, mais beaucoup plus dans certaines
régions que dans d'autres. Des déficiences structurelles, masquées par la prospérité générale de l'après-guerre, apparaissent soudainement; elles sont très aiguës, dramatiques même.
En fait, le chômage, dans l'est du Canada, va atteindre des
niveaux qu'on n'avait pas vus depuis la grande crise des années 1930. C'est ainsi, par exemple, que le chômage, au Québec, atteint presque, en mars 1960, 14% de la main d'eeuvre.
Il apparaît ainsi clairement que les politiques globales, que
l'on s'est contenté de suivre jusqu'alors, ne vont pas d'elles* Professeur, Ecole des hautes études commerciales, Montréal.
DÉCEMBRE 1969
mêmes donner des résultats satisfaisants. Elles aboutissent
souvent à consolider les régions économiques les plus fortes,
et le plein emploi est atteint en Ontario, par exemple, alors
même que le chômage reste très prononcé dans d'autres régions définies comme une ou plusieurs provinces. Et au moment où, pour éviter une inflation au centre économique du
pays, on renverse les politiques suivies jusque-là, on accentue
encore le chômage dans l'est avant même qu'il ait été résorbé.
Du coup, les études régionales sortent du cadre un peu folklorique dans lequel on les avait jusqu'alors cantonnées. Les politiques économiques elles-mêmes tendent à accorder de plus
en plus d'importance aux structures et à l'aménagement du
territoire. Ce genre de préoccupation n'apparaît évidemment
pas soudainement et va se développer tout au cours de la décennie qui s'achève.
Québec et sa propre politique
de développement économique
En raison même, cependant, des retards apportés par le
gouvernement fédéral à mettre en Oeuvre des politiques régionales, et en raison aussi du partage des responsabilités
pour ce qui a trait à l'aménagement du territoire, certains gouvernements provinciaux ont développé leurs propres politiques en même temps que le gouvernement fédéral précisait
les siennes. Il est remarquable de constater, en particulier, à
quel point certains gouvernements des provinces maritimes
ont rapidement mis au point des organismes de développement économique qui leur sont propres, même si, au cours des
années, ces organismes se sont plus ou moins étroitement associés aux efforts du gouvernement fédéral pour relever l'économie de l'est du Canada. Les expériences du gouvernement
de la Nouvelle-Écosse sont à cet égard tout à fait remarquables.
Au Québec aussi le gouvernement a voulu mettre au point
une politique de développement économique qui lui soit propre. Mais cette préoccupation, parfaitement normale compte
tenu des circonstances mentionnées précédemment, s'est inscrite dans un virage historique particulièrement prononcé. Le
développement industriel, l'élimination du chômage, le relè331
vement de revenu sont, dans le cadre de la révolution tranquille, apparus comme étant quelques-uns des multiples aspects d'une espèce de régénérescence de la société canadienne-française. La révolution scolaire, la mise au point d'un appareil administratif et gouvernemental plus étoffé, l'aménagement du territoire, l'expansion industrielle et la reconversion
de l'économie ont été compris comme autant de pivots ou de
leviers d'une société arrivant enfin à maturité. I1 ne s'agit pas
ici de chercher à déterminer s'il était heureux ou malheureux
qu'il en soit ainsi, le fait est que c'est ainsi qu'on a perçu, pendant plusieurs années, la révolution tranquille.
Création de nouvelles institutions ...
Dans l'ordre économique, on s'est rendu compte très tôt
qu'une action du gouvernement n'était possible qu'à deux conditions: d'une part, l'État devait être doté d'un certain nombre
d'institutions dont, jusqu'alors, il avait été singulièrement démuni et, d'autre part, il devait mettre au point un programme
d'action de façon à déterminer comment on se servirait de ces
nouvelles institutions.
La création des institutions a procédé assez rapidement.
Même si l'on peut critiquer certains délais, il est tout de même
surprenant que des gouvernements constitués en majorité
d'hommes politiques qui appartiennent à une génération qui
n'a pas l'habitude des transformations radicales ou des mouvements rapides, ont pu, en 6 ou 7 ans, mettre sur pied la Société générale de financement, la Caisse de dépôts et de placement, la Société québécoise d'exploration minière, Sidbec,
l'Office de crédit industriel, le Parc industriel de Bécancourt,
et se soient finalement attaqués à la réalisation d'un Centre de
recherches scientifiques et industrielles. Si on ajoute à cela la
nationalisation des compagnies d'électricité et la création de
l'Office d'habitation du Québec, il faut reconnaître que, en effet, le gouvernement du Québec est beaucoup mieux équipé
qu'il ne l'a jamais été de moyens et de leviers nécessaires pour
oeuvrer au niveau de la structure de l'économie et pour procéder directement à des transformations qui ne pouvaient pas
être provoquées dans le cadre budgétaire traditionnel.
... mais sans véritable programme d'action
Au contraire, la deuxième condition d'une action efficace
n'a pas été réalisée. Il s'agissait d'obtenir un programme, « une
feuille de route » pour guider les programmes de développement et les décisions gouvernementales et, jusqu'à un certain
point, celles du secteur privé. Cette tâche fut confiée au Conseil d'orientation économique, dont la première tentative fut
de mettre au point un plan de développement.
On a beaucoup parlé dans notre milieu, depuis plusieurs
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années, de plan et de planification. Cela se comprend aisément. Au début des années de la présente décennie, plusieurs
pays d'Europe avaient, dans le cadre de planifications plus ou
moins souples ou indicatives, atteint un rythme de croissance
remarquable. Les techniques de planification française, en
particulier, attiraient l'attention.
Il faut bien reconnaître que, au Québec, la tentative de
monter un plan a échoué. Il y a à cela plusieurs explications.
En premier lieu, le partage des ressources et des dépenses
gouvernementales à peu près également entre le gouvernement central, d'une part, et le gouvernement du Québec et ses
municipalités, d'autre part, dans un climat de tension et de
suspicion permanentes, se prête fort mal à une action concertée. En second lieu, dans le secteur privé, trop d'entreprises ou
d'établissements relèvent de centres de décision qui sont essentiellement extérieurs au Québec et dont les programmes
sont mondiaux. Enfin, le Conseil d'orientation économique a
toujours souffert d'être isolé du processus budgétaire.
Cela ne veut pas dire que le Conseil d'orientation n'a joué
aucun rôle. Ses comités servirent de cadre à la préparation de
plusieurs des institutions qui ont été mentionnées dans les paragraphes précédents. Mais le fait est qu'il n'y a pas eu de
« feuille de route », tout au moins dans ce sens qu'il n'y a pas
eu de plan général intégré.
Politique d'aménagement et
confusion des structures politiques
I1 y a eu, cependant, l'amorce d'un programme du développement régional (la région étant alors définie comme une partie du Québec et non pas, comme on la définissait au début de
cet article, comme une province ou un groupe de provinces).
Les données du programme sont bien connues. Montréal tend
à attirer les activités économiques essentielles, tout au moins
celles qui ne sont pas liées à l'exploitation des richesses naturelles. Les régions périphériques perdent souvent les éléments
les plus internes ou les plus dynamiques de leur population et
finissent pas présenter un état de désorganisation économique
et social tel qu'elles sont incapables d'atteindre à un rythme de
croissance satisfaisant. À la fin de 1965 et au début de 1966,
un plan de développement régional avait été élaboré au Conseil d'orientation économique, basé sur le regroupement d'un
certain nombre de services, d'activités et d'investissements
dans des capitales régionales appelées à devenir les pôles du
développement à venir. M. Lesage avait, au début de 1966,
esquissé les grandes lignes de ce projet et rendu publique la
liste des capitales. Clairement, un programme s'amorçait rapidement, dont les effets se seraient fait sentir au cours des années suivantes.
L'arrivée au pouvoir du gouvernement de l'Union Nationale a marqué la fin de cette tentative. Cela se comprend aisé-
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ment. Les projets déjà esquissés auraient impliqué des changements radicaux dans l'aménagement des régions rurales. I1
était normal que le nouveau gouvernement veuille y voir un
peu plus clair avant de procéder. D'autre part, en toute justice,
il faut reconnaître que le programme esquissé impliquait une
profonde transformation dans la structure, la taille, et les modes administratifs de l'organisation municipale. Le gouvernement libéral avait posé des jalons dans ce sens, mais on doit
reconnaître qu'il restait beaucoup de chemin à parcourir avant
de disposer de l'organisation municipale ou régionale nécessaire pour réaliser un véritable programme de développement
polarisé. Le gouvernement actuel n'a pas été beaucoup plus
loin. On peut constater, en lisant le rapport de la commission
britannique Redcliffe-Maud, ou même en observant l'évolution de certaines provinces canadiennes, à quel point le Québec est maintenant très en retard dans l'élaboration de nouvelles structures municipales, sans lesquelles, on ne le répétera jamais assez, aucune politique de développement régional vraiment efficace n'est possible. Sans doute, l'expérience
du BAEQ a-t-elle finalement abouti. Encore faut-il constater
que les politiques découlant d'un travail considérable n'ont
rien de bien original.
De son côté, le gouvernement fédéral a finalement mis au
point des formes d'aide au développement régional, soit par le
truchement de ses participations à Arda ou à des projets plus
intégrés comme le BAEQ, soit par le jeu de régimes fiscaux
privilégiés ou de subventions industrielles dans les zones dites désignées. On n'a pas suffisamment souligné à quel point
une politique d'aménagement, basée sur des pôles de croissance et un effort de modernisation de la structure industrielle
du Québec, n'était guère compatible avec le régime de subventions applicables à n'importe quelle industrie s'établissant
n'importe où, pourvu que ce soit dans des régions désignées,
dont le cadre géographique s'est régulièrement étendu depuis
quelques années jusqu'à inclure actuellement la quasi totalité
de l'est du Canada. Les pouvoirs discrétionnaires donnés au
ministre fédéral, dans la formulation la plus récente de la loi,
pourraient peut-être permettre de corriger ce défaut, mais à la
condition, d'une part, que les deux gouvernements s'entendent
(et on a vu, dans le cas de Sainte-Scholastique, combien les
points de vue sont divergents) et que, d'autre part, le Québec
ait clairement décidé s'il y aura ou non des pôles de croissance régionale.
On peut donc, au point où nous en sommes, ou bien considérer l'histoire des dernières années comme comportant plus
d'échecs que de réussites, ou bien, au contraire, comme étant
caractérisée par la mise en place des seuls rouages qui pouvaient être installés, compte tenu de l'état des esprits et de la
confusion des structures politiques.
DÉCEMBRE 1969
Problèmes actuels de modernisation
La plupart des problèmes économiques essentiels n'ont pas
changé. Le niveau des investissements est trop bas, en particulier dans le domaine manufacturier, où des structures vieillies et un trop grand morcellement ne semblent pas pouvoir
disparaître par le seul effet des forces du marché. Les retards
apportés à la rénovation urbaine, à l'élimination des taudis et
à la construction d'habitations subventionnées, ont contribué
puissamment au bas niveau général des investissements, les
effets de cette carence se faisant sentir aussi au niveau des
investissements dans les services publics. La modernisation
de l'agriculture et la transformation dans un sens industriel
sont à peine amorcées.
Dans ces conditions, le chômage est beaucoup plus élevé
qu'il ne le devrait. Néanmoins, le revenu personnel par habitant s'est accru régulièrement plus vite au Québec qu'en Ontario, depuis 10 ans, si bien que l'écart s'est en partie refermé;
l'action syndicale et, jusqu'à récemment, le relèvement systématique du salaire minimum sont en partie responsables de ce
phénomène. Encore faut-il noter que le mouvement ne pourra
pas se poursuivre indéfiniment si la modernisation de l'économie du Québec ne procède pas plus rapidement.
Pour opérer les corrections nécessaires et pour donner les
impulsions qu'il faut, le gouvernement du Québec est maintenant infiniment mieux équipé qu'il ne l'était en 1960. Il n'y a,
en fait, aucune comparaison possible entre ces deux dates.
D'autre part, on comprend beaucoup mieux maintenant la nature des objectifs, les résistances d'ordre institutionnel et les
résultats que l'on peut attendre des instruments disponibles.
Il faut maintenant choisir
Il reste alors deux questions à régler. Et toutes les deux
sont de taille! La première a trait à l'organisation gouvernementale proprement dite. Il s'agit essentiellement de savoir si
l'on peut continuer à espérer des politiques économiques efficaces provenant de gouvernements qui, aux trois paliers, sont
continuellement en conflit les uns avec les autres et dont deux
peuvent efficacement se neutraliser. J'ai indiqué ailleurs ce
que je pensais personnellement de cette question et il est inutile d'y revenir dans le cadre du présent article. En second
lieu, indépendamment de la solution qui sera apportée à cette
question, il faut trouver le moyen de provoquer ce que ni les
instruments, ni les leviers, ni les concepts, ni les programmes
ne fourniront jamais: la volonté de vouloir. De vouloir choisir
entre subventionner le passé ou financer l'avenir. De vouloir
supprimer autant que de vouloir créer. L'aisance des premières années de la révolution tranquille est disparue et les choix
que l'on a pu longtemps retarder sont maintenant inévitables.
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