Réflexions sur les conserves de
“fabrication maison”
Jean-Louis Prieur - OMP - 19/12/2013
Je présente ici mes réflexions sur de la fabrication de conserves par le procédé de stéri-
lisation. Quand j’ai commencé à “faire des conserves” de viande d’oie et de porc il y a une
dizaine d’années, j’ai eu des échecs avec des conserves cassées. Beaucoup de personnes au-
tour de moi me donnaient des explications, très diverses et souvent contradictoires. J’ai alors
rédigé ce document pour mon usage personnel, pour comprendre les raisons de cette “casse”
des bocaux. Je l’ai ensuite complété et je l’ai ajouté sur ma page web, pour aider éventuel-
lement d’autres personnes qui auraient les mêmes problèmes. Pour l’exposition des risques
liés au botulisme, je remercie pour son aide précieuse Pr. Denis Corpet de l’Ecole Nationale
Vétérinaire de Toulouse (voir http://Corpet.net/Denis).
Notons le sujet de la stérilisation n’est pas complètement étranger au thème de mon
laboratoire puisqu’il concerne aussi le domaine spatial. Les vaisseaux d’exploration plané-
taire doivent être stérilisés pour éviter la contamination des planètes explorées (et notam-
ment Mars) par des bactéries ou virus terrestres, qui perturberaient la recherche d’organismes
vivants extra-terrestres. La stérilisation par traitement thermique est généralement utilisée,
en complément avec des traitements chimiques, mais le problème est quasiment insoluble
à cause de l’extraordinaire résistance de certains organismes vivants, surtout ceux qui se
mettent sous forme de “spores”. Il peuvent alors résister à des températures élevées (au-
dessus de 100C) et demeurer en “hibernation” pendant plusieurs millions d’années ! On
pense ainsi que des millions de bactéries sporulées ont déjà été exportées sur la planète Mars.
Mais le pire est sûrement à venir, avec les futures missions habitées, qui devraient accroître
ces chiffres de plusieurs ordres de grandeur, et par là-même compliquer singulièrement les
recherches des exobiologistes sur cette planète...
.1 Pasteurisation et stérilisation
Les travaux de Louis Pasteur ont permis de résoudre de
façon élégante le vieux problème de la conservation des ali-
ments. En portant ces aliments à haute température, on dé-
truit les germes qui y sont présents, ce qui rend possible une
longue conservation sans produits chimiques, sous réserve
bien sûr de ne pas réintroduire de germes par la suite (né-
cessité de récipients hermétiques).
Ainsi il suffit de porter les jus de raisin ou de pomme à
70pendant quelques secondes (“pasteurisation flash”) pour
éviter la fermentation par les levures qui y sont naturelle-
ment présentes (et qui conduisent à la formation du vin ou
du cidre...).
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Le lait pasteurisé est défini comme un lait ayant subit un traitement thermique qui a dé-
truit plus de 90% (jusqu’à 98%) de la flore initiale, et notamment tous les gènes pathogènes
(susceptibles de transmettre à l’homme des maladies) non sporulés (qui ne se sont pas “mis en
sommeil”, sous forme de spores), comme ceux responsables de la tuberculose par exemple.
La pasteurisation du lait se fait en le portant à une température comprise entre 70et 85
pendant 15 secondes environ.
La stérilisation est un traitement thermique plus poussé qui a pour but de détruire toute
forme microbienne vivante. La stérilisation classique du lait se fait à haute température (115)
pendant une longue durée (15 à 20 minutes). Elle permet une conservation de 120 jours à tem-
pérature ambiante. La stérilisation U.H.T. (Ultra Haute Température) du lait est la plus répan-
due : elle se fait à 140–150pendant 2 secondes seulement, mais sa durée de conservation est
un peu plus courte (90 jours).
Il faut cependant ajouter qu’un traitement thermique, même très poussé comme dans le
cas de la stérilisation, n’est pas toujours suffisant pour assurer une longue conservation des
aliments. La présence d’acides (par exemple dans les tomates ou les fruits) peut entraîner une
dégradation plus ou moins rapide des aliments (à l’origine du “gonflement” des conserves en
fer contenant des tomates). L’art du chimiste est parfois nécessaire...
.2 Fabrication de conserves par stérilisation
.2.1 Description du procédé utilisé
Pour “faire” des conserves, on utilise souvent des bocaux en verre, comme ceux de la
figure 1. On remplit ces bocaux avec par exemple de la viande ou des légumes, puis on les
ferme en interposant une rondelle en caoutchouc. Ces bocaux sont ensuite placés dans un
stérilisateur, qui se présente sous l’aspect d’une grande lessiveuse. On remplit ce stérilisateur
avec de l’eau que l’on porte à ébullition, en général avec un réchaud à gaz placé sous le
stérilisateur. Pour des conserves de viandes (pâtés, oie, rôtis de porc, etc), je fais bouillir
pendant 2H30, ce qui assure à la fois la cuisson et la stérilisation.
Pour stériliser la confiture, je réduis le temps d’ébullition à une heure. En effet une forte
teneur en sucre réduit l’Aw (Active Water ou eau active en français, voir http://Corpet.
net/Denis) et par là-même la croissance bactérienne. Même s’il demeure des bactéries,
elles ne pourront pas se multiplier à cause du manque “d’eau active”. C’est le principe de la
“conservation par le sucre” de nos grand-mères.
Notez que je ne parle ici que de la stérilisation à pression atmosphérique, qui est la plus
répandue en France et qui est la seule que j’ai utilisée. Mais il existe aussi des stérilisateurs
qui fonctionnent sous pression (comme les autocuiseurs ou “cocottes-minutes”), qui présente
deux avantages : le temps de cuisson est réduit, et la température est plus élevée (jusqu’à
120 degrés) qui permet de détruire pratiquement toutes les formes de vie (et notamment les
bactéries sporulées).
Le lendemain, lorsque l’eau s’est refroidie, on vide le stérilisateur et on sort les bocaux.
Si tout a bien fonctionné, ... les bocaux ne sont pas cassés ( !) et leurs couvercles appuient for-
tement sur les joints en caoutchoucs. Ces couvercles ne peuvent plus être enlevés facilement,
par exemple lorsqu’on ouvre la fermeture en métal et que l’on tire sur ces couvercles (c’est
d’ailleurs un test pour s’assurer de la réussite des conserves). Pour ouvrir les bocaux, il faut
tirer très fort sur la rondelle en caoutchouc pour la déformer et faire rentrer de l’air. On entend
un sifflement lorsque l’air pénètre dans le bocal. En effet, le procédé de stérilisation que l’on
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FIG. 1 – Bocaux en verre avec rondelle en caoutchouc.
a mis en œuvre a aussi conduit à réduire la pression à l’intérieur du bocal : le couvercle est
maintenu fermé par la pression atmosphérique.
Question : comment a-t-on obtenu une dépression dans un bocal étanche ?
Le bocal était fermé et étanche avant la cuisson : on peut le vérifier facilement, et l’eau
contenue dans le stérilisateur n’est pas entrée dans le bocal.
Nous répondrons à cette question un peu plus tard (Section .2.3) mais nous allons main-
tenant décrire certains problèmes qui sont souvent rencontrés, et qui nous apportent des élé-
ments de réponse.
.2.2 Quelques problèmes rencontrés
Lors de mes expériences dans ce domaine, il m’est souvent arrivé d’avoir une désagréable
surprise, et de découvrir une ou plusieurs conserves cassées dans le stérilisateur. Générale-
ment, le fond en verre apparaissait comme “découpé”. En discutant avec les personnes plus
âgées, elles m’ont dit que c’est parce que le réchaud à gaz était trop puissant, ou bien parce
que j’avais mis de l’eau chaude pour remplir le stérilisateur (ce que je faisais pour réduire
le temps de chauffage de l’eau). D’après ces personnes, ce serait un problème de mauvaise
tenue en température des bocaux (suite à une dilatation du verre lors de la cuisson). Je ne
pense pas que ce soit un problème de dilatation thermique, pour deux raisons :
ces bocaux ont été utilisés plusieurs fois auparavant, sans casser, et je n’ai jamais eu de
problème en les lavant à l’eau très chaude, ou en les posant sur une surface très chaude ;
souvent, les conserves qui s’étaient cassées n’étaient pas au fond du stérilisateur mais
empilées au-dessus d’autres bocaux, qui eux étaient intacts, et on peut supposer que le
gradient de température est maximal au fond du stérilisateur, près de la paroi directe-
ment en contact avec la flamme du réchaud à gaz.
Une autre problème qui m’a été rapporté, mais qui ne m’est pas encore arrivé est que
certaines conserves “boivent”, c’est-à-dire que de l’eau du stérilisateur pénètre dans le bocal.
Pour éviter cela, certains recommandent de n’utiliser que des rondelles neuves de caoutchouc
rouge, garanties pour la viande, qui seraient meilleures que celles de couleur orange, qui ne
seraient valables que pour les fruits ou la confiture. En fait, l’expérience m’a montré que
cela n’était pas important, et maintenant j’utilise n’importe quelles rondelles, et même des
rondelles déjà utilisées, du moment qu’elles sont en bon état.
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.2.3 Explications : pourquoi y a-t-il parfois de la “casse” ?
En fait, le joint constitué par la rondelle de caoutchouc maintenu par la fermeture métal-
lique n’est pas complètement étanche : il laisse passer l’air chaud contenu dans le bocal
lorsque la pression augmente pendant la cuisson. Par contre il est suffisamment étanche pour
empêcher l’eau de passer. La forme des couvercles en verre est d’ailleurs étudiée pour cela :
elle est en forme de trapèze dont la plus petite base se trouve à l’intérieur du bocal.
En fait les problèmes surviennent lorsque la “fuite” d’air chaud se fait trop lentement.
Lorsque l’on chauffe trop fort le stérilisateur au départ, la pression montre trop vite à l’inté-
rieur des bocaux. Ils peuvent alors “éclater” car ils n’ont pas été conçus pour résister à une
surpression intérieure trop importante. Ainsi, lors d’une montée trop rapide en température,
la casse n’est pas due à la dilatation du verre, mais à une pression trop importante à l’intérieur
du bocal. Cette “explosion” explique bien pourquoi le fond s’est détaché “en bloc” du reste
de la conserve. Notons que ce problème peut aussi apparaître avec un chauffage plus modéré,
lorsque le système de fermeture est trop puissant et que le joint est alors trop étanche.
Lorsque ce joint n’est pas assez étanche (par exemple si la fermeture métallique est un
peu lâche), l’eau contenue dans le stérilisateur entre dans le bocal et “il boit”. Pour éviter ce
problème, il faut aussi respecter la consigne des fabricants de bocaux et ne pas trop remplir
les bocaux. On comprend qu’il faut suffisamment d’air au départ pour obtenir une dépression
après la cuisson, par évacuation partielle de l’air chaud. C’est cette dépression qui maintien-
dra ensuite le couvercle bien fermé pendant plusieurs années.
.3 Limites de ce procédé : attention au botulisme !
Le botulisme est une maladie causée par des toxines sécrétées par la bactérie Clostridium
botulinum. C’est une affection neurologique grave, qui peut être mortelle. Les symptômes
se manifestent quelques heures après l’ingestion des toxines, généralement sous la forme de
troubles visuels et d’une très grande fatigue de tous les muscles entraînant une paralysie des-
cendante symétrique, sans fièvre. Dans les cas d’une contamination massive (et malveillante),
il peut y avoir un arrêt cardiorespiratoire brutal, sans signe avertisseur. Notons que ces toxines
botuliques ont été employées sous forme d’aérosols dans plusieurs attaques bioterroristes au
Japon entre 1990 et 1995, et figurent à ce titre dans le “plan biotox”.
En principe la stérilisation par ébullition à 100ne permet pas d’éliminer toutes les formes
microbiennes, et notamment les spores de la bactérie Clostridium botulinum, qui peuvent
donc se développer ensuite dans les conserves et produire les dangereuses toxines botuliques.
Heureusement, ces toxines peuvent être facilement détruites lorsqu’on fait cuire les aliments.
La toxine est très fragile, et est détruite en beaucoup moins de 10 min à 100C. Pour les
conserves de viande, un “bon réchauffage” suffit avant la consommation. Mais il est très peu
probable qu’il reste encore des spores dans les conserves, si on les fait bouillir comme moi
pendant plusieurs heures pour les stériliser.
Notons enfin que l’acidité inhibe le développement de cette bactérie. La majorité des
fruits étant acides, ainsi que les “légumes fruits” comme les tomates, les conserves de fruits
sont exemptes de ce risque. Mais on doit être vigilant avec les légumes verts, qui sont neutres.
Avant de les consommer, il est conseillé de recuire brièvement les conserves de légume de
pH neutre, comme les haricots verts, les asperges ou les olives (plusieurs cas d’intoxication
ont été rapporté avec ces légumes).
Bien sûr, le risque de botulisme n’est pas limité aux “conserves maison”. Il existe aussi
pour des aliments préparés par d’autres moyens et des cas d’intoxications ont été provoqués
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par des soupes commerciales conditionnées en briques, des coquillages et des crustacés sur-
gelés, etc. Le risque zéro n’existe pas, mais le botulisme est une maladie très rare en France,
avec une vingtaine de cas par an seulement.
FIG. 2 – De la théorie à la pratique : exemple de stérilisation de conserves de viande en 2012.
.4 Conseils pratiques pour “se lancer”
Voici quelques conseils qui pourront être utiles à ceux (et celles) qui voudraient commen-
cer à stériliser des conserves avec des bocaux en verre :
bien laver les conserves et les joints en caoutchouc
ne pas trop remplir les conserves
bien nettoyer les bords avant la fermeture
chauffer modérément le stérilisateur au départ : mieux vaut attendre un peu plus et
éviter la casse des bocaux
En cas d’échec, soyez persévérant(e). Il vous faudra sûrement apprendre à connaître votre
système de chauffage pour faire les bons réglages. Si des bocaux sont cassés, il faudra chauf-
fer moins fort la prochaine fois (pour aller un peu plus vite, je remplis le stérilisateur à l’eau
tiède).
Pour éviter des risques de botulisme, il est conseillé de faire bouillir les aliments des
conserves de viande pendant 5 à 10 minutes avant de les consommer. Mais pour prévenir ces
risques en amont, il faut surtout adopter une très bonne hygiène dans toutes les phases de la
préparation des conserves, et un nettoyage des bocaux et des joints avec de l’eau bouillante
par exemple. Enfin, je vous conseille de sentir l’odeur de chaque conserve juste après son
ouverture, et de jeter tout le contenu au moindre doute (odeur “butyrique” ou “viande ou oeuf
pourri”, même légère).
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