les quatre fois où trois frères accédèrent au trône

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 LES QUATRE FOIS OÙ TROIS FRÈRES ACCÉDÈRENT AU
TRÔNE DE FRANCE
Jean-Jacques Bertrand
Les quatre fois
où trois frères
accédèrent au trône
de France
Histoire
Editions Persée
DU MÊME AUTEUR
Aux éditions Persée
LES RÉVOLUTIONS EN FRANCE AU XXe SIÈCLE – Essai (2011)
LE DOCTEUR FAUST – Roman (2012)
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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À Diane, ma femme dont
l'aide m’a été fort précieuse
AVANT-PROPOS
A
u cours des deux dynasties carolingienne et capétienne,
des frères accédèrent au trône de France, soit conjointement, soit successivement, avec dans tous les cas, du moins au
début, l’accord des Grands.
On ne peut pas parler de telles successions pour la dynastie
mérovingienne, puisque le trône des Francs était partagé par le roi
défunt entre ses enfants mâles. Comme le dit Ivan Gobry, « Les
Barbares considéraient le royaume non comme un territoire national, mais comme une propriété familiale, dont tous les fils du roi
étaient les héritiers ». Ainsi à la mort de Clovis. qui avait succédé
à son père Childéric en 481 ou 482 et qui est le premier connu
sous le nom de roi des Francs1, ses quatre fils se partagèrent le
Regnum francorum selon les indications de leur père sans tenir
compte de la langue ou de la géographie. Chacun, comme l’avait
fait leur père, va agrandir son territoire ou en conquérir de nouveaux, comme le royaume burgonde envahi par Clotaire et son
frère Clodomir.
Ce système de partage va subsister plusieurs siècles, les fils
du roi défunt devenaient souverains de petits royaumes : Neustrie
1 – Ce titre de « Rex Francorum » fut réclamé par tous les Mérovingiens et Carolingiens,
et même par les Capétiens jusqu’au XIIe siècle.
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(pays compris entre Loire, Bretagne, Manche et Meuse), Austrasie
(englobant le nord-est de la France, une partie de la Belgique et
de l’ouest de l’Allemagne), Aquitaine (le sud-ouest de la France),
Burgondie (plus étendue que notre actuelle Bourgogne), voire de
territoires plus restreints, comme Orléans ou Paris.
Quelques rois mérovingiens parvinrent cependant à réunir le
royaume franc en une seule personne, comme ce fut le cas pour
Clotaire Ier, Clotaire II, ainsi que pour Dagobert Ier.
Ces trois rois furent élus par les Grands du royaume qui comprenaient des évêques, depuis la conversion de Clovis au christianisme, et respectaient la tradition établie par Clovis en donnant
une partie du royaume aux fils du roi défunt. L’essentiel était
qu’ils avaient les cheveux longs, signe de la légitimité.
Clotaire Ier fut seul roi de 558 à 561. Il était le plus jeune fils
de Clovis et n’avait hérité que d’une portion congrue du royaume,
mais il réussit à l’agrandir progressivement, éliminant ses frères et
ses neveux par l’annexion de leurs royaumes, voire par le meurtre,
jusqu’à devenir seul roi. Mais à sa mort, le royaume fut de nouveau partagé entre ses fils, les filles étant toujours exclues de l’héritage du fait de la loi salique.
Quant à Clotaire II, petit-fils de Clotaire Ier, il réussit également
à réunir le royaume franc sous son seul sceptre en profitant de la
mort de son frère Thierry, en capturant ses fils et en faisant mourir
sa mère, Brunehilde. Ce souverain unique du Regnum n’était en
fait que le représentant de la classe dominante, la réunification du
royaume étant l’œuvre des Grands du royaume, clergé et surtout
notables militaires.
Enfin Dagobert Ier, fils de Clotaire II, succède à son père comme
seul roi.
Il était doué d’une forte personnalité et, en 629, les Grands
n’hésitèrent pas à écarter du trône son frère cadet Caribert, qu’ils
jugèrent indigne de régner du fait de son intelligence médiocre,
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certains disent même de sa débilité, et de la faiblesse de sa volonté.
Ce dernier mourut en 632.
Dagobert peut être considéré comme le plus brillant des
Mérovingiens. Il mérita l’épithète de Grand car, comme le dit
Gobry, « c’est avec lui que la monarchie mérovingienne arrive à
son point culminant ». C’est le chef militaire incontesté, mais c’est
aussi le possesseur du trésor royal. Enfin il nomma des hommes
capables de l’aider dans sa tâche d’administrateur, le plus célèbre
étant Éloi, sanctifié après son décès en 660.
À la mort de Dagobert, le royaume sera de nouveau partagé et
l’on arrive bientôt à l’époque des rois dits fainéants soumis à la
domination des maires du Palais, dont le plus illustre fut Charles
Martel, remplacés en 751 par Pépin le Bref, son fils, choisi plus
tard comme roi des Francs par les Grands, nobles et évêques,
avec la bénédiction du pape Zacharie. Saint Boniface, ordonné
par Zacharie « évêque de Germanie », estima qu’il convenait que
le couronnement devait être authentifié par un acte de caractère
religieux. Il utilisa un rite en usage en Écosse et sacra Pépin en la
cathédrale de Soissons en 752 par l’onction du saint chrême.
Cette institution du sacre royal amena à considérer le monarque
comme recevant de la Providence la mission de conduire le peuple
de Dieu à la Cité éternelle.
D’où la théorie du droit divin. Hippolyte Taine pensait qu’elle
avait été forgée par les théologiens qui se seraient ingéniés à faire
du roi « le délégué spécial de Dieu ». Mais Funck-Brentano estime
au contraire qu’elle fut spontanément créée par le peuple et combattue par les théologiens. Et il ajoute :
« Aux États généraux de 1614, les derniers qui aient été réunis
avant 1789, qui est-ce qui propose et insiste avec une véritable
passion pour l’insertion d’un article proclamant le pouvoir divin
des rois ? C’est l’unanimité du Tiers (…) et qui est-ce qui le combat ? C’est le clergé et la noblesse. Le clergé l’emporta ».
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Aux yeux du peuple « si le roi est roi, c’est que la divinité l’a
voulu ». Et Gabriel Hanotaux de conclure que la théorie du droit
divin « devint pour le pays la pierre de touche du patriotisme ».
C’est entre le XVIe et le XVIIIe siècle que se cristallisera la
théorie de la monarchie de droit divin, à savoir que le pouvoir
royal vient directement de Dieu, principe mis particulièrement en
œuvre par Louis XIV. Bossuet pourra écrireensuite que l’autorité
du roi est de droit divin.
Mais revenons aux dynasties carolingienne et capétienne. Il
est remarquable que, par quatre fois, au cours de ces deux dynasties, trois frères accédèrent au trône de France. Une fois chez les
Carolingiens, trois fois chez les Capétiens. Nous allons étudier
une à une ces différentes successions fraternelles exceptionnelles,
tout en constatant qu’elles se firent parfois après une interruption,
soit d’un autre souverain, soit d’un autre régime.
Il est frappant qu’après leur règne, les souverains capétiens
eurent pour successeurs un parent issu d’une branche collatérale, soit parce que le troisième des frères n’avait pas d’héritiers
mâles, soit parce qu’il abdiquait Tel fut le cas des Valois après les
Capétiens directs, des Bourbons après les Valois, ainsi que des
Orléans après les Bourbons.
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SOUS LES CAROLINGIENS
F
ils du puissant Maire du palais Pépin d’Herstal, Karl
Martieaux, notre Charles Martel, nait en 688 ou 689. À
la mort de son père en 714, il est jeté en prison par sa marâtre
Plectrude, mais il s’échappe l’année suivante et, sitôt libre, il
est fêté par les Austrasiens, d’autant que c’est un colosse doué
d’une force prodigieuse. Ils en font leur majordome. À leur tête, il
conquit la Neustrie en 717 et va se battre en Saxe. Devenu Maire
du palais, il raffermit l’empire franc, protégea les missionnaires
et arrêta les invasions sarrasines menées par Abd-er-Rahman à
Poitiers en octobre 733. Thierry IV étant mort en 737, Charles
Martel négligea de faire élire un nouveau roi et dirigea avec énergie le Regnum Francorum, qu’il partagea à sa mort en 741entre
ses deux fils Carloman et Pépin. Le premier obtint l’Austrasie,
l’Alémanie et la Thuringe, tandis que le second gouvernait la
Neustrie, la Bourgogne et la Provence.
Ceux-ci désignent un nouveau roi mérovingien en 743, Childéric
III. Carloman s’étant retiré dans un monastère1, Pépin, dit le Bref,
a donc seul le pouvoir. Avec habileté, il prend la défense du pape
contre les Lombards, ce qui explique la montée en puissance des
Carolingiens (nom donné après coup) qui se traduit en 751 par
1 – Carloman renonça spontanément au pouvoir et, cédant à ses sentiments religieux,
se rendit à Rome en 747, puis se fit moine au monastère bénédictin du Mont Cassin.
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l’élection de Pépin le Bref comme roi des Francs avec la bénédiction du pape Zacharie, qui aurait dit qu’il valait mieux appeler roi
celui qui exerçait le pouvoir effectivement que celui qui en était
dénué. L’année suivante, il fut sacré par Saint Boniface dans la
cathédrale de Soissons, alors que les Mérovingiens étaient seulement couronnés. Dès lors le roi des Francs devenait roi par la grâce
de Dieu grâce à l’onction de la Sainte Ampoule, huile qui, comme
le dit Benoist, était tenue pour miraculeuse, ayant été apportée du
Ciel par un ange et conservée incorruptible et inépuisable. Seul le
pape a autorité sur le roi des Francs. Cette cérémonie sacrale fut
répétée par le nouveau pape, Étienne II, venu en France sur l’invitation de Pépin. Le 28 juillet 754, dans l’abbatiale de Saint-Denis,
il sacra reine des Francs l’épouse de Pépin, Berthe au grand pied,
et procéda à l’onction du roi et de ses deux fils.
Durant son règne, Pépin le Bref eut à guerroyer en Italie et
il agrandit l’empire franc. Il n’avait pas de capitale et séjournait
dans des résidences multiples.
Avant sa mort en 768, Pépin avait partagé selon la coutume
franque le royaume entre ses deux fils, Charles et Carloman, qui
furent sacrés tous deux le 9 octobre 768. Mais Carloman Ier mourut
subitement en 771 et Charles Ier se fit élire roi de son territoire, au
détriment de ses deux très jeunes neveux, avec l’aide des officiers
et fidèles du défunt roi. Son règne qui dura jusqu’en 814 fut glorieux. Sa puissance fut telle qu’en 800, il fut couronné empereur
par le pape Léon III le 25 décembre. Il avait bien mérité le surnom
qu’on lui décerna après sa mort de Carolus Magnus, dont nous
avons fait Charlemagne. Un an avant sa mort, à l’automne 813,
il avait déposé la couronne impériale sur la tête de son fils. Les
règnes de Charlemagne et de Louis Ier correspondent à l’extension
maximale de la puissance des Francs.
Louis Ier, dit le Pieux ou le Débonnaire, unique fils légitime survivant de Charlemagne, eut l’avantage d’accéder seul au trône. Il
est le premier à être sacré à Reims. En conflit avec ses propres fils
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qui le déposèrent deux fois, et bien qu’il eût associé au trône son
fils aîné Lothaire, il laissa à sa mort en 840 un empire éclaté. De
ses quatre fils, il restait trois survivants2 qui se disputèrent l’empire. Charles et Louis s’unirent contre Lothaire et prononcèrent
le fameux serment de Strasbourg en 842, chacun s’exprimant non
pas en latin3, mais dans la langue de l’autre, en langue tudesque
pour Charles et en langue romane pour Louis. Les conflits armés
persistant, les trois frères se réunirent à Verdun en 843 et ils
finirent par signer un traité partageant l’empire de leur père. Le
plus jeune, Charles, dit le Chauve, reçut la Francia Occidentalis,
futur royaume de France, Louis, dit le Germanique, la Francia
Orientalis et Lothaire un territoire intermédiaire s’étendant de
l’Italie à la mer du Nord avec le titre d’empereur.
Comme le remarque Fernand Braudel, alors qu’en Francie
orientale et en Lotharingie de profonds changements se produisirent dès 936, la Francie occidentale, future France, va en gros
rester des siècles durant limitée par quatre rivières, l’Escaut, la
Meuse, la Saône et le Rhône. Et Braudel réfute ce qu’il appelle
le faux problème des frontières dites « naturelles », celles de la
Gaule ancienne, c’est-à-dire le Rhin, les Alpes, la Méditerranée,
les Pyrénées, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord.
Dès lors, tous les prétendants à un de ces trois royaumes revendiquèrent leur prétention par le fait qu’ils étaient descendants
directs de Charlemagne, le pauvre Pépin le Bref étant oublié.
C’est ainsi que Charles le Chauve devient roi de Lorraine en 869.
Ensuite, profitant de diverses circonstances, la mort de l’empereur Louis II sans descendance et la maladie de son frère Louis
2 – Le quatrième fils, Pépin, était mort en 838 avant le décès de son père.
3 – Comme le dit Paul Zumthor : « Le latin importé en Gaule par Rome s’était, à
partir du IIIe, et surtout du Ve siècle, fortement altéré dans sa prononciation, son
vocabulaire et sa grammaire. Ce processus de corruption (…) s’était accéléré sous
l’occupation franque ».
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le Germanique, il se fait élire empereur en 875 et est couronné le
25 décembre par le pape Jean VIII.
Alors qu’il avait franchi les Alpes pour porter secours au pape
menacé par les Sarrasins, Charles II le Chauve mourut, ne laissant qu’un seul fils, Louis II le Bègue, qui s’intitulait « roi par
la miséricorde de Dieu et par l’élection du peuple ». Il ne régna
que seize mois de décembre 877 à avril 879. Mais son autorité fut
confirmée, toujours par le pape Jean VIII réfugié en France, qui le
couronna empereur d’Occident le 7 septembre 878.
Ce fut donc les trois fils de Louis II qui montèrent sur le trône
de Francie. Mais ils ne se succédèrent pas l’un après l’autre. Sur
son lit de mort, Louis le Bègue avait désigné comme seul successeur son fils aîné Louis, né de sa première épouse Ansgarde,
excluant son frère cadet Carloman. Quant à son troisième fils,
Charles, il n’était pas encore né. Ce fut un enfant posthume issu
de la deuxième femme de Louis le Bègue, Adélaïde de Frioul.
Aussi à la mort de Louis II, en avril 879, le problème de succession ne concernait que ses deux premiers fils. Le royaume
était en fait dirigé en pratique par Hugues l’Abbé, véritable Maire
du palais sans en avoir le titre. Malgré le souhait de Louis II en
faveur de son fils aîné et malgré la préférence de Gozlin, abbé
de Saint-Denis en faveur de Louis de Saxe second fils de Louis
le Germanique, Hugues l’Abbé usa de son influence auprès des
Grands, c’est-à-dire la double aristocratie laïque et ecclésiastique,
pour les décider à choisir les deux frères, sûr qu’il était de leur
soumission puisqu’ils n’avaient alors que seize et treize ans. Louis
de Saxe avait préféré recevoir d’Hugues le Grand la moitié de la
Lotharingie plutôt que le trône de Francie occidentale.
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Les deux frères, Louis III et Carloman II, furent donc couronnés et sacrés en septembre 879 par l’archevêque de Sens,
Anségise, dans l’église abbatiale de Ferrières-en-Gâtinais près de
Montargis.
C’étaient des princes vaillants, malgré leur extrême jeunesse.
Contrairement aux Mérovingiens, ils s’entendaient fort bien et
c’est en commun qu’ils intervinrent contre de nouvelles invasions
normandes.
Pour respecter les coutumes carolingiennes, la royauté avait été
partagée en deux en mars 880 sans altérer l’amitié des deux frères,
Louis, l’aîné, recevant la Neustrie, c’est-à-dire les territoires du
nord de la Loire, Carloman ceux du sud, Aquitaine et Bourgogne,
Hugues l’Abbé gardant autorité sur l’ensemble du royaume, ce
partage constituant seulement, comme le souligne Ivan Gobry,
deux zones de commandement.
Une nouvelle invasion nordique ravageait la basse vallée de
Loire. Unis, les deux frères y mirent fin en remportant une victoire
éclatante sur les envahisseurs en novembre 879.
Au mois d’août 880, avec l’aide de Charles le Gros, les deux
rois attaquèrent Boson qui s’était fait sacrer roi de Provence. Ils
se contentèrent de disperser une armée provençale aux abords de
Mâcon, ville qui fut réintégrée au royaume.
En août 881, Louis III, ayant alors dix-huit ans, entrepris une
lutte contre les envahisseurs scandinaves qui pénétraient dans la
vallée de la Somme. Le roi manifesta sa bravoure en remportant
un éclatant succès le 3 août à Saucourt-en-Vimeu où de nombreux
Vikings périrent. Cette victoire eut un retentissement considérable, même en Allemagne et en Angleterre.
Les bandes danoises continuant à infester la Neustrie, Louis III
eut recours à la diplomatie, mais au cours des pourparlers se tenant
à Tours, il tomba malade ou fit une chute de cheval (les chroni15
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