Klesis – 2015 : 31 – La philosophie de David Lewis (suite)
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théorie de la vérifaction se manifeste dans les nombreux écrits qu’il lui a
consacrés sur une période de quinze ans allant de 1986 à son décès en
20012.
Dans les écrits de Lewis consacrés à la vérifaction, la question centrale
est l’évaluation de ce que David M. Armstrong (1989 ; 1997, chap. 8 ; 2004)
nomme le principe des vérifacteurs: le principe selon lequel, pour toute
proposition vraie, il y a quelque chose dont l’existence est telle qu’elle
nécessite (« necessitate ») la vérité de cette proposition.3 Armstrong4 a
développé une riche et puissante théorie de la vérifaction sur la base de ce
principe que je nommerai « la théorie A de la vérifaction » pour la
distinguer d’autres variantes de cette théorie5. L’évaluation de Lewis du
principe des vérifacteurs, qui constitue la colonne vertébrale de cet article,
consiste en deux phases. Lewis a d’abord critiqué ce principe, puis il l’a
défendu. Contrairement aux apparences, ceci ne signifie pas que Lewis a
changé d’opinion, mais plutôt qu’il a réinterprété ce principe.
À partir de la discussion par Lewis du principe des vérifacteurs se
dégage une position unique à propos de la dépendance de la vérité envers
l’être rarement présentée systématiquement. Le but de la section finale de
cet article est d’offrir un exposé systématique de la position de Lewis sur ce
thème. Mon opinion est que sa conception de la vérifaction fait de Lewis un
partisan d’une théorie de la vérifaction, mais d’une forme assouplie de cette
théorie. Cette lecture de Lewis ne va pas de soi. Certains lisent davantage
Lewis comme un sceptique humien déguisé en partisan de la vérifaction. La
différence entre eux et moi réside dans nos attentes de lecteur envers ce que
doit être une théorie de la vérifaction6. Mes attentes sont modestes. Je
reviendrai sur cette question dans la dernière section de cet article.
2 Ces écrits comprennent Lewis (1986b ; 1989, p. 487 ; 1992, pp. 201-207 ; 1994a, p. 225 ;
1994b, p. 292 ; 1998, 2001a ; 2001b ; 2003) et Lewis et Rosen (2003). La discussion qui
suit se concentre toutefois sur les écrits principaux publiés à partir de 1998.
3 Dans ce contexte, le verbe « nécessiter » à un emploi technique signifiant qu’une entité ou
proposition est nécessairement connectée à une autre entité ou proposition.
4 Selon ses dires sous l’impulsion de C. B. Martin.
5 Le « A » dans « théorie A de la vérifaction » peut être interprété comme signifiant un
compromis entre « armstrongienne » et « australienne ». Mais il est important de préciser
qu’il serait à la fois trop restrictif d’attribuer cette théorie au seul Armstrong et trop inclusif
de l’attribuer à tous les philosophes australiens la défendent. Certains philosophes
australiens comme John Bigelow ont une conception de la vérifaction plus proche de Lewis
que d’Armstrong. Et Armstrong n’est pas le seul philosophe à avoir défendu la théorie A de
la vérifaction – il l’attribue lui-même à C. B. Martin – mais il est le plus emblématique
d’entre eux et la cible privilégiée de Lewis.
6 Par analogie, Lewis concevait aussi sa conception de l’essentialisme comme un
essentialisme assoupli. Mais Lewis a volontiers admis qu’un essentialiste aristotélicien