
Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
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vocation impériale) ; « Terrain » (le prix du mètre carré) ; « Combat » (le sens de la vie : chaque
destin individuel, enserré dans d’étroites limites, débouche sur un au-delà ouvert à l’infini). “Ce que
nul ne peut espérer atteindre seul, se gagne, au moins mythiquement, par l’action combattante
concertée, la participation au combat collectif” (Sigrée, 1986, p. 132). Mais “le combat s’inscrit
dans un système où d’autres valeurs telles que le plaisir, ou ce que j’appelle “la fleur” viennent
l’encadrer, le polir” (p.134).
4.3 Valeurs ultimes
J’appelle “valeur” ce que, au nom de quoi, nous acceptons de risquer quelque chose
nous tenant à cœur et “valeur ultime” ce qui est de l’ordre d’un risque essentiel (perdre sa vie, la vie
de ceux qui nous sont proches, perdre des objets sociaux très investis). On comprendra facilement
que les “valeurs ultimes” sont en nombre limité. Quiconque accepte de se regarder en face, admet ce
fait. Nous touchons à nos valeurs ultimes lorsque nous sentons que notre sens de la vie est en cause.
D’une certaine façon chaque individu est porteur de valeurs ultimes spécifiques, mais j’appellerai une
“personne” l’individu qui a découvert que certaines de ses “valeurs ultimes” sont communes à
l’ensemble de la communauté humaine (Reboul, 1989)13.
La philosophie “personnaliste” d’Emmanuel Mounier (1905-1950)14 a largement mis en
lumière la différence entre individualisme, anarchisme et personnalisme. Pour Mounier, la personne
immerge dans la nature. Elle est à la fois et indissolublement corps et esprit. Elle s’oppose ipso facto à
la réduction matérialiste comme à celle du spiritualisme. Mais la personne transcende la nature par sa
dynamique créatrice et complexe, première marche d’un processus de personnalisation universelle
(Mounier, 1967).
La défense des valeurs ultimes d’une personne face aux attaques de son environnement,
constitue ce par quoi elle s’estime “rattachée à la vie”, c’est-à-dire son implication suivant la
pertinente remarque de Jacques Ardoino. Se peut-il, comme le pense Cornelius Castoriadis (1996),
que des “valeurs” soient inventées par l’imaginaire social d’une époque et résistent à la
dégénérescence temporelle, comme l’invention de l’idée démocratique sous la Grèce antique par
exemple ? Se peut-il que l’invention (ou la découverte ?) de l’amour par le Christianisme comme
mouvement social soit établie une fois pour toute dans l’esprit de l’humanité, même s’il n’est que très
provisoirement réalisé, et par le biais d’une victime émissaire (Girard, 1978) ? Se peut-il que l’idéal
révolutionnaire d’égalité, de liberté et de fraternité puisse s’accomplir de mieux en mieux dans
l’histoire des peuples et des nations ? A moins qu’il ne soit, comme le pense Marcel Gauchet
(1997(1985), 306 p.), complètement inadapté à toute réalisation démocratique.
Toutes les valeurs ne sont-elles pas éphémères et conjoncturelles ? Ne constituent-elles
pas, justement, le noyau dur de toute culture dont on sait la relativité, ce qui différencie la culture de la
nature. Ce point de vue n’est pas que théorique, il est fondamentalement philosophique et détermine,
dans une large mesure, l’attitude et les comportements de chacun devant la vie, avec deux risques