En entrant, il nous sembla que nous avions traversé
une mer pour aborder un autre rivage.
Nous étions les mêmes et dans le même lieu
où nous avions toujours vécu ; pourtant tout,
à l’intérieur et hors de nous, était méconnaissable.
Notre vie aussi fut différente
à partir de là, comme suspendue
entre deux mondes et occupée à se préparer
pour le monde définitif. Une lumière vénérable
maintenant, nous le sentions, nous enveloppait.
Toi, Philémon, tu ne fus plus un paysan,
mais un prêtre ; et moi, plus une ménagère
mais ta compagne de sacerdoce. Les dieux
qu’un jour, sans le savoir, nous avions nourris,
maintenant nous nourrissaient. Libre de tout souci
notre temps s’écoulait en prière.
Et nous devenions toujours plus déliés
et transparents, toujours plus détachés
du monde autour de nous, qui n’était plus
qu’un grand désert. J’ai dit que tout
nous semblait méconnaissable ;
je dois pourtant me corriger : une chose,
la plus importante, n’avait pas changé.
L’amour qui depuis notre jeunesse nous avait
réunis et accompagnés dans l’âge,
d’un lien encore plus fort nous enserrait
sur ce dernier isthme de l’existence,
maintenant encerclés par la mort. Nous étions
purs et extatiques, mais toujours
un homme et sa femme, nécessaires
l’un à l’autre, soutien et joie
réciproques, et le pressentiment d’une fin imminente
nous rendait toujours plus unis. « Comment
viendra-t-elle ? » nous demandions-nous parfois.
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MARGHERITA GUIDACCI