Géographie Geography en in mouvement motion Surmonter les distances Amérique du Nord Overcoming Division in en Western Europe Lorsque les Européens se mirent à coloniser au-delà de leurs rivages, les perspectives de croissance économique en Amérique du Nord semblaient alors incertaines. Lors de la guerre de Sept ans (1756–63), tandis que les Français et les Britanniques se disputaient le Canada, Voltaire exprima son étonnement quant à cette querelle pour « quelques acres de neige ». Ils auraient dû s’intéresser davantage au potentiel économique des Caraïbes, où le climat et les terres étaient propices à la culture de la canne à sucre, et c’est ce qu’ils firent. Manhattan fut notoirement vendue par les Hollandais en échange de terres proches du Surinam. Toutefois, avec le temps, ce sont les quelques hectares de neige et le paysage rocheux de Plymouth (Massachusetts) qui engendrèrent le « revers de fortunes » entre les zones froides d’Amérique du Nord-Est et les territoires plus chauds du Sud. 1 P droits de propriété furent souverains. La Constitution et l’Ordonnance du NordOuest (1787) introduisirent les mécanismes procéduraux de transformation des territoires inhabités en États. La distribution des terres publiques se réalisa par le biais de ventes à des particuliers et de donations directes. Le domaine éminent fut établi pour affecter les terres à leur meilleure utilisation, en particulier lorsqu’elles étaient our comprendre comment ce revirement se produisit, il faut comprendre comment les Nord-Américains gérèrent la densité croissante, les vastes distances sur le continent et les divisions marquées entre les esclaves et leurs propriétaires, entre autochtones et colons, entre Français et Britanniques — bref, comment la géographie économique de l’Amérique du Nord a été refondue. 2000. À cette époque, la population américaine s’était établie principalement le long des deux côtes du pays. Les Américains sont aujourd’hui plus éloignés physiquement les uns des autres qu’ils ne l’ont jamais été auparavant. Comment les États-Unis ont-ils surmonté ces vastes distances physiques ? Au départ, les mécanismes institutionnels de répartition des terres et de sécurisation des Taille et ascendance économique américaine Carte G1.1 Le centre géographique de gravité de la population américaine s’est déplacé de 1 371 km entre 1790 et 2000 La notion de taille est l’aspect le plus évident qui caractérise la géographie économique des États-Unis. 2 En 1800, 5,3 millions d’individus vivaient sur les 2 240 000 km_ de terres octroyées à la jeune nation en vertu du Traité de Versailles (1783). Dès 1900, un peu plus de 5 millions de kilomètres carrés s’y rajoutèrent, obtenus sous forme d’achats directs, de butins de guerre ou par traité. Aujourd’hui, les États-Unis comptent plus de 300 millions d’habitants et un territoire d’une surface de 9 millions de kilomètres carrés. La densité de population actuelle du pays est près de 18 fois supérieure à celle de 1790. Les défis inhérents à la répartition de la population et de la production à travers un espace aussi vaste sont considérables. Les populations, de même que les terres productives, se sont déplacées vers l’Ouest et le Sud. En 1800, l’État du Maryland rassemblait la majeure partie de la population, sur la côte Est (voir carte G1.1). En 1900, ce noyau s’était déplacé dans l’Indiana. Au cours du 20e siècle, il dévia vers le SudOuest, pour se retrouver au Missouri en 1790 1900 1950 2000 ÉTATS-UNIS Source : Section Géographie, Bureau du recensement des États-Unis. 1850 requises pour la construction des chemins de fer. La première ligne de chemins de fer continentale fut achevée en 1864. Les populations autochtones furent déplacées par la force, lorsque c’était nécessaire, avec l’aide de l’Armée américaine. Les États et autorités locales incitèrent les Américains à se déplacer en offrant des terres, en construisant des canaux et en développant des écoles, des réseaux routiers et autres biens publics. Ces autorités locales se firent concurrence pour attirer les populations et entreprises, offrant des incitations fiscales et autres. Les populations et les entreprises furent également encouragées à se déplacer par la clause de la Constitution sur le commerce, qui interdit formellement aux autorités étatiques d’imposer des contraintes au commerce entre États. Le système institutionnel permit donc la libre circulation des personnes (excepté pour les esclaves), des capitaux et des biens, ainsi que des droits de propriété associés, afin que ces déplacements puissent se réaliser sans pertes financières. Dans ce contexte politique, la révolution des transports, au 19e siècle, et la densité croissante de la population entraînèrent une transformation fondamentale des structures économiques américaines. La combinaison de voies ferrées, de canaux et de bateaux à vapeur contribua à réduire considérablement les coûts des transports moyen- et long-courrier par rapport au seul transport ferroviaire. 3 Le taux d’urbanisation et la densité du pays s’accrurent, tandis que les structures économiques régionales divergeaient. La Nouvelle-Angleterre, qui avait été agricole à 80 % en 1800 malgré ses terres et son climat médiocres, commença à développer son industrie, alors que le Midwest se spécialisait dans le secteur alimentaire. Au début du 20e siècle, le secteur manufacturier des États-Unis était devenu le plus productif au monde. La densité croissante et la migration des populations et des entreprises furent principalement stimulées par les forces du marché. La plupart des établissements se firent avec prudence. Les chemins de fer furent construits au moment (et aux endroits) où les investisseurs pensaient pouvoir en tirer profit, et s’étendirent progressivement à travers le pays. Le peuplement progressait par à-coups, rebondissant au milieu de vastes étendues de terre dans une recherche de l’endroit idéal, comme ce fut le cas lors de la Géographie en mouvement ruée vers la Californie après la découverte d’or en 1849. Toutefois, ce genre d’événement ne fit qu’accélérer la redistribution de la main-d’œuvre aux États-Unis. Convergence des niveaux de vie La guerre de Sécession eut un impact économique durable qui divisa le pays. Les revenus par habitant chutèrent brutalement dans le Sud après la guerre, tant de manière absolue que par rapport au reste du pays. En 1900, ils n’atteignaient encore en Alabama que la moitié de la moyenne nationale. En 1938, Franklin Roosevelt émit la célèbre remarque selon laquelle le Sud constituait le « problème économique numéro un » du pays. Les États-Unis avaient leurs régions retardataires. Cependant, le 20 e siècle fut synonyme de convergence constante des niveaux de vie. Aux Etats-Unis, le niveau du revenu par habitant des États donné en 1900 est inversement proportionnel à la croissance des revenus de ce même État au cours du siècle suivant. En d’autres termes, les États les plus pauvres se sont développés plus rapidement que les États riches entre 1900 45 et 2000, un phénomène connu sous le nom de « bêta-convergence », qui s’explique principalement par la migration des populations. Au 20 e siècle, la tendance dominante des mouvements était celle d’une migration des États les plus pauvres vers les plus riches. L’exemple le plus frappant est probablement la migration des populations afro-américaines des zones rurales du Sud vers les zones urbaines du Nord (et de l’Ouest), qui démarra vraiment pendant la Première guerre mondiale et connut une autre vague juste après la Seconde. Certains États tels que le Mississippi et la Louisiane se retrouvent à présent en bas de l’échelle en termes de revenus disponibles, mais il est facilement concevable qu’ils auraient été en plus mauvaise posture encore sans cette migration. La convergence fut soutenue par la diminution des coûts de transports. Une grande partie des inventions majeures en matière de transports et de communications viennent des États-Unis. Au 20e siècle, le réseau prit plus d’ampleur avec l’essor de l’aviation, de l’automobile et des communications électroniques. À l’heure actuelle, Carte G1.2 Les grandes villes des États-Unis se trouvent dans le nord-est et sur les deux côtes Seattle Boston Minneapolis Detroit Chicago Washington, D.C. New York Philadelphia San Francisco Los Angeles Riverside Phoenix San Diego Atlanta Dallas Houston Tampa Miami Population, 2007 (millions) 18 12 6 4 2,5 Source : http://www.mapsofworld.com/usa/thematic-maps/usa-population-map.html. 46 R apport sur le développement dans le monde 2 0 0 9 The Report at a glance 16 des 30 aéroports les plus fréquentés au monde se trouvent aux États-Unis, et pour 100 Américains, il existe plus de 75 voitures. L’invention et la propagation de l’automobile engendrèrent un agrandissement des villes, accompagné d’un « aplanissement » prononcé de la densité urbaine au fur et à mesure des migrations depuis le centre vers les banlieues. Ce phénomène contribua à amplifier les économies d’agglomération mais il généra également des divisions sociales. Le système américain de finances publiques locales, qui consiste à utiliser les impôts fonciers locaux pour financer les services, n’est pas pour favoriser la redistribution des revenus. Les familles riches et issues de la classe moyenne peuvent éviter de subventionner les autres en se déplaçant vers les banlieues. Par ailleurs, la race joue également un rôle : le centre-ville est essentiellement « noir » tandis que les zones suburbaines sont « blanches ». Pour le meilleur ou pour le pire, le Federal Highway Act de 1956 profita à la croissance du secteur automobile en permettant la construction du « système Eisenhower d’autoroutes inter-états ». Au cours d’un célèbre discours, le président Eisenhower raconta comment il avait participé, en tant que jeune officier, au premier convoi motorisé transcontinental de Washington D.C. à San Francisco en 1919. Le voyage prit 62 jours, accumulant en route tous les retards possibles et imaginables. Au jour d’aujourd’hui, grâce au réseau en place, un conducteur peut parcourir une distance de 4 538 km en deux jours. Des recherches récentes indiquent que le réseau de 76 000 km de routes a intégré des zones rurales anciennement isolées dans l’économie nationale et favorisé la croissance métropolitaine. Comment ces liaisons ont-elles affecté la distribution de la population et des activités économiques ? Paradoxalement, à mesure que le centre de gravité se déplaçait vers l’intérieur de l’Amérique du Nord, cet intérieur — à l’exception des métropoles — s’est vidé. Le Missouri compte tout juste 5,5 millions d’habitants, dont plus de la moitié se trouvent dans la région du Grand Saint-Louis. L’expansion des infrastructures de transport n’entraîna pas le déploiement des populations, mais permit la croissance d’économies d’agglomération dans un plus grand nombre de villes à travers le pays. La distribution de la population de 2000 se concentre dans les villes, dans le Nord-Est et sur les côtes, produisant ainsi ce que l’on appelle la « sigma-convergence », qui correspond à une réduction des inégalités de revenus entre les États (voir carte G1.2). Selon une mesure, la dispersion des revenus par habitant entre les États avait, en 2000, diminué d’un tiers par rapport à son niveau de 1880. efficacement distribuée du point de vue spatial. La raison : une population active mobile. Près de 40 millions d’Américains ont changé de lieu de résidence en 2006. Chaque année, environ 8 millions d’Américains déménagent entre États. En une décennie, plus d’un quart de la population change d’État. En surmontant les distances et les divisions, et en permettant à la population et à la production d’être inégales dans l’espace, grâce à une libre circulation, le revenu par habitant aux États-Unis est actuellement à la fois élevé et remarquablement similaire entre les États. Le défi qu’il reste à relever, pour les Etats-Unis, est la suppression des divisions. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) constitue un pas dans cette direction. Mais il s’agit d’un pas modeste. Examinons l’intégration des marchés canadien et américain. Une étude révèle que les échanges commerciaux parmi les provinces canadiennes sont bien plus nombreux qu’entre le Canada et les ÉtatsUnis, contrôlant la distance et l’ampleur économique (produit intérieur brut) des partenaires commerciaux, qui sont en l’occurrence des États et provinces. 4 Compte tenu de la taille de la Californie, par exemple, ses échanges avec l’Ontario auraient dû être 10 fois plus importants que les échanges entre l’Ontario et la Colombie britannique, le voisin canadien le plus proche de la Californie. En réalité, le commerce entre l’Ontario et la Colombie britannique représentait le triple de ses échanges avec la Californie. Même une des plus minces frontières du monde a une forte influence négative sur le commerce. Le long de leur frontière nord, les ÉtatsUnis partagent 6 419 kilomètres avec le Canada, la plus longue frontière internationale non surveillée au monde. La situation est nettement différente le long de la frontière sud avec le Mexique. La frontière est gardée — insuffisamment, d’après de nombreux citoyens américains — pour empêcher les immigrants illégaux d’entrer dans le pays. Des propositions de construction d’une barrière dressée le long des 3 112 kilomètres de frontière ont même été formulées. De telles barrières font obstacle à la convergence entre les pays du continent nord-américain. Density, Distance and Division Densité croissante, disparités en baisse, divisions persistantes La performance économique des ÉtatsUnis sur le long terme est exemplaire. L’augmentation du revenu par habitant a été en moyenne de 1,8 % par an au cours des 180 dernières années, produisant une amélioration cumulative qui a multiplié par 26 la qualité de vie. En parallèle à cette croissance, les inégalités de revenus entre les États ont diminué. Les États-Unis ont développé des économies d’échelle : d’abord au niveau de l’entreprise, puis au niveau local, à mesure que les villes se spécialisaient dans l’industrie, et plus tard, au niveau des métropoles, dans les principales agglomérations urbaines telles que Los Angeles et New York. Ils comportent aujourd’hui un ensemble de marchés nationaux de biens et de facteurs de production extrêmement efficaces. Le lieu a toujours un rôle clé dans la détermination du revenu, mais ce rôle se cantonne au court terme, ce « court terme » étant bien plus court qu’il ne l’était il y a un siècle. Des bouleversements locaux majeurs tels que l’ouragan Katrina ont bien moins d’impact sur les perspectives de croissance qu’auparavant. Après l’exode de Mariel amenant 125 000 réfugiés cubains à Miami au début des années 80, les salaires régionaux ne connurent pas d’impact perceptible. Il en résulte un paradoxe apparent : les salaires aux États-Unis (réajustés en fonction du capital humain) sont équivalents en différents endroits, alors que les activités économiques sont fortement inégales sur l’ensemble de l’espace. On vante les mérites de l’Europe pour son faible niveau d’inégalité sociale, mais l’Amérique du Nord est plus égale sur le plan spatial. Et sa production économique est également plus Source : Contribution de Robert A. Margo.