Geography in motion
Overcoming Division in Western Europe
2000
1950
1900 1850
1790
ÉTATS-UNIS
Carte G1.1 Le centre géographique de gravité de la population américaine s’est déplacé de
1 371 km entre 1790 et 2000
Source : Section Géographie, Bureau du recensement des États-Unis.
Géographie en mouvement
Surmonter les distances en Amérique du Nord
Lorsque les Européens se mirent à coloniser au-delà de leurs rivages, les perspectives de croissance économique en Amérique du Nord semblaient
alors incertaines. Lors de la guerre de Sept ans (1756–63), tandis que les Français et les Britanniques se disputaient le Canada, Voltaire exprima
son étonnement quant à cette querelle pour « quelques acres de neige ». Ils auraient dû s’intéresser davantage au potentiel économique des Cara-
ïbes, où le climat et les terres étaient propices à la culture de la canne à sucre, et c’est ce qu’ils firent. Manhattan fut notoirement vendue par les
Hollandais en échange de terres proches du Surinam. Toutefois, avec le temps, ce sont les quelques hectares de neige et le paysage rocheux de
Plymouth (Massachusetts) qui engendrèrent le « revers de fortunes » entre les zones froides d’Amérique du Nord-Est et les territoires plus chauds
du Sud. 1
Pour comprendre comment ce revire-
ment se produisit, il faut comprendre
comment les Nord-Américains gérè-
rent la densité croissante, les vastes distan-
ces sur le continent et les divisions marquées
entre les esclaves et leurs propriétaires, entre
autochtones et colons, entre Français et Bri-
tanniques bref, comment la géographie
économique de l’Amérique du Nord a été
refondue.
Taille et ascendance économique
américaine
La notion de taille est laspect le plus évident
qui caractérise la géographie économique
des États-Unis. 2 En 1800, 5,3 millions din-
dividus vivaient sur les 2 240 000 km_ de
terres octroyées à la jeune nation en vertu
du Traité de Versailles (1783). Dès 1900, un
peu plus de 5 millions de kilomètres cars
s’y rajoutèrent, obtenus sous forme dachats
directs, de butins de guerre ou par traité.
Aujourdhui, les États-Unis comptent plus
de 300 millions dhabitants et un territoire
d’une surface de 9 millions de kilomètres
cars. La densité de population actuelle du
pays est près de 18 fois supérieure à celle
de 1790.
Les défis inhérents à la répartition de
la population et de la production à travers
un espace aussi vaste sont considérables.
Les populations, de me que les terres
productives, se sont déplacées vers l’Ouest
et le Sud. En 1800, l’État du Maryland ras-
semblait la majeure partie de la population,
sur la côte Est (voir carte G1.1). En 1900,
ce noyau s’était déplacé dans l’Indiana.
Au cours du 20e siècle, il dévia vers le Sud-
Ouest, pour se retrouver au Missouri en
2000. À cette époque, la population améri-
caine s’était établie principalement le long
des deux côtes du pays. Les Américains sont
aujourdhui plus éloigs physiquement
les uns des autres qu’ils ne lont jamais été
auparavant.
Comment les États-Unis ont-ils sur-
monté ces vastes distances physiques ? Au
part, les mécanismes institutionnels de
répartition des terres et de sécurisation des
droits de propr furent souverains. La
Constitution et l’Ordonnance du Nord-
Ouest (1787) introduisirent les mécanismes
procéduraux de transformation des terri-
toires inhabis en États. La distribution
des terres publiques se réalisa par le biais
de ventes à des particuliers et de donations
directes. Le domaine éminent fut établi
pour affecter les terres à leur meilleure uti-
lisation, en particulier lorsqu’elles étaient
Géographie en mouvement 45
requises pour la construction des chemins
de fer. La premre ligne de chemins de
fer continentale fut achevée en 1864. Les
populations autochtones furent placées
par la force, lorsque c’était nécessaire, avec
laide de lAre américaine. Les États et
autorités locales incitèrent les Aricains
à se placer en offrant des terres, en
construisant des canaux et en développant
des écoles, des réseaux routiers et autres
biens publics. Ces autorités locales se rent
concurrence pour attirer les populations et
entreprises, offrant des incitations fiscales
et autres.
Les populations et les entreprises furent
également encouragées à se déplacer par la
clause de la Constitution sur le commerce,
qui interdit formellement aux autorités
étatiques dimposer des contraintes au
commerce entre États. Le système institu-
tionnel permit donc la libre circulation des
personnes (exceppour les esclaves), des
capitaux et des biens, ainsi que des droits
de propriété assocs, an que ces pla-
cements puissent se réaliser sans pertes
nancières.
Dans ce contexte politique, la révo-
lution des transports, au 19e siècle, et la
densité croissante de la population entraî-
nèrent une transformation fondamentale
des structures économiques aricaines.
La combinaison de voies ferrées, de canaux
et de bateaux à vapeur contribua à réduire
considérablement les coûts des transports
moyen- et long-courrier par rapport au seul
transport ferroviaire. 3 Le taux d’urbanisa-
tion et la densité du pays s’accrurent, tandis
que les structures économiques gionales
divergeaient. La Nouvelle-Angleterre, qui
avait été agricole à 80 % en 1800 malgré ses
terres et son climat médiocres, commença
à velopper son industrie, alors que le
Midwest se spécialisait dans le secteur ali-
mentaire. Au début du 20e siècle, le secteur
manufacturier des États-Unis était devenu
le plus productif au monde.
La densité croissante et la migration des
populations et des entreprises furent prin-
cipalement stimulées par les forces du mar-
ché. La plupart des établissements se firent
avec prudence. Les chemins de fer furent
construits au moment (et aux endroits) où
les investisseurs pensaient pouvoir en tirer
profit, et sétendirent progressivement à
travers le pays. Le peuplement progressait
par à-coups, rebondissant au milieu de vas-
tes étendues de terre dans une recherche de
lendroit idéal, comme ce fut le cas lors de la
ruée vers la Californie après la couverte
dor en 1849. Toutefois, ce genre dévéne-
ment ne fit quaccélérer la redistribution de
la main-dœuvre aux États-Unis.
Convergence des niveaux de vie
La guerre de cession eut un impact éco-
nomique durable qui divisa le pays. Les
revenus par habitant chutèrent brutalement
dans le Sud après la guerre, tant de manière
absolue que par rapport au reste du pays. En
1900, ils n’atteignaient encore en Alabama
que la moitié de la moyenne nationale. En
1938, Franklin Roosevelt émit la célèbre
remarque selon laquelle le Sud constituait
le « problème économique numéro un » du
pays. Les États-Unis avaient leurs régions
retardataires. Cependant, le 20e siècle fut
synonyme de convergence constante des
niveaux de vie.
Aux Etats-Unis, le niveau du revenu
par habitant des États donné en 1900 est
inversement proportionnel à la croissance
des revenus de ce même État au cours du
siècle suivant. En dautres termes, les États
les plus pauvres se sont développés plus
rapidement que les États riches entre 1900
et 2000, un phénomène connu sous le nom
de « bêta-convergence », qui s’explique
principalement par la migration des popu-
lations. Au 20e siècle, la tendance domi-
nante des mouvements était celle d’une
migration des États les plus pauvres vers
les plus riches. Lexemple le plus frappant
est probablement la migration des popu-
lations afro-américaines des zones rurales
du Sud vers les zones urbaines du Nord (et
de l’Ouest), qui marra vraiment pendant
la Première guerre mondiale et connut une
autre vague juste après la Seconde. Certains
États tels que le Mississippi et la Louisiane
se retrouvent à présent en bas de léchelle
en termes de revenus disponibles, mais il
est facilement concevable qu’ils auraient
été en plus mauvaise posture encore sans
cette migration.
La convergence fut soutenue par la
diminution des coûts de transports. Une
grande partie des inventions majeures en
matière de transports et de communica-
tions viennent des États-Unis. Au 20e siècle,
le réseau prit plus d’ampleur avec lessor de
laviation, de lautomobile et des commu-
nications électroniques. À lheure actuelle,
Seattle
San Francisco
Los Angeles
Riverside
Phoenix
Minneapolis
Chicago
Detroit
Boston
New York
Philadelphia
Washington, D.C.
Atlanta
Houston
Dallas
Tampa
Miami
San
Diego
18
Population, 2007
(millions)
12
6
4
2,5
Carte G1.2 Les grandes villes des États-Unis se trouvent dans le nord-est et sur les deux côtes
Source : http://www.mapsofworld.com/usa/thematic-maps/usa-population-map.html.
Surmonter les distances en Amérique du Nord
Géographie en mouvement 45
The Report at a glance
Density, Distance and Division
16 des 30 aéroports les plus fréquentés
au monde se trouvent aux États-Unis, et
pour 100 Américains, il existe plus de 75
voitures.
Linvention et la propagation de lauto-
mobile engendrèrent un agrandissement
des villes, accompag dun « aplanisse-
ment » prononcé de la densité urbaine au
fur et à mesure des migrations depuis le
centre vers les banlieues. Ce phénomène
contribua à amplifier les économies dag-
glomération mais il généra également des
divisions sociales. Le système américain
de finances publiques locales, qui consiste
à utiliser les impôts fonciers locaux pour
financer les services, n’est pas pour favoriser
la redistribution des revenus. Les familles
riches et issues de la classe moyenne peu-
vent éviter de subventionner les autres en se
déplant vers les banlieues. Par ailleurs, la
race joue également un rôle : le centre-ville
est essentiellement « noir » tandis que les
zones suburbaines sont « blanches ».
Pour le meilleur ou pour le pire, le Fede-
ral Highway Act de 1956 profita à la crois-
sance du secteur automobile en permettant
la construction du « sysme Eisenhower
d’autoroutes inter-états ». Au cours d’un
bre discours, le président Eisenhower
raconta comment il avait participé, en
tant que jeune officier, au premier convoi
motoritranscontinental de Washington
D.C. à San Francisco en 1919. Le voyage
prit 62 jours, accumulant en route tous
les retards possibles et imaginables. Au
jour daujourdhui, grâce au seau en
place, un conducteur peut parcourir une
distance de 4 538 km en deux jours. Des
recherches récentes indiquent que le réseau
de 76 000 km de routes a intégdes zones
rurales anciennement isolées dans l’éco-
nomie nationale et favori la croissance
métropolitaine.
Comment ces liaisons ont-elles affecté
la distribution de la population et des acti-
vités économiques ? Paradoxalement, à
mesure que le centre de gravité se déplaçait
vers lintérieur de lAmérique du Nord, cet
intérieur à lexception des métropo-
les s’est vidé. Le Missouri compte tout
juste 5,5 millions dhabitants, dont plus
de la moitse trouvent dans la région du
Grand Saint-Louis. Lexpansion des infras-
tructures de transport n’entraîna pas le
déploiement des populations, mais permit
la croissance déconomies dagglomération
dans un plus grand nombre de villes à tra-
vers le pays. La distribution de la popula-
tion de 2000 se concentre dans les villes,
dans le Nord-Est et sur les côtes, produisant
ainsi ce que lon appelle la « sigma-conver-
gence », qui correspond à une réduction
des igalités de revenus entre les États
(voir carte G1.2). Selon une mesure, la dis-
persion des revenus par habitant entre les
États avait, en 2000, diminué d’un tiers par
rapport à son niveau de 1880.
Densité croissante, disparités en
baisse, divisions persistantes
La performance économique des États-
Unis sur le long terme est exemplaire.
Laugmentation du revenu par habitant a
été en moyenne de 1,8 % par an au cours
des 180 dernres années, produisant une
amélioration cumulative qui a multiplié
par 26 la qualité de vie. En paralle à
cette croissance, les igalités de revenus
entre les États ont diminué. Les États-Unis
ont développé des économies déchelle :
dabord au niveau de lentreprise, puis au
niveau local, à mesure que les villes se s-
cialisaient dans lindustrie, et plus tard, au
niveau des tropoles, dans les principa-
les agglomérations urbaines telles que Los
Angeles et New York.
Ils comportent aujourdhui un ensem-
ble de marchés nationaux de biens et de
facteurs de production extmement ef-
caces. Le lieu a toujours un rôle clé dans
la termination du revenu, mais ce le
se cantonne au court terme, ce « court
terme » étant bien plus court qu’il ne létait
il y a un siècle. Des bouleversements locaux
majeurs tels que louragan Katrina ont bien
moins dimpact sur les perspectives de
croissance qu’auparavant. Après lexode de
Mariel amenant 125 000 fugs cubains
à Miami au but des années 80, les salai-
res régionaux ne connurent pas dimpact
perceptible.
Il en résulte un paradoxe apparent : les
salaires aux États-Unis (réajustés en fonc-
tion du capital humain) sont équivalents
en différents endroits, alors que les activi-
s économiques sont fortement inégales
sur lensemble de lespace. On vante les
mérites de l’Europe pour son faible niveau
digalité sociale, mais lArique du
Nord est plus égale sur le plan spatial. Et sa
production économique est également plus
efcacement distribuée du point de vue
spatial. La raison : une population active
mobile. Près de 40 millions dAméricains
ont changé de lieu de résidence en 2006.
Chaque année, environ 8 millions dAmé-
ricains dénagent entre États. En une
décennie, plus dun quart de la population
change d’État. En surmontant les distances
et les divisions, et en permettant à la popu-
lation et à la production dêtre igales
dans lespace, grâce à une libre circulation,
le revenu par habitant aux États-Unis est
actuellement à la fois éleet remarquable-
ment similaire entre les États.
Le défi qu’il reste à relever, pour les
Etats-Unis, est la suppression des divisions.
LAccord de libre-échange nord-américain
(ALENA) constitue un pas dans cette
direction. Mais il s’agit d’un pas modeste.
Examinons lintégration des marchés
canadien et aricain. Une étude révèle
que les échanges commerciaux parmi
les provinces canadiennes sont bien plus
nombreux qu’entre le Canada et les États-
Unis, contrôlant la distance et lampleur
économique (produit inrieur brut) des
partenaires commerciaux, qui sont en loc-
currence des États et provinces. 4 Compte
tenu de la taille de la Californie, par exem-
ple, ses échanges avec l’Ontario auraient
être 10 fois plus importants que les échan-
ges entre l’Ontario et la Colombie britan-
nique, le voisin canadien le plus proche
de la Californie. En alité, le commerce
entre l’Ontario et la Colombie britannique
représentait le triple de ses échanges avec
la Californie. Même une des plus minces
frontières du monde a une forte influence
négative sur le commerce.
Le long de leur frontre nord, les États-
Unis partagent 6 419 kilomètres avec le
Canada, la plus longue frontière interna-
tionale non surveile au monde. La situa-
tion est nettement différente le long de la
frontière sud avec le Mexique. La frontière
est gare insuffisamment, daprès de
nombreux citoyens américains — pour
empêcher les immigrants ilgaux dentrer
dans le pays. Des propositions de construc-
tion d’une barrre dressée le long des
3 112 kilomètres de frontre ont même été
formues. De telles barrières font obstacle
à la convergence entre les pays du continent
nord-américain.
Source : Contribution de Robert A. Margo.
46 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2009
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