a cancérologie est en pleine évolution. De
nouveaux métiers voient et vont voir le jour
( Pla ns ca nce r 2009-2Q1 3 111 er 201 4-201 9 t2l ).
Au plan thérapeutique, les anticancéreux oraux
sont en plein essor depuis le milieu des années
2000. De manipulation assez complexe, ces médi-
caments, pris à la maison par les patients, ont de
possibles effets indésirables identiques, voire
supérieurs aux anticancéreux administrés par voie
parentérale. lls nécessitent donc une participation
active du patient à son traitement, une surveillance
spécialisée, un rappoft confiant et efficace entre
les acteurs de santé de ville et l'hôpital.
Cette confiance est facilitée si le patient peut
joindre rapidement un interlocuteur en mesure
de lui répondre efficacement. C'est de ce constat
qu'a germé I'idée de la mise en place d'un dispo-
sitif spécial pour ces patients.
La délégation protocolisée
de compétences
du point de vue médical
La création du pôle anticancéreux oraux (PAO),
en septembre 2010, au sein de l'hôpital de jour
(HDJ) oncologique de I'hôpital Saint-Antoine à
Paris (AP-HB 75) visait un quadruple objectif :
- former le patient (et éventuellement ses proches)
pour qu'il prenne bien son traitement à domicile,
connaisse et sache gérer les éventuels effets
secondaires;
- renforcer et simplifier le lien ville-hôpital ;
-faire évoluer le travail d'équipe médico-infirmier
en développant la dimension relationnelle et
aidante (le carel dans la pratique infirmière, et en
formant spécifiquement aux chimiothérapies
orales des infirmières déjà expérimentées en
oncologie;
- procurer à l'oncologue un suivi tracé entre les
consultations de bilan.
Ayant immédiatement adhéré au projet de créa-
tion du PAO, toute l'équipe paramédicale et médi-
cale s'est engagée dans sa mise en æuvre.
r Se fondant sur les possibilités de délégations
protocolisées de compétences tel I es q u'éta bl ies
par l'article 51 de la loi du 21 juillet 2009 portant
réforme de I'Hôpital et relative aux Patients, à la
Santé et auxTerritoires l3l, le Dr Frédérique Main-
drault-Goebel, responsable de I'hôpital de jour
était à I'initiative du projet. Elle a rédigé un pro-
tocole et monté un dossier soumis à lAgence
régionale de santé (ARS) d'île-de-France et à la
Haute Autorité de santé (HAS).
. Dans le cadre strict de protocoles particuliers
à chaque molécule, validés par différentes socié-
tés savantes nationales, les infirmières spécifi-
quement formées sont amenées à prescrire cer-
tains examens complémentaires (numération
formule sanguine, ionogramme sanguin, bilan
hépatique, radiographie pulmonaire, abdomen
sans préparation, échographie, etc.) ou médica-
ments de confoft simples (bains de bouche. anti-
nauséeux, antidiarrhéiques. topiques cutanés)
permettant aux patients de mieux vivre leur trai-
tement. lnnovante, cette dimension clinicienne
de.la pratique infirmière est appelée à se déve-
lopper en Europe.
. Les bénéfices constatés s'expriment dans le suivi
très personnalisé des patients assuré par une
équipe spécialisée qui les connaît bien et souvent
depuis plusieurs années, certains cancers pouvant
prendre une forme de maladie "chronique'l De
même, les collègues de ville sont informés du
dossier #ornmatiæn
Géraldine Baldacci
Virginie Baudat
Murielle Cazard
Céline Da Mota
Cécile Chauveau
Dr Frédérique
Maindrau lt-Goebel
Mots clés
. Anticancéreux oraux
. Compétence
. Consultation
infirmière
o Goopérations entre
professionnels
de santé
. Délégation
de compétences
. Formation
. Prescription
Béférences
[1] www.plan cancer.gouv.frl
[2] www,e cancer.f r/le-plan-
cancel?gclld=CNm6B6q-
5/0CFTlVTAodwh0AHg
[3] Loi n' 2009-879 du 2l
juillet 2009 podant réforme
de l'hôpital et relative aux
patlents, à la santé et aux
territoires, www, legif rance,
gouv, f r/aff ichTexte, do?cidTexte
=J0RFTEXT000020B794/5&
cateqorieLren=id
La prescription infirmière comme acte
sur délégation médicale protocolaire
I Les coopérations entre professi0nnels de santé autorisent la délégatron protoc0lisée de
compétences I Léquipe médico-infirmrère de l'hôpital de jour d'oncologie médicale de l'hôpital
Saint-Antoine, à Parrs, n0us fait partager la mise en place de ce dispositif conjoint à la création
d'un pôle anticancéreux oraux I Dans ce cadre, des infirmières expérimentées et spécifiquement
formées tiennent des consultations et exercent une délégation médicale pr0t0c0laire de prescrrption
d'examens de suivi et de trartements c0ntre les éventuels effets secondaires des anticancéreux oraux.
. Spécial formation infirmière et cadre de santé o Juin 20'j4 o1S13
/-
dossier fnrmatEosl
Références
[4] www.iledefrance.paps.
sante.frlles protocoles-
autorises-en-ll, I 42052.0. htm1
[5] www,efec.eu
traitement de leur malade et peuvent joindre aisé- de mettre en place un dispositif spécifique d'ac-
ment l'équipe, au numéro unique, pour avoir une compagnement de ces patients par les infirmières
réponse immédiate et efficace à leurs éventuelles de I'HDJ.
interrogations. Grâce à ce suivi conjoint, la non- . Différents supports, spécifiques à chaque molé-
observance du traitement, les effets secondaires, cule, ont été élaborés : protocoles de soins infir-
les divers événements pouvant conduire à une miers, fiches d'informations et de conduite à tenir
hospitalisation sont anticipés et traités rapide- face aux principaux effets indésirables, tableaux
ment; ce qui réduit la survenue de situations de suivi des prises orales, à destination des
cliniques plus lourdes. patients et de leur entourage.
.ll s'agit d'un travail d'équipe l'infirmière délé- . Les équipes médicale et paramédicale du ser-
guée n'est jamais seule. Un médecin-oncologue vice ont été informées et sensibilisées à I'orga-
est toujours présent pour l'aider en cas de diffi- nisation mise en place. Avec l'expérience et le
culté face à une situation donnée. Par ailleurs, des nombre croissant de patients sous anticancéreux
critères précis d'alerte médicale sontfixés. oraux, les outils ont été adaptés aux besoins :
création d'une adresse électronique, d'un numéro
de téléphone strictement dédié au PAO avec
L'aménagement du PAO, répondeur en dehors des heures ouvrables, ras-
vécu par les infirmières semblement des dossiers PAO dans le poste de
soins. Un tableau informatique récapitulatif de
. La mise en place du PAO est partie d'un constat : I'ensemble des patients suivis a rapidement été
les patients auxquels étaient prescrites des chimio- mis en place, ainsi que des réunions de débrie-
thérapies orales recevaient les explications de leur fing médico-infirmier, et une formation régulière
oncologue référent mais ne savaient pas ensuite des infirmières.
à qui s'adresser lorsque des effets secondaires
apparaissaient ou que leurs résultats d'examens
biologiques étaient perrurbés. Nombre d'enrre Formation et connaissances
eux téléphonaient en HDJ mais les infirmières, requises pour les infirmières
ne connaissant pas ces nouveaux traitements, ne dU PAO
pouvaient répondre à leurs questions.
' Dès septembre 201O, sur proposition de la res- o Lors de la création du PAO, I'ensemble des infir-
ponsabledel'hôpital dejourd'oncologiemédicale mières d'HDJ. ayant déjà des connaissances
et après discussion d'équipe, ila donc été décidé solides en chimiothérapies intraveineuses régu-
lièrement mises à jour
dans le service, a
Ënsôdré être formé à ces nou-
velles molécules
Un protocole amené à se développer orates. Pour ce faire,
aU niVeAU nAtiOnAI des cours rhéoriques
ont été construits et
Toute l'équipe est aujourd'hui fière de voir reconnu par
lAsence résionale de santé (ARS) et ta Haute Autorité de sanré :Ji1:::i'"::J;J ji
(HAS) [4] ce travail collaboratif qui doit prendre, dans les mois o"'ne,"r1"" ire_requis
à venir, une extension nationale. Pourtoute équipe souhaitan, ;;;;".,"n1" le déve_
y participer, il s'agit d'envoyer une lettre d'intention d'adhés
à sonARS, puis de suivre ta procédur".t o'nt"ntron o aonesron i"^t^ïi::t^tî]i,:]lYl:
[essentiel reste ta satisfaction exprimée des patienrs er de llllîiii;;ri:ii:-
leurs proches, comme nous I'a montrée une enquête récente reux oraux et leurs
faite dans notre service. Ce dispositif est simple, rassurant et _eca.risn.'es d,action.
économique, même si aujourd'hui nous attendons sa Les conduites à tenir
valorisation. Lhôpital sera alors rémunéré pour cet important en tant qu,infirmière et
travail aujourd'hui non pris en compte par la Caisse nationale les compétences à
d'assurance maladie' acquérir ont également
été traitées.
1S14 . Spécial formation infirmière et cadre de santé r Juin 2014.
7
dæssâær €ærrææÊâææ
'Par ailleurs, une formation validante a été créée 1. Recueil de données visant à évaluer les besoins
par l'École de formation européenne de cancé- du patient et de son environnement dans l'ob-
rologie (EFEC) [5] afin de développer les connais- jectif de poser un diagnostic personnalisé et
sances et compétences indispensables à la réa- éducatif.
lisation d'une consultation inf irmière 2. Explication du'traitement: posologie, schéma
"anticancéreux oraux'iÀ travers la connaissance thérapeutique, effets secondaires, périodicité des
destraitements, la compréhension de leurs prin- bilans sanguins. Ces informations sont primor-
cipes actifs, la détection et la gestion de leurs diales pourassurer la bonne observance du trai-
effets secondaires, cette formation vise le déve- tement oral par le patient et un bon suivi infirmier.
loppement des capacités éducatives des infir- 3. Évaluation des acquisitions du patient:la docu-
mières lors de consultations directes et d'entre- mentation nécessaire lui est remise à la fin de la
tiens téléphoniques. llobjectif est de réaliser une consultation (tableau de suivi de prise, gestion
coopération optimale entre professionnels dans des effets secondaires, etc.). Les coordonnées
le parcours de soins du patient. Aujourd'hui, (courriel,téléphone) du pAO luisontfournies ainsi
quatre infirmières de I'HDJ ont bénéficié de cette qu'un rendez-vous téléphonique systématique.
formation de six jours à I'EFEC. Les derniers
membres de l'équipe seront formés d'ici quelques
mois, lors des prochaines sessions. En parallèle,
des cours de rappels ou d'informations sur de
nouvelles molécules sont régulièrement assurés €neaejré
dans le service.
pour exercer ta détégation de prescription, ta llaccompagnement du proiet par l'encadrement
Haute Autorité de santé (HAS) a fi nalemenl lJattention portée par l'encadrement estfondamentale pour
retenu, outre certains critères personnels de soutenir l'équipe infirmière, valoriser son investissement,
capacité à travailler en équipe, trois critères entendre ses ressentis et difficultés. Une organisation a été
majeurs d'expertise soignante' mise en place lors de la création du projet; elle est réévaluée
- attester de cinq années de diplôme d'État infir- régulièrement avec l'équipe et réajustée au besoin.
mier ; ' lJéquipe s'est organisée de façon à assurer cette activité en
- de trois années d'expérience infirmière en plus de ses missions habituelles. Chaque infirmière étanttrès
oncologie ; motivée par ce nouveau poste, il a été convenu que toutes
- ainsi que d'une formation théorique de 45 h seraient formées aux anticancéreux oraux et qu'elles
et d'une formation pratique. effectueraient une alternance entre les chimiothérapies
Les infirmières ne remplissant pas ces condi- intraveineuses et le poste du PAO. Cette solution évitait de
tions peuvent toutefois exercer au sein du PAO surcroît l'écueil de I'hyperspécialisation d'une seule
dans la mesure elles suivent la formation et infirmière, qui deviendrait rapidement irremplaçable en cas
qu'elles ne pratiquent pas la délégation de d'absence.
signature. Le médecin effectue alors les pres- o La rotation s'effectue chaque mois.Toutes ont ainsi le
criptions d'examens de suivi et de traitements sentiment d'accomplir un suivi plus abouti et donc plus
contre les éventuels effets secondaires. satisfaisant du patient. Au moment du relais entre infirmières,
des transmissions sont effectuées, en plus des échanges qui
se font spontanément dans un souci de concertation
La consultation infirmière permanente et de partage des informarions.
danS le Cadre du PAO o L'esprit d'équipe et d'entraide est une notion fondamentale
pour le bon fonctionnement du PAO. Cette qualité est très
Suite à la mise en route d'un traitement antican- attendue lors des recrutements infirmiers. De même, la
céreux oral par le médecin, un suivi infirmier est çuriosité intellectuelle, I'ouverture d'esprit, l'ambition
proposé au patient. ll décide de participer, ou non, d'évoluer au sein de son métier, sont des critères très
à ce dispositif. La consultation infirmière initiale sélectifs. Sans omettre les qualités relationnelles. Dotées d'un
est organisée sur convocation. D'une durée de réel sens de la communication, les infirmières du PAO, mais
45 minutes environ. c'est un moment privilégié aussi d'HDJ et de tout le service d'oncologie, doivent être
avec le patient le rôle éducatif propre de l'in- capables d'écoute et d'un relationnel fort avec les patients et
firmière prend tout son sens. leur entourage.
o La consultation se déroule en trois étapes :
. Spécial formation infirmière et cadre de santé . Juin 2014 .1S15
,-:
dossier formation
Références
[6] www.ifcd.frlD0C/
PROFESSIONNEL,TOXICITES/
NCICTC_4.pdf
Déclaration d'intérêts :
Les auteurs déclarent ne pas
avoir de confliÏs d'intérêts en
relation avec cet article,
Les auteurs
Géraldine Baldacci,
Virginie Baudat,
Murielle Cazard,
Céline Da Mota,
infirmières
Gécile Ghauveau,
cadre de santé
Frédérique
Maindrault-Goebel,
oncologue-praticien
hospitalier, responsable
de l'hôpital de jour
d'oncologie médicale
Hôpital de jour oncologie
médicale, Hôpital
Saint Antoine,
1 84 rue du Faubourg
Saint-Antoine, 7501 2 Paris,
Fra nc e
c ec ile.c ha uvea u@sat.
a ph p.fr
1S16
C'est à ce moment que les infirmières peuvent,
par délégation médicale protocolaire de prescrip-
tion, rédiger des ordonnances spécifiques si le
patient ne les a pas reçues durant la consultation
médicale.
. Chaque jour des patients sont appelés par
l'équipe infirmière. lls sont interrogés sur d'éven-
tuels effets secondaires et la date de reprise de
leur traitement leur est rappelée. Les infirmières
sont à leur écoute pour répondre à leurs appels
et, si besoin, faire le lien avec un médecin. ll s'agit
d'un véritable travail de coopération médico-
infirmière.
Le ressenti infirmier
envers le protocole
de coopération médico-infirmière
Au sein du PAO, le métier d'infirmière apparaît
différent de celui existant en HDJ traditionnel.
Nous avons ici un rôle important dans l'explication
du traitement et de sa surveillance. Nous contrô-
lons les bilans sanguins du patient et donnons
nous-mêmes I'accord pour poursuivre la prise
médicamenteuse. Nous avons pour support un
tableau international de critères des toxicités
(Common toxicity criteria ou NCI [6]).
En cas d'effet secondaire égal ou supérieur à un
grade 2 (sur une cotation de 0 à 4), nous deman-
dons systématiquement I'avis du médecin.
o Notre responsabilité apparaît plus importante
car il ne faut pas faire d'erreur de lecture d'un
résultat sanguin, ou d'un diagnostic d'effet secon-
daire. ll incombe à chacune de connaître ses
limites et de s'adresser aux médecins, toujours
présents, au moindre doute.
Nous percevons aisément toute la confiance que
nous accorde l'équipe médicale du service et c'est
très appréciable.
Comme l'a montré une enquête interne effectuée
auprès des patients en2013, ceux-ci apparaissent
satisfaits de cette organisation. lls bénéficient
d'une plus grande proximité avec les profession-
nels et sont sereins à l'idée de pouvoir joindre
l'équipe sans difficulté. lls apprécient également
le fait d'avoir des interlocuteurs qualifiés qu'ils
con naissent.
. Ce poste correspond sans aucun doute à une
évolution du métier d'infirmière. Avoir tenté cette
expérience nouvelle avec la création du PAO repré-
sente aujourd'hui une grande satisfaction et une
valorisation pour l'équipe infirmière d'HDJ.
De gauche à droite et de bas en haut: Céline Da Mota,
Frédérique Maindrault-Goebel, Virginie Baudat, Murielle Cazard
et Géraldine Baldacci.
Conclusion
Sans l'expertise de chacun ni la confiance qui
existe entre professionnels au sein du service,
il est probable que cette étroite collaboration
médico-infirmière n'aurait pu se réaliser.
En décembre 2012,|a HAS a reconnu la délégation
de prescription sur protocole pour les anticancé-
reux oraux. En mars 2014,|a direction de l'Hôpital
Saint-Antoine a accordé la création d'un poste
afin que les infirmières développent pleinement
cette nouvelle mission sans léser les autres acti-
vités de l'HDJ. ll est effectivement annoncé que
les chimiothérapies orales, permettant un traite-
ment à domicile, représenteront 30 % de l'en-
semble des anticancéreux en 2015, et qu'elles
atteindront 50 % d'ici 2020.
De multiples études, réalisées au niveau interna,
tional, notamment dans le cadre de l'intervention
d'infirmières cliniciennes, montrent que les
patients expriment plus aisément leurs appréhen-
sions et leurs difficultés diverses auprès d'une
infirmière que d'un médecin. Suivre I'observance
des traitements et des effets secondaires apparaît
donc aisé pour l'infirmière. Dans ce contexte de
délégation de prescription, elle ne se substitue à
aucun moment au médecin. Finalement, elle com-
plète avec ses qualités de soignante la prise en
charge curative et éducative du patient atteint de
cancer. .
. Spécial formation infirmière et cadre de santé . Jurn 2014 .
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