représenter l’élégance et la pureté. D’ailleurs le tableau de la seconde sculpture de Sissi
(Statue en bronze, 2010), situé juste à côté, enfonce le clou : on y voit un Jet d’eau genevois à
la symbolique évidente se dresser entre la statue en bronze (Sissi toute d’anorexie passée au
cutter) et la découpe fantomatique de la statue en marbre (Sissi en sucre, nettement plus
dodue). Le cygne noir contre le cygne blanc, la vilaine Odile contre la gentille Odette, c’est
sûr Piotr Illitch7 est planqué derrière le thuya, quant à Siegfried, contrarié par les dérives du
scénario, il a finalement opté pour un canard.
Pour calmer le jeu, on pivote de 180 degrés et on essaie de se concentrer sur Le Mystère
bulgare II (qui fait écho à son homonyme I un peu plus loin, dans la même stratégie du
doublon utilisée pour les portraits et les statues, genre - allez, j’en fait un deuxième vite fait
mal fait). Forcément on cherche encore à voir des volatiles (avec quelques efforts apparaît
plus ou moins distinctement un congrès de pingouins sur une banquise) alors que les motifs
abstraits des deux peintures sont, selon l’artiste qu’on a cuisinée à ce propos, une reprise bien
dézinguée d’une vieille pochette de disque (Le Mystère des Voix Bulgares, 1975), le fameux
mystère résidant dans le fait que ce célèbre chœur féminin était composé de chanteuses
sélectionnées pour leurs voix stridentes et haut perchées. Des voix de petites filles donc. Et
quand on se rappelle soudain que les tresses font partie intégrante du costume folklorique
bulgare, la boucle est bouclée.
Enfin pas tout à fait. On a gardé le meilleur pour la fin avec un dernier coup de natte qui
claque comme une baffe. En retournant dans le couloir du Musée, on tombe en effet sur High
Fidelity (2010), un tableau où se croisent une squaw hollywoodienne façon Nathalie Wood
dans La Prisonnière du désert (John Ford, 1956) et une image de Sissi chevauchant un étalon
dressé sur ses deux pattes au-dessus de laquelle flotte un étrange monolithe noir à la Kubrick
qui vient donner à l’ensemble une touche abstraite géométrique, alors que dans le coin
supérieur gauche émerge le croquis improbable d’une selle d’amazone qui tombe un peu
comme un cheveu dans le paysage. Mais ce qui frappe tout de suite le spectateur, c’est la natte
de la jeune indienne au premier plan qu’on dirait comme balayée par un coup de vent et qui
gicle littéralement hors du tableau sous forme de languette en carton, masquant tout le visage
de la squaw dont on ne saura par conséquent jamais s’il s’agissait de Nathalie Wood ou pas.
Alors on se dit que décidément dans la peinture de Nina Childress une natte peut en cacher
beaucoup d’autres et qui sait peut-être même qu’un jour elle sifflera trois fois.
1 Les Romains au cinéma, Mythologies, Roland Barthes, Le Seuil, 1957.
2 L’effet Sissi, Nina Childress au Mamco Genève, du 8 juin au 18 septembre 2011
3 Soudain un inconnu dans la rue vous offre des fleurs : c’est l’effet magique d’Impulse. Célèbre pub des années
80 pour un parfum bon marché créé par Fabergé.
4 Virginité toute symbolique évidemment, Sissi ayant donné naissance à 4 enfants. On profite de cette note pour
faire remarquer que cette statue montre Sissi avec une tresse ET une frange. Donc virginité + romanité. Mais on
n’a pas le temps ici de développer cet intéressant doublé.
5 Théoricien, critique et écrivain américain d’origine palestinienne qui a écrit L’Orientalisme (1978), texte
fondateur pour les études postcoloniales.