*Philippe ROLLANDIN : Le Monde Cannibale, le défi démographie (Ed L’Harmattan)
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45667
Café nile Philippe Rollandin 27 mai 2015
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Café nile avec Philippe Rollandin
Mercredi 27 mai 2015 au Sir Winston
Philippe Rollandin, consultant en communication et système de santé mais également ancien
journaliste spécialisé en économie de la santé, nous a fait le plaisir et l’honneur d’intervenir à ce
café nile sur le thème : « Médecine génétique : le monde deviendra-t-il cannibale ? », sujet de son
dernier livre « Le Monde Cannibale »*.
Intervention
À l’heure actuelle, le séquençage du génome est facile et banalisé. Une filiale de Google le
propose pour 999 dollars, ou 99 dollars dans une version moins exhaustive. Ce séquençage
permet de connaître les prédispositions aux maladies ainsi que les échéances de ces maladies.
Cette nouvelle médecine prédictive devrait permettre, d’après les chercheurs, d’éradiquer les
maladies génétiques telles que les cancers ou la maladie d’Alzheimer. L’espérance de vie ne sera
plus de 80 ou 85 ans mais de 120, 130 ou 150 ans. Les conséquences de cet allongement de
l’espérance de vie seront à la fois personnelles et collectives. De fait, le vieillissement de la
population produira un choc mographique, avec plus de personnes âgées de plus que 70 ans
que de personnes de moins de 20 ans. En fait, d’ici à un demi-siècle, l’Europe, les Etats-Unis et la
Chine ne seront qu’une immense maison de retraite. Or, une société vieille ne produit en effet ni
richesse ni innovation si la majorité des personnes qui la compose est retraitée. Un choc
géopolitique est également à craindre, entre des pays du Nord développés et âgés et des pays du
Sud jeunes de plus en plus ambitieux. Les pays du Nord devront ainsi pour maintenir leur
croissance et leur productivité faire venir une forte population jeune provenant des pays du Sud.
De plus, la médecine prédictive provoquera un choc éthique, car elle comporte le risque de voir le
séquençage de l’ADN généralisé et opposable, voire obligatoire. Les assurances maladies pourront
ainsi mieux adapter leurs garanties aux besoins et déterminer à l’avance le coût de chaque
personne, mais surtout programmer et ordonnancer leurs vies. Il devrait également devenir
possible de quantifier l’intelligence, y compris avant la naissance, étape supplémentaire vers la
planification de la vie. Dans ces conditions, comment le concept de solidarité évoluera-t-il ?
Chacun de nous sera dod’un compte social de vie retraçant à la fois les coûts sociaux passés et
à venir, et les dispositions à prendre pour équilibrer ce budget. La question de l’eugénisme sera
donc finalement posée, de la même façon qu’elle l’est actuellement par exemple dans le cadre de
la trisomie 21. 90% des trisomies détectées se concluent par un avortement. Si le trait est
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exagéré, c’est pour montrer la réalité de l’évolution sociale vers laquelle nous tendons, car
lorsqu’il s’agit de sa survie, l’homme et les sociétés sont prêts à tout.
Questions de la salle
Sylvie Delassus, Centre de Recherche Interdisciplinaire : Quelles pistes de solutions proposez-
vous ?
Philippe Rollandin : Le livre que je publie n’apporte pas de solutions concrètes, mais nous avons
décidé de réfléchir à l’avenir du monde de la santé avec Olivier Mariotte en créant un think tank
qui apportera des réponses aux questions sociales, politiques, géopolitiques et éthiques soulevées
par la révolution provoquée par cette médecine génétique et prédictive. Les évolutions que je
décris vont se produire et la question à laquelle nous essaierons de répondre est de savoir
comment l’intégrer tout en conservant des valeurs humanistes.
Olivier Mariotte : Le champ de réflexion ne sera pas réduit uniquement à la médecine ou au
médicament, mais sera multifactoriel et inclura l’ensemble des problématiques relatives à la
santé, avec une vision territoriale forte.
Jean-Louis Touraine, dépudu Rhône : Dans l’Histoire, toutes les prédictions voisines de celles
que vous décrivez n’ont jamais totalement été accomplies. Pensez-vous qu’en 2065, on ne puisse
pas vous contredire sur ce que vous dîtes aujourd’hui ? Au début des années soixante-dix, Richard
Nixon avait déjà annoncé l’éradication du cancer, pour 2015. En médecine, la programmation
ciblée est en effet toujours sujette à caution : seuls 2 % du génome sont véritablement décryptés.
Par ailleurs, des effets bénéfiques existent également à l’évolution de la médecine génétique.
L’augmentation de l’espérance de vie permettra également une augmentation de la longévité et
un recul de la vieillesse. La thérapie génique devra aussi permettre des améliorations.
Philippe Rollandin : L’horizon 2065, à cinquante ans, est une échéance à échelle humaine, et nous
pouvons supposer que notre cadre de vie n’aura pas changé d’ici . Les scénarios évoqués dans
l’ouvrage que je publie peuvent être caricaturaux, mais sont basés sur des données réelles.
L’objectif est de s’interroger sur les conséquences économiques, sociales et sociétales des progrès
de la médecine génétique et d’anticiper une éventuelle utilisation délétère des technologies
issues de ces progrès.
Olivier Mariotte : L’intérêt d’une telle démarche n’est pas la prévision de l’avenir, mais d’apporter
des pistes de réflexion à un sujet parfois aride. Une réflexion sur les enjeux est plus utile qu’une
réflexion sur les conséquences.
Laurence Curty : À l’heure actuelle, il est impossible de faire décrypter son génome par un
laboratoire qui ne soit pas américain. La réflexion éthique que vous évoquez n’est pas possible
sans des moyens technologiques et économiques.
Philippe Rollandin : Il n’est en effet pas possible de faire décrypter son génome en Europe. De
toute évidence, les moyens techniques, technologiques et économiques sont une condition
nécessaire à la réflexion éthique. Si ces moyens ne sont pas donnés à l’Europe, le modèle éthique
américain très permissif deviendra universel. Les évolutions positives offertes par la génétique
médicale sont nombreuses, mais il faut prendre en considération la possibilité d’une utilisation
pouvant aller à l’encontre de nos valeurs morales.
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Olivier Mariotte, nile : Le système n’est pas régulé de façon habituelle par une autorité
administrative ou scientifique. Les offres existantes ne sont ni maîtrisées ni régulées.
Laurence Curty : La FDA est en train de mettre en place cette régulation. De grandes avancées
restent à réaliser en France pour lui communiquer les valeurs que nous souhaitons voir
appliquées.
Paule Drouault-Gardrat, avocate : Que faire en cas de détection d’un gène associé à un risque non
négligeable de cancer incurable, par exemple ?
Philippe Rollandin : Si le cancer est incurable au moment du dépistage, il ne le sera peut-être plus
au moment de sa supposée survenue. De plus, ce risque programmé permet de réaliser
fréquemment des analyses pour permettre un diagnostic le plus précoce possible et ainsi
augmenter les chances de traitement et de survie. Par ailleurs, une étude scientifique américaine
est en cours pour déterminer si les prédictions du séquençage ont bien lieu.
Isabelle Chandler, Union nationale des associations de parents de personnes handicapées
mentales et de leurs amis (UNAPEI) : Le diagnostic prénatal par prélèvement sanguin permet de
détecter la trisomie 21. 81 % des femmes enceintes pour lesquelles ce diagnostic est positif
subissent une interruption médicale de grossesse. Comment rendre ce genre de test accessible à
tous et accompagner les familles dans leur choix ?
Philippe Rollandin : La vie est aléatoire par nature. Les nouvelles technologies bouleversent cette
philosophie de l’aléatoire pour une connaissance très approfondie de la vie et de l’humanité et
induisent à la fois une programmation de la vie et une correction des événements qui sont alors
attendus.
Jean-Louis Touraine, député du Rhône : À titre d’exemple, le diagnostic prénatal du déficit
immunitaire combiné sévère était auparavant l’objet d’une interruption de grossesse presque
systématique, l’espérance de vie de l’enfant étant d’environ deux ans. Des possibilités de
traitement prénatal ont été découvertes en 1988 et à l’heure actuelle, les enfants atteints naissent
guéris. Cela sera vrai demain pour d’autres pathologies. Il est difficile de déterminer quelle
pathologie justifie une interruption de grossesse et quelle pathologie ne le justifie pas.
Jean-Luc Masgnaux, CERIDT : L’approche génétique est globale car l’environnement a une
influence sur les maladies génétiques. Il faut donc faire progresser la prévention en mobilisant les
équipes médicales du monde entier, ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle car les moyens
n’existent pas.
Philippe Rollandin : Le marché décidera des domaines de recherche à venir. C’est un grand
danger.
Bernard Cassou Mounat, Ministère de la Santé : L’individu ne se résume pas à son génome. Par
ailleurs, la question du consentement mériterait d’être revisitée au regard de votre propos. Enfin,
l’enjeu industriel est important car les grands débats internationaux ont lieu aujourd’hui entre les
Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne. Le biobanking est un sujet majeur sur lequel la France ne peut
pas travailler seule. Si la France a l’atout de la qualité de sa médecine, elle a également le
handicap de l’absence de plateforme informatique permettant le traitement des données.
Philippe Rollandin : Ce constat, hélas tragique, est juste.
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James Goldberg, cancérologue : De très grands investissements sont réalisés actuellement aux
États-Unis, non seulement dans le secteur privé, mais également dans le secteur public, qui a pris
conscience de la nécessité de participer à ce secteur. La France, de la même façon, est-elle en train
d’étudier les possibilités de financement du secteur génétique pour influer sur la culture
américaine dominante en la matière ?
Philippe Rollandin : La Chine est également un acteur majeur très peu transparent, à l’inverse des
États-Unis qui communiquent largement sur leurs travaux. Elle possède en effet le plus grand
laboratoire de recherche génétique mondial, sans que nous sachions quelle est la nature de leurs
travaux. Même en Europe, l’éthique est parfois malmenée. L’évolution dans les autorisations de la
recherche sur l’embryon est à ce sujet éloquente. La règle est l’autorisation et l’interdiction est
l’exception.
Jean-Louis Touraine, député du Rhône : Au début des années 2000, la recherche sur les cellules
souches embryonnaires était autorisée au Royaume-Uni ou en Australie. Aux États-Unis, elle était
interdite dans les laboratoires publics, mais autorisée dans les laboratoires privés. La France,
quant à elle, l’interdisait mais autorisait les importations. Un système d’autorisation encadrée a
heureusement été mis en place les années suivantes et c’est une évolution positive. Le débat
éthique actuel sur la gestation pour autrui nécessitera de la même façon une adaptation des
normes.
Charles Perinetti, Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM) : Le
système de santé n’est pas organisé, n’arrive pas à se penser en tant que tel, et n’a pas de
dimension politique. Les évolutions de la médecine permettront-elles enfin le contraire ? Les
personnalités politiques y travailleront-elles ?
Philippe Rollandin : Le sujet n’est pas le système de santé, mais le modèle social et éthique. De
même, l’enjeu n’est pas organisationnel, mais politique. Concernant la bataille industrielle du big
data, elle a lieu aux États-Unis et est déjà perdue pour la France et pour l’Europe.
Olivier Mariotte, nile : À l’heure actuelle, 75 % de la population des personnes âgées en France est
en bonne santé. Avec l’allongement de la durée de vie, quel sera l’avenir de cette population ?
Philippe Rollandin : L’âge de départ à la retraite sera inévitablement repoussé. Il faudra
déterminer comme gérer sur les plans politique, économique et social cette population qui
deviendra plus importante que celle des jeunes de moins de vingt ans.
Jean-Louis Touraine, député du Rhône : Le véritable enjeu est l’équilibre intergénérationnel et la
modification de la pyramide des âges. L’accès à l’épanouissement personnel étant de plus en plus
tardif, une réflexion sur les mentalités devra également avoir lieu. Il faudra donc laisser plus de
place aux initiatives des jeunes.
Philippe Rollandin : Le séquençage généralisé du génome permettra de connaître à la fois le
parcours de vie des gens et leur espérance de vie. Une solution équitable serait dans ces
conditions d’accorder vingt ans de retraite à tous. Cette relativisation de l’organisation de la vie
devra permettre d’accorder plus de place à la jeunesse.
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