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8 Religion et tolérance
Illustration 8
Venez, venez, qui que vous soyez ; vagabond, idolâtre, adorateur du feu ;
venez, quand bien même vous auriez brisé vos serments un millier de fois ;
venez, revenez ; notre caravane n’est pas celle du désespoir.
Mevlana Jelaluddin Rumi, XIIIe siècle
8.1 Introduction
Avez-vous conscience de l’omniprésence des religions dans votre vie ? Elles se mani-
festent tout autour de vous, et croyants ou non, vous en êtes les témoins. Il se peut
que vous entendiez l’appel à la prière lancé depuis le minaret d’une mosquée tout
comme le son des cloches d’une église.
Lorsque des amis se marient, si vous ne participez pas uniquement à la cérémonie
civile qui se déroule à la mairie, vous vous rendez à la synagogue ou à l’église. Tous
les ans, pour célébrer Noël, vous décorez peut-être un sapin, tout comme pour
ques vous achetez des œufs en chocolat.
A l’occasion des fêtes religieuses, certains d’entre vous s’offrent de nouveaux vête-
ments, rendent visite à leurs parents ou à leurs voisins âgés, ou offrent des cadeaux
aux enfants. Lors de funérailles, vous assistez à des prières…
TROUVEZ LES DIFFÉRENCES
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T-Kit no11 MOSAÏQUES Kit de formation pour le travail euro-méditerranéen de jeunesse
Où que vous viviez dans la région méditerranéenne, que vous soyez croyants ou
non, la religion joue un rôle important dans votre société.
Dans les sociétés européennes et méditerranéennes, ont toujours coexisté différentes
religions autour desquelles se façonne un ensemble complexe de réalités, de mythes
et de croyances, mais aussi d’idées erronées.
D’un côté, ces religions rassemblent les individus ; en principe, elles offrent des
espaces de vie où s’exercent les valeurs les plus nobles de l’être humain (huma-
nisme,solidarité, compassion…), et permettent aux hommes d’unir leurs efforts dans
l’objectif d’un meilleur avenir partagé.
D’un autre côté, l’histoire montre que les religions servent souvent à justier au nom
de Dieu des actes cruels (guerres et conits, persécutions et intolérances) qui, en n
de compte, divisent les individus plus qu’ils ne les réunissent. Toutefois, le problème
ne se trouve pas dans les religions, comme certains le suggèrent, pas plus qu’elles ne
sont la solution, comme d’autres le voudraient.
Dans les sociétés euro-méditerranéennes, les religions existent simplement au côté
des autres processus contemporains (migrations, différences socio-économiques,
mondialisation, etc.) et sont un facteur important qu’il convient de prendre en compte
par rapport aux jeunes et dans le travail avec les jeunes.
La religion est une question que la plupart des jeunes doivent gérer au quotidien à la
maison, dans la sphère publique, au travail et à l’école. Le travail de jeunesse peut aider
à faire des différences religieuses un facteur d’enrichissement culturel pour les jeunes, au
lieu d’une source de confrontation – en particulier à travers le prisme de la compréhen-
sion mutuelle, de la tolérance et de l’acceptation de la différence. Ce chapitre entend
contribuer à cette démarche en explorant les principaux concepts souvent utilisés en lien
avec la religion, comme la tolérance religieuse, la diversité, le pluralisme, le dialogue
interreligieux/interconfessionnel et le sécularisme. De plus, ce chapitre apporte quelques
informations de référence sur le bahaïsme, le christianisme, la foi druze, l’islam, le ju-
daïsme et le yézidisme en guise d’exemples de quelques-unes des religions et confes-
sions qui ont euri sur les terres méditerranéennes et sont pratiquées depuis des siècles
par des millions d’adeptes européens et méditerranéens.
Il est à noter qu’étudier la question des religions et apporter des informations objectives
et dépourvues de tout préjugé est loin d’être une tâche facile. Tout d’abord, à cause de
l’ampleur et de la diversité des informations mais aussi en raison des conjectures sur les
religions concernées, et en conséquence du caractère très sensible de la question, en
particulier dans le contexte euro-méditerranéen. Dans ces conditions, les informations ici
présentées doivent être considérées comme une introduction, associée à une sélection
de questions épineuses – à l’intention de tout animateur de jeunesse intéressé par ces
concepts fondamentaux –, à des interrogations et des points de départ sur les religions, la
diversité religieuse et le dialogue interreligieux.
8.2 Tolérance et (in)tolérance religieuse
La notion de tolérance a diverses connotations, signications et valeurs ; la langue, la
culture et la tradition jouent des rôles importants dans la formation et la compréhension
de ces nuances.
En anglais, le verbe tolerate (tolérer) signie supporter ou autoriser ; en allemand, la signi-
cation de tolérance est plus proche de l’acceptation et du respect. En France, Le Petit
Robert dénit le terme par l’attitude « qui consiste à admettre chez autrui une manière de
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penser ou d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même » (compréhension ou indul-
gence), le « fait de respecter la liberté d’autrui en matière de religion, d’opinions philoso-
phiques, politiques », ou encore le fait de tolérer, de ne pas interdire ou exiger. En turc,
hoşgörü signie comprendre et tolérer.1 En arabe, tasâmuh, selon le Lissan al-Arab,2 fait
référence à la facilitation mutuelle du processus (de discussion) sur la base de l’égalité
entre les deux parties. Un autre terme arabe, musamaha, renvoie au fait de faciliter de
manière mutuelle et égale dans les cas de contestation, de calomnie, de différend ou
d’inimitié. En hébreu, savlanut signie « patience », et renvoie aussi au fait de reconnaître
et de légitimer des opinions et/ou des croyances différentes des nôtres ou de celles qui
nous sont familières.
Tolérance
L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a conve-
nu d’une compréhension contemporaine, universelle et active de la tolérance dansla « Décla-
ration de principes sur la tolérance » (Paris, 16 novembre 1995). Dans l’article premier, la
« tolérance », en tant que concept à multiples facettes, est dénie comme suit:
1.1. La tolérance est le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité
des cultures de notre monde, de nos modes d’expression et de nos manières d’exprimer notre
qualité d’êtres humains. Elle est encouragée par la connaissance, l’ouverture d’esprit, la com-
munication et la liberté de pensée, de conscience et de croyance. La tolérance est l’harmonie
dans la différence. Elle n’est pas seulement une obligation d’ordre éthique ; elle est également
une nécessité politique et juridique. La tolérance est une vertu qui rend la paix possible et
contribue à substituer une culture de la paix à la culture de la guerre.
1.2. La tolérance n’est ni concession, ni condescendance, ni complaisance. La tolérance est,
avant tout, une attitude active animée par la reconnaissance des droits universels de la per-
sonne humaine et des libertés fondamentales d’autrui. En aucun cas la tolérance ne saurait
être invoquée pour justier des atteintes à ces valeurs fondamentales. La tolérance doit être
pratiquée par les individus, les groupes et les Etats.3
Compte tenu des diverses connotations du terme et de ses diverses compréhensions
possibles, les actes de tolérance peuvent prendre des formes différentes, en particu-
lier lorsque le terme est utilisé dans un contexte interculturel. La tolérance en tant
que concept est ouverte à des interprétations et à des utilisations tant positives que
négatives. Elle peut être interprétée comme l’idée d’acceptation et de compréhen-
sion dans un contexte, mais apparaître discriminatoire et négative lorsqu’elle est
employée pour signaler le fait de tolérer quelque chose sans même le prendre en
considération. Le respect de la différence, par ailleurs, consiste à accepter la diffé-
rence pour ce qu’elle est. Entre ces deux notions, il existe une nuance de taille. Par
exemple, alors que le respect peut permettre à celui qui est différent de se sentir chez
lui dans un environnement étranger, la tolérance peut l’amener à se percevoir comme
l’« étranger ». En ce sens, selon les principes de l’Unesco sur la tolérance, « pratiquer
la tolérance ce n’est ni tolérer l’injustice sociale, ni renoncer à ses propres convic-
tions », mais appliquer des principes qui sont complémentaires pour le respect des
droits de l’homme.
Sans opérer de séparation articielle entre les deux connotations, cette distinction
n’en reste pas moins très pertinente dans le cadre du travail de jeunesse. En effet,
l’orientation, les buts, les méthodes et les dynamiques des pratiques du travail de
jeunesse seraient certainement très différents selon que l’on adopte une approche
positive ou négative du terme de tolérance.
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T-Kit no11 MOSAÏQUES Kit de formation pour le travail euro-méditerranéen de jeunesse
Toute réexion ou dénition sur la tolérance s’applique aussi à l’idée de tolérance
religieuse : les différentes signications, le rôle de l’histoire et de la tradition, les per-
ceptions positives et négatives du terme, etc. Mais, à propos de la notion de tolérance
religieuse, et inversement d’intolérance religieuse, d’autres idées méritent aussi d’être
prises en considération.
La notion de tolérance religieuse est étroitement liée à la liberté de religion ou de
conviction. La tolérance religieuse implique en effet la reconnaissance, le respect et
même la promotion du pluralisme religieux. En conséquence, il est possible de dé-
nir l’intolérance religieuse par les attitudes émotionnelles, psychologiques, philoso-
phiques et religieuses susceptibles de déclencher des actes de discrimination ou
d’autres violations de la liberté religieuse, ainsi que des manifestations de haine et
des persécutions envers des personnes ou des groupes de religion ou de conviction
différente.4 Par exemple, dans certaines religions, les enfants n’ont pas le droit de
fréquenter l’une ou l’autre école ou les propriétaires ne doivent pas louer leurs loge-
ments à des familles membres d’autres religions. Ces positions peuvent entraîner des
traitements injustes dans l’éducation, l’emploi, le logement ou la loi, mais aller aussi
jusqu’à des conduites individuelles telles que dévisager les adeptes d’autres religions
dans les lieux publics ou leur jeter des pierres.
Ces exemples sont la conséquence d’une opinion au départ négative sur laquelle se
greffe un acte négatif commis envers une religion, une doctrine ou une pratique reli-
gieuse (ou les personnes ou institutions appartenant à cette religion) pour marquer
une antipathie voire une désapprobation.5 L’intolérance religieuse s’observe à diffé-
rents niveaux : entre les adeptes d’une même religion (intolérance intra-religieuse) ;
entre une religion/attitude religieuse et une autre, sous la forme d’antagonismes entre
personnes et groupes de personnes (intolérance interreligieuse) ; sous la forme d’un
athéisme ou d’un théisme radical, qui ne tolère pas la liberté de choix ou la pratique
de l’engagement religieux ; ou sous la forme d’un anti-sécularisme qui renvoie à une
sorte de militantisme politique qui voudrait contraindre une entité politique à adop-
ter un engagement religieux.6
La diversité religieuse n’est pourtant pas nécessairement une source de conits. Mais,
en présence d’autres facteurs déclencheurs, elle peut conduire à des tensions, dans
bien des régions du monde, y compris en Méditerranée et en Europe. A la condition
de savoir à quoi l’intolérance religieuse fait référence, il devrait être possible qu’une
tolérance religieuse positive favorise la coexistence pacique de plusieurs religions
et points de vue religieux, car chaque religion est un paradigme, un modèle, qui n’est
ni bon ni mauvais, ni supérieur ni inférieur à tel ou tel autre.7
8.3 La diversité religieuse dans les sociétés
euro- méditerranéennes
Depuis des siècles, le Bassin méditerranéen est un carrefour où se rencontrent des
peuples, des civilisations et des religions. Quantité de religions ont euri sur les terres
méditerranéennes et se sont répandues dans le monde : le bahaïsme, le christianisme,
la foi druze, l’islam, le judaïsme et le yézidisme ne sont que quelques exemples de
religions et de confessions toujours pratiquées dans les pays européens et méditerra-
néens. Leurs adeptes coexistent dans ces sociétés avec ceux d’autres religions et
d’autres croyances – et notamment l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme, le ras-
tafarisme et l’animisme – ainsi qu’avec les athées.
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Q : Pouvez-vous citer des noms de religions ou de convictions religieuses
qui existent dans votre société ?
Aucune de ces religions n’est une entité monolithique, et toutes ont été fortement
inuencées et nourries par les sociétés dans lesquelles elles sont nées, elles ont évo-
lué et se sont développées. Cela signie non seulement que des religions différentes
peuvent exister dans une proximité géographique, mais également que la pratique et
les croyances d’une même religion peuvent différer d’un contexte à l’autre. C’est l’un
des facteurs qui rend la diversité religieuse aussi complexe, en particulier dans la
région euro-méditerranéenne. Les adeptes des différentes religions ont toujours été
en relation ou en contact entre eux. Qu’ils vivent dans la même société ou dans des
sociétés distinctes, des interactions sont occasionnées inévitablement par des cir-
constances de la vie comme le mariage, les relations de voisinage ou les relations
d’affaires.
8.4 La confusion entre religion, nationalité et culture
Les trois concepts de religion, de nationalité et de culture ont donné lieu à de nom-
breuses dénitions (contestées pour certaines). Au sens le plus habituel, la religion
désigne la relation des êtres humains à ce qu’ils considèrent comme saint, sacré,
spirituel ou divin,8 parallèlement à un ensemble de convictions et de pratiques struc-
turées propres à un groupe d’individus qui partagent la même foi. Toutefois, si nous
adoptons le point de vue des groupes ou des individus plutôt que celui de systèmes
religieux dans leur globalité, il est probable que nous constations une diversité consi-
dérable au sein de toute religion – que cette diversité soit confessionnelle, sectaire ou
culturelle, ou encore qu’elle relève de plusieurs de ces composantes.9 Cette observa-
tion vaut également pour la nationalité et la culture. En effet, tous ces concepts font
partie intégrante de l’identité personnelle, aux côtés d’autres éléments, et sont inex-
tricablement entrelacés.
Si ces trois concepts – religion, nationalité et culture – sont différents mais étroite-
ment liés, comment peut-on alors dénir et comprendre cette relation ? Comment les
individus peuvent-ils en saisir les subtilités dans des situations où, par exemple, des
individus de leur nationalité professent des religions différentes, des situations où des
individus de leur religion ont des nationalités ou des cultures différentes, ou encore
des situations où des individus de leur pays ont des identités culturelles différentes ?
Autrement dit, par exemple, tous les Grecs sont-ils des chrétiens orthodoxes, tous les
Arabes sont-ils musulmans ou encore tous les Juifs pratiquent-ils le judaïsme ?
L’histoire et la pratique des religions ont révélé que – en plus du culte qui est la base
de la religion – conduite morale, foi et participation aux institutions religieuses sont
généralement les éléments constitutifs de la vie religieuse telle que la pratiquent les
adeptes et telle qu’elle est prescrite par les sages et les écrits religieux.10 Au fur et à
mesure du développement des religions, beaucoup de caractéristiques quotidiennes
religieuses et sociétales se sont ancrées dans l’environnement de la pratique de la
religion, jusqu’à se reéter dans la politique et la culture religieuse. La littérature, la
poésie, diverses expressions artistiques et musicales, mais aussi les codes vestimen-
taires, les façons de faire et les innovations trouvent leur origine dans l’histoire des
religions, à des degrés divers d’importance et d’acceptation. Même si tous ces aspects
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